Postes européennes : libéralisation et service public, entre mythes et réalités

LARCHER (Gérard)

RAPPORT D'INFORMATION 176 (2001-2002) - COMMISSION DES AFFAIRES ECONOMIQUES ; GROUPE D'ÉTUDE "Poste et Télécommunications"

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Table des matières




N° 176

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès-verbal de la séance du 16 janvier 2002

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) et du groupe d'étude « Poste et télécommunications » sur les Actes du Colloque « Postes européennes : libéralisation et service public, entre mythes et réalités » organisé par le Sénat le 20 juin 2001,

Par M. Gérard LARCHER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Gérard Larcher, président ; MM.Jean-Paul Emorine, Marcel Deneux, Gérard César, Pierre Hérisson, Jean-Marc Pastor, Mme Odette Terrade, vice-présidents ; MM. Bernard Joly, Jean-Paul Émin, Patrick Lassourd, Bernard Piras, secrétaires ; MM. Jean-Paul Alduy, Pierre André, Philippe Arnaud, Gérard Bailly, Bernard Barraux, Mme Marie-France Beaufils, MM. Michel Bécot, Jean-Pierre Bel, Jacques Bellanger, Jean Besson, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Marcel-Pierre Cleach, Yves Coquelle, Gérard Cornu, Roland Courtaud, Philippe Darniche, Gérard Delfau, Rodolphe Désiré, Yves Detraigne, Mme Evelyne Didier, MM. Michel Doublet, Paul Dubrule, Bernard Dussaut, André Ferrand, Hilaire Flandre, François Fortassin, Christian Gaudin, Mme Gisèle Gautier, MM. Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Charles Guené, Mme Odette Herviaux, MM. Alain Journet, Joseph Kerguéris, Gérard Le Cam, Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Jean-Yves Mano, Max Marest, René Monory, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron, Ladislas Poniatowski, Jean-Pierre Raffarin, Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Charles Revet, Henri Revol, Roger Rinchet, Claude Saunier, Bruno Sido, Daniel Soulage, Michel Teston, Pierre-Yvon Trémel, André Trillard, Jean-Pierre Vial.

(2) Le groupe d'études est composé de : M. Pierre Hérisson, président, MM. Gérard Larcher, Georges Gruillot, Pierre-Yvon Tremel, Jacques Bellanger, François Trucy, Philippe Adnot, Paul Girod, vice-présidents, M. Max Marest, Mme Marie-France Beaufils, secrétaires, MM. Pierre André, Michel Bécot, Paul Blanc, Jean Boyer, Jean-Claude Carle, Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Gérard Delfau, Michel Doublet, Christian Gaudin, François Gerbaud, Joseph Kerguéris, Pierre Laffitte, Serge Lagauche, Lucien Lanier Patrick Lassourd, Joseph Ostermann, Jean-Marc Pastor, Charles Revet, Yves Rispat, Daniel Soulage, Jean-Pierre Sueur, Jean-Pierre Vial.


Postes et télécommunications.

INTRODUCTION

Message de M. Christian Poncelet, président du Sénat

Messieurs les parlementaires, Mesdames, messieurs,

C'est tout d'abord mon regret de ne pouvoir ouvrir personnellement ce colloque que je tiens à vous exprimer par l'intermédiaire de mon ami le Président Gérard Larcher.

Le sujet dont, à son initiative, vous débattrez tout au long de cette journée est, à mes yeux, essentiel à un double titre : il s'agit d'un service public auquel je suis particulièrement attaché puisque j'y ai commencé ma carrière professionnelle et auquel mes fonctions de Président du Sénat me rendent particulièrement attentif. Il constitue en effet un « noyau dur » de l'équilibre des territoires. L'Europe l'a d'ailleurs consacré en reconnaissant son caractère de service universel.

Dans le même temps, l'Europe requiert l'achèvement du marché intérieur, c'est-à-dire l'ouverture à la concurrence du secteur postal.

Avec persévérance, Gérard Larcher, qui préside le groupe d'étude « Postes et Télécommunications » du Sénat, demande au gouvernement, depuis 1997, une loi d'orientation sur La Poste qui lui permette précisément de s'adapter à cette situation concurrentielle nouvelle comme ont su le faire d'autres postes européennes. Le gouvernement aurait dû mettre à profit le délai ouvert par l'accord Kohl-Chirac de 1996 pour organiser les conditions de cette adaptation. Il n'en a rien été, et, qui plus est, les Quinze n'ont pu s'entendre, en décembre dernier, sur une étape intermédiaire.

Ce colloque est donc particulièrement bien venu puisqu'il permettra de confronter les stratégies mises en oeuvre par nos partenaires européens pour adapter leur secteur postal à la concurrence tout en gardant présent à l'esprit la nécessité pour la poste française de réussir sa mutation en préservant la qualité d'un service au public.

Je sais que mes collègues sénateurs ne sont à court ni de convictions ni de propositions dans ce domaine. Pour cette raison, si le gouvernement veut bien les entendre par dessus les tumultes électoraux, je dirai, cher Gérard Larcher, qu'il n'est pas trop tard pour sauver La Poste mais qu'il faut faire vite et j'espère que vos travaux d'aujourd'hui permettront d'accélérer un mouvement inéluctable.

INTRODUCTION DU COLLOQUE

M. Gérard Larcher, vice-président du Sénat, Sénateur des Yvelines, président du groupe d'étude « Poste et Télécommunications »

Je formule le voeu qu'à la fin de cette journée, ce qui nous aura été exposé nous permette de mieux répondre à deux questions qui m'apparaissent essentielles dans le débat postal et la transformation des postes.

La première question est de savoir si l'Union européenne peut faire l'économie de services postaux à même d'assurer des tâches d'intérêt général qui ne correspondent pas toujours aux impératifs du marché.

En d'autres termes, l'Union se doit-elle d'instituer un service universel postal de qualité ? Nous, Français, appelons cela « service public postal », car nous avons l'habitude de faire exécuter par des personnes publiques ce qu'à Bruxelles on a appelé « service universel » car, ailleurs en Europe, il peut être mis en oeuvre par des personnes de droit privé.

À cette question, je réponds « oui » car, pour moi, il est des exigences de solidarité collective sans le respect desquelles il n'est pas de société équilibrée, et que la seule application des règles du marché ne me paraît pas à même de satisfaire de manière convenable. J'évoque là, notamment, les exigences de solidarité sociale et de solidarité territoriale qui imposent un traitement égal de situations différentes pour assurer une solidarité citoyenne.

À première vue, cette question a déjà reçu une réponse apaisante puisque la directive postale de 1997 instaure un service universel. Les États de l'Union européenne ont le plus souvent en commun un modèle social qu'ils semblent, en cette circonstance, avoir eu le souci de préserver. Cependant, cette réponse de principe suscite désormais des interrogations quant à sa mise en oeuvre effective. En effet, la Commission de l'Union européenne propose maintenant de garantir ce service universel avec un monopole sur les lettres de moins de 50 g (contre 350 g actuellement). En outre, plusieurs États membres préconisent de programmer, à terme plus ou moins lointain, une libéralisation totale excluant tous droits réservés aux opérateurs de service universel.

Serait-il toujours possible, dans ces conditions, de garantir l'affranchissement au même prix d'une lettre postée de Lozère vers les Hautes-Alpes et une lettre de poids équivalent envoyée de Lyon à Paris ? Serait-il aussi possible, de garantir un service universel postal véritable et effectif ? Dans notre pays, et par-delà les clivages politiques ou philosophiques, beaucoup en doutent.

Sur ce sujet, il nous faut d'ailleurs être clairs. En France, la notion de service public est un concept politique fort. Elle est une invention républicaine ayant pour but d'inscrire dans la réalité sociale ces deux idéaux : égalité et fraternité. Elle n'a pas vocation à légitimer de grands conservatismes ou de petites hypocrisies. S'il est normal que les droits acquis soient préservés, le service public postal ne doit pas être l'alibi du corporatisme. Il n'est pas non plus de nature à justifier le maintien pour l'éternité de structures administratives issues d'un passé révolu. Il n'a pas davantage à cautionner le transfert vers les postes de charges relevant de la responsabilité de l'État. Il ne peut pas servir d'excuse à une insuffisante transparence des comptes.

Non, accepter de tels détournements masqués derrière des mots mythiques tels que le service public serait se résigner à un dévoiement de valeurs qui sont au coeur de notre pacte national français et, pour partie, intégrées à l'idéal communautaire. Cette observation m'amène à formuler une seconde question. Pourquoi, parmi les pays de l'Union, la France apparaîtrait-elle comme le pays qui semble rencontrer le plus de difficultés à adapter son opérateur postal à la nouvelle donne économique et réglementaire européenne ? Pourquoi semblons-nous connaître en ce domaine un déficit d'adaptabilité ou de modernité ? Cette interrogation, qui peut paraître très « franco-française », s'adresse aussi à nos amis européens car, le plus souvent, ces réformes réalisées chez eux n'ont même pas connu un début d'engagement chez nous.

Je ne prendrai qu'un seul exemple : le statut de notre Poste. Longtemps administration d'État, comme la plupart de ses homologues européens, elle est un établissement public depuis dix ans. Savez-vous combien de postes de l'Union européenne auront encore ce statut hérité du droit administratif au 1 er juillet 2001 ? Deux. Elles étaient cinq le 1 er janvier 2000. La poste belge a été transformée en société anonyme en mars dernier, la British Post est devenue société par actions au mois de juillet suivant. La poste espagnole devrait avoir, en vertu de la loi budgétaire 2001, le statut de société anonyme au plus tard à la fin du mois de juin 2001.

La seule autre poste de l'Union qui conservera le même statut que le nôtre en juillet 2001 sera la poste luxembourgeoise. Or, les postiers de ce pays semblent savoir que la transformation de leur poste en société de capitaux est nécessaire. Est-ce le cas en France ? Il semble bien que non.

Pourquoi une telle situation ? La réponse découle d'un mélange de peurs compréhensibles et respectables, mais aussi d'incompréhensions à dissiper. Elle est peut-être également le fruit de confusions parfois savamment entretenues. En effet, une transformation en société de capitaux publics n'est pas une privatisation, c'est une sociétisation. Et les personnels conservent leur statut de fonctionnaires, même si leur entreprise devient société anonyme.

Quoi qu'il en soit, nous risquons d'être les derniers de l'Union européenne à conserver dans la première décennie du XXI e siècle une poste dont le statut date du siècle dernier et paraît être devenu quelque peu obsolète ; actuellement, seul un capital social peut garantir un développement postal durable, la nécessaire autonomie de gestion, des alliances solides, et l'unité économique et sociale de l'opérateur. L'actualité montre que cette autonomie de gestion lui aurait peut-être permis de placer des « jetons jaunes »à côté des « noisettes de l'écureuil » dans le partenariat avec la Caisse des Dépôts et Consignations, plutôt que d'être mis à l'écart dans la naissance du grand pôle financier public.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment peut-on envisager d'impulser un changement qui s'avère a priori garant des grands intérêts de la Nation et de La Poste elle-même tout en étant, bien entendu, respectueux du droit des femmes et des hommes qui ont fait et font l'entreprise ?

Autant d'interrogations que je vous lance, Mesdames et Messieurs, pour la suite de notre journée.

I. LES PERSPECTIVES EUROPEENNES : UN MARCHE OUVERT, CONCURRENTIEL ET REGULE

M. Jean-Claude Larrivoire

Le Président Larcher vient d'exprimer des orientations précises pour l'évolution de la poste française. Nous allons maintenant entendre celles de plusieurs responsables européens. M. Paul Watershoot, directeur général à la Commission Européenne, chargé du marché intérieur, ouvre le débat.

M. Paul Watershoot, représentant de M. Frits Bolkestein, commissaire européen, responsable du marché intérieur

Je comptais d'abord vous énumérer les changements qui ont eu lieu récemment dans le marché postal, en tenant compte de la situation de l'ensemble de la Communauté. Puis, vous rappeler la situation en ce qui concerne la directive de 1997 et faire le point sur le débat actuel.

Une des premières constatations est qu'en Europe, la profitabilité des opérateurs publics s'est considérablement améliorée, la plupart d'entre eux étant désormais bénéficiaires. Cette tendance qui résulte de la directive actuelle est générale dans la Communauté.

Les opérateurs s'efforcent de davantage tenir compte des besoins en offrant un service de plus en plus varié, adapté aux différentes catégories d'usagers. On a constaté que grâce à la directive de 1997, la qualité du service transfrontalier a considérablement augmenté. On note également que se développent des collaborations entre opérateurs publics et privés ainsi que des prises de participation dans le capital des opérateurs dans les différents États membres, ou des coopérations avec des opérateurs privés, notamment dans le domaine exprès et des paquets. Souvent, dans un certain nombre d'États, le réseau et les comptoirs postaux sont aménagés sous forme de franchisage des opérateurs.

On constate aussi que les services à valeur ajoutée sont particulièrement contestés entre opérateurs publics et privés, essentiellement les services exprès, les services à valeur ajoutée de types nouveaux.

Des changements ont lieu au niveau réglementaire. Dans certains pays, il n'y a plus de domaine réservé ; dans d'autres, il est moindre que ce qui est autorisé par la directive en vigueur. Dans tous les pays, la structure des opérateurs se transforme d'une administration vers une entreprise commerciale.

Un certain nombre de problèmes résultent de ces changements. Le principal est l'utilisation des ressources financières qui proviennent du domaine réservé. Nous avons eu des décisions récentes de la Commission dans ce domaine, car les ressources du domaine réservé et qui, parfois, sont liées au niveau du tarif national, conduisent à créer des ressources qui sont utilisées dans une situation concurrentielle ou des ressources utilisées pour le rachat d'entreprises dans les autres États membres.

Quels sont les points essentiels de la directive actuelle ? Le maintien d'un service universel de qualité qui est accessible à tous. Ce service universel peut être financé par un domaine réservé. Le mot important est « peut », ce n'est pas une possibilité automatique d'attribuer un certain domaine à l'opérateur public, c'est une possibilité qui doit être en équilibre avec les charges supplémentaires qui résultent du service universel.

Dans la directive, il y a la faculté d'établir un système de licence en ce qui concerne le domaine couvert par le service universel, et un système de fonds de compensation, qui peuvent être utilisés si le domaine réservé ne suffit pas. Il ne peut pas être utilisé au-delà. Le principe de base de la directive est une ouverture progressive et contrôlée du marché.

La situation du cadre réglementaire actuel est un équilibre entre la réalisation du marché intérieur et le maintien du service universel, basé sur la situation en 1997. Le degré d'harmonisation est limité dans la directive car elle ne couvre que le domaine réservé au maximum, la qualité du service transfrontalier et le service universel minimal, c'est-à-dire que les États membres peuvent prévoir un service universel qui va au-delà du minimum prévu dans la directive.

Dans la Communauté, apparaît une réduction du domaine réservé. Voici quatre exemples : le courrier domestique, le publipostage, le courrier transfrontalier et le service à valeur ajoutée. Que constate-t-on pour le courrier domestique ? Un certain nombre d'États membres n'ont plus du tout de domaine réservé, pourtant le service universel fonctionne bien. Trois États membres ont une limite plus basse que celle autorisée par la directive actuelle de 350 g, et un État membre (l'Espagne) a ouvert le marché local à la concurrence. En ce qui concerne le publipostage, trois États membres n'ont pas de domaine réservé, et trois États membres ont d'autres possibilités, d'ouverture du marché de publipostage. Pour le courrier transfrontalier, cinq États membres ont libéralisé ce marché, et cinq États membres ont libéralisé le marché de fait, soit dix États membres où le courrier transfrontalier sortant est libéralisé. Pour ce qui concerne le service à valeur ajoutée, le principe de la libéralisation est acquis dans la directive de 1997. Ce principe a été confirmé par des cas décidés par la Commission en matière de concurrence. Un certain nombre d'États membres ont établi le système de licence à cet égard.

Concernant la nouvelle proposition, rappelons-en les principes. D'une part, il y a une réduction progressive des domaines réservés, c'est le passage de la limite de poids. D'autre part, il y a une précision quant à la définition de services nouveaux, et il y a un calendrier avec des étapes en 2003 et une autre étape en 2007, qui dépendra d'un examen de la situation au préalable.

Abordons à présent les points de discussion de cette nouvelle proposition. Le premier point est le degré d'ouverture du marché en 2003. Le Parlement européen veut une ouverture beaucoup plus limitée que ce qui a été proposé par la Commission. Deuxième point, faut-il une étape intermédiaire en 2006 ? Interrogation qui a surgi lors du débat au Conseil en décembre. Troisième point, faut-il des dérogations pour certains États pour les courriers transfrontaliers sortants ? Nous avons constaté que certains pays tirent des ressources importantes des courriers transfrontaliers sortants, et désirent avoir une dérogation en ce qui concerne l'ouverture de ce marché à la concurrence. Il s'agit essentiellement de la Grèce, du Luxembourg, de l'Espagne et de l'Irlande. Quatrième point, quelle définition faut-il avoir pour les services spéciaux ? La question est de savoir s'il faut une limite de prix pour les services spéciaux ouverts à la concurrence ? Finalement, le point le plus important, faut-il prévoir une étape ultérieure en 2009 et si oui, avec quel contenu ? Cette date peut avoir différentes significations selon qu'elle est plus ou moins définitive en ce qui concerne l'existence de monopoles.

Comment peut-on résumer le débat actuel ? En décembre 2000, lors des discussions au Conseil, en ce qui concerne les étapes 2003 et 2006, la présidence française était très proche de trouver des solutions. Les points contentieux qui subsistent sont la définition des services spéciaux, la nécessité d'une limite de prix, et l'utilité de l'étape 2009.

La présidence belge a prévu un Conseil au mois d'octobre, qui devrait débattre de cette situation.

M. Jean-Claude Larrivoire :

L'Union européenne étant sous la présidence suédoise, l'expérience suédoise a été moteur dans le jeu de la libéralisation, préconisée par la direction européenne. Je passe la parole à M. Nils Gunnar Billinger, directeur général de l'Agence nationale des postes et des télécommunications suédoise.

M. Nils Gunnar Billinger, directeur général de l'Agence nationale des postes et des télécommunications suédoise

En Suède, nous avons organisé notre Agence de manière qu'elle combine à la fois les télécoms et les services postaux, au sein d'une seule et même entité. Cela nous permet de tirer des leçons des expériences des deux secteurs. Nous avons choisi très rapidement la libre concurrence dans le domaine postal en 1994, et l'expérience suédoise a été présentée comme un exemple par les partisans du libéralisme, ainsi que par les défenseurs des prestataires de ce type de services. Voici le tableau des sept dernières années sur le marché suédois.

Deux questions se posent lorsque l'on parle des conséquences de la déréglementation suédoise. Premièrement, en quoi les consommateurs ont-ils profité de la concurrence sur le marché des services postaux ? Deuxièmement, en quoi la concurrence a-t-elle affecté les possibilités d'offrir un service postal universel ?

En ce qui concerne les services postaux universels, les obligations ont été définies par la loi sur les services postaux qui stipule que quiconque, où qu'il se trouve dans le pays, a droit à avoir des services postaux de bonne qualité et à un prix raisonnable. On a également décidé que l'ancienne administration postale devrait fournir ce service. Le problème d'une compensation des services qui ne seraient pas bénéficiaires par le gouvernement ne s'est jamais posée. À plusieurs reprises, la mise en place d'un fonds de compensation a été envisagée mais jusqu'à présent, nous n'avons pas eu à le faire car les services postaux en Suède ont toujours été bénéficiaires. Comme dans la plupart des autres pays, les services au guichet ne sont pas bénéficiaires et la poste suédoise a parfois été aidée par le gouvernement. Si on étudie les activités du service au guichet, on se rend compte que les services universels, au sein des services postaux, ne se sont pas détériorés depuis que le monopole est tombé. Au contraire, il s'est plutôt amélioré. Par exemple, le priority mail , pour lequel subsiste un monopole. Les délais se sont améliorés et la poste suédoise est considérée comme l'une des meilleures au monde dans ce domaine. Le nombre de foyers qui ne bénéficient pas d'un service de livraison cinq jours par semaine s'est réduit et plus de 99 % des foyers bénéficient de ce service cinq jours sur sept.

La question abordant les effets de la déréglementation sur les prix a été fort débattue. Le prix de 3 couronnes suédoises pour une lettre de 20 grammes est passé, depuis la déréglementation en 1997, à 5 couronnes, sachant que la TVA est de 25 % et a été introduite à deux reprises en 1994 et en 1995. 200 à 300 couronnes par mois sont dépensées sur Internet en moyenne, alors qu'un foyer moyen dépense 200 couronnes (20 à 30 euros) par an en courrier. Le coût de cette augmentation par foyer est relativement mineur. Les services postaux en Suède sont loin d'être les plus chers d'Europe. Ils sont dans la moyenne européenne. D'autre part, depuis 1997, il n'y a eu aucune augmentation, un prix plafond interdisant d'augmenter le prix des timbres au-delà de l'augmentation moyenne du coût de la vie. Si l'on peut dire que la déréglementation n'a pas eu d'effets négatifs sur la qualité des services postaux, en quoi a-t-elle été positive pour le consommateur ? Je vais donc faire une description de la situation de la concurrence au niveau du marché du courrier aujourd'hui.

Sur ce marché, la poste suédoise a toujours été en concurrence avec d'autres opérateurs, en particulier avec la Dadge Poste qui, grâce à l'acquisition d'une grosse agence, a pu prendre une partie importante des services colis en Suède. Aucune restriction n'a non plus été imposée sur les services de coursiers. Pendant longtemps, les sociétés de coursiers internationaux ont pu offrir toute une gamme de services sans aucune restriction quant au poids ou à la valeur. L'abolition du monopole a permis l'entrée de nombreux opérateurs locaux. Les activités desdits opérateurs tombaient parfaitement dans le champ de compétences qui était auparavant couvert par le monopole. Néanmoins, il a fallu plusieurs années avant que leur établissement ne prenne de l'ampleur. Certains ont même réussi à prendre des parts de marché considérables sur le marché national (15 % du volume total du courrier). Depuis l'abolition du monopole en Suède, la société City Mail a le mieux réussi en tant qu'alternative au service postal officiel. À partir de 1991, cette société s'est concentrée sur les envois groupés. Depuis juillet 2000, l'opérateur du Royaume-Uni, Royal Mail , possède les deux tiers de cette organisation. Grâce à l'aide de Royal Mail , City Mail a pu s'étendre géographiquement à l'ouest et au sud de la Suède, et couvre aujourd'hui 40 % de toutes les adresses du pays. City Mail représente 10 % des envois groupés et 5 % du volume total des envois des lettres.

Ceci m'amène à faire deux observations. Tout comme le marché des télécoms suédois déréglementé il y a dix ans, le marché est devenu une sorte de test pour les sociétés étrangères pour apprendre à concurrencer les anciennes sociétés de monopole. La deuxième observation est que l'expansion géographique à laquelle a procédé City Mail dans les environs des grandes villes, comme Göteborg ou Malmö, révèle qu'il est indispensable pour une société de pouvoir s'offrir une distribution dépassant le centre-ville. Pour attirer les grosses sociétés, les sociétés qui ont de nombreux clients, ou les administrations locales, il est crucial de pouvoir offrir ou assurer une distribution couvrant des domaines assez étendus. Dans la plupart des cas, il s'agit de zones qui entourent les grandes villes. Par conséquent, cette déréglementation a eu un effet positif sur le consommateur. La concurrence dans n'importe quel domaine donné permet au consommateur de choisir le prestataire qui lui convient, le prestataire qui pourra lui fournir le meilleur service au meilleur prix. L'évolution du marché postal suédois a suivi cette direction et a affecté de manière positive le domaine des livraisons en volume. Où qu'ils se trouvent, les opérateurs locaux offrent des prix plus bas que le service national, car les services nationaux doivent avoir des prix uniformes qui rendent impossible la concurrence sélective, dans des zones précises. Néanmoins, la loi sur les services postaux permet à la poste suédoise d'avoir un tarif particulier, à condition qu'il ne s'applique pas au niveau national, quelle que soit la concurrence dans une zone géographique donnée. Les services postaux suédois n'ont pas fait usage jusqu'à présent de cette possibilité. Au cours des quinze à vingt dernières années, les services postaux suédois ont considérablement évolué et sont devenus l'un des leaders mondiaux. La gestion, la rationalisation, la modernisation des services ont eu des effets positifs sans pour autant faire perdre des emplois.

Il ne faut pas négliger le fait que la poste suédoise, toujours détenue par le gouvernement, doit encore se concentrer sur certains domaines protégés. Lorsque les enthousiastes, ou ceux qui défendaient les monopoles, ont réalisé que le marché postal n'était pas devenu aussi chaotique que prévu, ils ont changé leur position disant que la concurrence s'était peu développée : 95 % du marché des lettres étaient encore détenus par cette entreprise traditionnelle. Notre problème aujourd'hui est un problème de concurrence trop faible.

Pour conclure, il n'y a pas de raisons économiques ou politiques raisonnables qui aillent à l'encontre d'une libéralisation du marché des services postaux. Rien ne fera la différence vis-à-vis du consommateur. Je pense donc que la libéralisation s'impose.

*

* *

Débat avec la salle

M. Daniel Paris, MEDEF

Une question pour M. Watershoot. Selon vous, parmi les principes de la directive de 1997, il y avait l'attribution de licences pour l'exercice du service universel et l'ouverture progressive de son marché. La disposition de la loi de 1999 en France, qui attribue aux seuls opérateurs publics la licence qui permet d'exercer le service universel, vous paraît-elle compatible avec ces principes de la directive de 1997 ?

M. Paul Watershoot

Dans le domaine de l'attribution des licences, il s'agit d'un type d'harmonisation qui est facultatif, c'est-à-dire que les États membres ont la possibilité d'utiliser le système de licence s'ils l'estiment utile. Un certain nombre de pays en ont fait usage, notamment l'Allemagne où il y a huit cents licenciés pour le service de la valeur ajoutée. Si la France prévoit un seul licencié qui est l'opérateur public, ce n'est pas un problème en termes de droit communautaire.

