Rapport d'information n° 81 (2001-2002) de MM. Xavier de VILLEPIN , Serge VINÇON et Gérard ROUJAS , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 21 novembre 2001

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N° 81

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 novembre 2001

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) à la suite d'une mission effectuée du 7 au 10 juillet 2001 en Jordanie ,

Par MM. Xavier de VILLEPIN, Serge VINÇON et Gérard ROUJAS,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Xavier de Villepin, président ; MM. Michel Caldaguès, Guy Penne, André Dulait, Michel Pelchat, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, secrétaires ; MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Jacques Blanc, Didier Borotra, Didier Boulaud, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Robert Del Picchia, Jean-Paul Delevoye, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Philippe François, Philippe de Gaulle, Mme Jacqueline Gourault, MM. Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Louis Moinard, Xavier Pintat, Jean-Pierre Plancade, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Henri Torre, André Vallet, Serge Vinçon.

Proche-Orient.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs

Une délégation de votre Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées composée de MM. Xavier de Villepin, président, Serge Vinçon et Gérard Roujas , s'est rendue, les 8 et 9 juillet dernier, en Jordanie pour une brève mission d'information. Ce déplacement avait pour objectif d'apprécier les conditions dans lesquelles le Royaume traversait à la fois les turbulences régionales liées à l'aggravation constante de la situation dans les territoires palestiniens et notamment ceux de la rive ouest du Jourdain, ainsi que les difficultés économiques et sociales liées aux réformes induites par le programme d'ajustement préconisé par le FMI.

Depuis le 7 février 1999, à la mort du roi Hussein, le Royaume est dirigé par un jeune monarque de 40 ans, fils du roi défunt, dont l'action internationale entend s'inscrire dans la ligne d'équilibre et de modération conduite par son père durant ses quarante années de règne.

Sur le plan intérieur, Abdallah II souhaite également progressivement moderniser les structures politiques du Royaume. Il s'attache surtout à porter ses efforts sur l'amélioration économique et l'allègement des difficultés sociales qui pèsent sur une population, composée pour plus de la moitié, de palestiniens réfugiés ou non des guerres passées.

Avant que notre délégation ne rende compte de cette mission le 15 novembre dernier à la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, les événements du 11 septembre aux Etats-Unis, par-delà leurs conséquences stratégiques mondiales, ont conduit à porter une attention accrue à leur éventuelle incidence sur les événements du Proche-Orient. Quel impact ces attentats pourraient-ils avoir sur la situation si gravement dégradée depuis le début de la deuxième intifada ? Seraient-ils le catalyseur d'une reprise du dialogue ou le prétexte à une violence encore accrue ? En réalité, après comme avant le 11 septembre, l'impasse politique comme la violence quotidienne sont toujours d'actualité, alimentant une guerre larvée sur cette rive ouest du Jourdain dont sont originaires tant de Jordaniens d'origine palestinienne. Par ailleurs, la pression internationale, et notamment américaine, sur l'Irak, voisin et principal partenaire du Royaume, s'est singulièrement accrue, nourrissant une préoccupation majeure au sein des responsables et de la population jordaniens.

La Jordanie, par sa stabilité intérieure, par sa diplomatie d'ouverture et d'équilibre, est plus que jamais invitée à tenir son rôle d'Etat « tampon » entre les rivalités régionales et les crises qui affectent son voisinage occidental -la Cisjordanie- et oriental, avec l'Irak. Sa stabilité intérieure n'en est cependant que plus nécessaire, mettant plus que jamais en lumière les priorités économiques des autorités et leur souci de préserver, grâce au développement et à la croissance, les équilibres politiques internes : la dissolution de l'Assemblée nationale, intervenue en juin 2001, le report des élections prévues initialement en novembre 2001, le renouvellement du Sénat, mais aussi une mainmise accrue des autorités sur la société civile traduisent cette préoccupation.

Les entretiens de votre délégation avec les principaux responsables jordaniens, notamment avec S.M. le Roi Abdallah II ont été l'occasion d'évoquer l'ensemble des défis, régionaux et intérieurs, auxquels le Royaume est confronté. La visite du camp palestinien de Madaba et les conversations avec des représentants des réfugiés ont également permis d'apprécier le rôle majeur tenu depuis plus de cinquante ans par la Jordanie, avec l'aide de l'ONU, dans cet aspect douloureux des conséquences du conflit israélo-arabe.

L'intérêt de ces entretiens et du programme a permis d'éclairer votre délégation sur les réalités et les attentes jordaniennes. Elle tient à remercier M. Bernard Emié, ambassadeur de France en Jordanie, et ses principaux collaborateurs, dont le précieux concours a permis l'excellent déroulement de la mission.

I. LA JORDANIE : UNE CRÉATION ARTIFICIELLE DEVENUE UN ÉLÉMENT ESSENTIEL DE L'ÉQUILIBRE RÉGIONAL

A. UNE CRÉATION ARTIFICIELLE NÉE DES CONTRADICTIONS COLONIALES

La création du Royaume de Jordanie est souvent décrite comme relevant de l'accident historique. De fait, la genèse de cet Etat, à l'initiative de la Grande-Bretagne, doit beaucoup à la diplomatie, ambiguë, voire contradictoire, conduite par ce pays dans la région du Levant, dès le milieu de la première guerre mondiale, à l'heure où la perspective d'un éclatement de l'empire ottoman se faisait de plus en plus plausible.

Dans les années qui précèdent le déclenchement de la Première guerre mondiale, une fièvre nationaliste apparaît au sein du monde arabe sous domination ottomane. Soucieuse de canaliser cette tendance au profit de ses intérêts stratégiques, la Grande-Bretagne prend le parti de soutenir l'action du chérif Hussein, de la tribu des Beni-Hachem, gouverneur de La Mecque depuis 1908 et, à ce titre, gardien des Lieux Saints. Il est, au surplus, le descendant du Prophète par Fatima, la fille de ce dernier.

La Grande-Bretagne se dit alors favorable à l'idée, proposée par Hussein, d'un grand Royaume arabe confédérant des Etats indépendants.

Devant l'opposition de la Fance à un plan qui risquerait de compromettre ses propres intérêts au Levant, Londres et Paris signent les accords Sykes-Picot qui prévoient l'attribution à chacun des deux pays de zones d'influence dans la région. En avril 1920, la conférence de San Remo entérine cet accord en confiant à la France les mandats sur le Liban et la Syrie et à la Grande-Bretagne ceux sur la Palestine, l'Irak et la « Syrie du Sud » (future Transjordanie). Enfin, le 2 novembre 1917, par la déclaration Balfour, la Grande-Bretagne s'engage pour la constitution en Palestine d'un Foyer national juif.

Londres décide rapidement de faire de la partie orientale du Jourdain, non incluse dans cette déclaration, une entité distincte. Abdullah, un des fils du Cherif Hussein, est choisi par les Britanniques comme « Emir de Karak ». Il deviendra en fait le premier souverain de Transjordanie, sous tutelle britannique. Londres s'efforcera de donner au Royaume, doté d'une indépendance administrative croissante, les moyens de sa sécurité intérieure et extérieure avec la Légion arabe. Celle-ci participera, aux côtés de l'armée britannique, à certaines opérations militaires régionales lors de la deuxième guerre mondiale.

Au total, de 1922 à 1946, la Transjordanie, grâce à une diplomatie habile, s'émancipe progressivement de la tutelle britannique qui prendra officiellement fin le 22 mars 1946. Le 25 mai, le pays devient officiellement le Royaume hachémite de Transjordanie. Un an auparavant, la Transjordanie avait été l'un des membres fondateurs de la Ligue arabe (mars 1945).

