ANNEXE IV -

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

PERSONNES AUDITIONNÉES

PRÉSENTATION THÉMATIQUE DES AUDITIONS

I - REPRÉSENTANTS DES CONSOMMATEURS, ASSOCIATIONS ET AUTORITÉS ÉTHIQUES

Associations de consommateurs :

- CLCV (Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie)

M. Olivier Andrault , Directeur scientifique - alimentation et santé

- UFC - Que Choisir (Union fédérale des consommateurs - Que choisir ?)

Mme Marie-José Nicoli , Présidente

Autorité éthique :

- CCNE (Comité consultatif national d'éthique)

M. Didier Sicard , Président

Associations :

- CFDD (Commission française de développement durable)

M. Jacques Testart , Président

- CRII-GEN (comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique)

Mme Corinne Lepage , Présidente

- Greenpeace France

M. Bruno Rebelle , Directeur Général

- Inf'OGM (information sur les organismes génétiquement modifiés)

M. Thierry Raffin , Sociologue, trésorier de l'association

- OGM Dangers

M. Hervé Lemeur , Président

- Solagral

M. Pierre Castella , Président de l'association Solagral

Mme Anne Chetaille , Chargée d'études

- DEBA (Débats et échanges sur les biotechnologies en agriculture)

Mme Anne Rigouzzo , Secrétaire générale

II - REPRÉSENTANTS POLITIQUES ET INSTITUTIONNELS

France :

- Ministère de l'Écologie et du Développement durable

Mme Roselyne Bachelot-Narquin , Ministre

- Ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales

M. Hervé Gaymard , Ministre

M. Michel Thibier , Directeur général de l'enseignement et de la recherche du Ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

Mme Florence Castel , Adjointe au sous-directeur de la réglementation, de la recherche et de la coordination des contrôles à la direction générale de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales

- Ministère déléguée aux affaires européennes

Mme Noëlle Lenoir , Ministre

-Ministère délégué au commerce extérieur

M. François Loos , Ministre

- Ministère déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies

Mme Claudie Haigneré , Ministre

- Secrétariat d'Etat aux petites et moyennes entreprises , au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie

M. Renaud Dutreil , Secrétaire d'Etat

Europe :

- Mme Françoise Grossetête , Député européen

International :

- OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) :

M. Peter Kearns , Administrateur principal

M. Michael W. Oborne , Directeur unité consultative auprès du Secrétaire général de l'OCDE

III - EXPERTS SCIENTIFIQUES ET COMMISSIONS SPECIALISÉES

- Académie des sciences

M. Claude Allègre , Professeur à l'université de Paris VII, Directeur du Laboratoire de géochimie des universités de Paris VI et VII

M. Roland Douce , Professeur à l'Université Joseph Fournier à Grenoble

- AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments)

M. Martin Hirsch , Directeur général

M. Ambroise Martin , directeur de l'évaluation des risques nutritionnels et sanitaires

- CGB (Commission du génie biomoléculaire)

M. Marc Fellous , Président

- CNA (Conseil national de l'alimentation)

M. Christian Babusiaux , Président

- CNAM (Conservatoire national des arts et métiers)

M. François Ewald , Professeur, co-auteur du « Principe de précaution » (Ed Que sais-je)

- CNRS (Centre national de la recherche scientifique)

Mme Marie-Angèle Hermitte , Directeur de recherche, directeur d'étude à l'EHESS, spécialiste du droit des biotechnologies

- Comité de la prévention et de la précaution

M. Alain Grimfeld , Président

- Génoplante :

M. Georges Pelletier , Directeur de recherche à l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), Président du Directoire Opérationnel du GIS GENOPLANTE

M. Pierre Malvoisin , Directeur général de la S.A.S. Génoplante-Valor

- GEVES (Groupe d'étude et de contrôle des variétés et des semences)

Mme Yvette Dattée , Directeur, membre de la Commission du Génie Biomoléculaire

- INA (Institut national agronomique Paris-Grignon)

M. Pierre-Henri Gouyon , Directeur de l'UMR Écologie, systématique et évolution

- INRA (Institut national de recherche agronomique) :

Mme Marion Guillou , Directrice générale

M. Gérard Pascal , Directeur scientifique, membre de la CGB, Président du comité scientifique et du conseil scientifique de l'AFSSA

M. Guy Riba , Directeur scientifique Plante et produits du végétal, membre de la CGB et du comité de biovigilance

M. Bernard Chevassus-Au-Louis , Directeur de recherche

M. Yves Chupeau , Directeur de recherche, laboratoire de biologie cellulaire

Mme Claire Marris , Chargée de recherche, Unité STEPE (Sociétés, Techniques, Environnement, Politiques économiques)

- Institut de veille sanitaire

M. Gilles Brücker , Directeur général

- Institut Pasteur

M. Philippe Kourilsky , Professeur au Collège de France, Membre de l'Institut de France, Directeur Général de l'institut Pasteur

- Société française de génétique

M. Gérard Buttin , Président

IV - ENTREPRISES

Semences et biotechnologies :

- Aventis Animal Nutrition

M. Jérôme Gervais , ancien Directeur général

- Bayer CropScience

M. Franck Garnier , Directeur général

M. François Thiboust , Directeur des affaires publiques et gouvernementales.

- Limagrain

M. Jean-Claude Guillon , Directeur Stratégie et Communication

- Meristem Therapeutics

M. Bertrand Merot , Président Directeur Général

- Monsanto France

M. Jean-Pierre Princen , Directeur général

- Pioneer Semences

M. Peter Hooper , Directeur général

Mme Maddy Cambolive , Responsable des Affaires Réglementaires Europe

Transformation alimentaire :

- Nestlé

M. Éric Boullet , Directeur des relations extérieures

Mme Nicole Monget , Conseiller scientifique et réglementaire au sein de l'Assurance qualité

- Carrefour

Mme Chantal Jaquet , Directrice prévention santé, sécurité et environnement

V - REPRÉSENTANTS PROFESSIONNELS DE L'INDUSTRIE

- CFS (Confédération française des semenciers)

M. Pierre Lefebvre , Président

- France Biotech

M. Philippe Pouletty , Président

- GNIS (Groupement national interprofessionnel des semences et plants)

M. Robert Pellerin , Président

- Organibio (Organisation nationale interprofessionnelle des bio-industries)

M. Jean Lunel , Président

- SNIA (Syndicat national des industries de la nutrition animale)

M. Yves Montécot , Président

- UIPP (Union des Industries de la Protection des Plantes)

M. Jean Pougnier , Président

M. Jean Charles Bocquet , Directeur général

VI - REPRÉSENTANTS DU MONDE AGRICOLE

- AGPM (Association générale des producteurs de maïs)

M. Daniel Bloc , Directeur scientifique

- APCA

M. Guy Vasseur , Secrétaire adjoint et président de la commission environnement

-  Confédération paysanne

M. Guy Le Fur , ancien porte-parole

- Fédération française des sociétés d'assurance (F.F.S.A.) :

M. Claude Delpoux , Directeur des assurances de biens et de responsabilité

M. Bernard Foussat , Sous-directeur à la direction des assurances de biens et de responsabilité

- FNAB (Fédération nationale d'agriculture biologique)

M. François Thiery , Président

M. Vincent Perrot , Délégué général

- SNIA (Syndicat national des industries de la nutrition animale)

M. Yves Montécot , Président

VI - AVOCATS

- Mme Patricia Savin , Avocate au Barreau de Paris, Docteur en droit de l'environnement, responsable de la sous-commission OGM de l'Ordre des avocats de Paris

- M. Michel Jacquot , Avocat, spécialiste en droit communautaire, droit agricole et agro-alimentaire, sécurité alimentaire, OMC/GATT et commerce international.

VII GÉOPOLITIQUE

- Fondation pour la Recherche Stratégique (F.R.S.) :

M. François Heisbourg , Directeur

- Globeco

M. Pierre Le Roy , Directeur

VIII - AUTRES

- Mme Dominique Bodin-Rodier , auteur de « La guerre alimentaire a commencé »

- Mme Madeleine Ferrières , auteur du livre « Histoire des peurs alimentaires »

- M. Robert Pingeon , Président du Cabinet Conti International

LISTE ALPHABÉTIQUE

Pages

1. Audition de M. Claude Allègre, ancien ministre, membre de l'Institut 192

2. Audition de M. Olivier Andrault, Directeur scientifique - alimentation et santé, de l'association CLCV (Consommation, logement et cadre de vie) 194

3. Audition de M. Christian Babusiaux, Président du Conseil national de l'alimentation (CNA). 199

4. Audition de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable 210

5. Audition de M. Daniel Bloc, Directeur scientifique et environnement de l'Association générale des producteurs de maïs (AGPM). 220

6. Audition de Mme Dominique Bodin-Rodier, auteur de « La guerre alimentaire a commencé » 224

7. Audition de M. Éric Boullet, directeur des relations extérieures de Nestlé France, accompagné de Mme Nicole Monget, conseiller scientifique et réglementaire de l'Assurance Qualité 226

8. Audition de M. Gilles Brücker, Directeur général de l'Institut de veille sanitaire (InVS) 238

9. Audition de M. Gérard Buttin, professeur émérite à l'Institut Pasteur, président de la Société Française de Génétique 250

10. Audition de Mme Florence Castel, adjointe au sous-directeur de la réglementation, de la recherche et de la coordination des contrôles à la direction générale de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales du ministère de l'Agriculture et de la Pêche 252

11. Audition de M. Pierre Castella, Président de Solagral et de Mme Anne Chetaille, chargée d'étude environnement pour Solagral 255

12. Audition de M. Bernard Chevassus-au-Louis, directeur de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et vice-président de la Commission d'étude de la dissémination des produits issus du génie biomoléculaire 259

13. Audition de M. Yves Chupeau, Directeur de recherches au laboratoire de Biologie Cellulaire de l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) 268

14. Audition de Mme Yvette Dattee, Directeur du groupe d'étude et de contrôle des variétés et des semences, Membre de la commission du génie biomoléculaire. 273

15. Audition de MM. Claude Delpoux et Bernard Foussat, de la Fédération française des sociétés d'assurance (F.F.S.A.) 276

16. Audition de M. Roland Douce, professeur à l'université Joseph Fourrier à Grenoble, membre de l'Académie des Sciences 278

17. Audition de M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie 281

18. Audition de M. Ewald, Professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers (C.N.A.M.), co-auteur du « Que sais-je » sur « Le principe de précaution » 296

19. Audition de M. Marc Fellous, Président de la Commission du génie biomoléculaire (CGB) 299

20. Audition de Mme Madeleine Ferrières, Professeur à l'université d'Avignon, auteur du livre « Histoire des peurs alimentaires » (ed. du Seuil) 312

21. Audition de M. Franck Garnier, Directeur général de Bayer CropScience, accompagné de M. François Thiboust, Directeur des affaires publiques et gouvernementales 313

22. Audition de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales 320

23. Audition de M. Jérôme Gervais, président de Biosquare, ancien directeur général d'Aventis Animal Nutrition 331

24. Audition de M. Pierre-Henri Gouyon, Directeur du laboratoire UPS-CNRS d'« Ecologie, Systématique et Evolution », Membre du Comité de biovigilance 333

25. Audition de M. Alain Grimfeld, Président du Comité de la prévention et de la précaution 346

26. Audition de Mme Françoise Grossetête, député européen 351

27. Audition de M. Jean-Claude Guillon, Directeur stratégie et communication du groupe Limagrain 355

28. Audition de Mme Marion Guillou-Charpin, Directrice générale de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) 360

29. Audition de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies 366

30. Audition de M. François Heisbourg, directeur de la Fondation pour la Recherche Stratégique (F.R.S) 380

31. Audition de Mme Marie-Angèle Hermitte, directeur de recherches au CNRS, directeur d'études à l'EHESS (UMR 8056 « Régulation des activités économiques et sociales ») 382

32. Audition de M. Martin Hirsch, Directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) 385

33. Audition de M. Peter Hooper, directeur général de Pioneer Semences, et de Mme Maddy Cambolive, chargée de la réglementation et de l'homologation 396

34. Audition de Me Michel Jacquot, avocat, spécialiste en droit communautaire, droit agricole et agro-alimentaire, sécurité alimentaire, OMC/GATT et commerce international 399

35. Audition de Mme Chantal Jaquet, Directrice prévention santé, sécurité et environnement du groupe Carrefour, accompagnée de M. Jacques Etienne,consultant auprès de Carrefour dans le domaine de la santé et de la sécurité des aliments 401

36. Audition de M. Peter Kearns, administrateur principal à l'OCDE, accompagné de M. Michael O'Borne, directeur de l'unité consultative auprès du secrétaire général de l'OCDE 412

37. Audition de M. Philippe Kourilsky, Professeur au Collège de France, membre de l'Académie des sciences, Directeur général de l'Institut Pasteur, co-auteur du rapport sur « Le principe de précaution » 422

38. Audition de M. Guy Le Fur, membre du Conseil économique et social, ancien porte-parole de la Confédération paysanne, co-auteur du rapport « La France face au défi des biotechnologies : quels enjeux pour l'avenir ?» 425

39. Audition de M. Hervé Le Meur, Président d'OGM Danger 428

40. Audition de M. Pierre Le Roy, Directeur de GLOBECO 435

41. Audition de M. Pierre Lefebvre, Président de la Confédération française des semenciers 438

42. Audition de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes 442

43. Audition de Mme Corinne Lepage, Présidente du Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique (CRII-GEN) 450

44. Audition de M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur 456

45. Audition de M. Jean Lunel, Président d'Organibio 465

46. Audition de Mme Claire Marris, chargée de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), Unité STEPE (Sociétés, Techniques, Environnement, Politiques Économiques) 467

47. Audition de M. Ambroise Martin, Directeur de l'évaluation des risques nutritionnels et sanitaires à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) 469

48. Audition de M. Bertrand Mérot, Président du Directoire de Meristem Therapeutics 478

49. Audition de M. Yves Montécot, Président du Syndicat national de la nutrition animale 482

50. Audition de Mme Marie-José Nicoli, Président d'UFC-Que Choisir 484

51. Audition de M. Gérard Pascal, Directeur scientifique à l'Institut national de recherche agronomique (INRA), membre de la Commission du génie biomoléculaire (CGB), Président du comité scientifique et du conseil scientifique de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) 495

52. Audition de M. Robert Pellerin, Président du groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS) 509

53. Audition de M. Georges Pelletier, directeur de recherche à l'INRA, président du directoire opérationnel du GIS Génoplante, de M. Pierre Malvoisin, directeur général de la SAS Génoplante-Valor 515

54. Audition de M. Robert Pingeon, Président du Cabinet Conti International 524

55. Audition de M. Jean Pougnier, Président de l'Union des Industries de la Protection des Plantes (UIPP) et de M. Jean-Charles Bocquet, directeur général de l'UIPP 526

56. Audition du Dr. Philippe Pouletty, Président de France Biotech, Vice Chairman de Europabio 530

57. Audition de M. Jean-Pierre Princen, Directeur général de Monsanto France 535

58. Audition de M. Thierry Raffin, Sociologue, Trésorier d'Inf'OGM 539

59. Audition de M. Bruno Rebelle, Directeur général de Greenpeace France 542

60. Audition de M. Guy Riba, Directeur de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) 549

61. Audition de Mme Marie Rigouzzo, Secrétaire Générale de l'Association DEBA (Débats et Échanges sur les Biotechnologies en Agriculture) 561

62. Audition de Mme Patricia Savin, Avocate au Barreau de Paris, Docteur en droit de l'environnement, responsable de la sous-commission OGM de l'Ordre des avocats de Paris 563

63. Audition de M. Didier Sicard, Président du Comité consultatif national d'éthique. 566

64. Audition de M. Jacques Testart, Président de la commission du développement durable au ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement 569

65. Audition de M. Michel Thibier, directeur général de l'enseignement et de la recherche du ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales 574

66. Audition de M. François Thiery, Président de la Fédération nationale d'Agriculture biologique (FNAB) et de M. Vincent Perrot, délégué général de la FNAB 578

67. Audition de M. Guy Vasseur, Secrétaire adjoint de l'Assemblé Permanente des Chambres d'Agriculture (APCA), Président de la commission environnement, accompagné de M. Jean-Marc Cordonnier, Sous-Directeur. 582

Avertissement : les comptes rendus d'audition ont fait l'objet d'une relecture et d'une validation par les personnes auditionnées.

1. Audition de M. Claude Allègre, ancien ministre, membre de l'Institut

M. Claude Allègre - Je ferai quelques remarques liminaires. Tout d'abord, j'estime que les rapports du Sénat sont des documents très intéressants et je regrette qu'ils ne soient pas plus exploités. Deuxièmement, j'attire votre attention sur le fait que je ne suis pas un spécialiste de biologie moléculaire. Enfin, je précise que comme chroniqueur et comme citoyen, je m'intéresse au dossier des OGM et je suis inquiet de son évolution. Je ne doute pas que les OGM vont se développer notamment au regard des évolutions aux Etats-Unis et en Chine. La Chine est en train de développer dans ses laboratoires une puissance extraordinaire. Il faut savoir qu'elle a devancé les Etats-Unis dans le séquençage du riz puisque celui-ci a été réalisé par deux équipes, une chinoise et une sino-helvétique. Il m'arrive de me demander s'il n'y a pas une connexion entre les opposants aux OGM et les intérêts désireux d'éliminer l'Europe de la compétition agricole. Les OGM n'ont jamais tué personne ! Sur un plan scientifique, cette technique n'est pas différente du croisement traditionnel. On peut penser que l'irrationalité est de saison, mais certains ont pu alimenter les peurs. Ce qui a déclenché la croisade anti-OGM c'est le maïs transgénique Monsanto aux Etats-Unis. Le maïs antipyrale présente surtout comme inconvénient pour nous que nous soyons déjà en surproduction de maïs en Europe. Aujourd'hui, nous mangeons déjà des OGM. Si on interdit le travail sur les OGM et le travail sur les cellules-souches, on fera une croix sur l'agriculture, la médecine et la biotechnologie. A cause de ces saccages, l'ex-Rhône-Poulenc et Novartis ont abandonné la recherche agricole. Il reste Bayer, qui est allemand, et des sociétés américaines. Nous ne sommes donc plus très loin d'un monopole américain. La situation dans ce domaine est donc très grave. J'avais, lorsque j'étais ministre, de très graves divergences avec M. Jean Glavany là-dessus. C'est un sujet très sensible, car il reflète la déchirure de quelque chose de très important, à savoir le lien entre la République et la science, entre la République et la connaissance. Aujourd'hui, la République protège l'irrationnel ! Je rappelle, à nouveau, que pour l'instant, il n'y a eu aucun accident OGM ! Quant on a fait les premières expérimentations de génie génétique, on a mis en place le moratoire d'Asilomar. On a donc décidé que 12 laboratoires mèneraient des vérifications car on avait peur de fabriquer des virus. On s'est donc abstenu pendant quatre ans, puis on a continué, sans accident. Si au début du 20ème siècle nous avions eu cette mentalité d'aujourd'hui, nous aurions interdit les trains et les avions. J'ai écrit un article que je vais développer dans un livre : « Quand on sait tout on ne prévoit rien ; quand on prévient tout, on ne sait rien ».

M. le président - Merci pour votre exposé décoiffant et clair. Nous avons quasiment fait le tour des analyses scientifiques et nous estimons que le problème n'est pas d'abord un problème scientifique, ce dont a convenu M. Rebelle lors de son audition.

Quels conseils pourriez-vous nous donner pour sortir du dilemme et pour restaurer la confiance de l'opinion publique ?