M. Alain Bréau, président de TLF

Nous constatons qu'en Europe, les services universels restant sous monopole bénéficient de tarifs différents. Une étude parue dans La Tribune signale que la lettre de base sous monopole est à 0,56 euro en Allemagne et à 0,46 euro en France, pour des contraintes géographiques qui sont plus favorables en Allemagne qu'en France. Ma question est la suivante : devant de telles disparités de tarifs, le monopole devient une rente. Pourquoi la Commission, après avoir défini juridiquement le service universel, les services spéciaux, les services annexes, n'intervient-elle pas dans la définition du juste prix du service universel restant sous monopole ?

M. Paul Watershoot

C'est une question complexe. Le principe de la directive, c'est que le tarif doit être lié au coût. Un outil est prévu dans la directive, c'est un système de comptabilité analytique qui doit prévoir la location des coûts entre le service réservé et le service sous concurrence. C'est une obligation qui n'existait pas lors de l'entrée en vigueur de la directive, qui devait être appliquée l'année passée. La plupart des opérateurs ont pris les mesures nécessaires pour allouer le coût correctement. Nous n'avons pas encore les résultats de cette opération. L'article 7 de la directive prévoit qu'un domaine réservé peut être maintenu pour financer le service universel. Il est un équilibre établi dans cet article qui implique une justification de la part de l'État membre d'avoir un domaine réservé. Un certain nombre d'États membres ont réduit ce domaine réservé car ils estimaient que ce n'était pas utile d'aller jusqu'aux 350 g prévus dans la directive.

Dernier élément, la décision de la Commission concernant la Deutsche Post qui a constaté que les ressources provenant du domaine réservé et du tarif élevé qui existait en Allemagne contribuaient à une distorsion de concurrence sur le marché des paquets. Donc, les États membres ne peuvent pas faire n'importe quoi en ce qui concerne le transfert des ressources qui proviennent du domaine réservé vers le secteur concurrentiel.

Mme Emmanuelle Dardenne, collaboratrice de Corinne Lalieux, députée fédérale belge

J'ai deux questions pour M. Billinger. Dans son exposé, il ne nous a pas parlé de tous les indicateurs. En termes de réseaux de distribution, quelles sont les conséquences de l'ouverture du marché ? Le nombre de bureaux de poste est-il le même ? Sont-ils en l'état par rapport à ce qu'ils étaient avant la libéralisation ?

M. Nils Gunnar Billinger

Une augmentation des points de services en Suède a été notée et l'indice de satisfaction est en hausse sur plusieurs points. Le nombre de lettres envoyées depuis la modernisation des services postaux a augmenté. Comme je l'ai dit, nous avons des petits opérateurs locaux, et dans les petites villes où ils se trouvent, le consommateur peut poster ses lettres plus tard, les services postaux nationaux s'adaptent à ces changements. Ils peuvent également offrir des prix plus bas que leurs concurrents.

Question de la salle :

Je représente le Bureau européen des consommateurs. Actuellement, la directive postale de 1997 prévoit la possibilité d'appliquer un tarif identique sur l'ensemble du territoire pour les services contenus dans le service universel. Pourquoi ne prend-on pas cette possibilité d'appliquer un tarif identique en le rendant obligatoire pour les États membres ?

M. Paul Watershoot , représentant de M. Frits Bolkestein, commissaire européen, responsable du marché intérieur

En ce qui concerne ce point particulier, la directive de 1997 prévoyait que les États membres peuvent maintenir un tarif uniforme sur l'ensemble du territoire. Cela reste valable dans la nouvelle directive.

Mme Geneviève Meunier, journaliste

Quels pays de l'Union européenne ont mis en place des autorités de régulation ?

M. Paul Watershoot

Tous les pays. Nous avons entamé des procédures d'infractions avec quatre ou cinq États membres (Belgique, France, Espagne, Grèce, j'ai oublié le dernier...) puisque le principe, dans la directive de 1997, est que le régulateur doit être indépendant par rapport à la gestion quotidienne de l'opérateur public existant. Or, parfois, le régulateur dépend de la même entité que celle qui gère ou qui est propriétaire de l'entreprise publique.

II. LA GRANDE MUTATION DES ACTEURS ET DES SERVICES POSTAUX EN EUROPE

M. Jean-Claude Larrivoire

Je passe la parole au représentant du Royaume-Uni, M. Graham Corbett, président de la Postal Services Commission , organisme correspondant à l'autorité de régulation outre-Manche. Monsieur le Président, la Post Office du Royaume-Uni suit-elle les directives européennes ?

M. Graham Corbett, président de la Postal Services Commission de Grande-Bretagne

Il n'y a pas de domaine réservé prédéterminé. Au Royaume-Uni, nous avons des zones de licence qui correspondent à l'ancien système. L'Union européenne, qui a des difficultés pour trouver un accord sur les prix et sur les poids, devrait reconsidérer le système des licences. La directive permet d'accorder des licences qui permettent d'avancer pour introduire une concurrence efficace dans le cadre d'un système harmonisé.

Un deuxième travail se consacrera aux services postaux universels. Deux modèles existent : le modèle prix d'entrée et le modèle du coût. Le modèle prix d'entrée se concentre sur l'impact des pertes de marché. Il est utilisé pour prédire les dommages que pourrait causer l'entrée de la concurrence sur le marché. N'est-ce pas un problème qui se pose pour tous les prestataires vis-à-vis des nouveaux entrants sur le marché ? L'impact est non négligeable, mais il faut en diagnostiquer les causes. Analyser les avantages commerciaux au niveau de l'analyse de l'entrée de concurrents est nécessaire. Lorsqu'il s'agit d'adopter des changements, il faut être réactif et éviter les barrières qui pourraient affecter le choix des clients ou des consommateurs. Il faut qu'il y ait une véritable transformation. Ceci s'applique au Royaume-Uni et aux autres pays. Une meilleure prestation des services offerts et plus d'efficacité s'imposent. D'autre part, s'il y a la possibilité du choix, le client s'orientera vers le meilleur service. La vraie menace n'est pas la concurrence, mais la lenteur face au changement. Il faut donc assurer la continuité du service. Ces services auront un coût. Certes, il s'agit d'un actif commercial. Le manque de réponse à ce défi est problématique. Néanmoins, les services universels pourront survivre dans une zone ouverte à la concurrence. C'est en répondant à autant de nouvelles réalités que nous irons vers un véritable changement.

M. Jean-Claude Larrivoire

Nous allons poursuivre notre tour d'horizon des postes européennes avec l'Espagne, représentée par M. José Marcos, directeur des affaires internationales de la poste espagnole, Correos y Telégrafos . Chez vous, M. Marcos, certains services sont déjà libéralisés comme le courrier intra-urbain ou le publipostage.

M. José Marcos, directeur des affaires internationales de la poste espagnole

Quelle est notre position par rapport aux changements passés, présents et à venir dans le secteur postal européen, surtout du point de vue réglementaire ? Quelle est la situation du marché postal espagnol et concrètement celle de Correos y Telégrafos , opérateur chargé de la prestation du service postal universel en Espagne.

Lorsqu'on défend l'ouverture à la concurrence du secteur postal en Europe, on tend à citer fréquemment, comme justification des initiatives, la nécessité d'établir des règles du jeu communes avec un marché intérieur harmonisé dans lequel les différents opérateurs postaux pourraient se concurrencer dans des conditions équivalentes.

Cette idée, attirante dans sa conception, entraîne quelques inquiétudes quand on observe que dans la réalité, les positions de départ sont sensiblement différentes dans chacun des pays membres de l'Union. Ces différences s'expriment surtout par le degré d'ouverture du marché préexistant, dans le degré de modernisation des opérateurs, dans les différences socio-économiques entre les États et dans l'hétérogénéité des statuts juridiques des opérateurs.

À titre d'exemple, en Espagne depuis plusieurs dizaines d'années, les services les plus rentables du marché, comme le trafic postal urbain, le publipostage, et les colis exprès, sont déjà libéralisés. Plusieurs centaines d'opérateurs postaux enregistrés, de taille variée, opèrent dans le segment de la lettre urbaine et du publipostage ; dans quelques cas, ils outrepassent leurs droits, tout en transgressant la loi du service postal espagnol, en accord avec la directive 97/67. Cette forte pression concurrentielle a causé des distorsions dans la structure du marché espagnol, pas toujours au profit des gros clients, et presque toujours au préjudice des citoyens, usagers du service postal universel. La concurrence a imposé des tarifs postaux très bas, ce qui a impliqué pour tous les opérateurs des marges très réduites, très éloignées de celles du marché, où un secteur réservé important se maintient encore.

Il y a aussi des différences entre le degré de modernisation de l'organisation et les systèmes des opérateurs postaux en Europe. Je suis pleinement convaincu qu'une gestion efficace peut se réaliser tant dans le secteur public que dans le secteur privé. J'ajouterai même que, quand on parle de services d'intérêt général, je crois plus convenable une gestion publique qui prend en considération non seulement la valeur perçue par des actionnaires privés, qui comporte une concentration des efforts de l'entreprise dans les segments les plus rentables, mais aussi la responsabilité sociale d'un service comme celui de la poste, avec l'obligation du service public aux citoyens et aux entreprises.

Une gestion moderne est une gestion d'entreprise, basée sur la satisfaction de la clientèle qui utilise les technologies modernes, et qui produit une permanente augmentation de la qualité et de la diversification des services. Les grandes transformations des opérateurs postaux qui se montrent aujourd'hui leaders dans le secteur se sont produites quand ils étaient encore des administrations publiques.

De même, ces dernières années, les opérateurs postaux, en retrait par rapport à la tête du secteur, ont initié des programmes de modernisation nécessitant un effort énorme de la part des cadres dirigeants et des employés, et s'accompagnant d'investissements très lourds en technologie, en systèmes et en infrastructures générales. Ce besoin d'investir dans les systèmes basiques a rendu difficile la possibilité d'aborder des programmes ambitieux d'acquisitions que d'autres opérateurs, qui avaient complété jadis leur modernisation, ont développé récemment.

Tous ces efforts, qui peuvent s'exprimer dans l'amélioration des paramètres de qualité, dans les index de satisfaction de la clientèle et des employés et dans l'efficacité économique, peuvent être considérés comme inutiles si se produit une transition rapide à un marché ouvert sans évaluer l'impact des mesures prises. Les différences socio-économiques entre les différents États membres ont une influence décisive sur le marché postal.

Le service postal est un marché basé sur le réseau qui, s'il est homogène et si la densité de trafic dans le réseau est élevée, atteint l'efficacité économique. Pensez-vous que les coûts du système postal soient les mêmes dans un État avec cent vingt cinq envois postaux par habitant et par an, et dans un autre avec quatre cents ? Croyez-vous que le service peut être le même dans un pays avec les dimensions ou l'orographie de l'Espagne, ou avec la géographie insulaire de la Grèce, que dans d'autres pays avec les dimensions ou l'orographie des Pays-Bas, par exemple ?

On ne peut, on ne doit pas laisser les régions européennes défavorisées sous la menace d'un service postal universel à un prix croissant ou de qualité décroissante. À mon avis, le service postal universel ne doit pas être un service minimal, résiduel, mais doit jouer un rôle clé, non seulement pour satisfaire les besoins de communication des usagers, mais aussi pour satisfaire les besoins croissants de réception des envois matériels, des colis par exemple. S'il n'y avait pas de service universel colis à prix abordables, le commerce électronique B to C en Europe ne se développerait pas d'une façon adéquate.

Le dernier aspect différenciateur que je voudrais signaler est celui qui concerne les statuts juridiques des opérateurs postaux. La plupart des grandes postes publiques européennes ont adopté le modèle de société anonyme, comme forme d'organisation. L'opérateur public espagnol a été le dernier à adopter cette formule par la loi de décembre 2000 ; cette société anonyme sera constituée dans quelques jours.

À cet égard, voici trois réflexions : Pourquoi ce modèle sociétaire pour l'Espagne ? Quelles ont été les étapes du processus ? Quelles sont les garanties qui ont accompagné le processus ?

Il s'agit du modèle d'organisation qui, à notre avis, et suivant les alternatives que la législation espagnole nous offre, se présente comme le plus convenable pour que l'État assure des services mixtes, comme c'est le cas du secteur postal, dans lequel des obligations de prestations universelles et des facteurs de marché coexistent.

L'adoption de ce modèle d'organisation suppose un important élan pour la modernisation de Correos et pour l'implantation d'une culture d'entreprise adéquate au défi du XXI e siècle. Mais du strict point de vue de la gestion, on améliore significativement les capacités opérationnelles. De cette façon, Correos élargira ses sources de financement et d'investissement, aura de la flexibilité pour adopter les prix selon les clients, les produits et la concurrence, et finalement, pourra disposer d'une politique propre en matière de ressources humaines, qui s'avère indispensable dans la première entreprise du pays. Le processus de transformation en société anonyme d'Etat, survenu dans notre pays, a été un processus responsable, cohérent et participatif.

Au cours des dernières années, les modèles d'organisation des opérateurs publics européens et les alternatives que la législation espagnole présente ont été analysés. Cette réflexion a visé la recherche d'une formule juridique pour maintenir intégralement le titre public, et pour favoriser une gestion plus flexible. Le processus d'approbation de l'initiative pour transformer Correos en société anonyme s'est fait en un temps record.

Au mois de mars 2000, le Parti Populaire a gagné pour la deuxième fois les élections générales, et dans son programme électoral s'annonçait déjà le projet de transformation de Correos en société anonyme. Au mois de juin, le ministère des Infrastructures, auquel appartient Correos , prévint dans une séance parlementaire que les travaux visant la transformation allaient commencer. De juin à octobre 2000, des travaux internes se sont développés et les premiers contacts aux niveaux syndical et politique ont eu lieu. En octobre 2000, les travaux parlementaires ont commencé, et en décembre 2000, on a approuvé une loi et démarré le processus.

En six mois, on a développé un intense processus de négociations politiques et syndicales, qui va culminer avec la transformation de Correos en société commerciale.

Trois garanties ont accompagné le processus :

Concernant le titulaire, le capital social de la société anonyme Correos y Telégrafos est complètement public. Pour toute modification sur le capital social, il sera nécessaire d'avoir une autorisation avec force de loi. Concernant le service public : se produit une subrogation de la société dans les droits et les obligations de Correos , surtout ceux qui touchent le service postal universel. Concernant les travailleurs : tous les droits des travailleurs sont respectés. Les fonctionnaires prêteront toujours leurs services dans la nouvelle société anonyme, tout en conservant leurs conditions de fonctionnaires de l'administration de l'État. C'est une première pour l'Espagne car c'est la première société anonyme avec des fonctionnaires.

Pour finir, voici un résumé concernant la libéralisation et la gestion. La libéralisation du secteur postal doit se faire de façon progressive, en tenant compte d'une évaluation de l'impact social des mesures qui concernent l'emploi et la cohésion sociale et territoriale.

Nous croyons aussi que l'harmonisation du marché postal ne pourra pas s'opérer avec une législation homogène pour tous. L'innovation et la gestion moderne ne doivent pas être considérées comme étant incompatibles avec le mot « public ». Du point de vue du statut juridique des opérateurs postaux, les gestionnaires doivent demander des formules juridiques flexibles, par exemple, la société anonyme qui assure une capacité et une souplesse d'action similaires à celles des entreprises concurrentielles.

M. Nunes aimerait faire passer le message suivant : « Les solutions aux problèmes sont logiques et non idéologiques. » Je vous invite à aller au-delà des filtres idéologiques afin d'arriver à comprendre la réalité actuelle d'un marché essentiel pour le développement d'une économie européenne concurrentielle. Je vous invite également à reconnaître les différences et à réglementer pour que celles-ci ne s'accroissent pas.

M. Jean-Claude Larrivoire

L'expérience espagnole montre que chaque pays a ses particularités. La poste belge suit-elle à la lettre la directive de Bruxelles ? Nous écoutons M. Bernard Damiens, directeur de la régulation et des affaires internationales de la poste en Belgique.

M. Bernard Damiens, directeur de la régulation et des affaires internationales de la poste belge

Le débat actuel sur l'ouverture des marchés entraîne nombre de questions sur le maintien d'un service universel de qualité. La définition même de service universel demande à être clarifiée. Il existe en effet une confusion entre les notions de service universel, de service public et de service d'intérêt général.

Le concept de service universel a émergé dans la foulée de l'affirmation du principe d'ouverture du marché. Il est apparu qu'il y avait un risque, si on ne régulait pas ce marché, que seuls les segments intéressants seraient desservis, entraînant l'exclusion de certains citoyens de l'accès à certains services.

Quand on parle du service universel, il faut envisager trois éléments essentiels, à savoir : le champ du ou des services universels, le financement et la régulation.

Quand on parle du service universel postal, il faut l'entendre au sens de la directive 97/67, dont a parlé M. Watershoot tout à l'heure, qui a trait au service des envois adressés : le courrier au sens large et le colis. Or, de nombreuses postes européennes sont chargées d'autres missions dites de service public, notamment dans le domaine dit de la poste financière. Le maintien d'un réseau étendu de bureaux de poste ne se justifie pas sous la forme actuelle, pour les activités liées au courrier. En revanche, les transactions financières appartiennent soit à la prestation d'un service universel bancaire, encore à définir sur le plan européen, soit à une interface entre le monde non bancarisé et le monde bancarisé. Ce dernier type de service ne doit pas être sous-estimé, car certains citoyens ne veulent pas de compte bancaire, ne peuvent pas en avoir, et doivent, pour effectuer des paiements sur un compte de tiers, avoir accès à un système de guichet, par exemple pour payer leur note d'électricité. Ces prestations nécessitent une infrastructure plus spécifique, dotée de personnels et de moyens spécialisés. La Communauté doit donc définir les services qu'elle souhaite mettre à disposition de chaque citoyen. Ce qui conduit à la problématique du financement de ces services, et nous amène au deuxième point : le financement du service universel.

En matière de courrier, le financement est, pour l'instant, dans la plupart des pays, assuré par le service réservé. Nous avons affaire dans le domaine du courrier à des domaines emboîtés. Les services postaux ont trait aux services combinés, ou non, de levée, de tri, de transport et de distribution des envois adressés. Le service universel est une partie seulement du service postal, il reprend les envois postaux jusqu'à 2 kg et les colis jusqu'à 20 kg. Ceci signifie que d'autres opérateurs peuvent opérer en service universel avec ou sans système de licence, selon les législations nationales.

Le service réservé est celui que seul l'opérateur désigné peut effectuer, c'est une partie du service universel. Il couvre les envois de correspondance, de publipostage jusqu'à un poids maximal de 350 g et cinq fois le prix de base. Le service réservé est destiné à couvrir les coûts du service universel postal, donc du courrier exclusivement. Cette distinction est préoccupante car nous serons confrontés demain à des opérateurs qui n'ont pas la charge d'un réseau de bureaux. Si nous voulons nous battre à armes égales, ce que réclament les concurrents potentiels, on ne peut nous imposer dans ce marché particulier des contraintes qui lui sont totalement étrangères. Il appartient donc à la Communauté de définir le type de services qu'elle souhaite offrir à tous pour un prix abordable, et de veiller à ce que le financement de ces services soit assuré.

En matière postale, la création d'un fonds de compensation, qui consiste à faire financer les parties non rentables du service universel par tous les opérateurs du marché, a été envisagée. Mais ce principe est extrêmement difficile à mettre en pratique.

Premièrement, aucun principe de fonctionnement n'a encore été défini.

Deuxièmement, la définition même des coûts qui pourraient être supportés par le fonds peut différer d'un État à l'autre, et risque de susciter une série de polémiques, notamment quand il faudra déterminer si le fonds doit payer les coûts réels de l'opérateur public.

Troisièmement, une autre polémique peut surgir quant à savoir qui doit contribuer à ce fonds. Toutes sortes d'arguments seront avancés pour justifier que, finalement, seul l'opérateur public doit financer le fonds.

Quatrièmement, le système va engendrer une charge administrative considérable, aussi bien auprès du régulateur, qu'auprès de tous les opérateurs obligés de tenir des comptabilités distinguant clairement les activités en service universel des autres. Il est exigible de l'opérateur public une totale transparence des coûts, ce qui l'exposerait aux attaques de la concurrence qui pourrait ainsi analyser ses forces et ses faiblesses, sans que la réciproque puisse être exigée. Vous comprendrez que nous ne sommes pas favorables au système de fonds de compensation.

Le dernier point est celui de la régulation, élément essentiel du débat. II est impératif d'organiser l'ouverture du marché dans un cadre juridique extrêmement précis et de trouver un arbitre capable de le faire respecter. Les concurrents potentiels réclament de pouvoir faire jeu égal avec les postes, et souhaitent obtenir les mêmes droits que l'opérateur historique.

La poste belge supporte l'idée d'un jeu équitable, mais d'un jeu qui comporte des droits et des obligations respectés par les deux parties. Le risque d'écrémage des marchés postaux sera d'autant plus grand que les concurrents de la poste recevront des droits non liés aux obligations correspondantes en matière de qualité, de fiabilité, de régularité, de couverture géographique, de prix et de respect des législations sociales. Une fois les règles définies, il est essentiel de s'y tenir.

M. Jean-Claude Larrivoire

En 1989, il y a douze ans, le gouvernement néerlandais décidait la privatisation des services postaux, ce qui n'empêchait pas l'État de garder le rôle d'actionnaire principal. La TPG a donc été la première poste cotée en Bourse en Europe. Une politique à l'opposé de ce qui se passe en France. Nous en examinons le bilan avec M. Philip Dobbenberg, membre du comité exécutif de TPG.

M. Philip Doddenberg, membre du comité exécutif de la poste néerlandaise

Je suis heureux de parler de certains problèmes concernant la libéralisation aujourd'hui, parce qu'il y a eu peu d'avancées dans ce domaine.

Pourquoi libéraliser ? La libéralisation est nécessaire pour que le marché soit sain. La libéralisation crée un marché normal où la concurrence peut se développer, ce qui permet l'innovation. La loi de l'offre et de la demande permet d'offrir une variété de services et de garantir la satisfaction du client. Sans libéralisation, les clients, et en particulier les entreprises, vont changer de fournisseurs et vont tenter de trouver des alternatives au courrier traditionnel. Aujourd'hui, c'est chose simple, surtout du fait des nouvelles possibilités technologiques offertes par le marché. Stimuler le marché est donc impératif. Aujourd'hui, en Europe, les premiers effets sont visibles, en particulier lorsqu'on regarde les volumes des divers services postaux. Je pense que les choses vont trop lentement.

Parlons de notre situation. Nous avons encore un domaine réservé qui représente 27 % du marché des services postaux, sans inclure les colis et le service exprès. En France, il doit être de 90 %, donc il y a une grosse différence. 27 % revient à dire que près de 75 % du marché est déjà libéralisé chez nous. Cela démontre que la libéralisation est possible sans pour autant avoir des conséquences négatives sur la société ou sur les obligations des services postaux universels.

Avant de libéraliser le marché, l'opérateur traditionnel doit être à même d'agir en tant qu'entreprise, il doit pouvoir prendre ses propres décisions d'investissement et doit pouvoir agir en fonction des lois du marché du travail. Je crois que les avantages sont tout à fait importants. Aux Pays-Bas, depuis la privatisation, les prix sont restés bas, la qualité s'est améliorée, et l'industrie a employé plus de gens. Bien sûr, me direz-vous, c'est un petit pays plat, facile à desservir. Ce sont des arguments superficiels. La Suède, pays aussi grand que la France, a réussi, tout en libéralisant son marché, à avoir des services postaux qui fonctionnent dans un environnement concurrentiel. L'argument lié à la taille du pays ne représente qu'une faible partie des coûts totaux des services postaux. Lorsque vous voyez ce qui se passe au niveau concurrentiel, je dirais que les prix de transport seront les mêmes pour tous les acteurs.

Lorsqu'on compare les prix et la qualité, on se rend compte que nous nous sommes considérablement améliorés, nous avons introduit des systèmes de tris automatiques. Aujourd'hui, le niveau de qualité est de 96 %. Nous avons pu maintenir des prix modérés. Nous avons maintenu une stabilité des prix pour les lettres pendant dix ans, ils ne seront augmentés qu'en juillet 2001. Le nouveau prix sera de 0,39 euro, ce qui est particulièrement bas par rapport aux autres pays.

Au niveau de l'emploi. Il y a eu un programme de restructuration très important du tri. Huit mille personnes ont été licenciées au cours des dix dernières années. Néanmoins, nous avons créé d'autres emplois qui ont très largement compensé ces pertes. Aujourd'hui, nous employons plus de gens qu'auparavant, certainement plus à temps partiel et moins à plein temps, mais lorsqu'on regarde la force de travail sur une base plein temps, on constate qu'on est à cinq cents emplois de plus qu'en juillet 1994. Nous avons été à même d'employer plus de salariés dans un environnement concurrentiel.

Le nombre de points de vente a également progressé. Nous avons des points de vente qui sont organisés en fonction d'un marché de consommation. Nous avons des postes destinés aux entreprises, que l'on appelle « points entreprises ». Le nombre de bureaux a augmenté, ils se sont adaptés en termes de géographie, de besoins des consommateurs et des différents segments de marché.

En ce qui concerne le marché mondial, on assiste à un processus de consolidation. Il faut garder à l'esprit ce qui se passe dans les domaines afférents, tels que le domaine des colis. Le marché des services postaux s'intègre dans le marché en général. En 1996, nous avons acheté TNT, mais d'autres acteurs comme Deutsche Post n'ont pas encore fait leur entrée. Nombre d'entre eux parlent déjà de grands desseins stratégiques. Il existe trois ou quatre acteurs principaux, et des rapprochements géographiques sont possibles, au niveau des services.

Que nous réserve l'avenir ? Comment aller de l'avant ? Le marché doit être libéralisé, et il faut qu'il y ait une date fermement inscrite.

Il faut définir clairement ce que le marché permet et ce qu'il ne permet pas. Aujourd'hui, l'entrée est libre, ceci n'affecte pas les services offerts par les services postaux car c'est l'un des rares segments qui est en forte croissance. Il y a du potentiel, et les nouveaux entrants peuvent prendre des parts de marché sans qu'il y ait d'effets négatifs ou pervers sur les opérateurs traditionnels. Grâce au développement du marché, les nouveaux venus accéléreront la croissance du marché. Par conséquent, je ne vois que des avantages à la libéralisation des services postaux. Avancer dans ce domaine est positif pour l'industrie, pour les entreprises et pour les clients en général.