Un quart de siècle aura donc suffi pour construire un véritable Etat à partir des décisions successives et parfois contradictoires de la diplomatie britannique de l'époque. Très vite, la Transjordanie a démontré son utilité géopolitique : au Nord, entre rivalité française et britannique au Levant, au Sud, contre les menaces arabes de l'Arabie wahabite d'Ibn Séoud au Sud, pour parer enfin au risque d'extension, à l'Est du Jourdain, du Foyer national juif initié par la déclaration Balfour. Ce rôle « d'Etat tampon », « d'Etat frontière », la Jordanie l'exerce encore aujourd'hui, 54 ans après la création de l'Etat d'Israël et la première guerre de Palestine, dans un contexte régional dont l'instabilité n'a jamais cessé.

1. La Jordanie dans les conflits israélo-arabes

Le refus des pays arabes du plan de partage décidé par l'ONU le 29 novembre 1947, qui prévoyait la constitution de deux Etats, l'un arabe, l'autre juif, avec Jérusalem comme zone internationale, aboutit à la proclamation, le 14 mai 1948, de l'indépendance d'Israël. Simultanément, l'Egypte, l'Irak, la Syrie, le Liban et la Jordanie s'engagent dans la première guerre contre l'Etat hébreu.

Si les autres pays arabes sont défaits, la Jordanie, lorsqu'elle souscrit à l'armistice du 3 avril 1949, en ressort forte de substantiels gains territoriaux : elle annexe la Cisjordanie et la vieille ville de Jérusalem. Autant de conquêtes que la Jordanie perdra, moins de vingt ans plus tard, en 1967, à la suite de la « guerre des six jours » et de la victoire d'Israël sur la coalition arabe à laquelle elle appartient.

A l'issue de ces deux guerres, le Royaume s'est trouvé confronté à une des difficultés qui fondent la délicate équation jordanienne d'aujourd'hui : l'afflux massif de réfugiés (1948) et de « personnes déplacées » (1967) palestiniens. Il s'y ajoute, à diverses reprises, la question du lien qui pourrait être établi entre une entité ou un Etat palestinien d'une part et le Royaume d'autre part.

2. La Jordanie, refuge des Palestiniens

Avant la première guerre de 1948, la Transjordanie, selon le décompte britannique, ne comptait qu'environ 500 000 habitants. Après l'annexion de la Cisjordanie par le Royaume, celui-ci accueillit un nombre équivalent de réfugiés, pris en charge par l'UNRWA 1 ( * ) , créée en décembre 1949, spécifiquement à leur intention pour assurer leur éducation et les services sanitaires et sociaux. Lors des combats de 1967, qui entraînèrent l'occupation de la Cisjordanie par Israël, un nouveau flux d'exode conduisit des Palestiniens vers le Royaume. Ces derniers, quelque 150 000 à 250 000, ayant quitté un territoire situé à l'intérieur des frontières jordaniennes, considérées comme « personnes déplacées », ne sont pas dénombrées comme réfugiés et ne relèvent pas de l'UNRWA.

En effet, selon la définition retenue par l'UNRWA, les « réfugiés palestiniens sont des personnes dont le lien de résidence normal était la Palestine entre juin 1946 et mai 1948 et qui ont perdu leur domicile et leurs moyens de subsistance à la suite du conflit israélo-arabe de 1948 » . A ce titre, l'UNWRA recensait en 2001 quelque 1,6 million de réfugiés palestiniens en Jordanie, soit 33,6 % de la population du pays.

Votre délégation a eu l'opportunité de rencontrer des réfugiés palestiniens du camp de Madaba. Ceux-ci ont fuit la Palestine mandataire de 1948 et sont issus pour la plupart de Beir Sheba, aujourd'hui territoire israélien. Plus qu'un « camp » dont l'acception habituelle laisse entendre l'existence de tentes ou de villages de toile, il s'agit, là comme ailleurs, d'une cité en « dur », agglomération de bâtiments d'habitation, difficile à distinguer du reste des cités jordanienne dont ils sont proches. Au cours des entretiens de votre délégation avec les réfugiés, plusieurs d'entre eux, notamment les plus âgés, ont solennellement montré les titres de propriété de leurs biens laissés de l'autre côté du Jourdain, témoignage de leur attachement à leur terre d'origine et de leur espoir de retour.

Cependant, la présence palestinienne en Jordanie dépasse l'effectif des seuls réfugiés recensés par l'UNWRA : le décompte de cet organisme ne se fonde que sur les enregistrements effectués sur la base de la seule définition évoquée ci-dessus. Il faut ajouter les familles palestiniennes qui ont délibérément traversé le Jourdain entre 1948 et 1967. Après la guerre des six jours, des Palestiniens de Cisjordanie, et donc titulaires de la citoyenneté jordanienne ont également rejoint la capitale du Royaume. Au total, il est habituellement reconnu que la proportion de Palestiniens en Jordanie dépasse les 50 %. Mais la diversité de cette population est également très grande, même si sa très grande majorité 2 ( * ) est titulaire d'un passeport jordanien. Si la population réfugiée des camps vit une situation matérielle souvent difficile, de nombreux Palestiniens exercent une activité économique : artisans ou commerçants, voire entrepreneurs prospères. « Beaucoup, réfugiés ou immigrés, ont raisonnablement prospéré à Amman ou dans le Golfe et constituent une classe moyenne (...) ; la création d'un Etat palestinien ne sera pas une raison suffisante pour les décider à en partir. Certains sont devenus des millionnaires sans lesquels il n'y aurait pas d'économie jordanienne moderne et à qui la citoyenneté du Royaume a permis d'investir dans le monde entier. Les mêmes, souvent, ont des accointances dans les hautes sphères politiques hachémites et pèsent, ou ont pesé, sur les décisions royales(...) 3 ( * ) .

Cette spécificité jordanienne à l'égard des réfugiés palestiniens, fondée sur sa politique d'intégration par l'octroi de la citoyenneté est un élément majeur de la relation jordano-palestinienne qui laisse ouvertes de nombreuses questions. Quelle est, ou sera, à terme, l'identité jordanienne ? Comment préserver l'influence des Transjordaniens de souche à travers le rôle de leurs tribus ou de leurs clans ? Quelle diplomatie conduire, et en fonction de quels intérêts propres, dans cette région où l'inévitable solidarité palestinienne par-delà le Jourdain peut interférer avec le souci des responsables du Royaume de consolider la paix et les relations commerciales avec le voisin israélien ?

La relation jordano-palestinienne est profondément influencée par ces questions récurrentes du débat politique jordanien. Cette relation a également été très gravement atteinte par les événements de 1970 vécue comme un traumatisme durable (Septembre Noir). Après la guerre de juin 1967, la présence active dans le Royaume des combattants palestiniens, leur orientation politique révolutionnaire et défavorable au roi Hussein entraînent une réaction de la part de ce dernier après une tentative d'assassinat qui le vise le 1 er septembre 1970, suivie par des actions terroristes conduites par le FPLP (détournements d'avions). Le 17 septembre, l'armée jordanienne, forte de 55 000 hommes, engagea des combats contre 40 000 fedayins commandés par Yasser Arafat. La résistance palestinienne sortit brisée de cette confrontation et fut chassée du Royaume.

3. La Jordanie dans le règlement de l'avenir palestinien

La structure démographique du Royaume depuis les deux conflits israélo-arabes de 1948 et de 1967, l'acquis de 20 années de souveraineté jordanienne sur la Cisjordanie ont, à plusieurs reprises, conduit les responsables jordaniens eux-mêmes, les Palestiniens, certains Israéliens et la diplomatie américaine elle-même à suggérer l'idée d'un lien institutionnel entre le Royaume et une entité, voire le futur Etat palestinien. Ecartant résolument l'option, provocatrice, un temps proposée par certains responsables israéliens, d'une Jordanie comme « patrie de rechange » des Palestiniens, les auteurs de ces propositions proposaient une union de la Palestine, au sein, sinon d'une fédération, au moins d'une confédération.

