N° 79

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003

Annexe au procès-verbal de la séance du 29 novembre 2002

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) et du groupe d'étude de l'Energie (2) sur les Actes du Colloque « Énergie : quelle politique française pour la prochaine législature ? » organisé par le Sénat le 26 juin 2002,

Par MM. Gérard LARCHER et Henri REVOL,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Gérard Larcher, président ; MM. Jean-Paul Emorine, Marcel Deneux, Gérard César, Pierre Hérisson, Jean-Marc Pastor, Mme Odette Terrade, vice-présidents ; MM. Bernard Joly, Jean-Paul Émin, Patrick Lassourd, Bernard Piras, secrétaires ; MM. Jean-Paul Alduy, Pierre André, Philippe Arnaud, Gérard Bailly, Bernard Barraux, Mme Marie-France Beaufils, MM. Michel Bécot, Jean-Pierre Bel, Jacques Bellanger, Jean Besson, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Marcel-Pierre Cleach, Yves Coquelle, Gérard Cornu, Roland Courtaud, Philippe Darniche, Gérard Delfau, Rodolphe Désiré, Yves Detraigne, Mme Evelyne Didier, MM. Michel Doublet, Bernard Dussaut, Hilaire Flandre, François Fortassin, Alain Fouché, Christian Gaudin, Mme Gisèle Gautier, MM. Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Charles Guené, Mme Odette Herviaux, MM. Alain Journet, Joseph Kergueris, Gérard Le Cam, Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Jean-Yves Mano, Max Marest, Jean Louis Masson, Serge Mathieu, René Monory, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron, Ladislas Poniatowski, Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Charles Revet, Henri Revol, Roger Rinchet, Claude Saunier, Bruno Sido, Daniel Soulage, Michel Teston, Pierre-Yvon Trémel, André Trillard, Jean-Pierre Vial.

(2) Le groupe d'étude est composé de : M. Henri Revol, président ; MM. Jacques Valade, Jean Faure, Jean Besson, Jean-François Le Grand, Aymeri de Montesquiou, Ladislas Poniatowski, vice-présidents ; MM. Jacques Bellanger, Gérard César, Pierre Hérisson, Roland du Luart, Mme Odette Terrade, secrétaires : MM. Philippe Nachbar, André Rouvière, François Trucy, Alex Türk, membres du bureau ; MM. Philippe Adnot, Claude Belot, Jean Boyer, Robert Calmejane, Auguste Cazalet, Philippe Darniche, Hubert Durand-Chastel, Jean-Paul Emin, André Ferrand, Hilaire Flandre, Alain Gérard, François Gerbaud, Jean-Pierre Godefroy, Adrien Gouteyron, Louis Grillot, Hubert Haenel, Pierre Laffitte, Lucien Lanier, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Paul Loridant, Jean Louis Masson, Joseph Ostermann, Michel Pelchat, Jacques Pelletier, Jean Pépin, Jean-François Picheral, Xavier Pintat, Bernard Piras, Jean-Pierre Plancade, Charles Revet, Roger Rinchet, Bruno Sido, Jean-Pierre Vial, Xavier de Villepin.


Énergie

La Commission des Affaires économiques du Sénat et le groupe d'étude de l'énergie ont organisé, le 26 juin 2002, un colloque intitulé « Energie : quelle politique pour la prochaine législature ? ».

Ce colloque posait des questions cruciales pour cerner les options ouvertes aux pouvoirs publics et les choix susceptibles d'être faits par EDF et GDF. Comment organiser l'adaptation de nos deux entreprises publiques à cette nouvelle donne ? Quels objectifs et quelles limites à l'ouverture européenne ? Tous sujets qui intéressent aussi bien l'avenir de l'Europe de l'énergie que la place des entreprises françaises et leur politique de développement en son sein.

Le présent rapport d'information présente les actes de ce colloque dont la Commission des Affaires économiques a approuvé la publication au cours de sa réunion du mercredi 27 novembre 2002.

ALLOCUTION D'OUVERTURE -

M. Gérard Larcher, sénateur des Yvelines,
président de la commission des Affaires économiques
et du Plan du Sénat

J'ai le plaisir d'ouvrir ce colloque sur l'énergie, avec à mes côtés le président Jacques Valade -dont l'intérêt pour ce sujet est connu de tous- et le président Jean Besson.

Outre de nombreuses personnalités du monde de l'énergie, nous sommes heureux d'accueillir le président de la Section des activités productives du Conseil économique et social, Didier Simond. La Commission des Affaires économiques et du Plan conduit, en effet, avec le Conseil économique et social un certain nombre de travaux, notamment dans le secteur industriel.