M. Jean-Claude Larrivoire

Merci pour ce plaidoyer pour la poste libérale aux Pays-Bas. Voyons maintenant la poste allemande qui est cotée en Bourse depuis novembre 2000, mais l'Allemagne qui s'était battue pour la libéralisation du marché postal en Europe a décidé de marquer le pas. Monsieur Gerhard Harms, vous êtes le vice-président de l'Autorité de régulation de la poste allemande.

M. Gerhard Harms, vice-président de l'Autorité de régulation des télécommunications et de la poste allemandes:

Nous avons environ 1,7 million d'employés dans le secteur postal ; 1,4 million dans le secteur administratif, ce qui représente environ 1,4 % de notre PIB. En 1980, l'Allemagne célébrait ses cinq cents ans de service de poste. Traditionnellement, les services postaux fournissaient un service simple concernant les courriers, les colis, etc., et ils étaient considérés comme étant un monopole naturel appartenant à l'État et à tous les États de l'Europe.

Jusqu'au début des années 1990, les services postaux étaient considérés comme une administration ; une gamme très étendue de services postaux s'était pourtant dessinée, mais les attentes des consommateurs ont été un peu négligées. Depuis quelques années, nous assistons à des développements économiques qui n'avaient pas été possibles auparavant. Actuellement, les services postaux sont le fruit du changement. Dans certains domaines, des clients commerciaux forment la demande la plus importante, elle provient de la mondialisation de l'économie, des opérations fournies par les spécialistes à l'extérieur de l'entreprise, des contraintes de temps, du désir d'améliorer la rentabilité. Les services de colis express et de colis seront transformés par les services électroniques. Les produits en ligne doivent être livrés dans les plus brefs délais, suite à la commande. Les perspectives sont excellentes, notamment dans le domaine de la logistique avec la gestion des livraisons, des commandes, avec comme principe un seul endroit pour la prestation de plusieurs services.

Les taux de croissance annuelle se situent au-dessus de 10 % , et il reste encore un potentiel de croissance à travers les frontières. Les services à valeur ajoutée pourront satisfaire les besoins des clients, donc au-delà des services ordinaires de courrier. Or, seuls les monopoles peuvent exploiter ces opportunités de croissance.

Beaucoup de choses ont changé du côté de l'offre également. Les administrations nationales ont été transformées en entreprises publiques, en entreprises privées, ou en entreprises qui suivent les règles du marché privé. À ces entreprises s'ajoutent d'autres entreprises privées de coursiers, de livraisons de colis et également de distribution de lettres.

La Constitution allemande, en 1994, a stipulé que les services postaux ne seraient plus fournis par l'État, mais par plusieurs fournisseurs prestataires privés. Je souligne le mot « plusieurs ». De vastes changements se profilent dans ce secteur. La plupart de ces agences ne seront présentes que dans leur propre pays, et des réseaux de logistique et de ventes pourront fournir des solutions pour les clients.

En termes d'activité, les acteurs du marché cherchent des opportunités de croissance dépassant les frontières nationales. Le cadre réglementaire n'a cependant pas beaucoup changé. Il existe encore beaucoup de monopoles en Europe. Les limites de prix ne changent pas cette situation, même si nous n'avons qu'une limite de 50 g, comme la Commission l'a proposé, les opérateurs en place gagnent tout de même 80 % du marché selon leurs propres calculs. Le service continue d'être assuré car la part de marché de ces monopoles diminue très lentement. En Allemagne, les concurrents ont 2 % du marché au bout de trois ans. Cependant, seuls 25 % de ce marché restent ouverts. Cela équivaut à un potentiel de marché de 2,5 milliards d'euros. Si nous groupons les revenus de tous les concurrents, ce chiffre reste peu élevé. Cela indique que les opérateurs en place garderont un monopole de fait, malgré l'élimination des monopoles. Mais une telle entreprise peut encore décider des prix ; tel un monopole, il n'est pas affecté par le marché, et cela a un impact sur la couverture des coûts. Or, l'article 7 de la directive postale indique que les services ne doivent être réservés que pour maintenir un service de base.

En 1997, il était prévu que le marché allemand soit ouvert entièrement à partir du 1 er janvier 2003. Il est peu probable que les monopoles soient éliminés d'ici à 2003. Le gouvernement fédéral a donc répondu à ce problème en prévoyant la libéralisation complète retardée, c'est-à-dire tant que les autres États membres n'en seront pas au même stade.

Il faut regarder l'avenir des emplois. Les emplois vont être assurés par un climat encourageant des activités, des produits et des services stimulés par la concurrence. La demande pour les services postaux pourra à ce moment-là partager la croissance du marché des communications. Du point de vue allemand, l'Europe ne doit donc pas tarder à libéraliser ses marchés postaux.

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Débat avec la salle

M. Jacques Lemercier, secrétaire général FO PTT et vice-président de l'UNI-Europe Poste

On a l'impression, à écouter M. Dobbenberg, qu'il piétine d'impatience et que la poste néerlandaise risque de se trouver en difficulté si la directive met du temps à sortir. Est-ce exact ? On dit que la poste néerlandaise a été aidée par l'État pour faire des rachats, est-ce la réalité ? Et n'est-ce pas en contradiction avec ce qui nous a été dit sur le libéralisme ?

M. Philip Doddenberg:

Je piétine d'impatience car il s'agit de la survie des postes en tant que moyens. Nous avons une obligation d'avoir une poste en tant que moyen de communication, et si nous tardons trop, nous perdrons ce secteur. Ce n'est pas uniquement lié à la situation néerlandaise. Le gouvernement a financé ses postes et télécommunications au moment de l'achat. C'était une entreprise un peu différente à cette époque-là, mais je ne suis pas au courant d'aides venant de la part du gouvernement.

Question de la salle :

Dans les pays qui ont fortement ou totalement libéralisé, a-t-on vu apparaître des opérateurs de taille significative et ayant apporté des innovations notables au service des consommateurs, comme cela a pu l'être dans le marché des télécommunications ?

M. José Marcos

En Espagne, il y a beaucoup d'opérateurs privés concurrents de la poste. L'un d'eux s'annonce comme étant un opérateur alternatif. Cet opérateur essaie d'apparaître comme un deuxième opérateur. Dans sa campagne, il parle d'une innovation qui est l'usage d'une enveloppe pré affranchie... Sinon, je ne vois pas d'innovations significatives chez les autres opérateurs. Il y a peut-être une valeur ajoutée qui n'était pas fournie par la poste espagnole, mais il ne s'agit pas de vraies innovations.

M. Graham Corbett

C'est un peu tôt pour la Grande-Bretagne puisque ce n'est que depuis le 26 mars 2001 que le monopole a été cassé. Jusqu'à présent, nous avions des applications de TNT pour régulariser les services offerts. Récemment, nous avons reçu une application de la part de Heys pour des services concurrentiels.

M. Daniel Paris, MEDEF

J'ai une question pour l'ensemble des intervenants. Pourquoi, les années passant, les opérateurs privés n'ont-ils pas réussi à prendre une part du marché plus importante dans les secteurs ouverts à la concurrence ?

Monsieur Marcos, pourquoi s'est-on arrêté à la libéralisation de la distribution pour le service urbain ? Y a-t-il une coopération entre le réseau de l'opérateur public et les opérateurs privés ? Y a-t-il possibilité pour les opérateurs privés d'avoir accès au réseau de distribution de l'opérateur public ou non ?

M. José Marcos

En Espagne, il y a quarante ans, seuls les courriers interurbains sont restés réservés, le reste a été libéralisé. Cela veut dire que l'on peut collecter, trier et distribuer une lettre tant que celle-ci ne sort pas d'une ville. De l'autre côté, les opérateurs privés peuvent avoir davantage d'offres pour le tri, la préparation du courrier, mais n'ont pas accès à la distribution.

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M. Jean-Claude Larrivoire

Au coeur même de la grande mutation des services postaux en Europe, la European Express Association , qui regroupe les quatre principaux organismes privés en charge du service postal. Nous recevons son président, M. Mark van der Horst.

M. Mark van der Horst, président du comité postal de la European Express Association

La European Express Association est une association européenne qui regroupe AGEA, FEDEX, TNT, UPS et les associations nationales au niveau du courrier exprès.

Nous sommes partisans de la libéralisation du service postal. Par rapport au titre de ce colloque « mythes et réalités », je vous donnerai le point de vue de l'industrie privée au niveau du courrier exprès.

Premier mythe : j'étais convaincu, après le Conseil des télécoms de décembre 2000, que certains États membres étaient tout à fait contre la libéralisation postale de l'Europe. Quelle erreur, car il est visible aujourd'hui qu'ils sont en train de se préparer d'une façon admirable. Mais, même si une date finale semble s'esquisser, les États membres seront-ils d'accord pour une date finale pour la libéralisation, avec un même régime.

Deuxième mythe : la libéralisation a un impact négatif sur l'emploi. Le fait que le marché évolue avec rapidité est un aspect important à expliquer. Conserver les services tels qu'ils sont fournis aujourd'hui, et l'emploi tel qu'il est aujourd'hui n'est pas réaliste ; dans les sociétés privées, le marché et les besoins des sociétés changent, et les besoins des utilisateurs restent déterminants. Pour réussir, il faut suivre le potentiel du marché et l'utiliser. Car, arrêter le développement ou créer des circonstances qui freinent les opérateurs privés et les opérateurs publics stopperait la croissance.

Troisième mythe : le monopole est indispensable pour pouvoir offrir un service universel. On peut utiliser le domaine réservé tant que l'on montre qu'il est nécessaire pour offrir le service universel. Mais, à l'usage, on constate que les monopoles ne sont pas nécessairement utilisés dans ce but, mais plutôt dans celui de développer les opérations des opérateurs postaux au niveau international dans le domaine du service spécial. Si ce genre de monopole permet de servir le consommateur au niveau du service universel, il ne doit pas être utilisé pour obtenir des subventions croisées dans les domaines qui sont déjà en libre compétition.

Quatrième et dernier mythe : il existe différentes propositions au niveau de la directive. Le scénario possible est celui d'avoir une libéralisation de 350 g à 150 g. L'impact de cette ouverture du marché sera nul car, avec la diminution de 350 g à 150 g, il y aura une ouverture de marché de moins de 10 %.

On se rend compte que le marché ne peut s'ouvrir entièrement dès demain. Différentes étapes ainsi qu'une date finale sont donc à prévoir nécessairement.

M. Jean-Claude Larrivoire

Quelle est la date finale que vous souhaiteriez ?

M. Mark van der Horst

La plus réaliste. Il y a la date de 2007 dans la directive actuelle, c'est peut-être une date à discuter.

M. Jean-Claude Larrivoire

Après un opposant très diplomate à la politique du monopole, le point de vue plus mesuré d'un syndicaliste, M. Jacques Lemercier, secrétaire général de FO communication et vice-président de l'UNI-Europe Poste.

M. Jacques Lemercier, vice-président de l'UNI-Europe Poste, secrétaire général de FO communication

J'interviens aujourd'hui au titre de l'UNI, l' Union Network International , qui est la nouvelle internationale qui recoupe treize secteurs, dont le secteur postal, et qui est l'interlocuteur à Bruxelles de la Commission européenne. Mes propos seront d'abord européens et ensuite, je me démarquerai un peu de la position européenne qui est un consensus syndical, et je donnerai la position de Force Ouvrière.

Au niveau de la Commission européenne, le débat sur la libéralisation a subi des à-coups. Pendant de nombreuses années, M. Bangemann a refusé tout dialogue et a ignoré les organisations syndicales. Actuellement, M. Fritz Bolkestein nous reçoit, nous écoute, nous entend parfois.

Il y a donc un effort de concertation réel. Pour répondre aux propos du président Larcher, notre internationale n'est pas corporatiste, c'est une internationale qui défend les salariés et l'intérêt général. Nous sommes profondément européens, nous estimons être un partenaire à part entière dans la construction européenne, et on ne peut écarter l'UNI qui est un syndicat prêt à collaborer, prêt à trouver des compromis.

Notre objet à nous, syndicalistes, est de regarder la situation des salariés, leur rémunération, leur carrière, leur précarité, etc. Notre travail au niveau international est de nous battre pour éviter le dumping social. Nous travaillons à la mise en place d'une convention collective européenne, pour éviter que des opérateurs émergents, en sous-payant leur personnel et en n'offrant pas de protection sociale, n'appliquent des prix défiant toute concurrence et n'écrèment le marché. Nous réfléchissons également à l'avenir de nos métiers, et nous travaillons beaucoup sur la e-économie pour être capables de prendre le virage de façon que personne ne se trouve exclu.

Après discussions et malgré les divisions, nous sommes arrivés à des compromis, et nous avons accepté, nous qui étions des tenants du monopole, une libéralisation graduelle et maîtrisée. Nous avons accepté que l'ouverture se fasse progressivement, et nous avons accompagné cela de demandes fortes, notamment d'études d'impact sur l'emploi et sur les conséquences du financement du service universel. À ce jour, elles sont insatisfaisantes. Nous avons fait du lobbying , et avons réussi à convaincre des députés de droite et de gauche à un compromis validé par le Parlement européen. Ce qui a été voté par le Parlement doit donc être respecté, et nous nous battrons pour cela. La Commission ne doit pas se substituer aux gouvernements.

Quelques remarques concernant les propos des interlocuteurs précédents : Sur la Suède, je n'ai pas tout à fait les mêmes chiffres. Sur l'emploi, il y a eu une recrudescence du temps partiel ; le chiffre en ma possession est de 46 %. Si l'ouverture à la concurrence conduit à détériorer la qualité de nos emplois, vous comprendrez que les organisations syndicales se battent. Les nouveaux recrutés en Suède n'ont pas du tout les mêmes conditions de traitement que les anciens. Les jours de congés sont passés de 35 à 23. Il y a donc des salariés à deux vitesses.

Nous appelons de nos voeux à une véritable collaboration des postes européennes, quels que soient leurs statuts. Nous nous battons pour le tarif unique et la péréquation géographique. Nous sommes opposés aux fonds de compensation.

Ce que nous souhaitons, c'est le respect des contraintes nationales. Le principe de subsidiarité doit jouer. Il ne faut pas que cette directive soit trop contraignante car elle risque de ruiner les services publics nationaux. Nous sommes, enfin, opposés à la date d'ouverture totale à la concurrence dans la prochaine directive.

M. Jean-Claude Larrivoire

Poursuite de la table ronde aux multiples facettes avec un opérateur privé français. M. Alain Bréau, vous êtes le président Transport et Logistique de France, TLF. Est-il confortable d'être un opérateur privé en France ?

M. Alain Bréau, président de Transport et Logistique de France (TLF)

Je vais avoir la charge redoutable et sacrilège de défendre le point de vue des entreprises privées. L'organisation, dont je suis le président, TLF, représente 4.500 entreprises qui interviennent dans tous les métiers du secteur logistique et du transport, à savoir : logistique, transit international, commissions de transport, messagerie, transport de l'eau et de charges complètes. Tous ces métiers concourent à une activité qui, au total, représente un chiffre d'affaires de 300 milliards de francs et, dit-on, 10 % de la formation des prix de revient industriels, ce qui, à l'évidence, est un facteur très important de compétitivité d'une économie. Je souhaite défendre ces entreprises, ce secteur d'activités, et faire quelques remarques sur l'objet de ce débat.

En particulier, sur l'une de nos composantes qui est le secteur de la messagerie. Qu'est-ce que la messagerie ? C'est la distribution d'envois, colis, palettes aux entreprises ainsi qu'aux particuliers et aux commerçants. Il y a encore vingt ou trente ans, La Poste effectuait ce travail jusqu'à 5 kg pour l'essentiel, et au-dessus c'étaient les opérateurs professionnels (messagers, groupeurs privés) qui assuraient le service. La taille moyenne de nos envois est de 50 à 100 kg, et cela concerne aussi bien les entreprises que les particuliers comme destinataires. L'activité en question est effectuée par quelques centaines d'entreprises au maximum, pour un chiffre d'affaires total de 40 milliards de francs. Il y a à peu près trente mille camions, camionnettes émanant des entreprises qui sillonnent la France tous les jours à des tarifs équivalents, sans réclamer aucune aide de l'État. Nous pratiquons une tarification identique parce que notre clientèle ne souhaite pas que les destinataires, directement ou indirectement, acquittent un prix de transport différent selon leur lieu d'habitation. Et, contrairement aux idées reçues, la distribution dans les zones rurales coûte moins cher qu'en région parisienne.

Jusqu'à ces dernières années, le secteur de la messagerie vivait une vie normale, avec une crise économique qui était le reflet de la crise économique générale du pays, et même de l'Europe. La représentation importante du secteur public, à travers les filiales de la SNCF et de La Poste qui, d'après mes estimations, représentent à peu près 30 % du marché, est une situation unique en Europe. Depuis deux ans, on assiste à l'arrivée en force du capitalisme d'État dans le monde du capitalisme privé, capitalisme d'État essentiellement postal, mais aussi ferroviaire, puisqu'on a vu le capitalisme d'État prendre une part de marché supplémentaire, d'environ 20 %, sous l'effet des acquisitions de la Deutsche Po st qui reste à majorité de capital d'État, de la poste française, de la poste anglaise, ainsi que des chemins de fer belges.

Situation inquiétante car il est à craindre que d'ici peu, la part privée du secteur de la messagerie ait disparu à la suite d'un combat disproportionné. Les premiers d'entre nous auront été achetés, les derniers risquent d'être piétinés. Les entreprises privées du secteur peuvent-elles survivre ?

Par rapport à ce scénario, permettez-moi de développer une interrogation. Pourquoi l'initiative a-t-elle été prise d'envahir le secteur de la messagerie industrielle ? Les postes donnent l'impression de vouloir constituer, avant même l'ouverture de la concurrence, l'architecture d'un cartel futur, cartel permettant d'éviter que les concurrents potentiels ne viennent un jour sur le marché traditionnel du courrier. Nous acheter maintenant permet d'éliminer à l'avance toute concurrence future, c'est reconstituer une vie peu compétitive. Les organismes habitués à vivre pendant des décennies sous monopole sont plus enclins à se chercher des protections qu'à vouloir affronter une concurrence réelle. Dans ce métier de main-d'oeuvre, il est clair que le coût des personnels postaux est supérieur à celui des personnels sous convention collective transport. La deuxième raison est ce que j'appellerais une stratégie imitative et nationale. Lorsque la Deutsche Post a commencé à annoncer l'achat du transitaire Swisslansas , la presse française et la presse économique libérale de droite ne se sont pas interrogées sur le motif de ce rachat, mais ont dit : que fait la poste française ? Chaque pays, chaque gouvernement, à travers les lois et règlements, à travers des aides publiques, semble vouloir défendre son champion national.

Pour éviter les excès, nous avons présenté les demandes suivantes :

Premièrement : l'existence dans les groupes postaux d'une comptabilité analytique pour permettre aux autorités du pays, aux autorités européennes et à nous, comme concurrents, de vérifier s'il y a ou non des subventions croisées. Le tarif du courrier sous monopole en Allemagne est de 20 % supérieur à ce qu'il est en France. Si l'on rapporte cela au chiffre d'affaires concerné, cela doit faire environ 8 milliards de francs de recettes et donc de résultat par an de différence. 8 milliards de francs ou deux fois 8 milliards de francs pour être large, compte tenu des prix d'acquisition considérables qu'ont accepté les postes dans leur stratégie de croissance externe, ajoutés à deux ans de très gros bénéfices donnés par les différences et le tarifaire, permettent d'acheter la totalité du secteur que je représente en France. Une comptabilité analytique vérifierait que la rente du monopole n'est pas utilisée pour constituer un nouveau monopole, à l'ombre du marché.

Deuxièmement : la présence de véritables autorités de concurrence, si possible au niveau européen, pour vérifier la réalité des prises de marché et des risques d'abus de position dominante.

Et enfin, nous réclamons, avec l'interlocuteur précédent, une ouverture du marché postal.

M. Jean-Claude Larrivoire

Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit à l'université Paris-Dauphine, comment la juriste réagit-elle devant tout ce que l'on a pu entendre ce matin ?

Mme Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit à l'université Paris IX (Dauphine)

Je voudrais faire trois observations qui sont des observations générales, prolongeant les précédentes dans une perspective plus juridique. Il s'agit plus précisément d'anticiper la façon dont le droit en la matière, parce qu'il s'agit de décisions et de mouvements juridiques qui ont une certaine autonomie par rapport aux évolutions économiques et politiques déjà décrites, va encercler dans l'avenir les postes européennes, mais aussi, parce que le droit est flexible, la façon dont celui-ci pourra être utilisé.

Tout d'abord, il convient donc de revenir sur la nature même du juridique. Le droit forme un système. Cela signifie que les normes qui le composent, les interprétations dont celles-ci sont l'objet, ne sont pas simplement empilées. Elles sont mises en corrélation, et c'est cette corrélation qui évite au droit le vice de la lacune parce que les raisonnements permettent de trouver une solution à un cas particulier, même non directement prévus par la loi. Cette puissance de système est particulière forte pour le droit communautaire, agencé sur des principes et des buts poursuivis. Cela n'apparaît pas à première vue lorsqu'on segmente l'analyse, pour se concentrer notamment simplement sur les directives, lesquelles, prises isolément, ne sont jamais que des compromis entre Etats signataires, un balancement entre contraintes économiques et marges de manoeuvres politiques. Cela ne doit pas masquer le fait que le droit communautaire avance selon une hiérarchie de principes, une logique propre qui englobe et dépasse l'adoption de telle ou telle directive. C'est le juge, communautaire ou national, qui donne vie à cette logique. Dès lors, alors qu'une directive ne peut venir à la vie qu'avec l'accord des Etats qui peuvent mesurer ce à quoi ils s'engagent, aucun gouvernement, pas même une alliance de gouvernements, ne peut arrêter le droit communautaire quand il prend sa forme judiciaire, sa forme contentieuse.

Une fois rappelé cet effet systémique du droit communautaire, je voudrais insister sur deux principes méthodologiques à l'oeuvre. Ils ont tout deux pour objet l'appréciation que le juge fera des comportements des opérateurs - publics ou privés, historiques ou nouveaux entrants - et des Etats. Le premier principe a trait à la légitimité du comportement, il est de nature probatoire. Le second principe est un instrument de mesure pour apprécier l'adéquation d'un comportement.

Le premier principe repose sur le fait qu'un comportement en accord avec un principe n'implique pas la charge pour celui qui le tient de démontrer sa conformité, alors qu'un comportement contraire à un principe oblige l'opérateur ou l'Etat concerné à démontrer sa légitimité exceptionnelle. Ce n'est pas que le droit communautaire ne supporte pas d'exceptions, au contraire il est un entrelacs complexe, et de ce fait difficilement pénétrable, d'exceptions. C'est une question probatoire : celui qui se prévaut de l'exception a la charge redoutable de prouver la légitimité de son comportement. Alors, malgré l'accueil toujours plus favorable du droit communautaire au service universel - si ce n'est au service public -, au droit de la régulation - si ce n'est au droit public -, le principe reste celui du marché librement ouvert et concurrentiel. Une autre organisation a le rang d'exception. A partir de cette logique communautaire et dès lors, même lorsqu'il s'agit de mettre en place une régulation postale, partout où la concurrence sera possible, celle-ci devra se déployer, partout où la dérogation à la concurrence n'aura pas été expressément stipulée, celle-ci devra être refusée. C'est une règle qui s'appliquera automatiquement quels que soient les gouvernements, les opinions politiques, les forces, les syndicats, les nouveaux entrants.

Le second principe essentiel concerne la mesure de l'action. Le contrôle exercé sur les comportements au nom du droit communautaire repose sur le principe de proportionnalité. La proportionnalité suppose que toutes les actions se mesurent au regard des objectifs qui ont justifié qu'on donne à celui qui agit le pouvoir de le faire. Par exemple, les services réservés, pour financer le service universel, ne devront pas aller au-delà de ce qui est nécessaire à la satisfaction de l'objectif. Cela implique la démonstration permanente de la proportionnalité de ces systèmes très sophistiqués par rapport aux raisons pour lesquels de tels privilèges sont accordés ou tolérés. C'est le juge qui opèrera le respect de ce principe de proportionnalité, indépendamment des marges d'autonomie que la directive aura admise pour les Etats dans la transposition qu'ils opéreront du texte dans leur droit national.

Cette puissance du juge, on la retrouve encore dans le contrôle des subventions croisées, qui pourront être sanctionnées au titre de textes particuliers mais aussi en invoquant la prohibition générale de l'abus de position dominante. C'est souvent les textes de base qui développent la plus grande puissance, même sur des secteurs très spécifiques et régis par des textes particuliers. Les exigences précises sur la filialisations des activités ou sur l'obligation de comptabilité analytique sont ainsi relayées par le contrôle prenant la forme soit d'une intervention du régulateur soit d'un contentieux devant le juge. Cela sera d'autant net que la régulation spécifique sera inexistante ou embryonnaire, le juge étant contraint de relayer la lacune par le recours au droit commun. Mais le droit commun est beaucoup plus violent que les dispositions particulières, parce qu'il ne peut affiner ses instruments, qui sont destructeurs puisqu'il s'agit généralement d'interdire purement et simplement un comportement, le juge ne pouvant, comme le feraient des textes, réduire sa puissance à un encadrement de ce comportement. C'est pourquoi d'une façon générale, les opérateurs, y compris l'opérateur historique, a intérêt à la mise en place d'une régulation spécifique, plutôt que de subir la menace d'une condamnation pour abus de position dominante, déclenchée par n'importe quel juge appliquant le droit communautaire (la Commission européenne, la Cour de justice des communautés européennes, le Conseil de la concurrence, n'importe quel juge français, judiciaire ou administratif) pouvant sanctionner au titre de l'abus des subventions croisées, des droits exclusifs disproportionnés, des exceptions injustifiées.

Le danger est d'autant plus vif que la Commission européenne possède la caractéristique d'être à la fois l'organe politique de la concurrence et l'organe gardien du droit de la concurrence. Elle aura donc naturellement tendance, quand elle n'arrive plus à avancer avec sa casquette d'organe politique de la concurrence, notamment dans l'élaboration des directives, à exercer son pouvoir de surveillance et de sanction, sur le mode juridictionnel. L'expérience montre qu'une telle stratégie facilite grandement la signature des directives sectorielles de libéralisation.