M. Claude Allègre - J'appartiens à une génération qui a réfléchi au sens de la « collaboration » du Maréchal Pétain. La « collaboration », c'est d'accepter quelque chose de négatif au motif que ça pourrait être pire. J'estime, quant à moi, qu'il n'y a pas de transaction avec la raison ! On ne peut pas laisser entrer un peu d'irrationnel, sinon c'est fini. Dans notre société, les minorités imposent des choses ! Pourtant, la République n'est pas à discuter : si vous avez des arguments ou des faits, on discute, sinon, non. Vous pouvez demander au directeur de l'INRA ou de l'INSERM qu'ils viennent exposer, tous les ans, le bilan de la recherche sur les OGM.

M. le rapporteur - Il y a tout de même une différence. Entre nous et la société, il y a les médias. Ils ne nous facilitent pas la tâche.

M. Claude Allègre - Oui bien sûr, il faut se battre pour faire passer la science. J'ai d'ailleurs une émission télévisée en préparation sur ce thème. J'estime que, globalement, vous, parlementaires, ne devez pas transiger avec l'irrationnel. C'est le même problème avec le nucléaire. Des ignorants disent que des tremblements de terre menacent nos centrales nucléaires. Je rappelle, pour mémoire, qu'en Italie, 400 000 personnes ont été tuées par les séismes en quatre siècles. En France, sur la même période, les séismes ont causé la mort de quarante personnes.

M. Daniel Raoul - Il y a tout de même un fossé qui s'est creusé entre les scientifiques et la population. Le lien a été cassé par les scandales.

M. Claude Allègre - Vous avez raison. Quand j'étais ministre, j'ai tenté de développer ce lien entre les scientifiques et la population. Les scientifiques ont un devoir d'explication et de combat de l'irrationnel.

M. Daniel Raoul - Mais comment lutter contre les ayatollahs ! Je vous renvoie à l'exemple des prétendus dangers des téléphones mobiles.

M. Claude Allègre - La question des téléphones mobiles est différente : il n'est pas idiot de penser que cela puisse avoir des effets sur l'organisme. Mais ce n'est pas prouvé et probablement ces effets sont faibles. Nous vivons dans une société où la peur s'est emparée des gens, à cause de la mondialisation et du chômage. L'énarchisation de la politique a fait que les gouvernements ont déresponsabilisé les individus. Or, la responsabilité individuelle doit exister. Comme on ne fait pas confiance aux citoyens, on décide pour eux. On va donc vers une civilisation d'assistés qui attendent tout du Gouvernement. L'irrationnel est en train de gagner à cause de notre passivité collective.

M. Hilaire Flandre - Est-ce que l'humanité n'a pas besoin, parfois, d'avoir des peurs irrationnelles ?

M. Claude Allègre - C'est l'héritage du péché originel judéo-chrétien.

M. Hilaire Flandre - Les gens acceptent le risque quand ils voient qu'il y a un intérêt pour eux.

M. Claude Allègre - Sur les OGM, j'estime qu'il y a des avantages. Par exemple, les tomates qui pourrissent moins. Ce n'est pas un gadget.

M. Hilaire Flandre - Cet avantage n'est pas ressenti par l'opinion !

M. Claude Allègre - Ca, c'est votre problème, pas le mien. Vous, vous représentez la nation. Si vous élaboriez un protocole pour que les responsables scientifiques viennent rendre compte publiquement, sous serment, de leurs travaux, vous seriez pleinement dans votre rôle. De toute façon, l'Europe ne maintiendra pas le moratoire sur les OGM, elle devra tôt ou tard le lever, la question c'est quand ?

M. Daniel Raoul - L'opinion est manipulée par les médias, et les scientifiques ne jouent pas leur rôle de contrepoids à cette manipulation.

M. Claude Allègre - C'est vrai, mais il faut que le Sénat organise tous les ans un grand colloque « science et société », avec des scientifiques et des sénateurs et qu'on médiatise tout ça. Je suis d'accord avec vous que les scientifiques doivent être des citoyens et intervenir dans le débat. Vous pourriez organiser un grand débat au Sénat avec nos prix Nobel.

M. le président - Vous aviez initié le programme Génoplante, qui a été une très très grande avancée.

M. Claude Allègre - J'ai effectivement constitué le réseau des génopôles.

M. le président - Vous avez également initié des passerelles entre les scientifiques et le monde de l'économie. Comment aller plus loin dans cette voie ?

M. Claude Allègre - J'ai fait, grâce au Sénat, une loi sur l'innovation. Je regrette aujourd'hui, ne pas avoir fait une grande loi sur la science, j'ai eu tord. Les gens ne s'intéressent à ce qu'on fait que quand on le met dans la loi. Mes instructions sont aujourd'hui inégalement appliquées. Dans la loi sur l'innovation, je m'étais promis de faire mes décrets d'application avant même la loi si bien que tous les décrets étaient prêts, sauf un. Depuis ma loi, lorsqu'on fait une découverte, on a le droit de l'exploiter, mais on n'a pas le droit de gagner plus de 400.000 francs par an : c'est ainsi que le décret a été réécrit. Par contre, si vous exploitez l'invention d'un autre, vous n'êtes pas contraint pas une limite de bénéfices annuels ! Ce pays a besoin de débureaucratiser la recherche. Aujourd'hui, il faut huit mois et un jury de cinq personnes pour recruter une femme de ménage dans un laboratoire, à qui on fait faire une dictée !

M. le président - Que pouvez-vous nous dire sur la brevetabilité et sur le certificat d'obtention végétale (COV) ?

M. Claude Allègre - On brevète quand on trouve quelque chose. Je me suis battu sur la question du délai de grâce : il faut qu'une publication dans une revue n'aboutisse pas à oblitérer le brevet.

M. le président - Cette question de la brevetabilité représente pour nous une véritable difficulté, à ce stade.

2. Audition de M. Olivier Andrault, Directeur scientifique - alimentation et santé, de l'association CLCV (Consommation, logement et cadre de vie)

M. le Président - Nous accueillons M. Andrault de l'association CLCV (Consommation, logement et cadre de vie). Merci d'avoir répondu à notre invitation, à l'approche de la transcription de la directive 98-44.

Compte tenu de vos responsabilités dans l'association, comment percevez-vous, et les consommateurs avec, les nouvelles technologies ? Comment instaurer un dialogue pour décrisper l'opinion publique, car la France et l'Europe ne pourront rester à l'écart du monde ?

M. Olivier Andrault - Merci de m'accueillir. Tous les aspects sont-ils envisagés ou seulement l'aspect alimentaire ?

M. le Président - L'aspect alimentaire nous intéresse surtout.

M. Olivier Andrault - En effet, les autres aspects pharmaceutiques par exemple, sont moins contestés.

M. Hilaire Flandre - Les risques sont les mêmes.

M. Olivier Andrault - En théorie, oui, mais dans le domaine de la santé, l'acceptabilité est supérieure. Pour l'alimentation, la préoccupation des consommateurs est d'être bien informés et de pouvoir choisir leurs produits.

M. Daniel Raoul - Le processus d'extraction-purification pour les médicaments est différent de celui qui mène à l'ingestion totale du produit alimentaire : le risque me paraît différent.

M. Olivier Andrault - Notre association n'est pas a priori opposée à l'utilisation des OGM dans l'alimentation : ils peuvent favoriser l'apparition de nouveaux produits, diminuer significativement les nuisances d'une certaine forme d'agriculture. Nos réserves portent sur la pertinence du choix d'OGM par rapport à d'autres possibilités. Des maïs résistants à certains insectes sont cultivés dans des régions qui ne sont pas totalement favorables à leur croissance : par exemple, il faut l'arroser. Les aspects toxicologiques à long terme doivent être pris en compte : seul le court terme a été étudié.

M. le Président - « Depuis dix ans, 350 millions d'Américains en consomment », considère l'INRA.

M. Olivier Andrault - Quelles études ont été faites sur la toxicité à long terme ? On ne sait pas ce qu'il faut chercher.

M. Le Président - Ils ne souffrent pas d'une pathologie spécifique.

M. Max Marest - Que signifie long terme ?

M. Olivier Andrault - Les OGM ne sont consommés que depuis dix ans pour une durée de vie humaine moyenne de soixante-dix à quatre-vingts ans. De surcroît, d'autres solutions sont envisageables en matière de pratiques culturales ou d'améliorations nutritionnelles. Il y a urgence en matière médicale, pas pour l'alimentation.

M. le Président - Vous insistez sur l'équilibre entre l'urgence et la nécessité.

M. Olivier Andrault - Certains consommateurs ne sont pas opposés aux OGM, d'autres éprouvent des réserves éthiques, nous les représentons tous. De toute façon, la préservation de la bio-diversité doit être assurée. Des gènes de résistance traditionnels sont déjà apparus. On manque donc de recul pour les OGM. Le saumon transgénique n'a pas été autorisé aux Etats-Unis, car on craint qu'il ne détruise le saumon sauvage au détriment du pool génétique.

Quant aux aspects environnementaux, en décembre 2001, 59,4 % des personnes interrogées ont répondu que les OGM avaient un impact négatif sur l'environnement, l'opposition croissant avec le niveau d'éducation.

M. le Président - Y avait-il une question sur l'éventuelle diminution des quantités d'intrants ?

M. Olivier Andrault - Non. Nous sommes nuancés. Nous tenons un rôle d'information des consommateurs. Nous préconisons une évaluation initiale -pertinence, risques pour la bio-diversité- et une maîtrise des risques de flux de gênes dans l'environnement. La loi doit prescrire la mise en place de précautions pour éviter d'atteindre les autres productions. L'INRA a prévu des distances, des dates de pulvérisations... Le texte doit comporter des précautions à prendre pendant les transports, les transformations par l'industrie...

M. le Président - Accepteriez-vous un seuil ?

M. Olivier Andrault - Nous y serons bien obligés ! Les deux projets de textes européens nous satisfont globalement : l'information du consommateur est complète sur la présence d'OGM et de dérivés. Mais un étiquetage à 0,5 % paraît faible.

M. le Président - Souhaitez-vous passer en-dessous ?

M. Olivier Andrault - Oui, mais le débat commence.

M. le Président - Ne craignez-vous pas qu'avec un seuil plus bas, les contaminations involontaires soient fréquentes et que le coût des analyses ne provoque des distorsions de concurrence ?

M. Olivier Andrault - Le comité provisoire de biovigilance a publié des résultats pour le maïs. Sur 311 prélèvements, 63 étaient positifs en OGM, la moitié venant des Etats-Unis. Sur 63, la très grande majorité avait un pourcentage inférieur à 0,3 % : un niveau bas de contamination est garanti. Deux prélèvements contenaient des OGM non identifiés. Cela relativise les craintes des industriels.

Le comité a présenté, en matière de protection de l'environnement, des observations sur l'entomofaune aérienne et la perturbation des insectes, mais toute la faune joue un rôle vital pour la fertilité du sol. J'en viens aux aspects économiques. Qui paiera en cas de contamination ? L'agriculture biologique refuse la présence d'OGM. Comment garantir des produits à seuil 0 ?

M. le Président - C'est le point de vue de votre association ?

M. Olivier Andrault - Oui. Il faut préciser les régimes de responsabilité, au-delà des essais aux champs. La filière qui a introduit l'OGM en culture doit payer, non les agriculteurs victimes des cultures effectuées à proximité. Je reprends la proposition d'un régime d'assurance obligatoire. Fin 2001, les assureurs ont estimé que le risque OGM était inassurable, mais il s'agit surtout d'un manque à gagner pour le producteur de l'agriculture biologique. Les coûts de surveillance doivent également être pris en charge par les opérateurs des filières OGM. Le répertoire de tous les éléments modifiés génétiquement est important. En Europe et en France, il paraît difficile d'obtenir des renseignements, comme en Chine bien sûr.

M. Max Marest - Ce qui me choque, c'est qu'on ne fasse pas payer le consommateur des produits non OGM.

M. Olivier Andrault - Il n'en bénéficie pas ! Qu'on me prouve les effets positifs des OGM pour le consommateur.

M. Max Marest - Vous demandez un recul de soixante-dix ans !

M. Olivier Andrault - La responsabilité ne peut être qu'à court terme et pour les contaminations des filières non OGM.

M. Max Marest - C'est un problème pour les essais en plein champ.

M. le Président - Certains pays développent ces cultures. Le travail des agriculteurs paraît facilité : les agriculteurs français n'en ont-ils pas besoin ? Le consommateur français paiera-t-il le surcoût de nos produits agricoles ? Une exception française dans ce domaine serait-elle, selon vous, possible ?

M. Olivier Andrault - Certains de nos adhérents sont des consommateurs agriculteurs. J'ai participé aux travaux de l'OCDE : l'évolution des gouvernements sur la traçabilité a été importante. Le Japon, la Nouvelle-Zélande ont modifié l'étiquetage sous la pression de leur opinion publique. La représentante du Gouvernement néo-zélandais considère que l'étiquetage a supprimé les OGM dans les produits alimentaires transformés. Aux Etats-Unis, les associations de consommateurs ne sont pas arrivés à faire passer leurs positions, mais bien des régions développent des espèces et des filières non-OGM avec des seuils, certes, supérieurs aux nôtres. Des industriels non-OGM démarchent les agriculteurs.

M. le Président - Veuillez nous envoyer une note technique sur ce sujet. Quelles sont les revendications des consommateurs américains ?

M. Olivier Andrault - Les consommateurs américains sont nombreux ! Les plus grandes associations veulent une information suffisante et la possibilité d'un choix.

M. le Président - Scientifique ou philosophique ?

M. Olivier Andrault - Je l'ignore, l'exception ne serait pas française : certains pays européens ou tiers demandent étiquetage et traçabilité.

M. le Président - Etiquetage et traçabilité ont déjà été utilisés pour les arômes et les colorants : les caractères d'impression ont rétréci au fil des années !

M. Olivier Andrault - Le consommateur doit être correctement informé, mais seule la publicité, toujours positive, et les médias, focalisés sur les crises, l'informent. Les associations de consommateurs s'en préoccupent. Nous regrettons le retard de l'Union européenne par rapport aux Etats-Unis, en ce qui concerne la taille minimale des informations, compte tenu de la taille de l'emballage, les éléments nutritionnels... Il faut traiter les consommateurs en adultes pour qu'ils choisissent en toute connaissance de cause. Les sentiments de panique en seront réduits.

M. le Rapporteur - Il y a beaucoup d'accidents alimentaires aux Etats-Unis.

M. Olivier Andrault - D'après les éléments dont nous disposons, les professionnels nord-américains ont une confiance totale en la pasteurisation et la stérilisation, sans tenir compte des contaminations croisées. S'agissant du fromage au lait cru, les gênes provenaient de processus qui ne sont pas maîtrisés chez eux. En Europe, notamment en France, le niveau de sécurité alimentaire est très élevé : le fromage de Brie est normalisé depuis le Moyen-Age ! L'exception culinaire française -fromage au lait cru, huîtres...- limite les accidents sanitaires. Les Américains n'ont pas cette culture.

M. le Président - L'étiquetage doit-il mentionner ADN ou protéine ?

M. Olivier Andrault - Les projets européens reposent sur l'information et non plus sur l'ADN et les protéines.

M. le Président - Quel est le souhait de votre association ?

M. Olivier Andrault - Ni l'un ni l'autre. Chaque niveau doit informer le niveau suivant. Dans la filière laitière, on pourrait dire quelle vache a produit le lait du camembert. C'est une question d'hygiène, hors OGM. La directive 92-46 impose une traçabilité papier.

M. le Président - Que souhaitez-vous ? Une traçabilité à partir de la molécule d'ADN ou sur la protéine issue ?

M. Olivier Andrault - La traçabilité doit être assurée à chaque niveau.

M. le Président - Y compris lorsqu'on ne trouve plus rien, c'est maximaliste.

M. Olivier Andrault - On doit lire la mention : « amidon issu de maïs génétiquement modifié ».

M. le Président - Pour le fromage fabriqué à partir de chymosine génétiquement modifiée, souhaitez-vous que l'étiquetage le mentionne ?

M. Olivier Andrault - Je ne souhaite pas, à titre personnel, un changement de dénomination, mais la liste des ingrédients doit le mentionner.

M. le Président - C'est la position de la Commission européenne.

M. Olivier Andrault - Je déplore que les consommateurs n'utilisent pas le travail fait pour eux.

M. le Président - Quel serait le meilleur moyen pour communiquer avec nos concitoyens ? Les conférences de consensus n'ont pas été totalement couronnées de succès. Comment rassurer nos concitoyens ?

M. Olivier Andrault - Très bonne question. Je réfléchis à voix haute : il faut intégrer les consommateurs le plus tôt possible à la décision : les industriels sont sur-représentés. L'interdiction des céréales OGM en France doit être comparée à celle des tomates OGM en Angleterre : le choix et l'information préalable ont évité la crise. Les industriels ont accueilli par un tollé l'arrivée de céréales génétiquement modifiées sans information ni possibilité de choix.

M. le Président - Je vous remercie.

3. Audition de M. Christian Babusiaux, Président du Conseil national de l'alimentation (CNA).

M. le Président - Nous accueillons M. Christian Babusiaux, qui est président du Conseil national de l'alimentation (CNA), diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, ancien élève de l'École nationale d'administration, promotion « Robespierre », Conseiller-Maître à la Cour des comptes, président du conseil d'administration de l'Institut national de la consommation, (INC) ancien directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

M. Christian Babusiaux - La question des OGM est un problème qui est devenu extrêmement politique et dont les politiques ne peuvent pas faire abstraction, même si on ne peut pas méconnaître les aspects économiques, sociaux, environnementaux sur lesquels est centrée votre réflexion.

Je tiens à préciser au préalable que je ne suis pas un spécialiste des OGM, j'ai eu l'occasion de connaître ce sujet à deux époques différentes. En tant que directeur général de la DGCCRF, j'ai vu le démarrage du problème, lorsque notamment il nous a été demandé de saisir la cargaison du premier bateau qui transportait des OGM depuis les Etats-Unis. Puis, en tant que président du Conseil national de l'alimentation et en tant que l'une des quatre personnes que le gouvernement a désignées en novembre 2001 pour organiser un débat public sur ce sujet et lui en faire rapport ; nous avons remis ce rapport le 6 mars dernier. Sans être un spécialiste et en ayant connu ces deux époques, trois points très simples me frappent dans l'analyse :

1) Le caractère d'extrême tension de ce sujet. Bien entendu, des sujets alimentaires ont fait l'objet de tensions, par exemple la question de l'interdiction des farines animales pour empêcher la propagation de l'ESB, mais à l'évidence, le sujet des organismes génétiquement modifiés est devenu une question de polémique particulièrement forte. Cela s'est manifesté à de très nombreuses reprises, par exemple lors de réflexions du Commissariat du plan en 2001, mais également dans le débat public que nous avons organisé début février 2002. Délibérément, nous avons mis face à face l'ensemble des acteurs, y compris les adversaires les plus résolus, les plus extrêmes, ce qui n'avait jamais eu lieu jusque là, pour qu'au moins une fois chacun ait pu expliquer son point de vue devant tous les autres et en débattre. Mais, autant sur certains sujets, il est possible de dégager des consensus, autant là, les positions sont apparues extraordinairement antagonistes, et avec des antagonismes venant de très loin et très difficiles à surmonter. J'avais également mesuré cette sensibilité dans les travaux du Conseil national de l'alimentation, à l'automne 2001, à l'occasion de séances au cours desquelles nous avions réfléchi à la question de l'étiquetage et de la traçabilité des OGM. Le CNA, à l'époque présidé par le Professeur Cabrol, avait en 1998 regardé cette question de la traçabilité et de l'étiquetage et émis un avis. De même que les organisations de consommateurs, j'ai estimé souhaitable de faire le point sur cette question, et j'ai constaté que, même sur ce sujet apparemment technique, plus technique que celui de l'autorisation des essais ou de la mise en culture, une extrême tension régnait, à telle enseigne que certaines organisations de consommateurs se sont abstenues lors du vote de notre avis, ce qui est exceptionnel puisque nous réussissons généralement à dégager, sinon l'unanimité, du moins une quasi-unanimité. Elles se sont abstenues en précisant que ce n'était pas en raison du contenu même de ce nouvel avis sur l'étiquetage et la traçabilité, mais du contexte général sur les OGM. Ce constat est évident en un sens, mais je pense qu'il faut insister et s'interroger sur la raison pour laquelle on est arrivé à ce degré de tension.

