E. DEVELOPPER L'EVALUATION DES POLITIQUES PUBLIQUES ET L'EXPÉRIMENTATION

1. Donner à une seule autorité la compétence d'organiser la recherche en sécurité routière

a) Identifier une autorité unique d'organisation de la recherche

Actuellement, les thèmes de la recherche en sécurité routière sont choisis de manière assez disparate, par les établissements publics eux-mêmes, par la DSCR ou par la DRAST.

Certains spécialistes se plaignent ainsi de l'absence de relations directes entre décideurs et scientifiques . Lorsque les pouvoirs publics veulent agir dans un secteur, ils ne sollicitent pas obligatoirement les organismes de recherche, et à l'inverse, certaines questions ne reçoivent pas de réponses de la part des chercheurs. Les défaillances du système de recherche en sécurité routière n'apparaissent que lorsque certaines questions d'intérêt public (ex : conséquence d'une mesure d'amnistie des infractions routières sur les accidents de la route d'une année) ne trouvent pas de réponse simple, faute d'outils opérationnels ou en cas d'accident grave (sécurité des tunnels).

Il ne faut certes pas « enfermer » les chercheurs dans un cadre rigide qui serait défini à un niveau ministériel. Tout programme de recherche doit résulter d'un dialogue entre les besoins des pouvoirs publics et les potentialités et moyens de la recherche. Mais il faut resserrer les liens, sauf à considérer que les pouvoirs publics peuvent prendre des mesures sans considération de résultats scientifiques et que les chercheurs peuvent développer leurs travaux sans égard pour les objectifs de la politique de sécurité routière.

Le recours aux chercheurs est devenu très systématique sur des grands sujets (alcool, médicament..) mais il est réalisé au cas par cas, en sollicitant divers « prestataires » selon les besoins du moment. Il conviendrait qu'un seul organe à caractère interministériel soit le filtre de l'ensemble des commandes des pouvoirs publics et soit en quelque sorte le maître d'oeuvre de l'ensemble des recherches en sécurité routière, qui se déclineraient par thématique et impliqueraient des chercheurs bien au-delà des traditionnels établissements publics de recherche.

Le conseil national de sécurité routière pourrait jouer ce rôle dans l'avenir, mais il peine à fédérer les initiatives.

b) La création du Conseil national de la sécurité routière (CNSR)

Le décret n°2001-784 du 28 août 2001 a porté création du Conseil national de la sécurité routière. Au terme de son article premier, ce Conseil :

1 - est associé à l'élaboration et à l'évaluation de la politique des pouvoirs publics en matière de sécurité routière ;

2 - commande les études et recherches qui lui paraissent utiles pour améliorer la connaissance dans le domaine de la sécurité routière et fait procéder à des évaluations des actions engagées ;

3 - remet chaque année au ministre chargé de la sécurité routière un rapport rendu public.

Le Conseil comprend quarante-cinq membres dont des parlementaires 18 ( * ) , dix ministres ou leurs représentants, des personnalités qualifiées désignées par le ministre chargé de la sécurité routière, des représentants des collectivités locales, des représentants des entreprises et des associations, le président de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie et le délégué interministériel à la sécurité routière.

Le CNSR est assisté d'un comité d'experts.

On notera que le CNSR s'appuie notamment sur l'Observatoire national interministériel de sécurité routière (ONISR) qui a pour principales missions la collecte, la mise en forme, l'interprétation et la diffusion des données statistiques nationales et internationales. Il assure d'autre part le suivi des études sur l'insécurité routière, ainsi que les évaluations des nouvelles mesures de sécurité prises ou envisagées. L'observatoire s'appuie sur des organismes d'études et de recherche comme l'INRETS, le LCPC, le SETRA et le CERTU. Il met également à contribution un réseau de vingt-cinq observatoires régionaux, situés au sein des directions régionales de l'équipement. C'est le conseil scientifique du Conseil national de la sécurité routière qui est chargé d'émettre un avis sur le programme de travail de l'Observatoire et sur la qualité scientifique de ses publications.

c) Une « programmation » de la recherche qui reste à construire

Le CNSR est créé depuis peu, et il n'a pas encore pu développer l'ensemble de ses travaux.