Ainsi, de fait et de droit, les juges deviennent de plus en plus puissants en droit de la concurrence. Par l'évolution des pratiques et des textes, par exemple la loi française du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques , ils ne se contentent pas de contraindre au versement d'argent, sous forme d'amendes ou d'indemnisations - ce qui finalement n'est pas très contraignant, les opérateurs, voire les Etats pouvant alors en quelque sorte acheter l'illicéité de leur comportement. Ils exigent des adaptations comptables, l'arrêt de certaines activités, ce qui équivaut à un quasi-pouvoir de démantèlement des entreprises, de cession d'actifs et rapproche singulièrement sanction des comportements anticoncurrentiels et contrôle des concentrations.

Pour le moment, on peut considérer que le droit de la concurrence a été clément avec le secteur postal. Ainsi, et par exemple, le Conseil de la concurrence a validé les activités financières de la poste française, notamment parce que la Poste française avait pu démontrer qu'il y avait de fortes raisons justifiant cette situation, le but et l'effet social de la façon dont la Poste exerce cette activité justifiant cette activité.

Si l'on cherche à anticiper la réorganisation juridique du secteur, au-delà d'une transposition de la transposition, on peut enfin se demander quels seront les nouveaux principes juridiques de régulation du secteur, principes qui ne réduisent pas nécessairement la puissance et la liberté des opérateurs (le droit est trop perçu en France comme une contrainte mutilante) mais peuvent être des ressorts de comportements économiques dynamiques.

Quelles sont donc les idées déclenchantes  d'un nouveau système ? Il pourra s'agir de mettre en premier des droits subjectifs des personnes qui bénéficient du mécanisme global, c'est-à-dire les droits des utilisateurs intermédiaires et finaux. Cette idée de prérogatives des opérateurs et des consommateurs est assez étrangère à la théorie classique du service public. C'est pourtant le passage d'avantages concédés par l'Etat ou des collectivités publiques à des assujettis à une organisation au service du public, qui a droit à un service de qualité à un prix équitable, qui s'est opéré à propos du secteur électrique. On peut imaginer semblable mouvement pour le secteur postal.

Si l'on admet que l'organisation postale doit avoir pour objectif de concrétiser de véritables droits des personnes à être satisfaites, cette conception opère une meilleure proximité de la régulation du secteur avec les mécanismes de marché parce que le marché repose sur le droit du client. La régulation a alors un rôle non pas frontalement contraire mais simplement correcteur de l'effet d'exclusion produit par le marché : la régulation fait en sorte que le service soit fourni même aux personnes qui n'auraient pas les moyens de se l'offrir sur un marché. Cette plus grande proximité avec le marché, opérée notamment par le passage de la notion de service public à celle de service universel, prend moins difficile la cotation des titres de l'entreprise nationale en charge de ce service. C'est le cas de France Télécom. Nous verrons pour les autres opérateurs historiques dans les différents secteurs, notamment pour la Poste française pour laquelle la cotation pose peut-être un problème politique mais n'engendrerait pas de schizophrénie juridique.

Enfin, si la régulation se met ainsi au milieu de l'État et du marché, l'élément clé en est l'autorité de régulation. L'autorité de régulation, qui doit être nécessairement indépendante des opérateurs et de l'Etat, qui peut être de nature administrative, est l'expression même de cet entre-deux. Si l'on devait s'orienter vers la création d'une autorité de régulation postale, celle-ci est beaucoup plus qu'un arbitre de transition entre le présent et le futur, entre le public et le privé. Elle devrait être l'organisme construisant les grands équilibres des secteurs, en charge de les maintenir en disposant de tous les pouvoirs nécessaires à cela. Si une telle autorité, véritablement en charge de cette fonction et effectivement dotée des pouvoirs requis pour cela, est mise en place, alors on pourra dire vraiment que l'organisation juridique du secteur postal est passée d'un système à un autre. L'avenir le dira.

M. Jean-Claude Larrivoire

M. Pierre Hérisson, sénateur de Haute-Savoie, membre de la Commission supérieure du Service public des Postes et Télécommunications, vous êtes aussi l'auteur d'un rapport sévère pour la France sur l'ouverture à la concurrence des services postaux de la Communauté.

M. Pierre Hérisson, sénateur de Haute-Savoie, membre de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications (CSSPPT)

Je voudrais essayer de démontrer que la première des choses à faire est de lever un certain nombre de tabous, si nous voulons moderniser la poste française, en profitant de l'ouverture européenne.

Quelques mots pour planter le décor. Rappelons que dans la dynamique concurrentielle, il y a manifestement un certain nombre de bouleversements rapides du paysage postal mondial et européen. On a beaucoup parlé de l'Europe, mais il y a aussi le phénomène de la mondialisation à prendre en compte.

La poste française tergiverse dans l'ouverture à la concurrence et la modernisation. Aujourd'hui, la poste française, c'est 17 000 bureaux de poste implantés sur un territoire national important et beaucoup moins compact que dans d'autres pays. Dans le plus petit village de notre pays, c'est parfois la seule activité économique, c'est aussi 300 000 postiers qui font de l'opérateur le premier employeur après l'État. Il existe dans notre pays un lien affectif puissant entre La Poste et la nation française. Les origines remontent au roi Louis XI.

Il faut noter que les syndicats postaux contestataires les plus radicaux, après chaque élection, gagnent du terrain. Le nombre de jours de grève des agents de La Poste au premier semestre 2000 représente 99 000 journées. Il s'agit d'un phénomène qu'il convient d'introduire dans notre réflexion.

Majoritairement, les parlementaires et les personnes responsables en France, reconnaissent qu'il est indispensable d'aller vers une réforme de La Poste, en s'inscrivant dans les nouvelles règles qui doivent permettre d'évoluer rapidement.

Préserver l'emploi ainsi que l'aménagement du territoire qui sont liés, et maintenir une forme de service public auquel les Français sont attachés en sont les données. Il faut du courage politique pour entamer ce genre de réforme. Le précédent gouvernement a su mener à terme la réforme de France Télécom en 1996, cette sociétisation (société anonyme de droit privé), dont le gouvernement suivant a tiré les bénéfices.

Une troisième vague de privatisations est en cours dans notre pays, le secteur gazier est lui aussi en attente de modernisation. Pour La Poste, on a l'impression que le sujet est encore tabou, d'ailleurs rien n'a été fait ou presque depuis la directive de 1997. Nous disons donc avec le sénateur Larcher : Sauvez La Poste ! Pour que la France garde toute sa place dans le paysage postal européen et mondial, il faut une révolution postale, certes pacifique, mais réelle.

Je développerai à cet égard les trois axes suivants :

- Débattre et évangéliser, je crois que le mot est approprié, sur la nécessité de la
réforme postale.

- Proposer les contours de la révolution postale.

- Moduler le rythme de la concurrence européenne.

Pour évangéliser et expliquer la nécessité de la réforme postale, il faut débattre des enjeux postaux, il importe qu'il y ait véritablement une loi postale, telle que nous la réclamons. Le gouvernement a empêché un véritable débat parlementaire autour d'une vision stratégique de l'avenir de La Poste. Nous avons provoqué un débat en séance publique au Sénat sur la proposition de directives postales de la Commission en décembre dernier Or, l'Assemblée nationale qui, en toute logique, soutient le gouvernement, n'en a pas fait, ce qui peut paraître incroyable compte tenu de l'enjeu.

Le deuxième axe, proposer les contours d'une révolution pacifique, nous le faisons avec M. Larcher par divers rapports et propositions : Il est nécessaire de sociétiser La Poste, en reprenant tout simplement le processus expérimenté avec les télécoms. La Poste a la nécessité de la consolidation du pôle financier public autour de la Caisse des dépôts et consignations et des Caisses d'épargne, pour des raisons d'organisation juridique des services financiers postaux. Il n'est pas question pour nous de séparer les services financiers de La Poste. Nous voulons seulement une modernisation par paliers, avec un calendrier. Comment mettre en oeuvre des stratégies internationales offensives de croissance externe, dans la messagerie par exemple, avec le statut que nous avons aujourd'hui ?

Je voudrais également parler du fait de moduler le rythme de l'ouverture à la concurrence européenne. La réforme postale ayant pris du retard en France, nous demandons à Bruxelles de modérer le rythme d'ouverture de la concurrence. Nous avons d'ailleurs pris position pour le périmètre des services réservés en faveur d'un compromis proche de celui qui aurait pu être adopté au Conseil des télécoms, le 22 décembre dernier. Nous avons soutenu la fronde contre les propositions de la Commission européenne derrière le gouvernement français, néanmoins nous proposons autre chose, dans nos frontières, que le seul immobilisme qui condamne notre opérateur. Entre le statu quo impossible et le marché forcé proposé par la Commission, il nous faut trouver une troisième voie qui, à la fois, consolide et enrichisse le service universel postal. L'ouverture à la concurrence et le maintien d'un haut degré d'exigence de service public ne sont pas incompatibles, mais nécessitent des aménagements spéciaux, des services réservés sont nécessaires, ainsi que la mise en place d'un fonds de service universel. Nous sommes très favorables à la mise en oeuvre du service universel.

Il y a un avenir pour La Poste à condition qu'on ait le courage de la réformer et qu'on cesse de mettre en avant des tabous qui la mettent dans une situation d'immobilisme, qui remonte à 1997.

*

* *

Débat avec la salle

M. Régis Lonchaud, secrétaire fédéral de Sud PTT

Une question à M. Bréau. Dans le transport, on voit se développer un salariat déguisé qui est de plus en plus condamné dans les tribunaux, à la Cour de Cassation. On s'aperçoit que beaucoup d'entreprises du transport ne respectent pas le code du travail et les conventions collectives. Je voudrais savoir ce qu'en pense votre fédération.

M. Alain Bréau

Je ne suis pas sûr d'avoir un avis sur cette question. Mais à l'intérieur du groupe de la poste française, sans faire de délation, savez-vous à quelles conditions un certain nombre d'opérations sont sous-traitées ?

Mme Francesca Coratel , poste italienne

La poste italienne a dû faire face à un processus de modernisation très difficile, compte tenu des conditions de départ. Les résultats sont là, mais cela ne signifie pas que la poste italienne s'équipe pour être une poste de succès, ni que ses efforts ont été faits pour être la plus compétitive. Le but principal de tous les efforts d'amélioration s'est concentré sur une amélioration de l'offre du service public, qui représente une charge importante, alors que la dimension de notre monopole fait partie des plus réduits en Europe. Le fait d'avoir une telle situation va nous aider à faire face à la libéralisation, la libéralisation ne représentant pas la solution à tous les problèmes. Les exemples de la Suède et de l'Espagne ont bien démontré qu'il y a différentes manières de décliner ce concept.

Mme Geneviève Meunier, journaliste

Un très gros client de la poste française disait qu'en l'an 2000, 7 à 10 % de ses mailings sur l'année ne sont jamais arrivés au jour J. La réponse du postier : les 35 heures. La voix syndicale européenne s'exprime-t-elle sur ce problème de distorsion sociale. Y a-t-il une réflexion aujourd'hui au niveau européen ?

M. Jacques Lemercier

Il y a une réflexion européenne sur les 35 heures, et la France a été motrice en la matière. Vue de l'extérieur, La Poste est dans d'excellentes conditions de concurrence puisque les 35 heures ont eu un coût que les postiers ont payé eux-mêmes. Il n'y a pas eu d'aide de l'État malgré les 10 ou 12 000 créations d'emplois qui ont eu lieu. Désormais, dans nos réunions internationales, nous recherchons comment arriver aux 35 heures. Cela se fera par paliers avec discussions dans les branches.

M. Philippe Thomas, ADREXO, société privée de distribution en boîte aux lettres

Y a-t-il un agenda pour la création de l'autorité de régulation postale en France ?

Mme Marie-Anne Frison-Roche

On est mis en demeure de le faire. La distinction entre opérateur et régulateur, ce qui est le grand principe constitutionnel de tous les secteurs régulés, et qui revient à créer, selon des modalités choisies, une autorité de régulation, doit être faite.

M. Alain Rouvière, FO Ariège

Je voudrais réagir aux propos du dernier intervenant et donner une information : dans mon département, l'Ariège, suite à l'ouverture du capital de France Télécom, on est passé de 230 à 120 emplois. Appliquera-t-on des méthodes similaires pour l'emploi et le maintien de l'emploi à La Poste au niveau des élus ?

M. Pierre Hérisson

L'exemple de mon département ferait la démonstration inverse quant au nombre d'emplois ! En termes d'aménagement du territoire, le maintien des emplois correspond à une réalité économique, une réalité d'aménagement et une réalité de développement. On ne maintient pas des emplois si ce n'est pas véritablement nécessaire. Aujourd'hui, globalement, l'entreprise France Télécom, société anonyme de droit privé, est une entreprise qui a fait la démonstration du maintien des salariés, et en a augmenté le nombre dans tous les secteurs où c'était nécessaire. Au bout de quatre ans, il y a une meilleure couverture de l'utilisation des moyens offerts par les nouvelles technologies, sur le téléphone national en particulier. Le souci du maintien de l'emploi, nous devons l'avoir, or, en termes d'aménagement, des points difficiles subsistent, et c'est pour cela que nous restons favorables au maintien du service universel car des secteurs auront à régler le problème par un équilibre à travers le service universel.

Question de la salle :

Les 35 heures ont été mises en place au sein de La Poste sans appui financier de l'État. Le poids des retraites se fait de plus en plus lourd et obère les capacités de développement de La Poste en France. La poste n'est-elle pas tenue par l'État de transporter gratuitement la presse ? Avant de parler de sociétisation, le rôle des politiques n'est-il pas avant tout de clarifier les relations financières entre l'État et La Poste ?

M. Pierre Hérisson

Tout d'abord une précision, la poste française ne transporte pas gratuitement la presse. Il y a un partage fait entre la contribution de celui qui demande le transport, par une aide de l'État à La Poste, et La Poste. Sur la question que vous posez, un certain nombre de parlementaires demandent une véritable comptabilité analytique de manière à assurer une transparence, puisqu'il s'agit bien d'une entreprise chargée d'un service public. Quand je parle de modernisation, c'est demander à La Poste d'avoir des exigences comptables telles que l'on puisse mesurer le problème lié aux subventions croisées ou aux aides.

Si la poste française n'a pas bénéficié des aides telles qu'elles sont prévues sur la loi de la réduction du temps de travail, il y aurait eu des compensations par ailleurs...

III. TRANSITIONS DYNAMIQUES ET INTERROGATIONS RECURRENTES

M. Gérard Larcher

Michel Barnier, ayant été retenu à Bruxelles, a transmis le message que voici.

Michel Barnier, commissaire européen, responsable de la Politique régionale et de la Réforme des institutions (message)

Je veux simplement vous dire ce que je pense des propositions de la Commission sur l'évolution du secteur postal et pourquoi je les ai soutenues dans l'état où elles ont été proposées au Conseil des ministres. Selon moi, ces propositions constituent une base de négociations, et s'en écarter serait une erreur.

Une nouvelle étape graduelle et contrôlée est nécessaire pour l'ouverture à la concurrence des services postaux, et décider aujourd'hui de leur libéralisation totale serait, à mes yeux, une erreur irréparable et inacceptable.

Pourquoi faut-il une nouvelle étape de libéralisation ? Car l'économie européenne a plus à craindre de l'immobilisme que de la concurrence, notamment dans les services postaux.

La Poste est un service d'intérêt général, c'est aussi une activité économique ; la performance des services postaux, tous opérateurs confondus, contribue à la performance de notre économie nationale et de certains secteurs, en particulier le secteur de la banque, de l'assurance ou de la vente à distance.

Au moment où nous achevons, avec la monnaie unique, le marché intérieur des services financiers, où nous tentons d'offrir un cadre favorable au commerce électronique en Europe, nous ne pouvons pas rester sourds aux demandes de ces secteurs d'amélioration des prestations, de réduction des coûts des services postaux.

Plus généralement, le second rapport sur la cohésion économique et sociale, rendu public le 31 janvier, a montré à quel point les services dont nous parlons sont désormais les principaux moteurs de la compétitivité économique. Leur développement est à la fois une condition et un indicateur du rattrapage de certaines régions en difficulté.

Or, une certaine dose de concurrence accompagnée d'exigences accrues sur la qualité des services favorise la transparence des coûts et contribue à la compétitivité des activités consommatrices ou utilisatrices de services postaux, et leur ouvre des débouchés potentiels.

Il faut donc apprécier les enjeux de l'ouverture à la concurrence des services postaux dans un cadre plus large, qui est celui du marché intérieur.

Ayant marqué mon orientation vers une nouvelle étape graduée de libéralisation, je reste fermement opposé à toute forme de libéralisation totale. Car les services d'intérêt économique général servent l'intérêt économique et dans le même temps l'intérêt général. Ils jouent un rôle dans la cohésion économique, sociale et territoriale de l'Union. C'est d'ailleurs pour cette raison que cette spécificité, cette garantie que les missions de service public puissent être respectées, est accordée ou reconnue de manière durable dans le traité de l'Union.

Voilà pourquoi je resterai attaché, au moment où se prépare cette nouvelle étape d'ouverture à la concurrence, aux cinq principes suivants :

Le premier est la différenciation entre les services d'intérêt général. La distribution du courrier n'est pas celle de l'électricité, du gaz ou de l'eau. Les transports ne sont pas les télécommunications. Chaque secteur, en fonction des évolutions technologiques, de la croissance du marché, du poids des infrastructures, de son propre rôle dans l'aménagement du territoire, se prête plus ou moins à la concurrence. On doit agir au cas par cas. Le marché postal ne connaissant pas les taux de croissance ni le niveau d'innovation technologique des télécoms, la Commission a proposé un rythme plus mesuré pour ce service.

Le deuxième principe est l'adaptabilité du service universel. L'innovation technique ne suffit pas à distinguer les activités nouvelles, soumises à la concurrence, et celles plus traditionnelles, qui seraient réservées au secteur public. C'est pour cette raison que la Commission n'a pas proposé de reconnaître le courrier hybride, préparé et transmis électroniquement à l'opérateur postal, comme une activité concurrentielle par nature.

Le troisième principe est la fiabilité du service universel. La frontière entre le service public, je pense au secteur réservé, et la concurrence doit reposer sur un calcul actualisé à chaque étape de libéralisation des activités nécessaires à l'équilibre économique du service universel.

Le quatrième principe est la sécurité juridique et économique. Les opérateurs qui veulent investir nécessitent une certaine visibilité, une certaine sécurité juridique et économique pour pouvoir décider de leurs choix et de leurs investissements.

Le cinquième principe est la garantie d'accès au service public, la charte européenne des droits fondamentaux, qui a été proclamée à l'occasion du Conseil européen de Nice, reconnaît ce principe d'accès aux services économiques d'intérêt général, tel qu'il est prévu par des législations et par les pratiques nationales. Cet enjeu de l'accès aux services postaux d'intérêt général n'est pas le même dans un pays qui compte 17 000 bureaux de poste et dans un pays qui en compte à peine un millier. Il faut garantir que l'ouverture à la concurrence n'aura pas de conséquences négatives sur l'accès aux services postaux dans les régions les plus isolées ou très lointaines.

Nous devons regarder cette question de la libéralisation sans idéologie. Oui, la modernisation des services postaux sous l'aiguillon de la concurrence est aujourd'hui nécessaire au développement de ces services, et plus largement à la compétitivité de nos entreprises. Mais cette libéralisation doit rester « graduelle et contrôlée », afin de préserver l'adaptabilité, la viabilité économique et la garantie d'accès au service postal universel sur l'ensemble du territoire.

M. Jean-Claude Larrivoire

Le dynamisme et les interrogations en suspens seront illustrés par la poste allemande. Monsieur Maschke, vous êtes directeur général de la Deutsche Post ; à voir son cours à la Bourse allemande ces derniers jours, les actionnaires privés ont des raisons d'être satisfaits de sa libéralisation partielle.

M. Walter Maschke, directeur général de la poste allemande

Je donnerai un aperçu des bouleversements dans notre domaine ces dernières années. Première phase du développement : transformation du service en société en 1990, puis privatisation en 1995. La première étape est la séparation du secteur public des activités d'affaires et des télécoms, et une gestion privée. La poste a été ensuite séparée en trois sociétés, filiales de la Deutsche Post : poste, télécoms et poste-banque. La poste et la poste-banque utilisent les bureaux de poste existants pour une stratégie concertée et pour faire des économies d'échelle.

La Deutsche Post a été lancée comme une société possédée à 100 % par l'État allemand, mais le but avoué était d'avoir très vite des actionnaires. Le succès de ces réformes repose sur la synchronisation opérée par le gouvernement tant au niveau des télécoms qu'au niveau de la poste. La Constitution allemande protège les services universels afin d'assurer un tarif uniforme et abordable, et une qualité des services. Point clé des discussions en Europe.

En 1997, le gouvernement allemand décide de libéraliser le marché et de l'ouvrir à la concurrence de manière graduelle. Par rapport à d'autres pays, nous avons adopté une position radicalement libérale. Il y avait 100 concurrents, et quelque 3000 licences ont été accordées à des entreprises, surtout des PME locales. Le processus de déréglementation a donc été accompagné de réglementations au niveau de l'État.

En 2000, nous avons eu une entrée sur le marché boursier avec une capitalisation boursière de 23 milliards d'euros, c'était la plus grosse introduction boursière de cette année-là.

Le gouvernement allemand veut une privatisation complète d'ici à 2008. Les acteurs nationaux seront les mêmes que ceux qui existent aujourd'hui dans le domaine des colis, UPS, DPD, etc. De grands bouleversements sont attendus sur les marchés locaux parmi les acteurs qui existent.

Depuis 1990, les revenus ont triplé, ils sont passés de 9,5 millions d'euros à près de 3 milliards d'euros. Nous sommes passés de 380 000 personnes à moins de 230 000 personnes sans grève ni manifestation majeure. Nous voulions absolument réduire les effectifs en période de croissance, plutôt qu'en période de pression économique. La société publique, avec son déficit considérable, s'est muée en une société privée efficace et bénéficiaire.

Le processus de transformation : de nouvelles plates-formes d'affaires ont été lancées. Nous avons uni nos forces grâce à la fusion ancienne/nouvelle économie. De nouvelles structures ont été mises en place pour les colis et pour les bureaux de poste. De nouveaux services ont amélioré la qualité afin de pouvoir atteindre une plus grande satisfaction chez nos consommateurs.

La Deutsche Post a été réinventée grâce au processus de réorganisation de nos services postaux, de 25 % l'automatisation est passée à 85 %, nous avons réduit les systèmes de triage puisque nous avons pu comprimer le nombre de centres de tri. La qualité est passée de 75 % à plus de 95 % pour les livraisons en une nuit. Le système de livraison des colis a été réorganisé, nous en avons amélioré la qualité et nous sommes devenus particulièrement dynamiques sur ce marché-là.

Deuxième phase du développement, 1998-2000. Depuis 1998, nous avons encore lancé de nouvelles plates-formes pour pouvoir atteindre de nouveaux clients, et nous préparer au moment où les licences d'exclusivité expireraient en Allemagne.

Les tendances ont permis à l'entreprise de se développer à travers des acquisitions. Tout d'abord, les services à valeur ajoutée vis-à-vis du client. Nous nous sommes concentrés sur les clients-entreprises. Nous avons pris en charge leur service de logistique. Les experts s'attendent à une augmentation de 9 % par an dans ce domaine. Nous avons offert des services de plus en plus intégrés. Nous avons également diversifié notre portefeuille au niveau géographique, ainsi qu'au niveau du portefeuille produit en quantité et en qualité.

Face à la tendance de la mondialisation, se profile une augmentation du flux d'affaires au niveau mondial et du commerce électronique, une croissance importante des envois transfrontaliers et des envois au niveau national ; par conséquent, les clients demandent des réseaux internationaux de plus en plus intégrés. Nous offrons donc des solutions personnalisées.

La mise sur le marché boursier a eu beaucoup de succès. Le volume était de 6,6 milliards d'euros, et la capitalisation boursière était de 23,4 milliards d'euros. Un programme de participation de nos employés au capital a été lancé, 60 % d'entre eux ont acheté des actions, et nous pensons accentuer cette tendance.

Voici nos résultats financiers. Nous avons atteint des records absolus puisque nous avons augmenté nos revenus de 46 %, à plus de 3 milliards d'euros, soit une augmentation de 158 % par rapport à 1999. La division exprès, elle, a augmenté de 26 %, et la logistique a doublé ses bénéfices et est devenue bénéficiaire pour la première fois. Au niveau des services financiers, il y a eu une augmentation de 178 % jusqu'à 500 millions d'euros. À ces excellents résultats financiers, rajoutons un processus de transformation radicale au niveau de la gestion de l'entreprise.

Au niveau de l'offre de produits, nous sommes devenus un fournisseur logistique global, la répartition du chiffre d'affaires par activités est visible. Notre portefeuille de produits au niveau de la logistique et des services financiers représente 66 % des revenus par rapport aux 26 % d'il y a deux ans. La proportion des revenus au niveau du courrier a donc été réduite à 34 %.

L'acquisition de DHL, de IAE... nous a permis d'étendre notre présence mondiale et d'élargir notre portefeuille de produits. Nous sommes présents dans deux cents vingt pays, c'est un complément parfait à notre réseau européen. La part de revenus internationaux, qui est passée de 2 % en 1998 à 29 % en 2000, montre cette transformation.

Aujourd'hui, nous touchons le milieu de la phase finale de notre transformation. Nous aimerions devenir les leaders au niveau de la logistique à l'échelle mondiale, avec des systèmes intégrés qui offrent tous les services, depuis la livraison des colis jusqu'au service financier. Nous avons appuyé le processus de libéralisation en Europe de manière très forte. L'Allemagne et les Pays-Bas ont les climats les plus concurrentiels de tous les marchés des services postaux en Europe.

La limite des 350 g, et la licence exclusive, telle que nous l'appelons en Allemagne, est accordée jusqu'à 200 g, et 50 g lorsqu'ils sont adressés directement. Nous avons donc appliqué avec succès les directives mises en place le 1 er janvier 1998. Nous sommes en train de discuter l'extension de certaines licences exclusives afin de ne pas créer en Europe de distorsions au niveau de la libéralisation.

