PROMOUVOIR LA PLURIDISCIPLINARITÉ

La pervasion de la microélectronique vers les micro et nanosystèmes, les remontées des nanosciences exigent de plus en plus d'interdisciplinarité.

Cette évolution doit naturellement trouver sa traduction dans une réflexion sur les formations (cf. infra ) mais également dans les pratiques quotidiennes.

Sur ce point, elle devrait être facilitée par la mise en place d'instruments financiers mieux adaptés, et par des actions concertées incitatives.

Mais, si elle est largement souhaitée, encouragée et proclamée, la pluridisciplinarité est-elle vécue comme un impératif par la communauté des chercheurs ?

Plusieurs des auditions effectuées dans le cadre de l'étude ont montré qu'il existait, en dépit des efforts de certains organismes de recherche, un cloisonnement excessif entre les disciplines .

Ce cloisonnement peut avoir pour résultat de freiner la carrière des chercheurs, un chimiste travaillant, par exemple, avec des biologistes ou avec des physiciens, sera considéré avec circonspection par ses pairs.

Il semble donc nécessaire de réformer plus explicitement le fonctionnement des comités d'évaluation afin de mieux prendre en compte les activités interdisciplinaires des chercheurs.

CRÉER UN CADRE FISCAL ADAPTÉ À LA SPÉCIFICITÉ
DES HAUTES TECHNOLOGIES

Depuis 1993, la part du financement public de la recherche en entreprise s'est effondrée : elle est passée de 15,7 % à 9,3 % en 2000.

Parallèlement à cette baisse sans précédent des aides directes, l'État n'a pas su développer des aides indirectes correspondant à la spécificité des filières de haute technologie . La puissance publique a même continuellement aggravé, en matière de taxe professionnelle, le statut fiscal des très grandes entreprises de la filière.

Les projets récemment annoncés par le Gouvernement sur la fiscalité des entreprises à croissance rapide répondent à une partie de ces besoins. Ils sont, au demeurant, dans le droit fil de la loi sur l'innovation adoptée à l'unanimité sous l'impulsion du précédent Gouvernement.

Mais, pour l'essentiel, le dispositif reste timide en matière de crédit d'impôt recherche, très pénalisant pour les équipements de haute technologie en matière de taxe professionnelle, et très incomplet dans le domaine si important de la formation continue .

Mettre en place un crédit d'impôt recherche significatif

De nombreux pays, dont la France, mettent en oeuvre un crédit d'impôt-recherche.

Ainsi, les États-Unis pratiquent cette politique aussi bien à l'échelon fédéral qu'au niveau des États. Ils appliquent des dispositifs qui prévoient une assiette large puisqu'un pourcentage (20 % à l'échelon fédéral, variable dans les États) des dépenses de recherche et de développement peut être déduit, sans plafond , de l'impôt sur les sociétés.

Le Royaume-Uni a établi en 2000 un crédit d'impôt recherche réservé aux PME et l'a étendu à toutes les entreprises en 2002. Cette disposition fiscale est très favorable aux industriels puisqu'elle permet de déduire de l'impôt sur les sociétés 125 % de la dépense éligible définie sur une base étendue.

Le dispositif français est beaucoup plus timide :

- son assiette est limitée et ne porte que sur 50 % de la dépense supplémentaire de recherche effectuée par rapport à la moyenne de celle exposée sur les deux exercices fiscaux précédents,

- il est plafonné à 6,1 millions d'euros, plafond qui n'a pas été modifié depuis 1991. Celui-ci est notablement insuffisant pour les grandes entreprises qui portent la plus grande partie de l'effort de recherche des filières de haute technologie,

- il n'encourage pas le lien , maintenant essentiel, entre les recherches publiques et privées, entre l'amont et l'aval des filières de haute technologie, ce qui ne correspond pas à leur évolution.

Ce dispositif modeste a un coût très modeste : 490 millions d'euros en 2001 27 ( * ) , soit environ 3 % de la dépense de recherche nationale développement supportée par les administrations.

Il vient à échéance à la fin de 2003. Une réflexion est engagée sur son évolution.

On peut contribuer à cette réflexion en avançant les propositions suivantes :

- s'agissant des PME, le dispositif est satisfaisant à une réserve près : l'assiette est trop étroite et inadaptée aux rythmes économiques . Asseoir le crédit d'impôt sur 50 % de la dépense de recherche supplémentaire par rapport à la moyenne des deux exercices antérieurs est notablement antiéconomique. En effet, lorsqu'une entreprise engage un effort de recherche supplémentaire à l'année « n », elle n'en tirera pas de bénéfice, et donc d'espoir de bénéfice du crédit d'impôt avant l'année n+1 ou n+2.

Si on souhaitait maintenir ce type d'assiette, il faudrait pour le moins, soit la lisser 28 ( * ) sur des périodes plus longues, soit, surtout, admettre le report du crédit d'impôt sur les deux exercices postérieurs à l'engagement de la dépense supplémentaire .

- le crédit d'impôt est totalement inadapté aux masses engagées par les très grandes entreprises .

Comme pour les petites entreprises, se pose le problème de l'étroitesse de l'assiette et de son inadaptation aux rythmes économiques, mais surtout celui de son plafonnement.