2) L'ampleur des inconnues qui existent sur ce sujet est à certains égards étonnante. Il y a des inconnues sanitaires. M. Ambroise Martin et M. Gérard Pascal ont dû vous expliquer qu'il y a une certaine unanimité sur l'absence de risque des OGM sur la santé à court terme, en revanche, il est non moins clair qu'il y a une absence de certitude sur les effets à moyen/long terme.

3) Certes, en matière d'alimentation, il y a un grand nombre de domaines où nous n'avons pas connaissance des effets à long terme, notamment en ce qui concerne la toxicité, mais, ce qui a frappé les organisateurs du débat public, c'est que lorsque l'on approfondit le sujet des OGM, il n'y a pas, sur le plan économique, d'études « dignes de ce nom » répondant à des méthodes reconnues, objectives et fiables. Dans la période récente, les producteurs de semences - étrangers ou français - se sont efforcés de présenter des études réalisées à l'étranger, mais elles sont très peu nombreuses. Il y a eu 50 000 essais d'OGM dans le monde depuis l'origine, aussi devrions-nous avoir une masse de renseignements tout à fait considérable. Or ce n'est pas le cas ; nous n'avons que des études très limitées dont les résultats sur le plan économique sont d'ailleurs très variables selon le climat, le sol, l'ensoleillement, etc. Certains semenciers sont les premiers à reconnaître que l'on arrive à des résultats différents selon les conditions de culture. Il semblerait que les résultats les plus incontestablement favorables portent sur le coton, mais la France n'est pas productrice de coton. Sur les cultures les plus susceptibles d'intéresser les agriculteurs français, il n'y a pas, à ce jour, de résultats suffisamment fiables pour couper court à toute discussion dans un sens ou un autre. Par exemple, lorsque l'on a des études, on peut se demander par rapport à quoi sont calculées les économies dont on dit qu'elles auraient été réalisées, tout dépend de la norme. Lorsque l'on annonce une économie de x % de pesticides ou un gain de y % sur la productivité globale, tout dépend de la pratique culturale qui sert de référence ou du niveau de productivité précédemment atteint. Or il y a très peu d'indications sur le mode de culture de référence et par exemple sur le bien fondé du niveau antérieur d'utilisation de pesticides. De la même manière, certaines études ne sont pas claires. On voit bien l'économie de pesticides sur une année donnée, mais, comme le risque d'invasion par un insecte donné ne se produit pas tous les ans et pas avec la même périodicité selon les pays, le résultat sera très différent selon que la base de référence est l'économie sur une année ou l'économie sur l'ensemble de la période séparant deux attaques par cet insecte. Je pense que, sur les aspects économiques, il y a une vraie matière à étudier. En outre, personne n'est aujourd'hui réellement chargé de surveiller la méthodologie afin de pouvoir garantir la qualité de ces études. C'est à mon avis une lacune fondamentale parce que le consommateur qui, pour l'essentiel, est profondément rationnel, cherche son intérêt, notamment son intérêt économique et son intérêt de santé, et si l'on veut pouvoir montrer l'utilité des organismes génétiquement modifiés, il faut avoir de bonnes études, fiables et incontestables et les diffuser. Tensions et inconnues sont sources de malentendus entre les acteurs dans un débat qui bien souvent n'est pas clair et qui, en conséquence, ouvre la voie à l'irrationnel. Il faut donc essayer de rationaliser le débat, de l'objectiviser.

4) Le constat des lacunes et du retard dans la décision et dans l'organisation. Je mesure que je m'adresse à une mission du Sénat, mais justement je pense qu'il y a là un point très important. Je pense en effet qu'une partie de l'exaspération qui se manifeste sur le sujet vient de cette impression qu'il n'a pas été suffisamment donné de suites aux débats qui ont pu avoir lieu précédemment, aux conférences du citoyen, aux rapports, aux études et que certains textes en préparation de longue date ne sont pas sortis.

5) Nous sommes là dans une espèce de cercle infernal où, comme la tension est forte, les décisions ne se prennent pas, et, comme les décisions ne se prennent pas, l'exaspération grandit. Et finalement certains ayant l'impression qu'ils n'obtiennent pas satisfaction par la voie démocratique en viennent à la violence. Les violences sont inacceptables, et le rapport auquel j'ai contribué en mars le dit très clairement. En revanche, il faut que les choses soient en ordre pour que l'on puisse montrer à chacun que tout le nécessaire a été fait. Prenons par exemple le cas de la biovigilance. La loi a créé un comité de biovigilance, mais quatre ans après le vote de la loi, il n'y a toujours qu'un comité provisoire ; il y a sans doute de bonnes raisons pour expliquer pourquoi, en quatre ans, il n'a pas été possible de mettre en place un comité, mais, vu de l'extérieur de l'appareil d'Etat, la compréhension n'est pas la même. L'étiquetage et la traçabilité sont des sujets importants dont on a beaucoup parlé aux consommateurs et ceux-ci croient à leur importance. Or le texte sur la traçabilité n'est toujours pas paru et une grande confusion règne sur l'étiquetage. Par ailleurs, en analysant plus profondément les mécanismes concrètement mis en place, on est frappé de constater qu'il manque un grand nombre d'éléments du système. Par exemple, il existe une commission du génie biomoléculaire qui a effectué un travail considérable, mais il n'y a pas vraiment de dossier type d'instruction pour les demandes d'autorisation d'essais en plein champ. Certes, cela a l'avantage que l'on fait du sur-mesure mais un dossier type éviterait le soupçon d'arbitraire. De même, l'absence de possibilité de connaître certains éléments du dossier peut être de nature à nourrir la suspicion. De même, les entreprises qui veulent faire des expérimentations en plein champs ont en principe obligation d'informer le maire au moyen de fiches d'informations établies par les industriels, mais ces fiches n'ont pas été dans tous les cas communiquées aux maires. Parfois les préfets en ont bloqué la transmission pour des raisons d'ordre public. Celles-ci sont compréhensibles, mais il peut paraître choquant que le maire ne soit pas informé du sujet. Donc on voit bien qu'à la fois il y a eu des retards et il y a des éléments qui ne sont pas totalement satisfaisants dans les processus. Voilà les trois types d'éléments d'analyse que je vous propose : tension, inconnues, lacunes. Sur la base de cette analyse, nous avons émis dans le rapport du 6 mars un certain nombre de propositions, centrées sur le problème des essais aux champs. Nous soulignons quatre points généraux et ensuite quelques points plus techniques que je vous citerai cependant car je pense qu'ils peuvent présenter un intérêt pour votre mission.

Les quatre points généraux sont les suivants :

D'abord, l'attente de décision immédiate ; je pense qu'il y a un réel besoin de décision rapide sur ce sujet. Dans le débat public que nous avons organisé, cette attente s'est manifestée de manière générale, tant chez les porteurs d'opinion, que par les experts, les entreprises ou les « profanes »; à leurs yeux, trop de décisions ont été trop longtemps différées.

En second lieu apparaissait nettement dans le débat l'idée que l'on ne peut pas considérer le champ comme un laboratoire. Le discours de certains scientifiques qui consiste à dire qu'ils ont toujours mené, pour toute innovation, les expérimentations dans les champs ne passe pas, pour ce qui concerne les organismes génétiquement modifiés.

Les intervenants ont utilisé la notion « d'espace social » pour exprimer que le champ n'était pas un laboratoire. Dès lors qu'il y a expérimentation en plein champ, la dissémination est inévitable donc le « zéro OGM » n'est plus totalement possible - ce que les semenciers revendiquent. De fait, le public comprend que les champs avoisinants pourront être contaminés et que, en conséquence, le produit des récoltes se retrouvera dans l'alimentation. Donc, du fait de la dissémination, il y a bien irruption dans « l'espace social » ; l'espoir n'est plus un acte purement privé entre le semencier et l'agriculteur qui possède la parcelle ; il a une conséquence sur le reste de la société.

Donc, il faut considérer qu'un certain nombre de tests qui, jusqu'ici, ne sont pratiqués qu'avant la mise en culture à grande échelle à des fins alimentaires, doivent être pratiqués dès avant l'expérimentation en plein champ. Par exemple, il est très difficile d'expliquer qu'on ne fait aucune étude toxicologique avant l'expérimentation en plein champ alors qu'il va y avoir, en raison de la dissémination, passage d'OGM dans l'alimentation. Bien sûr, un arbitrage coût-utilité doit être fait et tous les tests ne peuvent pas être faits dès avant les essais en plein champ.

Il y a aussi la question des allergies. Il est certainement difficile de pratiquer des tests sur le caractère allergène avant l'expérimentation en plein champ, mais on peut quand même se demander si certains tests au moins ne pourraient pas être faits.

De la même manière, il n'y a pas aujourd'hui, avant l'essai au champ, de dépôt préalable de la séquence génétique qui résulte effectivement de la modification. Ce qu'il faut mesurer, c'est que l'industriel connaît la séquence génétique qu'il prend sur une plante pour la transférer, mais en revanche, la technique a toujours aujourd'hui un caractère approximatif, ce qui fait qu'on ne sait pas exactement quel sera le résultat au niveau de la plante dans laquelle cette séquence génétique aura été transférée.

Ceci n'a pas été nié par les semenciers dans le débat public de février. La conséquence, c'est que l'on peut aboutir, à partir de la même séquence génétique, à de nombreux types de séquences génétiquement modifiées dans le laboratoire. La sélection entre ces types de séquences ne sera pas effectuée en laboratoire, on va prendre toutes les semences qui auront été obtenues au laboratoire et les semer dans le champ pour expérimenter. Ensuite, on verra ce qui se passe et ce sont les plantes qui se comporteront le mieux dont on regardera la séquence génétique effective.

Il est peut-être coûteux d'avoir un dépôt de la séquence génétique modifiée dès avant l'expérimentation au champ, c'est ce que disaient les industriels. Aussi avons-nous écrit dans notre rapport que, au minimum, l'expérimentation en plein champ, quand elle est pluriannuelle, devrait avoir parmi ses objectifs que la séquence génétique effectivement modifiée puisse être déposée dans le courant même de l'expérimentation, c'est-à-dire par exemple à l'issue de la première année. Un certain nombre d'éléments de coûts restent à mesurer pour bien vérifier ce qui est réaliste, mais on voit qu'il faut transférer plus en amont au moins un certain nombre de tests. C'est d'ailleurs ce que l'AFSSA a dit dans son avis du mois de janvier 2002.

En troisième lieu, le processus démocratique. Aujourd'hui, il y a plusieurs instances d'examen (CGB, Comité de biovigilance, Commission du génie génétique, Commission des biotechnologies de l'AFSSA) et dans certaines de ces commissions, il y a à la fois des experts et des représentants des citoyens. Ceci ne nous paraît pas satisfaisant ; il y a trop de comités et il faudrait que ce soit la même instance qui examine au stade de ce que fait aujourd'hui la CGB, c'est-à-dire avant l'expérimentation en plein champ, et qui suive le résultat, c'est-à-dire la biovigilance, de telle manière à pouvoir créer un aller-retour dans l'examen entre l'analyse a priori et les résultats effectifs, de manière à pouvoir éclairer les décisions sur les demandes ultérieures d'essais en plein champ.

Il faudrait donc fusionner mais, en revanche, il faudrait qu'il y ait deux instances : une scientifique et technique et une socioéconomique, car il ne faut pas mêler les deux types de fonction. Dans le domaine du médicament, par exemple, les deux types d'instances sont séparées de longue date, et je pense qu'il faut faire de même pour les OGM. Il faut une instance socioéconomique qui puisse étudier les aspects économiques généraux, préconiser une méthodologie, émettre des avis sur l'intérêt économique et social de tel ou tel type d'expérimentation. Cette instance serait composée de différentes parties intéressées et s'appuierait sur de l'expertise socioéconomique comme ce que nous essayons de faire au sein du Conseil national de l'alimentation sur les sujets concernant l'alimentation.

Cette expertise socio-économique serait un élément d'un processus démocratique plus large, visant à associer la société civile, mais également le politique. Les maires doivent au minimum être informés des expérimentations ; les expérimentations et les organismes génétiquement modifiés sont devenus un sujet politique et l'on ne peut pas faire l'économie que les politiques se prononcent dessus. Or aujourd'hui, sur la localisation des expérimentations, aucune instance politique ne se prononce, ni le ministre au plan central ni le maire au plan local. Le ministre se prononce sur l'autorisation de principe, mais ensuite l'industriel choisit librement l'endroit où aura lieu l'expérimentation. Certes, il faut laisser une légitime liberté à l'industriel et à l'agriculteur, mais, in fine , il y a un problème d'ordre public, donc une question politique qui ne peut être négligée.

Il faut donc soit que le ministre se prononce, soit que le maire (comme nous l'avons proposé) soit au minimum consulté. Sans doute ne peut-on pas lui donner un pouvoir de décision, mais il faut qu'il soit au minimum consulté parce qu'il peut y avoir sur sa commune un producteur de produits agrobiologiques ou de semences traditionnelles qui va rencontrer des problèmes s'il y a dissémination d'OGM, et parce qu'il peut y avoir un problème d'ordre public.

Par ailleurs, nous avons préconisé l'organisation d'un débat au Parlement lors de l'examen d'un projet de loi. Une occasion est offerte par la transposition d'une directive communautaire qui doit venir théoriquement devant l'Assemblée à l'automne, et qui pourrait être l'objet d'un examen plus large. Je pense personnellement que, sur ce type de sujet, plus qu'une conférence de citoyens, qui a son avantage mais aussi ses limites, il faut un véritable processus citoyen continu permettant d'associer chacun, en tout cas pendant la phase délicate dans laquelle on se trouve sur ce sujet des OGM.

En quatrième lieu, les questions de responsabilités. Il y a une aspiration générale à ce que, dans la mesure même où il peut y avoir un préjudice pour le producteur d'agrobiologie ou le semencier traditionnel comme pour d'autres, une responsabilité existe et puisse, le cas échéant, être recherchée, la liberté de l'expérimentation devant avoir pour corollaire la responsabilité.

Sur ce point, pendant le débat, un certain nombre de juristes avaient dit que la responsabilité n'était pas possible dans le système juridique actuel. Après examen avec la chancellerie et la consultation de certains magistrats, je pense que les bases juridiques suffisent aujourd'hui si l'on sait les utiliser. En revanche, il y a un problème d'assurance, c'est-à-dire de caractère effectif de cette responsabilité. Certes, François Ewald qui est à la fois auteur d'ouvrages économiques et l'un des responsables de la Fédération française des sociétés d'assurance dit que l'assurance n'est pas possible, mais également qu'il faut garantir la liberté d'expérimentation. Or, je vois mal que l'on puisse admettre la liberté sans la responsabilité et sans l'assurance qui peut seule garantir que la responsabilité jouera effectivement. Peut-être ne faut-il pas poser le principe immédiat d'une obligation d'assurance s'il n'existe pas aujourd'hui de possibilité d'assurance, mais dans la mesure où il y a un préjudice potentiel pour des tiers, il faut pour le moins réfléchir à cette obligation et aux conditions qui permettraient la mise en place d'une assurance.

En ce qui concerne les propositions plus techniques :

- au-delà de ce que j'ai dit sur les commissions, une révision totale des procédures serait nécessaire ; par exemple, des autorisations pluriannuelles d'expérimentations sont données, il nous semblerait légitime qu'il y ait un bilan annuel de ces autorisations pluriannuelles et qu'il remonte à la CGB, ou à la nouvelle commission à créer. Ou encore, il faut organiser la publicité et la transparence des contrôles qui auraient lieu postérieurement à la récolte, par exemple pendant deux ou trois ans pour surveiller ce qui se passe et les conséquences à terme sur les cultures ultérieurement pratiquées sur la parcelle concernée et dans les champs voisins ;

- envisager un regroupement des essais. Il n'était sans doute pas raisonnable d'avoir 251 lieux d'expérimentations comme c'était le cas en 2000, ni même 109 lieux comme il y a eu en 2001. Il est vraisemblable qu'un nombre sensiblement plus réduit d'implantations serait suffisant. Nous n'avons pas fait de proposition précise, parce que les industriels disent qu'il faut faire attention aux questions de secret industriel (si les essais de plusieurs industriels était contigus ou très proches, le secret industriel serait, selon eux, plus difficile à préserver). Mais je pense qu'en l'état actuel, compte tenu des risques de dissémination, compte tenu de ce que par ailleurs les pouvoirs publics veulent faire sur l'agrobiologie par exemple, l'on ne peut pas rester à un nombre aussi important d'essais tant que l'on n'a pas progressé dans la connaissance ;

- enfin, il faut recentrer la recherche publique. Sous l'impulsion des pouvoirs publics, l'INRA notamment a eu le mérite de se rapprocher des producteurs, et c'est très bon pour le soutien de nos producteurs et de nos exportateurs. Mais en même temps on voit bien que, de ce fait, sur la question des OGM, la recherche publique ne s'est pas focalisée sur les problèmes de santé ou d'environnement qui justement sont les points clés de blocage du système vis-à-vis de l'opinion. Bien entendu, il faut que l'INRA aide les agriculteurs et les semenciers à voir les aspects de productivité, mais aujourd'hui, qu'on le veuille ou non, ce qui bloque, c'est la santé et l'environnement. Donc, je pense qu'il faut que les organismes de recherche puissent se centrer d'une manière privilégiée sur ces aspects-là.

M. le Président - Merci, M. le Président. Chers collègues, avez-vous des questions ?

M.  le Rapporteur - Peut-être pourriez-vous préciser davantage le rôle du CNA. A-t-il un rôle de proposition, un rôle de provocation, avez-vous une marge de manoeuvre pour mener vous-même un certain nombre de démarches à l'égard de plusieurs acteurs, tant dans le domaine de la recherche que dans le domaine industriel ?

M. Christian Babusiaux - Le Conseil national de l'alimentation est une instance consultative composée de 47 membres représentant les différentes parties prenantes de l'alimentation, c'est-à-dire neuf organisations de consommateurs, les organisations agricoles, les restaurateurs, les producteurs de l'industrie alimentaire, les coopératives, les distributeurs petits et grands, des experts et des salariés de l'agroalimentaire. Cette instance est placée auprès des trois ministres concernés - Santé, Agriculture et Consommation - par qui elle peut être saisie, mais elle peut également se saisir par elle-même et je pense que c'est une bonne chose que d'avoir des instances qui peuvent se saisir par elles-mêmes de débats qui sont très ressentis par l'opinion.

Le Conseil national de l'alimentation est compétent en matière d'alimentation, mais pas en matière d'environnement, donc il n'entre pas dans notre compétence de traiter l'ensemble des sujets relatifs aux OGM et il n'y a pas de système vraiment équivalent en matière d'environnement. Il y a ce paradoxe justement que, autant en matière d'alimentation, avec l'AFSSA, avec le développement que nous avons essayé de faire du CNA, nous avons des processus qui sont assez bien organisés, et que sur le sujet très sensible des OGM et de l'environnement, il n'y a pas de système aussi organisé.

M. le Rapporteur - Quelles sont vos relations avec d'autres organismes européens ou mondiaux concernés par le même sujet ?

