5. Audition de M. Philippe Vesseron, directeur de la Prévention des pollutions et des risques, délégué aux risques majeurs et M. Pascal Douard, sous-directeur de la Prévention des risques majeurs (30 mai 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Philippe Vesseron, directeur de la Prévention des pollutions et des risques, délégué aux risques majeurs et M. Pascal Douard, sous-directeur de la Prévention des risques majeurs.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Philippe Vesseron et Pascal Douard .

Nous vous cédons la parole. Je vous propose de nous soumettre un exposé aussi bref que possible afin que nous vous posions nos questions.

M. Philippe Vesseron - Monsieur le Président, je vous remercie. Je crois que la partie la plus concrète sera très certainement l'échange après l'exposé liminaire.

Nous parlons beaucoup de risque naturel, notamment depuis les inondations de l'Aude et des départements proches en 1999 ainsi qu'à l'occasion des inondations de Bretagne. Je souhaiterais insister sur le fait qu'un ensemble d'événements rentrent dans la catégorie de risque naturel. Nous évoquons ce terme lorsque des inondations affectent un quartier tous les cinq ans ou quand des événements tels que celui que nous venons de vivre se produisent. Je viens de rappeler les catastrophes naturelles qui mobilisent non seulement l'opinion mais également l'action des collectivités et des pouvoirs publics et dont la probabilité est généralement de 1 % par an. Je souhaiterais que vous gardiez en mémoire cet ordre de grandeur, même s'il existe des cas pour lesquels la probabilité est légèrement supérieure ou inférieure. Il s'agit également de la probabilité que l'inondation de 1910 se reproduise à Paris ou qu'un sinistre destructeur aux Antilles survienne. 1 % par an est à la fois considérable et trop long pour que la mémoire spontanée et les collectivités s'adaptent à ce type d'événement. 1 % par an signifie qu'il y a deux chances sur trois pour qu'un événement similaire se reproduise au cours des cent prochaines années. Nous qualifions cette probabilité de risque centennal. Je tiens à souligner que nous ne tenons pas compte spontanément des événements qui se produisent avec une fréquence de ce type non seulement dans notre comportement mais également dans notre culture. Dès lors, il faut des normes afin de tirer les conséquences en terme de prévention, d'organisation et de mémoire. Je tenais à souligner cet élément. Les événements qui sont considérés comme catastrophiques ne peuvent être gérés par le biais de la conscience spontanée.

Nous nous posons tous la question de savoir si les changements climatiques induisent, sont susceptibles d'induire ou induisent déjà une modification sur les événements de ce type. Je considère qu'une réflexion salutaire a été menée depuis quelques années. Elle consiste à affirmer que le changement climatique, s'il est confirmé, ne se traduira pas par une variation homothétique de la situation sur l'ensemble de la planète. L'augmentation de cinq degrés ne sera pas uniforme mais pourra se traduire notamment par l'apparition ou l'accroissement de phénomènes non linéaires, qui conduiraient à ce qu'il pleuve d'autant plus dans les régions où la pluie est d'ores et déjà abondante et qu'il pleuve beaucoup moins dans les régions arides. Cette évolution impliquerait une augmentation des phénomènes extrêmes. Il serait certainement erroné et scientifiquement non fondé de déclarer que les phénomènes que nous avons constatés en France depuis deux ou trois ans sont le signe d'un changement climatique global. En revanche, ce type d'événement est susceptible de se produire si le phénomène se confirme. A titre d'exemple, il a été calculé qu'à l'horizon de quelques dizaines d'années, le débit de la Tamise pourrait croître de 10 %.

Je souhaitais vous soumettre une deuxième réflexion. Etant considéré que le risque de catastrophe naturelle a une probabilité de ce type, il convient de procéder à une clarification des objectifs et des responsabilités. Les objectifs que l'on prend souvent en France en matière de prévention des inondations consistent à considérer l'événement de référence centennal. Il est important de garder cet élément en tête. Par exemple, les circulaires ministérielles de 1994 et de 1996 prennent cet événement de référence, que l'on retrouve également à la base de nombreux plans de prévention des risques. Cela étant dit, il convient de retenir deux idées. D'une part, il ne faut pas que nous donnions à penser à nos concitoyens que nous les protégerions intégralement de l'événement centennal. La référence que nous prenons en considération est la base des actions prévues par l'Etat notamment mais ne signifie pas pour autant que nous apportons une garantie absolue. Si la crue de 1910 se reproduisait à Paris, elle serait moins importante que par le passé mais provoquerait 50 millions de francs de dégâts. D'autre part, il faut parfois être plus ambitieux que l'événement centennal. Il me paraît important que, dorénavant, nous soyons plus vigilants pour tous les bâtiments indispensables à la gestion d'une crise éventuelle. Il ne serait pas raisonnable qu'un hôpital ou un centre de secours ne soit pas protégé. Cette thématique de protection des bâtiments de secours est maintenant bien assimilée pour les risques sismiques aux Antilles. Il convient de l'appliquer aux autres zones.

