B. LA POLITIQUE INTERNATIONALE

1. La Turquie

a) Discours de M. Abdullah Gül, Premier ministre de la République de Turquie7 ( * )

« J'ai plaisir à revenir dans cette assemblée dont j'ai eu l'honneur d'être membre. Le Conseil de l'Europe constitue une école de la démocratie et des droits de l'homme qui a contribué à ma formation. J'ai, en effet, fait partie des commissions d'enquête qui se sont rendues dans les pays candidats lorsque la division de l'Europe a pris fin et je suis ravi de voir aujourd'hui ces pays membres de plein droit.

En tant que Premier ministre, j'ai eu l'occasion de mettre en oeuvre les principes et les idéaux du Conseil de l'Europe. J'exprime ma confiance aux nouveaux membres de la délégation turque.

La Turquie accorde une très grande importance aux activités du Conseil et de ses différentes instances, ce qui lui a permis d'approfondir sa démocratie. Le nouveau Gouvernement turc, aussitôt après les élections générales de novembre a poursuivi et accéléré ce processus. Au cours des deux premiers mois, deux trains de réformes ont été engagés; la détermination du gouvernement pour les mener à leur terme est entière, d'autant que le peuple turc lui a accordé une confortable majorité. Compte tenu des restrictions apportées, au nom de la sécurité, aux droits de l'homme dans le monde, le rythme des réformes est remarquable.

Dans le passé, certains membres de l'assemblée ont critiqué la Turquie notamment en ce qui concerne la torture et l'exécution des jugements de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Pour la torture, mon gouvernement a décidé d'appliquer une «tolérance zéro» et des mesures législatives ont été prises pour la combattre, ainsi que les mauvais traitements. Ainsi, toute plainte en ce domaine sera systématiquement portée devant les tribunaux turcs; de même, les peines infligées aux coupables ne pourront plus être transformées en amendes. Pour l'exécution des jugements de la Cour européenne des Droits de l'Homme, le parlement a adopté un projet de loi permettant de demander un nouveau procès. Il s'agit là d'un progrès fondamental qui alignera la législation turque sur la législation européenne. D'autres critiques, enfin, portaient sur les restrictions apportées au droit de propriété des fondations religieuses et des minorités. La semaine dernière, le gouvernement a promulgué un décret levant toutes les restrictions. Enfin, la peine de mort venant d'être abolie, le gouvernement s'est saisi courant janvier du sixième protocole relatif aux droits de l'homme.

L'Europe devient ainsi un continent délivré de la peine de mort. L'état d'urgence, qui durait depuis trois décennies, a été supprimé dans la semaine qui a suivi le vote de confiance. L'habeas corpus a été rétabli. Tous les citoyens bénéficient des mêmes garanties. Le gouvernement entend compléter ces réformes intérieures en ratifiant les engagements internationaux relatifs aux discriminations raciales, aux droits culturels et aux droits politiques. Bientôt la Turquie sera partie prenante des plus grandes conventions des Nations Unies.

Le gouvernement prépare une nouvelle loi sur la presse, le droit de manifestation, les associations et le code pénal. L'objectif est de transformer la Turquie en une démocratie européenne entièrement opérationnelle. Cet approfondissement de la démocratie s'effectue avec la participation et le soutien de tout le peuple turc et en collaboration avec les ONG. Le Gouvernement turc entend mettre en oeuvre les critères politiques de l'Union européenne pour entamer les négociations d'adhésion le plus vite possible.

Dans ces conditions, j'invite l'assemblée à prendre en compte les efforts accomplis et lui demande de mettre un terme à la procédure de suivi, que la Turquie ne mérite plus. Une telle décision renforcerait et faciliterait l'approfondissement du processus démocratique.

Les nuages s'amoncellent au Proche Orient, la situation en Irak est très préoccupante. Le Gouvernement turc n'épargne aucun effort pour empêcher la guerre et trouver une solution pacifique, notamment en multipliant les déplacements et les rencontres, comme celle qui vient de réunir six ministres des Affaires étrangères de la région à Istanbul. Une solution pacifique dépend en premier lieu des dirigeants irakiens: l'Irak doit convaincre la communauté internationale qu'il ne dispose plus d'armes de destruction massive. Le processus des Nations Unies doit être poursuivi jusqu'à son terme; la Turquie entend y jouer un rôle, en véhiculant les normes européennes dans la région pour y établir une paix durable.

A Chypre, les deux parties ont engagé une négociation pour parvenir à un règlement fondé sur le plan Annan. Le Gouvernement turc soutient ce processus et souhaite un règlement rapide, global et juste du problème. L'île est une maison commune pour deux peuples, il faut une solution équilibrée; le Gouvernement turc encourage les Chypriotes turcs dans la voie de la négociation.

