Rapport d'information n° 35 (2002-2003) de M. Joseph KERGUERIS , fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification, déposé le 29 octobre 2002

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IV. 4. LES FLUX D'INVESTISSEMENTS ENTRE LA FRANCE ET L'ÉTRANGER

Dans une économie fortement impliquée dans les réseaux de production et d'échanges mondiaux, la politique d'investissement tend à se globaliser. Les ressources dégagées pour l'activité courante de l'entreprise peuvent être ainsi déployées sur un vaste ensemble de territoires, au-delà du territoire national. Cela est vrai des entreprises françaises qui s'implantent à proximité de marchés porteurs, comme d'entreprises étrangères choisissant de s'implanter ou de renforcer leur implantation en France.

A priori , ces redéploiements de ressources financières peuvent entraîner des déplacements de capital productif et par conséquent de la localisation des nouveaux investissements. La localisation des nouveaux investissements français sur des territoires étrangers a ainsi été avancée comme une explication possible de la relative faiblesse de l'investissement observée de 1990 à 1998. Cette intuition pouvait sembler conforter par plusieurs faits d'observation, parmi lesquels certaines décisions de déplacement d'unités de production vers des territoires étrangers ou le fort accroissement des flux d'investissement français à l'étranger.

C'est un fait que les investissements français à l'étranger ont augmenté. Mais il s'avère aussi que la France est un pays attractif pour les investissements étrangers. Sur la période 1998-1999, elle se situait en septième position des pays d'accueil des capitaux d'investissement directs, loin derrière les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Belgique-Luxembourg, mais dans des ordres de grandeurs identiques (autour de 40 milliards de dollars par an) à l'Allemagne, les Pays-Bas et la Chine. En 2000, la France occupait également la septième position mais était cette fois devancée sensiblement par l'Allemagne, le Canada et les Pays-Bas à la suite d'opérations majeures de fusions-acquisitions.

Tableau 1 : Investissements directs entrants en milliards de dollars

Rang

Pays

Moyenne sur la période

1998-1999

2000

1998-2000

1

Etats-Unis

239,55

287,7

255,6

2

Royaume-Uni

81,2

134

98,8

3

Belgique-Luxembourg

77,85

208,5

121,4

4

Chine

41,25

38,4

40,3

5

Pays-Bas

39,7

54,1

44,5

6

Allemagne

39,5

189,2

89,4

7

France

38,1

43,2

39,8

8

Canada

10

62,8

27,6

Définition des Investissements Directs à l'Etranger (IDE)

Les investissements directs regroupent les opérations effectuées par les investisseurs afin d'acquérir, d'accroître (ou de liquider) un intérêt durable dans une entreprise et d'avoir (ou de ne plus avoir) une influence sur sa gestion. Par convention, on considère qu'une relation d'investissement direct est établie dès lors qu'une personne physique ou morale (l'investisseur) détient au moins 10 % des droits de vote lors des assemblées générales d'une entreprise (l'entreprise investie) ou à défaut 10 % du capital social. Lorsque ce seuil est atteint, l'ensemble des opérations financières entre les deux entreprises est alors enregistré en investissements directs.

Cette définition est large. Elle inclut les prises de participation d'une année mais également l'ensemble du stock antérieur au moment du passage du seuil des 10 %. Elle inclut aussi les mouvements financiers, à long terme et à court terme. Les statistiques d'IDE doivent donc être prises comme des indices d'alerte, mais seule une étude complète permettrait de conclure à un impact favorable ou défavorable des mouvements d'IDE.

Pendant de nombreuses années, les entrées et les sorties d'investissements directs en France sont demeurées faibles. De 1990 à 1997, les investissements directs à l'étranger avaient même fortement reculé, accompagnant le ralentissement de l'investissement en France. L'année 1998 semble marquer une rupture à la fois pour la FBCF et pour les flux d'investissement directs à l'étranger. L'investissement intérieur reprend et les entreprises françaises accroissent très sensiblement leurs investissements à l'étranger. Parallèlement, on observe que les investissements étrangers en France augmentent eux aussi fortement.

