36. Audition de MM. André Radier, président de l'Ordre des géomètres experts, Pierre Bibollet, membre du Conseil supérieur de l'Ordre des géomètres experts et Jean Godfroid, ancien préfet, secrétaire général de l'Ordre des géomètres experts (2 juillet 2002)

M. Auguste Cazalet - Je vous prie de bien vouloir nous excuser pour le léger retard que nous avons pris. Je voudrais aussi vous demander d'excuser l'absence de Monsieur Jacques Blanc, Président de cette Commission, et de Jean-Paul Amoudry, son rapporteur général, qui vient d'être appelé pour assister à l'hommage rendu à la championne de ski Régine Cavagnoud.

M. André Radier - Je suis géomètre expert à Montpellier et Président du Conseil supérieur de l'Ordre des géomètres experts (OGE). J'ai été nommé par Jacques Blanc à l'Agence méditerranéenne de l'environnement, qui dépend directement du Conseil régional. Je suis également Président d'AFIGéo, l'Association française d'information géographique qui dépend de la Commission nationale d'information géographique.

M. Pierre Bibollet - Je suis également membre du Conseil supérieur de l'OGE et de la Commission d'urbanisme de l'Ordre. J'exerce à Thônes en Haute-Savoie, dans le département du sénateur Jean-Paul Amoudry.

M. Jean Godfroid - Préfet en service détaché, je suis Secrétaire général de l'OGE.

M. Auguste Cazalet - V ous avez reçu une grille de questions sur lesquelles nous aimerions sans plus attendre connaître vos réponses.

M. André Radier - Vous nous avez proposé quatre questions. Nous passerons rapidement sur les deux premières qui visaient à présenter l'Ordre des géomètres experts.

La profession de géomètre expert remonte aussi loin que la connaissance de la terre et l'aménagement du territoire. C'est en France que fut créé il y a 125 ans la Fédération internationale des géomètres experts. Elle a pour but de définir ce qu'est la terre et d'essayer de la restituer sous toutes ses composantes. L'OGE a été institué en 1946, et malgré ce que peuvent croire certains, il ne doit pas sa création au régime de Vichy. Une mission bien spécifique lui a été confiée. Traditionnellement, le profil de géomètre, la représentation de la terre et l'aménagement du territoire primaient dans notre métier. Mais depuis 1946 revient à l'OGE la mission de service public de « dire la propriété ». Nous avons donc avant tout, en France, la délégation de service public de la délimitation foncière, dont nous avons le monopole. Vient ensuite une fonction d'aménagement du territoire, vocation des géomètres experts partout dans le monde.

Sans aller trop loin dans le passé, il faut savoir que les géomètres experts ont été tour à tour ceux qui ont été en charge de la cartographie de la terre, en tant qu'officiers ministériels durant la Renaissance, pour disparaître ensuite complètement pendant la Révolution et refaire surface dans les années 1850 après la refonte du cadastre décidée par Napoléon.

La profession est libérale avec des caractéristiques connues : responsabilité, indépendance et qualité du professionnel. Nous sommes très attachés à ces trois critères, symboles de notre caractère libéral. L'Ordre n'est pas un syndicat : nous sommes au service du citoyen pour la délégation de service public. Nous sommes attentifs au travail du législateur qui définit la nature et les fonctions de l'Ordre.

Notre Secrétaire général pourra vous donner quelques chiffres qui vous permettront de vous faire une idée plus précise de l'Ordre.

M. Jean Godfroid - Vous avez devant vous un document qui vous décrit l'organisation de l'OGE. Ce dernier s'articule autour de Conseils régionaux, d'un Conseil supérieur et d'un Commissaire du gouvernement.

Que représente la profession en termes économiques ?

Les géomètres experts ne sont pas très nombreux puisque nous comptons 2 000 inscrits à l'Ordre, ce qui représente le travail de 9 000 salariés en tout. Le chiffre d'affaires global de la profession est de 600 millions d'euros. Ces professionnels exercent une activité dans des domaines divers, que l'on peut regrouper sous quelques grands chapitres :

l'aménagement, qui représente 27 % du chiffre d'affaires des cabinets, qu'il s'agisse d'aménagement rural, urbain, ou de travaux, puisque les géomètres experts sont également des ingénieurs maîtres d'oeuvre ;

la topographie et l'information géographique, qui représentent 30 % de l'activité ;

la gestion immobilière, dans ses parties expertise et copropriété, représente 15 %, essentiellement en Ile-de-France et dans l'Ouest de la France.

