III. LES CHERCHEURS NE SONT PAS À MÊME DE TOUT TROUVER TOUT DE SUITE

Les recherches sur l'effet de serre et son intensification ont mobilisé des milliers de chercheurs dans le monde entier depuis plusieurs années. Les progrès accomplis dans la connaissance de ce phénomène ont été importants .

Néanmoins, la démarche la plus courante consiste, après avoir admis le rôle non négligeable des émissions anthropiques dans l'intensification de l'effet de serre, à souhaiter que des scientifiques puissent mettre au point des modèles numériques de modélisation du climat afin de conforter ou d'infirmer les hypothèses émises, pour prévoir le climat des années à venir et pour apporter des réponses certaines à toutes les questions.

Dès que les premiers modèles de simulation du climat ont fourni des hypothèses d'évolution climatique, il a été constaté que lesdites hypothèses globales conduisaient à souhaiter bientôt disposer de modèles et de certitudes pour son pays, sa région, voire sa ville, ou son exploitation agricole . Or, c'est là demander aux modèles plus qu'ils ne peuvent fournir. C'est pourquoi, avant de tirer des conclusions des travaux fondés sur les modèles numériques d'évolution climatique, il est important de rappeler qu'en l'état actuel des connaissances, ces modèles ne font que décrire un climat plus ou moins probable, sans pour autant décrire le climat qui va exister, d'autant que la manière dont les océans et les nuages sont pris en compte recèle encore de grandes lacunes et ne peut donc permettre de conclusion définitive.

Des critiques en ce sens ont été adressées aux modèles climatiques et d'ailleurs, une partie de ces critiques est émise par les climatologues les plus concernés. C'est ainsi que M. Hervé LE TREUT, de l'Institut Pierre-Simon Laplace, a indiqué à votre Rapporteur, lors d'une audition  , que « même si la planète numérique peut ressembler beaucoup à la planète réelle, pour autant les modèles numériques ne sont pas des outils magiques permettant de déduire le futur du présent . »

De plus, pour M. Hervé LE TREUT, les modèles de simulation du climat présentent essentiellement trois types d'imperfections tenant au maillage de la sphère , à la difficulté de saisir les aspects chimiques et biochimiques de la réalité, au fait que le climat est un système chaotique , pas entièrement prévisible.

Pour lui, « même si la planète numérique ressemble à la Terre, plusieurs histoires climatiques sont à tout moment possibles, à partir d'une situation donnée ».

Et M. Hervé LE TREUT a alors recours à une comparaison imagée en indiquant que « simuler le climat à venir revient à jouer avec un dé pipé ». Si, par exemple, le 6 revient plus souvent, cela est-il dû au hasard ou au fait que le dé est pipé - ce qui serait, pour l'intensification de l'effet de serre, l'équivalent des activités humaines ?

Pour répondre à cette question dans le cas des modèles de simulation climatique, un énorme recul de temps est nécessaire.

M. Hervé LE TREUT insiste sur le fait que les modèles constituent des outils experts très étudiés mais seulement pour évaluer un risque et non pour fournir une prévision datée.

Il regrette surtout que ses travaux soient souvent présentés comme des exercices de prédiction, alors qu'ils ne sont qu'une aide à la description de possibles climats futurs.

Par ailleurs, M. Philippe ROQUEPLO , auteur notamment de « Climats sous surveillance » 60 ( * ) et de « L'expertise scientifique » 61 ( * ) , insiste sur les limites des modèles fonctionnant actuellement.

Enfin, la mise en oeuvre de modèles suppose de représenter les processus étudiés de manière paramétrée, ce qui conduit à simplifier, parfois à l'excès, beaucoup de phénomènes, notamment l'hydrologie de surface, la microphysique des nuages, l'absence d'homogénéité de la couverture nuageuse. Et pourtant, il est nécessaire de coupler les modèles ainsi obtenus avec des modèles physiques et biologiques présentant eux-mêmes des lacunes identiques.