J'ai indiqué qu'il s'agissait de clarifier les responsabilités. Un acteur important à l'égard du risque de catastrophe est l'Etat. Ce point fait l'objet d'un consensus. Une demande forte est adressée à l'Etat, même s'il lui est souvent reproché d'en faire trop avant les événements et pas assez ensuite. Par exemple, après les lois de décentralisation, il a été confirmé, en 1982, 1987 et 1995, que les actions liées aux risques naturels incombent essentiellement à l'Etat. Que demande-t-on à l'Etat ? D'une part, l'Etat doit apporter des informations fiables, honnêtes et loyales à l'ensemble des acteurs : aux collectivités, aux citoyens, à l'opinion. Cette mission d'information est un élément fondamental de la gestion des risques modernes. D'autre part, on lui demande de fixer des règles de prévention. Enfin, une demande moderne, qui me paraît extrêmement importante, consiste à organiser le retour d'expérience. Un des risques de notre fonctionnement, issu de la culture de notre pays, consiste à cesser de parler d'un événement catastrophique lorsque celui-ci s'achève. S'il a été géré avec une solidarité importante, avec des gens qui paient de leurs personnes ou des élus qui travaillent à temps plein, cela peut donner lieu à une période de consensus qui s'éteindra aussi vite. Lorsque l'événement se passe mal, la même issue est constatée. En définitive, il y a, de manière générale, un désir relativement limité de procéder à un retour d'expérience et de tirer les leçons de la prévention, qui n'avait pas été suffisamment assurée. Une idée moderne est apparue après les inondations de Nîmes et consiste à organiser ce retour d'expérience. Il convient de formaliser dans les semaines suivant l'événement de mobiliser les compétences afin de procéder à une enquête sur la zone concernée.

Une seconde demande moderne consiste, me semble-t-il, à montrer l'exemple. J'évoquais à l'instant l'exemple des bâtiments dédiés au secours. Il existe d'autres infrastructures pour lesquelles l'Etat est le maître d'ouvrage. Il me paraît important que l'Etat montre l'exemple. Il serait incompréhensible que des bâtiments de ce type ne résistent pas efficacement aux catastrophes.

Nous reviendrons plus tard sur l'organisation des responsabilités entre l'Etat, les particuliers, les entreprises et la collectivité.

Je souhaiterais évoquer les plans de prévention des risques. L'idée selon laquelle il est nécessaire d'instaurer des plans de ce type, dans le cas d'inondations ou d'avalanches, n'est pas nouvelle. Toute une série de textes ont été publiés. Ainsi, un premier décret de loi a été édicté en 1935, et a fondé un support juridique au plan de surface submersible. L'intervention administrative, qui visait autant l'écoulement des eaux que la prévention des inondations, a donné lieu à de nombreux textes dont le contenu n'est pas extrêmement opérationnel. Un certain nombre de textes reposent sur l'application du code de l'urbanisme. Enfin, des textes ont été créés par des lois au début des années 1980 et concernent le plan d'exposition aux risques.

Le constat global à la fin des années 1990 consistait à déclarer que ces réglementations n'avaient pas été particulièrement efficaces. Il existait peu de plans de prévention des risques. Les plans de surfaces submersibles étaient creux. La loi a refait, en 1995, un type d'intervention qui s'est substitué au précédent et qui fonde les plans de prévention des risques. Il a été affirmé que la prévention est une responsabilité de l'Etat. Un débat s'est instauré au cours de cette période afin de déterminer si cette responsabilité serait reconduite ou transférée aux régions ou aux départements. La confirmation de la tâche de l'Etat implique un contenu technique et des procédures suffisamment contradictoires de consultation du public et des collectivités dans la mesure où cette procédure n'est pas du goût de tous. De plus, cette procédure entraîne des effets juridiques forts. La mission d'utilité publique s'impose au plan d'occupation des sols. De manière assez intéressante, cette décision a correctement fonctionné. Je tiens à vous distribuer le diagramme d'évolution. A partir de la loi de 1995, le nombre de plan de prévention des risques approuvés a considérablement augmenté. Quelle en est la cause ? D'une part parce que les lois de finances successives ont fourni des moyens financiers considérablement accrus, qui sont passés de 25 millions de francs par an à plus de 100 millions de francs. D'autre part, nous avons fabriqué de nombreux guides méthodologiques et de support et avons formé des fonctionnaires. Enfin, un certain consensus s'est créé, collectivement, autour de ces instruments, y compris de la part des élus. Je me souviens qu'à l'issue des inondations de l'Aude, un certain nombre d'élus qui résistaient au préalable aux plans de prévention des risques m'ont déclaré qu'ils avaient fait leur travail et qu'il était normal qu'ils émettent des réserves en amont. En définitive, telle est la répartition des responsabilités.

Je considère qu'un des points sur lesquels j'attends beaucoup d'une Commission d'enquête comme la vôtre, Monsieur le Président, est de contribuer à accélérer cette mécanique. A l'heure actuelle, 2.707 plans ont été approuvés sur le territoire national. Selon mon point de vue, il serait nécessaire de disposer, d'ici à 2005, de 5.000 plans de prévention des risques. Il conviendrait d'augmenter de 50 % le rythme de progression annuelle que nous avons connu jusqu'à présent.

Le dernier point de réflexion porte sur la caractéristique du système français concernant le processus d'indemnisation des catastrophes naturelles. Lorsqu'un événement anormal est reconnu comme tel par un arrêté ministériel, les dommages sont financés par un mécanisme particulier, par une surprime qui s'ajoute à l'ensemble des contrats de responsabilité civile. Ce régime a conduit à une indemnisation relativement souple et rapide de tous ceux qui subissent des inondations, des mouvements de terrain ou tout autre événement. Il me semble qu'il s'agit d'un des progrès de ces vingt dernières années en matière de gestion des risques naturels. Cela étant dit, ce mécanisme peut induire certains effets pervers qu'il nous appartient, aux uns et aux autres, de corriger. Nous constatons une déresponsabilisation à la fois des assureurs, des collectivités et des particuliers. A partir du moment où le système fonctionne, quelle est l'utilité de prendre des mesures de prévention ?

Dans certaines communes, de nombreuses déclarations de catastrophe naturelle ont été effectuées. Etant donné que le système est particulièrement mutualisé ou socialisé, il n'y a pas eu de répercutions par l'intermédiaire de l'augmentation de la prime d'assurance. Autrement dit, lorsqu'il y a des actions de protection contre le risque, d'amélioration de la prévision, de prévention, cela n'est pas pris en compte dans le contrat d'assurance de l'assuré.