En ce qui concernent les donneurs d'ordre, critère de première importance, plusieurs catégories se dégagent.

Les collectivités territoriales sont les principaux donneurs d'ordre de la profession, avec 27 % des commandes passées, contre 25 % pour les particuliers et 13 % pour l'Etat et les organismes parapublics.

Les autres professions, qui sont en quelque sorte des donneurs d'ordre délégués à travers leurs activités comme les notaires ou les architectes, représentent 13 % de l'activité.

Les commandes des clients privés et des aménageurs privés s'élèvent à respectivement 12 % et 10 % du total.

M. André Radier - Pour définir la profession du géomètre expert, il importe de revenir sur notre formation.

Chaque géomètre expert dispose d'une formation de sept années après le baccalauréat : cinq années pour obtenir un titre d'ingénieur et deux années de stage dans la vie professionnelle qui seront ensuite validées par les Conseils régionaux de l'Ordre. Les diplômés par le gouvernement, reprennent tout à fait les mêmes filières.

L'OGE a défini également une obligation de qualité fournie dans les prestations grâce à une formation continue obligatoire de 40 heures au minimum par an. Cette obligation distingue les géomètres experts des autres professions car la formation est essentielle dans un domaine où les évolutions sont nombreuses : nous y reviendrons tout à l'heure quand nous évoquerons la loi SRU.

La formation est donc d'un niveau relativement élevé et nous avons à cet égard besoin de l'intervention politique. Nous souhaitons en effet que la qualité caractéristique de la profession en France résiste à l'harmonisation européenne : elle doit se retrouver dans les autres pays européens et ne pas subir un nivellement par le bas opéré par la reconnaissance mutuelle des diplômes. L'Allemagne ou l'Autriche ont le même niveau de formation et d'exigences que la France en la matière, mais les Britanniques souhaiteraient voir leur niveau de qualité, inférieur au nôtre, devenir le label de reconnaissance. La délégation de service public ne peut être attribuée qu'à des professionnels très compétents. Le législateur doit être ferme sur ce risque d'alignement par le bas. Le message est passé.

Si vous souhaitez avoir des éclaircissements sur l'OGE et l'organisation de la profession, nous pourrons y revenir, mais nous allons pour le moment poursuivre avec les deux autres questions, les plus importantes, qui concernaient les niveaux d'intervention des géomètres experts et les enjeux d'une réforme du droit de l'urbanisme en zone de montagne.

Comme vous l'avez compris dans la présentation de la profession de géomètre expert, nous sommes constitués de petites structures présentes sur l'ensemble du territoire et sommes donc très sensibles aux problèmes d'aménagement du territoire. Nous exerçons dans l'urbanisme rédactionnel, mais aussi et surtout dans ce que j'appellerais « l'urbanisme opérationnel » : nous intervenons pour toutes les constructions dans le détachement de la propriété foncière. Nous accompagnons de près les collectivités locales, essentiellement celle de petite et moyenne taille, qui comptent jusqu'à 15 00 habitants. En effet, les maires de ces communes n'ont pas à leur disposition de services techniques développés et doivent donc faire appel aux professionnels qui exercent à proximité : géomètres experts, ingénieurs ou architectes. L'urbanisme de proximité constitue donc l'un de nos domaines de prédilection : la connaissance de la topographie du terrain et des relations humaines au sein de ces communes nous permettent d'exercer de façon plus humaine.

Nous adaptons également qualitativement des lois, telles la loi SRU, qui ont été établies grâce à des modèles numériques et des projections quantitatives. Elles oublient la réalité du terrain et les spécificités de chaque périmètre d'agglomération. Aucune attention n'a été donnée aux périmètres et à leur pertinence actuelle et réelle. L'une des qualités du géomètre expert est cette proximité avec les décisions quotidiennes de la commune, en particulier dans le cadre de l'opérationnel urbain, des ZAC, des abords de ville et de l'urbanisme rural. Preuve de cette spécificité, la loi oblige à faire appel à nous pour les opérations de remembrement et d'aménagement rural.

