N° 65

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003

Annexe au procès-verbal de la séance du 20 novembre 2002

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur la fiscalité des mutations à titre gratuit ,

Par M. Philippe MARINI,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de: M. Jean Arthuis, président ; MM. Jacques Oudin, Gérard Miquel, Claude Belot, Roland du Luart, Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Aymeri de Montesquiou, vice-présidents ; MM. Yann Gaillard, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; MM. Philippe Adnot, Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Jacques Baudot, Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Eric Doligé, Thierry Foucaud, Yves Fréville, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Hubert Haenel, Claude Haut, Roger Karoutchi, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, François Marc, Michel Mercier, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, René Trégouët.

Impôts et taxes.

Le 28 novembre 2001, votre commission des finances avait confié à son président et son rapporteur général le soin de mener, dans le cadre du comité d'évaluation des politiques publiques, une étude sur la fiscalité des mutations à titre gratuit.

S'agissant d'une matière dans laquelle la pratique est essentielle, il avait paru utile de s'appuyer sur un cabinet d'avocats fiscalistes qui, seul, pouvait apporter de façon très concrète, les éléments de comparaison internationale, indispensables dans une perspective européenne.

Devenu seul en charge du rapport par suite de l'entrée au gouvernement de notre ancien collègue Alain Lambert, votre rapporteur général espère bénéficier de l'écoute attentive de son ancien co-rapporteur, d'autant que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie vient d'annoncer que 2003 serait une année consacrée à la fiscalité du patrimoine.

Votre rapporteur général est conscient de la faiblesse de la marge de manoeuvre budgétaire du gouvernement. Pourtant, il lui est apparu difficile de ne pas envisager une réforme radicale.

Le sujet se pose désormais dans un contexte européen voire mondial. Avec l'avènement de l'euro et l'unification croissante de l'espace économique européen, avec la mondialisation également, qui amène de plus en plus d'agents économiques à effectuer une partie de leur carrière à l'étranger, l'appréciation technique et politique que l'on peut porter sur notre système d'imposition des transmissions de patrimoine doit se faire de façon comparative.

Le cabinet Archibald International (réseau Ernst & Young) qui avait été sélectionné en janvier 2002, a remis son étude au mois de juin suivant. Il a pu bénéficier des éléments d'informations fournis, notamment en matière de chiffrage, par l'administration des finances, ainsi que par les postes d'expansion économique à l'étranger.

Cette étude dresse un constat et débouche sur un ensemble de propositions. Votre rapporteur général en reprend une partie dans une optique moins directement opérationnelle et plus axée autour d'une réflexion à moyen terme sur la façon dont il faudrait faire évoluer notre régime fiscal pour le mettre au niveau de celui de nos principaux partenaires européens.

Au vu de l'état de nos finances publiques, il ne saurait être question d'aligner la France sur l'Allemagne ou sur la Grande-Bretagne, pour ne rien dire de l'Italie, qui vient purement et simplement de supprimer les droits de succession et de donation. En revanche, il paraît possible de s'inspirer des mécanismes en vigueur dans certains pays européens et, en tout premier lieu, d'éliminer certaines incohérences héritées de l'histoire avec le souci de rendre le prélèvement plus compréhensible et donc plus facile à accepter par nos concitoyens.

Au cours du débat qui a suivi la présentation en commission du présent rapport, un certain nombre de sénateurs ont insisté sur l'importance du facteur démographique .

Avec l'allongement de l'espérance de vie, la France vieillit à un rythme accéléré : l'effectif des plus de 75 ans va passer de 4,2 millions à 8,3 millions entre 2000 et 2035 et celui des plus de 85 ans de 1,2 à 2,4 millions. Ce quasi-doublement d'une population qu'il bien faut qualifier d'âgée voire de très âgée, n'est pas sans poser de vrais problèmes économiques.

Si le phénomène du vieillissement de la population a été jusqu'à présent surtout envisagé du point de vue des charges qu'il crée pour la société à travers les questions du financement des retraites ou de la dépendance, il convient également de l'envisager de celui de la répartition des richesses.

Le présent rapport s'inscrit dans la perspective d'un phénomène nouveau et à certains égards inquiétant, la concentration des richesses entre les mains d'une population vieillie.

Il y a bel et bien le risque de la stérilisation d'une partie du patrimoine notamment immobilier , sous-utilisé, mal entretenu, voire laissé à l'abandon.

D'où l'urgence de mettre en place une fiscalité assurant cette fluidité des patrimoines des anciennes vers les nouvelles générations, qui ont à la fois des besoins immédiats et l'envie d'entreprendre. De ce point de vue, s'il est nécessaire de rétablir une certaine neutralité de la fiscalité vis-à-vis des démembrements de propriété, des précautions doivent être prises pour ne pas décourager des réserves d'usufruit, qui restent souvent la seule protection de personnes éminemment vulnérables. Le débat, qui dépasse le cadre du présent rapport, doit être ouvert en liaison avec toutes les parties prenantes et, notamment, les professionnels concernés, au premier rang desquels, figurent les notaires.