Nous devrions encourager des initiatives dans ce sens. Je crois que c'est l'un des éléments sur lesquels il faudra appuyer notre démarche, afin de mieux insérer les assureurs dans le jeu. Cela devra se faire progressivement, sans détruire le système qui a été l'un des progrès de notre gestion collective des risques. Nous pourrions, par exemple, inciter les assureurs à développer un mécanisme de rachat des franchises, qui pourrait être fondé sur une tarification tenant compte de la prévention des risques. La multiplication des interventions du bureau central de tarification permettrait de réguler les tarifications, afin que chacun ne paie pas le même prix, quels que soient les efforts de prévention fournis.

Voilà, Monsieur le Président, quelques idées présentées à titre liminaire. J'aurais pu aborder d'autres sujets mais je ne suis pas le seul que vous entendrez et je me tiens maintenant à votre disposition.

M. le Président - Merci de cet exposé d'ensemble, qui a permis de soulever un certain nombre de questions. Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous poser une question ?

M. le Rapporteur - Vous nous avez, bien évidemment, fait part des PPR ou PPRI qui existent. J'ai cru comprendre, à travers la carte que vous nous avez présentée, qu'il n'y avait pas de PPR dans la Somme mais qu'il avait été prescrit.

M. Philippe Vesseron - Non, il n'y avait ni PPR prescrit, ni a fortiori PPR approuvé dans la Somme. Il a été prescrit après les événements actuels ou plutôt pendant, puisqu'ils ne sont toujours pas finis.

M. le Rapporteur - Il est en effet annoncé le 25 mai 2001. Il est donc prescrit depuis...

M. Philippe Vesseron - Voilà.

M. le Rapporteur - Ce sont toujours les événements qui font avancer les choses.

M. Philippe Vesseron - Je trouve, Monsieur le rapporteur, cette remarque un peu injuste. Croyez-moi, pour aboutir aux 2.707 plans approuvés et autres, il faut de la ténacité. Cela ne se fait pas simplement au fil de l'eau.

M. Jean-François Picheral - Pour Aix en Provence, il a fallu cinq ans.

M. Philippe Vesseron - Oui, certes. Je passe mon temps à mettre la pression nécessaire sur chaque DDE et sur chaque Préfet.

M. Jean-François Picheral - Dans l'Oise et dans l'Aisne, vous avez réussi.

M. Philippe Vesseron - Oui.

M. le Rapporteur - Que nous aurait apporté ce PPR s'il avait existé dans la Somme ?

M. Philippe Vesseron - Le jour de son approbation, rien, sauf pour les franchises de régime catastrophe assurance. De même que pour un plan d'occupation des sols, ce type d'intervention produit ses effets au fur et à mesure que, par exemple, les décisions sont prises de construire ou de modifier un certain nombre de biens. Je serais malhonnête si je vous répondais qu'il y a un changement immédiat.

M. le Rapporteur - Pour aller dans le sens de mon collègue, qui souligne le temps que tout cela prend, ne serait-il pas possible de simplifier les procédures, afin de réduire les délais ? Il est vrai que cinq ans, c'est presque une mandature au niveau d'un Conseil municipal. Ce sont tout de même des délais très importants.

M. Philippe Vesseron - C'est vrai. J'ai dit qu'il faudrait obtenir des crédits d'étude plus importants pour que les données disponibles, permettant aux uns et aux autres de comprendre ce qui est nécessaire, soient entièrement accessibles. Ces informations pourraient être abondamment diffusées sous forme numérique, afin qu'elles puissent être reprises et réutilisées par chacun.

Il faudrait aussi motiver les gens et les former. A l'heure actuelle, un des blocages demeure le nombre encore insuffisant de personnel qui se consacre aux actions risques naturels dans les DDE. Il est donc nécessaire d'encourager la communication ainsi que la diffusion d'informations pour faciliter les choses. Je n'ai pas parlé de ces éléments, que plusieurs d'entre vous connaissaient, j'en suis sûr : les documents d'informations DDRM, dossier communal synthétique... Tous ces documents par lesquels l'Etat informe les collectivités...

M. le Rapporteur - Appliqué à la Somme, que cela signifie-t-il ?

M. Philippe Vesseron - Le DDRM est assez bien fait et parle largement des inondations. Il y a même une belle photo sur la couverture, consacrée à ce sujet.

M. le Rapporteur - Il fallait donc les inondations.

M. Philippe Vesseron - Le DDRM était fait. Les documents d'information, à l'échelle communale, pouvaient être réalisés sans difficulté. Il me semble qu'il aurait été souhaitable que l'Etat, c'est-à-dire les services, le Préfet... se rendent plus rapidement compte, d'une part, que les inondations de 1995 ne représentaient pas le risque maximum que l'on pouvait rencontrer et, d'autre part, que tout ces événements appelaient une réponse réglementaire. Nous avons tous tendance à mobiliser tous les efforts sur les actions qui peuvent mettre la vie humaine en danger mais il n'est pas amusant pour autant de voir deux mille personnes hors de chez elles pendant de longues périodes. Peut-être faudrait-il donc modifier les priorités.

M. le Rapporteur - Hormis les PPR, qui n'existaient pas, quelles mesures aurait pu prendre le Ministère de l'Environnement pour prévenir ces inondations ou tout au moins pour informer ?

M. Philippe Vesseron - Une mission a été déclenchée et je pense que votre commission comptera parmi les lecteurs les plus attentifs des conclusions de l'équipe. Je n'ai pas encore eu connaissance des résultats.