J'aimerais à ce sujet répondre à certaines critiques adressées à tort aux géomètres experts. Actuellement, la notion de lotissement est souvent décriée et les géomètres experts sont la cible de ces critiques. Ils n'ont pourtant fait qu'appliquer des règles d'urbanisme rigides et mauvaises. Le travail à faire en commun est important pour améliorer l'application de certaines lois votées quelque peu hâtivement. Certains aménagements conçus dès le départ selon une approche globale de l'urbanisation d'une commune sont, il est vrai, dénués de toute échelle humaine. Mais les lotissements réussissent l'intégration de leurs habitants à la vie collective de la cité, pour peu que leur réalisation soit entourée d'efforts pour comprendre ces habitants et leurs préoccupations. En ce qui concerne les lotissements dortoirs à la périphérie des grandes villes, les documents d'urbanisme en amont sont à revoir, plus que le principe du lotissement lui-même. Il est également bon de garder à l'esprit que l'opération d'aménagement d'un département ne sera pas identique en région parisienne et dans le Languedoc-Roussillon : un schéma uniforme s'appliquant sur tout le territoire n'existe pas. Il faut là encore y réfléchir ensemble. Nous sommes prêts à avoir une telle approche avec les parlementaires ici présents.

M. Pierre Bibollet - En ce qui concerne la loi Montagne, je voudrais simplement, sans entrer dans les détails, me concentrer sur les points prééminents des enjeux d'éventuelles modifications du Code de l'urbanisme.

Le premier est l'article L.145-3 du Code de l'urbanisme, règle dite de constructibilité limitée. Deux constats s'imposent.

L'empilement des textes aboutit à des contradictions dans l'application des lois sur le terrain. La loi Montagne, par exemple, prône le rapprochement et le regroupement des bâtiments, alors que la loi d'orientation agricole demande au contraire leur éloignement pour libérer de l'espace pour les exploitations agricoles. La loi SRU et la loi Montagne divergent également sur l'entrée en application de la PVNR. La PVNR voudrait que les frais de viabilisation des terrains soient répartis sur des bandes de 80 mètres de part et d'autres des viabilités existantes. Or la jurisprudence considère une route comme une rupture d'urbanisation dans les hameaux. Cela nous empêche de répartir ces frais sur la globalité de la zone, ce qui revient à mettre les aménagements en partie à la charge de la commune.

La jurisprudence qui découle de cet article est très restrictive. Elle part de cas très particuliers pour opérer des généralisation abusives. Les services de contrôle de légalité en particulier s'y fient de manière excessive. J'ai ainsi vu récemment dans une commune un préfet utilisant cette jurisprudence pour refuser des petites extensions de hameaux existants, ce sous prétexte que la vallée présentait suffisamment de capacités d'accueil.

Comment améliorer la situation pour permettre à ces communes de faire vivre ces petits hameaux sans tomber sous le couperet strict de l'application de cet article ? Plusieurs solutions sont envisageables.

Je viens de vivre la révision de deux POS dans des communes de montagne. La loi SRU met en valeur de véritables projets d'aménagement et de développement durable qui prendraient en compte l'ensemble des préoccupations paysagères, agricoles, et environnementales (sauvegarde des espaces naturels, plans de prévention des risques, etc.). On s'aperçoit alors que certains lieux offrent la possibilité de créer des hameaux nouveaux sans remettre en cause l'équilibre de la nature. Mais l'article précité nous l'interdit. Nous sommes alors en droit de nous interroger sur l'intérêt des études d'aménagement et de développement durable si un tel article empêche leurs conclusions d'être concrétisées. N'y aurait-il pas lieu de considérer que cet article de constructibilité limitée n'est pas applicable quand l'élaboration de documents d'urbanisme s'appuie sur un véritable projet de développement durable ? Si néanmoins cet article devait perdurer, il devrait être assoupli, notamment sur le point des ruptures d'urbanisation. Pourquoi une route ou un ruisseau constitueraient-ils une telle rupture dans tous les cas ? De même, la définition du hameau implique la fixation d'un seuil en nombre de bâtiments, et la proposition du professeur Servain pourrait être utilement reprise à condition de bien définir les critères retenus. Ceci permettrait de mieux cerner ce qu'est un hameau et d'éviter une jurisprudence trop stricte qui pourrait conduire à un blocage généralisé du développement de ces hameaux de montagne.