La date de notre manifestation n'a pas été choisie par hasard, faisant suite immédiate aux événements électoraux que nous venons de connaître, pour traiter d'un sujet qui, d'ici au printemps 2003, sera d'actualité.

Quelle doit être la politique énergétique de la France et de l'Union européenne au cours des mois et des années à venir ?

Si nous nous entendons sur les buts poursuivis, restent plusieurs questions sur les moyens à utiliser pour les atteindre. Il me paraît souhaitable de bien identifier les objectifs fixés en négociant puis en transposant des directives de libéralisation, faute de quoi nos concitoyens seraient en droit de se demander à quoi servent des réformes dont les politiques eux-mêmes sembleraient craindre les effets dès lors qu'ils ne les expliqueraient pas. Pour convaincre, il ne suffit pas de vouloir, il faut être pédagogue.

Une politique énergétique viable pour la France et pour l'Europe impose, à mes yeux, trois objectifs fondamentaux :

- assurer aux particuliers et aux entreprises une fourniture énergétique diversifiée et peu sensible aux aléas économiques et stratégiques ;

- maintenir cette fourniture à un coût raisonnable pour toutes les catégories de clients ;

- respecter l'environnement et le protocole de Kyoto sur les émissions de gaz à effet de serre.

Cette politique énergétique est indispensable à une croissance économique favorable à l'emploi dans les services et dans l'industrie. Mener une telle politique nécessite une stratégie fondée sur un consensus national. Après la période des réformes énergétiques « en catimini », le temps est venu d'aborder les problèmes sans les éluder. Je souhaite que nos travaux éclairent le plus complètement possible ces problèmes, et qu'ils y apportent des réponses ou définissent des voies de solutions.

Y a-t-il une alternative pour la France et l'Europe entre les deux repoussoirs que constituent le « monopole flasque », dont l'incurie dans sa forme extrême a abouti à Tchernobyl, et la concurrence irrationnelle, voire perverse, qui a suscité la crise californienne ?

Existe-t-il de réelles marges de progression dans la voie de la libéralisation, afin d'accroître par la productivité, la compétitivité de nos économies ? On constate que plusieurs de nos partenaires européens ont bénéficié de l'apparition de mécanismes de marché qui tirent les prix à la baisse, notamment pour les importants clients industriels. Faut-il pour autant en France accélérer la libéralisation sans discernement ? A l'évidence, dans le secteur électrique, notre pays a intérêt à accroître ses échanges avec l'étranger, eu égard à sa productivité forte et à ses capacités de production disponibles. Est-ce à dire que nous devons accepter les diktats de certains de nos partenaires, qui s'emploient de fait à créer des marchés nationaux étanches ? Ainsi, l'exemple de l'Allemagne révèle une forme de schizophrénie qui menace certains membres de l'Union : M. Schröder appelle à l'accélération de la libéralisation, alors que nous savons que le marché intérieur allemand est « cartellisé » et fermé à la concurrence intra-européenne.

Ne convient-il pas de distinguer une libéralisation juridique et virtuelle de la constitution réelle d'un grand marché intérieur de l'énergie, qui suppose l'introduction de mécanismes techniques efficaces ?

N'est-il pas révélateur que notre pays soit celui qui a permis l'accès des tiers au réseau électrique sur la base d'un tarif négocié et donc non discriminatoire ?

N'est-il pas révélateur que notre pays soit l'un des rares qui se soient dotés d'un régulateur puissant, actif, indépendant et respecté ?

Aucun bilan précis n'a encore été établi sur l'avancement de la libéralisation européenne, sujet sur lequel la France n'a nullement à rougir.

Est-il concevable que la libéralisation ait pour effet de favoriser la constitution d'un oligopole de producteurs européens ? Certains Etats peuvent-ils continuer à faire de la libéralisation virtuelle tandis que d'autres, qui procèdent à une libéralisation réelle, devraient se soumettre encore plus aux règles d'ouverture du marché ?

Que serait une libéralisation qui ne servirait qu'à accroître le prix des fournitures faute de capacité de production -- je songe ici à l'inéluctable relance du programme nucléaire --, ou qui aboutirait à diminuer la sûreté des approvisionnements, ou encore qui conduirait à accentuer l'effet de serre en incitant au développement inconsidéré de centrales thermiques ?

De façon plus générale, la question de la répartition des différents types de production en Europe et dans les pays avoisinants est posée.

Peut-on par exemple laisser fonctionner, aux portes de l'Union, des centrales nucléaires que certains ingénieurs appellent des centrales "en tôle" ? Un accident discréditerait toute la production nucléaire et pousserait les prix à la hausse, or nul ne doit oublier que c'est cette production qui limite le contrôle du marché par les producteurs de matière première.