Ainsi, dès 1972, deux années après « Septembre noir » qui avaient vu s'affronter combattants palestiniens et armée jordanienne, le roi Hussein proposa un plan de Royaume arabe dont la Cisjordanie libérée constituerait une province palestinienne autonome, dans un cadre fédéral. Ce plan se heurta au refus de la majorité des pays arabes et de l'OLP, celle-ci étant consacrée comme l'unique représentant du peuple palestinien.

En 1982, le Président Reagan proposa un « autogouvernement des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, en association avec la Jordanie ». Cette initiative fut d'ailleurs reprise la même année par le roi Hussein en faveur d'une union jordano-palestinienne sous forme confédérale. L'idée, reprise en 1985 dans le cadre d'un accord Hussein-Arafat, fit cependant long feu : l'opposition américaine et israélienne à la perspective d'un Etat palestinien ne permit pas aux négociations d'aboutir. Prenant acte de ces refus successifs, le roi Hussein décida de rompre, en 1988, les liens administratifs qui subsistaient, par-delà l'occupation israélienne, entre la Cisjordanie et le Royaume. C'est toutefois sur la même ligne que se situait la diplomatie américaine en 1991, lors de la conférence de Madrid qui suivit la guerre du Golfe, en déclarant, dans la « lettre d'assurance » adressée à Israël que « en conformité avec la politique menée de longue date par les Etats-Unis, la confédération n'est pas exclue comme un aboutissement des négociations sur le statut final ».

La reconnaissance mutuelle intervenue à Oslo en 1993 entre Palestiniens et Israéliens, en même temps qu'elle permit la signature de l'accord de paix jordano-israélien, pourrait redonner, à terme, voire après la proclamation et la reconnaissance d'un Etat palestinien, une certaine validité à une option confédérale comme partie d'un règlement ultime.

Aujourd'hui cependant, comme l'ont démontré les entretiens de la délégation avec l'ensemble de ses interlocuteurs, le souci majeur des autorités jordaniennes est d' éviter que, du fait de la guerre larvée dans les territoires, un nouvel afflux de Palestiniens prenne le chemin du Royaume. Le contrôle des frontières reste, dans cette perspective, l'une des missions prioritaires et essentielle de l'armée jordanienne , apte à être déployée, à cette fin, en six heures le long de sa frontière occidentale.

B. UNE DIPLOMATIE CONTRAINTE, À LA RECHERCHE DE L'ÉQUILIBRE RÉGIONAL POUR LA PAIX

La situation géographique du Royaume et les conditions mêmes de sa création ont fait se pérenniser sa vocation d'Etat « carrefour » d'espace « tampon » entre puissances et intérêts rivaux. Depuis 1948, la Jordanie se situe au coeur des confrontations qui la menacent en permanence.

Par-delà une diplomatie régionale réactive, liée à la volatilité de la situation, la diplomatie jordanienne appuie résolument son action sur la promotion de la modération et du dialogue pour la recherche de la paix et sur une alliance stratégique et éprouvée avec l'Ouest et, en particulier, les Etats-Unis.

1. La priorité de l'alliance américaine

Depuis l'engagement régional des Etats-Unis, à partir de 1954, lorsque le président Eisenhower déclara que « l'indépendance et l'intégrité de la Jordanie sont un intérêt vital des Etats-Unis », celle-ci a trouvé en Washington un protecteur actif et généreux. Cette alliance n'et pas seulement politique, elle procure des garanties essentielles à la sécurité du Royaume et un soutien significatif sur le plan économique.

Sur le plan militaire en premier lieu, l'assistance américaine représente annuellement quelque 120 millions de dollars, sous forme de crédits, de dons en matériel ou d'actions de formation. Ensuite, sur le plan économique, les Etats-Unis accordent une aide régulière annuelle de 320 millions de dollars, à laquelle s'ajoute le « paquet de Wye River », prévoyant une assistance de 300 millions de dollars sur trois ans.

Au surplus, les Etats-Unis ont accordé l'entrée libre de taxes sur le territoire américain de produits originaires des « zones industrielles qualifiantes » israélo-jordaniennes. Il s'y ajoute la conclusion en 2001, et la ratification accélérée à la suite des attentats du 11 septembre, d'un accord de libre-échange entre les Etats-Unis et la Jordanie, seul pays, avec l'ALENA et Israël, à bénéficier d'une telle bienveillance commerciale. Ainsi, en 2001, les échanges avec les Etats-Unis ont représenté 9 % (548 millions de dollars) du total des échanges entre la Jordanie et les pays tiers, faisant des Etas-Unis le second partenaire commercial du Royaume après l'Irak (13,4 % du total).

Les zones industrielles qualifiantes

Elaborées par les Etats-Unis dans le cadre du Traité de paix de 1994, les zones industrielles qualifiantes (QIZ), actuellement au nombre de 6, permettent aux biens et services qui y sont produits d'être exemptés de droit de douane et de tout quota à l'exportation vers les Etats-Unis. Pour obtenir le label, les produits doivent intégrer, dans leur valeur ajoutée ou dans leurs coûts de production les intérêts d'entreprises israéliennes, jordaniennes ou américaines.

Ces zones permettent l'obtention d' avantages fiscaux et juridiques considérables : accès libre au marché américain sans quota d'exportation ; 100 % d'exonération d'impôt sur le revenu et de charges sociales pendant les deux premières années, 50 % d'exonération pendant dix ans ; construction exemptée de droits d'enregistrement ; matières premières importées libres de droits ; pas de restriction sur la propriété des entreprises ni sur les travaux en devises étrangères.

Des infrastructures sont offertes aux investissements : terrains ou locaux à acheter ou à louer ; réseau électrique adapté ; réseau de télécommunication ; réseau d'eau particulier et réseau routier opérationnel. Il s'y ajoute diverses infrastructures périphériques publiques ou privées : banques, entrepôts, cliniques, centre de formation, service postal...

2. Le traité de paix israélo-jordanien du 26 octobre 1994

La signature d'un traité de paix entre la Jordanie et Israël s'inscrit dans cette logique diplomatique d'équilibre : elle est intervenue un an après la reconnaissance mutuelle entre Israël et l'OLP consacrée lors des accords d'Oslo, prenant ainsi acte de l'évolution radicale de la direction palestinienne à l'égard de l'Etat hébreu et réciproquement. Trois ans après la guerre du Golfe où le Royaume était resté délibérément en marge de la coalition, l'accord permit de redonner à la Jordanie son statut d'interlocuteur privilégié des Etats-Unis.

Sur le fond, le traité définit les frontières entre les deux Etats. Les deux pays s'engagent à établir des relations diplomatiques et à développer entre eux des « relations de bon voisinage et de coopération mutuelle » , y compris dans le domaine économique, « pour une sécurité durable » .

L'article 4 définit la coopération mutuelle dans le domaine de la sécurité notamment, contre « le terrorisme sous tous ses aspects ». Surtout, l'article 6 du traité, consacré à l'eau, prévoit que les parties « s'accordent pour reconnaître que doit être équitablement répartie à chacune d'elle la jouissance des eaux du Jourdain et du Yarmouk et la nappe d'eau souterraine de l'Araba/Arava ». De même, Israël et la Jordanie s'engagent à garantir que « la gestion et le développement de leurs ressources en eau ne seront pas préjudiciables aux ressources en eau de l'autre partie ». Une annexe à l'accord prévoit qu'Israël fournira à la Jordanie 50 millions de m 3 d'eau par an.