Les activités du Conseil de l'Europe affectent la vie quotidienne des citoyens turcs de multiples façons; ainsi, c'est la Banque de développement du Conseil de l'Europe qui a apporté son aide à la reconstruction après le tremblement de terre. A l'inverse, la Turquie apporte à l'Europe son expérience du dialogue interculturel.

La Turquie attache une énorme valeur aux activités du Conseil de l'Europe et souhaite un plein succès aux travaux de l'assemblée. »

b) Le débat sur le discours de M. Gül

L'intervention de M. Gül a été suivie d'un long débat au cours duquel le Premier ministre turc a été interrogé notamment sur l'évolution que son Gouvernement entend donner à la politique intérieure et aux institutions de la Turquie, sur sa position dans la crise irakienne et sur les perspectives de règlement du conflit chypriote et de la question kurde.

Au nom de la délégation française, Mme Josette Durrieu, Sénateur, l'a interrogé sur la question de la laïcité :

« La Turquie est un État laïque. La laïcité, c'est le respect absolu de la liberté de conscience, de culte, de toutes les idées religieuses et philosophiques. Pensez-vous pouvoir réaffirmer la laïcité de l'État turc ? Pensez-vous que cette laïcité réaffirmée est un positionnement fort pour l'entrée de votre pays dans l'Union européenne ? »

M. Gül lui a répondu que la Turquie, « pays laïque », mais aussi « pays musulman », candidat à l'adhésion à l'Union européenne, peut ainsi « montrer au monde qu'un pays doté de sa propre identité peut intégrer des structures modernes ».

Intervenant à titre personnel, M. François Rochebloine, Député, a demandé comment le Gouvernement turc traduirait son « désir de mener une politique courageuse et novatric e » par « la clarification de son passé », et donc « la reconnaissance officielle » de « l'anéantissement par génocide de la population arménienne ». Après avoir déclaré que « les Turcs n'ont jamais manifesté leur volonté de massacrer les Arméniens », M. Gül a exprimé l'intention de son Gouvernement de « consolider les relations » entre les deux pays et estimé que « l'Arménie doit aussi avoir de bonnes relations avec ses voisins, ce qui suppose une reconnaissance des frontières. » Il a conclu : « Il est temps de prendre l'avenir en compte et d'oublier le passé . »

2. L'Irak

a) La résolution adoptée par l'Assemblée8 ( * )

1. L'Assemblée se réfère à sa Résolution 1302 (septembre 2002) sur la menace d'une action militaire contre l'Irak, et constate que la crise irakienne demeure plus que jamais une menace pour la paix et la stabilité dans la région du Moyen-Orient et du Golfe Persique, ainsi que dans l'ensemble du monde.

2. La Résolution 1441 du Conseil de sécurité des Nations Unies adoptée à l'unanimité le 8 novembre 2002 a été l'expression de la volonté commune de la communauté internationale d'aboutir au désarmement de l'Irak par les moyens politiques et diplomatiques. Elle relève que l'ONU a averti l'Irak, à plusieurs reprises, qu'il se trouverait confronté à des conséquences graves s'il continuait à violer ses obligations. Elle a mis en place un régime d'inspections renforcé permettant de vérifier si l'Irak se conforme à ses obligations en vertu des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité.

3. Les chefs des inspecteurs internationaux des Nations Unies, MM. Blix et El Baradei, ont présenté au Conseil de sécurité le 27 janvier 2003, un rapport intérimaire au terme de deux mois d'inspections. Selon ce rapport, les autorités irakiennes ne coopèrent pas suffisamment avec les inspecteurs et n'ont pas présenté de preuves crédibles de l'abandon de tous les programmes interdits ou du démantèlement des armes de destruction massive, en particulier des stocks de l'agent paralytique VX et des substances permettant de produire de l'anthrax. Malgré les promesses du Gouvernement irakien, les inspecteurs n'ont pas encore pu conduire des entretiens avec des scientifiques et experts ayant participé aux programmes d'armement du pays. Par ailleurs, l'Irak a refusé aux inspecteurs la possibilité de survol de son territoire par l'avion de reconnaissance aérienne U-2 mis à leur disposition.

4. En conséquence, les inspecteurs n'ont ni confirmé que l'Irak avait éliminé ses armes de destruction massive et missiles balistiques, ni conclu qu'il avait cessé de les produire comme l'exigent les Résolutions 687 (1991) et 144 1 (2002).

5. Cependant, les inspecteurs ont pu faire leur travail en Irak depuis le 27 novembre 2002 sans entraves majeures et, à ce jour, n'ont rien trouvé qui prouve que l'Irak possède toujours des armes de destruction massive ou des missiles balistiques, ou qu'il s'apprête à les produire.