L'une des questions que je me pose est la suivante : pourquoi les crues de 1995 ont-elles été perçues comme l'événement centennal, le pire événement susceptible de se produire dans cette région ? Comment se fait-il que l'on se soit trompé d'élément de référence ? Je n'ai pas, aujourd'hui, de réponse à cette question. L'entretien des rivières avait été confié au Conseil Régional, qui l'avait délégué au Conseil Général. Je lis, comme vous, que le budget annuel est de l'ordre de dix millions de francs, ce qui ne me paraît pas critiquable a priori. En tout état de cause, étant donné l'ampleur de l'événement qui s'est produit, des modalités différentes dans l'entretien des rivières n'auraient pas significativement changé le résultat.

A mon avis, nous aurions dû mieux tirer les leçons des crues de 1995 et lancer plus tôt la prescription de réalisation des PPR dans les communes concernées. Je l'avais écrit au Préfet à l'époque.

M. le Rapporteur - Il est vrai que nous avons connu plusieurs inondations avec de plus petites crues : 1988, 1994, 1997. Je dois dire que des avertissements ont été envoyés par les communes. A-t-on véritablement entendu ces appels ? Je l'ignore.

M. Philippe Vesseron - Monsieur le rapporteur, vous savez que nous sommes dans une situation qui est complètement exceptionnelle en termes de pluviométrie depuis octobre 2000. On n'a jamais vu des volumes aussi importants sur une période de six mois. Il faut, nous dit-on, remonter au siècle précédent pour constater de pareils phénomènes.

M. le Rapporteur - A la lumière des entretiens que nous avons eus jusqu'alors, il apparaîtrait un manque de coordination évident entre certains services. Vous me direz que la zone de la Somme n'était pas couverte sur certains sujets. A priori, les informations existaient, mais les bons destinataires ne se trouvaient pas au bout de l'information pour l'analyser et en tirer les conséquences. De toute évidence, les informations qui nous ont été communiquées méritaient une attention particulière, des prises de décisions et au moins l'alerte.

M. le Président - Monsieur le rapporteur évoque l'absence, pour le territoire de la Somme et le bassin, d'un service d'annonce des crues. Les alertes ont beau fonctionner, s'il n'y a personne pour être le destinataire de ces prévisions, elles ne passent pas dans le grand public.

M. Philippe Vesseron - Nous avons tous une préoccupation commune qui est la suivante : quels sont les risques qui peuvent tuer les gens ? Cela absorbe beaucoup de notre vigilance. Il faut se prémunir contre la faute de raisonnement consistant à dire qu'un événement dont on est pratiquement persuadé qu'il ne peut pas tuer quelqu'un n'appelle pas de mesure particulière.

Ce n'est pas par hasard que je vous rappelais que la crue de 1910, à Paris, à 50 centimètres près, ne mettrait pas aujourd'hui, j'en suis à peu près sûr, de vie en danger, mais que le coût pour la collectivité serait considérable.

Je n'ai pas encore d'estimation concernant le coût des événements de la Somme. Vous avez lu, comme moi, des chiffres qui demeurent provisoires. Mais même en termes économiques, cela n'est pas entièrement négligeable. En novembre 1999, les événements de l'Aude, qui ont tué un certain nombre de personnes, ont également eu un coût considérable. L'économie fait partie des choses. Les tempêtes de Noël 1999 ont, de mémoire, entraîné la mort de quelque 90 personnes et coûté une centaine de milliards de francs au pays. Il faut donc nous méfier de situations où, parce que l'on considère qu'il n'y a pas de risques directs pour la vie humaine, le sujet est sous-valorisé.

M. le Président - Dans la pratique, nous avons un atlas des zones inondables de la Somme, que personne n'oserait regarder avec sérieux aujourd'hui. Qu'allons-nous faire maintenant ?

M. Philippe Vesseron - Monsieur le Président, j'ai oublié d'aborder la question de la coordination. Je suis loin d'être le seul acteur de la prévention des risques naturels. Une des formes de la coordination consiste à réunir les administrations concernées, à peu près tous les deux ou trois mois, pour faire le point sur un certain nombre de questions, et elles sont nombreuses.

Le gouvernement a décidé de mettre également en place une coordination au niveau politique, au niveau des ministres. Par un décret de février de cette année, il a créé un comité interministériel de la prévention des risques naturels, qui n'existait effectivement pas auparavant. Dans d'autres domaines, je vois des comités interministériels qui fonctionnent bien et qui peuvent être une mécanique par laquelle faire remonter des questions aux ministres concernés. C'est une institution qui peut s'avérer très utile. Le comité interministériel en cause sera appuyé par un conseil d'orientation, qui peut être en association étroite avec les experts et la société civile.

M. Michel Souplet - Une question va se poser tout de suite. Au niveau de la prévention des risques, il ne s'agit plus de risque majeur avec des gens qui risquent leur vie, mais on constate aujourd'hui, avec la chaleur, une invasion de moustiques, de mouches, de rats et donc une puanteur généralisée. Il ne va pas falloir attendre trois mois pour réagir. Que peut-on faire tout de suite pour régler un problème d'urgence, qui est consécutif aux inondations mais que l'on commence à vivre à partir de maintenant ?

M. Philippe Vesseron - Depuis quelques semaines, un certain nombre d'organisations se sont réunies pour anticiper sur les actions à mettre en oeuvre au fur et à mesure que l'eau se retire. Il faut nettoyer, donner des conseils pertinents à ceux qui vont devoir réparer leur maison avant d'y revenir, sachant que dans un certain nombre cas il n'y aura pas à réparer puisque les habitants devront partir ailleurs. Je ne suis pas sûr que tout soit suffisant. Je n'ai pas, moi-même, aujourd'hui, de réponse concernant les moustiques mais je sais que les questions de risques sanitaires ont été regardées de près.

