INTERVENTION DE M. BERNARD JOLY,
SÉNATEUR DE LA HAUTE-SAÔNE

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi tout d'abord de m'associer aux voeux de bienvenue du Président Gérard Larcher, pour vous dire ma joie de vous recevoir, pour la seconde fois, au Sénat. Merci d'être venus si nombreux ; heureusement que certains professionnels mettent, dans nos régions, la dernière main aux « journées des métiers d'art » sinon la salle aurait été trop petite !

Comme vous l'avez constaté, j'ai été en mesure de répondre aux demandes formulées l'an dernier, notamment par Pierre Chevalier dans sa conclusion, de prévoir une journée entière pour notre réflexion. Je ne doute pas que la qualité des intervenants, et des débats qu'ils susciteront avec la salle, nous permettra de l'occuper pleinement, et d'en tirer des enrichissements à la hauteur de nos espoirs.

Je vous remercie très chaleureusement, Cher Président Larcher, d'avoir bien voulu présider ce colloque, et de l'avoir ouvert en inscrivant ses travaux dans une perspective économique qui sied particulièrement bien au président de la commission des affaires économiques et du Plan du Sénat que vous êtes. Il est clair, en effet, que l'approfondissement des liens entre le tourisme et les métiers d'art doit permettre une valorisation mutuelle profitable à tous. Développer l'un et l'autre de ces deux secteurs, l'un avec l'autre, je dirais même l'un par l'autre et réciproquement, constitue ainsi une gageure que nombre d'entre vous ont déjà entreprise.

L'importance des métiers d'art au plan économique ne cesse d'augmenter. Chacun sait ici que, pour définir les métiers d'art, on associe communément trois critères :

- un métier au sens d'une technique ou d'un ensemble de savoir-faire complexes, souvent longs à acquérir, fondés sur une transformation de la matière ;

- la production d'objets uniques ou en petites séries qui présentent un caractère artistique ;

- un professionnel maîtrisant ce métier dans sa globalité.

Selon une étude publiée il y a quelques mois, le noyau central des professionnels des métiers d'art est composé aujourd'hui de plus de 30.000 actifs, dont 13.500 artisans et 16.500 salariés. Leur nombre a progressé de plus de 20 % en vingt ans, alors que l'emploi total n'augmentait que de 7,4 %, ce taux de croissance étant même de 36 % pour les artisans d'art. C'est dire la vitalité de ce secteur, et cela explique que les artisans d'art soient en moyenne plus jeunes que les autres artisans.

Ce mouvement, de mon point de vue, n'est pas étonnant, et l'aspiration à exercer de tels métiers, qui se renforce à notre époque, se comprend aisément. Ces métiers puisent tout d'abord leur source dans la tradition, dans des savoir-faire séculaires qui ont progressivement été adaptés et complétés pour y intégrer ce que le progrès peut apporter sans dénaturer. Ils associent la mémoire collective, la recherche des racines, la transmission du savoir de génération en génération par un apprentissage minutieux, à l'ouverture sur le monde, sur les apports des techniques, sur ce qu'enseigne la comparaison des procédés. Ces métiers sont ainsi « hors du temps », ce qui constitue une qualité et un avantage certains à notre époque où tout s'oublie à mesure que tout s'accélère. Mais ils sont aussi « dans leur temps », ce qui permet leur renouvellement et leur adaptation, et évite leur disparition.

Les métiers d'art sont par ailleurs des activités qui donnent toute leur valeur à l'homme : ils n'existent que par la conjonction de leur dextérité manuelle et de leur créativité artistique, de leur imagination, de leur approche de la beauté. Qu'il s'agisse de créer un objet nouveau ou de restaurer quelque chose d'ancien, qu'on parle d'un bijou, d'un meuble, d'un tableau ou d'un bâtiment, l'artisan d'art est toujours confronté à une singularité que seule l'association de sa main et de son esprit pourra faire naître ou renaître. En ces temps où des millions de biens sont produits mécaniquement à l'identique et vendus partout dans le monde, où ce qui est « in » aujourd'hui sera « out » dès demain, où jeter l'objet cassé ou dépassé est devenu un réflexe, ce rapport à l'unicité, à la qualité et à la beauté caractérise une authenticité à laquelle aspire chaque jour davantage l'homme moderne.

Il n'est donc pas étonnant, je le répète, qu'un nombre croissant de jeunes exprime le désir d'embrasser ces métiers, dont ils estiment à juste titre qu'ils leur apporteront beaucoup de satisfactions personnelles. A partir du premier contact avec leur art , ils accompliront un bien long chemin parsemé des fleurs de la réussite et de l'expérience où ils allieront la chaleur de la spontanéité. Peut-être obtiendrons-ils la consécration en recevant le titre envié de maître d'art créé en 1994 ; les 50 artisans qui ont été distingués maîtres d'art s'apparentent aux trésors nationaux vivants japonais.