6. Certains pays, cependant, considèrent que les inspecteurs n'ont pas pu remplir leur mission, puisque l'Irak n'a pas collaboré activement et a manqué aux obligations lui incombant en réponse à la Résolution 1441 du Conseil de sécurité des Nations Unies, selon laquelle l'Irak doit prouver avoir détruit toutes les armes de destruction massive et tous les missiles balistiques et autres vecteurs de telles armes, dont on sait qu'ils étaient en sa possession en décembre 1998, lorsque la précédente équipe d'inspecteurs de l'ONU a été contrainte de quitter le pays.

7. L'Assemblée note également qu'à ce jour aucun lien de l'Irak avec les réseaux du terrorisme international n'a pu être établi de manière substantielle.

8. L'Assemblée en conclut que, dans les circonstances actuelles, le recours à la force contre l'Irak ne serait pas justifié. Les inspecteurs doivent continuer et intensifier leur travail une dernière fois, de manière objective et impartiale et sans pressions extérieures, pour terminer les inspections dans un délai raisonnable. Ils doivent recevoir tout le soutien nécessaire en personnel, en matériel et en moyens logistiques.

9. L'opinion publique dans les États membres du Conseil de l'Europe se prononce en majorité pour une solution de la crise irakienne par les moyens politiques et contre une intervention unilatérale en Irak. L'opinion publique américaine favorise de plus en plus une solution multilatérale conforme au droit international.

10. Cependant, l'Assemblée prend note avec grande inquiétude que États-Unis se déclarent prêts à passer à l'action unilatérale même en l'absence d'une décision explicite du Conseil de sécurité autorisant le recours à la force.

11. Les États-Unis et le Royaume-Uni affirment disposer des renseignements qui seraient de nature à prouver que l'Irak possède toujours des armes de destruction massive et/ou a l'intention et des capacités de les produire. L'Assemblée rappelle à cet égard qu'aux termes de la Résolution 1441 du Conseil de sécurité, tout État est invité à fournir aux inspecteurs toute information relative aux programmes irakiens interdits.

12. L'Assemblée réitère sa ferme conviction que la solution de la crise irakienne doit être conforme aux principes du droit international et s'appuyer sur l'autorité spécifique du Conseil de sécurité des Nations Unies et un large soutien international, y compris celui des pays de la région. L'Assemblée salue à cet égard les efforts de tous les gouvernements qui oeuvrent pour une solution pacifique de la crise, et notamment ceux du Gouvernement de la Turquie en vue de dégager une position commune des principaux pays de la région visant à éviter la guerre et obtenir une coopération pleine et entière de l'Irak avec les Nations Unies.

13. L'Assemblée estime que le régime de Saddam Hussein est responsable des souffrances du peuple irakien et coupable des violations des droits de l'homme dont un très grand nombre d'Irakiens ont été victimes. Elle exprime sa solidarité avec ceux en Irak qui luttent contre la dictature et pour l'instauration de la démocratie.

14. L'Assemblée appelle :

i. les autorités irakiennes :

a. à coopérer activement, immédiatement, ouvertement et sans réserves avec les inspecteurs des Nations Unies et à fournir les preuves irréfutables du démantèlement de ses arsenaux d'armes de destruction massive et de l'abandon de ses programmes dans ce domaine pour dissiper les soupçons de la communauté internationale au sujet du respect par l'Irak des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies exigeant son désarmement ;

b. à ne pas créer d'obstacles et à favoriser la coopération des scientifiques et experts irakiens avec les inspecteurs internationaux ;

ii. tous les États membres du Conseil de l'Europe, les États observateurs et les États candidats :

a. à intensifier leurs efforts visant à obtenir, par les moyens politiques et dans le cadre des mécanismes des Nations Unies, le désarmement vérifiable de l'Irak comme prévu par les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies ;

b. à apporter tout leur soutien aux inspecteurs internationaux, à leur fournir toute information et tout moyen qui puissent les aider à mener à bien leur travail, et à créer les conditions pour qu'ils puissent accomplir leur mandat dans un délai raisonnable ;

c. à s'abstenir de toute action nuisible à l'autorité et au rôle des Nations Unies et à exclure tout recours à la force en dehors du cadre légal international et sans décision explicite du Conseil de sécurité des Nations Unies.

b) Les interventions des membres de la délégation

Le débat sur l'Irak, organisé selon la procédure d'urgence, a permis l'expression de dix-huit orateurs dans la discussion générale sur le projet de résolution de M. Guillermo Martinez Casañ, rapporteur de la commission des questions politiques (le texte finalement adopté a été reproduit ci-dessus).