M. Christian Babusiaux - Ces relations s'organisent par l'intermédiaire à la fois des ministères et des membres du CNA eux-mêmes qui appartiennent souvent à des organisations internationales. Par exemple, Gérard Pascal vient au titre de l'INRA au Conseil national de l'alimentation et comme il est président du Comité scientifique directeur de l'alimentation au niveau européen, son apport est très important et il nous éclaire sur les aspects européens. Dans tous ses avis, le CNA prend soin de situer ses analyses dans le contexte international. Il est vrai qu'un sujet comme celui des OGM est par nature international et ce qui me frappe, c'est que les instances françaises concernées n'ont que relativement peu de données, par exemple sur ce qui se passe aux États-Unis, sur les résultats concrets des expérimentations en matière d'OGM. Il y a donc de la connaissance à continuer d'établir.

M. Dominique Braye - Ces industriels qui manifestement font ces essais me semblent relativement libres dans l'exécution de ceux-ci. Cela semble reposer sur un problème économique où il semblerait, d'après votre exposé - mais peut-être ai-je mal compris - que les industriels qui sont en train d'effectuer ces essais, qui font des recherches pour une commercialisation future et pour faire ensuite des profits économiques, soient amenés à faire des économies maximales sur l'ensemble du processus. Vous dites qu'ils ne font pas de dépôt de séquences génétiques sur l'ensemble, ils ne le font qu'une fois qu'ils sont assurés qu'il y a des recherches à faire sur ces séquences génétiques pour peu qu'elles aient une probabilité d'intérêt suffisamment grande pour qu'ils puissent les faire. C'est donc manifestement un souci d'économie, me semble-t-il. Quand je vois que, du point de vue démocratique, ni les ministres ni les élus locaux n'ont à donner leur avis ou ne sont consultés ni même informés, et que seul l'agriculteur est amené à le faire, en ma qualité de président du groupe sénatorial d'étude sur les déchets, j'y vois une vague ressemblance avec ce que l'on voyait autrefois dans l'épandage des boues - personne ne voulaient des boues des industriels, mais ceux-ci s'arrangeaient avec un agriculteur. Je trouve cela manifestement un peu bizarre. Par contre, vous disiez que l'on n'informe pas forcément les élus parce que, compte tenu de la tension qui existe, les industriels ne souhaitent pas avoir les remontées que l'on connaît ; mais il semble d'après ce que vous dites que cela existe depuis toujours, et que la tension se serait instaurée après, à cause de cette opacité, plutôt qu'elle n'en a été à l'origine... Sur ces parcelles de tests, y a-t-il des périmètres de sécurité, non pas pour arrêter totalement le risque de dissémination, mais au moins pour le minimiser ? Et devant tous ces constats que vous avez faits, les industriels qui rencontrent un certain nombre de problèmes pour effectuer les essais comme ils l'entendent ne sont-ils pas conduits à vouloir réaliser ces tests dans des pays moins développés, donc moins regardants quant aux exigences demandées ? C'est un problème qui doit se poser, et peut-être existe-t-il déjà.

M. Christian Babusiaux - Vous avez tout à fait raison. En ce qui concerne la question des économies que vous évoquiez, effectivement, c'est le souci des industriels d'avoir les coûts d'essais les moins importants, c'est évidemment compréhensible de leur part, et ils font remarquer que les coûts des procédures ne sont pas négligeables et que la France est plus exigeante qu'un certain nombre d'autres pays. Et, en effet, si la France n'est pas nécessairement la plus exigeante, si elle ne l'est pas à tous les points du processus, elle l'est dans l'ensemble davantage qu'un certain nombre d'autres pays, même si un pays comme la Chine est en train de préparer une loi pour renforcer sensiblement les procédures. Je pense que là aussi, un langage clair doit pouvoir être tenu. Les industriels expliquent que ces biotechnologies sont l'avenir de l'agriculture, que l'enjeu économique est extrêmement important ; si c'est vrai, cela vaut le coup d'investir pour des essais et de supporter les frais de procédures rigoureuses. En matière pharmaceutique, où il y a aussi des coûts de développement considérables, les procédures sont extrêmement rigoureuses. Sans avoir des procédures aussi sophistiquées que pour le médicament, je pense que l'opinion perçoit le décalage entre d'un côté l'affirmation de l'intérêt économique vital, stratégique, et d'un autre côté l'affirmation que faire des essais toxicologiques coûterait trop cher si on les fait dès le stade de l'expérimentation en plein champ. Donc là, je pense qu'il y a une question de rationalité du discours ; c'est vrai que, si les procédures sont durcies, il y aura moins d'essais parce que certains deviendront moins rentables, mais d'abord la sélection n'est pas nécessairement un mauvais principe, et aujourd'hui, politiquement, l'alternative est : soit des essais vraiment fiables et parfaitement encadrés, soit pas d'essais du tout ou un nombre extrêmement réduit. Si nous voulons que des essais puissent être faits, il faut des procédures irréprochables. Peut-être y en aura-t-il un peu moins, mais de toute façon, on constate une décrue des essais ces dernières années pour des raisons de praticabilité sur le terrain tant en France qu'en Europe. Cela introduit la réponse au troisième point que j'évoquais, c'est-à-dire le fait de savoir si les industriels font faire les expérimentations ailleurs. Ils le disent et, dans une certaine mesure, ils le font, mais l'expérimentation n'a de sens que dans le pays où l'on s'apprête à cultiver. Il ne sert à rien pour un type de maïs ou de coton qui sera développé en Asie du Sud-est, de faire un essai en Afrique ou en France parce que les conditions de sol, d'ensoleillement, de culture sont différentes selon les pays. Donc il faut que les industriels puissent faire des essais en France pour vérifier les résultats pour des cultures en France, et sur un nombre suffisant de sites pour que cela soit représentatif des conditions réelles -à condition, bien sûr, que les conditions que j'évoquais tout à l'heure soient réunies. En revanche, tout ce que l'on dit sur la contribution des organismes génétiquement modifiés à l'alimentation des pays en voie de développement est peut-être vrai, mais ne justifie pas des expérimentations en France.

M. Hilaire Flandre - Au début de votre propos, vous avez indiqué que vous aviez constaté des antagonismes pratiquement irréductibles entre les différentes parties concernées. Le fait de rendre le débat public, et le fait aussi d'essayer, au sein de votre Conseil, de regrouper l'ensemble des parties prenantes peuvent-ils conduire à diminuer ces antagonismes ou, au contraire, cela ne finit-il pas par les exacerber et les rendre tout à fait irréductibles ?

M. Christian Babusiaux - Votre question est très judicieuse. Ce qui m'a frappé en discutant après le débat et lorsque nous avons rédigé le rapport, c'est que l'on pouvait justement aboutir, non pas à un consensus général, mais à un quasi-consensus et je pense que, en l'espèce, l'objectif doit être d'obtenir un quasi-consensus, ceux dont la fonction est tout à fait extrême perdant, de ce fait, leur audience. Nous nous sommes efforcés de tracer un chemin ; nous (les organisateurs du débat) n'avions pas les mêmes opinions au début. Pour ma part, je n'en avais pas vraiment dans la mesure où je n'avais pas été amené dans le passé à prendre position, certains de mes collègues avaient des opinions très arrêtées dans un sens ou dans un autre. Nous avons réussi cependant à faire des propositions consensuelles, donc nous avons offert une plate-forme de décision dont Greenpeace a dit que cela lui paraissait une avancée considérable et dont les semenciers ont considéré que, certes, ce seraient des coûts supplémentaires, mais que peut-être il fallait en passer par là. C'est maintenant au Gouvernement de décider. Simplement, je pense qu'il faut un ensemble de décisions qui montrent une cohérence d'ensemble, clairement perceptible par l'opinion. Sur le principe, une fois les procédures totalement revues et avec la mise en place d'un processus de concertation, il peut y avoir place pour des essais suffisamment suivis et compris. Quant au débat, je pense qu'il est inévitable ; si on ne l'organise pas de manière institutionnelle, le débat se passe dans la rue avec des violences, ce qui n'est jamais souhaitable. Il vaut mieux un débat un peu rude, mais organisé. Simplement, pour qu'il ne fasse pas pire que mieux, il faut que le débat ait des suites, de manière que les gens aient l'impression que, certes, ils n'ont pas tout gagné, mais que des choses ont été résolues, et que donc il y a intérêt à continuer à discuter dans un cadre institutionnel.

M. Dominique Braye - Pour réagir à ce que dit M. Babusiaux et puisque vous rentrez dans le domaine politique, je vous poserai une question politique, peut-être incorrecte, donc à laquelle vous n'êtes pas obligé de répondre. On voit qu'il y a eu une absence de décision très forte à un certain moment : était-ce un manque de volonté d'intervenir de la part des dirigeants ou, au contraire, était-ce tout simplement la conséquence des pressions des semenciers et autres industriels qui trouvaient que la solution les arrangeait ? Ou encore est-ce que c'est les deux, en pensant qu'ils pourraient continuer sans qu'il y ait vraiment de décision claire et précise tant qu'il n'y avait pas de tension, ce qui leur convenait, alors que cela leur est tombé sur la tête brutalement sans avoir eu le temps de réagir ? Nous devons savoir si vraiment il n'y a pas eu de décision ou, au contraire, s'il y a eu décision, si la cause n'était pas une petite intervention de lobbying de la part des industriels qui étaient concernés et intéressés.

M. Christian Babusiaux - Il y a un lobbying, comme sur tout sujet où existe un enjeu économique important. Cependant, je pense qu'une première raison à l'absence de décision, c'est la complexité du sujet. Quand on rentre dans le détail, les procédures d'examen, les questions d'étiquetage, de traçabilité, de seuil de détection, quand on examine s'il existe ou non des effets sur l'environnement et lesquels, ce sont des problèmes techniques et complexes. Et puis la coexistence d'un système européen et d'un système français est compliquée ; par exemple en matière d'expérimentation, c'est la France qui décide, mais en matière de mise en culture à grande échelle, c'est paradoxalement l'Europe qui décide. Il y a des interférences, de même que le fait qu'il y ait à la fois des aspects environnementaux et des aspects alimentaires complique le sujet. Cette complexité est un élément qui contribue à expliquer les retards.

Autre élément, il me semble que les gouvernements successifs n'ont pas été totalement en état de décider, faute qu'existe un dossier véritablement complet et clair. Avant le débat public que nous avons organisé, nous avons tenu à faire établir un état des lieux par le ministère de l'Agriculture avec le concours des autres ministères ; ce document est imparfait compte tenu des délais dans lesquels il a été réalisé, mais c'était la première fois qu'un état des lieux était réalisé sur le sujet. Par exemple, il n'existe pas de tableau décrivant les expérimentations menées depuis l'origine avec les résultats en regard. Je pense qu'il y a un problème d'organisation de la décision publique et que le fait d'avoir quatre commissions et quatre ministères ne favorise pas une prise de décision simple.

M. le Président - Je voudrais noter deux ou trois points qui vont peut-être répondre à l'interrogation de notre collègue Dominique Braye. J'adopterais plutôt le contre-pied de ce qu'il vient de nous dire en considérant, malgré tout, que depuis 1998, il y a un moratoire et, depuis cette date, les semenciers ne peuvent pas faire d'expérimentation sur le territoire national.

M. Christian Babusiaux - Permettez-moi de préciser que le moratoire porte sur les autorisations de cultures à grande échelle, en revanche les expérimentations peuvent s'effectuer avec un encadrement qui est à certains égards contraignant, mais dont le rapport auquel j'ai contribué en mars montre aussi les limites.

M. le Président - Pour avoir discuté avec quelques semenciers en ce qui concerne la publicité sur les sites, ils étaient conscient qu'il valait mieux dans un premier temps « ne pas trop jouer la transparence » sur la localisation des sites, parce que dès qu'elle était publique, la récolte était fauchée avant la maturation. Il y avait une sorte de jeu de chat et de la souris, considérant que pour les uns, le fauchage ou la destruction avant la floraison faisait partie de l'enrichissement démocratique (ce qui a été clairement exprimé par M. Glavany lors d'une des dernières commissions du génie biomoléculaire) et les autres, les semenciers et les gens de la recherche publique au travers du CIRAD, étaient assez peinés de voir que même sur de la recherche publique, même sur des orientations à visée médicale, il y avait un amalgame sur tout ce qui était biotechnologies. Nous étions de toute façon et nous sommes toujours dans un domaine qui manque d'encadrement et de formalisme.

Par ailleurs, il est vrai que les industriels soulignent que, de toute façon, l'autorisation de mise sur le marché, c'est-à-dire les coûts de constitution de dossiers ont été multipliés pratiquement par dix en l'espace de quelques années, aussi sont-ils de plus en plus tentés d'aller faire leurs expérimentations hors du territoire national, ils vont plus aisément en Allemagne (qui aurait le leadership sur le plan européen) et en Angleterre, et qui plus est, bien évidemment, aux États-Unis.

Vous avez parlé également des différentes surfaces qui peuvent être emblavées ici ou là, nous avons entendu avant vous M. Gérard Pascal qui a précisé, en ce qui concernait cette approche, qu'aux États-Unis, 74 % du soja sont transgéniques, 71 % du coton et 32 % du maïs. Le consommateur n'y trouve pas son intérêt, c'est évident, par contre, à mon sens, les agriculteurs et les transformateurs doivent y trouver un certain intérêt quand on voit la progression. De mémoire, on doit être à 51 ou 52 millions d'hectares emblavés par des OGM dans le monde dont simplement 34 hectares en France, mais 34 hectares d'expérimentation.

Le problème de l'assurance est une très importante question, mais en ce qui concerne la notion d'imputabilité, j'imagine mal M. Eval ou M. Kessler vouloir rentrer là-dedans, c'est un énorme souci d'essayer de clarifier les choses. A mon sens, on ne pourra pas beaucoup avancer en France si l'on ne répond pas d'une façon ou d'une autre à ce début de question qui n'est pas facile.

Là aussi pour faire référence aux propos de M. Pascal, il nous a bien expliqué que de toute façon, le Codex alimentarius va rendre « son verdict » en juillet 2003 et qu'il sera le juge de paix au travers de l'Organisation mondiale du commerce, et que l'on est assuré d'avoir un contentieux assez lourd entre l'Europe et les États-Unis. C'est une seconde « guerre » aux hormones, mais avec des implications financières multipliées par un coefficient x parce que, de mémoire, les hormones ne représentaient que 100.000 tonnes.

Vous avez parlé de Greenpeace. Nous avons reçu M. Bruno Rebelle le 28 mars dernier lors d'un colloque au cours duquel il disait refuser les biotechnologies. En termes de recherche de consensus, ce n'est pas facile parce que, sur un plan scientifique, il considère que cela va dans le bon sens et qu'il n'y a pas d'effets néfastes, mais par définition il refuse les biotechnologies qu'il considère comme un type de société. A un moment donné il faudra bien trancher.

Il est évident qu'il faut une loi fondatrice parce que, ne serait-ce que sur un certain nombre de points, un début d'harmonisation va devenir de plus en plus incontournable.

M. Christian Babusiaux - Vous soulevez des points importants.

Sur l'aspect international, d'abord une observation. Le moratoire sur la culture à grande échelle vient d'une position prise par une partie des membres de la Communauté européenne, notamment un bloc de six états dont deux sont en voie virtuellement de changer d'avis. Il est donc très possible que l'on débatte en France de l'expérimentation au champ mais que le débat soit périmé par l'éclatement du noyau des Etats qui avaient souhaité le moratoire des cultures à grande échelle.

Sur l'intérêt des expérimentations, la quasi-totalité des participants au débat public de février a considéré que, si les mesures étaient prises, si les procédures étaient bien faites, il fallait autoriser les expérimentations. C'est un point que j'estime très important.

Vous posez la question de la recherche médicale. Pour avoir interrogé un certain nombre de scientifiques et rencontré des laboratoires pharmaceutiques, je n'ai personnellement jamais entendu un président de grande groupe pharmaceutique dire que les OGM plantes seraient un enjeu fondamental parce que, aujourd'hui, il n'y a pas d'OGM qui présentent à l'heure actuelle un intérêt thérapeutique démontré.

Des organismes génétiquement modifiés de seconde ou de troisième génération apporteront probablement à la recherche médicale, mais les OGM actuels ne présentent pas pour l'instant d'intérêt thérapeutique. Actuellement, certains OGM permettent d'économiser des pesticides, des insecticides ou des engrais et facilitent la culture en faisant des labours moins profonds, ce qui représente un confort et une facilité pour les agriculteurs. Et c'est ce que nous devons expliquer à l'opinion.

Sur un troisième point que vous avez évoqué, Monsieur le Président, je pense qu'effectivement, pour une partie des gens, les OGM sont un problème d'éthique, mais en réalité, c'est une partie extrêmement minoritaire des Français. J'observe que GREENPEACE a bien précisé dans un ............ et donc officiellement que notre rapport représentait une avancée considérable. Et il est apparu dans le débat de février où toutes les organisations étaient représentées, et dans où l'ensemble des sujets d'ordre économique, scientifique, sanitaire, éthique ont été abordés, que le sujet éthique s'il a été soulevé, certes, que seule une petite minorité pense que les OGM posent, par principe, quels qu'ils soient, un problème éthique et c'est bien pourquoi je pense nécessaire de bien sérier les questions pour progresser.

C'est vrai que les OGM se développent, par exemple en Argentine qui est l'un des grands pays utilisateurs. D'un point de vue de l'intérêt économique, il faut vraiment voir ce que disent les études, comment elles ont été faites et ce que l'on peut en conclure raisonnablement en faire réaliser d'autres parce qu'il est vrai que certains organismes génétiquement modifiés peuvent être utiles en termes de productivité, mais on peut également faire des gains de productivité par d'autres moyens. J'ai été très frappé d'entendre des représentants des agriculteurs français dire qu'ils ont également un intérêt à pouvoir revendiquer qu'il n'y a pas d'organismes génétiquement modifiés en France et que cela peut, sur certains marchés, être un élément de valorisation de la production française que d'avoir une production sans OGM. L'ensemble des éléments doit être pris en compte et cela type de culture par type de culture. Je pense qu'il faut essayer de déglobaliser le problème.

M. le Président - M. le Président, nous vous remercions de cette approche, de ces renseignements et des conclusions que vous avez bien voulu nous livrer.

4. Audition de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable

M. le président - Madame la ministre , merci.

Cette mission a été décidée par la commission des affaires économiques et du plan en prévision de la transcription en droit national de la directive 2001-18, et peut-être en prévision d'une éventuelle loi fondatrice sur les biotechnologies, soit dans la foulée, soit dans un second temps.

La commission des affaires économiques et du plan, sous la présidence de Gérard Larcher, qui a voulu imaginer la même approche sur les biotechnologies que sur les évolutions de La Poste, a souhaité envoyer le rapporteur et le président à la rencontre de nos concitoyens, afin de mieux faire comprendre ce que sont les OGM.

Le temps du débat public va se terminer et celui de la décision politique approche. Enormément de choses se sont passées en l'espace de trois semaines. C'est un peu pour cela que l'on voulait vous entendre.

Cette mission compte une quinzaine de membres, de toutes sensibilités politiques. Nous avons souhaité qu'il en soit ainsi, car c'est un sujet sérieux que l'on doit pouvoir aborder de façon très transversale et apolitique.

Mme la ministre - Je vous laisse la responsabilité de vos paroles !

M. le président - Madame la ministre, vous avez la parole.

Mme la ministre - Je voulais vous remercier de me recevoir, car je souhaite apporter la vision et le témoignage de la ministre de l'écologie et du développement durable sur le sujet dont nous traitons aujourd'hui, même si nous co-pilotons ce dossier avec les ministères de la recherche et de l'agriculture, pour des raisons évidentes.

Il est vrai que les avancées de ces vingt-cinq dernières années ont ouvert des perspectives considérables.

Les nombreuses applications potentielles de ces techniques sont liées à l'introduction de caractères nouveaux dans un organisme qui n'aurait pu les posséder autrement. On parle beaucoup du maïs résistant à la pyrale ou des plantes résistant aux herbicides et les émissions de télévision ne manquent pas de rappeler ces deux exemples.