La conservation des espaces agricoles et leur préservation de l'urbanisation sont d'importance en zone de montagne, mais ils sont gagnés d'année en année par les friches et la forêt. Ne serait-il pas possible de prendre des dispositions pour aider à l'entretien de cet espace agricole ? Une disposition d'aides aux agriculteurs ou aux collectivités pourrait peut-être les aider à entretenir ces espaces. Nous avons l'occasion dans nos activités d'urbanisme de superposer les plans cadastraux des cultures existant il y a vingt ou trente ans avec des photos aériennes : la rapidité de progression de ces friches est impressionnante.

Deuxièmement, nous ressentons constamment une forte pression foncière et une population aisée recherche aujourd'hui ces propriétés agricoles, prête à en proposer des prix exorbitants. Cela concourt à la disparition de l'espace agricole. La règle de constructibilité limitée vise à préserver cet espace agricole mais on le laisse d'un autre côté disparaître du fait de ces rachats fonciers. La création d'un conservatoire de la montagne pourrait aider les collectivités à acquérir ces propriétés pour préserver leur caractère agricole, et empêcher qu'elles ne deviennent des résidences secondaires, parfois de touristes étrangers.

Nous pourrions également faire des propositions sur les ORIL : cet outil pourrait peut-être être utilisé pour procéder au logement des pluriactifs qui, du fait de la pression foncière , commencent à avoir du mal à se loger sur leur territoire.

M. Pierre Jarlier - Monsieur le Président, j'aimerais apporter un éclairage sur votre propos liminaire concernant le problème de la contradiction des textes. Vous expliquiez que la législation voudrait à la fois recentrer et écarter les constructions agricoles dans deux différentes lois. Je crois justement que la loi SRU a apporté une réponse à cette question, puisqu'elle a enfin autorisée - sous réserve de certaines précautions et notamment de la consultation de la Chambre d'agriculture - la dérogation aux distances obligatoires entre les bâtiments agricoles et les bâtiments d'habitation.

Vous avez abordé le problème de la constructibilité limitée, qui est au coeur de nos préoccupations à chacune de nos auditions. Nous nous sommes attachés - en particulier vis-à-vis du rapporteur de la loi SRU Noël Tapet - à trouver des adaptations à ce dispositif, qui est à la fois contraignant et gage d'une certaine protection. Cet article existe car le passé fournit de nombreux exemples d'excès et la situation exigeait que l'on mette un frein à une urbanisation sauvage, surtout dans les secteurs soumis à une forte pression foncière. Malheureusement, la moyenne montagne en souffre car la pression foncière y est inexistante. L'arrivée d'un habitant ou d'un agriculteur nouveau dans une commune en pleine désertification est une chance et il est vrai que ce dispositif extrêmement restrictif empêche de répondre favorablement à ces nouvelles installations. Nous avions donc trouvé des solutions quelque peu dérogatoires, qui ont réglé le problème dans les zones rurales où l'on peut désormais déroger à la règle de constructibilité limitée sous réserve de l'intérêt du projet et de l'accord du conseil municipal. En revanche, pour ce qui est des zones de montagne, la loi Montagne prime sur ce nouveau dispositif, ce qui nous ramène au début de notre problème. Comment va-t-on pouvoir, dans les propositions que nous allons faire, retrouver un angle qui autoriserait une souplesse d'adaptation - rendue nécessaire par la diversité des reliefs, des paysages, des configurations des hameaux - au-delà de ce qui existe déjà, puisque peu de communes ont recours à des cartes communales comme outils d'urbanisme ? Vous avez proposé que l'on trouve ces adaptations dans les documents d'urbanisme.