Telle est l'ambition des propositions contenues dans ce rapport, qui tendent, au moment où ceux qui héritent, seront le plus souvent déjà grands-parents et retraités, à préserver à moyen terme la vitalité de l'économie et de la société françaises .

I. LE CONSTAT : UN SYSTÈME INCOHÉRENT EN DÉCALAGE AVEC NOS PRINCIPAUX PARTENAIRES

Les enjeux symboliques et économiques du régime fiscal des transmissions de patrimoines sont considérables.

La structure et le poids des droits de mutation à titre gratuit expriment en effet la façon dont une société perçoit les liens de solidarité entre les personnes. A travers un barème des droits de mutation à titre gratuit, on peut lire une certaine conception de la famille et une certaine idée du partage des richesses.

Mais dans un pays d'économie libérale, les droits de mutations à titre gratuit conditionnent également la structure de la propriété des moyens de production et influe donc sur le tissu industriel et commercial du pays.

Tel est le contexte d'un rapport qui est l'occasion de prendre un double recul : un recul temporel qui tend à montrer que le système actuel résulte de la superposition de mesures souvent décidées dans l'urgence ; un recul géographique qui témoigne du poids relativement lourd de notre fiscalité par rapport à la quasi-totalité des autres pays européens.

Pour votre rapporteur général, l'étude d'Archibald International (réseau E&Y) souligne l'incohérence du barème et le fait qu'il n'est pas cohérent avec l'évolution des moeurs et de la société .

eElle met l'accent également sur les risques que comporte, sur le plan économique, le maintien d'un système inadapté : risque pour l'emploi, d'une part, et risque pour l'attractivité du territoire, d'autre part .

Enfin, elle révèle indirectement, du fait même des possibilités d'optimisation dont elle démontre l'existence, les inégalités qui résultent d'un système peu transparent qui permet aux contribuables les mieux conseillés et les plus prévoyants de diminuer considérablement le prélèvement .

A. UN BARÈME DE « BRIC ET DE BROC »

Depuis l'acte dit loi de 1942 qui est venu unifier le régime fiscal des successions, celui-ci n'a fait l'objet d'aucune réforme de fond mais a évolué au gré des circonstances par ajouts successifs, dictés par des considérations d'opportunité politique ou le souci du rendement fiscal, alternant, de façon cyclique, addition de tranches supplémentaires et mesures d'allègements comme celles récemment en faveur notamment des transmissions anticipées.

Tout se passe comme si l'on était face à des fluctuations où à des phases d'alourdissement parfois ostentatoire, de la fiscalité pour des raisons de solidarité, succédaient des phases d'allègements de fait, laissant en vigueur des taux apparemment élevés.

Il faut rappeler le « bouleversement » qu'a constitué en 1983 le doublement du taux marginal applicable en ligne directe qui est passé brutalement de 20 % à 40 %. Comme l'a signalé le directeur de la législation fiscale lors de son audition, toute l'évolution récente a consisté à amortir « l'onde de choc » constituée par cette mesure au travers des mesures destinées à favoriser les transmissions anticipées.

Une fois de plus, on voit la représentation nationale manifester une préférence pour la combinaison de taux d'imposition nominalement élevés et de régimes dérogatoires de nature à faire baisser la pression fiscale réelle.

Un des aspects importants du rapport, il est vrai bien connu de votre commission des finances, est le fait que l'incohérence du barème a été accrue par la non-indexation des seuils des tranches : ainsi le seuil de 50.000 francs, soit 7.600 euros, en deçà duquel le taux est de 5 %, déjà en vigueur en 1959, devrait s'élever en 2003 si l'on tenait compte de l'inflation à 63.563 euros soit 416.500 francs . Il est peu de domaines où l'on ait vu de façon aussi nette se manifester le phénomène des prélèvements rampants.

Le conseil des impôts puis le rapport de notre collègue député M. Didier Migaud alors rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, qui datent tous les deux de 1998, ont souligné qu' entre 1959 et 1998, le taux moyen d'imposition a été multiplié par 14,3 pour 150.000 euros de parts d'héritage , par 2,8 pour une part d'héritage de 300.000 euros et par 2,3 pour une part d'héritage de 2,3 millions d'euros.

Le rapport souligne le fait que le barème qui comporte sept tranches aux dimensions dénuées de signification, est finalement peu progressif, notamment parce que la quatrième tranche taxée à 20 % s'élargit brusquement pour porter sur des patrimoines compris entre 15.000 euros et 520.000 euros en ligne directe. En pratique, la majorité des mutations à titre gratuit taxables sont imposées au taux de 20 %.

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