À l'exception de M. Roman Zvarych, parlementaire ukrainien, les intervenants ont soutenu la proposition de résolution de M. Martinez Casañ, adoptée par 135 voix pour, 7 voix contre et 4 abstentions.

Parmi les membres de la délégation française, sont intervenus MM. François Rochebloine, Jean-Pierre Masseret et François Loncle.

M. François Rochebloine , Député, a notamment souligné la nécessité de préserver le rôle de l'ONU comme régulateur de la vie internationale :

« De fait il y avait urgence pour l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, gardien et promoteur des droits de l'homme, à se saisir de la situation. S'il ne faut pas se faire d'excessives illusions sur la portée de nos débats, nous devons malgré tout faire entendre la voix d'une assemblée de gens de bonne volonté unis pour la cause de la paix.

Pour ma part, je considère qu'il nous faut soutenir la position du Président de la République française, Jacques Chirac: il faut donner toute son ampleur à la mission des inspecteurs des Nations Unies, établir les faits, dissiper les ombres et traquer le mensonge dont le régime de Saddam Hussein s'est fait une armure, mais, par ailleurs, ne pas agir en donnant une force nouvelle à cette phrase de Sartre : «Quand je délibère, les jeux sont faits.»

Permettez-moi d'insister sur un point : il faut laisser à la juridiction internationale de l'Onu le temps de jouer pleinement son rôle. Il ne faut pas diaboliser le peuple irakien comme s'il était tout entier voué aux forces du mal dont parlent les dirigeants américains.

Ne nous y trompons pas: une solution durable ne pourra résulter que de la volonté du peuple irakien. Or personne aujourd'hui ne connaît cette volonté et ne peut estimer les chances de la reconstruction d'une société civile et politique en Irak après la chute hypothétique des dictateurs.

C'est un argument essentiel pour savoir raison garder. »

M. Jean-Pierre Masseret, Sénateur, Président-délégué de la délégation, s'est interrogé sur les raisons réelles de la politique des États-Unis :

« Qui peut dire ici, dans cette Assemblée, quelles sont les réelles motivations qui fondent le désir - je dis bien le désir - du Président des États-Unis de conduire la guerre contre l'Irak ?

S'agit-il d'abattre une démocratie ? Ce n'est pas une démocratie. C'est effectivement une dictature, mais il y en a d'autres et nous les combattons aussi.

S'agit-il de rétablir l'ordre international bafoué ? C'était le cas en 1991. Est-ce le cas aujourd'hui ? Probablement pas.

S'agit-il de détruire un pays qui dispose d'armes de destruction massive ? Nous sommes contre la dispersion des armes de destruction massive pour qu'elles ne tombent pas entre des mains criminelles - Corée du nord, etc. Mais aucune preuve n'est aujourd'hui avancée. On nous la promet pour la semaine prochaine !

S'agit-il de détruire le principal allié d'Al Qaida ? Aucune preuve n'est apportée. On nous la promet pour la semaine prochaine! Mais alors le Pakistan, terre de mission d'Al Qaida ? On n'en parle pas. Il serait plus utile que les États-Unis mettent tout leur poids dans le règlement du conflit israélo-palestinien, qui est la clé de la paix au Moyen-Orient.

Quand les États-Unis nous disent apporter les preuves la semaine prochaine, ils n'ont pas confiance en nous, ils nous méprisent.

Je suis consterné de constater que huit chefs de gouvernements ont rompu la solidarité européenne. Comment peut-on parler de politique européenne de sécurité commune ? C'est l'Union même de l'Europe qui est contestée aujourd'hui.

Quels sont donc les vrais motifs ? Prendre pied dans un espace stratégique où les États-Unis sont encore relativement absents, entourer l'Arabie Saoudite que l'on n'ose pas affronter aujourd'hui, dont on se méfie parce que l'on sait que beaucoup de ses ressortissants financent directement ou indirectement les réseaux terroristes ? S'agit-il de contrôler le pétrole, de mettre en relation ce qui se passe ici avec la déstabilisation du Venezuela ?

Toutes ces raisons ne justifient pas la guerre. C'est la raison pour laquelle il faut se rallier à la proposition de M. Martínez Casañ. »

M. François Loncle, Député, a développé les conséquences catastrophiques qu'aurait un nouveau conflit militaire en Irak :

« Il y aura, je n'en doute pas, un accord global sur le rapport et la résolution proposés par notre collègue M. Martínez Casañ. Même si l'on peut regretter qu'en conclusion, l'appel de notre Assemblée ne s'adresse qu'aux autorités irakiennes et aux États européens. Il eût été pertinent, me semble-t-il, de rappeler aux États-Unis la nécessité du respect permanent du droit international, de la primauté des Nations Unies et les risques, les dangers d'une action unilatérale.