L'Académie des Sciences a d'ailleurs relevé la limite essentielle de la paramétrisation : la logique de son élaboration produit un impact invérifiable sur le résultat des modèles .

Tous les chercheurs s'accordent sur la nécessité de disposer de moyens de calculs toujours plus puissants.

Malgré le développement rapide des techniques de modélisation du système climatique, il convient de se demander si ces outils permettent, en l'état actuel des connaissances et des techniques, d'atteindre véritablement leur but.

Comme déjà signalé plus haut, une critique très argumentée des limites de la modélisation climatique opérée a été effectuée par M. Philippe ROQUEPLO dans son livre « Climat sous surveillance ».

Il s'y demande notamment (pages 175 et 176), à propos de la modélisation, s'il est possible de ne pas ressentir face à celle-ci « un certain trouble » et note, en élargissant le débat : « Y a-t-il, du point de vue stratégique, une cohérence entre les investissements intellectuels effectués dans la modélisation elle-même et ceux effectués sur les conditions « observationnelles » de sa validité ? Y a-t-il une cohérence entre les délais nécessaires à une telle entreprise et les délais correspondant au changement climatique lui-même, dont les modèles doivent nous faire connaître l'amplitude et le rythme ? Y a-t-il une cohérence entre ces délais et ceux qui, selon le discours même des scientifiques, s'imposent aux décisions des politiques ? »

L'Académie des Sciences , dans son rapport de 1990 (n° 25) comme dans son rapport de 1994 (n° 31) s'est intéressée de très près à la question des limites de la modélisation climatique. Elle a conclu que, malgré le développement extrêmement rapide des capacités des ordinateurs, et en dépit de l'amélioration de la qualité des modèles climatiques, les incertitudes relatives aux paramétrisations contenues dans ces modèles demeurent importantes . Avant d'en arriver à cette conclusion, l'Académie des Sciences a rappelé que les limites des modèles tiennent d'abord à la nature du problème posé . En effet, elle souligne: « le forçage radiatif résultant de l'effet de serre est un terme faible en valeur relative » (quelques Watts par m 2 ) dont l'effet potentiellement important provient du fait qu'il sera appliqué au système climatique pendant des durées de quelques décennies, voire de quelques siècles.

L'Académie des Sciences a noté que les rétroactions sont très nombreuses et qu'elles dépassent les capacités des modèles qui simplifient à l'extrême des phénomènes complexes ; par exemple, la microphysique des nuages, les modifications de l'albédo de la neige, les phénomènes de condensation, etc...

De plus, l'Académie des Sciences a insisté sur le fait que ces modèles tendent de plus en plus à intégrer des données économiques, démographiques..., dépassant le cadre strict du climat. Même si ce dialogue est nécessaire entre les différentes communautés, des malentendus graves risquent de se développer si la qualité des modèles ne fait pas l'objet d'une évaluation rigoureuse et si leur signification n'est pas suffisamment expliquée jusqu'à devenir la même pour tous.

Le perfectionnement des modèles a conduit à coupler, par exemple, les modèles simulant l'atmosphère aux modèles simulant l'océan. Mais, malgré les progrès de leur développement, ces instruments n'arrivent pas à simuler de manière tout à fait exacte le cycle saisonnier, non plus que la variabilité interannuelle. Parfois, le couplage des modèles conduit à amplifier les défauts de chacun d'entre eux. Enfin, beaucoup de modèles partent de l'idée que l'océan se trouverait en équilibre dans l'état atmosphérique actuel, ce qui n'est pas vraisemblable, la circulation océanique étant un mouvement continuel.

De plus, la mise en oeuvre des modèles est destinée un jour ou l'autre à permettre les études d'impact aux échelles locales et régionales . Il n'est pas évident que l'extension d'un modèle général à une approche locale, ou bien l'utilisation de modèles à mailles variables soit possible.