M. Michel Souplet - Je pose la question parce que nous avons entendu des critiques que nous entendrons encore : « Il n'y avait qu'à, il fallait que, il faut que l'on.... ». Ces critiques sont faciles. Notre commission va rechercher s'il y a des responsables. Mais nous nous trouvons devant un problème qui se pose actuellement. Sommes-nous au moins en mesure de le résoudre rapidement ? Les moustiques et les mouches sont faciles à détruire, mais il faut faire vite.

M. Philippe Vesseron - L'une des questions que pose le retour à la normale est la suivante. En gros, nous sommes dans une situation où la nappe phréatique a atteint un niveau très important ; que faire pour gérer rationnellement la situation si les crues recommencent dans quelques mois ? Il serait assez peu satisfaisant pour les différentes autorités et pour les personnes d'avoir aidé des gens à revenir chez eux s'ils sont exposés à de nouvelles crues dans huit mois. C'est l'un des risques sur lesquels nous travaillons.

M. le Rapporteur - Que faire contre cela ?

M. Philippe Vesseron - Nous essayons notamment de permettre aux gens de partir lorsque leur maison est trop endommagée.

M. le Rapporteur - C'est facile à dire mais comment réaliser tout cela ? Nous en avons parlé. Nous sommes arrivés en juin, octobre n'est pas très loin et les choses ne se font pas si vite. Faut-il mettre des mobil homes partout ?

M. le Président - Dans l'état actuel de la logistique, nous ne pouvons pas en installer plus de douze par semaine.

M. Michel Souplet - On assiste à un phénomène psychologique que le rapporteur et le Président ont souligné tout à l'heure devant vos prédécesseurs. Il y a un mois, les gens disaient qu'ils ne reviendraient plus jamais dans leur maison, que la situation était épouvantable et qu'ils n'avaient jamais vu cela. L'eau est partie depuis trois jours, ils sont rentrés et ils sont contents de rentrer chez eux. C'est une question pour laquelle nous n'avons pas de réponse.

M. Philippe Vesseron - Comment mobiliser des mécanismes pour faciliter la réhabilitation ou le transfert chaque fois que cela est possible ? Ce n'est un secret pour personne que dans le cadre d'un CIADT, une réflexion avait été lancée.

Ma préoccupation principale consiste à ne pas pousser les gens à revenir chez eux, à remettre en état une maison et à se retrouver dans une situation où la vie risquerait d'être à nouveau gravement perturbée, dans neuf mois, par une nouvelle inondation.

M. le Président - Pour nous qui vivons cela sur le terrain, ce que vous nous dites là est quelque peu contradictoire avec ce qui se passe réellement, puisque des services de l'Etat ont pour mission de permettre aux gens de rentrer le plus vite possible. Les populations en sont heureuses.

M. Pascal Douard - Il y a deux types de maisons : celles qui ont été fortement endommagées, pour lesquelles il faut effectivement se demander si l'on doit les reconstruire ailleurs, en essayant de trouver un financement adéquat, et celles qui ont été faiblement endommagées, pour lesquelles la sagesse veut que les gens continuent de les habiter.

Pour ces maisons, je crois que l'un des enjeux consiste à parvenir à mieux les reconstruire, ce qui signifie que la construction devra être moins vulnérable aux inondations si elles se reproduisent. Cela veut dire aussi qu'il faudra combiner l'argent des assurances et des conseils techniques pour essayer de reconstruire mieux.

L'erreur consisterait certainement à refaire les papiers peints, la peinture, etc. , toutes ces choses qui ne sont pas capitales. Ceci pour deux raisons : d'une part, pour une raison technique, nous avons intérêt à laisser sécher au maximum et, d'autre part, étant donné que la nappe reste haute, nous ne sommes pas à l'abri d'un retour des inondations.

M. le Rapporteur - La vraie question est celle-ci car nos interlocuteurs nous ont précisé qu'à l'heure actuelle, personne ne peut nous affirmer que la nappe sera assez descendue pour que cela ne recommence pas cet hiver. A supposer que l'on arrive à extraire l'eau qui se trouve partout d'ici un mois à un mois et demi, que pouvons-nous faire pour éviter que cela ne recommence à l'automne ?

M. le Président - On publie un PPR ?

M. Philippe Vesseron - L'un des éléments que je regarderai dans le rapport sera l'historique de la construction. Dans d'autres régions qui ont subi des inondations, il a été très intéressant de constater que pour des lieux considérés comme dangereux dans les années soixante, la culture de ce risque avait été perdue.

Si un PPR permet par une règle claire, notamment dans le jeu entre le sinistré, l'assureur et les différents mécanismes de l'Etat, de faciliter le départ de celui dont la maison est significativement endommagée et qui se trouve en zone rouge, il serait stupide, dans ce type de situation, d'encourager la reconstruction sur place.

M. Jean-François Picheral - L'intérêt du PPR dure quatre ans parce qu'il y a un débat démocratique avec les propriétaires qui pensaient pouvoir construire et à qui l'on dit que la zone sera inconstructible car inondable. Ces gens doivent alors faire procéder à des études utiles pour l'avenir. Il est certain que cela ne va pas résoudre les problèmes dès demain.

M. Paul Raoult - Le lit mineur de la rivière a été construit par l'histoire à la fois géologique, hydrogéologique et autre pour évacuer 50 m 3 par seconde maximum. L'accident naturel fait qu'il faudrait évacuer 120 m 3 . Cela signifie que l'inondation est inévitable.

Tout ce que nous pouvons faire à partir de ce constat est nous demander, premièrement, si l'écoulement de l'eau permet d'évacuer au plus vite la masse d'eau qui est arrivée en surplus, c'est-à-dire si le curage de la rivière et de ses affluents se fait assez correctement pour évacuer efficacement ; deuxièmement, si les pratiques culturales ne font pas que le ruissellement va aujourd'hui plus vite sur le versant de la vallée. En effet, nous avions énormément de terres en herbe et, aujourd'hui, nous avons davantage de maïs. La capacité de rétention superficielle du sol a donc profondément diminué. Il faudrait alors voir du côté des bassins de rétention.