Pour résumer : notre mise sur le marché boursier fut un succès phénoménal ; la Deutsche Post s'apprête à devenir le numéro un sur le marché mondial, et l'Allemagne est devenue moteur sur la libéralisation en Europe.

M. Jean-Claude Larrivoire

Merci pour ce florilège de succès. M. Christian Stoffaës est à Électricité de France, directeur de la délégation à la prospective internationale. Vous êtes aussi le créateur et le président d'ISUPE, Initiative pour les services d'utilité publique en Europe, qui regroupe une vingtaine de grandes entreprises françaises unies dans la promotion pour un concept européen de service public.

M. Christian Stoffaës, président d'Initiative pour des services d'utilité publique en Europe (ISUPE) et directeur de la Délégation à la prospective internationale à Electricité de France

Je ferai une mise en perspective de la question qui vous réunit dans le contexte plus général des services publics et de la construction européenne. Avec d'autres collègues, des économistes, des juristes, d'autres entreprises de service public, en France et en Europe, nous avons suscité en 1992, au moment de l'achèvement du marché intérieur, une structure de réflexions et d'influences pour porter la question des services publics à la réflexion communautaire et au niveau européen. Or, il y a autant de notions de service public qu'il y a de secteurs, et nous essayons de trouver des concepts communs à tous ces secteurs. Les approches nationales sont très contrastées puisque le service public est une construction institutionnelle. Il y a un clivage entre les pays à structure centralisée, comme la France, et les pays à structure fédéraliste où les services publics sont exploités, gérés et régulés au niveau régional, municipal ou local, comme en Allemagne. Il existe aussi une distinction importante entre les pays de droit romain, de droit écrit, de droit public, et puis les pays de droit libéral, les pays anglo-saxons et les pays scandinaves. Tous les pays européens ont des services publics, sans en avoir la même conception, donc, nous nous attachons à faire émerger un concept harmonisé, un concept minimal, à partir duquel peut se construire une notion européenne.

La Poste est certainement un des points essentiels. Le transport aérien est maintenant un secteur ouvert, mais a encore beaucoup d'éléments de service public, à cause des infrastructures lourdes des aéroports, de la navigation aérienne, du contrôle aérien. Les télécommunications s'éloignent du service public, mais des aspects très importants de desserte universelle demeurent.

La Poste est assez centrale parce que l'effet de péréquation tarifaire est très important : la distribution de la lettre en zone urbaine, à haute densité, coûte 1 franc, 1,50 franc, c'est-à-dire à peu près la moitié du prix du timbre actuel et, en zone rurale, elle coûterait trois fois plus cher. Si on ouvre la concurrence, si on libéralise, il y aura l'écrémage du marché, les entreprises prendront les segments les plus compétitifs, et ceux moins compétitifs comme la distribution en zone rurale seront délaissés ; si le prix du timbre est de 10 francs en zone rurale, plus personne n'enverra de courrier. Pour éviter cela, le secteur postal aux États-Unis est public. Les États-Unis, fondamentalement hostiles à toute forme d'intervention de l'État dans l'économie, ont quand même une entreprise publique qui est la poste (même si des segments sont libéralisés). Au début du XIX e siècle, la poste américaine était privée, mais le Congrès américain a décidé de la nationaliser au milieu du XIX e siècle. Il est intéressant de voir comment un pays libéral est venu à une construction de service public.

Voici un rappel historique concernant l'Europe. Pendant deux ou trois décennies, la question des services publics dans la construction européenne ne s'est pas posée. Ils étaient circonscrits dans leur territoire national ou régional. Certes, le traité de Rome de 1957, traité de libre-échange, accessoirement axé sur la concurrence, existait. Le consensus a donc engendré année après année une démarche inexorable que l'on appelle la construction communautaire. On abaissait les barrières douanières, on abrogeait les contingentements aux échanges commerciaux, mais on ne se posait toujours pas la question des services publics.

Progressivement, la mécanique communautaire a commencé à s'intéresser à ces questions. Au début des années 1980, des contestations devant la Cour de justice sont apparues. Dans le cadre des règles de concurrence, il y a eu des plaintes, des jugements, des décisions rendues par la Direction générale de la concurrence, et on a commencé à éroder la notion de service public.

Le service public relève en effet du droit national, et le marché commun n'a pas de références nationales, il dépend du droit commercial. Souvent, il a été question de règles d'exception à la concurrence, d'entreprises publiques disposant d'un monopole ou de versions atténuées du service public, ou de contrats de concession, de droits d'exclusivité, mais c'étaient toujours des atteintes aux règles de la liberté du commerce et de la liberté d'entreprise.

Au milieu des années 1980, dans les pays occidentaux, il y a eu un mouvement que l'on a appelé la révolution néo-libérale, dont l'exemple le plus frappant en Europe a été l'Angleterre de Margaret Thatcher, ce mouvement a gagné en Espagne, en Allemagne, en Italie, en France sous des formes diverses. Cela a concerné au premier chef les services publics. La notion de dérégulation, celle de privatisation des services publics résulte des changements politiques et d'orientation de l'économie. Par ailleurs, le traité de 1985, qu'on appelle l'Acte unique européen, a stipulé qu'il fallait achever le marché intérieur dans les secteurs qui en étaient exclus. Trois cents directives ont été annexées à l'Acte unique. Deuxièmement, l'Acte unique est passé à la règle de la majorité qualifiée qui a profondément changé le rapport de forces au sein du mécanisme communautaire. C'est-à-dire qu'un pays peut être contraint d'accepter une directive qu'il n'a pas votée. On est passé à un concept de pouvoir fédéral, c'est un abandon de souveraineté pour le domaine des marchés intérieurs.

À partir de là, toute une mécanique s'est mise en place. La Commission européenne a fait des concertations avec les industriels et avec les États membres, et toute une série de directives de dérégulation d'ouverture de la concurrence dans tous les secteurs concernés sont nées : les télécommunications, le transport aérien, le chemin de fer, l'électricité (elle a pris plus de temps puisque les directives datent de 1996), la poste (1998), le gaz naturel aussi. Et des problèmes et des conflits sont aussitôt apparus.

Au début des années 1990, on a assisté aux premières réactions, car dans beaucoup de secteurs, il s'agissait de véritables révolutions. Le service public était interpellé. Aujourd'hui, des compromis sont à trouver. La notion de service public européen va-t-elle commencer à émerger ?

En 1993 et 1994, des arrêts de la Cour de Justice ont été rendus, dont l'arrêt Corbeau, qui reconnaît que la notion de service public, notamment de service universel, impose des restrictions à la concurrence. L'année d'après, il y a eu un arrêt d'une commune des Pays-Bas sur le secteur électrique, enfin il y a eu le traité d'Amsterdam, et Michel Barnier, qui était ministre des Affaires européennes à l'époque, a joué un rôle important dans l'adoption de l'article 7-D, qui introduit la notion de service public au nom de la cohésion régionale, donc la notion de service universel.

C'est ainsi que la notion de service universel a commencé à apparaître dans un certain nombre de directives, notamment celles de la poste et de la communication. Une construction juridique européenne émerge donc.

Où en est-on aujourd'hui ? Les conflits sont d'actualité. Il y a trois mois, dans le secteur électricité-gaz, un incident important a eu lieu au sommet de Stockholm ; ce dernier a désavoué la Commission taxée d'aller trop vite trop loin.

Plus récemment, le Premier ministre français, dans son discours-cadre sur les institutions européennes, a indiqué clairement son souhait de demander la rédaction, l'élaboration et l'adoption d'une directive-cadre sur les services publics européens. Faire une directive sur les services publics, c'est risquer de générer un processus analogue à celui de la dérégulation, qui a duré une quinzaine d'années... Il va falloir voir comment la notion de service public s'applique à toute une série de secteurs. Un grand débat politique, social et européen va s'ouvrir, dans le contexte de l'intégration accrue du marché européen, que constitue l'avènement de l'euro. La poste, à l'évidence, en sera un des acteurs principaux.

Dernière remarque, lorsque l'euro sera instauré, le prix des timbres-poste devra s'afficher et s'harmoniser en euros, il faudra trouver un chiffre rond. Quand le prix du timbre sera le même en France, en Allemagne, en Espagne, en Italie, en Grèce, etc., la question d'après, c'est la fusion des postes européennes. Il est possible que la poste devienne, dans les prochaines années, le premier service public européen, comme il y a une poste fédérale aux Etats-Unis, qui couvre l'espace de tous les espaces fédérés.

M. Jean-Claude Larrivoire

Jacques Guyard, député de l'Essonne et président de la Commission supérieure du Service public des Postes et Télécommunications. Monsieur le Président, les directives européennes sont-elles à vos yeux compatibles avec la notion française de service public ?

M. Jacques Guyard, président de la CSSPTT, député de l'Essonne

Je souscris à tout ce qu'a dit Michel Barnier. Il s'agit de la reconnaissance d'une exigence de civilisation qui, je crois, fait le fonds de la citoyenneté européenne. Dans ce domaine, notre pays est homogène. Nous souhaitons tous la libéralisation progressive, seul le tempo varie. Il ne faut pas aller plus vite que la musique. Cette position européenne est tout à fait claire et compatible avec ce que nous attendons du service public de La Poste, elle nous aidera à aller plus vite dans la modernisation de la poste française. La poste française a actuellement besoin de savoir exactement où elle va. Nous avons une série de problèmes à régler dans l'année qui vient. Par exemple, l'absence de référents politico-administratifs communs ; en France La Poste relève du ministère de l'Industrie, alors que tous ses concurrents relèvent les uns du ministère des Transports et les autres du ministère des Finances. Le dialogue professionnel est difficile à organiser dans ces conditions.

Les points les plus importants sont néanmoins aujourd'hui en train d'avancer. Le statut des retraites a commencé à bouger dans le bon sens, avec la prise en charge par l'État d'une partie de l'héritage. Le statut immobilier de La Poste s'améliore avec la conjoncture et par la loi. Les problèmes de comptabilité analytique et de TVA doivent progresser. Si des garanties claires sont apportées aux 300.000 salariés d'un côté, aux citoyens et aux entreprises de l'autre, les discussions sont des discussions de second niveau.

Nous avons voté récemment que La Poste devait, en France, distribuer le courrier six jours par semaine, or la qualité de ce service se dégrade. Il est sûr que nous ne maintiendrons pas la qualité du service public sans un domaine réservé.

Un mot sur les services financiers de La Poste. Nous avons besoin que les services financiers de la poste restent présents et dynamiques. Je suis tout à fait d'accord pour un solide pôle financier public, mais le pôle financier est formé de trois éléments : la Caisse des dépôts et consignations, les Caisses d'épargne et La Poste, qui n'a pas la puissance capitalistique des deux autres. Son réseau existera s'il reste partie prenante du pôle financier public, et s'il en est le bras séculier proche du public. Et il est essentiel, pour La Poste, de savoir à quoi s'en tenir.

À propos des problèmes de régulation du système, tant que la concurrence reste marginale dans le domaine du courrier proprement dit, l'intérêt d'une autorité de régulation reste faible. Je souhaite que la création d'un médiateur de La Poste soit l'occasion d'une recherche méthodologique et que le débat prévu sur la loi des dispositions d'ordre économique et financier soit un vrai débat.

Un dernier mot à Walter Maschke, pour lui dire que, actuellement, La Poste signe des accords avec ses alliés méditerranéens. L'avenir de La Poste est international, il est en particulier européen, et de fait la réussite de l'Europe, ce ne sera jamais l'Europe du Sud contre l'Europe du Nord.

M. Jean-Claude Larrivoire

Gilles Guitton, directeur général de la Fédération bancaire française, vous avez beaucoup de choses à dire sur la concurrence bancaire de La Poste, qui risque d'être de plus en plus importante, et sur le fait que les banques sont peut-être le plus gros client de La Poste.

M. Gilles Guitton, directeur général de Fédération bancaire française

Tout le monde s'attend à des débats passionnels entre la profession bancaire et La Poste. Or, on oublie que nous sommes d'abord des clients extraordinairement importants de La Poste. Les quatre principales banques françaises dépensent plus de 4 milliards de francs d'affranchissement chaque année.

Nous sommes, que nous le voulions ou pas, dans une économie de concurrence et de compétitivité. Ce choix a été fait au niveau français d'une part, et à un niveau européen surtout. Dans une économie de concurrence, l'ensemble de la chaîne de production se doit d'être compétitif. C'est en ces termes-là que se pose également, à propos des services publics, le problème de leur compétitivité. Nous sommes dans un monde totalement homogène, nous participons tous d'une manière ou d'une autre au combat de la concurrence et de la compétitivité.

En tant que clients de La Poste, nous ne sommes pas satisfaits de la situation actuelle. Il serait important que nous puissions lier avec La Poste un certain nombre de partenariats plus tournés vers la productivité.

La poste allemande a démontré que les entreprises et le citoyen allemands bénéficient de son efficacité et de sa productivité, en ayant des coûts abaissés et un service de qualité. L'aiguillon de la concurrence est extraordinairement fort pour inciter à cette recherche de productivité, et nous souhaitons que La Poste se mette dans cette forme d'esprit « entrepreneuriale » en développant une véritable culture d'entreprise. Nous souhaitons avoir avec nos fournisseurs des relations très franches, mais compétitives de part et d'autre.

Le deuxième point est l'intervention de La Poste sur les services financiers. Si je regarde les graphiques qui ont été présentés par M. Walter Maschke, on voit que, dès 1990, les Allemands ont pris des mesures de clarification. Clarification en distinguant bien ce qui relevait de la poste, des colis, des services financiers qui sont trois activités différentes. Lorsqu'on parle de La Poste, on parle plus volontiers d'une structure que d'un ensemble d'activités. Or, La Poste recouvre un certain nombre d'activités à caractère économique qui ont leurs propres caractéristiques. Notre premier souci, avant de parler de concurrence, c'est que l'ensemble des banques est prêt à jouer pleinement, de manière loyale et transparente, le jeu de la concurrence. Que La Poste distribue des services financiers est un choix qui a été fait ; toutefois, elle est tenue de le faire dans des conditions de concurrence normales de transparence. Il est navrant que la directive de 1997 ait été traduite, pour sa plus grande partie, dans les textes réglementaires français, au mois de février 2001 seulement. Nous souhaitons que ce décret ne reste pas lettre morte et que nous allions de manière loyale vers une comptabilité analytique. Que signifie une comptabilité analytique lorsqu'il y a 55 % de charges indivises ? Peu de chose.

Il est impressionnant aujourd'hui de constater le mouvement de transparence. Il faut que cette transparence s'applique à tout le monde. L'ensemble des entreprises, soit en raison des nouvelles directives européennes, soit en ce qui concerne les établissements de crédits, par les stipulations du Comité de Bâle, va avoir l'obligation de dévoiler publiquement l'essentiel de son fonctionnement ; la poste doit aussi répondre à cette obligation.

N'allons pas dire que les entreprises bancaires sont des fanatiques du libéralisme sauvage. L'État comme régulateur social est sans ambiguïté l'acteur approprié. Certes, les choses doivent se faire dans des conditions données, mais il faut que les obligations soient définies de manière très claire et qu'elles soient assorties d'un financement tout aussi clair, afin d'éviter les subventions croisées de financements dont on ne sait pas d'où ils viennent et qui les alimente.

Deux mots pour terminer. Ce que nous souhaitons, c'est avoir un service qui, en matière de courrier, soit le plus compétitif possible parce qu'il s'agit là de la compétitivité des entreprises françaises. La poste doit, enfin, se soumettre à des conditions de clarté et de concurrence directe et loyale dans sa partie financière.

M. Jean-Claude Larrivoire

Au chapitre des transitions dynamiques, la Free and Fair Post Initiative représentée par Axel Rindborg, conseiller du président. Que se cache-t-il derrière cette appellation ?

M. Axel Rindborg , conseiller du président de la Free and Fair Post Initiative

Voici le discours que j'ai été chargé de vous transmettre de la part de mon président.

La Free Fair Post Initiative , officiellement lancée à Bruxelles le 23 octobre 2000, est une initiative européenne qui regroupe principalement les utilisateurs de services postaux européens, mais aussi quelques concurrents des monopoles postaux.

Avec dix sept membres, La FFPI représente plus de 4,7 millions de sociétés en Europe. On retrouve, parmi ses membres, les organisations patronales françaises, le MÉDEF, suédoises, belges, des entreprises comme le groupe Zeegler , la société américaine NPS, ainsi que des organisations sectorielles, telles que le Euro-Commerce qui est le groupement européen des entreprises de distribution.

Notre groupement est le European Publish Council qui représente les plus grands éditeurs européens. La FFPI a développé des contacts étroits avec nombre d'organisations européennes, comme le Bureau européen des Unions des consommateurs qui milite comme la FFPI en faveur d'une date finale pour la libéralisation du secteur postal.

L'objectif de la FFPI est de participer au débat sur l'évolution du secteur postal et d'y faire entendre la voix des utilisateurs de services postaux. D'une manière plus précise la FFPI défend une ouverture totale de ce marché et le maintien d'une concurrence saine et loyale.

La FFPI reconnaît toutefois que le maintien du service universel est primordial pour garantir la fourniture de services postaux de qualité pour le bénéfice des consommateurs.

Pour arriver à distinguer le mythe de la réalité, il convient de comprendre ce qui se passe dans le marché postal : sur le plan de la concurrence, il faut constater que le marché postal européen évolue à plusieurs vitesses et de manière souvent inquiétante. Certains opérateurs postaux continuent de défendre avec vigueur le maintien de monopoles, tout en abusant de plus en plus de leur position monopolistique pour limiter la concurrence sur les parties non réservées du marché. Les utilisateurs et les consommateurs souffrent de cette distorsion de concurrence, car ce sont eux qui en paient le prix. La Commission européenne essaie toutefois de les protéger en intervenant par les moyens de décisions contre ces abus.

Par ailleurs, certains opérateurs, notamment la Deutsche Post , ont déjà adopté une approche commerciale du marché. Cette évolution contribue également à créer de plus en plus de distorsions sur le marché, notamment parce que se multiplient les présomptions de subventions croisées entre le domaine réservé de monopole et le secteur concurrentiel. Le nombre de plaintes déposées par les opérateurs privés et publics, concernant des pratiques anticoncurrentielles et d'état présumés, ne cesse de croître.

Il faut donc reconnaître que le cadre réglementaire en place n'est pas en adéquation avec l'évolution du marché qui doit être encadrée. À défaut, sans une adaptation des dispositions réglementaires européennes existantes, les distorsions de concurrence vont se multiplier. Le marché sera confronté à des soubresauts difficilement maîtrisables, ce qui est en train de se passer dans le secteur de l'énergie. Or, dans ce genre de situation, la régulation des marchés est entre les mains des juges et de la Cour européenne de justice, ainsi que de fonctionnaires de la Commission à Bruxelles, qui prennent les décisions au cas par cas. Ce scénario, où l'insécurité juridique est très grande, est redoutable pour les acteurs du secteur postal et pour les membres de la FFPI, car les victimes sont les consommateurs. Seule une date butoir pour la libéralisation du marché assurera une transition graduelle et encadrée, et permettra de se préparer à la concurrence en limitant l'impact de l'ouverture, notamment en matière d'emploi.

Un autre mythe, la libéralisation, conduirait au chaos. Dans le cadre d'une libéralisation organisée, l'expérience montre qu'il n'y a pas de big bang, l'opérateur historique reste l'opérateur dominant, notamment parce que ce dernier dispose d'un réseau historique d'une grande valeur. À n'en pas douter, ce sera le cas aussi du secteur postal. Il est en effet difficile de pénétrer le marché postal car les opérateurs en place, comme La Poste, disposent d'un réseau qui leur permet d'offrir à leurs clients, privés ou sociétés, un accès à tous les Français. Cet accès a une valeur commerciale sans égale. De plus, les prestataires de service universel ont un capital sympathie important auprès de leurs clients, ainsi qu'une marque connue et des moyens logistiques colossaux. En qualité de prestataires de service universel, les opérateurs postaux, comme La Poste, sont extrêmement bien placés pour évoluer dans un marché libéralisé. C'est une réalité économique à prendre en compte.

En conclusion, la FFPI considère que le gouvernement européen doit arrêter une date butoir pour la libéralisation et encadrer ce processus d'ouverture de marché à la concurrence. L'élément primordial est la création d'une dynamique positive pour que les opérateurs se préparent à l'ouverture du marché et accordent une attention plus grande aux besoins de leurs clients.

M. Jean-Claude Larrivoire

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, nous donnera le point de vue de sa délégation et il nous dira comment il ressent tout cela à un moment où nous savons que le Conseil des ministres aura à nouveau à engager le débat sur la directive, son avenir, et devra arrêter une décision. Aurons-nous des dates butoirs ou continuerons-nous dans une certaine forme d'incertitude ?

M. Hubert Haenel, sénateur du Haut-Rhin, président de la Délégation du Sénat pour l'Union Européenne

Ces mythes et réalités relèvent souvent d'un débat de nature théologique. M. Guitton, quand vous avez parlé de comptabilité analytique, le sujet est au coeur du débat concernant le service public. Pendant longtemps, les services publics étaient un puits sans fond, et on ne pouvait pas répartir l'argent alloué en fonction des différentes missions, des différents emplois. Il est souvent très salutaire d'aborder le service public sous cet angle, car cela permet de recadrer les choses.

Pour les syndicats et pour certains ultralibéraux, la libéralisation des services publics est l'objectif final ; pour les uns c'est la fin du service public, pour les autres c'est enfin un véritable service au public. Dans le ferroviaire, on dit : il faut une libéralisation encadrée, l'aiguillon du marché et un cadre qui soit clair pour tout le monde. Dès que l'on parle de libéralisation, le concept même de service public tombe, et avec lui, le service public en tant qu'instrument puissant d'aménagement du territoire.

Le processus d'ouverture à la concurrence des services postaux est une excellente illustration des différents aspects de la problématique européenne des services d'intérêt général. La Poste est l'ancêtre de tous les services publics de réseaux, c'est aussi celui qui a poussé le plus loin la logique de péréquation tarifaire, puisque le prix du timbre est indépendant du lieu de destination et de la distance parcourue. Il s'agit là d'une différence notable avec le transport ferroviaire ou avec les télécommunications. Ce principe audacieux, conçu jadis par les monarchies européennes, a été jusqu'à aujourd'hui un puissant facteur d'unification des territoires nationaux. Dès lors, on peut se demander pourquoi une évolution des anciens monopoles postaux est apparue tout à coup nécessaire ? Deux explications sont possibles. L'une est de nature fataliste, l'autre est volontariste.

L'explication fataliste fait la part belle aux mutations techniques et économiques, autrement dit, la poste traditionnelle se trouvant confrontée à la montée en puissance du fax et d'Internet, au développement de la vente par correspondance et à l'externalisation des structures de production, il y aurait moins de lettres, mais plus de colis. Dans chaque État membre, elle est assurée par une pluralité d'entreprises privées, dont certaines ont une dimension multinationale.

Les évolutions technologiques ont également rendu possible des fraudes nouvelles, comme la délocalisation électronique de la production des envois dans un pays tiers aux tarifs inférieurs, d'où ils sont repostés vers les pays d'origine. L'explication volontariste fait la part belle à la capacité d'initiative de la Commission européenne. Celle-ci a pu imposer un début d'ouverture des monopoles postaux à des États membres qui étaient, au départ, en majorité réticents.

Comme dans d'autres domaines, cette politique de libéralisation repose sur la conviction qu'une harmonisation de la qualité des prestations des services postaux est nécessaire à la réalisation du marché unique. À terme, une productivité accrue des postes européennes apparaît comme une contribution à l'amélioration de la compétitivité mondiale de l'Europe.

Il semble que la vérité se situe à mi-chemin de l'explication purement fataliste et de l'explication volontariste. Quelle que soit sa justification, la réforme en cours comporte le risque qui serait de négliger, sous couvert de plus grande efficacité des services postaux, leur fonction irremplaçable de lien social et d'aménagement du territoire.

Je veux adopter ici un point de vue résolument positif sur la transformation des postes européennes. Cette réforme, si elle est conduite avec réalisme, peut marquer une étape supplémentaire dans la reconnaissance de la légitimité des services d'intérêt général par l'Union européenne.

La directive postale de 1997 consacre ainsi la notion de service universel. Bien sûr, certains considèrent que celui-ci est défini a minima et cantonne les postes européennes dans leur mission la plus traditionnelle qui, accessoirement, est aussi la moins rentable. Dans la nouvelle proposition de directive, adoptée par la Commission l'an dernier, l'exclusion des services spéciaux du périmètre des services réservés aux monopoles accroît le risque d'un écrémage des véritables sources de valeur ajoutée, par les nouveaux entrants sur le marché. Le service universel ne doit pas être figé sous prétexte d'être préservé. N'oublions pas qu'en droit administratif français, l'adaptabilité est l'un des grands principes du service public à la française.

Le fait que les textes communautaires admettent, au sein des services dits réservés, la possibilité de subventions croisées entre les secteurs rentables et les secteurs moins rentables marque un autre progrès. Certes, les activités concurrentielles doivent être clairement isolées, et les opérateurs sont tenus de se doter d'une comptabilité analytique, mais il me semble qu'un peu de clarté et de rigueur comptable ne peut jamais nuire à la qualité de la gestion du service public.

La possibilité de mettre en place un fonds de compensation des charges du service public universel, alimenté par les contributions de tous les opérateurs postaux, apparaît comme une innovation intéressante. C'est un moyen de concilier l'arrivée de nouveaux venus sur le marché, avec le maintien d'un certain financement pour le service public. Selon la proposition de directive, la mise en place d'un tel fonds est laissée à l'appréciation de chaque État membre et s'effectue sur une base nationale.

En outre, on peut s'interroger sur l'idée à terme de disposer d'un mécanisme de compensation à l'échelle du territoire communautaire, car dès lors que les barrières des monopoles postaux sont à l'essai, il peut paraître équitable que les pays disposant de l'avantage compétitif, à savoir un territoire peu étendu et fortement urbanisé, soient rendus solidaires des autres.