L'article 8, relatif aux réfugiés et aux personnes déplacées reconnaît les « problèmes humains massifs causés aux deux parties par le conflit du Proche-Orient » ; écartant la possibilité de résoudre cette question au niveau bilatéral, le texte s'en remet aux cadres multilatéraux en vue de solutions conformes au droit international 4 ( * ) et, pour les réfugiés, aux « négociations sur le statut permanent concernant les Territoires »

S'agissant des Lieux saints, l'article 9 précise enfin qu' « Israël respecte le rôle particulier qu'assume actuellement le Royaume (...) concernant les Lieux saint musulmans de Jérusalem. Lorsque se tiendront les négociations sur le statut permanent, Israël donnera la haute priorité au rôle historique de la Jordanie dans ces lieux saints ».

Même si, aujourd'hui, l'hypothèse d'une reprise des négociations politiques sur l'avenir des territoires apparaît bien éloignée, la Jordanie entendra faire valoir, le moment venu, sa position sur certains dossiers clés que sont, outre celui de l'eau, le statut de Jérusalem et celui des réfugiés.

Sur Jérusalem, le roi Abdallah II a clarifié la position de son pays : à travers un discours qui reste prudent, le monarque défend l'option d'une capitale pour deux Etats, les Hachémites ne conservant leur tutelle sur les Lieux saints que dans l'attente d'un accord satisfaisant entre les parties.

Concernant les réfugiés, la Jordanie est favorable au droit au retour mais défend également le principe d'une compensation financière, à la fois pour les réfugiés eux-mêmes et pour les Etats qui les ont accueillis.

3. La réconciliation progressive avec le reste du monde arabe

La signature de l'accord de paix avec Israël devait, par symétrie, inciter la diplomatie jordanienne à rétablir des liens de confiance avec l'ensemble des pays arabes. Cet objectif était notamment l'une des ambitions du sommet de la Ligue arabe tenu à Amman l'an passé.

Avec les pays du Golfe , le processus de rapprochement a été accéléré par le nouveau roi qui s'est rendu dans la région à trois reprises. Cependant les objectifs économiques recherchés n'ont pas encore été atteints. Le Royaume reste dans l'attente de flux financiers supérieurs à leurs niveaux actuels et la main-d'oeuvre jordanienne n'est pas encore parvenue à y retourner. L'Arabie Saoudite et le Koweït restent par ailleurs réticents à un resserrement des liens entre la Jordanie et le Conseil de Coopération des Etats arabes du Golfe (CCEAG).

L'arrivée du nouveau Président à la tête de la Syrie a permis de donner un nouvel élan à la réconciliation avec ce pays. Le roi Abdallah a fait le voyage de Damas lors des obsèques d'Hafez el Assad et le nouveau Président syrien a fait le déplacement d'Amman. Ce rapprochement a d'ailleurs débouché sur une relance de la coopération dans le domaine de l'eau avec le projet de barrage sur le Yarmouk et une fourniture d'eau -80 millions de m 3 - à la Jordanie lors d'une sécheresse particulièrement sévère.

L' initiative diplomatique jordano-palestinienne , prise au début de l'année 2001, pour tenter de sortir de l'impasse politique entre l'Autorité palestinienne et Israël, après une année d'Intifada, démontre la commune volonté du Royaume et de l' Egypte d'agir contre tout risque d'escalade de la violence. Cette concertation entre les deux pays transcende l'ambition de chacun de développer son propre rôle régional, qui a pu entraîner, ici ou là, une alternance de détente et de tensions entre Le Caire et Amman.

4. Le délicat voisinage irakien

Sur la frontière orientale aussi, la Jordanie est, politiquement et économiquement, contrainte d'assumer sa géographie. L'histoire avait cependant placé les deux royaumes voisins de Jordanie et d'Irak sous le signe familial puisque le trône d'Irak fut confié en 1922 à Fayçal, frère d'Abdallah I.

A partir de 1954, l'Irak a en commun avec la Jordanie de recevoir les premières aides américaines, symbolisant l'implication des Etats-Unis dans la région. En 1958, le coup d'Etat du général Kassem, l'assassinat de la famille royale, la proclamation de la République entraînèrent un refroidissement des relations entre les deux voisins.

L'accession au pouvoir de Saddam Hussein en 1979 a cependant modifié la donne. La Jordanie marqua rapidement sa solidarité avec le nouveau régime lors de la longue guerre Irak-Iran (1980-1988), et le Royaume refusa de s'associer à la guerre de libération du Koweït après son invasion par l'Irak en 1990. Le positionnement du roi Hussein en faveur de l'Irak à cette époque, a affecté l'alliance jordano-américaine et entraîné la suspension de l'assistance des Etats-Unis au Royaume.

La voie choisie par le souverain était cependant la seule possible, principalement dictée par deux considérations : une hostilité ouverte envers l'Irak n'aurait pas manqué d'entraîner un risque de tension parmi sa population palestinienne favorable à Bagdad. En outre, l'Irak était déjà -et il le demeure- le partenaire économique essentiel de la Jordanie.

Aujourd'hui l'Irak place donc en permanence le Royaume dans une situation politique et économique délicate et contrainte. L'essentiel des ressources du Royaume en pétrole lui sont ainsi fournies par Bagdad à des conditions extrêmement préférentielles -50 % gratuitement et le reste à prix réduit- dans le cadre d'une dérogation à l'embargo, spécifiquement accordée par l'ONU.

Dans ce contexte, le projet de « sanctions intelligentes » élaboré l'été dernier au Conseil de sécurité avait placé la Jordanie dans une situation difficilement tenable, l'Irak ayant fait savoir que tout pays qui collaborerait avec l'ONU pour la mise en oeuvre de telles sanctions se verrait suspendre ses livraisons de pétrole. Au cours de ses entretiens avec les responsables jordaniens, ceux-ci ont clairement exprimé aux membres de la délégation, leur hostilité à ce projet : aujourd'hui, la levée des sanctions imposées à l'Irak en échange d'un contrôle international constitue l'objectif prioritaire du Royaume.

Les interlocuteurs de votre délégation ont insisté sur le fait que l'affaiblissement de l'Irak, l'épuisement de sa population, le risque d'éclatement du pays étaient porteurs d'une grave déstabilisation régionale.

Aujourd'hui, dans cette logique, l'éventualité d'une action militaire américaine contre le voisin irakien est perçue à Amman comme une prise de risque majeure dont les effets seraient dévastateurs pour la Jordanie et pour toute la région.

Cette délicate politique d'équilibre n'occulte pas une prise de distance perceptible entre le nouveau monarque et le régime irakien. La dépendance économique elle-même est souvent perçue comme une entrave à l'ouverture du pays aux investisseurs étrangers. Les projets de diversification des ressources énergétiques, l'insertion du pays dans le commerce régional et mondial participent de cette même volonté d'alléger le fardeau de cette dépendance imposée par la géographie.

II. LES PRIORITÉS JORDANIENNES : LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET LA STABILITÉ POLITIQUE INTÉRIEURE

A. LE DÉVELOPPEMENT DE L'ÉCONOMIE JORDANIENNE : UNE PRIORITÉ DU NOUVEAU MONARQUE

1. Des réformes importantes à l'impact social difficile

Avant les attentats du 11 septembre, l'économie jordanienne donnait des signes encourageants de reprise de la croissance estimée à 4 % pour 2001. La production industrielle était en hausse de quelque 7 %, soutenue en particulier par les industries du bâtiment et la reprise des secteurs chimiques, métallurgiques et électriques. En revanche, l'activité touristique a souffert de l'environnement régional et l'agriculture est durablement affectée par une sécheresse chronique.

Le territoire jordanien, il convient de le rappeler, est à 80 % désertique. Ainsi, l'agriculture ne contribue-t-elle qu'à hauteur de 5 % au PIB jordanien, contre 13 % pour l'industrie, 75 % pour les services et 7 % pour le secteur minier. Les rares ressources naturelles du pays concernent les phosphates, la potasse et du gaz naturel.