Toutefois, il faut remarquer que le CNSR pointe déjà des difficultés à réaliser pleinement sa mission , notamment dans l'aspect « commande les études et recherches » et « évaluations des actions engagées ».

Ainsi, sont particulièrement mises en valeur les difficultés suivantes 19 ( * ) :

- les délais incompressibles pour le lancement des études : un an pour un appel d'offre, de huit à neuf mois pour une étude ponctuelle (à condition que la question soit clairement posée et la méthodologie à peu près maîtrisée) ;

- la difficulté à mobiliser les chercheurs des grands organismes de recherche (INRETS, LCPC, LAB, CERTU, SETRA) car « ces chercheurs ont déjà leur propre problématique qui ne peut pas être changée facilement ».

Pour sa première année d'exercice, le CNSR a donc décidé qu'il fallait prendre en considération les projets existants et ouvrir une sorte de « guichet » :

- il s'agit, dans un premier temps, d'aider financièrement les études prêtes à être lancées mais qui connaissent des difficultés financières (dont le montant ne pourra dépasser 90.000 euros). Au total, 500.000 euros sont prévus pour ce soutien financier.

- il s'agit également de passer des conventions-cadres avec les grands organismes de recherche (INRETS, LCPC, LAB, CERTU, SETRA en liaison avec les CETE, INSERM) qui seraient invités à faire des propositions d'études ou recherches examinées par le comité des experts. Au total, 650.000 euros sont prévus pour ces conventions-cadres.

- enfin, des appels à innovation compléteraient les actions nationales menées en matière d'études et de recherche, mais s'adresseraient au niveau local soit régional, soit inter-régional. Cela mobiliserait 200.000 euros.

En définitive, ces initiatives vont clairement dans le bon sens, mais frappent par leur modestie. Le CNSR est en effet doté d'un budget propre de 2,287 millions d'euros pour 2002, ce qui lui permettrait de financer 1,75 million d'euros de recherche en 2002, soit une somme très modeste.

Les premiers travaux du CNSR frappent également, pour le moment, par leur dispersion.

Les premières réunions du CNSR (19 décembre 2001, 6 mars 2002, 11 juillet 2002) se sont caractérisées par un foisonnement de propositions, qui ont débouché, sans débat prolongé, sur la définition immédiate de six thèmes prioritaires : la police spécialisée de la route, le budget de communication nécessaire à une communication efficace, l'apprentissage de la conduite en système scolaire, l'encadrement des premières années de conduite, le respect des limitations de vitesse et l'amélioration de la chaîne de contrôle sanction.

Les six thèmes prioritaires ont fait l'objet, environ six mois après leur définition, de premiers rapports de la part de personnalités qualifiées ou d'experts. Ces rapports présentent des diagnostics déjà très développés, mais en tirent des conséquences diverses :

- appel à modifier la législation pour le thème « encadrement des premières années de conduite » ;

- appel à réactualiser des travaux déjà menés, concernant le thème « influence du poids et de la puissance des véhicules sur la sécurité routière » ;

- appel à proposition de recherches avec formulaire préétabli pour le thème « police spécialisée de la route ».

Un rapport sur le thème de la communication a également été rendu public. Il s'appuie sur une démarche différente, avec la mise en place d'une commission de travail qui a procédé à des auditions pendant deux mois. Cette commission a débouché directement sur des propositions, dont d'importantes propositions budgétaires 20 ( * ) .

En définitive, l'ensemble des travaux du CNSR est intéressant, mais le CNSR n'est pas en mesure de jouer un vrai rôle de coordination de la recherche en sécurité routière , et qui consisterait notamment :

- à établir, après avis d'un large panel d'experts, une vraie programmation de la recherche en sécurité routière sur les années à venir, sous forme de grands objectifs ciblés et déclinés en plusieurs actions concrètes de recherche. Le choix des objectifs serait fondé sur les domaines reconnus comme les moins efficaces en termes de sécurité routière (forte accidentologie, faibles progrès sur les dernières années etc.) ;

- à évaluer a priori ce programme de recherche en termes d'objectifs à court, moyen et long terme .