Au total, le solde net entre les investissements directs à l'étranger (IDE) des entreprises françaises et les investissements directs des entreprises étrangères en France, qui était inférieur à 1 % du PIB jusqu'en 1998 a augmenté à 4,8 % du PIB en 1999 et à près de 10 % en 2000 (139,3 milliards d'euros). Ces ordres de grandeurs sont à rapprocher de la FBCF des entreprises, qui a représenté 11,6 % du PIB en moyenne au cours des années 1990. Au total, fait sans précédent sur les vingt dernières années, le solde net négatif des investissements directs croisés est du même ordre de grandeur que l'investissement des entreprises réalisé sur le territoire français.

La forte augmentation des investissements directs français à l'étranger en 2000 (187,2 milliards d'euros) s'explique en partie par quelques opérations de rachats d'entreprises étrangères portant sur des sommes considérables -telles que « Orange », « Ernst & Young » ou « Seagram »- par des entreprises françaises. De telles opérations témoignent de l'effort de rattrapage qu'effectuent certaines entreprises agissant dans plusieurs secteurs (TMT, bancassurance, chimie, pétrole...) dans un contexte de mondialisation croissante. Il est difficile de déterminer s'il s'agit de stratégies spécifiques à des entreprises multinationales ou aussi en partie de comportements macroéconomiques liés à une meilleure espérance de profitabilité à l'étranger.

En 2001, les opérations de fusions transfrontières se sont sensiblement réduites, ce qui s'est traduit par un fort recul des investissements directs français à l'étranger. Malgré ce ralentissement important, la France se place en 2001 au deuxième rang mondial derrière les Etats-Unis, en termes de montant annuel de flux d'investissements directs à l'étranger. Sur les trois premiers trimestres de l'année, le flux net (négatif) des IDE représente environ 4 % du PIB, un niveau équivalent à la moyenne de l'année 1999 mais qui reste encore largement supérieur aux niveaux moyens des vingt dernières années (moins de 1 % du PIB).

Tous les pays développés ont connu une augmentation des IDE depuis 1998. Ainsi, en 2000, le montant total des flux d'IDE investis dans l'UE par le reste du monde s'élevait à 125 milliards d'euros (total sans les bénéfices réinvestis), en augmentation de 27 % par rapport à 1999. Ce montant est cinq fois plus élevé que celui qui avait été enregistré en 1992 (23 milliards d'écus en 1992). Inversement, en 2000, les flux d'IDE en provenance du reste du monde ont dépassé pour la première fois 100 milliards d'euros pour s'établir à 1,5 % du PIB de l'UE. A l'exception des Etats-Unis et du Canada, les pays les plus industrialisés sont investisseurs nets à l'étranger, ce qui est assez naturel pour des pays développés.

Le phénomène de mondialisation conduit de plus en plus les entreprises françaises et étrangères à racheter des entreprises à l'étranger pour atteindre la taille mondiale et demeurer concurrentielles dans un contexte de globalisation internationale. Etant donné que les mouvements de consolidation au niveau international ne sont pas achevés, il est raisonnable d'envisager que le niveau des investissements directs français à l'étranger demeure encore quelques années au niveau actuel.

En conclusion, il apparaît difficile de conclure de façon claire à une moindre attractivité du territoire français comparé aux autres pays. En premier lieu, la définition même d'investissement direct pose problème. Cet indicateur ne donne qu'une indication imparfaite de l'attractivité d'un pays pour les investisseurs internationaux. Par exemple de simples opérations de trésorerie entre affiliés sont incluses dans la définition des IDE. De même une extension de la participation, même marginale, dès qu'elle permet de franchir le seuil de 10 % de propriété, fait passer la totalité de l'encours d'investissement direct en tant que flux d'investissement direct. Une étude minutieuse des comportements d'IDE devrait aussi accorder une place important aux niveaux des encours d'IDE. Par ailleurs, les investissements directs en France sont autant un signe de l'attractivité de la demande française ou de la position géographique de la France sur les marchés européens que des conditions de production offertes aux entreprises.

