Rapport d'information n° 35 (2002-2003) de M. Joseph KERGUERIS , fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification, déposé le 29 octobre 2002

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V. 5. UN RETARD FRANÇAIS DE L'INVESTISSEMENT DANS LES NOUVELLES TECHNOLOGIES

Malgré l'éclatement de la bulle technologique, l'engouement pour les technologies de l'information ne se dément pas. Pour l'instant, il semble que la France marque un important retard en termes de technologies de l'information par rapport à des pays comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni.

Le capital productif en technologies de l'information et des communications (TIC) représentait en 2000 4,8 % du total en France. L'investissement de l'ensemble de l'économie française en TIC s'élevait en 2000 à 26,5 milliards d'euros soit moins de 10 % de l'effort d'investissement de l'économie nationale. Toutefois, on a assisté de 1995 à 2000 à un accroissement significatif du taux d'investissement de l'économie française en TIC qui est passé de 1,3 % du PIB à 1,9 %.

Ces ordres de grandeurs demeurent toutefois modestes au regard du boom technologique observé outre-atlantique et à un degré moindre au Royaume-Uni. Aux Etats-Unis, le capital productif en TIC s'élevait en 2000 à 14,7 % du total, soit près de triple de la France. Le seul secteur privé non résidentiel a investi en 2000 un peu moins de 466 milliards de dollars dans les TIC, soit 4,7 % du PIB 89 ( * ) et plus de 47 % des dépenses en biens d'équipement et logiciels. Même en tenant compte des problèmes de comparabilité des données de dépenses en TIC 90 ( * ) entre la France et les Etats-Unis (Lequiller, 2001), la différence reste énorme. Le retard français est également important vis-à-vis du Royaume-Uni puisqu'en 1998, la part de l'investissement dans l'économie nationale en biens et services des technologies de l'information et de la communication s'élevait à 1,7 % du PIB en France contre 2,5 % au Royaume-Uni.

Qui plus est, selon Cette et alii (2001), l'écart entre la France et les Etats-Unis se serait même creusé au cours de la période récente, et la contribution de la diffusion des technologies de l'information à la croissance française demeurerait marginale, alors qu'elle expliquerait plus de la moitié de l'accélération de la croissance de l'économie américaine depuis 1995.

VI. 6. LES ENJEUX D'UNE POLITIQUE DE L'INVESTISSEMENT

Les enjeux associés à l'effort d'investissement sont considérables. Une pénurie de capital, si celui-ci était insuffisamment renouvelé, pourrait placer l'économie française en situation de ne pas pouvoir soutenir une reprise vigoureuse de l'économie mondiale dans les années à venir. On a déjà pu observer en 2000 une certaine saturation des capacités de production. En outre, l'investissement, l'emploi et la compétitivité vont généralement de pair. Une panne d'investissement ne serait pas une chance mais un frein pour l'emploi.

A. 1. LES DÉBATS SUR LA CROISSANCE POTENTIELLE

Des travaux récents apportent un éclairage particulier sur le lien entre la croissance, l'emploi et l'investissement et sont de nature à reconsidérer fortement le rôle de l'investissement. De nombreux travaux économétriques sur données individuelles 91 ( * ) semblent montrer, en France comme aux Etats-Unis qu'existe à long terme une forme de complémentarité entre l'emploi et la demande de capital, donc l'investissement. A long terme, les facteurs favorables à l'emploi sont aussi favorables à la croissance et à l'investissement. Toute politique de nature à soutenir l'investissement et à augmenter le niveau de la croissance potentielle exerce à long terme un effet positif sur l'emploi.

On rappelle que la croissance potentielle est définie comme le rythme de croissance compatible avec une inflation stable. Elle dépend de l'augmentation des quantités de travail et de capital disponibles, des gains d'efficacité réalisés par les entreprises et de l'ensemble des mécanismes macroéconomiques d'ajustement des prix et du marché du travail. Pour une entreprise, la production potentielle ne constitue pas à proprement parler une limite physique de capacité, elle représente plutôt le niveau de production qui leur assure la meilleure profitabilité. A très long terme pour l'ensemble de l'économie, la croissance potentielle est contrainte par la progression de la population active et le progrès technique qui constituent les deux ressources rares de l'économie. Le capital, pour sa part, est productible et accumulable et il vient donc s'ajuster aux besoins de la main d'oeuvre et de la technologie. Sur un horizon de plus court terme, en revanche, la croissance potentielle peut être contrainte par une progression insuffisante du stock de capital. C'est en particulier le cas si l'investissement passé a été déprimé par une faible profitabilité des entreprises. Les tensions sur l'appareil productif français observées à la fin de l'année 2000 rappellent à quel point cette contrainte a pu peser sur les entreprises françaises au cours des années 1990.

Les débats sur la croissance potentielle de l'économie française ont été relancés par l'exemple des Etats-Unis. Aux Etats-Unis, la plupart des travaux mettaient en évidence le rôle fondamental de l'investissement, notamment en technologies de l'information et des communications, dans l'accélération des gains de productivité du travail depuis 1995. C'est l'expansion phénoménale de l'investissement qui, en augmentant l'intensité capitalistique, aurait élevé le niveau de la croissance potentielle, permettant ainsi aux Etats-Unis de connaître un des plus long cycle de croissance non inflationniste de son histoire. La croissance potentielle de l'économie américaine, à l'issue de plusieurs années de fort dynamisme de l'investissement, est ainsi supérieure de près d'un point à celle qu'autorise la croissance de la population active et du progrès technique (4 % contre 3 % respectivement). Une telle situation a permis à ce pays de connaître un des plus faible taux de chômage de son histoire (moins de 4 %).