Je crois que nous ne pouvons pas inventer d'autres solutions, sinon curer l'ensemble des marais du lit majeur pour parvenir à avoir une capacité de rétention de l'eau qui n'inonde pas les villages. Il faut aussi bien se rendre compte que l'on doit faire face à des pressions des chasseurs, des pêcheurs et des riverains qui ne veulent pas que l'on touche à leur fossé.

Dans mon canton, nous sommes en train de curer une rivière et les riverains ne veulent pas nous laisser passer avec la pelleteuse et les autres engins. Or nous savons bien que si nous laissons les choses en l'état, ce sera inondé. Le jour où il y aura un gros orage, et cela s'est déjà produit, on risque des inondations catastrophiques. J'ai vu une usine textile de 400 personnes inondée, elle a été déménagée un mois après et nous l'avons perdue.

Il ne faut certes pas oublier la part de l'élément naturel. Il faut bien que l'eau s'écoule, s'en aille. Il faut bien accepter cela. Nous perdons un peu la notion d'événement naturel, non maîtrisable. Je dirais presque que c'est le fatum. Au-delà de ce phénomène, il faut savoir que cela peut arriver et se demander si nous avons la capacité de faire en sorte que les dégâts soient les moins importants possible.

M. Philippe Vesseron - Je suis assez sensible à vos propos et je les approuve. J'émettrai toutefois une réserve. Il est clair que lorsqu'une culture se met à méconnaître le fait que les risques naturels existent, on remarque des changements de comportements comme la suppression des zones inondables ou autres aménagements par les particuliers ou les communes. Cela est entièrement vrai. Il est donc nécessaire de recourir à toute la pédagogie possible, en tous lieux, afin de modifier ce type d'approche. Cependant, face à 100 m 3 /seconde, on ne peut pas faire grand chose...

M. Paul Raoult - Mais toute l'eau qui est restée depuis trois semaines aurait pu s'évacuer plus vite. En allant sur place, on voit bien que depuis qu'il ne pleut plus, l'eau a du mal à s'évacuer. Elle ne s'évacue d'ailleurs même pas. En amont de la baie de la Somme, il y a de l'eau presque stagnante, qui ne diminue que de deux centimètres par jour alors que dans la baie, il n'y a plus rien. Cela signifie bien qu'il y a un problème.

M. Roland Courteau - Pour appuyer ce qu'a dit mon collègue et à la lumière de ce que j'ai pu vivre en novembre 1999 dans mon département, je crois que nous serons dans l'obligation de modifier la loi, ne serait-ce, peut-être, que pour imposer aux communes de se regrouper au sein de structures intercommunales afin de faire face à la nécessité d'aménager, d'élargir, de creuser, de curer ou d'entretenir les rivières et les cours d'eau. Toutes les communes ont partie liée, qu'elles soient en amont ou en aval.

Par ailleurs, il faudra aussi se préoccuper d'une autre question, qui passe aussi, certainement, par une modification de la loi. Je veux parler de l'accès aux propriétés privées, qui est nécessaire à l'entretien véritable des ruisseaux, des fossés et des rivières.

M. Paul Raoult - Mon chantier est bloqué depuis six mois parce que deux agriculteurs refusent de nous laisser passer.

M. Philippe Vesseron - J'ai regardé comment les choses se passaient pour faire respecter l'autorisation de débroussailler dans les zones de forêt. Ce n'est pas dans ce palais que je dirais qu'il ne faut pas forcément bafouer les droits des communes inconsidérément. Autant que des mécanismes d'obligation de regroupement, il pourrait être utile de créer des mécanismes d'incitation au niveau des communes et départements. Je vois actuellement des formes assez originales qui se montent et qui se révèlent être de véritables substituts.

M. Roland Courteau - C'est n'est pas simple. Je crois qu'à un moment donné il faut presque imposer, et cela passe par la loi.

M. Philippe Vesseron - Au niveau des collectes d'ordures ménagères, je vois les systèmes intercommunaux s'accélérer et se moderniser de manière souple.

M. Paul Raoult - La pression de l'individualisme, des associations de pêcheurs et autres fait que cela est de plus en plus difficile. L'interaction amont-aval est difficile à mettre en oeuvre. Depuis dix ans, nous avons mis en place quatre contrats de rivière dans le Nord. Entre le moment où nous avons délibéré et le moment où les engins sont arrivés, dix ans se sont écoulés.

M. Philippe Vesseron - Il faut forcer les communes à se regrouper si besoin est ou tout au moins faciliter leur regroupement. En outre, il faut permettre la réalisation d'offices de travaux. Il s'agit de créer des mécanismes permettant aux communes de faire ce qui est nécessaire. Vous prévoirez la garantie d'un tribunal si vous le souhaitez. Il est indispensable de rendre possible les choses qui doivent être faites.

Par ailleurs, il me paraît important que l'information de celui qui achète un bien soit complète. A l'heure actuelle, la loi prévoit que celui qui vous vend un site qui a été le support d'une usine à gaz doit vous prévenir que vous habitez un sol vraisemblablement pollué. En revanche, si vous achetez un terrain qui a fait l'objet d'un arrêté de catastrophe naturelle...

M. Paul Raoult - Que faites-vous lorsque vous curez la rivière et que vous découvrez du plomb ou des métaux lourds ?

M. Philippe Vesseron - Je retire mon exemple sur les sols pollués, mais je maintiens l'idée. Il serait souhaitable que la loi prévoie que celui qui achète un bien soit informé des arrêtés de catastrophes naturelles antérieurs. A l'heure, aucune obligation de ce type n'existe et cela me semble dommage.