Voilà un vrai débat, évoqué déjà plusieurs fois au sein de nos commissions. Je dois vous avouer que nous aurons du mal à faire passer ces modifications uniquement par le document d'urbanisme. Il existe en fait une autre ouverture présente dans la loi SRU, qui semble intéressante : la prescription de massifs. Je crois que l'on ne raisonne pas dans les Pyrénées comme dans le Massif Central ou dans les Alpes. Ce dispositif offre peut-être le moyen d'acquérir une crédibilité auprès des protecteurs de la montagne permettant de mener une réflexion à l'échelle d'un massif. Les comités de massif peuvent avoir à jouer un rôle important pour appuyer ce dispositif. Une fois que la prescription de massif est définie, c'est le document d'urbanisme qui peut nous permettre d'appliquer l'adaptation - il est préférable de parler d' « adaptation » car l'usage du terme « dérogation » soulèverait trop de réticences. C'est ainsi que nous sommes parvenus à faire réhabiliter les bâtiments anciens. Je voudrais avoir votre sentiment sur la prescription de massif qui semblait être une bonne orientation dans la loi SRU.

M. Pierre Bibollet - J'avais aussi pensé aux SCOT.

M. Pierre Jarlier - La prescription de massif pourrait évidemment se décliner à l'échelle d'un SCOT.

M. Pierre Bibollet - Ces prescriptions permettraient en effet de s'adapter aux spécificités de chaque région, car l'habitat dispersé ou le mitage par exemple ne sont pas les mêmes d'un endroit à l'autre. La définition de hameau serait affinée selon le type de région ou de massif, et les caractéristiques ainsi définies retranscrites au niveau des SCOT. L'identification de ces zones de hameaux serait ensuite retranscrite dans les POS. Je suis donc partisan de décliner SCOT et POS à partir des prescriptions de massif, pour, d'un contexte général, arriver à des finesses dans le plan local d'urbanisme. Il s'agit là d'une possibilité.

M. Gérard Bailly - Concernant la loi Montagne, le problème d'urbanisme autour des lacs pose de réels problèmes puisqu'il est impossible de construire dans la zone des 300 mètres environnants. Or lorsqu'il s'agit d'un lac encaissé, les constructions respectant ces limites sont plus visibles et gênantes que celles situées à proximité du lac, ce qui plaiderait pour une révision de la législation dans ce domaine.

De plus, j'ai apprécié vos propos sur la nécessité de faire vivre les petits bourgs en ajoutant des constructions supplémentaires, et en même temps en apportant des restrictions qui empêcheraient certains de vendre ces terres très cher dans des buts d'urbanisation. Je crois tout de même que l'objectif dans ces petits hameaux est le développement et la lutte contre la désertification. Il faut non seulement pousser les gens à s'installer dans les lotissements mais aussi mieux les répartir dans les hameaux pour y maintenir de la vie.

M. Pierre Bibollet - Il est certain que les hameaux doivent pouvoir vivre et s'étendre surtout lorsqu'il n'existe aucun enjeu agricole ou naturel. Certains hameaux pourraient très bien être étendus sans remettre en cause un équilibre naturel. Par contre, lorsque j'ai évoqué la vente à des prix très élevés de certains espaces agricoles, c'était pour la défense de leur usage agricole, préférable à leur transformation en résidence secondaire. Je ne faisais pas allusion à la construction sur ces terrains, mais à leur préservation pour qu'ils soient remis à disposition des agriculteurs.

Par ailleurs, l'opposition entre l'extension des hameaux et le regroupement dans les vallées est source d'incohérence : d'un côté on nous interdit de construire autour des hameaux sur des terrains ne présentant pourtant aucun enjeu agricole et, de l'autre, lorsqu'un bourg existe dans la vallée, on nous demande de construire autour de ce bourg, même s'il est entouré de très beaux terrains agricoles. Un équilibre doit être trouvé grâce à l'adaptation de l'article de constructibilité limitée.

Quant à la règle des 300 mètres, je rappellerais que nous sommes confrontés au même problème avec l'amendement Dupont en zones de montagne qui prévoit qu'aucune largeur de terrain ne soit disponible à la construction en cas de cumul des risques en fond de vallée. Une règle de 300 mètres figés autour des lacs n'a vraiment aucun sens : selon la topographie des lieux, 50 mètres suffisent parfois.