- une fois les travaux de recherche terminés, à faire des propositions concrètes aux pouvoirs publics pour modifier la législation, la réglementation, la communication ou l'action des acteurs de la prévention routière. Le devenir de ces propositions ferait évident l'objet d'un suivi.

Pour prendre un exemple, le thème de l'accidentologie motocycliste, qui a été développé dans ce rapport, il s'agirait de définir un objectif chiffré de réduction des accidents et des victimes de la route pour les deux-roues, et de décliner cet objectif en actions de recherches : sur les bases de données, le comportement des conducteurs, l'équipement des véhicules, les infrastructures, etc. Une telle recherche, multidisciplinaire, impliquerait une grande variété d'acteurs, nationaux et locaux, qui pourrait déboucher sur une appréciation globale d'un segment de la sécurité routière et des propositions concrètes sur un thème cohérent pour les pouvoirs publics. Une même démarche pourrait être réalisée pour les accidents en zone rurale ou les accidents de piétons, par exemple.

Un tel schéma, qui installerait le CNSR dans un rôle d'acteur de la recherche publique à long terme, nécessiterait évidemment de rehausser son rôle en en faisant l'organe essentiel de programmation de la recherche , y compris à l'égard des programmes développés avec les établissements traditionnels (INRETS, LCPC, LAB, CERTU, SETRA), ce qui n'est actuellement pas le cas. De même, il devrait au minimum donner un avis sur le programme PREDIT dans sa composante « sécurité routière ».

Enfin, le CNSR devrait être saisi de l'évaluation de toute mesure nouvelle en matière de sécurité routière .

L'évaluation a priori est particulièrement nécessaire s'agissant de sujets techniques, requérant des compétences particulières, notamment médicales. Seules des évaluations scientifiques ont permis de démontrer les conséquences de l'alcoolisation sur la conduite et de décider de réduire le taux d'alcoolémie à 0,5 g/litre. S'agissant des enjeux liés au vieillissement de la population, à la consommation de drogues et de médicaments, seuls des chercheurs peuvent donner des informations précises qui viendront en appui de la décision publique. Ainsi, la loi du 18 juin 1999 a prescrit une étude épidémiologique sur les drogues et médicaments.

L'évaluation a posteriori , également essentielle pour faire le bilan de l'efficacité des politiques publiques, pourrait être développée dans le cadre de recherches thématiques.

Actuellement, les faibles moyens budgétaires du CNSR, sa jeune expérience, empêchent clairement de lui faire tenir le rôle de « coordinateur » de la recherche nationale en sécurité routière. Il n'est pas financé, organisé, et équipé pour cela. Il s'agit davantage d'un moyen supplémentaire de réaliser des études qui pourront indéniablement être utiles à l'action des pouvoirs publics en matière de sécurité routière.

Une vraie autorité de référence en matière d'organisation de la sécurité routière reste à définir, de même que ses relations avec les établissements publics de recherche et les programmes européens.

2. Mieux prendre en compte l'initiative locale et développer l'expérimentation

a) Mieux prendre en compte l'initiative locale

La recherche en sécurité routière implique insuffisamment les échelons locaux, qu'il s'agisse des services déconcentrés de l'Etat ou des collectivités locales . Seuls les services techniques centraux du ministère de l'équipement (SETRA, CERTU), et une sous-direction de la DSCR font un travail de recueil et de tri des propositions en termes de recherche.

Or, il faut souligner l'importance d'une approche sinon décentralisée, du moins déconcentrée de la recherche en sécurité routière . Les organismes de recherche sont organisés en centres régionaux, travaillant en collaboration étroite avec les milieux universitaires et médicaux régionaux. Les directions départementales et régionales de l'équipement demandent à être davantage associées à la politique de sécurité routière.