Cependant, la libéralisation est en marche. Nous devons encore réfléchir, mais sans pouvoir reculer. Il convient donc de se préparer à assurer la transition entre les monopoles historiques, qui ont fait leurs preuves, et un modèle nouveau, vraisemblablement incitatif au dynamisme et intégrateur des économies, dans lequel, quoi qu'il en soit, le risque doit demeurer maîtrisable et le service public assuré.

C'est dans ce contexte global que nous devons nous interroger sur le devenir des opérateurs historiques français du marché de l'énergie.

La position de la France me paraît devoir être pragmatique. Les plus ardents défenseurs de la suppression des monopoles historiques se recrutent dans des Etats où prévalent des oligopoles... A force d'avoir été annoncée, différée, puis démentie, la question de l'évolution du statut d'établissement public d'EDF et de GDF a fini par semer l'inquiétude chez leurs salariés, qui n'attendent au contraire que clarté et pédagogie.

Le débat doit être clarifié, un projet d'entreprise mobilisateur doit être défini, accompagné d'un projet social dont ne seront pas être exclus les salariés.

Quels sont, dans cette perspective, les schémas d'évolution envisageables pour les deux opérateurs historiques français ? Ils doivent s'adapter à la nouvelle donne, c'est une question de survie économique dans le monde de demain. Pour la France, il s'agit d'un enjeu essentiel pour la place qu'elle occupera en Europe et dans le monde.

La croissance externe de ces deux entreprises publiques est l'une des conditions de la pérennité des régimes d'emploi qu'elles assurent. Cette croissance doit certes se faire en préservant des règles prudentielles, mais un schéma d'évolution doit être imaginé.

Nous pouvons songer à quatre choix principaux : la voie gémellaire, le mariage arrangé, le ménage à trois et la réconciliation amoureuse...

Convient-il de persister dans la « voie gémellaire » des développements parallèles et indépendants d'EDF et de GDF ? Certains en doutent, estimant que GDF n'aurait pas la taille suffisante, avec ses seules forces, pour conserver son indépendance. La question de l'amont est posée.

Une fusion des deux opérateurs, le « mariage arrangé », est-elle envisageable ? Les défenseurs de cette solution font valoir qu'elle permettrait de constituer un opérateur multi-énergies disposant d'une taille critique incontestable. Mais on peut s'interroger sur l'acceptabilité d'une telle stratégie au regard des règles européennes du droit de la concurrence, et s'interroger sur le prix qu'il y aurait alors à payer.

Le « ménage à trois » est la fusion par métiers, qui séparerait chaque entreprise horizontalement en trois entités chargées respectivement de la production, du transport et de la distribution de l'électricité et du gaz. Mais ce compromis ne risquerait-il pas de retarder au-delà du raisonnable l'adaptation de GDF ?

Un modèle mixte permettrait de transformer, dans des délais raisonnables, GDF en société anonyme publique pour lui permettre de tenter l'aventure de la conquête dans l'indépendance, quitte à rapprocher certaines de ses activités de celles d'EDF dans le cadre d'une forme de « réconciliation amoureuse »...

Je soumets ces différents scénarios à votre appréciation, en espérant qu'ils contribuent à alimenter vos réflexions.

Dans ce cadre général, une donnée essentielle ne doit pas être oubliée : je veux parler des modalités d'association des personnels et des garanties à apporter à leurs statuts et à leurs retraites. Cette question n'est d'ailleurs pas seulement nationale. En ce qui me concerne, il est clair que la manière de procéder doit être établie après concertation et dialogue social, conformément aux orientations tracées par le président de la République. Les modalités de la garantie des retraites devront être déterminées dans le nouveau contexte concurrentiel, ce qui n'est pas simple. Nous évoquons là, pour la seule EDF, un dossier à 40 milliards d'euros !

Là encore le pragmatisme et le dialogue, et non les idéologies ou les corporatismes déplacés, devraient ouvrir la voie au législateur.

Après quelques années d'immobilisme, on peut se donner quelques mois, pour développer le dialogue social et évaluer de manière incontestable la valeur financière d'EDF.

Le Sénat réfléchit de manière approfondie aux inflexions de la politique énergétique de la France. Cette réflexion est par nature indépendante, mais à coordonner avec celle de l'exécutif. Notre assemblée participera, accompagnera, voire anticipera le processus de réforme que nous connaîtrons au cours de la législature qui commence. De toute façon, parce qu'il y aura loi, le Parlement sera au coeur de la décision, donc du débat, des tensions, des consensus recherchés et des choix.

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