M. André Radier - Nous en revenons toujours au même débat, c'est-à-dire la définition de règles générales en gardant à l'esprit la dimension humaine et la spécificité de chaque territoire auquel elles doivent s'appliquer. Une loi qui entre dans le détail se heurte nécessairement à la diversité de la France et des Français. C'est aussi en raison de ces réglementations que la profession de géomètre expert est en train de devenir de plus en plus urbaine, délaissant les territoires ruraux où les règles sont inadaptées. On ne peut appliquer une loi de la même façon en Ardèche, où les bourgs sont traditionnellement disséminés et mitent de façon harmonieuse le territoire, et dans des lieux où les points d'eaux constituaient des pôles de rassemblement autour de gros bourgs. Une loi-cadre nationale doit descendre par palier dans les particularités du cadre territorial, qui possède ses propres enjeux.

M. Pierre Jarlier - Ces territoires spécifiques doivent d'autant plus être pris en compte en montagne que ces zones sont soumises aux contraintes de la loi Montagne, mais aussi de la loi Littoral si la zone comporte des lacs. Cumuler ces deux contraintes, c'est être condamné à l'immobilisme. D'où la nécessité de ces adaptations, pour sortir de situations totalement bloquées et agir sur des territoires porteurs de développement qui, s'ils doivent être protégés, n'en doivent pas moins être valorisés. Cela passera bien par un document d'urbanisme, soit à l'échelle du SCOT comme vous le mentionniez, soit par la prescription de massif.

Je voudrais vous poser une question sur un sujet qui n'a pas été abordé jusque-là mais qui doit faire partie de votre métier de géomètre expert : le problème des biens de section. Comment le vivez-vous sur le terrain ? Nous sommes pour notre part très concernés dans le Massif Central.

M. André Radier - Nous ne rencontrons pas de problèmes particuliers à cet égard, tout du moins pas dans la région où j'exerce.

M. Pierre Jarlier - Est-ce que des difficultés particulières dues à l'évolution des propriétés remontent vers vous à partir des adhérents de l'OGE répartis dans toute la France ?

M. André Radier - Nous venons de sortir d'un congrès qui s'est déroulé à Lyon et dont le thème était « Dire la propriété ». Notre prochain congrès qui se tiendra à Lille dans deux ans portera sur la propriété publique. Vous voyez donc que nous abordons tout à fait les problématiques que vous soulevez.

Le drame de la propriété aujourd'hui en France, c'est la nature du cadastre, qui date de Napoléon et reste essentiellement fiscal, sans vraiment chercher à définir les propriétaires des terrains, les règles applicables à l'ensemble de ces territoires, propriétés privées ou collectives, et l'usage de ces propriétés. La profession s'est penchée sur ces sujets, qui constituent le coeur d'une réflexion dépassant de beaucoup le cadre national. En effet, le problème se pose avec une grande acuité dans les PECO qui ont demandé leur adhésion à l'Union Européenne, car aucune économie ne peut se développer sans disposer au préalable d'un état précis de la propriété.

Vous mentionnez l'impossibilité d'agir, de construire et de travailler dans certaines zones où les lois Montagne et Littoral se combinent pour étouffer toute activité. A ce sujet, j'estime que les géomètres experts ont pour rôle de préserver dans ces régions l'activité humaine et la présence de populations. Les priorités ne doivent pas être perdues de vue : aujourd'hui le souci de la préservation de la nature aboutit à ne plus maintenir la présence et le travail de l'homme sur ces espaces. Cette dérive qui vide de leur substance ces territoires, qui ont été faits par l'homme et non par la nature, contrairement aux clichés ressassés continuellement. N'oubliez pas ce point important. Vous êtes le législateur. La loi SRU est en train de générer de l'urbanisation de concentration, en vidant certaines zones au lieu de procéder à une répartition harmonieuse des populations. Toutes nos lois devraient être bâties avec ce souci premier de l'homme.

M. Auguste Cazalet - Je vous remercie, plus particulièrement encore pour ces dernières paroles. Vous avez raison de donner la priorité à l'homme.

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