Si l'on remonte au Livre Vert de 1992, le processus de libéralisation des postes européennes est engagé depuis maintenant une décennie. Dès le début et jusqu'à aujourd'hui, il y a eu une divergence d'appréciation entre la Commission qui veut aller vite, et le Conseil qui veut ménager des temps de transition. La position du Conseil n'est que le fruit d'un compromis entre les positions tranchées des États du nord et ceux du sud de l'Europe. Plus que le rythme d'évolution du cadre réglementaire communautaire, c'est le rythme d'adaptation des opérateurs publics nationaux qui importe.

La mutation en cours de certaines postes européennes est impressionnante par rapport au retard pris par la poste française. En effet, dans un marché européen des services postaux en rapide recomposition, seules les entreprises publiques qui se transforment à temps pourront asseoir une position dominante. Ces postes les plus dynamiques auront ainsi la possibilité de rejeter sur les autres les inconvénients d'une concurrence accrue en termes d'emplois et de difficulté à maintenir une bonne couverture du territoire. La transformation du marché européen des services postaux ne sera pas un jeu à somme nulle. Il s'agit d'une activité de main-d'oeuvre qui emploie en Europe 1,7 million de personnes, dont 300.000 en France, et dont les rendements sont fortement croissants. La Commission présuppose que la contraction des effectifs des prestataires du service universel sera vraisemblablement compensée par un accroissement de l'emploi chez les opérateurs privés et les nouveaux arrivants sur le marché. Il suffirait de démontrer, compte tenu des gains de productivité probables, qu'il peut y avoir des variations importantes d'un pays à l'autre.

Enfin, la réforme des postes européennes est un enjeu essentiel pour l'aménagement du territoire communautaire. La Deutsche Post offre l'exemple d'un opérateur public qui a su diminuer considérablement ses coûts, sans trop réduire le nombre de ses points de contact avec la clientèle. Le bureau de poste traditionnel évoluera en bureau de poste vendant d'autres produits, en agence postale ouverte dans des magasins variés, en guichets mobiles dans les zones trop faiblement peuplées en France.

Pour les services postaux, l'introduction au niveau communautaire d'une dose de concurrence est un aiguillon indispensable, même si le rythme d'ouverture du marché doit rester raisonnable. Ne pas considérer la libéralisation comme l'objectif final ; pour les uns c'est la fin du service public, pour les autres c'est enfin un véritable service au public.

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Débat avec la salle

M. Philippe Thomas, ADREXO

Je m'adresse au président Jacques Guyard qui évoquait la possible nomination d'un médiateur. Y a-t-il une date prévisible à cette nomination ?

M. Jacques Guyard

La proposition est dans le texte qui va être soumis au Parlement. Il s'appelle médiateur dans le projet de loi, mais sur le contenu de la notion de médiation, le débat est ouvert.

Question de la salle

M. Stoffaës, êtes-vous pour une autorité de régulation unique pour les Quinze ?

M. Christian Stoffaës

Cette question est émergente dans certains secteurs, elle a été posée par le rapport Bangemann, dans les télécommunications. Cette perspective va changer la structure des pouvoirs, s'il y a des autorités fédérales de régulation des services publics en Europe, elles joueront des rôles très importants dans le système.

Nous avons beaucoup travaillé au sein de l'ISUPE sur ce sujet. Dans le jeu d'acteurs, les entreprises ont intérêt à ce qu'il y ait des organes fédéraux de régulation car elles ont besoin de stabilité juridique ainsi que d'un interlocuteur. Certains régulateurs nationaux ont commencé à prendre de l'importance. Pratiquement tous les pays membres, dans le cadre des directives de dérégulation, ont institué des autorités indépendantes ; leurs relations sont complexes avec les ministères, car jaillissent entre eux des rivalités. Il y a toujours l'interférence de la DG4, donc tout un climat trouble et conflictuel est en train de s'établir. Se font jour des collèges européens de régulateurs qui vont réclamer la création d'une instance fédérale ; dans l'électricité, ils se rencontrent déjà de temps en temps.

Le débat du fédéralisme européen s'annonce comme l'un des grands débats à venir.

M. Jean Besson, député du Rhône

Je voulais demander à M. Stoffaës une précision. Une des difficultés du régulateur européen, c'est qu'il est à la fois la régulation et la réglementation. Or en France, nous avons fermement maintenu la distinction entre la réglementation, c'est-à-dire le pouvoir régalien de l'État, et la régulation qui est l'arbitrage de la corporation.

M. Christian Stoffaës

En effet, qu'est-ce que le pouvoir régulateur ? Dans certains secteurs, les règles de concurrence ne sont pas suffisantes et requièrent d'être surveillées parce qu'il y a des secteurs qui engendrent des effets de monopole, que l'on appelle les monopoles naturels : une entreprise va racheter toutes les autres.

L'avantage de la compétitivité et de l'économie d'échelle est telle que la concurrence a besoin d'être surveillée. C'est cela la notion de régulation, et elle s'applique précisément aux secteurs de service public. Les Américains définissent le service public comme étant une construction qui sort de l'économie de marché, si ce n'est qu'ils le font par l'approche du droit libéral et non pas du droit régalien (ce n'est pas l'État qui décide qu'une activité est service public).

La régulation est ce qu'on appelle quelquefois le quatrième pouvoir, parce qu'elle procède à la fois du pouvoir législatif, qui fixe les lois, du pouvoir réglementaire, qui fixe les règlements, et du pouvoir judiciaire, qui rend des arbitrages sur des cas particuliers. Cela pose donc des problèmes constitutionnels assez particuliers du fait que ce pouvoir déborde sur les compétences du Parlement, du gouvernement et du juge.

IV. QUELLES STRATÉGIES POUR LA POSTE FRANÇAISE 2000-2010 ?

M. Gérard Larcher

Le problème de la poste française est un problème posé à la société tout entière, et aux politiques qui la gouvernent.

M. Jean-Claude Larrivoire :

Gilles Savary, député européen, vous qui tenez à distinguer la mission de service public et l'entreprise qui la sert, la Commission européenne manque-t-elle de réalisme à ce sujet ?

M. Gilles Savary, député européen

Je vais plutôt faire le témoignage de ce qui se passe au Parlement européen, vu du côté parlementaire.

Premièrement, la France irrite beaucoup, jusqu'à l'incommunicabilité, en matière de service public, et elle se trouve dans un état de très grand isolement. Pour différentes raisons, nous sommes l'un des derniers pays à avoir des services publics pyramidaux, qui associent le service public à l'entreprise publique et au statut public.

Deuxièmement, la France, si dynamique soit-elle, lorsqu'il s'agit de passer aux « travaux pratiques », résiste ; elle est soupçonnée de vouloir faire du protectionnisme larvé, tout en affectant, dans les traités et dans les débats européens, une volonté de constitution du marché à l'extérieur. Donc, ce paradoxe irrite.

Troisièmement, nos services publics marchent plutôt bien, contrairement à ce qu'il se passe dans d'autres pays, qui peuvent avoir de véritables problèmes en matière d'entreprises publiques.

Enfin, dans bien des domaines, nous sommes géographiquement charnières, et par nos résistances nous dressons contre nous des pays qui pourraient être des alliés naturels, les Italiens, les Espagnols ou les Portugais. Certains dossiers en empoisonnent d'autres, et les résistances françaises sont considérées comme des obstacles à la continuité, en particulier à la mobilité des biens et des personnes.

Donneurs de leçons, nous sommes cependant présents sur tous les marchés. L'exercice de style pratiqué par la France est le suivant : protectionnisme à l'intérieur, mais compétition à l'extérieur. C'est vrai pour EDF, c'est vrai pour La Poste, c'est vrai dans pratiquement tous les domaines pour lesquels on résiste à l'intérieur. Il y a donc une très grande incompréhension qui transcende les clivages : à gauche, nous sommes isolés à l'intérieur de la gauche. Le clivage Nord-Sud, avec d'un côté les Latins ouverts au service public, et d'un autre les Anglo-Saxons qui ne concevraient le service public que par des entreprises privées n'existe plus.

Concernant La Poste, la plupart vous disent qu'il ne faut pas de débat dogmatique. Or, nous avons clairement le sentiment que la Commission a eu une approche dogmatique, pour ne pas dire intéressée. Des lobbies nationaux très forts et très puissants sévissent à Bruxelles, par exemple le lobby néerlandais qui pilote toutes les directions pour la poste ; il ne faut pas considérer que la position néerlandaise est seulement libérale, elle est aussi nationale. Ce pays, champion de logistique, se trouve trop à l'étroit dans ses frontières, et a besoin d'aller chercher des marchés à l'extérieur.

J'en viendrai à ce que disait le sénateur Haenel tout à l'heure, ne prenons pas la Suède comme canon de ce qui pourrait se faire en matière postale. Or, la Commission prend la Suède comme canon de ce qui doit être fait en matière postale. Bien que l'ayant demandé, nous n'avons jamais réussi à obtenir une évaluation des étapes premières de la libéralisation... Toutefois, les conséquences indéniables en Suède sont les suivantes : baisse des prix pour les entreprises, augmentation pour les usagers, rétraction du réseau. Aux Pays-Bas, il y a une journée de moins de distribution, on est à cinq jours sur sept, et en France on est à six sur sept. Quant à l'impact social, on parlait précédemment de 1,7 million d'emplois...

On est donc sur l'approche de la Commission en matière de service public. La Commission a mandat sur les traités. Les traités, c'est 80 % en code de la Concurrence. Aujourd'hui, on ne peut pas reprocher à la Commission de mettre en avant le marché intérieur, on peut peut-être critiquer les États de ne pas améliorer progressivement les traités et le contenu de l'Europe.

Par ailleurs, la Commission raisonne en termes de services d'intérêt général qui ne figurent pas dans les traités ; ne figurent dans les traités que les services d'intérêt économique général. C'est une nuance non négligeable. Son sujet est de dire : les services d'intérêts général doivent être accessibles à tous. On s'aperçoit qu'à 95 %, le marché est accessible à tous, parfois même avec un prix inférieur au prix pratiqué lorsqu'il n'y a pas de marché.

On parlait tout à l'heure du lien social, y a-t-il un réseau ou pas ? En tout état de cause, la directive proposée est extrêmement dure. Au-delà des dates de libéralisation, je suis d'accord pour considérer que La Poste aujourd'hui est ambivalente. D'une part, elle est une entreprise ; elle est déjà dans un environnement concurrentiel ; de ses prestations dépend en grande partie l'efficacité de notre économie. Elle est présente sur tout le territoire et offre, à certains endroits, des services irremplaçables qui décident de la déshérence totale ou non, de ces dits territoires. Or, le texte nous demande de réduire au minimum le service universel, ce qui voudra dire que la question du financement du réseau est posée. On ne peut pas réduire au minimum le service universel et maintenir un maillage aussi important.

Enfin, on nie le principe d'adaptabilité du service universel puisqu'on enlève beaucoup de services, dits services spéciaux. Finalement, le service public postal ne concernerait plus que l'antique lettre...

Le Parlement européen, avec une majorité dépassant très largement les clivages, a amendé et refusé le texte du commissaire Bolkestein. Sur la plupart de ces problèmes sensibles : niveau du service universel, adaptabilité, progressivité de la libéralisation, une grande partie des libéraux européens est venue à notre rescousse parce que la question territoriale se pose de façon accrue pour tous les élus. Malgré tout, le commissaire Bolkestein refuse l'ensemble de ces amendements. L'affrontement est plus idéologique qu'il n'y paraît.

On en vient naturellement à s'interroger sur le statut du service public au sein des traités de l'Union. Pour ma part, je suis pour une Europe intégrée, donc un marché postal unique, alors que nos résistances françaises aimeraient un marché unique de la poste, à condition qu'il y ait une conception du service public partagée et que l'on puisse, à l'intérieur de cet ensemble postal unique, faire prévaloir un cahier des charges du service universel qui soit communément admis.

C'est la très grande controverse et la très grande question non résolue. Une question extrêmement lourde concernant la poste demeure. Le service universel n'a pas le même coût aux Pays-Bas ou en Grèce. Si on propose un « costume prêt-à-porter », l'écrémage des marchés est irréversible : bagarre féroce en France sur les grandes entreprises et sur les grandes agglomérations, et, naturellement, déperdition de la présence postale en zone rurale ou augmentation de prix pour cause de rentabilité. Or, nous voulons à la fois que la poste française se coltine à la concurrence, et que soit préservé ce qu'il y a d'essentiel dans les missions postales, en termes de cohésion territoriale surtout.

M. Jean-Claude Larrivoire

Jean Besson, député du Rhône, membre de la Commission supérieure du Service public des Postes et Télécommunications. Quel est, selon vous, la stratégie pour la poste française dans les dix années à venir ?

M. Jean Besson, député du Rhône, membre de la CSSPPT

Cette table ronde inspire un certain nombre de questions, et j'en retiendrai trois différentes en importance et en ordre.

La première concerne le terme de stratégie. C'est un terme souvent utilisé par La Poste. La stratégie est un ensemble de manoeuvres en vue d'un objectif précis : la victoire. Les invités rassemblés ici ont des démarches différentes, divergentes selon que l'on s'entretient du courrier, des colis, de l'exprès, des services financiers ou de l'assurance. Est-il possible de construire une stratégie d'entreprise globale et cohérente, dès lors que l'on se met à raisonner par branche ou par métier, en perdant assez largement de vue la véritable raison d'être de La Poste, le service aux femmes et aux hommes, citoyens ou simples habitants, voire même simples visiteurs de ce pays.

Deuxième point, faut-il utiliser le terme d'évolution, de révolution ou de réforme ? Par rapport à la stratégie, il faut choisir et fixer les objectifs. Je n'ai jamais cessé depuis des années de dénoncer le mythe du changement au seul motif de la modernisation, de l'adaptation à d'autres concepts. Il peut y avoir deux raisons pour vouloir changer les choses : soit les choses vont mal, on a du mal à atteindre les objectifs auxquels on tient ; soit on a décidé de viser d'autres objectifs ou d'ajouter de nouveaux objectifs aux anciens. Aujourd'hui, personne ne peut nier la nécessité de faire évoluer La Poste, ni la nécessité de soigner les modalités d'articulation entre les différentes postes, au niveau européen notamment.

L'objectif de ceux qui font la promotion de cette réforme serait-il par hasard d'améliorer l'indice de satisfaction des clients usagers des services postaux ? Cela signifierait que la santé de La Poste est très mauvaise, or est-ce bien exact ? Je n'imagine pas non plus qu'il s'agisse d'une attitude purement dogmatique du culte libéral, puisque le grand exemple mondial du libéralisme, les États-Unis, a pris le contre-pied de cette démarche.

Cette stratégie serait-elle alors faite pour développer de l'emploi ? Mais aucune expérience n'est probante dans ce sens. Je ne vois plus guère qu'une seule justification : la concurrence fait baisser les prix. La Commission européenne peut-elle confirmer que l'objectif de la réforme est de faire baisser le prix du timbre ? Pardon à ceux qui ont parlé de révolution ! La libéralisation ne devrait pas être une religion économique. Encore faut-il savoir où l'on veut aller.

À La Poste, ça devrait être d'autant plus facile de travailler dans l'intérêt général et pour des missions de service public qu'il s'agit d'une entreprise publique. La Poste exerce plusieurs métiers au sein de la maison mère, et souffre d'un manque d'autonomie réelle. Le choix des priorités étant fait par l'État, contrôlé par le Parlement dans le cadre de la réglementation communautaire. Si ces priorités vont à l'encontre de ce qu'aurait visé un entrepreneur normalement soucieux d'accroître la rentabilité de son entreprise, elles deviennent des contraintes qu'il faut assumer. La politique de l'emploi et le maintien ou non du statut du personnel, ainsi que l'aménagement du territoire peuvent être des objectifs de premier rang.

Je voudrais qu'on aille peut-être plus loin dans le problème financier. Il y a des points que nous devrons prendre en compte prochainement, au niveau de la loi. Certains de mes devanciers en ont parlé. En ce qui concerne la réglementation, le régulateur et le réglementeur sont très différents, et j'insiste beaucoup là-dessus.

Selon Churchill, auquel je me rallie, un bon politicien est celui qui est capable de prédire l'avenir et ensuite d'expliquer pourquoi ça ne s'est pas passé comment il l'avait prédit.

M. Jean-Claude Larrivoire

La stratégie pour les dix années à venir, telle qu'elle est vécue par un responsable syndical de La Poste, Patrick Bourgeois, secrétaire fédéral de la CGT-PTT. Que représente votre centrale syndicale au sein de l'ex-PTT devenue La Poste ?

M. Patrick Bourgeois, secrétaire fédéral de la CGT-PTT

La CGT représente plus de 33 % à La Poste, et elle est la première organisation syndicale, puisque la deuxième arrive à 19 %, les autres se tenant à 18 et 17 %. Donc la CGT représente une force, elle sait que les défis à relever ne se feront pas avec la seule organisation CGT.

La CGT est un acteur avec son autonomie de réflexion, et de proposition et d'action. Depuis deux décennies aux PTT, les ministres socialistes ou radicaux alternent avec les ministres de droite, mais sans alternative politique. La communication d'entreprise relaie le même discours : la concurrence est fatale, la soumission aux exigences du marché est inéluctable. La seule différence entre eux serait que certains accepteraient plus que d'autres de négocier quelques aspects du calendrier, et des modalités d'alignement sur le marché.

On le sait, la déréglementation, qu'elle soit frontale ou graduelle, favorise le remplacement du monopole public par le monopole privé, et se traduit par la même brutalité dans ses conséquences, en particulier sur l'emploi. Derrière la déréglementation, il y a les multinationales et leurs exigences de domination culturelle, économique et politique. Dans tous les pays où la déréglementation sévit, l'activité du service public est démantelée, écrémée par les entreprises privées qui encaissent les bénéfices, tandis que les usagers, devenus clients, sont sélectionnés en fonction de leur solvabilité financière, et le personnel découvre précarité et chômage.

Pour nous, il existe une politique pour maîtriser la mutation technologique actuelle au profit des citoyens, de leurs besoins par l'aménagement équilibré du territoire, l'accès de tous à tous les services, y compris ceux liés aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, le développement de l'emploi, de la recherche et de l'industrie nationale.

Alors, quelle stratégie pour la poste française pour les dix années à venir ? Il y a d'abord une question clé qui est celle du droit à la communication. Aujourd'hui, le droit à la communication est un des droits essentiels pour vivre libre, travailler, échanger et se cultiver. Donc la communication est un droit et pas une marchandise. La Poste a un rôle tout à fait essentiel dans le domaine démocratique pour faire circuler de l'information. L'évolution des technologies n'est pas en soi révolutionnaire, tout dépend de l'usage qu'en font les peuples. La Poste reliera encore pour longtemps « Les hommes entre les hommes ».

Pour exister véritablement, le droit à la communication suppose une logique de service public. L'avenir de La Poste est dans l'affirmation de son identité, de sa différence, elle est un service public. Elle dispose d'un réseau, de capacités de modernisation et d'adaptation, et jouit aussi d'une grande confiance dans l'opinion publique.

Le président de La Poste affirmait lui-même, dans un récent discours, qu'il ne veut pas de la banalisation de La Poste. Dire que La Poste n'aurait pas de projet industriel pour développer ses activités serait inexact. La question est : pour quoi faire ?

La Poste est confrontée évidemment à l'ouverture du marché, à l'explosion des nouvelles technologies, au passage à l'euro où le choc peut être brutal, en particulier dans le domaine bancaire et celui des assurances.

L'Europe est le relais des politiques nationales de libéralisation des services publics. Quand on parle de libéralisation, de déréglementation, on pense à France Télécom. La situation évolue dans la même direction à La Poste avec, certes, un peu de retard sur le calendrier parce que le taux de rentabilité n'est pas de même nature qu'aux télécommunications, et qu'il reste pour le capital, notamment en France, des problèmes complexes à affronter, comme l'emploi, la présence en zone rurale, la cohésion sociale, et aussi car il y a des luttes associant les usagers et les élus locaux avec des couleurs politiques très diversifiées.

La Poste, aujourd'hui, agit comme une multinationale sans qu'elle ait besoin de changer de statut. Elle a une stratégie de groupe en utilisant la marque « La Poste » pour redéployer ses activités, c'est la haute valeur ajoutée vers ces filiales regroupées au sein de trois holdings, centrées chacune sur les trois coeurs de métiers de la poste : courriers, colis logistiques, services financiers. En cela, on peut dire que La Poste a un projet, une stratégie de développement, mais au prix d'une politique d'externalisation de ses activités de la maison mère vers ses filiales, au prix d'une politique de changement de nature de l'emploi. Elle utilise ces sociétés holdings, GO Poste étant le fer de lance pour procéder aux opérations de rachats, prises de participation à des alliances avec des opérateurs privés et des postes européennes, sans que nous, organisations syndicales, ne soyons informés de tout ce qui se passe à ce niveau. Les critères marchands prévalent sur ceux du service public, le vidant progressivement de sa substance.

Les impacts de cette logique marchande et financière conduisent à briser l'originalité de notre service postal en France, celle de la liaison étroite entre la situation des personnels et les services rendus à tous les usagers. C'est pourquoi nous combattons les multiples restructurations en cours à La Poste. Nous combattons aussi l'idée de réduire le service public à un service improprement baptisé universel.

La CGT agit pour une alternative fondée sur une nouvelle efficacité économique et sociale. Pour nous, le service public doit rester une référence de progrès social, celui-ci est directement lié au développement de ses activités, à son statut, au recrutement de fonctionnaires, ses garanties collectives, ses niveaux de rémunération, sa protection sociale et j'ajouterai le droit de revendiquer, le droit de grève.

Dans les prochaines années, La Poste va voir disparaître le tiers de ses effectifs avec les départs à la retraite, 100.000 agents vont partir d'ici à 2009. Anticiper sur ce processus par le recrutement de fonctionnaires dans tous les métiers est bien un enjeu stratégique pour transmettre les savoirs, le passage de relais, si on veut assurer la pérennité de La Poste et le développement de ses activités.

La modernisation sociale à La Poste, comme dans les autres secteurs en France et en Europe, passe obligatoirement par une politique de l'emploi offensive, anticipative, intégrant formation, reconnaissance des qualifications, garantie collective élevée, droits nouveaux pour les salariés.

La Poste doit être un moteur pour l'industrie française et la recherche pour construire des coopérations en France, en Europe, dans le monde, sur les normes, les services, les produits.

La Poste et les autres postes européennes offrent des capacités importantes d'emplois dans tous les secteurs de l'économie. Si les enjeux postaux sont devenus prépondérants dans la construction de l'Europe, cela nous ramène à la même question : pour quoi faire ? L'Europe, c'est 18 millions de chômeurs et 55 millions d'exclus, car sa construction est soumise à la logique des multinationales. La solution n'est pas dans un subtil dosage entre l'économie de marché et la société de marché. Ce qui est urgent, c'est de démocratiser la gestion de La Poste, de la rendre transparente, de respecter et d'étendre les droits des salariés pour développer une véritable logique de service public pour répondre aux besoins de tous les usagers.

La démocratisation est la réponse à la désétatisation et à la privatisation. La participation des personnels et des citoyens usagers à la gestion et à la définition des stratégies, telle est l'issue neuve qui pourrait être poussée, jusqu'à l'autogestion. Naturellement, c'est à l'opposé des combinaisons étatico-bruxelloises actuelles. De nouveaux critères de gestion de service public, combinant efficacité économique et sociale, sont à inventer.

Moins que jamais, le service public n'est un mythe dépassé. C'est une réalité résolument moderne pour relever les défis de notre temps. Le droit à la communication est un enjeu de société, et pour le syndicalisme, il a un rôle essentiel pour relever ce défi. C'est en ce sens que la CGT proposera à son prochain congrès fédéral son adhésion à l' Union Network International , l'UNI.

M. Jean-Claude Larrivoire :

En septembre 2000, La Poste signait un accord avec Fedex, leader mondial du transport exprès. La filiale Chronopost allait travailler main dans la main avec le géant américain. Richard van Bruygom, vous en êtes le directeur général pour la France, comment se passe cette collaboration ?

M. Richard van Bruygom, directeur général France chargé des opérations de Fedex

Elle se passe très bien, malgré des problèmes de début de partenariat. Entre la filiale de Chronopost et la filiale de Fedex à Roissy, il y a une très grande coopération. Il faut dire que les liens qui unissent Fedex à la France sont multiples.

Notre compagnie est installée en France depuis 1992, l'année où nous avons déplacé le centre de transit de Bruxelles à Paris. En 1993, Fedex a décidé, au terme de nombreuses études d'évaluation, d'implanter son bureau européen à Roissy CDG, en raison de la situation exceptionnelle de l'aéroport en France et en Europe. Nos installations représentent un investissement conjoint avec notre partenaire Aéroport de Paris qui devrait atteindre 1,4 milliard de francs en 2006.

Aujourd'hui 1350 salariés travaillent pour nous, et Fedex prévoit un total de près de 3000 emplois directement et indirectement liés aux activités de l'entreprise. Ce chiffre ne tient pas compte des 350 salariés travaillant en province, un nombre lui aussi appelé à croître dans les années à venir.

En janvier 2001, nous avons passé un accord avec Chronopost, au terme duquel Fedex et La Poste transportent l'un pour l'autre leurs frets respectifs. Les clients de Chronopost International peuvent disposer du réseau Fedex pour acheminer leurs envois dans le monde entier. Tandis que les clients habituels de Fedex peuvent bénéficier des services et du réseau du groupe de La Poste, plus particulièrement de sa filiale GO Poste.

Fedex, la plus grande société de transport exprès dans le monde, connecte un ensemble de pays représentant 90 % du PIB du monde, livrant à domicile en 24 à 48 heures, dédouané et garanti de remboursement. L'offre de Fedex permet à l'équivalent de 80 % du PIB de l'Europe et à la très grande majorité de la Communauté européenne des affaires de disposer d'une heure d'enlèvement des produits entre 18 et 20 heures, soit la limite extrême de la journée de travail. Les colis sont livrés avant 10 heures 30 partout où cela est possible.

Les services de messagerie sont souvent appelés intégrateurs parce que nous intégrons la plupart des fonctions du fret traditionnel aérien. Nous avons bâti notre réputation sur le fait que nous assurons l'enlèvement, la livraison et le dédouanement des marchandises qui franchissent les frontières.