Les plantes transgéniques sont certes sous les feux de l'actualité, mais ne constituent qu'une toute petite partie de l'important potentiel de génie génétique.

La transgénèse peut être appliquée à la modification de micro-organismes pour la production de substances à haute valeur ajoutée, comme l'insuline ou l'hormone de croissance humaine, et la pharmacienne que je suis ne manque jamais de le rappeler.

La transgénèse concerne enfin les animaux. Les animaux transgéniques produisent d'ores et déjà en laboratoire du lait contenant de l'alpha-1 antitrypsine humaine, médicament contre l'emphysème pulmonaire.

On a vanté l'augmentation des rendements, la résistance aux maladies, l'amélioration de la qualité, l'adaptation aux conditions climatiques, la synthèse de nouvelles molécules.

Il est vrai que tout cela peut jouer un rôle stratégique pour l'avenir de l'humanité et constitue à n'en pas douter des enjeux économiques importants pour les nations et les groupes industriels, mais il ne faut pas se cacher la vérité : elle entraîne d'importantes questions éthiques, écologiques, des enjeux de propriétés intellectuelles, qui sont radicalement nouveaux.

Le principe de prudence s'impose face à la multiplicité de ces interrogations.

La question écologique est évidemment au coeur de mes préoccupations. Les biotechnologies posent certains risques environnementaux, notamment des atteintes à la biodiversité et des modifications des écosystèmes.

Certes, les plantes tolérantes à des herbicides ou résistantes à l'action des ravageurs peuvent offrir des avantages, comme celui d'une moindre utilisation de produits phytosanitaires, ou une utilisation de produits chimiques moins agressifs vis-à-vis de l'environnement.

On voit les problèmes que l'on a sur les questions de gestion de l'eau et de qualité de l'eau dans des régions qui, de par le développement de leur agriculture, ont utilisé massivement de tels produits. On est évidemment au coeur de la problématique, mais on ne peut exclure l'existence de risques de croisements avec des espèces sauvages présentes dans le voisinage, ou le transfert de cette tolérance à des adventices, c'est-à-dire des plantes non- désirables.

De même, la résistance aux insectes peut à son tour favoriser le développement d'insectes résistants aux toxines synthétisées par les plantes transgéniques. Les données scientifiques pour répondre avec précision à ces questions manquent encore et donnent lieu à des recherches très actives à l'échelle internationale.

Pour surmonter ces difficultés, deux voies complémentaires existent. La première est de limiter par la réglementation l'usage des OGM à des situations où les risques sont faibles où bien identifiés ; la seconde est d'augmenter l'effort de recherches pour mieux maîtriser les risques.

Ceci relève du bon usage du principe de précaution. Entre immobilisme et irresponsabilité -je le disais il y a un quart d'heure à l'Assemblée nationale- il existe une voie médiane qui exige une évaluation rigoureuse des risques potentiels et un suivi continu des impacts sur l'environnement.

Afin de protéger la santé des consommateurs et l'environnement, tout en créant le marché européen, l'Union européenne s'est dotée, dès 1990, d'un cadre réglementaire définissant les conditions de dissémination volontaire et d'utilisation confinée des OGM, tant en ce qui concerne la recherche que la mise sur le marché.

L'utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés utilisés dans la recherche et l'industrie est régie par une directive 98/-81, qui est transposée dans les décrets d'application de la loi de juillet 1992.

Le système français d'installations classées avec quatre classes de confinement et l'existence de la commission du génie génétique constituent un dispositif qui ne nécessite pas, de mon point de vue, de modifications majeures.

La directive 2001/-18, dont nous parlions à l'instant, autorise les disséminations volontaires d'OGM dans l'environnement et va dans le sens d'une plus grande protection des consommateurs et utilisateurs en mettant en place un encadrement des OGM plus harmonisé, plus rigoureux, plus complet.

Il crée de nouveaux droits, comme la limitation dans le temps des autorisations, la biovigilance ou une meilleure information et participation du public.

L'entrée en vigueur de cette nouvelle directive oblige à envisager sans attendre la question de sa transposition. Je crois qu'elle devrait être déjà transposée. On avait même une date butoir qui était celle du 17 octobre 2002.

M. le président - Elle l'est dans sa partie consensuelle. C'est au-delà.

Avez-vous déjà réfléchi à des améliorations ?

Mme la ministre - Oui, je l'ai dit à l'instant à l'Assemblée nationale. Le ministre qui va porter la transposition de la directive n'est pas déterminé, mais je pense que ce sera le rôle de Claudie Haigneré.

J'ai indiqué pour ma part que je souhaiterais que la transposition de la directive soit l'occasion de mettre en oeuvre un certain nombre de préconisations du comité des quatre sages.

Je pense en particulier à l'information préalable des élus avant les essais au champ.

M. le président - Pour en avoir discuté avec un certain nombre de maires dans quelques départements, ceux-ci ne souhaitent pas -et ce ne serait pas souhaitable- être décisionnaires.

Cela relève du ministre de l'agriculture et de vous-même. Par contre, ils souhaitent être informés relativement en amont, de façon à ce que leurs concitoyens puissent les interpeller utilement et qu'ils ne tombent pas des nues !

Mme la ministre - Tout à fait d'accord.

M. le président - Dans les recommandations des quatre sages, allez-vous jusqu'à imaginer une grande loi ?

Mme la ministre - Je n'y suis pas opposée. Dans l'état actuel, je préférerais que l'on avance sur la transposition des directives, parce qu'il y a là un travail législatif considérable, mais je ne veux pas, le mieux étant l'ennemi du bien, qu'on n'avance pas dans la transposition au motif que l'on attend une cathédrale législative admirable !

Une grande loi, pourquoi pas ? A ce stade de la réflexion, ma religion n'est pas faite, si j'ose dire. Il s'agit bien de peser les effets pervers éventuels.

M. le président - Cette approche est moins une question environnementale mais plus une question à l'adresse de votre collègue Haigneré en ce qui concerne le statut du chercheur, l'encadrement, etc.

Mme la ministre - A dire vrai, j'ai le sentiment qu'il n'y a pas beaucoup de dispositions législatives à attendre de cette grande loi.

Certains dispositions législatives réglementaires pourraient être prises autrement, comme celle que vous venez d'évoquer. D'autres dispositions législatives relèvent clairement de la transposition des dispositions européennes. C'est plutôt le fait de porter sur la place publique un grand débat national, un grand débat citoyen.

Pierre Mazaud serait encore de ces assemblées, il fustigerait le détournement des procédures législatives pour porter un débat sur la place publique.

C'est un peu cela qui me gêne pour l'instant. C'est la substance de ce que l'on mettrait dans ce texte.

Je vous l'ai dit, les modalités précises n'ont pas fait l'objet d'un accord interministériel. Nous avons déjà eu une première réunion. Peut-être sera-ce moi qui porterait cette transposition, mais j'ai déjà beaucoup de textes : la loi sur les risques, la transposition de la directive-cadre sur l'eau, la sécurité nucléaire, la zone de protection en Méditerranée, la convention de l'Antarctique.

Pour moi, la loi du 13 juillet 1992 établit des principes qui demeurent en grande partie valides. Ils sont toutefois insuffisants à couvrir toutes les nouvelles dispositions qui transcrivent les développements des exigences accumulées au cours de ces dix dernières années.

En particulier, les dispositions relatives à l'information du public sont à traiter avec le plus grand soin. C'est l'ensemble des mesures prévues -mise à disposition des avis d'évaluation des risques, registre de localisation des disséminations de germes et recueil de l'avis du public avant la délivrance des autorisations- qui permettra de rétablir la confiance des consommateurs. Il ne peut y avoir d'essais cachés, c'est fondamental.

A cet égard, la façon dont les maires seront informés, associés au processus, appelle des mesures claires et précises. Sont-elles de nature législative ou réglementaire ? C'est à préciser, mais j'ai le sentiment que le principe étant établit à la faveur de la transposition, le reste est sans doute de nature réglementaire.

Parmi les grands principes de la directive 2001/-18 figurent les obligations d'étiquetage et de traçabilité des OGM en droit communautaire. La directive ne fournissait ni la définition de la traçabilité, ni les objectifs qui s'y rattachent, ni les modalités concrètes de sa mise en oeuvre.

Deux règlements vont être soumis au vote en seconde lecture au Parlement européen, après les accords politiques intervenus au conseil agriculture du 27.

M. le président - Dans combien de temps à peu près ?

Mme la ministre - Au cours du premier trimestre 2003.

Ces deux règlements fixent les règles en matière de traçabilité et d'étiquetage. J'ai tenu, dans les négociations européennes, un discours extrêmement ferme concernant l'étiquetage des OGM. Mon collègue Gaymard a d'ailleurs tenu le même. Nous l'avons fait au départ contre la majorité des pays européens et contre M. Lamy, commissaire européen.

Deux règlements ont donc été adoptés, le règlement "nouveaux aliments destiné à l'alimentation humaine et animale" et le règlement "traçabilité et étiquetage", qui instaure un système complet, avec des informations fiables et exhaustive sur la présence des OGM et des seuils de déclenchement des obligations d'étiquetage à 0,9 %.

La bataille a surtout été très forte avec la Commission, qui désirait établir une simple liste de précaution indiquant la possibilité pour tel produit de contenir tel ou tel OGM.

Je me suis opposée à une pseudo information du consommateur. Je souhaite que cette liste soit exhaustive et définisse de façon précise les OGM réellement contenus dans ces produits. En effet, en cas de problème pour la santé humaine ou l'environnement, comment exercera-t-on le suivi de ces produits ?

M. Daniel Raoul - Une remarque sur le mot "précaution", que je trouve un peu galvaudé.

Pour moi, le principe de précaution est un principe d'action que l'on met en oeuvre face à un risque avéré et quantifié. C'est un plan d'action. Que l'on évoque la prudence, la sagesse, etc., d'accord, mais quand on n'a pu démontrer un risque, on est dans la démarche prudentielle. Le principe de précaution s'applique alors en faisant la balance des avantages et des inconvénients. On l'accepte ou on ne l'accepte pas. C'est le principe.

Mme la ministre - Il est vrai que le principe de précaution est très galvaudé. Un groupe de travail, dans le cadre de la charte de l'environnement, réfléchit à la définition du principe de précaution, ce qui est considérable.

Le rapport des quatre sages recommande de donner suite au débat public et aux conférences des citoyens. Il suggère un débat parlementaire, à l'occasion du texte fondateur sur les biotechnologies, qui irait au-delà de la transposition de la directive 2001/-18.

Pour le moment, et compte tenu des délais que nous imposent la Commission européenne pour la transposition de cette directive, il me semble prématuré de lancer un grand projet de loi qui allongerait considérablement les délais.

En marge de la transposition, le fonctionnement de la commission du génie biomoléculaire doit être revu afin d'intégrer deux éléments d'évaluation qui répondent aux attentes et aux exigences des citoyens. Fondre la commission de génie biomoléculaire et la biovigilance me paraîtrait une bonne chose.

M. le président - C'est votre optique ?

Mme la ministre - Oui.

M. le président - Relève-t-elle d'un consensus ?

Mme la ministre - Non, mais j'estime que c'est une piste à étudier. Cela me paraîtrait logique.

M. le président - Avez-vous évoqué cela avec les présidents des deux commissions en question ?

Mme la ministre - Pas du tout. C'est pour cela que cela demande à être débattu.

Il faut intégrer deux éléments d'évaluation : d'une part la prise en compte de l'impact socio-économique des OGM, totalement absent des procédures d'évaluation et, d'autre part, l'insertion de nos évaluations nationales des risques dans le processus d'évaluation communautaire, notamment dans les travaux de l'autorité alimentaire européenne et ceux réalisés dans d'autres Etats membres.

Le génie génétique fait l'objet d'un controverses extrêmement vives, sans doute disproportionnées avec les enjeux et les risques. On peut se demander pourquoi ce mouvement de suspicion s'est développé chez certains consommateurs à l'égard de techniques agricoles, jugées artificielles et polluantes, et d'aliments dont on déplore qu'ils aient parfois perdu leur saveur d'antan.

Il est de notre responsabilité, au-delà du débat sur les OGM, de se poser la question de la gouvernance moderne.

J'en reviens aux trois principes sous lesquels j'ai placé mon action en arrivant à ce ministère : sécurité, transparence et participation.

Le débat sur les OGM est au coeur de cette démarche. Les consommateurs veulent la sécurité et pas seulement celle apportée par la police et la justice. Ils veulent savoir ce qu'il y a dans leur assiette, dans l'air qu'ils respirent, dans les matériaux qu'ils utilisent pour construire.

Ils veulent savoir pourquoi on prend les décisions. Ils veulent une information accessible. Cela pose la question de nos sources d'information, d'un côté de l'expertise scientifique inaudible et, de l'autre, des informations purement journalistiques, souvent faussées, polémiques et inexactes.

Les consommateurs veulent participer aux décisions qui les concernent dans des conférences de consensus, dans des conférences citoyennes, dans des commissions d'information, qui sont encore trop souvent biaisées, instrumentalisées.

C'est, au-delà des OGM, à une démarche de bonne gouvernance moderne que nous invite le débat que vous animez, Monsieur le Président.

M. le président - Merci.

Avez-vous une idée de date concernant la transcription de la directive 2001-18 ?

Mme la ministre - Je pense que cela se fera dans le courant du second semestre.

Une question se pose : devant quelle assemblée doit se produire la première lecture ?

Il y a trois mois, lors de la première réunion interministérielle sous l'égide du Premier ministre fixant la position de la France sur l'attitude à tenir au Conseil européen, j'aurais penché pour l'Assemblée nationale. Le calendrier est tellement chargé à l'Assemblée nationale que je me dis aujourd'hui que la bonne formule est peut-être de présenter le texte d'abord au Sénat !

M. le président - Je vous donnerai un autre argument. Je pense que la mission d'information qui a été décidée par la commission des affaires économiques et du plan avait également pour but, au travers d'une approche très transversale politiquement parlant de cette question, de "déminer" le terrain, d'essayer d'obtenir un certain consensus.

On a exactement la même approche Jean-Yves Le Déault et moi-même sur ce sujet. On se voit de temps en temps, mais j'estime que ce sera moins politisé si on l'aborde ici plutôt qu'à l'Assemblée nationale.

On est en train de fouiller la question avec le rapporteur. Je ne dirai pas cela devant mes collègues députés, mais je pense que l'on pourrait davantage élever le débat ici sur une question assez délicate.

De plus, je l'ai dit, la 2001-18 met également, à un certain moment, les élus locaux au centre de la problématique. Nous allons auditionner l'AMF. Les maires de nos différents départements souhaitent être informés très en amont, mais surtout ne pas être intégrés dans une prise de décisions qu'ils savent ne pas être compétents à prendre.

Je pense que ces deux motivations plaident pour que le texte soit présenté en première lecture devant cette assemblée.

Mme la ministre - Je l'ai noté et cela me paraît un argument particulièrement recevable.

M. le président - Merci.

Le second point est une question que l'on va également essayer de déminer, qui n'est pas facile, que l'on a abordée avec l'un des précédents intervenants, Maître Jacquot, avocat et ancien commissaire européen.

Il s'agit de la coexistence entre l'agriculture biologique et l'agriculture conventionnelle.

J'ai commencé un tour de France sur ce sujet et je pense qu'il faut définir la notion de pollution génétique, à partir du moment où l'on risque de ne plus voir la différence entre un OGM et un produit issu de la sélection conventionnelle classique.

Par ailleurs, il convient de définir également le risque entre guillemets "assurable" au niveau du seuil acceptable par les agriculteurs biologiques. Ce sont là autant de sujets que l'on va essayer de déminer au travers du rapport.

C'est un gros problème de coexistence. Il existe aujourd'hui une niche pour l'agriculture biologique à hauteur de 1,4 %. Ce n'est pas beaucoup en termes de surface, mais très important en termes d'image. Il faut les respecter, et si l'on veut les respecter, il faut les encadrer.

Mme la ministre - Je suis tout à fait de votre avis. J'ai d'ailleurs reçu les représentants de l'agriculture biologique et cette préoccupation arrive en tête de leurs interrogations.

La présence d'OGM est absolument proscrite de la définition de l'agriculture biologique. A l'évidence, le pollen des cultures en plein champ ne peut être confiné en l'état actuel.

Avant d'autoriser des cultures d'OGM en plein champ, il faut que les systèmes de gestion -telle que l'isolation spatiale et temporelle, qui peut être utilisée pour minimiser le flux direct de gènes entre les cultures et les populations de semences dormantes sous la surface du sol- soient mis en route, optimisés et vulgarisés.

Bien sûr, les mesures de confinement biologique requièrent des études supplémentaires pour déterminer si la reproduction des plantes peut être contrôlée pour inhiber le flux des gènes via le pollen ou les semences.

Il faut évidemment, pour protéger l'agriculture biologique et les cultures qui en sont issues d'une contamination fortuite, faire des efforts de recherches extrêmement importants afin d'améliorer les connaissances sur la contamination et les moyens d'exercer une véritable limitation du phénomène.

Evidemment, cela entraîne des surcoûts pour l'agriculture biologique, qu'il conviendra d'examiner avec le ministre chargé de l'agriculture. Pour l'instant, je ne suis que le greffier de ce constat et je réalise que je fais là une réponse bien insatisfaisante.

M. le président - Nous les avons reçus et j'ai des contacts, comme chacun d'entre nous dans nos différents départements. Je crois que la résolution de ce problème ne peut que passer par le biais de la redéfinition du cahier des charges de l'agriculture biologique. Accepter 10 % de contamination n'est pas concevable. Les agriculteurs biologiques suisses sont à 3 %, je le répète souvent : on peut essayer de revenir à cela. Il faut de toute façon déterminer un seuil.

Mme la ministre - L'agriculture biologique n'est pas un choix technique d'une niche économique : c'est un choix presque philosophique, religieux. La démarche que vous proposez, qui me paraît frappée au coin du bon sens n'est absolument pas accessible, puisqu'il s'agit d'une sorte de satanisation de l'OGM.

M. le président - Le problème est qu'ils utilisent sur leurs animaux des vaccins qui seront, demain, tous issus du génie génétique. S'ils veulent avoir la même approche, il faudra clarifier là aussi les choses.

En petit comité, on arrive malgré tout à discuter.

Mme la ministre - Pour débloquer la situation, je leur demande s'ils refuseront un médicament issu du génie génétique si, demain, un de leurs enfants est atteint d'une maladie mortelle,. Leur réponse est bien entendu non, mais il faut les prendre un par un.

M. Daniel Raoul - C'est un problème de société. Il y a une crise de foi vis-à-vis des experts scientifiques. Pourquoi les scientifiques ne vont-ils pas sur le terrain démontrer que ce que racontent certains est complètement absurde ? On entend n'importe quoi à propos des OGM. Les académies de médecine et de pharmacie se sont prononcées la semaine dernière. Ne peut-on trouver des porteurs de message plus crédibles en termes de communication que nos grands système -CNRS, INRA, etc. ?

Mme la ministre - Le problème est qu'il y a une véritable crise de confiance envers les détenteurs du savoir, du pouvoir, de l'autorité. La crise que traverse le politique est traversée par tout le système institutionnel, accusé d'être vendu aux marchands du temple.

Une journaliste de RTL, qui m'interrogeait sur les OGM, critiquait le fait qu'Aventis paye pour des programmes de recherches de l'INRA. Je lui ai fait valoir qu'il existait des conventions sur des programmes tout à fait déterminés entre le monde économique et les organismes de recherches publics. Cela s'est toujours fait. Ce n'est pas pour cela que ces organismes de recherches, qui ont une déontologie, disent n'importe quoi -bien au contraire !