Dès lors est apparue la nécessité de tester et de valider les modèles pour mener à bien une recherche rigoureuse. Beaucoup de modèles sont testés à partir de l'histoire climatique récente. Ces tests sont facilités par l'abondance de données d'origine satellitaire, tant et si bien que les résultats des modèles tendent à converger, ce qui n'est pas a priori satisfaisant et il faut se garder de voir dans l'unanimité de cette convergence un indice de qualité absolue puisqu'il peut aussi y avoir convergence dans l'erreur. De plus, une telle convergence peut masquer de nombreuses divergences à l'intérieur des modèles.

Au-delà de la période climatique récente et de la fin du siècle dernier, le Petit âge glaciaire et les variations paléoclimatiques servent aussi à apprécier la validité des paramètres retenus dans les modèles actuels.

Un programme international, PMIP, conduit par Mme Sylvie JOUSSAUME , s'est attaché à comparer les modèles tout en simulant le climat d'il y a 6.000 ans et celui du dernier maximum glaciaire.

Comme les travaux des experts du GIEC sont pour l'essentiel fondés sur les modèles de prévisions climatiques, de ce fait ils doivent être assortis des mêmes réserves que celles qui s'appliquent à l'élaboration des modèles eux-mêmes .

Il va de soi qu'au cours des années futures, il sera intéressant d'entrer dans les modèles les données réellement observées pour voir dans quelle mesure, et pourquoi, ceux-ci s'étaient éloignés, ou non, de manière logique, de la situation réelle. Dans le même esprit, les modélisateurs ont toujours cherché à tester sur les climats du passé l'exactitude des enchaînements décrits par leurs modèles.

Mais, aussi élaborés que soient les modèles , en supposant que ceux-ci parviennent un jour à retracer la complexité des nuages et celle des océans, ils demeureront toujours limités par la puissance de calcul des ordinateurs qui, même si elle a continuellement augmenté, ne peut encore suffire à décrire autrement que schématiquement les données de la réalité et à reproduire la vie des climats.

L'ensemble de ces observations ayant été formulé, il demeure que les modélisateurs tirent de leurs travaux plusieurs certitudes :

l'action de l'homme est à l'origine du changement climatique actuellement observé ;

le réchauffement ira en s'accélérant compte tenu du fait qu'aucun ralentissement ou aucune modification substantielle de l'activité humaine n'est envisagé ;

les conséquences de ce réchauffement seront inquiétantes ;

les durées respectives de disparition des gaz à effet de serre émis dans l'atmosphère ne permettront pas à l'homme de corriger les effets de ces gaz alors qu'il n'a pas usé de la faculté d'en maîtriser les causes .

Malgré l'attente, par les uns ou les autres, de prévisions par région, voire par ville pour l'horizon 2025, 2050 et 2100 en France, votre Rapporteur se doit d'affirmer, au terme de ses investigations que ni le degré géographique précis souhaité ni les échéances de temps auxquelles surviendront les changements climatiques ne peuvent résulter des actuelles connaissances, recherches ou modélisations sur les changements climatiques .

Deux modèles , toutefois, ont focalisé leur intérêt sur l'Europe et le bassin méditerranéen. D'une part, le modèle en points de grille du Laboratoire de météorologie dynamique (L.M.D.) avec zoom et le modèle Arpège-Climat du Centre national de recherche météorologique (CNRM) à maille variable.

Ces modèles, comme tous les autres, travaillent notamment sur le scenario standard du doublement de CO 2 entre le début du XX ème siècle et les années 2060.

Ils en déduisent un réchauffement de 2°C sur l'Europe occidentale , plus prononcé en été et dans les régions méditerranéennes, ainsi qu' une augmentation des précipitations hivernales et une diminution des précipitations estivales, notamment sur les régions méditerranéennes.

Ils relèvent un contraste pluviométrique nord-sud (augmentation au nord du 45 ème parallèle et diminution au sud).

* 60 « Climats sous surveillance - Limites et conditions de l'expertise scientifique » - Editions Economica - Paris 1993

* 61 « Entre savoir et décision, l'expertise scientifique » - INRA Editions - Paris - 1997

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