Les clients reçoivent également des services à valeur ajoutée, tels que le suivi de la marchandise grâce au vaste service de réseau Internet de Fedex ou à l'aide d'un logiciel spécialisé, fourni gratuitement par la compagnie. Initialement spécialisé dans le petit colis et les documents, Fedex transporte aujourd'hui les marchandises de tous gabarits. La livraison exprès est un moteur de la globalisation de l'économie et aussi un outil indispensable au développement du commerce économique. Les sites Internet Business to business ou Business to consumer doivent pouvoir s'appuyer sur les services rapides et fiables d'un transporteur exprès, pour pouvoir répondre à la demande des consommateurs dans un délai toujours plus courts entre le passage de la commande et la livraison.

Fedex permet des livraisons intereuropéennes et intercontinentales ainsi que les services qui les accompagnent, rendant les entreprises françaises et européennes plus compétitives dans l'économie mondiale.

Fedex est membre de l'Association européenne de l'exprès, et soutient les positions de l'EEA au niveau européen.

Je voudrais par ailleurs aborder certains points évoqués au cours de cette table ronde. En premier lieu, Fedex pense qu'une date butoir pour la libéralisation des services postaux en Europe doit être fixée, afin que les opérateurs publics puissent s'y préparer, mais aussi afin que les acteurs privés aient une certaine visibilité en ce qui concerne leur projet d'investissement. Cette visibilité à moyen terme nous est nécessaire pour innover, pour offrir toujours plus de nouveaux services à nos clients et créer de nouveaux emplois.

Je voudrais rappeler que Fedex et les autres intégrateurs ne sont pas des adversaires du service public postal. À ce titre, nous pensons que le réseau postal joue un rôle important en matière d'aménagement du territoire et d'infrastructure de communication dans les zones rurales. Je sais que cette question est très importante en France, notamment pour les élus issus de zones rurales ou isolées. Nous sommes convaincus que cette mission de service public ne sera pas remise en cause par la libéralisation des services postaux en Europe. Nous souhaitons qu'une définition claire soit apportée aux services spécialisés et aux services publics postaux afin d'éviter que ne se mette en place une réintégration dans la sphère des services publics postaux, des activités de services spéciaux, comme les services exprès. Nous souhaitons que puisse se mettre en place des règles de concurrence homogènes dans les secteurs de services spécialisés. À ce titre, nous nous préoccupons des systèmes de subventions croisées qui ne garantissent pas des conditions de concurrence égale dans le secteur exprès et les secteurs spéciaux.

La libéralisation des services postaux en Europe encouragera l'amélioration des services postaux universels. Les développements technologiques plaident en sa faveur. En effet, la convergence des nouvelles technologies de l'information, des activités postales et logistiques traditionnelles se fait à vitesse accélérée depuis quelque temps, et va dans le sens d'une amélioration des services aux entreprises et aux particuliers.

Les accords de partenariat passés par Fedex avec Chronopost en France et la poste américaine prouvent qu'une complémentarité est possible. L'accord sur les transports passé avec la poste américaine, qui doit prendre effet en septembre 2001, offrira aux clients de la poste américaine le sérieux, la fiabilité et la qualité du service aérien exprès de Fedex. Tandis que les clients Fedex, eux, bénéficieront de l'implantation du réseau des bureaux de la poste américaine. Une fois encore, le public gagnera en choix et en flexibilité.

Je terminerai en disant que la libéralisation du service postal européen constitue à la fois un défi, mais également un formidable élément de développement dans la croissance économique en France et en Europe.

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Débat avec la salle

Question de la salle

Suite aux propos de MM. Savary et Besson, ne pourrait-on pas demander la mise en place d'une évaluation par des organismes neutres et indépendants. Car les chiffres énoncés par les uns ou les autres semblent contradictoires ?

Très sincèrement, je crois qu'il serait utile d'y voir un peu plus clair, et seul un organisme indépendant peut nous permettre de savoir à quoi nous en tenir.

M. Gilles Savary

Une très large majorité de parlementaires européens font la demande de cette évaluation. Elle était prévue dans la directive précédente, mais n'a jamais été fournie. Si l'usager représente l'avenir des services publics, l'évaluation des services est nécessaire. Il est vain de se renvoyer des modèles, l'important est de savoir si le service est correct, et à partir de là, procéder aux ajustements qui sont inéluctables.

M. Raphaël Crinier, élève de l'École nationale supérieure des Postes et Télécommunications

Puisqu'elle semble être au centre des débats, on peut se demander à qui cette libéralisation est profitable. En écoutant M. Bourgeois, elle ne semble être profitable ni aux usagers ni même aux salariés. Selon M. Maschke, elle ne semble profiter qu'à la Deutsche Post Worldnet company . Dans ces conditions, sous couvert de directives européennes, certaines grandes compagnies postales européennes ne cherchent-elles pas à se développer à l'international ? Ma question sera double et s'adressera plus particulièrement à M. Savary. Ne peut-on considérer comme légitime que la poste française fasse encore quelque temps du protectionnisme, tant que le champ et le financement du service universel ne sont pas réellement définis ? Est-ce que l'issue de cette libéralisation n'est pas entre les mains de lobbies à Bruxelles ?

M. Gilles Savary

On ne peut pas porter d'accusations de cet ordre-là, mais ce qui est clair, c'est que la France se porte volontiers sur les marchés des autres et qu'elle refuse que l'on se porte sur le sien. Cela ne sera pas tenable longtemps...

Deuxièmement, je suis de ceux qui pensent qu'on appelle libéralisation ouverture, on ne peut vouloir l'Europe et la cadenasser de frontières, y compris virtuelles. Notre discours est extrêmement schizophrène. Dans le domaine du transport, par exemple, les camions passent, les trains pas. Un cheminot italien n'a pas le droit de tirer un train sur la France, résultat : ce sont les camions qui passent parce que l'Europe de la route existe.

Je pense que la poste française a vocation à être un des opérateurs européens. À partir du moment où la géographie se dilate, il ne peut plus y avoir de monopole. Si les frontières françaises disparaissent dans un ensemble de marché unique, on ne peut pas soutenir qu'on a un monopole, sinon on remet des frontières. La Poste doit se positionner dans un ensemble concurrentiel.

Le débat sur le service public est à mener à l'intérieur des différents marchés, le marché ferroviaire, le marché postal... Et tout ceci demande une clarification. C'est la raison pour laquelle je demande un délai dans la libéralisation postale, plutôt qu'une résistance obstinée.

*

* *

M. Jean-Claude Larrivoire

Monsieur Bernard Siouffi, délégué général de la Fédération des entreprises de vente à distance, la FEVAD, êtes-vous satisfait des services de La Poste et qu'avez-vous à nous dire aujourd'hui ?

M. Bernard Siouffi, délégué général de la Fédération des entreprises de vente à distance (FEVAD)

Je suis le porte-parole des clients-entreprises. Il est important que vous sachiez ce qu'ils pensent et ce qu'ils ont à dire sur la libéralisation du service postal, entre mythes et réalités.

Les clients que je représente sont les entreprises qui vendent à distance, et les entreprises qui font du marketing direct. Leurs deux activités portent vraisemblablement l'avenir de La Poste, puisqu'elles représentent près de 80 % de l'activité. Il s'agit d'un client qui dépense 9 milliards de francs auprès de La Poste, et, si on prend le monde du marketing direct, environ 17 milliards. Dans certaines entreprises, ces coûts sont le premier coût de l'entreprise.

La vente à distance est un monde plébiscité par plus d'un foyer sur deux chaque année. Aujourd'hui, elle s'exprime bien sûr dans les produits, dans les services. On vend à distance dans le monde de la banque, des assurances, des livres, des disques, du textile, et les tendances de la vente à distance sont les tendances porteuses de la vie moderne, aussi bien en termes de distribution qu'en termes d'utilisation des nouvelles technologies. La vente à distance a été créée par les technologies et prospère grâce à chacune des technologies. Sans la technologie, on ne sait ni gérer un fichier clients, ni téléphoner, ni faire d'Internet, or, demain, le mariage des télécommunications, de l'informatique et de l'audiovisuel à travers la télévision interactive sera un moyen de commerce.

Commerçant, je ne rajouterai pas de choses définitives sur les débats, si ce n'est que l'activité postale est très importante pour moi.

La Poste porte, sinon nos espoirs, l'ensemble de nos investissements commerciaux à travers les catalogues, les mailings, la presse également. Elle porte nos transactions, c'est-à-dire nos commandes, nos paiements. Il faut savoir que plus d'une commande sur deux est passée par courrier, même en 2001. Plus de 52 % des Français qui achètent à distance le font à travers un moyen de commande postal. Même si 40 millions de porteurs ont des cartes bancaires, plus de 40 % paient également par chèque. La Poste porte l'aller, le retour, elle distribue pratiquement la totalité de nos messages, sans quoi, on n'arriverait pas à vivre. Et elle assure la distribution des colis, même si l'activité est en secteur hors réservé actuellement.

Selon moi, La Poste a de très grandes forces et quelques faiblesses : sa présence historique sur le territoire français, et sa motivation, même si sa culture est quelquefois éloignée de la culture des entreprises, notamment en matière de continuité du service.

Les besoins des professionnels de la vente à distance et du marketing direct sont simples. Il s'agit d'adapter l'offre à leurs besoins, et à cet égard, nous avons au fil du temps éprouvé la nécessité de changer, par exemple, le nom de nos plis commerciaux : De « pli non urgent » de troisième catégorie, nous sommes passés à « poste impact ». L'intitulé est la partie la plus visuelle, mais on avait besoin de déclaratif paquet. Aujourd'hui, on peut affranchir informatiquement, par déclaration, on peut aussi adapter les tarifications linéaires, etc. On peut effectivement mettre en place des organisations produits à tous égards, et La Poste a beaucoup travaillé en ce sens. Les entreprises ont besoin de visibilité tarifaire car elles font des budgets, des plans à deux ou trois ans. La qualité des services est très importante.

Nous sommes demandeurs d'un service universel, car l'ensemble du territoire français doit être desservi de la même façon. Dans le débat du service universel, il y a le débat du service réservé, dont le périmètre doit être harmonisé et calibré au niveau européen.

Les professionnels agissent sur l'adaptation de l'offre, sur la visibilité tarifaire, sur la qualité de service qui, dans les quinze dernières années, ont beaucoup évolué. S'agissant de l'adaptation de l'offre, j'ai évoqué l'évolution produits. S'agissant de la visibilité tarifaire, j'évoquerai le contrat de plan, et sur la qualité de services, je fais allusion aux engagements contractuels de qualité, visant éventuellement à compenser financièrement les défaillances, quitte à demander aux entreprises une organisation spécifique avec des accords spécifiques, à partir d'un panel reconnu et neutre, etc.

La libéralisation est un phénomène qui nous concerne peu ; néanmoins, nous considérons la libéralisation comme une évolution passant par plus d'adaptation au marché, plus de concurrence. Alors, pourquoi la refuser ?

Nous souhaitons que La Poste devienne un prestataire, un fournisseur comme les autres, avec des relations normales et des relations de contractualisation. Pour nous, la stratégie de La Poste n'a pas d'alternative, elle doit contractualiser l'offre, le tarif, la qualité de services, pour fidéliser ses clients.

M. Jean-Claude Larrivoire

Parmi les activités de La Poste, l'acheminement à prix raisonnable de la presse et la stratégie espérée. Nous écoutons Nicolas Clément, président de la Commission des affaires postales de la Fédération nationale de la presse française.

M. Nicolas Clément , président de la commission des Affaires postales de la Fédération nationale de la presse française

J'ai intitulé ma présentation : Presse-Poste, la longue marche vers la relation-client. Le statut de la presse est assez particulier.

Trois grands points. La presse est un acteur singulier, même s'il est en voie de normalisation. Le chiffre d'affaires postal de la presse, aide de l'État incluse, est proche de celui de la VPC, et représente plus de 5 milliards de francs.

Deuxième point, la presse, et notamment la presse quotidienne, a ses propres exigences. Sa « date de péremption » est la plus courte parmi celles de tous les produits, ce qui est bénéfique pour l'ensemble du réseau puisqu'il est tiré vers le haut en termes d'exigence. La presse est une activité structure pour l'activité courrier de La Poste.

Troisièmement, c'est un acteur singulier, car c'est un rassemblement d'entreprises hétéroclites, avec des tailles très différentes, qui ont des parts d'abonnement et des périodicités diverses, puisque cela va du quotidien au trimestriel. À cet égard, les besoins, les attentes et les tarifs ne sont pas les mêmes. C'est un ensemble dont l'hétérogénéité même est un garant du pluralisme de la liberté dans notre pays.

La presse participe largement de la citoyenneté, notamment par le développement des idées et des libres opinions. L'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme le confirme. De ce fait, le service public est dans l'obligation de distribuer la presse par La Poste, et cela induit une subvention élevée de l'État (1,9 milliard par an), qui est constante en francs courants. Il faut noter qu'il n'y a pas eu d'interruption depuis le 16 avril 1930, si ce n'est durant la période de Vichy. Cela dit assez clairement pourquoi et comment il y a un rapport entre aide de l'État et fonctionnement de la démocratie.

La conséquence plus diffuse de cette singularité est que, parfois, La Poste a quelques difficultés à considérer la presse comme un client « normal ». Ajoutons à cela qu'historiquement, la presse était très atypique, puisqu'elle ne payait pas, ou peu. Avant les accords Galmot de 1996, on estimait qu'il y avait trois tiers sur le prix de livraison d'un journal : un tiers payé par les éditeurs, un tiers par l'État par sa subvention et un tiers par La Poste. Le tiers payé par La Poste est contestable, mais ce qui l'était moins, c'est la participation non négligeable de La Poste.

Par ailleurs, La Poste est un acteur en voie de normalisation grâce aux accords Galmot de 1996 qui ont été pleinement appliqués de part et d'autre. Ces accords préconisaient une augmentation en francs constants de 50 % des tarifs d'affranchissement pour la presse, jusqu'à la fin de l'année 2001. Pour beaucoup d'entre nous, c'est le fournisseur le plus important. Le fournisseur principal a augmenté de 50 %. Et ceci a concerné l'ensemble de la presse, y compris la presse quotidienne, cette augmentation a été encore supérieure (100 %) sur les titres « légers » (moins de 70 g et urgents). Dans le même temps, la presse a amélioré ses routages.

En contrepartie, La Poste a abattu 1,5 % de ses tarifs pour gains de productivité, déduction faite de l'inflation, chaque année. D'autre part, elle a assoupli considérablement la réglementation face aux besoins des annonceurs. Dans les journaux, la publicité comportait des réglementations. Il était normal que la presse, étant totalement aidée ou très largement, cette aide s'accompagnât de contraintes. L'aide venait à la fois de l'État et de La Poste. La part de La Poste disparue, les contraintes s'en réduisirent d'autant. Ce fut d'ailleurs bénéfique pour La Poste.

Fin 2001, deux constats sont à faire : la presse paie le juste prix de sa distribution, aide de l'État incluse ; la qualité s'est beaucoup dégradée, notamment à cause du passage aux 35 heures. Les problèmes postaux de ces derniers temps touchent beaucoup plus qu'auparavant le facteur, qui est incontournable.

La qualité se décline sur trois plans : la qualité perçue, la qualité mesurée et la qualité de l'information.

La qualité perçue a été exécrable fin 1999 et début 2000, très médiocre au quatrième trimestre 2000, et ne semble pas devoir être indemnisée. Les effets sont déplorables sur la relation client. Tous les jours, nos abonnés réclament, beaucoup préfèrent de fait passer au kiosque. Or, le kiosque rapporte moins d'argent que l'abonnement. Nous perdons leur fidélité et dépensons beaucoup de temps et d'énergie à tenter de les récupérer.

Concernant la mesure de la qualité de la réception, depuis avril 2000, la SOFRES fait enfin ce travail de mesure, prévu depuis 1992 dans les accords presse-Poste-État...

Quelques chiffres, pour montrer la médiocrité de la qualité. La situation est désastreuse pour la presse non urgente : 65 % seulement des publications étaient distribuées au jour attendu, qui n'est pas le jour de distribution, entre avril et décembre 2000. Pour la presse magazine urgente, 20 % ne sont pas distribués à temps, et pour la presse quotidienne nationale et régionale, 5 à 6 %.

Les mesures ci-dessus doivent cependant être affinées pour être plus opérationnelles, car elles ne permettent pas de faire de distinctions par département et par jour de livraison. Il y a un problème de transparence d'informations dans les relations avec La Poste.

Enfin, il est capital que La Poste indemnise quand elle est fautive.

Que souhaiterait-on pour l'avenir ? Je rappelle que la presse paie son juste prix. Deuxièmement, la concurrence apparaît possible. Libéralisation ou pas ? Des alternatives existent, mais plus explicitement dans les zones peuplées.

Un grand quotidien du matin est passé en portage de 5600 exemplaires à 43 000 en quatre ans. Donc, il y a des alternatives fortes. Le 13 juin, lors des grèves de fabrication des journaux, une grande partie d'entre eux est passée sur Internet, c'est aussi une alternative. Troisième point, les hausses tarifaires très fortes des TS3 des années 1990 se sont traduites par un blocage des tarifs de La Poste.

Le service postal actuel est une forme de service minimal qui doit être tenu, et dont la qualité doit s'améliorer. C'est vrai pour la livraison des journaux et pour la livraison des courriers de prospection et de relance qui doivent pouvoir se faire sans surclassement tarifaire. Pratique courante depuis quelques années si l'on veut obtenir la qualité escomptée. Les mensuels passent en tarif urgent pour arriver dans les temps, les non-urgents arrivent hors des temps à 35 %... Des titres expédient leur relance de réabonnement en tarif urgent, car les TS3 n'arrivent pas dans les temps, et surtout leurs délais sont trop longs et trop aléatoires.

La Poste doit avoir une obligation de résultats et non plus de moyens. Il faut une mesure améliorée par famille de presse, selon la périodicité, par département et par jour. Il faut dès 2002 et non pas 2003 et 2004, une fixation d'objectif sur chacun de ces critères, et d'indemnisation automatique.

L'État intervient beaucoup dans notre relation, et je suggérerais qu'il y ait un système de bonus-malus qui soit lié à la qualité de la prestation de la presse, c'est-à-dire que l'aide de l'État soit valorisée si La Poste fonctionne bien, ou l'inverse.

Amélioration de l'existant, transparence réelle et complète sur la situation actuelle de la distribution. Aménagement du contrat commercial (il faut qu'il soit applicable à toutes les dépenses que font les groupes de presse ; actuellement, il n'est applicable que sur nos envois de courriers ; nos envois de journaux ne bénéficient pas de contrat commercial). Un système stable aussi dans le temps.

Au-delà du service minimal actuel, on a besoin de choses supplémentaires, telles que des éditions régionales, des livraisons le dimanche, des livraisons plus tôt le matin.

M. Jean-Claude Larrivoire

Je passe maintenant la parole à Jean-Claude Lechanoine, président de la Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurance.

M. Jean-Claude Lechanoine, président de la Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurance (AGEA)

J'interviens en tant que président d'AGEA, la Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurance. À ce titre, je suis le porte-parole des intermédiaires et je crois pouvoir faire preuve de plus d'objectivité que ne pourrait le faire une organisation de consommateurs ou la Fédération française des sociétés d'assurance.

Petite anecdote, l'Europe, en ce qui concerne l'assurance, a vraiment envie de bannir le système de bonus-malus.

Aujourd'hui, les agents nationaux d'assurance, 15 000 en France, sont les premiers opérateurs sur le marché d'assurance dommages et ont des opérateurs sur le marché d'assurance vie. Nous distribuons sur l'ensemble du territoire, des produits d'assurance dommages, des produits d'assurance vie, des produits financiers, nous sommes très représentés, voire sur-représentés, dans les zones rurales et semi-rurales, et le sommes beaucoup moins dans les grandes agglomérations.

Les trois quarts de nos clients sont des particuliers. Un quart de notre chiffre d'affaires est représenté par les professionnels au sens large : commerçants, agriculteurs et PME.

En 1997, nous nous sommes clairement opposés avec Groupama, le Crédit agricole et les Mutuelles sans intermédiaire au projet d'accord entre La Poste et les AGF pour distribuer de l'assurance dommages. Ensuite, au moment de la négociation du contrat de plan, nous avons fait en sorte que cela soit reporté au prochain contrat de plan, qui arrive à échéance en fin d'année.

Notre opposition relevait de notre inquiétude de voir bouleversé le secteur de l'assurance en général. Les agents généraux qui, avec leurs collaborateurs, représentent aujourd'hui 50.000 personnes en France, soit un quart des effectifs totaux de l'assurance française, souhaitent un respect par La Poste des conditions de concurrence normales, tout cela dans le respect de la liberté du commerce. Nous voulons une égalité de traitement fiscal entre les différents opérateurs et des conditions de concurrence équitables.

Aujourd'hui, La Poste est le deuxième réseau de distribution de l'assurance-vie en France. Sa filiale Assurposte avec la CNP fait un chiffre d'affaires supérieur à 40 milliards de francs, soit 6 % du marché français. La Poste, c'est 17 000 points de vente, plus de 6000 conseillers financiers. C'est un chiffre d'affaires, en ce qui concerne les services financiers, d'environ 25 milliards, c'est-à-dire un quart du chiffre d'affaires de La Poste. Ce sont 28 millions de clients et 45 millions de comptes. L'encours vie et capitalisation est supérieur aux livrets A et B en l'an 2000, et depuis 1999, l'assurance santé est distribuée.

Les agents généraux, que je représente, s'inscrivent tout à fait dans une logique de marché. Il faut savoir que le marché de l'assurance en France est de loin le plus concurrentiel d'Europe, notamment pour tout ce qui concerne les particuliers. Il faut rappeler qu'en France, en dehors des agents généraux qui sont les premiers intervenants sur l'assurance dommages, il existe des mutuelles sans intermédiaire, des banques, il subsiste des réseaux salariés, il y a de la vente directe et une quantité d'autres nouveaux opérateurs. C'est une situation unique en Europe. Nous sommes particulièrement vigilants et nous le resterons pour tout ce qui concerne le respect des règles de la concurrence.

Aujourd'hui, même s'il y a quelques avancées (la comptabilité analytique), nous considérons que La Poste a encore des avantages concurrentiels sur nous (l'abattement sur la taxe professionnelle, sur les taxes foncières, etc., au nom de l'aménagement du territoire). Une forte inquiétude demeure quant à l'éventualité de la distribution d'assurance dommages ou la vente d'assurance multirisque habitation par La Poste.

La Poste contribuerait à finir de déstabiliser un secteur où le nombre d'intervenants est déjà très important, et ne cesse de s'accroître car arrivent les concessionnaires automobiles, la grande distribution, la vente à distance, pour la simple raison que les produits sont de grande consommation.

Ce marché de l'assurance dommages en France est un marché à croissance très lente, c'est un marché de simple renouvellement. C'est un marché dur, quasiment saturé dans certains cas. Le niveau de prix en France, en assurance automobile, est d'environ la moitié du niveau de prix allemand ou italien, du simple fait de la concurrence.

L'assurance dommages, aujourd'hui, ne représente plus que 24 % de la collecte de primes d'assurance en France. Les trois quarts de la collecte se font autour de l'assurance dite de personne, au sens large.

Les agents généraux sont de petites entités économiques très représentées dans les zones rurales et semi-rurales. 22 % sont en dehors de toute zone d'attraction urbaine et contribuent, à ce titre-là, à entretenir un tissu économique et social important. J'ai entendu l'expression « lien social » tout à l'heure, cela nous va très bien, nous le pratiquons tous les jours.

On a une démarche de prise en charge globale des familles, notamment à l'occasion des catastrophes naturelles. La Poste, en amplifiant son activité d'assurance, ne doit pas ruiner d'autres entreprises. L'État doit jouer un rôle de régulateur. Ce qui est relativement difficile car l'État est aussi l'actionnaire ou la tutelle de La Poste.

La Poste a un statut mi-public, mi-privé, qui lui confère des avantages mais qui lui coûte cher. Son manque de transparence nous heurte dans un contexte de concurrence. Nous avons du mal à nous représenter ce que nous avons à gagner de l'arrivée d'un intervenant aussi important que La Poste.

M. Jean-Claude Larrivoire

C'est l'une des inquiétudes exprimées dans la journée, il y a eu aussi des reproches et des regrets. On a entendu par ailleurs des discours triomphants de représentants des postes européennes. M. Martin Vial, président de la poste française, comment va La Poste ? Où va-t-elle ?

M. Martin Vial, président de la poste française

La poste française va bien, mais vu l'accélération du processus actuel, nous ne pouvons pas faire du sur-place.

Je voudrais d'abord dire très modestement que nous avons à faire face à quatre principaux défis dans la décennie qui s'est engagée. Nous y apportons des réponses par quatre choix stratégiques majeurs, sous réserve que l'équilibre de notre environnement et les conditions de développement du secteur soient maintenus au plan européen et que, nous-mêmes, nous fixions un certain nombre de conditions pour assurer la réussite dans ce développement.

En ce début de siècle, le premier défi est l'internationalisation de nos activités. Autrefois, il fallait faire du Paris-Lyon, aujourd'hui il faut faire du Paris-Madrid. Les blocs sont tombés, c'est la mondialisation, mais c'est surtout l'internationalisation de nos clients. M. Siouffi rappelait l'importance de son secteur professionnel dans l'économie postale. Notre premier client, qui est un grand groupe de vente par correspondance, réalise plus de 60 % de son chiffre d'affaires en dehors de notre territoire. Ce client nous demande aujourd'hui de l'accompagner en dehors de nos frontières sur les activités courriers et sur les activités colis. Nous nous devons de répondre au défi d'internationalisation au risque de disparaître derrière les grands groupes internationaux qui se constituent autour de nous, et qui prendront progressivement la valeur ajoutée de La Poste et ses marges. Je refuse ce scénario.

Deuxième défi, il est lié à l'évolution de l'économie. Dans le domaine du courrier, nos clients sont d'abord des entreprises (90 %). Ces clients veulent des réponses simples, globales, intégrées et de qualité. Ce défi-là est donc celui de la pluriactivité et de l'intégration de services, car aujourd'hui, la plupart des grandes entreprises externalisent tout ce qui n'est pas dans le coeur de leur métier, et cette externalisation les amène à demander de plus en plus de solutions clés en main sur de la prestation de service à caractère logistique, au sens générique du terme. C'est une analyse qui a été faite par nos grands concurrents. Les Allemands, il y a seulement trois ans, étaient inexistants dans le domaine de l'exprès à l'étranger, dans le domaine de la logistique ; et même sur leur marché intérieur, ils étaient très faibles dans l'activité colis.