Désarmer l'Irak, débarrasser ce pays de tout armement de destruction massive, c'est l'objectif unique de la Résolution 1441 du Conseil de sécurité. C'est la raison pour laquelle il faut donner aux inspecteurs des Nations Unies, aux équipes de MM. Blix et El Baradei, tous les moyens et aussi le temps de mener à bien leur mission. La vocation de l'Onu, c'est la recherche de solutions politiques, c'est l'efficacité de la communauté internationale au service de la paix et non pas une stratégie de prédilection pour la guerre.

Un nouveau conflit militaire en Irak aurait, c'est notre conviction, des répercussions catastrophiques, contre-productives. Il n'y aurait aucun gagnant.

La riposte à la tragédie du 11 septembre 2001 n'a pas lieu de se dérouler à Bagdad, mais partout dans le monde où foisonnent et perdurent les réseaux du radicalisme islamique, les antennes d'Al Qaida. Maintenir le consensus planétaire pour lutter contre le terrorisme ne passe pas par le risque majeur de déstabilisation supplémentaire d'une des régions du monde parmi les plus fragiles.

Un nouveau conflit en Irak nourrirait plus encore le terrorisme que nous voulons combattre et éradiquer unanimement.

Semaine après semaine, les opinions publiques européennes perçoivent de plus en plus les dangers d'une nouvelle guerre au Proche-Orient. En France, où il existe un large consensus dans la classe politique, près de 80 % de la population souhaite que notre pays utilise son droit de veto au Conseil de sécurité de l'Onu.

L'Europe doit engager un vrai dialogue transatlantique, défendre ses valeurs, refuser l'alignement, privilégier toutes les solutions politiques. La vieille Europe que nous représentons tous ici, peu ou prou, avec nos diversités, notre identité, cela peut être aussi une entité de sagesse, d'imagination, de volonté.

Notre Assemblée a toute légitimité pour s'exprimer contre la guerre, pour s'opposer à la stratégie politique du Président Bush et de son équipe. Cela ne la conduit pas pour autant à être ou devenir anti-américaine. »

3. La coopération culturelle entre l'Europe et les pays du sud de la Méditerranée

a) La résolution adoptée par l'Assemblée9 ( * )

1. L'Europe est constituée de pays de cultures et de traditions différentes. Ce qui unit les 44 pays du Conseil de l'Europe est leur adhésion à un ensemble de valeurs : la démocratie, le respect des droits de l'homme, l'état de droit, ainsi que leur volonté de coopérer sur un projet d'avenir commun, tout en préservant la spécificité culturelle de chacun.

2. L'Assemblée est convaincue que les valeurs défendues par le Conseil de l'Europe sont universelles et croit que la meilleure manière de réagir à la mondialisation est d'utiliser ce phénomène pour coopérer avec des pays non européens qui partagent certaines de ces valeurs, en commençant par ceux qui leur sont le plus proche.

3. Les relations entre l'Europe et les pays du sud de la Méditerranée - qui ont tous signé la Charte des Nations Unies et la Déclaration Universelle des droits de l'homme - doivent et peuvent être améliorées. La culture, qui comprend l'éducation, le patrimoine et les arts, la science, la jeunesse, le sport et les médias, s'y prête plus particulièrement.

4. Des tensions existent un peu partout dans le monde englobant des aspects économiques, politiques, sociaux mais aussi culturels. On constate une certaine incompréhension et des malentendus. L'Assemblée rejette l'explication facile de ces tensions comme un choc des civilisations. Il y a certes des différences culturelles importantes entre les peuples mais ces différences devraient conduire au dialogue plutôt qu'à la confrontation.

5. Considérant la laïcisation des institutions politiques en Europe comme une conquête, l'Assemblée reconnaît toutefois la contribution positive à la civilisation européenne des diverses traditions culturelles et religieuses à savoir le judaïsme, l'islam et notamment le christianisme.

6. Le Conseil de l'Europe ne prétend pas apporter des solutions globales et définitives à tous les problèmes. L'Assemblée, quant à elle, est persuadée qu'une amélioration des relations culturelles entre l'Europe et les pays du sud de la Méditerranée apporterait un début de solution aux problèmes plus vastes.

7. Pour qu'une telle amélioration porte ses fruits il est indispensable qu'elle soit sous-tendue par une forte volonté politique, tant en Europe que dans les pays du sud de la Méditerranée. Beaucoup de choses restent à changer.

8. De son côté, l'Assemblée pourrait conclure des accords de coopération avec les parlements des pays du sud de la Méditerranée comme première étape vers l'octroi du statut d'observateur.

