DEUXIÈME TABLE RONDE :

OBJECTIFS ET LIMITES DE L'OUVERTURE
DES MARCHÉS DE L'ÉNERGIE

Intervention de M. Jean Besson, sénateur de la Drôme,
rapporteur pour avis sur le budget de l'Energie du Sénat

Un certain flou existe actuellement en ce qui concerne les objectifs de la politique énergétique européenne. Je suis pour ma part convaincu de la nécessité de diminuer le coût de l'énergie pour accroître la compétitivité de nos entreprises, comme de la nécessité de préserver une tarification qui ne lèse pas les consommateurs domestiques. C'est dans ce cadre général que doit être examinée la structure de la production énergétique de l'Union européenne, et notamment la place qui sera donnée au nucléaire. Il appartient aux décideurs publics de souligner l'importance de la contribution du nucléaire pour respecter nos engagements de Kyoto.

Je voudrais vous faire part des interrogations suscitées dans les collectivités locales -- qui sont propriétaires et, donc, autorités concédantes des réseaux de distribution d'énergie -- concernant la qualité du service délivré au client.

Les financiers vont détenir un pouvoir grandissant dans les entreprises historiques. Ces experts en ratios et graphiques seront-ils sensibles à la nécessité de conserver la qualité du service rendu au consommateur ? C'est l'enjeu de la libéralisation pour les collectivités locales.

Les élus locaux, dont nous sommes les représentants, sont par ailleurs très attachés au maintien d'instruments de péréquation propres à la France, qui ont permis d'assurer l'égalité de nos concitoyens vis-à-vis du service public de l'énergie. Il nous appartient de nous assurer que l'ouverture des marchés européens ne servira pas de prétexte pour affaiblir ces mécanismes de péréquation territoriale.

Intervention de M. Gérard Mestrallet,
président-directeur général de Suez

Suez, à travers Tractebel, est l'un des opérateurs les plus internationaux. L'énergie à l'international représente les deux tiers de notre chiffre d'affaires, et dépasse les 50.000 mégaWatts, dont la moitié en Europe. Nous sommes fort intéressés par les sujets dont nous débattons aujourd'hui, d'autant que Tractebel est présent aussi sur le marché du gaz, depuis 1994, avec Distrigaz.

Nous étions réunis ici même il y a environ un an, selon la même configuration. La crise californienne démarrait et nous étions dans la perspective du Sommet de Barcelone. Beaucoup de choses se sont passées depuis. Aux Etats-Unis par exemple, au-delà de la crise californienne et de l'affaire Enron, la réalité est plus complexe, plus profonde et plus grave. Elle ne résulte pas seulement d'une insuffisance des capacités de production, ni des effets d'une libéralisation plutôt mal conçue. Le modèle de référence était celui du trading pur, dont nous nous sommes délibérément écartés en ce qui nous concerne.

Le Sommet de Barcelone a ensuite précisé le cadre de l'ouverture du secteur à la concurrence. Nous sommes aujourd'hui inévitablement dans la dynamique d'une telle ouverture. Elle est parfois relativement mal vécue ; certains craignent une remise en cause des acquis sociaux, un abandon des missions de service public, une faillite à la californienne de systèmes électriques ou gaziers qui seraient livrés à eux-mêmes.

Je crois que le cadre défini par les directives communautaires écarte ces risques, tout d'abord parce que les objectifs sont assez clairs. L'ouverture de ces marchés constitue une pierre angulaire à la construction du grand marché intérieur, lui-même garant de la prospérité des Etats membres. Un marché ouvert offre, avant tout, la possibilité pour les consommateurs de choisir leurs fournisseurs. Par ailleurs, la méthode choisie me paraît bonne, accompagnée d'un calendrier raisonnablement progressif. Rappelons que l'ouverture de ces marchés européens va se faire de façon beaucoup plus homogène et rapide qu'aux Etats-Unis, où les premiers éléments d'ouverture datent d'une vingtaine d'années, et où la liberté est largement laissée à chaque Etat, alors que l'Europe impose une vitesse minimum à chaque Etat membre.

Il faut bien entendu que les institutions de marché soient bien dessinées, et qu'il y ait un bon " market design ". Cela signifie plusieurs choses.

Il est premièrement indispensable qu'il y ait un régulateur indépendant, une institution efficace pour que le marché s'ouvre et fonctionne. C'est au régulateur qu'il revient de veiller à ce que notamment les obligations de service public indispensables ne soient pas un prétexte pour introduire des distorsions de concurrence. C'est également à lui, avec les gestionnaires de réseaux et les producteurs, qu'il incombe de garantir la sécurité. Je tiens à dire aussi que nous avons en France un système efficace de régulation : je salue l'action de la Commission de régulation de l'électricité. Il en est d'ailleurs de même en Belgique. Nous livrons par exemple en France environ 70 sites industriels importants, ce qui n'est pas le cas en Allemagne, contrairement à ce que l'on pourrait penser compte tenu de la configuration de ces deux marchés. Le marché allemand n'a toujours pas trouvé son régulateur, ce qui donne un marché ouvert en théorie à 100 %, mais fermé en pratique à 100 %.

La régulation doit par ailleurs être soucieuse des réalités économiques et techniques. C'est l'économie qui commande la séparation juridique d'une part des réseaux de transport d'électricité et de gaz, monopoles naturels porteurs de faibles risques, et d'autre part des activités de production et de commercialisation, qui sont, par nature, concurrentielles. Pourquoi est-il difficile d'alimenter les grands consommateurs industriels en Allemagne ? Il existe cinq réseaux de transport, chacun étant la propriété d'un producteur, donc d'un concurrent. On comprend la difficulté de traverser parfois un, deux ou trois réseaux différents... pour livrer un client. Cette séparation est donc une nécessité.

J'ajouterais qu'il ne faut pas qu'une régulation tarifaire trop stricte décourage l'investissement en développement des réseaux et des interconnexions ou bien s'étende à des activités qui ne sont pas de son ressort.

Un troisième axe d'effort concerne les instruments financiers : ils doivent être adaptés aux spécificités du secteur, notamment de l'électricité.

On entend dire, dans l'affaire Enron notamment, que le trading est le fléau absolu. Je pense le contraire. Il faut apporter au secteur de l'électricité une flexibilité en élaborant des instruments adaptés à la gamme des prestations. Il faut des prix à terme qui se forment sur un marché qui puisse avoir une profondeur et une liquidité suffisante pour équilibrer l'offre et la demande. Mais le marché ne doit pas défier les lois de la physique ! L'électricité ne se stocke pas et ne se livre pas par ondes hertziennes ! Faute de véritables parcs de production et de véritables réseaux de transport, les choses finissent par tourner mal : c'est pour cette raison d'ailleurs que nous avions décidé de ne pas suivre le modèle Enron.

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