C'est exactement l'inverse qui s'est produit en France. La substitution du capital au travail a nettement ralenti en France au point que l'intensité capitalistique a diminué avec pour conséquence le ralentissement des gains de productivité du travail. Cette dernière conséquence, autrement dit « l'enrichissement de la croissance en emploi », était un des objectifs affichés des pouvoirs publics pour réduire le chômage. Depuis 1993, le rythme de la progression du capital par tête s'est nettement ralenti en France (+1,1 % l'an) alors qu'il a eu tendance à progresser fortement aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Le processus de substitution du travail au capital a été également observé en Allemagne, mais dans des proportions plus faibles.

Tant que la production était contrainte par une insuffisance de la demande 92 ( * ) , la recherche des gisements d'emploi par des freins aux gains de productivité devait être considérée comme un élément de la politique de l'emploi. Mais de nombreux indicateurs semblent témoigner que cette période d'économie contrainte par l'insuffisance de demande est révolue.

Selon une étude de la Direction de la Prévision (Doisy 2001), la croissance potentielle de l'économie française s'est relevée au cours de la seconde moitié des années 90, passant de 2 % à 2,5 % l'an. Ce constat est également effectué par l'OCDE dans son Etude économique sur la France (2001).

Cette accélération du potentiel de croissance s'explique par le dynamisme récent de l'investissement et par l'amélioration structurelle de l'emploi (le taux de chômage structurel s'établirait à 8,5 % et aurait baissé de près de 2 points depuis le milieu des années 90, sous l'effet des allégements de charges et de la baisse du coût du capital). Et si l'économie française a pu croître sur la période 1997-2000 sans accélération des prix et à un rythme proche de 3 %, supérieur à la croissance potentielle, c'est parce que la France rattrapait un déficit de la demande.

A moyen terme, un objectif de croissance proche de 3 % par an passe par un renforcement de notre potentiel d'offre. Comme le note Doisy, ceci suppose que l'investissement des entreprises reste très dynamique et que les mesures d'aide au retour à l'emploi manifestent pleinement leurs effets sur le chômage structurel et les taux d'activité. La vision de cette économie est celle d'une économie fortement créatrice d'emplois où se conjuguent croissance, investissement, gains de productivité du travail, et réduction du chômage à l'instar de l'expérience américaine récente.

L'augmentation de la croissance potentielle

au cours des années 1990 et prévision à 2005

2003-2005

1980-1989

1990-1997

1998-2001

Hypothèse basse

Hypothèse forte

Croissance potentielle :
- ensemble de l'économie

1,9

2,2

2,3

2,6

2,9

- secteur privé

1,7

2,3

2,4

2,6

2,9

dont

Capital

1,1

0,9

0,9

1,2

1,2

Travail

-0,6

0,1

0,2

0,2

0,5

Productivité globale des facteurs

1,3

1,3

1,3

1,2

1,2

Source : Direction de la Prévision, Doisy, 2001

A l'horizon 2005, les estimations de croissance potentielle retenues par Doisy reposent sur un prolongement des tendances passées de progrès technique (les effets éventuels d'une accélération due à la diffusion des technologies de l'information et des communications seront de toute façon lents à venir) et un repli d'ampleur modérée du chômage structurel. La réduction du taux de chômage structurel se poursuivrait sous l'effet principalement des baisses d'impôts directs et indirects. Le taux de chômage pourrait s'établir en fin de période à 7,5 %. Mais l'hypothèse centrale de ce scénario a trait à la croissance du capital productif qui resterait forte (3 % par an). Si le taux d'accroissement du capital physique augmente comme le produit national, l'économie peut poursuivre son chemin à un rythme constant sans buter sur les capacités de production. Une croissance potentielle du PIB de l'ordre de 3 % suppose donc une croissance du capital physique du même ordre. Or, une telle croissance suppose que l'investissement des entreprises françaises demeure dynamique, avec une croissance équivalente à celle de la période 1998-2000, de l'ordre de 6 % par an. Une telle hypothèse paraît ambitieuse au vu de la situation financière actuelle des entreprises françaises.

* 89 L'ordre de grandeur serait proche de 5,3 % en incluant les administrations publiques dont 0,15 % pour le ministère de la Défense.

* 90 Il s'agit du partage entre dépenses finales (considérées comme de l'investissement) et dépenses de consommation intermédiaire des technologies de l'information. Pour un même niveau de dépenses en matériels informatiques et logiciels, les comptables américains obtiendraient 60 % de dépenses d'investissement de plus que les comptables français.

* 91 voir une présentation des résultats de l'étude de Crépon et Gianella, 2001 dans le chapitre trois de cette étude.

* 92 On parle d' output-gap qui correspond à l'écart entre la croissance effective et croissance potentielle. Un écart négatif témoigne d'une insuffisance de la demande.

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