9. Elle s'engage notamment :

i. à développer les contacts entre les pays de l'Europe et les pays du sud de la Méditerranée dans les domaines de l'éducation, du patrimoine et des arts, de la science, de la jeunesse, du sport et des médias ;

ii. à stimuler la coopération culturelle notamment avec les parlementaires du sud de la Méditerranée et les organisations internationales telles que les organisations culturelles de la Ligue Arabe (ALESCO) et de la Conférence Islamique (ISUESCO) ;

iii. à promouvoir le dialogue et la coopération culturelle avec d'autres pays et régions proches de l'Europe et partageant son histoire, notamment le Liban.

10. L'Assemblée s'adresse simultanément et parallèlement aux autorités compétentes des États membres du Conseil de l'Europe et à celles de l'Algérie, de l'Égypte, de la Libye, du Maroc, de la Mauritanie et de la Tunisie en leur demandant de considérer la coopération culturelle entre l'Europe et les pays du sud de la Méditerranée comme une priorité et notamment:

dans le domaine de l'éducation :

i. de collaborer pour éliminer les stéréotypes, préjugés et contre-vérités réciproques dans l'éducation en procédant à une révision conjointe des manuels scolaires, et en particulier des manuels d'histoire ;

ii. de promouvoir l'apprentissage de la langue arabe en Europe et des langues européennes dans les pays du sud de la Méditerranée à tous les niveaux de l'enseignement ;

iii. d'encourager la création de départements de langue et de culture arabe dans les Universités européennes et des langues et cultures européennes dans les universités du Sud ;

iv. d'instaurer les mécanismes nécessaires pour l'échange des étudiants et des professeurs en développant et en élargissant le concept ERASMUS, et en facilitant l'obtention des visas ;

v. d'établir les systèmes nécessaires pour la reconnaissance des qualifications à partir du niveau secondaire, en se référant - en particulier pour l'enseignement supérieur - aux principes, objectifs et méthodes du Processus de Bologne ainsi qu'à la Convention Conseil de l'Europe/Unesco de Lisbonne sur la reconnaissance ;

dans le domaine de la culture :

vi. d'encourager la traduction et la publication des livres fondamentaux de la culture arabe en Europe et des cultures européennes dans les pays du sud, y compris les auteurs contemporains ainsi que des études concernant les problèmes d'actualité ;

vii. de créer et de développer des contacts et des échanges entre artistes, avec des expositions mixtes, festivals de musique, théâtre, cinéma ;

viii. d'organiser des contacts et des rencontres de culture populaire (folklore, cuisine et coutumes traditionnelles) ;

ix. de collaborer dans le domaine des politiques de migrations de manière à ce que les immigrés en provenance du sud de la Méditerranée deviennent les vrais intermédiaires entre les cultures des pays d'origine et celles des pays d'accueil ;

dans le domaine de la religion :

x. de garantir la liberté de conscience et d'expression religieuse, rejeter l'intégrisme, promouvoir le respect des différences religieuses en offrant des conditions de développement équivalentes à toutes les religions ;

xi. d'encourager des rencontres entre responsables des différentes religions en favorisant l'oecuménisme et ouvrant la voie à un véritable dialogue inter-religieux ;

xii. de favoriser l'organisation des débats entre intellectuels et théologiens en ce qui concerne la compatibilité de la pratique d'une religion avec les droits de l'homme (y inclus l'impact sur les femmes) tels qu'ils sont énoncés dans la Charte des Nations Unies, la Déclaration Universelle des droits de l'homme et la Convention européenne des droits de l'homme ;

xiii. d'assurer la connaissance de base des différentes religions dans le système éducatif ;

dans le domaine des médias :

xiv. d'encourager les chaînes de télévision publiques à développer des programmes concertés entre chaînes du nord et du sud et, à long terme, à étudier la création d'une chaîne de Télévision euro-méditerranéenne ;

xv. de développer, dans les médias de responsabilité publique, des programmes de diffusion des réalités politiques, économiques, sociales et culturelles afin de parvenir à une information objective : au Nord sur les sociétés arabo-musulmanes et au Sud sur les sociétés européennes ;

xvi. d'encourager la coopération entre journalistes européens et des pays du sud de la Méditerranée en matière de déontologie professionnelle ;

xvii. d'inciter le travail commun sur Internet en créant des sites, des portails mixtes et des espaces virtuels (universités, presse, entreprises, culturel) où l'échange serait immédiat et permanent et en appuyant les programmes GALILEO (de navigation par satellite), et EUMEDIS et en élargissant le programme EUREKA ;

dans d'autres domaines :

xviii. d'encourager la coopération et les rencontres entre les femmes européennes et celles des pays du sud de la Méditerranée en matière de libertés, des droits de la personne et d'égalité des chances entre les hommes et les femmes ;

xix.  de constituer des réseaux de contacts et de coopération entre jeunes, selon leurs activités : parlementaires, étudiants des différents degrés et spécialités, religieux, artistes, sportifs ;