M. Pascal Douard - Je partage largement l'analyse concernant à la fois l'intérêt des travaux sur les crues, les difficultés et les limites. Il est évident que nous ne parviendrons pas à faire évacuer rapidement toute l'eau de crues exceptionnelles.

Partant de cette analyse, il existe un moyen d'intervention qui consiste à agir sur les biens affectés par la crue. Il faudrait essayer de construire des bâtiments qui résistent mieux, un peu à la manière de la sagesse de nos ancêtres, qui plaçaient souvent le niveau habitable au premier étage lorsqu'ils construisaient dans des endroits qui pouvaient être inondés. Nous avons un peu oublié ces choses-là.

Il y a tout une redécouverte à entreprendre dans la conception de l'habitat et des bâtiments industriels et commerciaux afin de construire des bâtiments moins vulnérables. C'est probablement un mouvement qu'il faut essayer d'accompagner. Dans le bassin Loire-Bretagne, nous avons commencé à mettre au point des études diagnostiques pour aider les gens à réfléchir. Au niveau des entreprises, c'est probablement une idée intéressante à développer car cette action va de pair avec les autres actions concernant la diminution des coûts. Avec ce qui s'est passé en Bretagne et ce qui se passe dans la Somme, nous sommes au coeur du problème car la question de l'adaptation de l'habitat se repose.

Je suis aussi frappé de constater qu'au niveau des opérations de rénovation de l'habitat, on a, à chaque fois, dû déroger aux règles. Il serait probablement nécessaire de mener une réflexion sur les règles, de façon à ce que l'on ne soit pas obligés d'y déroger à chaque fois.

M. Michel Souplet - Je suis très perméable aux idées qui sont avancées ici. Il est vrai que nous devons faire face à des obstacles, à des gens têtus qui ne veulent rien entendre et qui font valoir leur droit de propriété. C'est idiot. Mais je suis aussi viscéralement contre tous les interdits.

Au fond, il y aurait une solution simple : il faudrait que tous les Maires de France aient en mairie un registre retraçant les événements du siècle dernier, à titre de témoin, et lorsqu'une transaction aurait lieu, les notaires devraient demander aux gens s'ils sont allés consulter le registre. Cela prendrait deux heures pour confectionner ce type de registre dans chaque mairie. Les gens ne pourraient plus alors se retourner contre qui que ce soit. Cela permettrait de disposer d'informations que les gens pourraient trouver tout de suite.

M. le Président - En même temps, une action générale de pédagogie sur les choses à faire serait nécessaire. Dans le cas de la Somme, on voit des associations écologiques de défense de l'écosystème réveiller un instinct de propriété qui s'était endormi, pour pouvoir résister à des mesures qu'il faut prendre.

M. Philippe Vesseron - Encore une fois, Monsieur le Président, dans tous ces domaines, je passe mon temps à gérer des facettes contradictoires.

M. Paul Raoult - Une espèce de mitage se crée, souvent avec des petites gens. Chez moi, il y a un camping fermé l'hiver. En octobre, il reste toujours une ou deux familles qui restent et l'on découvre qu'elles n'ont pas de maison. Elles viennent à la mairie pour qu'on les reloge. Ensuite, des journaux comme La voix du Nord écrivent que le Maire ne reloge pas les gens. Je suis dans l'obligation de les reloger et ces gens s'installent, construisent leur petite maison...

M. Hilaire Flandre - On doit se garder de l'idée que le risque zéro est à portée de main. Si l'on devait interdire les constructions sur des zones qui ont eu, un jour, le malheur de subir une inondation, l'ensemble du territoire français, ou à peu près, pourrait être interdit de construction. Il existe de nombreuses zones qui ont, une fois, connu une inondation et qui n'en reverront sans doute pas avant longtemps. Ce qu'il faut, en revanche, développer, c'est l'acceptation d'un risque tout à fait calculé.

Que les gens inondés reconstruisent leur maison ne me choque pas en tant que tel. Mais je serais choqué s'ils redemandaient une indemnisation dans deux ou trois ans, suite à une nouvelle inondation. Il est important que les gens soient informés, lorsqu'ils achètent une maison, qu'il y a un risque d'inondation.

En matière d'aménagement, pour répondre à Monsieur Raoult, je tiens à préciser que les préoccupations des gens varient avec le temps. Il y a quelques années, la préoccupation première consistait à maintenir des zones inondées, humides, et à d'autres époques, on demande d'assainir ces eaux humides pour pouvoir pratiquer l'évacuation de l'eau. Nous devons donc rester cohérents dans notre manière d'aborder les choses.

En ce qui concerne la mémoire, dans une commune proche de chez moi, à cinq kilomètres, on vient de découvrir, dans un lotissement, 170 tonnes d'obus de la guerre de 1914. En fouillant la mémoire des vieilles personnes, on entend dire que cela provient des Allemands. Or ce n'est pas vrai. La mémoire disparaît donc très rapidement, sauf si on l'écrit. La mémoire orale ne dure pas plus que la vie d'un homme, même sur des choses graves.

M. Roland Courteau - J'avais noté une recommandation de M. Lefrou, dans son rapport, qui disait la nécessité de rendre obligatoire pour le propriétaire de rappeler le risque des parcelles dans le bail commercial ou dans le contrat de vente, etc. J'ajouterais qu'il faudrait peut-être rendre obligatoire la matérialisation des marques laissées par les crues. Ce n'est actuellement pas obligatoire. Il faudrait inscrire ces marques sur les bâtiments publics et sur d'autres édifices. Il serait également utile de demander aux conservateurs des hypothèques d'inscrire les risques sur le fichier immobilier.