M. Daniel Raoul - Il y a un problème de structures de financement de la recherche. Il ne faudrait pas que les producteurs comme Aventis financent directement les organismes de recherche mais que cela passe par une fondation pour la recherche. Je crois qu'il faut un filtre qui sépare les financements des autorités décidant les programmes.

Mme la ministre - Oui, cela pose une question de déontologie, étant donné les enjeux.

M. Daniel Raoul - C'est une recommandation que l'on a faite avec M. Lorrain dans le domaine les ondes, afin que les opérateurs versent une contribution à un fonds pour la recherche. Nous souhaitons qu'il ne s'agisse pas d'un financement direct, sous peine de dire que les organismes de recherches sont vendus aux opérateurs.

Mme la ministre - Il faut sans doute se poser la question de la crise de confiance entre les citoyens et ceux destinés à les instruire ou à les représenter, peut-être également la question des liaisons dangereuses entre l'organisme public chargé de vérifier et d'informer et ceux qui ont des intérêts économiques dans l'affaire.

Il est vrai aussi que certains chercheurs s'expriment à la télévision de manière totalement absconse. Il y a un travail de vulgarisation à faire. Les scientifiques ont rarement été de grands communicateurs.

M. le président - J'ai été très impressionné par les conclusions du rapport du WWF, au travers de ce qu'ils appellent "l'empreinte écologique". Quand on divise la surface du globe, qui n'est plus extensible, par le nombre d'habitants, au fil du temps, on s'aperçoit qu'entre l'Européen, le citoyen nord-américain et les habitants du Tiers-monde, on a des ratios complètement différents.

On sait très bien qu'avec 90 millions d'habitants supplémentaires par an sur cette planète, il y aura un moment où cela va devenir ingérable. Il va donc falloir repenser nos modes de productions végétaux, animaux, et nos modes de consommation. Je ne parle pas de la démographie -c'est un autre problème.

Je crois qu'il y a là un angle "d'attaque" entre guillemets pour bien faire comprendre à nos concitoyens que nos nations, qui sont des nations riches, demain, auront des obligations.

De mémoire, la déforestation détruit 15 millions d'hectares par an et 15 millions d'hectares retournent à l'état de friches ou de déserts. Cela fait 30 millions d'hectares par an qui sont détruits. Les 15 millions d'hectares de forêts sont nécessaires à tout l'écosystème.

Les OGM sont une des solutions s'intégrant dans le progrès scientifiques pour répondre à cette problématique. Nos concitoyens devraient être réceptifs à ces arguments.

Mme la ministre - Je vous rejoins tout à fait. C'est la démarche que nous avons entamée avec la stratégie nationale de développement durable. On peut avoir l'impression de vider la mer à la petite cuiller, parce que ce n'est pas une réunion interministérielle ou un séminaire gouvernemental à Matignon qui vont arrêter le gaspillage des ressources humaines et des ressources naturelles, mais ce n'est pas parce que les choses sont difficiles qu'il ne faut pas les tenter.

C'est à cela que nous a invités Jacques Chirac à Johannesburg, qu'il a repris à travers la stratégie nationale de développement durable.

Je crois que des graines ont été semées, mais ce sont les mêmes personnes qui glapissent des slogans environnementaux qui prennent leur voiture le dimanche pour aller protester contre la chasse, sans se douter que leur pot d'échappement fait beaucoup plus de mal à la biodiversité de la faune que le fusil du chasseur !

M. le président - Il y a dans ce rapport du WWF une articulation qu'il serait intéressant de travailler.

Mme la ministre - Dans notre pays, le WWF a une attitude très constructive, intéressante et intelligente...

M. le président - Plus intelligente que Greenpeace, si vous me le permettez !

Mme la ministre - Exactement ! Je travaille pas mal avec le WWF. J'avais d'ailleurs emmené M. Richard avec moi en Galice pour qu'il voit ces problèmes d'animaux mazoutés.

M. le président - Madame la Ministre, merci de cet entretien.

5. Audition de M. Daniel Bloc, Directeur scientifique et environnement de l'Association générale des producteurs de maïs (AGPM).

M. le président - Merci d'avoir accepté l'invitation que vous a adressée la mission d'information sur les OGM, créée par la Commission des Affaires économiques. Le maïs faisant partie des cultures les plus concernées par la transgenèse, nous serions particulièrement intéressés d'entendre votre analyse.

M. Daniel Bloc - Pour commencer, je voudrais rappeler que la culture du maïs représente 3,2 millions d'hectares, répartis entre 1,8 millions d'hectares en maïs grain et 1,4 millions d'hectares en maïs fourrage. Les premiers essais OGM remontent à 1996 et les premières inscriptions de variétés tolérantes à la pyrale à 1998. Les variétés résistantes à des herbicides sont, quant à elles, toujours en examen.

La pyrale peut provoquer des dégâts importants, pouvant affecter jusqu'à 50 % de la récolte. Aujourd'hui, 400 à 500 000 hectares de maïs sont traités chaque année avec des insecticides liquides, juste avant la floraison du maïs. Il faut compter environ 0,3 à 0,8 l de produit par hectare. Ce sont donc 200 à 250 tonnes d'insecticides qui sont déversées chaque année sur le maïs. Ces insecticides ne sont pas neutres pour l'environnement car ils détruisent l'entomofaune utile -notamment les coccinelles- permettant de contrôler des ravageurs (acariens, pucerons), ce qui contraint parfois à procéder à un deuxième traitement afin d'éviter que ces ravageurs n'endommagent la récolte.

Le comité provisoire de biovigilance a comparé le maïs génétiquement modifié avec le maïs non traité d'une part, et le maïs génétiquement modifié avec le maïs traité d'autre part. Entre le maïs Bt et le maïs non traité, aucune différence n'a été relevée mise à part la destruction de la pyrale par le maïs Bt. Entre le maïs traité et le maïs Bt, le comité a noté le développement sur le maïs traité de pucerons et d'acariens du fait de la destruction de l'entomofaune.

L'utilisation de variétés génétiquement modifiées représente un surcoût pour les semences de 200 à 250 francs par hectare ce qui est substantiellement équivalent au coût du traitement chimique. Le traitement insecticide présente en plus une faiblesse, en ce qu'il ne couvre qu'une partie des dégâts faits par les insectes ; une deuxième attaque éventuelle oblige parfois à effectuer un deuxième traitement . Dans les nouveaux OGM, la protection est assurée jusqu'à la maturité du grain, ce qui représente un acquis important.

M. Jean Bizet - Avez-vous le sentiment qu'il existe une demande d'OGM de la part des producteurs de maïs ?

M. Daniel Bloc - Non. Les producteurs de maïs ne sont pas demandeurs car les coopératives ne le sont pas, les clients de ces dernières -que sont les transformateurs- refusant les OGM dont ne veulent pas les consommateurs.

M. Jean Bizet - Comment peut-on comprendre que les espagnols se soient lancés dans la production du maïs OGM ?

M. Daniel Bloc - Il est vrai que les producteurs espagnols ont pu conclure un accord avec leurs clients de façon à pouvoir cultiver les OGM dans une limite de 20 à 30 000 hectares. Le fort engouement des producteurs espagnols peut s'expliquer par l'existence d'un parasite supplémentaire, la sésamie, qui détruit le pied. Il est à noter qu' il existe également en France une zone à sésamie dans le Sud-ouest. Il est évident que l'intérêt des OGM dépend largement pour les autres régions du taux d'infestation en matière de pyrale.

Je voudrais relever qu'il existe également un traitement biologique par le trichogramme, qui est une mouche parasitant les oeufs de la pyrale. Mais cette méthode s'est heurté à de grandes difficultés de mise au point car elle doit prendre en compte le fait que les vols de pyrale sont étalés sur plusieurs semaines, ce qui implique un produit qui libère plusieurs vagues de trichogrammes. La capacité de traitement par trichogrammes est limitée pour l'instant à 40 ou 50 000 hectares. Un autre inconvénient de ce traitement consiste en l'épandage manuel qu'il nécessite. Ce traitement est donc essentiellement intéressant en production de semences.

Pour les variétés résistant à la pyrale, la commission du génie biomoléculaire a étudié les risques d'apparition de résistance au bout de trois ans. Aucun risque n'a pu être mis en évidence concernant la pyrale, même si je crois que la conclusion a été différente pour le coton. De toute façon, il sera difficile de porter un jugement fiable tant que les cultures ne se feront que sur des petites surfaces.

Il existe aujourd'hui douze variétés de maïs transgénique autorisées. Les établissements de semence qui les fabriquaient ont arrêté la commercialisation en raison du manque de clients et de la forte opposition rencontrée.

M. Jean Bizet - Avez-vous des contacts avec les consommateurs ?

M. Daniel Bloc - Oui. Nous en avons fréquemment, notamment au sein du comité provisoire de biovigilance où les consommateurs sont représentés. Ils connaissent nos arguments mais ne changent pas de position puisqu'ils en font une question de principe. A leurs inquiétudes initiales qui portaient sur l'éventualité d'une transmission du gène de résistance dans le sol ou aux bactéries de l'intestin, nous avons répondu par des études qui n'ont mis au jour aucun risque de ce type. Le comité provisoire de biovigilance doit prochainement publier une présentation des études qui ont été menées jusqu'à ce jour.

M. Jean Bizet - Quelle est l'attitude des organisations professionnelles agricoles ?

M. Daniel Bloc - Elles sont obligées de se conformer au marché mais souhaitent continuer la recherche.

M. Jean Bizet - Qu'en est-il des amidonniers ?

M. Daniel Bloc - Leur attitude est identique.

J'aborderai maintenant le cas des maïs tolérants aux herbicides. Alors que pour le maïs, le coût d'un traitement et celui d'une semence génétiquement modifiée sont à peu près équivalents -environ trois cents francs par hectare-, le soja, le colza ou la betterave génétiquement modifiés ont un intérêt certain puisque leur tolérance aux herbicides diminue la facture du traitement et sa difficulté.

Les produits phytosanitaires appliqués sur le sol sont relativement persistants, entraînant parfois le dépassement des normes admises en la matière. C'est pourquoi, le glyphosate, beaucoup moins persistant, représente un acquis considérable.

Si le coût économique est une chose, il convient de prendre également en compte le coût écologique. Ceci est d'autant plus important dans les zones sensibles où il existe un risque de passage des produits phytosanitaires dans les eaux. En dehors de ces zones, le maïs tolérant au glyphosate apparaît tout de même moins attractif que le maïs résistant à la pyrale et son moindre développement aux Etats-Unis en apporte la preuve.

M. Jean Bizet - Pensez-vous que les recherches avancent et devraient rapidement apporter des améliorations aux OGM ?

M. Daniel Bloc - Je participe aux réunions du programme Génoplante, qui se consacre à des études fondamentales mais également à des actions de recherches plus appliquées. Les cibles de ce programme sont la tolérance du maïs à la sécheresse ou au froid, l'amélioration de la qualité des grains (notamment en matière de transfert d'amidon) et l'amélioration de la digestibilité du maïs fourrage, cultivé sur trois millions d'hectares dans toute l'Europe.

Aujourd'hui, en matière de maïs transgénique, nous participons à un programme en liaison avec l'agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), afin de déterminer si le lait de vache nourrie au maïs transgénique contient des traces d'OGM.

Cette étude devrait aboutir à la fin de l'année 2003 car il est très long de mettre au point des méthodes et de déceler des traces d'OGM. Peu d'études, mis à part en Allemagne, ont d'ailleurs été menées sur le passage des chaînes d'ADN et de la protéine dans le lait et dans la viande d'animaux nourris aux OGM.

Je voudrais aussi évoquer une étude plus appliquée qui porte sur la manière de gérer une culture OGM par rapport à une culture non OGM et sur le dispositif à mettre en place pour assurer la surveillance, la mise en silos, la gestion spatiale des parcelles. Trois parcelles ont été semées pour mettre en oeuvre ce programme qui devrait durer trois ans.

M. Jean Bizet - Pourriez-vous nous fournir le cahier des charges de ce programme de recherche ?

M. Daniel Bloc - Bien sûr.

M. Jean Bizet - Pour revenir sur les produits dérivés d'animaux nourris aux OGM, quelle est votre réaction à l'égard du récent vote du Parlement européen par lequel il a été décidé de ne pas étiqueter ces produits ?

M. Daniel Bloc - Je considère que la protéine des OGM actuels aura été suffisamment testée à ce stade et qu'il n'y a aucun inconvénient à en consommer. Si un risque devait apparaître un jour, il serait sans doute très rare. Si les Allemands ont retrouvé des traces d'ADN de végétaux dans le sang, nulle trace d'ADN de maïs Bt n'a été trouvée.

M. Jean-Marc Pastor - L'association générale des producteurs de maïs s'exprime-t-elle dans les négociations européennes sur les seuils ?

M. Daniel Bloc - Nous participons de manière indirecte aux négociations européennes sur les seuils .

M. Jean Bizet - Pensez-vous qu'il existe un moyen susceptible de débloquer le débat ?

M. Daniel Bloc - Je pense qu'il faut miser sur l'apparition de plantes génétiquement modifiées utilisées à des fins médicinales ou sur la mise au point d'un blé sans gluten allergisant. Mais je dois vous avouer qu'on ne sait pas trop comment résoudre l'opposition des consommateurs.

M. Jean Bizet - Il est regrettable que cette opposition conduise à une fragilisation de l'agriculture européenne.

M. Daniel Bloc - Effectivement, la situation actuelle expose l'Europe à des risques.

M. Jean Bizet - Les Etats-Unis travaillent-ils sur le maïs ?

M. Daniel Bloc - Oui, bien sûr. L'amélioration de la qualité a commencé dans les années 90 et devrait aboutir en 2005-2010 puisqu'il faut compter une quinzaine d'années pour le développement de ce type de projet.

M. Jean Bizet - Vous appartenez au comité provisoire de biovigilance. Avez-vous des remarques à faire sur son fonctionnement ?

M. Daniel Bloc - J'estime que cela fonctionne relativement bien même si le comité n'a pas assez communiqué sur le travail qu'il avait effectué. Un effort de diffusion des travaux est à entreprendre.

M. Jean Bizet - Ce comité entretient-il des interactions avec la commission du génie biomoléculaire ?

M. Daniel Bloc - Il existe effectivement de nombreuses passerelles entre ces deux enceintes qui tiennent parfois des réunions communes et comptent également des membres communs.

6. Audition de Mme Dominique Bodin-Rodier, auteur de « La guerre alimentaire a commencé »

Mme Dominique Bodin-Rodier - Nous vivons un événement qui nous dépasse, mais qui est senti confusément : l'ère de la génétique, ou ce que François JACOB appelait la civilisation du gêne. Il est étonnant de voir que c'est de l'agriculture qu'a jailli la révolution biotechnique. Cette révolution est appelée à surpasser les deux précédentes de la physique et de la chimie. Au plus vite, il nous faut la théoriser pour la rendre intelligible et susciter l'enthousiasme pour le champ des possibilités qu'elle ouvre. Pour cela, il faut provoquer un effort de vulgarisation chez nos chercheurs et d'explication de la part de nos entreprises sans qu'ils se sentent dépossédés de la confidentialité de leurs travaux.

Fulgurante et complexe, cette révolution est déjà globale et totale. Globale sur les cinq continents, totale parce qu'elle touche à l'ensemble des secteurs vitaux et donc stratégiques. C'est de l'agriculture et de l'élevage génétiquement modifiés que naissent aujourd'hui dans le monde les nouveaux aliments, les médicaments, les fibres, les carburants et même l'armement, tout ce que j'appelle la « génoéconomie », une économie du savoir fondée sur l'innovation qui exige de la créativité et de l'audace.

L'Amérique en pionnière a anticipé l'événement avec la richesse de ses cerveaux, l'importance de ses investissements et l'organisation de ses firmes. Ainsi a-t-elle pu accaparer les marchés et les brevets sur le vivant, le nerf de la guerre. Les autres pays ont suivi en acquérant l'expertise : la Chine, l'Inde et même Cuba ou le Kenya qui veulent faire du « saute-mouton », c'est-à-dire, sauter les étapes technologiques. Le Japon est spécialement intéressé par de telles possibilités en raison de la rareté de ses terres et des avantages commerciaux. Aussi le monde n'est plus divisé en Nord-Sud mais en PIB (Pays intelligemment biotechniques) et les autres qui ne savent pas prendre de risques, seul gage de réussite ou n'ont pas de moyens financiers suffisants.

Les OGM sont un apport extraordinaire dont la France n'a pas pris conscience. Si l'administration Bush aide aussi massivement son agriculture, c'est qu'elle sait que ses farmers travaillant en plate-formes technologiques intégrées peuvent produire les nouveaux médicaments, des plastiques biodégradables, des aliments adaptés aux besoins, et qui sait à terme, remplacer les champs pétrolifères des émirs du Koweit par ses biocarburants.

Pourquoi la France a-t-elle mal réagi face à cette révolution alors qu'elle avait les atouts ? Son retard est aujourd'hui d'au moins dix ans alors qu'elle était au départ à la pointe de la technologie pour ses semences et le nombre de ses essais en champs. Sous la pression des antimondialistes, elle s'est enfoncée dans la régression. Une poignée d'extrémistes a accaparé les médias et les débats pour mener une désinformation active et efficace en diabolisant les OGM devant une opinion laissée sans critique, de part la nouveauté et la complexité du sujet et l'atmosphère de crise alimentaire.

A titre d'exemple, il y a un an, j'ai participé au congrès européen des semenciers qui traitait du « développement durable et des biotechnologies » où Greenpeace est venue arrêter la réunion et j'ai été moi-même menacée par deux individus.

Les dégâts sont là, matériels par les saccages dans les serres et les champs d'essais, mais, ce qui est pire, par la démoralisation des scientifiques et des entreprises qui délocalisent leurs centres de recherches aux Etats-Unis avec les plus brillants esprits créatifs. Le premier principe de précaution à prendre est de rattraper notre retard, de nous propulser rapidement dans cette ère nouvelle aux possibilités inimaginables à peine entre-ouverte. La France première puissance agricole d'Europe a une belle carte à jouer. Elle est en Europe et l'Europe est ouverte au monde. Elle ne doit pas se replier sur son pré-carré en suivant les idées de José Bové, qui prône l'idéologie anarchiste selon un mode d'associations libres vivants en économie de subsistance sans exportation, un modèle parfaitement utopique. J'ai été étonnée de la réaction des médias à la sortie de mon livre. Les journalistes intéressés par ces technologies nouvelles font de la bonne vulgarisation comme à l'émission d'Arte, mais il faut prendre son temps et les informer avec un langage simple et lucide.

M. le président -Le retard de la France est-il irrémédiable ?

Mme Dominique Bodin-Rodier - Il est intéressant de voir comment les différents pays européens ont réagi. Le Royaume-Uni était en pointe pour les médicaments, les xénogreffes et le clonage. L'Allemagne qui au départ a eu une position assez semblable à la France avec ses Verts, a en quatre ou cinq ans, rattrapé le Royaume-Uni par une politique astucieuse de « programmes de biorégions » lancé par le gouvernement avec de forts investissements. Il faudrait s'inspirer de cet exemple pour lancer en France une politique de « biorégions » qui donnerait une impulsion en regroupant les acteurs : agriculteurs, semenciers, chercheurs, universités, grandes écoles et entreprises. Nous pourrions avec une politique volontariste les développer à Strasbourg, Toulouse et en région Provence-Alpes-Côte d'Azur... Tout est à construire.