Dès son accession au trône, le roi Abdallah a octroyé la priorité au redressement de l'économie et à l'insertion de son pays dans l'économie mondiale. Sur ce dernier point, des succès significatifs ont été obtenus avec l'adhésion de la Jordanie à l'OMC, la signature de l'accord d'association avec l'Union européenne et celle de l'accord de libre-échange avec les Etats-Unis. La volonté de libéralisation des structures pour une économie de marché saine a entraîné les réformes de la fiscalité et du système bancaire. Les privatisations ont été accélérées, permettant d'accueillir des investissements étrangers et les zones industrielles spéciales se sont renforcées.

La zone économique spéciale d'Aqaba

En 2001, une zone économique spéciale a été crée à Aqaba, destinée à enrayer le déclin du port, et à accueillir la réalisation de projets tendant à faire d'Aqaba un centre majeur de redistribution des marchandises entre l'Orient, l'Europe et tous les pays voisins.

Destinée à attirer les investisseurs étrangers dans les secteurs des industries, des services et des nouvelles technologies, la zone économique spéciale, étendue sur 380 km2, présente deux caractéristiques :

- une administration spéciale -la Aqaba Special Economic Zone Authority- reçoit tous les pouvoirs dans les domaines-clés que sont les finances, les douanes, les investissements et le développement économique, l'immobilier et les infrastructures, l'environnement ;

- des avantages administratifs et fiscaux sont consentis aux investisseurs : absence de droits de douane et de TVA, formalités d'immigration simplifiées permettant à un investisseur de recruter jusqu'à 70 % de main-d'oeuvre étrangère ; impôt sur les bénéfices limité à 5 % (hors assurances, banques et transports terrestres) ; possibilité d'acquisition de terrains à droit fiscal réduit pour la construction d'infrastructures (hôtels, hôpitaux, écoles, habitations) ; aucune restriction sur les transactions financières et les investissements.

Un accord triennal de facilité d'ajustement élargie a été octroyé par le FMI en 1999, d'un montant total de 164 millions de dollars. Le satisfecit récemment accordé par le Fonds aux autorités jordaniennes s'est fondé sur le taux satisfaisant de croissance réelle de l'économie, la réduction significative du taux d'endettement public, la reconstitution des réserves en devises et la réduction des taux d'intérêt. Des réformes importantes ont également été mises en oeuvre comme l'introduction de la TVA et la poursuite du programme de privatisation. Toutefois, le FMI a incité les autorités jordaniennes à poursuivre sur plusieurs fronts, notamment celui de la réduction du déficit budgétaire, qui a atteint 6,9 % du PIB en 2001, en particulier en poursuivant la politique de hausse des prix intérieurs des produits pétroliers ; une réforme devra également porter sur le système public des pensions qui pèse lourdement sur le budget. La privatisation du secteur énergétique est également attendue.

Cela étant, les retombées de ces réformes sont encore loin de répondre aux légitimes aspirations sociales d'une population dont la situation quotidienne se détériore .

La transition vers le libre-échange déstructure des réseaux traditionnels d'assistance. Avec un chômage réel qui atteint quelque 25 % de la population active, les licenciements, les réductions des effectifs du secteur public et la suppression des emplois de complaisance privent de nombreuses familles de leurs ressources. Enfin, un tiers des habitants vit en-dessous du seuil de pauvreté, dans une population dont la croissance démographique se poursuit à un rythme soutenu. Un mécontentement croissant tend donc à se répandre dans toutes les couches de la société.

La Jordanie est également confrontée à une difficulté majeure liée à la fragilité de ses paiements extérieurs . L'augmentation continue du déficit de la balance commerciale s'explique notamment par la hausse du prix du pétrole irakien, les conséquences de la reprise économique -qui tend à accroître les importations notamment de véhicules automobiles- enfin les importations générées par la rénovation des entreprises récemment privatisées (Jordan Telecom).

La réduction des revenus du tourisme n'a pas pu être compensée par la hausse des transferts de la communauté jordano-palestinienne émigrée, ni par l'aide internationale (206 millions de dollars de dons).

La dette extérieure constitue un autre handicap de l'économie jordanienne, son montant représentant quelque 74,7 % du PIB (6,9 milliards de dollars). Annuellement, la Jordanie doit consacrer 25 % de son budget (770 millions de dollars) à son remboursement. Le gouvernement jordanien a obtenu de la plupart de ses partenaires occidentaux -dont la France- des accords de conversion de dettes en investissements ou de rééchelonnement. En 1999, le Club de Paris avait accordé au Royaume plus de 800 millions de dollars d'allégements.

2. Le problème majeur des ressources en eau

La Jordanie souffre d'un cruel déficit hydraulique . Ce problème n'est d'ailleurs pas propre au Royaume et affecte l'ensemble du Proche-Orient. Il figure parmi les dix pays du monde les plus pauvres en eau. Les besoins, estimés à 1,100 milliard de m 3 par an ne sont couverts qu'à hauteur de 850 millions de m 3 . Les responsables jordaniens, comme première priorité, se sont fixé la réduction de l'exploitation des nappes phréatiques qui ne se renouvellent plus, la diminution des fuites d'eau potable dans les réseaux des grandes villes et notamment dans la capitale, où près de la moitié de l'eau est ainsi perdue, enfin l'amélioration de la productivité de l'irrigation.

Deux projets majeurs ont ainsi été lancés :

- le premier consisterait à pomper quelque 100 millions de m 3 d'eau par an du bassin d'eau souterrain de Dissi au sud de la capitale. Cette eau serait acheminée vers Amman par une canalisation de 350 km. L'exécution de ce projet, prévue pour durer 4 ans, mobiliserait 600 millions de dollars, dont 200 à la charge de l'Etat jordanien.

Un deuxième projet consisterait à construire sur la rivière Yarmouk , à Wehda, à la frontière avec la Syrie, un barrage permettant de capter quelque 110 millions de m 3 chaque année. Ces deux projets cumulés permettraient d'assurer jusqu'en 2020 l'autosuffisance du pays en eau potable.

La question de l'eau dans cette partie du monde revêt un intérêt régional essentiel qui conditionne largement les négociations de paix entre les parties. Au demeurant, la gestion équilibrée et partagée des ressources en eau est l'une des dispositions clé de l'accord de paix jordano-israélien du 26 octobre 1994. Sur leur mise en oeuvre, la Jordanie reste dans l'attente d'une traduction concrète des engagements israéliens à l'aménagement commun d'infrastructures dans le cadre d'une coopération régionale et internationale qui irait au-delà de la disposition prévoyant qu'Israël doit accorder chaque année à la Jordanie 50 millions de m 3 d'eau potable.

B. UNE CONDUITE POLITIQUE PRUDENTE DANS UN CADRE INSTITUTIONNEL OÙ LE ROI DÉTIENT DE LARGES POUVOIRS

L'organisation institutionnelle jordanienne est fondée sur la Constitution du 1 er janvier 1952. Auparavant, l'émirat, sous mandat britannique, fonctionnait depuis 1928 sous l'emprise d'une loi fondamentale tenant lieu de constitution : l'émirat y était déclaré héréditaire, la représentation populaire était limitée à un conseil législatif consultatif, convoqué par l'émir et qu'il pouvait dissoudre.

La Constitution du ler janvier 1952 établit la séparation des pouvoirs et institue un système parlementaire bicaméral ; le caractère héréditaire de la monarchie y est prévu, de même que les règles de succession au trône. Le monarque dispose dans ce dispositif d'un pouvoir considérable et, dans les faits, prééminent. Ainsi, formellement, la constitution de 1952 jette les bases d'une monarchie constitutionnelle. La pratique politique dénote cependant une mise en oeuvre plus autoritaire des institutions, en particulier jusqu'en 1992, dans un contexte de crise régionale ou de tensions internes qui ont affecté la vie du Royaume.