En second lieu, des mouvements de délocalisation d'activité productive, résultant d'une moindre attractivité du territoire français comparé aux autres pays, devraient se traduire, le cas échéant, par une baisse des flux d'investissements directs étrangers en France et par une augmentation des investissements directs français à l'étranger. Depuis 1998, tous ces flux se sont emballés et il est vrai que le solde net de ces flux est devenu très fortement négatif, mais c'est aussi le cas du Royaume-Uni. Les Etats-Unis et l'Allemagne se distinguent mais pour des raisons différentes. Structurellement, les Etats-Unis attirent des flux d'investissements directs qui couvrent le tiers du déficit de leur balance courante. L'Allemagne a connu en 2000 une vaste opération de fusion- acquisition (le rachat de Mannesman par Vodafone) et cette opération est d'une telle ampleur qu'elle gêne l'interprétation macro-économique. Au total, il est difficile de distinguer dans la très forte expansion des flux nets d'investissements directs entre la France et l'étranger ce qui relève de la relocalisation d'activités productives hors du territoire national, et ce qui relève de la conquête de marchés extérieurs dans le cadre de stratégies de globalisation.

Il reste que l'accroissement très important des sorties nettes de capitaux au titre des investissements directs et la tendance longue à l'accroissement de ce solde suggèrent une vigilance accrue sur le niveau de notre compétitivité.

Répartition géographique des flux d'IDE

Les flux d'investissements français à l'étranger sont principalement à destination des pays de l'Union européenne (près de 60 % de l'ensemble des IDE), et en particulier de l'Allemagne (28 %), de la Belgique et du Luxembourg (17 %) et du Royaume-Uni (6 %). En dehors de l'Union européenne, le principal pays développé destinataire reste les Etats-Unis, qui représente 28 % des flux d'IDE. Il est intéressant de noter que sur l'ensemble des années 1990, les pays émergents n'ont accueilli qu'une part marginale des flux d'investissement français à l'étranger (bien que cela puisse poser des problèmes sectoriels importants).

De même, les investissements directs étrangers en France proviennent essentiellement des pays de l'Union européenne, et dans une proportion même plus importante que les IDE français à l'étranger (plus de 80 %). Les principaux pays investisseurs sont l'Allemagne, le Benelux et l'Espagne. Les Etats-Unis n'investissent que très peu en France (4,8 milliards d'euros en 2000), en comparaison des flux inverses (29,3 milliards d'euros).

La prépondérance de l'Union européenne dans les flux d'IDE est manifeste. Malgré l'accroissement soutenu des flux en provenance des pays tiers, les flux d'IDE au sein de l'Union européenne supplantent très largement les flux hors de l'Union européenne. En 2000, la moyenne des flux intra-UE (moyenne des flux d'IDE intra-UE sortants et entrants) est estimée par Eurostat à 476 milliards d'euros, un montant quatre fois plus élevé que celui des flux d'IDE provenant du reste du monde et qui correspond à 6 % du PIB de l'UE.

La date de 1998 constitue là encore une date charnière pour les flux d'IDE au sein de l'Union européenne. Les opérations transfrontalières au sein de l'UE, ont doublé en 1998, puis ont presque triplé en 1999 (+173 %) avant de progresser de 50 % en 2000.

L'ensemble de ces observations tend à montrer que les comportements d'investissement sur le sol national et d'investissements directs à l'étranger sont plutôt de nature complémentaire. Les flux d'investissement directs viseraient à augmenter la couverture géographique des entreprises nationales et les territoires considérées concerneraient à 80 % l'Union européenne.

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