En terme de communication, nous pouvons prendre exemple sur la Suisse qui lors de la votation sur les OGM a demandé à ses brillants cerveaux de faire comme les élus, les marchés et les grands médias pour expliquer ces technologies. Il ne s'agit pas de faire de la propagande mais d'être lucide, d'expliquer l'équilibre à atteindre entre risques et gains et de montrer où l'on va. Ce qui importe, c'est la volonté politique en la matière. Comme disait le stratège Sun-Tzu : « Celui qui n'a pas de but ne peut l'atteindre »

M. le président - Pensez-vous que le principe de précaution résisterait longtemps s'il était invoqué à l'OMC ?

Mme Dominique Bodin-Rodier - La guerre biotechnique a déjà commencé. Elle est engagée entre l'OMC et les ONG pour les OGM. Qu'il y ait une seule super puissance à mener le jeu est une réalité. Elle domine avec pour contre-poids les ONG. L'enjeu est de taille pour les brevets sur le monde vivant, notre espèce incluse. La réaction de la France a été de mettre en avant le principe de précaution qui a eu pour effet de bloquer la recherche scientifique et les entreprises au lieu d'aller de l'avant avec maîtrise. Toute technologie comporte des risques. Les autre pays pratiquent une politique du risque et du gain selon une science et technique à maîtriser au cas par cas. La précaution existe d'elle-même en sociétés évoluées. Si nous invoquions le principe de précaution nous serions immédiatement blackboulés par la Chine, les Etats-Unis, l'Australie ou l'Inde qui y verraient un signe d'incompréhension voire d'arriération. En France aujourd'hui, on ne fait confiance ni à l'homme, ni au progrès, ni à aucune possibilité. Sortons de cette léthargie, il en va de notre indépendance, de notre prospérité et donc de nos emplois.

M. le rapporteur - Il y a deux semaines, j'ai participé à deux réunions locales où il n'y avait que des opposants et pas de scientifiques.

Mme Dominique Bodin-Rodier - Les Scientifiques, les vrais, reconnaissent qu'ils n'ont pas pu s'exprimer dans les débats « citoyens » lancés en régions ou au Conseil économique et social (CES), où on les a tout simplement empêchés de s'exprimer. Devant les associations de consommateurs qui n'ont pas l'expérience scientifique, ils ont été atterrés par le parti-pris des débatteurs et la pauvreté du débat. Des semenciers de province ont reçu des e-mails pour les dissuader de venir. Je pense qu'il faut développer les réunions locales avec les meilleurs scientifiques locaux ainsi qu'avec des économistes et des philosophes de bon niveau car tout le monde se pose les mêmes questions et veut savoir où l'on va. Les agriculteurs anxieux pour leur avenir posent les questions intéressantes car ils sont au coeur des problèmes et attendent des réponses. La France vient de subir un matraquage anti-OGM pendant plusieurs années, tout est à reconstruire dans une atmosphère sereine.

M. le président -Pensez-vous que ces ONG hostiles aux OGM puissent être manipulées par des intérêts économiques, des pays étrangers producteurs d'OGM ?

Mme Dominique Bodin-Rodier - Il est évident que ces mouvements participent à la guerre économique. Les faits sont là : notre seule firme de taille mondiale, Aventis, a été rachetée par la firme allemande Bayer pour sa branche biotechnique. Autre exemple, la France qui avait de l'avance pour la vigne transgénique résistante au court-noué avec son équipe de l'Inra de Colmar dont le chef de projet sortait de Cornell, a été empêchée d'aller jusqu'au bout de sa recherche et aujourd'hui, vous avez des vignes transgéniques en Allemagne, aux Etats-Unis, au Canada... Il s'agissait d'un produit vendeur et hautement symbolique pour la France. Là où l'on était en avance, il y a eu sabotage. Derrière se joue une guerre économique féroce. Mais l'exemple allemand des « biorégions » montre aussi que le retard peut être rattrapé rapidement si une volonté politique existe.

7. Audition de M. Éric Boullet, directeur des relations extérieures de Nestlé France, accompagné de Mme Nicole Monget, conseiller scientifique et réglementaire de l'Assurance Qualité

M. le président - Monsieur le Directeur, Madame, merci d'avoir bien voulu venir devant nous évoquer la problématique des OGM.

Nous souhaiterions savoir quelle est la réflexion d'un grand groupe comme le vôtre en matière de stratégie. Comment vous positionnez-vous ? Quelles sont vos stratégies en matière de prospective et de communication ?

M. Eric Boullet - Merci de nous recevoir.

C'est la seconde fois que nous avons l'honneur d'intervenir dans le cadre des travaux du Sénat.

Tout d'abord, je crois qu'il est bon de mentionner que Nestlé n'est pas producteur d'OGM. Nous sommes une entreprise de transformation de produits agricoles, mais non producteurs.

En revanche, la position de Nestlé, qui est implanté dans la plupart des pays du monde, est liée à une approche assez globale des problèmes d'alimentation et de nutrition, et donc de l'amont, comme la façon et les conditions dans lesquelles les matières premières que nous avons transformées sont produites, sachant que notre préoccupation majeure est d'avoir des ingrédients de qualité, sûrs, pour faire des produits de qualité et sûrs.

En ce qui concerne les produits issus du génie génétique, qui entrent, dans certains pays, dans la composition de nos produits, la préoccupation de Nestlé est d'abord de s'assurer de leur qualité nutritionnelle et de leur innocuité sur le plan de la santé. Quelle que soit l'origine de la matière première, c'est la première préoccupation de Nestlé.

Seconde préoccupation : on ne fabrique pas des produits alimentaires, en Europe occidentale, dont l'agriculture est riche et développée, de la même façon que dans les pays du tiers-monde ou les pays en voie de développement, où les ressources agricoles sont beaucoup plus rares.

Dans ce cadre, il apparaît au groupe Nestlé que le génie génétique est une des possibilités de valorisation des matières premières agricoles et des terres arables qui sont en diminution constante depuis plusieurs années. Le fait d'utiliser moins d'eau, moins de pesticides, de dépenser moins d'argent, d'utiliser moins d'essence pour cultiver ces terres permet à ces pays d'atteindre un niveau de suffisance alimentaire satisfaisant.

Il est certain que les besoins de ces pays sont différents des pays occidentaux. Cela étant, nous fabriquons des produits qui doivent être achetés par un consommateur. C'est lui qui décide en dernier lieu et qui, tous les jours, va voter avec son porte-monnaie. C'est lui qui nous dicte notre conduite. Notre mission est de lui donner des produits de qualité, mais s'il ne veut pas les acheter, cela ne sert à rien.

En ce qui concerne la technique des OGM, à partir du moment où on a des ingrédients sains et bons, on n'a a priori aucune raison de ne pas les utiliser, sauf si le consommateur n'en veut pas et, apparemment, en Europe, il n'en veut pas !

Dans les pays où le consommateur ne veut pas des OGM, nous avons pris l'engagement, au moment où ces produits arriveraient sur le marché, d'informer le consommateur de ce que l'on allait faire et de lui garantir sur l'étiquette l'absence d'OGM dans le produit final.

L'information du consommateur, pour nous, au-delà de toutes les préoccupations technologiques, est notre nouvelle priorité.

Nous avons donc pris, en Europe, des mesures à la fois en modifiant les recettes et en cherchant des approvisionnements différents, en sachant que, dans les pays où le consommateur n'a pas cette réticence, Nestlé ne voit pas pourquoi il n'utiliserait pas d'OGM, car ces produits sont aussi bons que les autres.

Il n'y a pas, contrairement à ce dont certains nous accusent, un double standard qui ferait que l'on vendrait en Asie du Sud-Est les produits avec OGM que l'on n'arriverait pas vendre en Europe. C'est totalement faux ! En Asie du Sud-Est, on utilise des matières locales et nous fabriquons des produits pour la consommation locale, sauf bien sûr quelques matières premières exotiques, comme le café ou le cacao, que l'on ne trouve que dans très peu de pays. Les matières premières, les protéines, base de l'alimentation, on les trouve sur le marché local, et on le vend localement.

Il n'y a donc pas de double standard, mais une position de Nestlé qui s'adapte pays par pays.

M. le président - Avez-vous l'assurance d'avoir une filière sans OGM pour ce qui est du soja en provenance du Brésil ?

M. Eric Boullet - Madame Monget, qui a fait l'audit des productions brésiliennes, va vous répondre. Nous sommes plusieurs industriels et distributeurs à utiliser la même filière.

Mme Nicole Monget - En ce qui concerne le soja, nous avons pris des dispositions pour sécuriser les approvisionnements, notamment pour la lécithine de soja, qui entre dans la composition de très nombreux aliments, fort heureusement à faibles doses.

Nous avons élaboré des cahiers des charges qui précisent à nos fournisseurs nos exigences, en matière de qualité, de sécurité, d'origine et de traçabilité. A la suite de cela, une sélection des importateurs et des fournisseurs locaux a été réalisée. Nous avons également réalisé deux missions d'audit sur place, au Brésil, afin de vérifier quelle était la sécurité en matière de sourcing, pour s'assurer que nous avons affaire à du soja traditionnel.

Nous avons ensuite étudié, dans les entreprises de transformation, les précautions prises pour éviter toute contamination du produit, jusqu'à la livraison chez Nestlé France.

A ce jour, un certain nombre de sources ont été rejetées parce qu'elles ne présentaient pas la sécurité à laquelle on était en droit de s'attendre ; néanmoins, nous avons retenu trois sites de production -certainement, à terme, un peu plus- qui sont à même de répondre entièrement à nos exigences.

Outre ces questions de sécurité, nous avons mis en place un contrôle à réception qui nous permet de nous assurer que, pour le produit qui parvient dans nos usines, les exigences ont bien été respectées. Nous procédons systématiquement à des analyses.

M. le président - Celles-ci sont basées sur l'ADN ?

Mme Nicole Monget - Oui. Au stade de la lécithine de soja, l'analyse de la protéine n'est pas envisageable, puisque le soja a subi de multiples modifications et des traitements thermiques. Seule la recherche de l'ADN peut fonctionner.

M. le président - D'après ce que l'on peut lire dans la presse, la sécurité de la filière brésilienne est de moins en moins assurée, compte tenu des gains de productivité, de la simplification du travail et des flux de pollen.

Que pouvez-vous nous dire là-dessus ?

Mme Nicole Monget - En termes de flux de pollen, la question ne se pose pas pour le soja.

Par contre, il existe en effet des contaminations plus ou moins fortes selon les Etats. On a pu constater que dans l'Etat le plus méridional, le Rio Grande do Sul, on ne peut plus avoir la garantie d'avoir du soja non-génétiquement modifié, parce que les frontières sont assez perméables avec l'Uruguay, le Paraguay et l'Argentine. Les agriculteurs s'échangent les semences. Ce n'est pas le cas lorsqu'on remonte vers le Nord, vers le Parana, le Goias ou le Mato Grosso. Dans le Goias, aucune contamination n'a même jamais pu être observée.

M. le président - Et si, demain, la commercialisation entre agriculteurs se fait, que faites-vous ?

Mme Nicole Monget - Nous sommes confrontés à ce problème, mais nos fournisseurs également. Ils ont en train d'imaginer des solutions au cas où la contamination remonterait de plus en plus vers le Nord.

Cela passe bien évidemment par des contrats d'exclusivité avec les agriculteurs, à condition qu'il y ait une prime pour obtenir du soja traditionnel, ce qui n'est pas le cas actuellement, car le soja transgénique n'étant pas encore autorisé au Brésil, personne n'a normalement le droit d'en cultiver.

La police a d'ailleurs procédé au printemps à des destructions massives de champs contaminés.

M. le président - Quand on discute avec des responsables professionnels de la filière alimentation animale, ceux-ci considèrent que toutes les importations de soja brésilien sont contaminées. Quelle est votre position ?

M. Eric Boullet - Pour les produits qui contiennent de la lécithine de soja, c'est au maximum 1 % de la recette. C'est une dose très faible. On peut donc supporter très facilement le surcoût entraîné par cette filière.

Nestlé France transforme environ un milliard de litres de lait par an et en achète 800 millions en France. La grande majorité des producteurs qui nous fournissent le lait nourrissent leur bétail avec de l'herbe. Ceux qui utilisent des tourteaux de soja n'ont pas de garantie, parce qu'ils achètent des volumes plus importants que nous, mais la recherche d'ADN dans le lait n'a jamais rien démontré. On sait que la vache fait subir aux matières premières qu'elle avale les traitements chimiques que l'on trouve habituellement dans le soja ou le maïs. La vache est une bonne usine chimique !

M. le président - Oui, c'est assez extraordinaire.

M. Eric Boullet - En ce qui concerne le lait ou la viande, il n'y a aucune trace de la matière première.

M. le président - Vous n'utilisez pas de produits carnés ?

M. Eric Boullet - Si, dans les plats cuisinés. On a deux approvisionnements. Pour les plats cuisinés surgelés, c'est un approvisionnement Amérique du Sud. Ce qui nous paraît le plus important, c'est que ce sont des bêtes élevées en plein air, et surtout dans des zones exemptes d'ESB.

Dans les plats cuisinés appertisés, on a des fournisseurs des filières Françaises clairement identifiés, où le risque, pour nous, est d'abord un risque d'ESB. Toute notre traçabilité consiste à garantir que notre approvisionnement est exempt d'ESB.

Il y a, dans nos matières premières, des contaminants dont on sait qu'ils peuvent être dangereux pour la santé humaine, comme la salmonelle, la listéria ou la dioxine. Ce sont ceux-là que l'on recherche en priorité dans nos matières premières.

M. le président - Quelle sera votre position si le Parlement européen confirme le vote de la commission environnement d'abaisser le seuil de détection de présence fortuite d'OGM à 0,5 % ?

M. Eric Boullet - C'est simple. Nestlé a toujours été très légitimiste : on applique.

M. le président - Vos produits fabriqués en Europe ou hors Europe vont donc avoir un coût supérieur aux produits américains.

M. Eric Boullet - Ce n'est pas le coût qui est important, c'est de savoir si c'est pertinent ou non. Le consommateur va-t-il recevoir une information qui va lui permettre de faire un choix ?

Si le vote du Parlement abaisse le seuil, tous les légalistes qui sont dans le champ de l'alimentation -c'est la grande majorité en Europe- vont tous étiqueter.

Dans la mesure où certaines matières premières ne peuvent être détectées au niveau de leur transformation, il y aura des risques de fraude dans les autres pays.

Il y a peu de risques en France, mais certains auront la tentation d'aller ailleurs. Puisqu'on ne peut détecter l'ADN dans certains produits, on va acheter de faux certificats.

Est-ce pertinent ? Est-ce judicieux pour le consommateur d'avoir toute cette information ? Peut-il l'utiliser ?

M. le président - Nestlé ne va pas plus loin que cette interrogation. Vous êtes très légaliste. Vous suivez l'évolution législative et celle de l'opinion publique.

M. Eric Boullet - La lécithine et certains autres ingrédients comme les amidons ne sont pas des matières premières stratégiques. On peut donc toujours trouver une filière garantie. Il y a un surcoût certain, mais qui n'est pas insurmontable au regard de l'ensemble de la recette. On peut le prendre en charge.

En revanche, pour beaucoup d'industriels dont c'est la première des matières premières -tous les produits à base de soja ou de maïs- cela va poser certainement de très gros problèmes.

Nous pouvons doubler le coût de ce qui entre dans moins de 1 % des recettes. Nestlé a les moyens d'envoyer des experts comme Mme Monget en mission pendant trois semaines au Brésil pour rechercher des filières garanties.

Sur les 4.000 entreprises alimentaires françaises, combien ont les moyens de le faire ?

M. le président - D'un autre côté, dans une stratégie de guerre économique, on peut imaginer que certains pays auront intérêt à ce que le Brésil ne reste pas une exception en matière d'OGM.

Avez-vous imaginé une stratégie de remplacement de votre lécithine de soja sur le plan technologique ?

Mme Nicole Monget - Un certain nombre de pistes sont actuellement suivies. Il existe encore d'autres sources traditionnelles, en particulier l'Inde, mais il faut faire très attention parce que l'on va peut-être éliminer le problème des OGM, mais on va retrouver des problèmes d'ordre hygiénique, avec la présence de salmonelle ou d'autres micro?organismes dangereux.

Il faut en effet mettre tous nos moyens de recherches sur l'élimination totale de la lécithine de soja dans nos recettes.

M. le président - Avez-vous des programmes de recherches en la matière ?

Mme Nicole Monget - Pour un certain nombre de catégories de produits, nous n'avons aucune alternative possible, si ce n'est de remplacer la lécithine par d'autres additifs qui ne sont même pas d'origine naturelle. Je ne sais si le consommateur serait ravi !

La lécithine est un additif d'origine « naturelle » entre guillemets, et il est vrai que l'on a beaucoup de mal à la remplacer. Quand on trouve un remplaçant, il est plutôt obtenu par voie de synthèse et ne porte pas des noms très agréables. Exemple cité : polyricinoléate de polyglycérol.

M. le président - J'avais cru comprendre que Nestlé avait anticipé tout cela il y a quelques années en faisant confiance aux OGM. Vous avez donc changé d'orientation, mais uniquement dans les pays non réceptifs.

M. Eric Boullet - C'est cela. Le consommateur nous ayant clairement indiqué qu'il ne voulait pas d'OGM, on a pris des dispositions pour ne plus en mettre.

M. le président - Vous ne communiquez pas dans un sens de vulgarisation. Vous estimez que ce n'est pas votre mission.

M. Eric Boullet - L'Alimentarium, qui est un musée que Nestlé a financé en Suisse sur la recherche alimentaire, a fait une exposition itinérante sur les OGM. Cette exposition est allée à Strasbourg, à Montpellier. Plusieurs ouvrages ont été écrits et ont reçu un très grand succès auprès des étudiants, des lycéens et des professeurs de biologie.

On explique d'abord ce qu'est un OGM, quels sont les avantages des OGM, mais quels sont aussi les risques potentiels. Nous avons fait cela dans la mesure où la vocation de l'Alimentarium est d'informer, mais Nestlé n'est pas producteur, et les avantages à produire des OGM sont des avantages pour l'environnement et pour l'agriculteur.

En dehors des OGM utilisés en santé publique, nous n'avons pas d'avantages à transmettre aux consommateurs, mis à part un avantage de coût et, pour l'instant, le coût n'est pas avantageux.

Notre position est très claire. On s'intéresse à la qualité de la matière première. De la même façon, on ne va pas faire figurer sur nos produits la mention « sans OGM », malgré les demandes de quelques-uns de nos consommateurs car, pour nous, la technologie ne présente pas de problèmes. Un OGM n'a jamais rendu quelqu'un malade. Cela fait quinze ans que l'on consomme des OGM à travers le monde : personne n'a jamais été malade à cause d'un OGM !

En revanche, pour la listéria ou la salmonelle, c'est différent. On n'a pas d'a priori ; on ne peut donc communiquer vers le consommateur contre ou pour les OGM.

M. le président - Avez-vous une cellule, au sein de Nestlé qui, en matière de prospective, imagine ce que sera l'avenir ? Pourra-t-on rester avec des filières séparées en fonction de certains pays ou imaginez-vous que, de toutes façons, il y aura l'agriculture biologique d'un côté, qui est aujourd'hui une niche et qui le restera vraisemblablement, et une agriculture de plus en plus raisonnée de l'autre, qui utilisera toutes les modernités possibles, dont celle-ci ?

M. Eric Boullet - Le centre de recherche fondamentale, à Lausanne, travaille à la fois sur la sécurité des produits et sur les technologies d'avenir. Il est vrai que l'on a étudié l'agriculture biologique qui est une niche pour pays riches.

M. le président - Nous notons que l'agriculture biologique est une niche pour pays riches. Cela me convient très bien. C'est ce que je pense aussi !

M. Eric Boullet - Nous vendons quelques produits issus de l'agriculture biologique parce que les gens souhaitent utiliser cette méthode d'agriculture. Ces produits, chez nous, passent au travers des mêmes filtres de contrôle car l'agriculture biologique, à notre sens, peut présenter certains risques de santé publique. Les produits sont contrôlés chez nous et le consommateur accepte de payer un surcoût très important.