Troisième défi, celui de la déréglementation dans le secteur du courrier. Nous sommes face à un défi historique parce que les postes ont été, depuis un siècle, construites sur des monopoles nationaux et domestiques. Naturellement, le débat qui s'est ouvert dans les années 1990 autour du Livre Vert, puis la directive postale de 1997 et depuis 2000, la proposition d'une marche vers la libéralisation totale engagée par la Commission, est un défi majeur.

Je voudrais faire quatre remarques sur la question de la déréglementation et de la libéralisation. Effectivement, il faut bien dire que le débat économique n'a pas eu lieu, parce qu'il faut nous expliquer, dans un mécanisme de libéralisation totale, comment un opérateur qui doit acheminer du courrier six jours sur sept, va pouvoir assurer le prix du timbre unique dans des conditions économiques non déficitaires. En d'autres termes, la libéralisation, c'est l'écrémage sur les grandes villes puisque vous faites d'autant plus de profit sur votre activité que vous avez un nombre d'objets élevé par point de remise. De ce point de vue-là, l'affirmation consistant à dire que le coût de distribution en zone rurale ne serait pas plus élevé qu'en zone urbaine contredit tous les modèles économiques postaux.

Deuxième débat majeur, bien connu dans les télécommunications, celui du droit d'accès. Est-ce que les concurrents auront un droit d'accès au réseau de distribution des opérateurs historiques ? Ces questions-là n'ont pas été traitées à Bruxelles, et nous restons sur des généralités.

Troisième remarque, c'est le fonds de compensation. J'ai été président d'une Chambre syndicale du transport aérien, je sais comment fonctionnent les fonds de compensation dans le secteur aérien. Ils fonctionnent mal parce que les fonds de compensation sont forcément voués à une paupérisation des opérateurs qui doivent maintenir des missions de service public, tout simplement parce qu'ils sont financés par les concurrents, dont le seul intérêt est de limiter leur financement au fonds de compensation.

Enfin, dernière remarque, le débat sur l'économie du secteur, c'est aussi le débat sur ce qui relève du service sous monopole ou non. Je voudrais rappeler que sur le secteur de la presse, nous ne sommes pas sur un monopole, tout le monde peut distribuer la presse. La Poste est soumise à une obligation de service, dont il est dit que l'ensemble des coûts, s'il n'est pas couvert par les tarifs, est couvert par une subvention. Le débat sur la façon de financer les missions de service public n'a pas eu lieu à Bruxelles.

Le secteur postal est un enjeu industriel majeur. D'ailleurs, si autant d'acteurs veulent la libéralisation du secteur, c'est précisément parce qu'il y a de l'argent à gagner. Le secteur postal fait plus de 500 milliards de chiffre d'affaires au plan européen. Il est normal que les intérêts économiques ou industriels de nos amis de TPG ne soient pas strictement les mêmes que ceux de la poste française, ou de la poste allemande, chacun a son histoire.

Encore une remarque, il s'agit d'un enjeu international. À propos de la libéralisation, nous sommes à front renversé par rapport aux États-Unis. Dans le domaine des télécommunications, du transport aérien, du transport, la vague de déréglementation est venue des États-Unis. Dans les discussions OMC, c'est la Commission européenne qui demande l'ouverture du marché américain...

Dernier débat, l'enjeu sur la qualité de service. Certes, la libéralisation a pour objet de l'améliorer, mais n'oublions pas qu'en quatre ans, dans le cadre des accords que nous avons signés entre opérateurs postaux, cette qualité de service a augmenté de 20 points sur le trafic international. Au sommet réunissant les présidents des postes européennes, nous avons continué de nous fixer une amélioration des objectifs accrue de qualité de service probante.

Quatrième défi, celui des nouvelles technologies. De mon point de vue, Internet est un défi de substitution sur le courrier physique. D'ici à la fin de la décennie, 40 % de la facturation sera faite probablement par voie électronique, c'est une part très importante de notre chiffre d'affaires et, en même temps, c'est une formidable opportunité de développement du marketing direct, y compris par voie physique, et de développement du colis à travers le commerce électronique.

Face à ces quatre défis, quatre choix majeurs. Premier axe stratégique, nous installer de façon définitive comme un groupe multimétiers unitaire. La Poste, ce n'est pas seulement le courrier. Sur les 16 milliards d'euros de chiffre d'affaires (106 milliards de francs) réalisés en l'an 2000, le courrier représente 10 milliards d'euros, les services financiers près de 4 milliards d'euros, et le colis un peu plus de 2 milliards d'euros. Nous avons d'ores et déjà une activité assez largement diversifiée. Il semble qu'il y ait un contresens quand on pense que La Poste, lorsqu'elle va à l'étranger, ne s'ouvre pas sur son propre marché intérieur. Nous allons à l'étranger sur l'activité colis, mais nous sommes totalement ouverts sur le marché du colis qui est libre et en concurrence sur le marché français.

La diversification, c'est aussi poursuivre l'extension de nos activités de services financiers qui représentent une part très significative de notre chiffre d'affaires, et aussi une part importante de l'utilisation de notre réseau de bureaux de poste. Les services financiers utilisent assez largement les bureaux des 17 000 établissements que nous gérons.

À propos de l'assurance, les positions exprimées par ce secteur économique sont compréhensibles, mais le climat a changé dans le domaine de l'assurance. Aujourd'hui, les banquiers font de l'assurance avant même les assureurs, et nous sommes passés d'une phase de séparation entre activités bancaires et activités d'assureurs, à une phase où l'économie de la banque assurance s'installe. À cet égard, des conditions devront être prescrites.

Deuxième axe stratégique, acquérir la dimension internationale, dont nous avons annoncé les ambitions il y a un peu plus de deux ans. Nous avons abouti au résultat attendu de figurer parmi les trois premiers opérateurs du colis en Europe, puisque nous représentons aujourd'hui plus de 10 % du marché européen du colis, à la fois par des acquisitions et par des partenariats. Un accord stratégique a été signé avec la poste italienne pour unir nos moyens sur le marché du colis en Italie et en Europe, sur le marché du colis rapide et de l'exprès. Un accord de même type, visant à développer et à mettre en commun nos moyens en Espagne, sera signé à Madrid. Une structure commune existe et sera amplifiée par la mise en oeuvre des participations croisées sur nos activités colis, dans le cadre d'un partenariat stratégique à long terme.

Troisième axe stratégique, l'intégration de nouvelles technologies dans notre offre de services. Historiquement, nous avons su transporter du courrier physique, aujourd'hui, nous entendons transporter du courrier sous toutes ses formes : courrier physique, courrier hybride et courrier électronique.

Plusieurs opérateurs, dont MM. Besson et Savary, ont évoqué la question sur l'identité de La Poste. Notre quatrième choix majeur est effectivement de faire en sorte que nous sachions garder notre originalité. La Poste a vocation de créer de la richesse et, en même temps, de contribuer à l'intérêt général. Telle est la difficulté et l'originalité de La Poste. Notre responsabilité est de pouvoir le faire de la meilleure façon, mais nous sommes jugés sur des performances de contribution au bon fonctionnement de la société et, en même temps, sur des performances économiques que nous demande l'État à juste titre, parce que nous sommes une entreprise, parce que nous avons un compte de résultat, parce que nous avons des clients pour lesquels nous devons assurer de la qualité et des prix les plus compétitifs.

Pour terminer, signalons qu'il y a des conditions incontournables à la réussite des quatre choix stratégiques majeurs qui viennent d'être évoqués. Premièrement, la clarté dans nos comptes à travers une comptabilité analytique de plus en plus irréprochable, parce qu'il faut que les règles de transparence jouent de façon réciproque. Je rappelle que notre groupe comporte aujourd'hui deux cents sociétés consolidées. Nous avons cherché à respecter de plus en plus ces règles prudentielles dans le secteur de l'assurance ou dans le domaine bancaire. Lorsque nous avons créé Efiposte, Assurance Poste (agréée par la Fédération française des sociétés d'assurance), Sogéposte, nous avons fait en sorte que ces filiales soient soumises aux règles de contrôle du secteur bancaire, du secteur des assurances ou de la COB.

Je voudrais dire que la seconde condition est bien évidemment le dialogue social. En effet, La Poste est d'abord une entreprise de main-d'oeuvre. Plus de 80 % de notre valeur ajoutée est représentée par des charges de personnels. C'est 300 000 personnes. Nous sommes la plus grosse entreprise en termes de taille de personnel en France. La stratégie de La Poste doit s'élaborer avec et pour son personnel. Nous avons décidé, dans le renforcement du dialogue social et malgré des débats et des aspirations qui peuvent être contradictoires, d'ouvrir un cycle de discussions avec les organisations syndicales sur les grandes conditions de développement industriel et économique de La Poste des prochaines années, et sur ses métiers. Nous tâcherons de faire converger toutes les idées sur nos métiers courrier, services financiers, colis, sur l'intégration des nouvelles technologies. Par ailleurs, d'autres propositions ont été lancées. Tout cela nous permettra de répondre à ces défis. Les débats sur la libéralisation dans le domaine du courrier, sur les questions statutaires des entreprises en charge du service public, ou encore sur le développement et les capacités de développement sur ces activités, pourront se nouer à la fois en interne et en externe.

CONCLUSION DU COLLOQUE

M. Gérard Larcher, vice-président du Sénat, sénateur des Yvelines

En conclusion de nos débats sur l'avenir des postes européennes, il convient tout d'abord de se souvenir qu'à Lisbonne il y a eu un accord unanime des Quinze pour poursuivre la démarche de nouvelle réglementation postale engagée depuis plus de dix ans. La traduction française « dérégulation » pourrait laisser croire à un mode d'organisation sans règles, alors qu'il existe des règles nouvelles ; il ne s'agit pas de la naissance d'une quelconque société débridée.

Par ailleurs, il m'apparaît que l'enjeu postal est d'importance pour les pays de l'Union européenne. Sommes-nous capables de construire des opérateurs de taille mondiale, au bénéfice de nos économies nationales et de l'Europe ? Pouvons-nous affirmer que La Poste saura être un acteur majeur dans une économie mondialisée, une chance pour l'économie française et européenne, tout en préservant les valeurs essentielles du pacte républicain, qui sont : le service public, l'aménagement du territoire et le service bancaire de base ?

La Commission européenne et la France n'ont pas toujours eu les mêmes positions sur le dossier postal. Néanmoins, trois demandes très fortes émergent. La première exige de clarifier l'avenir en opérant au niveau communautaire un arbitrage politique, afin de donner une visibilité prospective à tous les acteurs. Quel est l'arbitrage politique acceptable ? Cette décision reste une vraie interrogation.

Deuxièmement, comment assurer une plus grande transparence des comptes postaux, comment défendre des activités telles que les services financiers, tout en trouvant un équilibre avec d'autres acteurs du territoire ?

Troisièmement, comment garantir les droits des personnels et des opérateurs exposés au changement ? Les entreprises postales sont, en effet, d'abord des entreprises de main-d'oeuvre. A l'intérieur de ces entreprises, la réalité humaine, avec la richesse dont elle est porteuse, ne peut être niée.

Il apparaît qu'il y a globalement un blocage très fort entre les tenants de la libéralisation et les tenants d'une libéralisation plus prudente. Ce blocage autorise-t-il la programmation dès maintenant d'une ouverture totale à la concurrence ?

Enfin, une question majeure, Monsieur le Ministre : qu'en est-il de l'autorité de régulation et du régulateur ? Le futur médiateur postal a-t-il vocation a exercer ce rôle ? Les propos tenus par mes prédécesseurs laissent penser que le changement postal peut faire peur, et en même temps ne doit pas faire peur. L'évolution de la poste allemande peut rassurer et inquiéter, car au croisement des deux courbes, il y a une courbe de bénéfice et une courbe de personnel. Il y a une courbe de marché et de croissance de marché. La difficulté de l'exercice d'un opérateur qui est en train de devenir mondial est perceptible ici.

Un autre enseignement : La Poste, même pour les plus libéraux, n'est pas une entreprise comme les autres, elle a un rôle territorial, un rôle de lien social. Cependant, sa spécificité ne doit pas devenir un alibi pour l'immobilité.

Autre interrogation : qu'en est-il du service universel européen ? D'un système qui intégrerait davantage les peuples ? Rappelons le relatif isolement de la France par rapport à ses autres partenaires dans l'affirmation d'un concept de service public. Nous devons, d'une part, faire acte de pédagogie, mieux expliquer les valeurs qui fondent le pacte républicain pour tenter de les faire partager, et, d'autre part, être en mesure d'imaginer que d'autres formes d'organisations ont pu sceller des pactes de nations.

Nous avons tous noté un indéniable engagement de La Poste dans une démarche clientèle et on ne peut que s'en féliciter. Par ailleurs, je voudrais dire à la presse que sur La Poste pèse une part de charges qui ne sont pas compensées et qui viennent du transport des journaux vers leurs lecteurs. Il est important pour La Poste de participer à l'expression démocratique en transportant la presse mais elle ne saurait en assumer une part excessive du coût dans un contexte concurrentiel. L'évolution des accords Galmot exigera beaucoup de transparence et d'objectivité, dans l'intérêt tant de la démocratie que de la presse.

Enfin, une grande question : Peut-on être chez nous protectionnistes, et conquérants chez les autres ?

Merci à tous.

ALLOCUTION DE CLÔTURE

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'Industrie

Tout au long de la journée, les mythes et réalités du secteur postal en Europe ont été évoqués. Je voudrais à mon tour vous livrer ma propre vision de ces mythes et réalités, et je voudrais, pour la clarté et la commodité de mon exposé, opposer à trois mythes, trois réalités très prégnantes et, à mon avis, évidentes.

D'abord, nous avons le mythe des postes en déclin ; face aux nouvelles technologies, il y a l'internationalisation des échanges. J'oppose à cela la réalité de postes qui peuvent utiliser ces évolutions comme des réservoirs de développement.

Au mythe d'une poste française en repli, j'opposerai la réalité de quatre ans de croissance et de dynamisme. Au mythe d'une volonté européenne de libéralisation à tout-va du secteur, j'opposerai la réalité d'un Parlement européen et de ses décisions, et d'un large ensemble d'États membres décidés à faire prévaloir un service public dynamique, efficace, solidaire, un service public qui évolue, mais qui ne quitte pas les valeurs sur lesquelles les postiers, et avec eux les Françaises et les Français, l'ont construit.

Ce sont ces réalités, ancrées dans la vie économique, nourries d'un dialogue régulier avec les dirigeants de La Poste et avec son personnel, qui sont les nôtres depuis quatre ans.

Tout d'abord, le développement des échanges et les nouvelles technologies sont un moteur de croissance nouveau pour les postes européennes. Le ministre de l'Industrie, que je suis, perçoit quotidiennement la réalité de la « nouvelle économie », que je préfère appeler l'économie du savoir ou de la connaissance. Elle n'a jamais été pour moi un phénomène purement boursier ou sectoriel, mais une révolution qui touche tous les secteurs économiques et donne une nouvelle approche de la relation avec la clientèle par la fidélisation, que permet une offre de plus en plus sur mesure. Elle implique aussi de nouvelles relations avec les fournisseurs, avec les sous-traitants, une nouvelle manière de produire et de vendre. Les postes se trouvent au coeur de cette évolution, et je suis particulièrement satisfait que, dès le contrat d'objectifs et de progrès signé en 1998 entre La Poste et l'État, nous ayons pu faire du développement de La Poste dans la société de l'information, une de nos priorités.

La Poste a d'ailleurs pris une longueur d'avance au plan européen avec les 1000 bornes d'accès à Internet, y compris dans les tout petits villages ruraux. Les bureaux de poste connaissent bien cette fréquentation d'Internet à partir de ces 1000 postes.

Je citerai aussi la création de la lettre suivie, le développement d'une offre complète de service au cyber-marchand, le lancement des services Postecs qui permettront des échanges électroniques sûrs à l'échelle internationale. C'est donc une nouvelle poste que nous avons en face de nous : innovante, moderne, projetée dans l'avenir.

Le développement des échanges offre aux opérateurs postaux des potentialités de développement nouvelles pour la livraison de produits. Toutes ces entreprises européennes ont pris la mesure de ces enjeux. L'enjeu, c'est de constituer des réseaux capables de transporter des objets à une échelle européenne et mondiale. C'est la réalisation du marché antérieur, entreprise depuis 1992 par l'Union, qui trouve ainsi une matérialisation physique. Là encore, dans le cadre du contrat d'objectifs et de progrès, la poste française construit sérieusement son avenir. Elle s'est affirmée en quelques mois comme l'un des trois premiers opérateurs de colis en Europe. Deuxième opérateur en Allemagne, quatrième au Royaume-Uni, leader en France, présente dans une quinzaine de pays européens, disposant d'un accord commercial, que j'ai encouragé avec l'intégrateur Fedex. C'est un motif de satisfaction qui doit conduire La Poste à poursuivre dans cette voie, elle est aujourd'hui le premier opérateur de l'Union européenne par son trafic, elle est le deuxième par son chiffre d'affaires, elle a donc de très sérieux atouts pour son développement.

En premier lieu, les mythes : celui du déclin inéluctable des postes a ainsi été pulvérisé. Je vais maintenant m'attacher à détruire le second, celui d'une poste française en repli. La poste française va beaucoup mieux qu'il y a cinq ans. Cinq chiffres illustrent ce propos. De 1996 à 2000, le chiffre d'affaires de La Poste a augmenté de 18 milliards de francs, soit 5 % de croissance annuelle pour atteindre, en 2000, 105 milliards de francs. En 2000, les résultats de La Poste sont positifs pour la quatrième année consécutive avec 945 millions de bénéfices. 24 milliards de francs ont été investis sur quatre ans, soit deux fois et demi de plus que sur les quatre années précédentes. Le poids des frais financiers du groupe a été divisé par deux depuis 1997 par rapport à la capacité d'autofinancement. Le prix du timbre n'a pas augmenté, j'en ai pris la décision il y a quelques années, et nous nous maintenons sur ce cap, conformément d'ailleurs au contrat d'objectifs et de progrès, signé en juin 1998, alors que le prix du timbre avait augmenté de 7 % entre 1993 et 1996. Je voudrais en profiter pour dire combien nous sommes satisfaits du travail des personnels de La Poste et des dirigeants.

Réussite belle, magnifique, que j'explique par quatre facteurs. D'abord la capacité de La Poste à se projeter dans l'avenir, celui de nouveaux potentiels de développement, celui de la recherche, de la satisfaction des attentes de ses clients. La Poste incarne un peu l'excellence du service public. La relation qui s'établit entre le public et les postiers est affective et profonde. C'est ce capital que La Poste doit toujours mieux mobiliser au service de la modernité.

Deuxième raison de la réussite, La Poste a su associer son personnel à ce projet et à des avancées importantes : mise en oeuvre des 35 heures, embauche de 5000 emplois-jeunes, de 20 000 personnes au total sur les années 1999 et 2000 pour satisfaire l'aménagement réduction du temps de travail, amélioration de la situation des agents contractuels, négociation en cours d'un contrat d'intéressement. Il me paraît essentiel que les personnels de La Poste soient en effet associés au niveau territorial approprié, à la définition et à la mise en place de nouveaux projets, comme la mise en place de Soft par exemple. Cela a été la clé du succès de l'aménagement réduction du temps de travail. Le personnel de La Poste est en fait très soudé et très motivé par des valeurs communes. C'est sur cette motivation et cette mobilisation, sur des objectifs partagés que l'ensemble des équipes de La Poste peut se projeter en avant comme une véritable entreprise européenne et mondiale.

Troisième raison, La Poste a approfondi son dialogue avec les élus en matière de présence postale territoriale. Il existe une Commission départementale de présence postale territoriale, et je dois dire qu'elle doit continuer de faire oeuvre d'inventivité, d'écoute, de créativité dans ses relations avec les élus pour adapter constamment la présence postale territoriale et à la nouveauté que permettent les technologies et à la présence renouvelée dans ses aspects que souhaitent les différents élus.

Quatrième raison, l'État a accompagné ce mouvement avec détermination, conformément au contrat d'objectifs et de progrès qui, par exemple, a stabilisé les charges de La Poste en termes de retraite de ses agents, et c'est un effort considérable de l'État, en mettant fin à la centralisation des fonds des chèques postaux au Trésor, en donnant à La Poste pleine compétence en matière immobilière avec la réforme du régime domanial de La Poste actuellement en cours d'examen au Parlement. C'est dans cet esprit que je viens de lancer avec mon collègue des finances, M. Fabius, et La Poste, les travaux préparatoires au prochain contrat d'objectifs et de progrès qui devra, dans le cadre du statut de La Poste, poursuivre et amplifier la dynamique acquise.

La raison de se satisfaire de la situation est que l'Europe, d'un service universel postal dynamique, efficace et solidaire, existe. C'est le troisième mythe que je veux détruire, c'est celui de l'ultralibéralisme au plan européen. Il existe des forces de propositions qui font de la mise en place d'une concurrence pure et parfaite sur le marché postal, un objectif qui se traduirait par une forte hausse des tarifs, par une réduction drastique des implantations postales et par une baisse de la qualité du service, si j'en crois les investigations qui ont été menées dans le pays de l'Europe du Nord à l'avoir pratiquée. Cette Europe n'est pas celle que nous construisons ensemble avec nos partenaires et pour laquelle le Premier ministre vient de tracer des perspectives d'évolution.

J'appuie mon propos sur quelques réalités très tangibles. Parmi elles, c'est le vote décisif du Parlement européen du 15 décembre 2000, avec une forte mobilisation des élus français. Ce vote a récusé la perspective du tout libéral. Il n'a pas récusé les évolutions, ni les ouvertures, ni les modernisations, bien au contraire. C'est un élément essentiel parce que des directives dans le domaine postal sont soumises à une procédure de codécision entre le Parlement européen et le Conseil, et le rôle du Parlement européen est décisif pour avancer. Nous voulons avancer. Les postes européennes et la poste française doivent constamment s'adapter, c'est une entreprise qui sert le grand idéal et les valeurs du service public, qui a une vocation européenne et qui a une vocation internationale, mais c'est une entreprise qui doit bouger. C'est pourquoi nous avons défendu aux sommets de Nice et de Stockholm une certaine conception des choses. Nous avons confirmé le calendrier de travail qui doit être le nôtre. Nous avons insisté sur la nécessaire prise en compte du vote du Parlement européen. Nous avons insisté sur la spécificité des missions économiques, ou d'intérêt économique général en Europe. Je pense que nous avons été entendus puisque les récents sommets européens ont tous confirmé la légitimité de l'existence des valeurs et du concept de service public, que l'on traduit autrement dans le langage européen, mais dont le contenu seul compte. Ce service public sera d'autant plus fort qu'il saura évoluer constamment et toujours à la pointe de la technologie, qu'il saura donner des réponses toujours plus adaptées aux demandes des clients.

Enfin, nos partenaires au sein du Conseil de télécommunications, qui sont nombreux à partager les vues défendues par la France, comme dix opérateurs postaux européens, comme de nombreux syndicats, ont pu s'associer à la vision d'un service public dynamique, efficace et solidaire.

C'est pourquoi, je suis ce soir d'un optimisme raisonné et réaliste sur l'évolution de nos travaux au plan communautaire dans les prochains mois. Nous devons disposer d'un cadre juridique clair et lisible. Nous devons maintenir dans la durée un périmètre suffisamment large de service réservé aux opérateurs de service universel, pour permettre de financer les charges liées au service universel. Là est le noeud du problème et de la réflexion, car nous voulons assurer la desserte postale en tout point du territoire à un prix unique, c'est notre tradition, ce sont nos valeurs, c'est notre conception du service public. Ces objectifs doivent guider, selon la France, l'élaboration, d'une nouvelle directive. Je pense pouvoir obtenir de nos partenaires un accord sur ces objectifs qui n'excluent pas des évolutions, mais qui ne peut pas réduire la capacité de financement du service universel de manière récessive et même de manière tendancielle, ce qui tuerait la conception même du service public que nous avons toujours défendue. Là est l'équilibre que nous devons maintenir, savoir évoluer, avoir un comportement d'entreprise pour La Poste, être une entreprise internationale, européenne, forte sur un certain nombre de marchés et en même temps, garder la capacité forte de financer le service public. Nous pouvons réaliser cet équilibre, et les concepteurs des propositions de la Commission doivent être certains que cette conception-là n'est pas une originalité française. La vraie question est de savoir comment maintenir nos valeurs tout en modernisant l'entreprise. N'est-ce pas par un mélange d'utopie, de volonté politique, de souci constant du développement de l'entreprise et du développement économique, au service des peuples européens ?

Je vous remercie beaucoup.

M. Gérard Larcher

Merci, Monsieur le Ministre, merci à tous les intervenants.

« POSTES EUROPÉENNES : LIBÉRALISATION ET SERVICE PUBLIC, ENTRE MYTHES ET RÉALITÉS »

La Poste française est avec la poste luxembourgeoise, la dernière poste de l'Union européenne à conserver le statut d'établissement public. Les autres ont aujourd'hui le statut de société anonyme.

Bien plus qu'un long discours, ce fait illustre l'ampleur du défi auquel doit faire face La Poste à l'aube d'un nouveau siècle.

Saura-t-elle poursuivre dans la voie de la modernisation dans laquelle elle avance moins vite que ses homologues de taille comparable, sans pour autant déroger aux valeurs de service public autour desquelles elle s'est construite ?

Pourquoi, au regard des autres pays de l'Union européenne, la France apparaît-elle à beaucoup, celui qui semble rencontrer le plus de difficultés à adapter son opérateur postal à la nouvelle donne économique et réglementaire du vieux Continent ?

L'Union européenne conduit-elle les changements en cours d'une façon garantissant que les services postaux nationaux resteront à même d'assurer des tâches d'intérêt général, notamment l'animation économique et sociale des territoires, qui ne correspondent pas toujours aux impératifs du marché ?

Telles sont quelques unes des questions auxquelles le colloque « Postes européennes : libéralisation et service public, entre mythes et réalités » a tenté de répondre. Les points de vue des quelque trente intervenants à ce colloque sont présentés dans le présent document.



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