IV. LA POLITIQUE DE COHÉSION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE (Réunion du jeudi 4 avril 2002)

A. COMMUNICATION DE M. SIMON SUTOUR

La conduite d'une politique de cohésion économique et sociale a constitué, depuis la création du marché unique, l'une des bases de la construction européenne. Au fil des années, les négociations successives et la recherche de compromis entre partenaires aux intérêts différents l'ont rendue de plus en plus sophistiquée et complexe : diversifiant ses objectifs, multipliant les fonds structurels, elle a voulu tout à la fois concentrer l'effort pour permettre la mise à niveau des pays accusant le plus grand retard de développement et répartir la manne financière sur l'ensemble des États membres au nom de l'impératif de solidarité prôné.

Les résultats obtenus ont été parfois spectaculaires, notamment dans les pays dits de la cohésion : on rappellera l'essor économique de l'Irlande, dont le PIB est passé de 64 % à 119 % de la moyenne communautaire entre 1988 et 2000, ou le rattrapage d'un tiers de PIB constaté en Grèce, au Portugal et en Espagne sur la même période. Nous connaissons tous, dans nos départements respectifs, des réalisations effectuées grâce aux crédits de développement des anciens objectifs 2 et 5b, regroupés depuis lors en nouvel objectif 2 par l'Agenda 2000.

Les moyens financiers disponibles sont désormais considérables : deuxième poste budgétaire de l'Union, ils s'élèvent à 213 milliards d'euros pour la période 2000-2006 , soit plus du tiers des dépenses communautaires pour quinze États membres. Qu'en adviendra-t-il lorsque l'Union comptera vingt-cinq ou vingt-sept membres ?

Son élargissement, demain, à au moins dix pays candidats produira de tels effets sur la politique de cohésion européenne telle que nous l'appliquons aujourd'hui qu'il n'est pas envisageable de faire l'économie d'une réforme. Il suffit, pour s'en convaincre, de se livrer à un simple calcul mathématique : tous les nouveaux entrants seront, par construction, éligibles aux aides structurelles délivrées par l'Union, en raison de leur faiblesse économique par rapport à la moyenne communautaire et leurs besoins sont tels qu'ils sont susceptibles de mobiliser la totalité des fonds disponibles ; ils évinceront, mécaniquement, les deux tiers des régions les plus pauvres des États membres actuels de l'Union qui bénéficient encore, pour l'heure, de dotations d'aide au développement. Laisser les choses en l'état aboutirait donc à supprimer la politique de cohésion et à la remplacer par un dispositif différent, par exemple d'aide à l'adhésion à l'Union, sans doute très justifiée mais relevant d'une tout autre philosophie.

Les institutions européennes ont pris la mesure de l'ampleur du problème dès les premières demandes d'adhésion : un premier rapport intérimaire de la Commission, consacré aux effets de l'élargissement sur les politiques de l'Union européenne, a été présenté au Conseil européen de Madrid de décembre 1995. Celui-ci invita alors la Commission à approfondir la réflexion, notamment pour ce qui concernait les deux politiques communautaires essentielles de l'Union : la politique agricole, d'une part, la politique structurelle, d'autre part.

L'Agenda 2000 , approuvé lors du Conseil européen de Berlin de décembre 1999, a constitué une première réponse : il a présenté une réforme de la politique structurelle, la création d'aides à la pré-adhésion destinées aux pays candidats et des perspectives financières pour la période 2000-2006 tablant sur l'entrée de six nouveaux États membres dès 2002. Les réserves budgétaires permettent donc de « tenir », selon les règles actuelles, jusqu'en 2006, avec dix membres supplémentaires à partir de 2004.

Il convient désormais d'anticiper la phase suivante, 2007-2013, et de proposer des réponses constructives à la question suivante : l'Union souhaite-t-elle poursuivre au-delà de 2006 la mise en oeuvre d'une politique de cohésion économique et sociale ? Et si oui, sur quelles bases ?

On pouvait en effet envisager, et certaines voix se sont d'ailleurs élevées en ce sens, de supprimer purement et simplement cette politique compte tenu du bouleversement important qui résultera d'un élargissement aussi massif de l'Union. Il n'était somme toute pas inconcevable, et même défendable en vertu du principe de subsidiarité, de considérer qu'il appartiendrait désormais à chaque État membre d'organiser, sur le plan national, sa propre politique de développement régional.

A ce stade du débat, il semble que la majorité des partenaires n'ait pas souhaité aller dans cette direction. Ils ont réaffirmé leur souhait de maintenir la cohésion économique et sociale comme base de la construction européenne, notamment lors de la réunion informelle des ministres qui s'est tenue à Namur les 13 et 14 juillet 2001.

A défaut d'être simple, le défi est donc clair : comment pourra-t-on, sans augmenter massivement le budget communautaire, aider à la fois des nouveaux États membres aux besoins considérables sans pour autant interrompre aussitôt les financements européens accordés à l'ensemble des actuels États membres, et plus particulièrement aux pays dits de la cohésion (Espagne, Portugal et Grèce, l'Irlande ayant désormais rejoint, et même dépassé, la moyenne communautaire) ?

Tous les États membres sont impliqués dans ce débat, qu'ils soient contributeurs nets ou bénéficiaires des subventions européennes. La présidence espagnole, vous le savez, est particulièrement « en pointe » sur ce sujet, l'Espagne ayant longtemps laissé entendre que la solution proposée conditionnerait sa position définitive sur l'élargissement de l'Union.

1. Les termes du débat

• Les disparités économiques vont s'accroître

Après l'élargissement, l'Union comptera un tiers de citoyens supplémentaires, un tiers de territoires en plus, mais n'augmentera sa richesse que de 5 %. Selon les chiffres récemment publiés par la Commission ( 2 ( * ) ), il est confirmé que l'élargissement de l'Union s'accompagnera d'une baisse importante du produit intérieur brut moyen par habitant et d'une augmentation des disparités régionales au sein du territoire européen. Cette évolution est sans commune mesure avec celle résultant des élargissements passés, d'une ampleur moindre et concernant des partenaires moins éloignés en termes de développement économique : sur les 105 millions d'habitants des futurs pays membres, plus de 98 millions vivent dans des régions dont le PIB moyen est inférieur à 75 % de la moyenne de l'Union élargie.

L'écart se creuse encore si les statistiques intègrent les adhésions bulgares et roumaines. Selon les données de 1999, le PIB moyen baissera de 13 % dans une Union à vingt-cinq, mais de 18 % dans une Union à vingt-sept .

Les forts taux de croissance annuels enregistrés dans les pays candidats laissent espérer que cette diminution sera moins importante que prévu d'ici l'entrée effective, mais dans des proportions qui resteront, en tout état de cause, limitées.

• Les ressources humaines devront être gérées

Au-delà de l'appréhension chiffrée de la richesse des régions, les données humaines doivent aussi être prises en compte, concernant notamment l'état des marchés du travail dans une Europe élargie, la répartition de l'emploi entre les trois secteurs économiques, les besoins en matière d'éducation et de formation, les problèmes d'inégalités entre hommes et femmes, les évolutions démographiques, la modernisation des systèmes sociaux, les mouvements migratoires, la mobilité de la main-d'oeuvre...

* (2) Premier rapport d'étape sur la cohésion - Janvier 2002 - « Unité de l'Europe, solidarité des peuples, diversité des territoires ».

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