xx. d'étudier les possibilités d'organiser en commun des événements sportifs amateurs ou professionnels, par exemple en réadaptant et en relançant les Jeux de la Méditerranée ;

xxi. d'encourager la participation des pays du sud aux programmes de recherche scientifique impliquant les gouvernements, les universités, les laboratoires, les industries et les entreprises, notamment ceux qui mèneraient à un transfert de technologie ;

xxii. de promouvoir une politique de jumelages entre les collectivités locales européennes et celles du sud de la Méditerranée en établissant une étroite coopération surtout dans les domaines de la culture ;

xxiii. de favoriser la coopération touristique nord-sud et surtout le tourisme culturel, relier les systèmes de promotion touristique des deux cotés et encourager la création d'itinéraires culturels, de programmes, d'échanges ;

xxiv. de soutenir les initiatives du Processus de Barcelone, telles que Euro Med Héritage, Euro Med Audiovisuel, et Culture 2000, ainsi que le développement du Forum Civil et créer des instances de coopération plus larges dans ce domaine en y associant tous les pays du Conseil de l'Europe avec les pays du sud de la Méditerranée. »

b) Les interventions des membres de la délégation

Le débat, ouvert par un rapport de M. Lluis Maria de Puig (Espagne - Soc.), s'est poursuivi par les interventions de Mme Khalida Toumi, ministre de la culture et de la communication d'Algérie, M. Mohamed Achaari, ministre de la culture du Maroc et M. Abdelbaki Hermassi, ministre de la culture, de la jeunesse et des loisirs de Tunisie, qui ont, en s'appuyant sur l'expérience propre à chacun de leur pays, appelé à un renforcement de la coopération culturelle avec les États membres du Conseil de l'Europe.

Mme Josette Durrieu, Sénateur, s'exprimant au nom du groupe socialiste, s'est d'abord attachée à définir le principe de laïcité :

« C'est la tolérance, le respect de ses idées, qu'elles soient religieuses, philosophiques, politiques, le respect de la liberté de conscience et de culte - c'est son domaine privé, le domaine privé de l'individu, c'est cela le principe de laïcité. Respect de l'homme et de ses droits, c'est le domaine public. Les deux doivent être séparés. C'est le fondement de la laïcité. Dans ce Conseil de l'Europe qui compte quarante-quatre pays, seuls quatre pays ont inscrit le principe de laïcité dans leur constitution : ce sont la Turquie, la Bulgarie, l'Azerbaïdjan et la France.

Les droits de l'homme et les doctrines religieuses sont-ils compatibles ? C'est une question que nous devons nous poser en permanence. J'aurais envie d'y répondre non, si je faisais référence à l'Histoire, voire à l'actualité, aux discours de haine, aux actes destructeurs, aux crises et aux guerres. Toutefois, j'ai envie aussi de dire très vite oui, si nous bâtissons ensemble un monde et des États tolérants et laïcs.

Non, si les textes fondateurs et les écrits des théologiens et des juristes affectent les droits fondamentaux et prescrivent une morale, des règles de vie ou des comportements collectifs contraires à ces droits. Oui ou non selon la façon dont les droits de l'homme sont transposés, exprimés, interprétés, voire contestés, dans le droit canon, la charia, le Talmud. Oui ou non, selon que les valeurs inscrites dans la Convention européenne des Droits de l'Homme se retrouvent intégrés au corpus législatif de ces différentes religions, et vice versa.

A nous d'affirmer qu'il n'y a pas de civilisation ethniquement pure ou culturellement supérieure. A nous de prévenir les promoteurs des chocs de civilisations par la guerre - voire de nous y opposer. A nous de faire prévaloir les droits de l'homme dans le monde.

Droits de l'homme, éducation et citoyenneté, oui ! Il faut enseigner, éduquer, former l'esprit critique de nos enfants et de l'homme. La société a ses relais, la famille, l'école, l'école pour tous, pour les filles aussi ! Elle a l'État de droit démographique et laïc et les communautés religieuses. A partir de valeurs essentielles, formons des individus libres et responsables, responsables de leurs choix, que ceux-ci soient religieux ou politiques, responsables y compris du choix de leur sol, c'est-à-dire de leur citoyenneté - c'est la forme achevée de la laïcité, parce que c'est un acte conscient et volontaire. »

Elle a conclu son intervention en appelant à l'établissement d'un partenariat euro-méditerranéen.

M. Jean-Pierre Kucheida, Député, déplorant que la rive Nord de la Méditerranée rejette trop souvent la rive Sud, après en avoir tiré parti au cours de l'histoire, a poursuivi :

« La Méditerranée, ce lieu historique majeur, n'est plus vécu aujourd'hui comme un obstacle, à l'époque de jets qui en quelques minutes, joignent une rive à l'autre.