Il n'est pas plus étonnant, vous en conviendrez, que nos contemporains se tournent de plus en plus vers les produits des métiers d'art. Tous les professionnels du tourisme peuvent témoigner qu'on assiste depuis une vingtaine d'années à un regain d'intérêt à la fois ample et profond en faveur des activités culturelles. Toutes se développent : les circuits touristiques des cités aux fortes traditions artistiques et artisanales, la visite des sites et monuments historiques, la fréquentation des musées. Parallèlement, le poids économique des métiers d'art ne cesse de progresser : le chiffre d'affaires qu'ils génèrent chaque année est de l'ordre de 3,2 milliards d'euros, et leur valeur ajoutée dépasse le milliard d'euros, ce qui est comparable à celle du reste de l'artisanat.

Il existe donc aujourd'hui, dans notre monde contemporain avide de repères, de compréhension de ses origines et de recherche de la singularité, une conjonction très particulière entre offre et demande qu'il convient de saisir et d'encourager. Ce sera tout l'objet de nos travaux de dégager les lignes de force et d'établir, à partir des expériences locales, les principes qui peuvent nous guider.

A cet égard, je voudrais saluer la mise en place d'une initiative que j'appelais de mes voeux l'an dernier, tant elle me semblait riche de promesses : l'institution de Journées des Métiers d'Art dans toute la France, ou presque. Dès demain, et pendant tout le week-end, dans vingt régions, plus de 2.000 professionnels vont ouvrir leurs ateliers et leurs entreprises à nos compatriotes et aux touristes qui visitent notre pays. Ils vont leur présenter leurs travaux et leur savoir-faire, et faire partager leur passion. Je félicite le secrétaire d'Etat aux PME, au commerce et à l'artisanat, et la Société d'encouragement aux métiers d'art, ainsi que tous les partenaires concernés : les chambres de métiers, les régions, les communes, la DATAR, le Fonds national de promotion et de communication de l'artisanat, les ministères de la culture et de l'éducation nationale, etc. Je suis convaincu que nos concitoyens seront nombreux à participer aux centaines de manifestations organisées dans tout le pays, et que très rapidement, ces journées connaîtront un succès aussi impressionnant que celui des Journées du Patrimoine . J'espère que les touristes sauront également se laisser séduire par ces initiative, même si, il faut bien le reconnaître, la saison n'est pas particulièrement propice et que le nombre des touristes présents sur notre sol ne doit pas être très élevé en ce moment !

Mais j'attache en particulier une grande importance à la journée de demain, pendant laquelle plus de 150 lycées professionnels « Métiers d'art » et centres de formation aux métiers d'art ouvriront leurs portes aux jeunes. Je souhaite que ceux-ci soient nombreux à venir les visiter, car ils pourront sans doute y trouver là une réponse à leurs interrogations sur leur avenir, et une vocation à même de leur apporter une passion professionnelle : or, quoi de plus important qu'exercer un métier qui apporte chaque jour d'intenses satisfactions, voire de la joie ?

J'avais également suggéré, lors de notre colloque de l'an dernier, de créer une Route française des métiers d'art afin de fédérer toutes les initiatives locales que beaucoup d'entre vous, Mesdames et Messieurs, avez remarquablement su mettre en oeuvre. Il s'agissait en quelque sorte de donner à vos réalisations un label national, ou à tout le moins une identité visuelle commune, et de les inscrire dans un schéma de développement touristique concerté au plan national.

Lors de nos travaux de l'année dernière, plusieurs des intervenants, ainsi que de nombreuses personnes participant aux débats, avaient donné des exemples très intéressants de valorisation mutuelle de l'activité touristique et des métiers d'art, notamment par la mise en réseau des partenaires, l'élaboration de circuits touristiques, la promotion de sites et de lieux, ou la création de routes départementales ou régionales des métiers d'art. Nul doute qu'aujourd'hui, d'autres réalisations seront citées, présentées et analysées.

Mais mon propos est bien de fédérer toutes ces initiatives à l'échelon national pour établir un ancrage thématique par lequel les touristes pourraient découvrir la France. Les projets devront naturellement toujours être entrepris à l'échelon local, dans une démarche de partenariat associant tous les acteurs du développement, qu'il s'agisse des pouvoirs publics (les collectivités locales, les DRAC, les CDRT, etc.) ou des professionnels (chambres des métiers, professionnels du tourisme, etc.). Mais l'unité et la cohérence du dispositif pourraient être assurées, après une concertation réalisée au niveau des comités départementaux et régionaux du tourisme, par une signalétique et une signalisation homogènes au plan national, ainsi que par l'établissement de circuits labellisés qui pourraient figurer sur des cartes spécialement établies à cet effet. Je suis convaincu qu'une telle démarche serait de nature à renforcer l'attractivité touristique de nos territoires et à favoriser le développement des circuits locaux créés par les collectivités territoriales : l'apport mutuel entre tourisme et métiers d'art serait ainsi particulièrement manifeste.