1. L'édifice institutionnel

La Constitution proclame en préambule le caractère de monarchie héréditaire et parlementaire du système de gouvernement. Le peuple jordanien est partie de la nation arabe. L'Islam y est religion d'Etat et l'arabe est la langue officielle du Royaume. La constitution énumère et garantit les libertés publiques et individuelles. Elles proscrit notamment toute discrimination sur la base de la race, de la langue ou de la religion. La liberté d'opinion et de son expression -notamment la liberté de la presse- est garantie par l'Etat, dans les limites prévues par la loi, de même que la liberté de réunion et de constitution de sociétés et de partis politiques.

Le pouvoir législatif est assuré par une Assemblée nationale composée de deux chambres : une chambre des députés élue pour 4 ans au suffrage universel direct et un Sénat dont les membres sont nommés par le Roi. Jusqu'à une date récente, l'effectif de la Chambre était de 80 députés, celui du Sénat de 40 sénateurs. La loi électorale de juillet 2001 a porté à 104 le nombre des députés et prévu la possibilité d'augmenter le nombre de sénateurs de 40 à 52.

Le pouvoir exécutif est exercé par le roi, chef de l'Etat, par l'intermédiaire de ses ministres. Le monarque est inattaquable et irresponsable ; il ratifie et promulgue les lois. Il convoque l'Assemblée nationale et peut l'ajourner ou la proroger dans les conditions prévues par la constitution. Il nomme et révoque le Premier ministre et les autres membres du gouvernement collectivement et individuellement. Le Premier ministre et les membres du gouvernement son responsables devant la Chambre des députés. Celle-ci ne peut cependant voter un vote de défiance à l'égard du gouvernement qu'à la majorité absolue de ses membres.

Si un projet de loi est contesté par l'une ou l'autre assemblée, il ne peut être adopté que si les deux assemblées réunies l'adoptent à la majorité des deux tiers de leurs membres. Le roi peut exercer un droit de veto temporaire de six mois, qui ne peut être levé de la même façon, que par un vote des deux tiers des membres des deux assemblées réunies.

2. Une mise en oeuvre institutionnelle délicate, liée aux pressions extérieures et intérieures

L'application de la constitution a fait l'objet, entre 1952 et 1989, d'une mise en oeuvre mouvementée, à laquelle les menaces externes et internes qui ont assailli le Royaume ne sont pas étrangères.

La Chambre des députés, entre 1952 et 1967, a subi sept dissolutions. Après cette date, le droit de prorogation de la chambre, reconnu au Roi par la Constitution, a permis une « survie à éclipses » 5 ( * ) de la législature de 1967.

Depuis 1989 s'est ouverte une nouvelle phase de la vie démocratique et parlementaire. La loi martiale a été abolie en 1991 et la légalisation des partis politiques est intervenue en 1992. Aujourd'hui la Jordanie compte ainsi quelque 27 partis politiques, l'opposition -modérée- étant principalement incarnée par le puissant Front d'action islamique. Le rythme électoral quadriennal a été depuis scrupuleusement respecté, jusqu'à la dissolution de la Chambre intervenue en juin 2001. En juillet dernier, le gouvernement a adopté une nouvelle loi électorale, aménageant quelque peu le système issu d'une précédente réforme engagée en 1993 par le Roi Hussein.

Le système électoral jordanien était fondé, lors des premières élections générales de 1989, sur un vote plurinominal à un tour. Ce système permettait à l'électeur de l'une des vingt circonscriptions du pays d'élire un nombre de députés proportionnel au poids démographique de cette circonscription.

Ce système présentait divers inconvénients : en premier lieu, les électeurs n'étaient pas placés sur un pied d'égalité : chacun pouvant, selon sa circonscription, avoir à désigner un nombre différent de députés. En second lieu, dans l'attribution de ses voix, il est apparu que les électeurs en utilisaient un certain nombre en faveur des membres de leur famille ou de leur clan, le reste pour désigner des représentants plus « politiques ». Dans cette dernière hypothèse, l'expérience avait démontré que l'opposition islamique avait ainsi largement bénéficié d'un vote de protestation, au profit des rares partis organisés de l'époque relevant de la mouvance islamiste.

En 1993, le roi Hussein modifia donc la loi électorale : il maintenait les circonscriptions plurinominales, mais les électeurs ne pouvaient plus choisir qu'un seul candidat dans leur circonscription (une personne, une voix), incitant le corps électoral à choisir entre ses priorités : le candidat du « clan » ou celui d'une mouvance plus politique, incitant ainsi à une « responsabilisation » de l'électeur.

En juillet dernier, le roi Abdallah, après avoir dissous la Chambre des députés, a de nouveau modifié la loi électorale devant régir la prochaine consultation -initialement prévue en 2001 et reportée à l'automne 2002. La loi maintient le système « 1 personne 1 voix », mais prévoit un redécoupage des circonscriptions et du nombre de leurs sièges, plus en phase avec la population qu'ils représentent. Parallèlement, la nouvelle loi prévoit de réduire de 19 à 18 ans l'âge requis pour voter ; elle porte de 80 à 104 le nombre de députés et, conséquemment, de 40 à 52 (la moitié du nombre des députés) l'effectif des sénateurs.

Le système électoral ménage, par ailleurs, une place spécifique aux minorités -ethniques ou religieuses- du pays qui disposent chacune de sièges réservés à la chambre des députés : chrétiens (un peu moins de 5 % de la population, 9 sièges) ; bédouins (6 sièges) ; circassiens (2 sièges), tchétchènes (1 siège). Ces deux derniers groupes, musulmans, sont les descendants de peuples caucasiens qui avaient fui vers l'empire ottoman, à partir de 1864, devant la progression des Russes dans le Caucase. Ils représentent environ 1 % de la population.

La place des chrétiens au sein du Royaume symbolise aussi une intégration réussie : leur rôle dans la société jordanienne, y compris dans les instances gouvernementales ne fait l'objet d'aucune discrimination. A cet égard, leur représentation parlementaire -10 % des sièges- traduit davantage la place qui leur est ainsi reconnue dans la société jordanienne que leur strict effectif (moins de 5 % de la population, soit environ 250 000). La majorité des chrétiens de Jordanie est constituée de Grecs orthodoxes (environ 80 000). Le reste se répartit entre catholiques de rite latin et Grecs catholiques, auxquels s'ajoutent de petites communautés catholiques syriennes et coptes.

L'une des ambitions du roi Abdallah II est également d'encourager le renouvellement du personnel politique, en élargissant son recrutement vers la communauté palestinienne et en favorisant les échanges avec le secteur privé. Le rajeunissement des élites politiques est un élément important de cette orientation qui a trouvé sa traduction concrète au sein des gouvernements nommés par le jeune monarque depuis son accession au trône. Dans cette logique, il a créé un conseil économique consultatif, destiné à élaborer les réformes pour une nouvelle politique économique et ouvert des postes de responsabilité à plusieurs générations issues des secteurs public et privé, auxquels les circuits traditionnels de promotion n'auraient pu permettre d'accéder.

Il reste que la sphère politique ainsi que la fonction publique et l'armée demeurent encore aujourd'hui majoritairement le domaine des Transjordaniens, alors que le monde économique est animé pour l'essentiel par les élites palestiniennes.

Le système tribal traditionnel demeure un élément important de la promotion des cadres dirigeants du Royaume, notamment dans la fonction publique et dans l'armée. Grâce à la mobilité et au dynamisme du secteur privé, une certaine souplesse permet toutefois à certains d'accéder aux responsabilités, par delà les réseaux classiques.

