B. UNE TRÈS FORTE TENSION INDO-PAKISTANAISE AU CACHEMIRE

Les attentats du 11 septembre et la guerre en Afghanistan ont eu des retombées sur la situation au Cachemire puisque progressivement, au cours des années 1990, des liens s'étaient établis entre les Talibans, Al Qaïda et les différents militants du djihad au Cachemire en raison de sa proximité géographique. Le Cachemire est rapidement apparu comme le terrain de repli potentiel des militants islamistes. Trois attentats, deux au Cachemire et un à New Delhi le 12 décembre 2001 contre le Parlement indien, ont conduit les deux pays au bord d'un conflit ouvert, nécessitant une médiation internationale active.

1. Deux pays au bord d'un conflit ouvert

A la suite de l'attentat contre le Parlement indien à New Delhi, l'Inde a pris un ensemble de mesures de rétorsion contre le Pakistan, jugé responsable des infiltrations de militants cachemiris à partir de la zone contrôlée par Islamabad. Elle a rappelé une grande partie de ses diplomates présents à Islamabad, rompu les liaisons aériennes, ferroviaires et routières et a surtout mobilisé près de 700.000 hommes sur la frontière avec le Pakistan. Par ailleurs, l'Inde exige que le Pakistan aille au-delà des seuls discours et prenne des mesures concrètes contre les groupes terroristes, notamment en faisant cesser les infiltrations et en acceptant d'extrader 20 personnes soupçonnées d'activités terroristes. Le Pakistan a, de son côté, répliqué par des mesures analogues : rappel des diplomates, rupture des communications, mobilisation de l'armée pakistanaise. Un nouvel attentat au Cachemire indien au mois de mai 2002 a aggravé la tension et conduit à une menace réelle de guerre entre les deux pays, qui s'est traduit sur le terrain par la multiplication des incidents frontaliers, des accrochages et des duels d'artillerie. Le Pakistan a également mené, dans ce contexte pourtant déjà extrêmement tendu, des essais balistiques pour montrer sa détermination.

La tension s'est à ce point développée que l'intervention de médiateurs est apparue nécessaire pour tenter de rétablir le dialogue.

2. Les voies possible d'une désescalade et d'un accord de paix

Au début du mois de juin 2002, les missions de bons offices entreprises par la Russie sous l'égide de Vladimir Poutine, puis par les Etats-Unis, ont permis de renouer les fils du dialogue et de donner les premiers signes de désescalade. L'Inde a ainsi décidé de rouvrir son espace aérien après avoir constaté une baisse significative des infiltrations. Ces premiers signes restent toutefois extrêmement fragiles et devront être confirmés, l'éventualité d'un nouvel attentat entraînant une nouvelle aggravation de la tension, voire un embrasement régional ne pouvant être exclue.

Sur le fond de ce conflit, aucune solution ne semble se dégager à moyen terme. Les deux pays restent figés sur leurs positions, revendiquant chacun l'ensemble du Cachemire. L'Inde reste fermée à toute médiation internationale sur le sujet en se fondant sur l'accord de Simla de 1972. Au cours de ses entretiens, la délégation a souvent évoqué, avec les représentants des deux parties, l'hypothèse d'une médiation internationale : à chaque fois, une telle hypothèse était écartée par les interlocuteurs indiens alors que les interlocuteurs pakistanais saisissaient toujours cette option pour témoigner de la bonne volonté du Pakistan pour résoudre le conflit selon les règles du droit international.

Cependant au-delà de ces prises de positions officielles trois directions sont ouvertes :

- La réunification du Cachemire et son indépendance . Cette solution trouverait vraisemblablement de nombreux soutiens au sein de la population cachemirie qui souhaite une très large autonomie et n'est pas toujours favorable à son rattachement au Pakistan. Cependant, cette hypothèse ne semble pouvoir satisfaire aucune des puissances qui se partagent aujourd'hui l'Etat historique du Jammu et Cachemire. La Chine ne souhaite en aucun cas voir remise en cause l'annexion en 1962 d'une partie du Cachemire. L'Inde est défavorable à l'indépendance d'un des Etats composant l'Union indienne ce qui constituerait un précédent pour d'autres populations ayant des velléités séparatistes. Elle ne satisferait enfin pas le Pakistan pour qui le Cachemire, du fait de sa population à majorité musulmane, devait naturellement intégrer le Pakistan au moment de la partition ;

- Un référendum au Cachemire aboutissant au rattachement de cet Etat à l'un des deux pays. Il s'agirait en fait d'appliquer la résolution du Conseil de sécurité de l'Onu de 1948 qui demandait le retrait des troupes pakistanaises et un plébiscite d'autodétermination. Cette solution aurait aujourd'hui la préférence d'Islamabad qui pense que la population cachemirie choisirait le rattachement au Pakistan.  Elle est exclue par l'Inde qui l'estime caduque et trop défavorable. Un tel référendum pourrait aussi conduire à un démembrement du Cachemire, les régions de Jammu et du Ladakh, majoritairement hindoue et bouddhique, pouvant choisir de ne pas être rattachées au Pakistan ;

- Le gel de la situation actuelle et la transformation de la ligne de contrôle , établie en 1949 et rectifiée en 1972, en frontière internationale . Cette solution a la faveur de l'Inde. Elle entérinerait son avantage sur le terrain et sa domination sur la partie la plus peuplée et la plus riche du Cachemire. Elle ne fait pourtant pas l'unanimité en Inde. Les Pakistanais y restent évidemment très hostiles. La solution du gel de la situation sur le terrain et la reconnaissance de la situation de fait ont été retenues par l'Inde et le Pakistan vis-à-vis de la Chine pour dépasser le conflit territorial.

En fait, jusqu'à présent, les deux parties paraissaient se satisfaire d'une situation d'affrontement indirect et larvé, espérant une victoire à long terme, tout en retirant des bénéfices politiques ou économiques à court terme sans remise en cause douloureuse. Le conflit avec l'Inde est l'une des justifications de l'importance du budget de l'armée pakistanaise. Du côté indien, l'opposition avec le Pakistan reste un ressort nationaliste utile dans les périodes électorales.

Les évolutions géopolitiques de l'après guerre froide faisant des Etats-Unis la seule grande puissance et l'Etat pivot des relations internationales ainsi que le désir de l'Inde d'être reconnue internationalement comme grande puissance pourraient cependant faire évoluer la situation. En effet, à la suite des attentats du 11 septembre, l'Inde et le Pakistan ont tous les deux sollicité le soutien des Etats-Unis dans la région, aucune autre puissance pouvant aujourd'hui offrir les avantages potentiels d'une telle alliance. Les deux pays ne peuvent donc plus « jouer un bloc contre l'autre ». Cette conjonction d'intérêts des deux pays à bénéficier du soutien économique et politique américain pourrait à l'avenir être le ressort d'un éventuel accord.

L'Inde reste en outre convaincue qu'elle devrait être le partenaire principal des Etats-Unis dans la région en tant que « plus grande démocratie du monde » et pays à forte capacité de développement. L'Inde entend également être reconnue par les grandes puissances comme une des leurs. Or, le conflit du Cachemire est un handicap qui l'empêche de faire avancer de manière significative sa candidature au Conseil de sécurité des Nations unies.

De son côté, le Pakistan, s'il continuait à mener une politique tournée vers la stabilité régionale, le développement économique et la démocratie, pourrait accepter plus facilement un compromis sur le Cachemire et y trouver un avantage financier à travers l'aide internationale et les perspectives de développement, comme l'avait laissé apparaître les discussions entamées entre Nawaz Sharif et A.B. Vajpayee en 1998-1999.

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