De nombreux colloques et études montrent un véritable « désir » d'agir au niveau local sur une question qui touche de près nos concitoyens.

Les assises de la Filière d'animation et de coordination exploitation-sécurité (FACES) en 2001 qui ont rassemblé plus de 400 agents des services déconcentrés de l'équipement, et notamment des Cellules départementales d'exploitation et de sécurité routière (CDES) ont ainsi mis en valeur, de manière unanime, le problème de lisibilité des politiques de sécurité routière au niveau local et la nécessaire implication sur le terrain de l'ensemble des services déconcentrés de l'Etat et des collectivités locales.

Développer la diffusion et le partage des connaissances au niveau local

Dans le domaine de l'accidentologie, la gestion du fichier accident constitue une des missions de base de la CDES ; mais le suivi et le bilan des aménagements ne sont pas suffisamment généralisés.

Dans le domaine de la connaissance du trafic, le recensement des données de trafic est pleinement assuré, mais son exploitation mériterait d'être développée afin que de véritables études soient publiées et non uniquement des chiffres.

Dans le domaine de la sécurité routière proprement dite, l'implication des DDE dans ce domaine dépend fortement des volontés et des partenariats qui se mettent en place localement ; l'exploitation de la route prime sur les autres missions ; la gestion de l'urgence ne permet pas de prendre un recul suffisant pour l'exercice des tâches spécifiques à la sécurité routière.

D'une manière générale, comme l'a souligne Isabelle Massin, déléguée interministérielle à la sécurité routière : « il existe beaucoup de connaissances, mais elles ne sont pas assez diffusées. (..)

Il faut développer le partage des connaissances et faire travailler les experts entre eux, pour obtenir un consensus sur un certain nombre de sujets clés, et que ces connaissances partagées par les experts soient diffusés dans le grand public. En matière d'évaluation, on a souvent une série de recommandations par rapport à une série de thèmes mais on n'évalue pas l'enjeu quantitatif du gisement de sécurité évoqué. Il y a tout un travail à faire pour mieux déterminer les priorités pour affecter des ressources rares, et puis il y a tout un travail pour développer l'évaluation des actions engagées, actions réglementaires, de formations locales, d'animation. Il faut poursuivre la recherche, dans les domaines techniques mais surtout les interfaces entre les usagers et la route, sur le comportement des usagers, sur la connaissance des mécanismes des décisions prises par l'usager. Il faut aussi utiliser plus et mieux les nouvelles technologies (..) Il faut encore favoriser les échanges et la diffusion des connaissances (...). »

Bulletin FACES - CERTU - septembre 2001.

b) Développer l'expérimentation

Il convient de développer l'expérimentation de nouvelles mesures de sécurité routière , avant d'envisager leur généralisation.

Votre rapporteur pense, par exemple, à l'utilité d'expérimenter de nouvelles mesures qui sont parfois évoquées, mais dont on mesure mal les implications, comme, par exemple :

- pour les jeunes conducteurs, un permis de conduire « provisoire » qui ne serait validé que progressivement, en fonction du comportement du conducteur ;

- l'interdiction d'acquérir certains types de véhicules pour des conducteurs novices ou ayant causé des accidents ou dans le même ordre d'idée, la possibilité d'assortir une condamnation pour infraction au code de la route, de compléments de peine comme l'imposition de certains outils de régulation de la vitesse du véhicule ou l'interdiction de circuler dans un véhicule de trop forte puissance.

* 18 Dont notre collègue Lucien Lanier, sénateur du Val-de-Marne.

* 19 CNSR, Compte rendu de la réunion du 19 décembre 2001 - point 5 : budget propre du CNSR.

* 20 La commission propose un doublement des moyens « pour une amélioration sensible de l'impact actuel de la communication et « si l'on souhaite franchir un cap, obtenir un impact puissant et affirmer la sécurité routière comme une priorité nationale », le quintuplement des moyens financiers.

Page mise à jour le

Partager cette page