3. La récente suspension du processus démocratique

La dissolution de juin 2001, la nouvelle loi électorale s'inscrivent dans un contexte politique délicat où les incidences de la situation régionale et des difficultés économiques et sociales intérieures tendent à favoriser une opposition plus radicale, attisée par une solidarité constante à l'égard des Palestiniens de la rive ouest. Plaçant la stabilité du pays en tête de leurs priorités, les responsables jordaniens ont, par ailleurs, récemment décidé diverses mesures traduisant une mainmise accrue sur la société civile, encore renforcée après les attentats du 11 septembre. Ainsi, une réforme des municipalités, destinée à assainir la situation financière des communes en les regroupant, a conduit à la suppression des conseils municipaux, souvent dominés, depuis les élections locales de 1999, par la mouvance islamiste, au profit de comités dans lesquels les maires seraient nommés dans l'attente des prochaines élections municipales de 2003.

Le contrôle sur la presse s'est également renforcé. Le code pénal a été amendé pour prévoir des peines d'emprisonnement en cas d'atteinte à l'unité nationale ou de crime de lèse-majesté. Ces dispositions, provisoires, devront être confirmées par la nouvelle assemblée issue des élections de 2002.

De même, enfin, les représentants des syndicats professionnels et des principales associations se sont vu informés par le Premier ministre qu'aucune déclaration de leur part risquant de porter atteinte à la stabilité du Royaume ne serait tolérée.

Sous l'autorité d'un jeune monarque attaché à intégrer son royaume dans la modernité en ménageant ses traditions et ses identités diverses, la pratique politique jordanienne s'inscrit dans un délicat mouvement de synthèse. « Dans les années à venir, la Jordanie connaîtra une lente transformation par laquelle les anciennes institutions tribales, religieuses ou ethniques vont être remplacées par des institutions plus modernes qui existent déjà sans jouer pleinement leur rôle (...) Dans le futur, la synthèse de l'actuelle confrontation entre valeurs locales et valeurs importées produira une nouvelle culture hybride dont l'héritage sera double ». 6 ( * )

III. L'ATTENTE JORDANIENNE DE L'EUROPE ET DE LA FRANCE

A. L'EUROPE, UN PARTENAIRE ÉCONOMIQUE ATTENDU SUR LE TERRAIN POLITIQUE

La signature, le 24 septembre 1997, de l'accord d'association Union européenne-Jordanie a conforté l'appréciation de partenaire économique et commercial actif portée par le Royaume sur l'Europe. L'action de l'Union européenne auprès de la Jordanie se développe également dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen, notamment sur le plan de la coopération financière, au travers du règlement MEDA. L'ensemble des prêts et dons européens à la Jordanie sur la période 1996-1999 se sont élevés à 865 millions d'euros, plaçant l'Union au premier rang des fournisseurs d'aide à ce pays.

En revanche, la discrétion manifeste de l'Union sur le plan de la politique étrangère et les dossiers régionaux déçoivent. Les interlocuteurs rencontrés par votre délégation ont tous relevé à la fois la proximité d'analyse sur les événements en cours dans la région entre la Jordanie et de nombreux pays membres, et l'absence de traduction concrète, en dépit des efforts de MM. Solana et Moratinos, respectivement responsable de la PESC et envoyé spécial de l'Union pour le Proche-Orient. Or, la Jordanie est à la recherche d'une Union européenne qui soit pour elle un interlocuteur véritable et crédible, qui lui permette de rééquilibrer le dialogue prééminent qu'elle entretient avec les Etats-Unis.

B. DES RELATIONS FRANCO-JORDANIENNES DE QUALITÉ

Jeune pays profondément influencé par son lien historique avec la Grande-Bretagne et son alliance stratégique avec les Etats-Unis, la Jordanie peut néanmoins voir dans la France un interlocuteur précieux. Sur les dossiers complexes de l'Irak ou du processus de paix, les positions françaises font souvent l'objet de larges convergences avec les analyses jordaniennes. Le développement de nos relations économiques bilatérales, notre coopération militaire constituent par ailleurs des éléments porteurs.

1. Les relations économiques bilatérales se développent

Avec une part de marché proche de 4 %, la France est actuellement le 6 ème fournisseur de la Jordanie, le 3 ème parmi les membres de l'Union, derrière l'Allemagne et le Royaume-Uni. Compte tenu des investissements importants réalisés par les entreprises françaises (700 millions), notre pays est aujourd'hui le principal investisseur étranger dans le Royaume. Quatre des cinq opérations de privatisation ou de gestion déléguée réalisées ont été remportées par des entreprises françaises :

- France Telecom a acquis 36 % du capital de Jordan Telecommunications & Co, dans le cadre de la plus importante privatisation intervenue dans le Royaume (450 millions de dollars) ;

- Lafarge est partie au capital de Jordan Cement Co., à hauteur de 44 % ;

- Suez-Lyonnaise des Eaux a remporté le contrat de 4 ans de gestion déléguée des eaux du grand Amman ;

- Accor a obtenu la gestion d'un vaste complexe hôtelier gouvernemental (2 millions de dollars d'investissements) et s'est également engagé dans trois projets de modernisation ou de construction de complexes hôteliers à Petra et sur la Mer Morte ;

- enfin, Perrier Vittel a acquis 75 % du capital du leader jordanien de l'eau minérale (12 millions de dollars) et la société commerciale des Potasses d'Alsace a acheté 25 % du capital de National Ammonia (2 millions de dollars d'investissements).

La France est le deuxième créancier bilatéral de la Jordanie, après le Japon. La dette du Royaume à notre égard représente 8 % de son endettement total. Dès 1999, en réponse au souhait du Roi d'alléger le poids de sa dette, notre pays a procédé au rééchelonnement de 230 millions de dollars -sur un total de 800 millions. Par ailleurs, un accord de conversion de dettes en investissements a porté sur 400 millions de francs (dont 325 millions de francs à consommer dans le cadre de la privatisation de STL par France Telecom), un accord de conversion-annulation a également été conclu au profit de projets de développement (100 millions de francs).

La Jordanie cependant n'a pas été retenue ni dans le cadre de la Réserve Pays émergents (RPE), ni dans celui de la Zone de solidarité prioritaire (ZSP).

2. Une coopération importante dans le domaine militaire et de la sécurité

La coopération militaire française avec la Jordanie a pour objectif la préservation de la sécurité intérieure du Royaume, garante de la stabilité régionale, en renforçant la crédibilité et la capacité dissuasive des forces armées jordaniennes. Initialement centrée sur le seul soutien des 30 Mirage F1 de l'armée de l'air jordanienne, notre coopération s'est élargie vers un partenariat important en soutien du Commandement des opérations spéciales jordaniennes. De simples relations opérationnelles, cette coopération se traduit aujourd'hui -à la demande du Roi lui-même-, par la mise en place d'un coopérant conseiller auprès du commandement jordanien des opérations spéciales. Ses activités se sont également diversifiées dans les domaines touchant au maintien de l'ordre ou à la sécurité rapprochée.

Le Ministère des affaires étrangères a défini les axes suivants de coopération pour les années à venir :

- au titre du commandement des opérations spéciales : la sécurité de la famille royale par la formation des futurs cadres formateurs jordaniens et l'appui à la création d'une école ; la sécurité intérieure -maintien de l'ordre, lutte contre le terrorisme et surveillance des espaces maritimes ; enfin, les forces spéciales proprement dites, via des échanges opérationnels entre le COS (commandement des opérations spéciales) français et le Special opérations command (SOCOM) jordanien.

- au titre de l'Armée de l'Air : le développement de la capacité d'audit et de conseil au sein de l'Etat major de l'Armée de l'Air ; la participation à l'élaboration du schéma directeur opérationnel de secours aérien ; le développement de l'aide à l'apprentissage de la langue française.

3. Des relations actives dans le domaine culturel, linguistique et technique

En 2001, la France a consacré 8,6 millions de francs à la Jordanie au titre de la coopération bilatérale culturelle, linguistique et technique, ce qui reste modeste en comparaison de l'aide reçue par le Royaume dans ce domaine de la part des Etats-Unis, du Japon et de l'Allemagne.