La rive Nord rejette trop souvent la rive Sud après en avoir tiré largement parti pendant la période coloniale, qu'il s'agisse de la France au Maghreb, de l'Italie en Libye ou de l'Angleterre en Égypte, en Syrie, et en Palestine.

Avant la prise d'Alger en 1830 par le général Bugeaud, la Méditerranée était un lieu d'échanges ponctué de conflits locaux. C'est aussi dans cet espace que toutes les religions - ou presque - ont pris naissance, et qu'elles ont vu leur esprit évoluer. Le commerce sous-tendait en permanence l'échange des grandes et petites idées. La Méditerranée peut être un extraordinaire fossé ou un trait d'union exceptionnel, c'est selon ce second aspect que nous devons naturellement privilégier. Nous ne pouvons pas au Conseil de l'Europe, faire l'impasse sur la rive Sud, malgré quelques divergences. Nous sommes proches et loin en même temps. Notre histoire nous a fortement mélangés que cela nous plaise ou non. Pour éviter les conflits directs ou indirects, les incompréhensions, les divergences profondes, nous devons initier une politique de la main tendue vers la rive Sud et prendre des initiatives dans les domaines politiques sociaux, économiques et culturels permettant à la démocratie et à la laïcité de progresser.

La culture est par l'éducation, le patrimoine, les arts, les sciences, le sport, l'information, le moyen de mieux connaître l'autre, de l'apprécier. Encore faut-il que des initiatives soient prises et qu'elles soient nombreuses: coopération entre les villes par des jumelages, aides discutées de nos régions à d'autres régions, initiatives conjointes du Conseil de l'Europe et des États de la rive Sud - les Jeux de la Méditerranée, le patrimoine de la Méditerranée, le livre de la Méditerranée, des colloques, des expositions et j'en passe. »

Il a souhaité que les pays islamiques méditerranéens puissent rejoindre le Conseil de l'Europe comme membres associés, afin de faciliter un dialogue encore plus indispensable dans la situation actuelle.

M. Jacques Legendre, Sénateur, vice-président de la délégation, en charge de la commission de la culture a récusé les « thèmes simplistes » d'une « prétendue guerre de civilisations » et s'est prononcé à son tour pour le développement de rencontres sous des formes multiples :

« Cette invitation vaut d'abord pour les États européens et je la prends pour nous, Français. Nous devons former plus de professeurs de langue arabe, et plus qualifiés. Nous devons multiplier les bourses donnant accès à nos meilleures universités, puis favoriser la poursuite des rencontres et des coopérations entre spécialistes de toutes les disciplines.

L'effort d'éducation ne peut, cependant, porter tous ses fruits que s'il favorise l'enrichissement de la personnalité des futurs citoyens loin de tout endoctrinement. J'en cite quelques orientations: ouverture aux autres cultures, diversité linguistique, esprit critique, pratique du débat, acceptation des opinions d'autrui...

Notre rapporteur invite à programmer des campagnes pour favoriser la tolérance, y compris religieuse. Je souscris bien sûr volontiers à cette idée pour peu que l'invitation ne soit pas à sens unique. J'ajouterai que la tolérance doit être le fait non seulement des groupes majoritaires au sein de nos sociétés, mais aussi des groupes minoritaires. Enfin, tous doivent reconnaître la valeur universelle des droits de la personne humaine. Il n'y a pas d'autre chemin pour le développement de toute société et de celle du Maghreb, en particulier. J'ajouterai que c'est la clef de l'adhésion de toutes les populations au contrat social démocratique: en échange du respect des lois, chacun reçoit la garantie de sa sûreté personnelle et de l'exercice de ses libertés individuelles.

En faisant progresser l'état de droit dans vos sociétés, madame la ministre, messieurs les ministres, vous contribuerez non seulement à la stabilité de vos États, mais aussi à ramener l'harmonie dans nos villes, qui comptent tant de vos enfants désormais.

Droits de la personne humaine dans chacun de vos pays, droits de la personne humaine, quelles que soient sa race, son origine, sa religion, dans les États européens, et si j'osais, liberté, égalité, fraternité sur les deux rives de la Méditerranée. Ainsi nous assècherons les sources du terrorisme et nous proposerons aux jeunes générations les vraies perspectives de respect mutuel et de paix qu'elles attendent. »

* 7 M. Abdullah Gül a été remplacé au poste de Premier Ministre par M. Tayyip Erdogan, le 11 mars 2003, devenant, dans le nouveau gouvernement, Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères.

* 8 Résolution 1316, adoptée le 30 janvier 2003.

* 9 Résolution 1313, adoptée le 28 janvier 2003.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page