M. Philippe Vesseron - Je reprends bien volontiers à mon compte un certain nombre de suggestions, pas forcément la dernière, sauf sous une forme un peu plus sophistiquée, qui est la suivante : il faut disposer d'un fait précis si l'on veut l'inscrire quelque part. Je suggérerais que l'on prenne alors les déclarations de catastrophes naturelles, mais votre idée ressemble assez à la mienne.

Pour ce qui est de la conservation de la mémoire, ce n'est pas si simple. Il me semble que M. Souplet va un peu vite en besogne. Nous avons besoin que la collectivité se souvienne encore, dans trente ou cinquante ans, d'un certain nombre d'événements, et nous devons réfléchir aux mécanismes permettant d'y parvenir. Un CD-Rom ne sera plus lisible dans cinquante ans. Faire des signes visibles, comme cela a été fait dans certaines villes, pour indiquer le niveau de l'inondation, est effectivement un moyen assez pédagogique, que je soutiens très largement.

J'espère vous avoir convaincus que la stratégie rationnelle ne consiste pas non plus à prétendre que nous pourrions atteindre un risque nul. Je pense que nos concitoyens sont, sur ces problèmes de risques naturels, extrêmement responsables et rationnels. Même dans des situations de catastrophes, les gens n'ont pas de réaction de panique.

M. Paul Raoult - Tout de même, la rumeur d'Abbeville...

M. Philippe Vesseron - Il s'agit simplement d'une rumeur...

M. Hilaire Flandre - La réaction n'est pas une réaction de panique. Le problème est de savoir qui va payer.

M. Philippe Vesseron - Absolument. C'est un cas où il faut prendre garde à ne pas créer de mécanismes d'affirmation de responsabilité, qui engendrent des effets pervers sur les assurances. C'est un peu ce que je disais au début. On comprend aisément qu'en cas de véritables catastrophes, qui mettent en péril des vies humaines, la collectivité soit généreuse, quelles que soient les responsabilités antérieures. Lorsqu'il s'agit d'un événement qui se produit tous les trois ans et qui conduit à rénover la moquette posée inconsidérément au rez-de-chaussée, c'est une autre affaire.

Vous parliez de risque nul. Je ne vends pas de risque nul et nos concitoyens ne s'attendent pas à cela. Il me paraît extrêmement important, et je vous rejoins ici entièrement, que l'information soit complète. Nous travaillons sur des sujets qui intéressent, qui relèvent un peu du domaine des sciences naturelles. Nous pouvons utiliser les journaux comme relais. Les mécanismes de l'enseignement véhiculent bien tout ce qui concerne le risque naturel. Je trouve que nous n'en faisons pas assez. C'est un domaine où il est nécessaire d'amplifier ce qui est réalisé par les communes, l'Etat, les départements...

Le risque acceptable est quelque chose de très compliqué. Comment les choses se décident-elle ? Comment décider sur ce qui est proposé par le technicien, sans lui demander de prendre des décisions à notre place ? Comment suivre des procédures contradictoires, amener les différentes catégories d'intérêt à s'exprimer et à reconnaître ces intérêts ? Comment amener chacun à assumer ses responsabilités ? Il faut sortir de l'indécision. Je parle, en général, de processus de décision. Cela signifie qu'à un moment donné, au niveau du législatif, de l'exécutif ainsi que dans l'administration, les gens prennent leur responsabilité.

Je vous remercie.

M. le Président - Il nous reste, Monsieur le directeur, à vous remercier.

M. Roland Courteau - Je n'ai pas très bien compris pourquoi vous n'étiez pas favorable au fait de demander aux conservateurs des hypothèques d'inscrire les risques, en cas de catastrophe naturelle, sur le fichier immobilier.

M. Philippe Vesseron - Ma proposition consiste à reporter des faits précis, pour lesquels des arrêtés de catastrophes naturelles sont intervenus. L'inscription, aux hypothèques, des endroits où un risque naturel s'est matérialisé ne donne pas de qualification assez précise pour que le dispositif soit opérationnel.

M. le Rapporteur - Je voudrais juste dire un mot sur la rumeur d'Abbeville. Elle court, elle court... et la prévention, c'est aussi, en quelque sorte, la précaution. Sachez que, pour la première fois, tous les maires inondés ont été réunis huit jours ou une dizaine de jours après les inondations. Je me souviens de cette réunion. Dans la salle, il n'y avait que des gens qui ne voulaient rien entendre de ce qui allait leur être dit, parce qu'ils étaient inondés et que rien ne leur avait été dit auparavant. Ils n'avaient pas eu d'informations. D'après eux, l'événement ne pouvait être qu'extérieur : quelqu'un venait d'inonder la vallée de la Somme. Les gens disaient à M. le Préfet : « On se fout de ce que vous dites ». La discussion partait dans tous les sens, même de la part de maires qui venaient d'être élus.

M. Philippe Vesseron - Depuis 1961, j'ai regardé différents problèmes de risques naturels et technologiques. Il me paraît évident que ce qui est complètement refusé, et de plus en plus, c'est le mépris.

Je vous renvoie ici au nuage de Tchernobyl. J'avais fait faire un certain nombre de sondages d'opinion pour comprendre comment les choses s'étaient passées. Les Français, en général, n'avaient pas eu peur, mais ils en ont voulu aux pouvoirs publics de les avoir traités comme des enfants, de manière durable. En matière de risque, les choses se passent toujours ainsi.

M. le Président - Cela produit des effets très durables. Vous savez qu'il y aactuellement dans le Vercors, une rumeur que l'on ne maîtrise pas. L'effet se propage jusqu'au Danemark, où des agences de tourisme recommandent de ne pas aller dans le Vercors.

M. Philippe Vesseron - Lorsque l'on a commis ce type de fautes, il faut ensuite des années pour les réparer.

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