Un crédit d'impôt limité à 6,1 millions d'euros n'a que très peu d'effets d'encouragement pour ces entreprises à accroître leur recherche. En d'autres termes, le coût marginal d'une prise de risque financier est, en général, total, puisque le gain qui pourrait être escompté du crédit d'impôt-recherche est neutralisé par l'effet de son plafonnement.

Rappelons que beaucoup de pays concurrents de la France mettent en oeuvre des crédits d'impôt entièrement déplafonnés et que dans une économie mondialisée, il est très facile de déplacer des chercheurs vers des pays où le statut fiscal de leur activité est valorisé .

Il est nécessaire de mettre en oeuvre le plus rapidement possible un déplafonnement significatif de crédit d'impôt-recherche, si l'on ne veut pas soumettre les très grandes entreprises aux tentations de la délocalisation scientifique.

- Enfin, il est essentiel de mettre à profit la réforme de cet instrument, de toute façon obsolète, afin de subordonner l'assouplissement des avantages fiscaux qui devront être accordés aux filières de haute technologie à l'accroissement des actions menées en commun par les entreprises avec les grands centres de recherche et de développement technologique publics .

Adapter la législation sur la taxe professionnelle

La taxe professionnelle est une particularité bien française, puisque c'est la seule taxe au monde assise sur l'appareil productif, indépendamment des revenus des entreprises 29 ( * ) .

Les très grands investissements industriels , comme les lignes de production des semi-conducteurs,qui sont les installations les plus coûteuses (2,5 milliards d'euros aujourd'hui, 6 milliards d'euros dans quelques années) sont donc très vulnérables au régime applicable dans ce domaine.

Afin de limiter les effets négatifs de cette taxation, le législateur avait prévu d'accorder un dégrèvement de taxe, à la charge de l'État, égal à la différence entre la taxe normalement due et 4 % de la valeur ajoutée (pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 76 225 000 € - 500 millions de francs).

Mais ce dégrèvement est lui-même plafonné depuis 1995 à 76 225 000 €.

Les effets de cette disposition, conjugués avec celles intervenues depuis (changement d'assiette intervenue au bénéfice des sociétés de main d'oeuvre au détriment de l'industrie lourde, réforme de l'intercommunalité, non-plafonnement de la taxe additionnelle à la taxe professionnelle perçue au bénéfice des chambres de commerce et d'industrie), créent une situation très préoccupante .

Dès maintenant :

- une ligne de production de semi-conducteurs paye 10 000 € de taxe professionnelle annuelle, soit 6 fois plus que la moyenne des établissements industriels,

- sur une usine de disques de 300 mm, les prélèvements de taxe professionnelle approchent 60 % du montant d'une marge brute normale de 10 %.

Si cet état de fait n'est pas rapidement rectifié, des décisions de délocalisation de l'usine de production de disques de 300 mm de Crolles pourraient être, à terme, envisagées (notamment en Italie - dont l'État, rappelons-le, est le principal coactionnaire de STMicroelectronics, avec la France).

On mesure dès maintenant les conséquences qu'auraient de telles délocalisations :

- une usine de disques de 300 mm qui emploie 1 200 personnes dont la plupart sont hautement qualifiées, induit, sur son seul fonctionnement, 3 500 emplois supplémentaires, et en génère indirectement 7 000 de plus. Ajoutons que ce type d'installations agrège d'autres entreprises de haute technologie (comme le montre l'exemple de la zone industrielle de Crolles).

Les ressources sociales et fiscales associées à ce type d'implantation seraient menacées en cas de délocalisation de l'usine.

- mais surtout, la délocalisation des installations de Crolles aurait pour résultat d'affaiblir fortement le pôle de recherche et de technologie de Grenoble.

Or, les liens de tous les segments de cette filière sont très étroits, et le développement technologique se nourrit de plus en plus des interrogations et des retours d'expérience de la production.

Dans le même temps où l'État encourage la constitution d'un pôle de dimension mondiale à Grenoble, il aboutirait ainsi, par l'invariance de sa politique fiscale, à son démantèlement.

Il faut donc trouver une solution.

Dans la mesure où il semble difficile de modifier la répartition des assiettes ou la loi sur l'intercommunalité, ce qui perturberait l'équilibre des finances des collectivités locales concernées, la solution réside probablement dans le desserrement du plafonnement à 76,2 millions d'euros 30 ( * ) du dégrèvement de taxe professionnelle accordé aux très grandes installations industrielles.

Cette suppression peut s'effectuer progressivement, mais il est essentiel, dans ce domaine comme dans d'autres, de donner une lisibilité aux entreprises sous la forme d'un échéancier, à insérer dans la deuxième partie de la prochaine loi de finances.

Entamer une réflexion sur un crédit d'information adapté aux filières de haute technologie

Cette piste est mentionnée pour mémoire, elle sera exposée dans la partie des propositions consacrées à la gestion de la connaissance.

* 27 D'après les voies et moyens du projet de loi de finance pour 2003.

* 28 Ce qui se fait au Japon.

* 29 Ce qui est, de plus, particulièrement inadapté à un secteur aussi cyclique que celui des semi-conducteurs.

* 30 Ceci en concertation avec la Commission européenne.

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