L'an dernier, Madame Françoise Landais, qui est chargée de mission pour les métiers d'art au secrétariat d'Etat aux PME, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation, nous avait indiqué que l'Agence française de l'ingénierie touristique devait assurer la maîtrise d'ouvrage d'une étude d'opportunité sur le développement des itinéraires « Métiers d'art ». Je serais heureux que Mme Landais, ou tout autre représentant du secrétariat d'Etat, puisse aujourd'hui nous faire part, à l'occasion de nos débats, de l'état actuel des travaux de l'AFIT, et, si cela est déjà envisageable, de ce que pourraient être les préconisations du gouvernement en la matière.

Avant de céder la parole aux divers intervenants de cette journée de réflexion collective, je voudrais enfin vous informer de deux initiatives que j'ai prises, dans la droite ligne du thème qui nous réunit aujourd'hui. D'une part, j'ai soumis au Président du Sénat, Monsieur Christian Poncelet, qui avait montré l'an passé tout l'intérêt qu'il portait à notre problématique en nous faisant l'honneur d'ouvrir notre colloque, un projet d'organisation, au printemps prochain, d'une grande exposition sur les métiers d'art dans le Jardin du Luxembourg. Présenter en un lieu prestigieux, et particulièrement fréquenté par les visiteurs, toute la richesse, la créativité et l'originalité de plusieurs des 220 métiers d'art que compte aujourd'hui notre pays, me paraîtrait de nature à favoriser leur connaissance, et leur reconnaissance, par nos concitoyens et par les touristes qui parcourent la France. J'ai bon espoir que ce projet rencontrera l'assentiment du Président Poncelet et du Bureau du Sénat, ainsi que la faveur des professionnels et partenaires avec lesquels cette exposition serait organisée. Cela constituera une vitrine qui peut être inspirera le Fonds national d'art contemporain, basé sur le parvis de la Défense, qui a réintroduit « les arts décoratifs, la création industrielle et les métiers d'art » selon ses propres termes, dans sa politique d'achats.

D'autre part, je crois que la thématique tourisme et métiers d'art suscite toujours plus d'intérêt de la part des élus, tant il est manifeste que de la conjonction de ces activités peuvent naître des projets de développement local très porteurs, et propres à irriguer tout un espace de vie économique et sociale. A cet égard, les sénateurs se devant d'être à l'écoute de leurs territoires, je suis certain que plusieurs d'entre eux pourraient se retrouver au sein d'un groupe de travail de la commission des affaires économiques et du Plan. Dans ce cadre, et à partir de vos travaux, ils pourraient faire fructifier vos propositions et réflexions et en assurer le relais auprès des pouvoirs publics nationaux. J'ai déjà évoqué ce projet avec mon ami Gérard Larcher, et il ne sera donc pas surpris que je l'aborde à nouveau aujourd'hui. Je suis convaincu que la richesse de nos échanges et la qualité de vos interventions justifieront pleinement l'opportunité de les relayer au plan parlementaire au sein d'un tel groupe de travail.

Avant de terminer mon propos, je souhaiterai que chacun sache que si ce colloque qui constitue une sorte de pré-inauguration des journées consacrées aux métiers d'art a pu avoir lieu c'est grâce aux excellentes relations que j'entretiens avec Pierre Chevalier, président de la SEMA et à l'amitié partagée avec Yvon Houssard, directeur général, acteur passionné, très méticuleux et combien efficace. J'associe à ces remerciements Mme Murielle Richet et MM. Jean-Michel Kosianski et Nicolas Risot.

Il faut reconnaître qu'avant la première édition du colloque l'an dernier, j'ignorai l'existence de la SEMA. Depuis beaucoup m'en ont parlé notamment pour son action de développement local. Elle a su mettre en place des relations de proximité avant que le gouvernement face de la décentralisation une de ses priorités. Il est incontestable que la SEMA apporte des réponses aux problèmes posés par le développement local grâce à un appui technique en liaison avec les acteurs concernés.

Un dernier mot pour dire l'admiration et l'estime que je porte aux métiers d'art. La belle pensée de Saint-Exupéry qui estimait que « l'homme se découvre quand il se mesure avec l'objet » prend tout sa dimension lorsque cet objet naît de l'alchimie de l'art créatif.

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