Dans ce cadre budgétaire contraint, notre action s'oriente prioritairement sur des secteurs essentiels pour l'économie jordanienne : le tourisme et l'eau.

Dans ce dernier domaine, la France a engagé, conjointement avec la Jordan Valley Authority, un programme d'amélioration de l'irrigation dans la vallée du Jourdain.

La Jordanie bénéficie du projet régional sur les stratégies de gestion et d'économie de l'eau agricole, financé sur le Fonds de solidarité prioritaire.

Dans le secteur du tourisme, notre coopération est engagée dans la réhabilitation de l'Ecole hôtelière Amman et dans la mise en valeur des patrimoines culturel et naturel du pays à des fins touristiques.

Enfin, dans le domaine de la santé, un programme de formation est conduit depuis trois ans pour l'instauration de partenariats hospitaliers.

La place de la langue française est honorable si l'on tient compte de la tradition anglophone du pays. Les actions de coopération visent à développer l'enseignement de notre langue dans 45 établissements privés et 18 établissements publics (32 800 élèves concernés sur un total de 1 300 000).

De plus, les autorités jordaniennes ont décidé d'introduire le français comme épreuve optionnelle au baccalauréat littéraire, ce qui a permis l'ouverture de 80 nouvelles classes supplémentaires de français. Enfin, l'ouverture de filières de français de spécialité dans l'enseignement supérieur (tourisme, affaires) permettra d'accroître les effectifs d'étudiants en français.

La France dispose à Amman d'une antenne de l'Institut français d'archéologie du Proche-Orient (IFAPO) et d'une antenne du Centre de recherche sur le Moyen-Orient contemporain (CERMOC). Ces deux établissements conduisent des recherches archéologiques et sociologiques d'intérêt scientifique pour la France, la Jordanie et les pays voisins. La coopération scientifique qu'elle permet sera renforcée par la fusion de ces instituts régionaux au sein de l'Institut du Proche-Orient.

*

* *

EN GUISE DE CONCLUSION

Le Royaume de Jordanie est le pays des paradoxes. Né de l'ambition nationaliste arabe, le pays est aussi, depuis sa création, dirigé par une dynastie descendant du Prophète, gardienne des lieux saints à Jérusalem. Mais il est aussi ce pays qui, bien qu'impliqué dans les deux premiers conflits israélo-arabes, n'a eu de cesse, d'abord discrètement puis ouvertement à partir de 1994, d'oeuvrer pour un modus vivendi pacifique avec Israël.

Le Royaume a su par ailleurs perpétuer l'alliance stratégique avec les Etats-Unis par-delà son soutien isolé à son voisin irakien, dicté par des considérations politiques et économiques essentielles pour lui, lors de la guerre du Golfe de 1990-1991. Il est aujourd'hui à cet égard caractéristique que les deux premiers partenaires commerciaux de la Jordanie soient, dans l'ordre, l'Irak et les Etats-Unis.

Ce paradoxe, qui aurait pu la fragiliser jusqu'à la faire disparaître , la Jordanie, sous l'autorité du Roi Hussein et celle désormais d'Abdallah II, a su en faire un atout , pour elle-même et la communauté internationale, qui la place en interlocuteur incontournable pour toute solution pacifique à venir.

Cette délicate diplomatie d'équilibre , d'ouverture sans exclusive vers son voisinage régional arabe comme israélien et plus largement sur le monde, s'inscrit dans la vocation originelle du Royaume : celle d'un Etat « amortisseur » des convulsions régionales, séparant, aujourd'hui comme hier, puissances et intérêts rivaux.

Pour que perdure cette position stratégique, la Jordanie doit pouvoir compter sur le soutien actif et durable de la communauté internationale . Sur le plan diplomatique, mais aussi et surtout dans le domaine financier et économique , ce soutien est nécessaire pour contrebalancer les fragilités structurelles de l'économie jordanienne : dépendance pétrolière et énergétique, déficit hydraulique, adaptation de structures à une économie ouverte...

Les contraintes de l'ajustement préconisé par le FMI pour ce passage à une économie libérale font aussi peser un risque social ou politique qui pourrait, sans un soutien résolu de l'extérieur, accroître les tensions internes parmi une population majoritairement soucieuse d'améliorer des conditions de vie difficiles. Dans l'esprit des responsables jordaniens, c'est l'amélioration de la situation économique et ses répercussions concrètes sur le quotidien qui conditionne le retour à un fonctionnement normal des mécanismes parlementaires et électoraux, aujourd'hui suspendus.

Pour l'Europe et pour la France , leur engagement dans cette assistance financière constitue donc une contribution essentielle à l'apaisement régional.

Le développement économique de la Jordanie suppose enfin l'implication du premier cercle de ses voisins arabes . Par delà les vicissitudes et les conflits passés, la présence de tous les représentants du monde arabe lors des funérailles du roi Hussein avait symbolisé la reconnaissance de la nation arabe pour l'action conduite par le souverain pendant son long règne. Le roi Abdallah II s'efforce aujourd'hui de normaliser progressivement ses relations avec la Syrie, l'Arabie saoudite ou les monarchies du Golfe. L'intégration régionale du Royaume , complémentaire à son ouverture sur le monde occidental, s'inscrit dans son identité profonde.

Fruit d'un hasard historique, la Jordanie est aussi une nécessité régionale, de par sa géographie d' « Etat-carrefour », sa diplomatie d'équilibre et d'apaisement, sa politique d'intégration de sa population palestinienne, qui en feront un élément essentiel d'un règlement de paix.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de la séance du jeudi 15 novembre 2001, M. Xavier de Villepin, président, a rendu compte de la mission aux membres de la commission.

Celle-ci a alors autorisé la publication de cette communication sous forme d'un rapport d'information.

ANNEXE -
PROGRAMME DE LA DÉLÉGATION

Samedi 7 juillet 2001

19 h 15

Arrivée à Amman

20 H 45

Dîner de travail de la délégation à la résidence

Dimanche 8 juillet 2001

10 h 00

Entretien avec M. Abdulilah Khatib, Ministre des Affaires étrangères

11 h 00

Entretien avec M. Zied Rifai, Président du Sénat

Audience avec Sa Majesté le Roi Abdallah II

Déjeuner officiel à la Résidence

18 h 00

Rencontre avec le Club d'hommes d'affaires franco-jordaniens

20 h 30

Dîner restreint offert par le Président du Sénat

Lundi 9 juillet 2001

10 h 00

Entretien avec M. Ali Abu Ragheb, Premier Ministre, Ministre de la Défense

11 h 30

Rencontre avec la Presse à la Résidence (12 personnes)

12 h 30

Départ pour Madaba

15 h 00

Musée + Eglise des Apôtres

16 h 30

Visite d'un centre de formation pour orphelins et d'une exposition de photos, réalisée par les enfants du camp de réfugiés palestiniens, avec le concours du Centre Culturel Français

18 h 00

Départ pour le Mont Nébo

Mardi 10 juillet 2001 :

7 h 25

Départ d'Amman pour Paris

* 1 United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the near east.

* 2 À l'exception des réfugiés de Gaza, zone sous souveraineté égyptienne à l'époque.

* 3 Géraldine Chatelard, Revue « Autrement » : Palestiniens de Jordanie, page 92.

* 4 A cet égard, la résolution 194 de l'Assemblée générale de l'ONU, du 11 décembre 1948 prévoit soit le retour des réfugiés dans leurs foyers, soit le versement d'indemnités compensatoires pour ceux qui décideraient de ne pas rentrer.

* 5 La Jordanie, Louis-Jean Duclos - Presses Universitaires de France.

* 6 Rami Khouri, « Jordanie, le Royaume frontière » - Ed. Autrement.

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