Ce ne peut être qu'une niche, car les méthodes de production sont très limitées, les rendements inférieurs et les pertes importantes, ainsi que les risques de fraude, du reste.

L'agriculture raisonnée est également un domaine dans lequel nos chercheurs ont pas mal travaillé. On suit aussi le génie génétique. Le génie génétique ne va pas résoudre tous les problèmes de la planète. Il y a d'autres possibilités mais, là où c'est possible, pourquoi s'en priver ?

Jusqu'à maintenant, on avait un grand problème de définition de l'agriculture raisonnée. On y mettait beaucoup de choses. Les choses deviennent plus claires.

Je parlais des contrats que l'on a avec nos producteurs laitiers. Ces contrats, dits de démarche préférentielle, que les producteurs signent avec Nestlé, comprennent des recommandations et des obligations, dont tout un pan touche à l'environnement l'exploitation ou à la protection de l'environnement, comme le fait d'éviter de brûler des poteaux en bois de France Télécom ou de la SNCF, dont on sait qu'ils dégagent de la dioxine, de chercher à avoir un environnement propre, des litières propres, de veiller au bien-être des animaux, d'éviter la consommation d'antibiotiques, de contaminants, etc.

Tout cela, pour nous, c'est de l'agriculture raisonnée, c'est-à-dire utiliser ce qu'il faut et pas plus.

Il y a des pays où c'est tout à fait possible. Dans ceux où on en est encore à un stade de production massive, il y a peu de possibilités, en dehors des OGM, pour satisfaire les besoins.

M. le président - Avez-vous une gamme de produits biologiques ?

M. Eric Boullet - En Autriche et en Allemagne, on en a beaucoup dans toutes les gammes. En France, on en trouve uniquement dans les petits pots pour bébés, qui sont aussi 30 % plus cher que les autres.

En Europe, la réglementation sur les aliments pour enfants est la plus stricte au monde. Les ingrédients qui entrent dans la fabrication du petit pot sont absolument sans danger et ont tous les mérites de l'agriculture biologique. Entre un petit pot « normal » et un petit pot biologique, sur le plan de la qualité et de la sécurité, il n'y a aucune différence, mais l'un est 30 % plus cher que l'autre.

M. le président - C'est un problème d'image.

M. Eric Boullet - En effet. Autour d'Epinal et de Vittel, nous avons une société qui passe des contrats avec les agriculteurs pour ne pas qu'ils utilisent de pesticides ou d'insecticides, pour qu'ils consomment le moins d'eau possible, afin d'avoir des produits naturels. On achète ces produits pour les petits pots, mais cela a un coût.

M. le président - De mémoire, vous vous êtes indirectement investis dans la problématique du riz doré.

M. Eric Boullet - Indirectement. On ne travaille pas directement sur les OGM, mais on a participé au financement d'études à l'université de Zurich. Tous les brevets que l'on a qui peuvent être utiles dans ce développement sont donnés aux gouvernements qui en ont besoin.

M. le président - Vous avez donc un institut de recherches à Zurich ?

M. Eric Boullet - A Lausanne, avec une antenne végétale à Tours.

M. le président - Il fait malgré tout de la génomique.

M. Eric Boullet - Oui, mais pour connaître la matière première.

M. le président - Ce n'est pas directement axé sur les biotechnologies  ?

M. Eric Boullet - Non, c'est de la recherche fondamentale pour connaître la matière première.

Comme vous le savez, le café ou le cacao sont deux matières tropicales extrêmement fragiles. Les arbres ne sont productifs qu'au bout de quatre ans. Elevés dans les zones à l'écosystème extrêmement fragile, ils sont souvent dévastés par des maladies. Une maladie peut dévaster toute une plantation, tout un pays, et c'est quatre ans de travail qui sont totalement détruits.

On travaille donc sur ces maladies et leur application sur les plans de café et de cacao, mais on ne produit pas de cacaoyers ou de caféiers transgéniques. Les biotechnologies nous permettent seulement d'avoir une meilleure connaissance des végétaux et du biosystème.

M. le président - Vous êtes tout proches, mais vous ne franchissez pas le pas. Ce n'est pas votre métier.

M. Eric Boullet - En effet.

M. le président - A partir d'un décryptage d'un génome de telle ou de telle céréale, ou de tel ou tel végétal, on imagine des partenariats possibles avec les entreprises qui, elles, fabriquent des constructions génétiques. Est-ce ainsi que s'est résolu le problème du riz doré ? Vous aviez, de mémoire, élaboré la cartographie du riz...

M. Eric Boullet - C'est l'université de Zurich qui l'a établie, avec des financements des grands semenciers.

Ce qui a plutôt intéressé Nestlé dans les études sur le riz, c'est le fait que des populations asiatiques sont allergiques à certaines protéines de riz. Identifier cette protéine, la supprimer, est quelque chose d'intéressant, mais diffuser la cartographie du riz doré et l'utiliser est en effet quelque chose d'important.

M. le président - Vous avez donc offert le décryptage du génome aux pays en développement.

M. Eric Boullet - Cela ne nous appartenait pas, mais on a, comme les autres, poussé à le faire, puisqu'on le fait déjà sur d'autres produits. La base du développement économique est l'autosuffisance alimentaire.

M. le président - L'Alimentarium tourne-t-elle toujours ?

M. Eric Boullet - Elle doit être en ce moment en Allemagne ou en Suisse. Elle tourne et ils sont en train de la modifier. Elle a eu un très grand succès à Montpellier et à Strasbourg.

M. le président - Pourrait-on imaginer la présence de l'Alimentarium au Parlement proprement dit ?

M. Eric Boullet - C'est une exposition assez lourde à monter.

M. le président - Si je pose cette question, c'est que le président Larcher considère qu'un des objectifs de cette mission d'information sur les OGM aura pour but de médiatiser la modernité de l'agriculture française, qui est incontournable, et de la faire accepter par nos concitoyens.

Cela ne va pas être simple. Cela peut peut-être être un moyen, à partir du moment où Nestlé accepterait d'implanter cette exposition dans un environnement assez proche du Parlement -ou au sein du Parlement.

M. Eric Boullet - Ce que je peux faire, c'est vous adresser le livre issu de cette exposition. Il s'appelle « Au fil du gène ». Il date un peu. Il a cinq ans...

M. le président - En cinq ans, cela n'a pas dû tellement vieillir.

M. Eric Boullet - Non. Un des produits d'avenir étudié en Afrique est le manioc. Il faut savoir que 50 % de la production africaine de manioc est détruite par les insectes. Si ces 50 % n'étaient pas détruits, l'Afrique serait autosuffisante.

M. le président - Vous travailliez avec la FAO ?

M. Eric Boullet - On travaille avec la FAO. Nous avons un centre de recherches en Côte d'Ivoire. En France, nous travaillons avec le CIRAD à Montpellier.

M. le président - Toujours sous l'angle d'une perception très fine des risques de maladie, pour pouvoir garantir vos approvisionnements ?

M. Eric Boullet - Sur les plantes et les semences qui ont une valeur stratégique pour Nestlé, car les recherches publiques et privées ont laissé de côté tous ces végétaux.

Travailler sur des semences de blé ou de maïs est intéressant parce qu'on vend la semence et qu'on a là une rentabilité immédiate. Un caféier ou un cacaoyer ne sont éventuellement rentables qu'au bout de cinq ans. C'est très peu intéressant pour la recherche, sauf pour le CIRAD, qui a toujours été orienté sur les plantes tropicales. On travaille donc avec le CIRAD sur les maladies de ces plantes.

Il est certain que si un champ de maïs est détruit par la pyrale en Europe ou même en France, c'est un mauvais rendement pour l'agriculteur, mais cela ne met pas en péril l'alimentation du pays.

M. le président -Passez-vous des conventions avec les entreprises semencières pour leur demander de vous élaborer, en matière de segmentation de marchés, des matières premières plus spécifiques ou habilitées pour tel type de produit fini ?

M. Eric Boullet - A ma connaissance, non. On n'achète pas à Monsanto. On achète la lécithine directement à un transformateur.

M. le président - Est-ce que demain, sur un produit contenant une proportion d'acide gras ou d'acides aminés de telle ou telle nature, vous n'aurez pas des exigences en disant : « On aimerait tel ou tel produit enrichi ou modifié dans telle ou telle proportion » ?

M. Eric Boullet - Les nutriments sont élaborés par notre centre de recherches, et non à partir de la matière première. On n'a pas besoin d'un blé spécifique pour enrichir en vitamines ou en nutriments spécifiques qui aient un impact nutritionnel.

M. le président - Vous croyez aux alicaments ? Vous avez une recherche là-dessus ?

M. Eric Boullet - Non. Il ne faut jamais séparer aliment et plaisir, tout du moins en Europe occidentale. L'alimentation, ce n'est pas un besoin d'énergie, c'est du plaisir.

Le médicament est un produit qui soigne. On peut valoriser sa santé en mettant des plus dans les aliments, mais l'aliment ne peut pas soigner. On peut compléter certains produits en calcium spécifique pour éviter l'ostéoporose, les enrichir en vitamines afin de donner des aliments performants, etc., mais l'aliment de base reste lié au plaisir. On ne se soigne pas avec des aliments : on prend du plaisir.

M. le président - C'est la position de Nestlé ?

M. Eric Boullet - En Europe, oui, mais il y a aussi ce que les Anglo-Saxons appellent « food for fuel ». L'aliment sert d'énergie. Peu importe le contenant et le contenu. Au Japon, on trouve des produits que l'on peut considérer comme des alicaments, mais en Europe occidentale, et surtout en France, non.

M. le président - Effectivement, « food for fuel », cela ne parle pas trop en français !

M. Eric Boullet - On a des produits au Japon. On vient de signer une joint venture avec L'Oréal sur les produits dermatologiques. Ce sera de la « comestofood ». C'est encore différent. Avec des nutriments, on pourra soigner certaines maladies de peau, mais on n'est plus dans l'aliment. Nestlé amène son expertise nutritionnelle sur les nutriments pour mettre dans un médicament.

De la même manière, on a travaillé longtemps sur les effets néfastes du lait sur les caries dentaires et on a trouvé des molécules qu'on a vendues aux fabricants de dentifrice. Ce n'est pas notre métier. Eux ont utilisé ces molécules. Notre base, c'est l'alimentaire.

M. le président - Avez-vous des partenariats avec d'autres entreprises quand vous découvrez un gène d'intérêt, ou brevetez-vous puis vendez-vous ?

M. Eric Boullet - On fait un brevet et on vend ou on fait un partenariat. Cela nous arrive de faire des échanges avec les laboratoires Roche. C'est un laboratoire suisse. Les centres de recherches sont proches. Lorsque notre centre de recherches fondamentales trouve une molécule qui peut être intéressante, on la leur vend, de la même manière que, lorsqu'ils trouvent une molécule qui peut nous intéresser, ils nous la vendent.

Si on s'aperçoit qu'une université, à Shanghai ou au Caire, travaille sur cette molécule, on la lui donne. C'est ce que l'on a fait pour le génome du caféier. On le donne à tous les pays producteurs. On met à disposition du pays la carte génomique des plantes.

M. le président - Avez-vous quelques informations à nous livrer ? Je pense avoir fait le tour des questions...

M. Eric Boullet - J'émettrai quelques regrets concernant la perception du consommateur. Nestlé France a environ 180.000 contacts par an avec les consommateurs. Depuis juin 2001, on a eu 301 contacts à propos des OGM, soit 0,16 %, principalement sur deux types de produits, l'alimentation infantile et les céréales pour petits déjeuners.

Pour en revenir à la perception du consommateur, une étude financée par la Commission européenne qui dit que la sécurité alimentaire est la dernière des préoccupations du consommateur européen, loin derrière l'environnement, et que les OGM ne posent pas non plus de problèmes au niveau européen. En même temps, un organisme comme l'INC, dans une revue, se permet d'être très alarmiste, ce qui a suscité un courrier assez étonné de notre organisation professionnelle, l'ANIA.

L'opprobre est jeté sur ces produits et surtout sur les produits qui pourraient en contenir. L'INC a toujours refusé de communiquer le nom des laboratoires dans lesquels il avait fait faire ses analyses d'ADN, alors qu'on sait qu'il est facile de polluer un laboratoire. L'INC, photos de produits Nestlé très sensibles à l'appui, comme les céréales pour enfant, dit : « Ces produits sont contaminés !». Quand on lit l'article de « 60 millions », on est très loin du seuil. On est même dans les seuils à la limite du détectable.

Que des gens refusent ce mode de culture, c'est leur droit et on le respecte, mais en profiter pour dénigrer un mode de culture que nous pensons être très avantageux pour beaucoup de pays n'est pas une attitude très responsable. C'est utiliser les craintes du consommateur -et Dieu sait si le consommateur a eu tout le loisir d'avoir peur ces dernières années. Ce n'est pas la peine d'en rajouter !

Le danger est de se focaliser sur le risque perçu, qui est un risque médiatique, non scientifique, au détriment du risque réel. Il y a là un véritable danger pour la santé publique.

Sur le plan de la santé du consommateur, il y a donc un grand danger à diaboliser cette technique, qui n'a fait aucune victime, en laissant de côté d'autres risques, qui nous paraissent beaucoup plus dangereux pour la santé.

M. le président - Vous percevez une évolution chez les consommateurs ?

M. Eric Boullet - Entre la discussion et l'acte d'achat, oui.

L'acte d'achat, c'est l'acte qui prévaut. Le consommateur choisit dans le magasin et répond éventuellement de façon différente aux enquêtes.

Si on fait le parallèle, on a vu le consommateur excessivement sensible -avec raison- aux risques d'ESB. Il y est toujours sensible dans ses déclarations, mais on s'aperçoit que, dans ses actes d'achat, il se tourne à nouveau vers des produits beaucoup moins cher et dont on n'est pas certain de l'innocuité.

Il y a un peu une dichotomie, mais c'est notre rôle de mettre en garde et de faire attention.

M. le président - Vous sentez que, de plus en plus, le consommateur va vers les produits les moins chers ?

M. Eric Boullet - Oui. Il y est toujours allé et ce n'est pas prêt de changer.

D'où l'inconvénient : si certains garantissent leurs produits sans OGM avec un faux certificat, il est sûr que leurs produits seront moins chers, mais avec un risque.

M. le président - Avec un seuil aussi bas, on va avoir des dérapages, c'est inévitable.

M. Eric Boullet - Oui.

M. le président - Cela jettera un discrédit supplémentaire sur l'ensemble de la filière et augmentera encore le trouble des consommateurs.

M. Eric Boullet - Tout à fait.

M. le président - D'où l'importance de légiférer assez rapidement, mais entre légiférer et faire percevoir positivement quelque chose, ce n'est pas évident.

Merci beaucoup.

8. Audition de M. Gilles Brücker, Directeur général de l'Institut de veille sanitaire (InVS)

M. le président - Nous vous auditionnons aujourd'hui, Monsieur le Professeur, en tant que Directeur général de l'Institut de veille sanitaire.

Ceci est très important parce qu'il y a là une connotation de sécurité et de santé de nos concitoyens, qui sont très soucieux de ces biotechnologies.

Votre parcours fait que vous avez abordé ces questions-là de façon diverse. Nous serions très intéressés de recueillir vos analyses en matière de biotechnologie et d'OGM, qui sont à mon avis, de toutes façons, déjà dans nos assiettes et, à terme, incontournables compte tenu de l'évolution de la modernité de notre agriculture et de l'agro-alimentaire.

M. Gilles Brücker - Je n'ai pas de message majeur à faire passer sur ce sujet, car je n'ai pas été amené à travailler dessus de façon très précise ou très engagée.

Je suis à la direction de l'IVS depuis très peu de temps, puisque je fête mon deuxième mois de fonctions. J'ai, dans la perspective de votre invitation, fait le point avec les collaborateurs de l'IVS pour savoir si, avant mon arrivée, des actions avaient été menées.

Or, il n'y a eu, à l'IVS, aucun travail ni aucune réflexion menée sur les OGM. Il n'y a donc pas d'information spécifique qui puisse venir de l'IVS, qui aurait constitué une réflexion engagée avant mon arrivée. Nous n'avons pas été saisis sur ce sujet.

Une parenthèse sur le regard que je porte sur l'IVS : j'ai noté qu'on était rentré beaucoup sur les analyses par pathologie et pas véritablement sur des approches par populations exposées à tel ou tel type de risques.

C'est plus un recueil de données qui se déclinent essentiellement par maladie et, dans les perspectives d'avenir, je souhaite que l'IVS puisse s'ouvrir à d'autres entrées sur des approches de populations vulnérables ou exposées.

On verra les perspectives que cela permet d'ouvrir.

En tout cas, OGM et biotechnologie ne constituent pas actuellement un élément de travail de l'IVS.

Je souhaite développer les liens de manière plus structurée avec les autres agences, notamment avec l'AFSSA, de façon à voir comment l'AFSSA, qui mène une réflexion importante sur cette question, doit travailler avec l'IVS sur ces questions. Pour l'instant, ce n'est pas le cas.

Il n'y a pas eu non plus de réflexion spécifique sur ces risques et sur les OGM à l'intérieur du haut comité de santé publique, où l'on a pourtant conduit un rapport sur les questions de nutrition qui a permis de développer l'un des plans santé-nutrition mis en place.

M. le président - Il n'y en a eu aucune ?

M. Gilles Brücker - En tout cas, pas sous mon mandat de vice-président. Je n'ai pas non plus le souvenir que le haut-comité ait conduit une réflexion sur les OGM avant que je n'arrive.

Cela a été abordé au sein d'autres questions générales, mais je ne me souviens pas de conclusions du haut comité sur ce sujet. C'est donc une lacune.

Cette question, je ne l'ai perçue que de façon indirecte, notamment à l'occasion des journées de travail que l'AFSSA a organisées l'année dernière à ce sujet. J'avais été amené à participer à cette réflexion et à voir un certain nombre de documents.

Qu'est-ce que je retire de mon niveau d'information ? Premièrement, malgré l'intérêt que je porte à ces grandes questions, mon information reste très insuffisante. Je suis dans le doute malgré le fait d'avoir lu un certain nombre de documents sur les problèmes que pose l'introduction des OGM dans l'alimentation.

Ils sont déjà dans nos assiettes. On le sait ou on ne le sait pas, et j'ai un peu le sentiment que les règlements qui, actuellement, prévalent ne reposent pas sur des bases scientifiques évidentes à prendre en compte.

J'ai cru comprendre -je le dis avec réserve, car je ne le maîtrise pas bien- que cette autorisation dépend de la quantité parfois très faible d'OGM qu'il peut y avoir dans l'alimentation, qu'en deçà de certains seuils, ces OGM existent déjà et qu'au-delà, ceci pose un certain nombre de problèmes.

Si cette règle est actuellement effective, sur le plan scientifique, il n'est pas évident que ceci ait un sens. Si on est au niveau du gène, l'approche est plus qualitative que quantitative. S'il y a un risque, est-il corrélé avec un effet seuil qui n'est pas démontré ?

L'idée qu'il y ait un seuil à ne pas dépasser me paraît relever pour l'instant de l'application d'un principe de précaution assez compréhensible mais un peu hasardeux, et non d'une véritable mesure d'un risque qui ferait qu'au-delà de tel seuil, il y a des risques démontrés, alors qu'en deçà, il n'y en a pas.

J'ai eu le sentiment que non seulement ces OGM étaient déjà dans nos assiettes mais que, compte tenu de la mondialisation des échanges, il serait difficile de tenir sur une position fermée, ceci allant probablement à l'encontre de nombreux intérêts économiques.

Quant à la question de savoir si, face à ces intérêts, il y a des risques sanitaires en cours, j'ai plutôt le sentiment qu'aucun risque n'a, à ce jour, été démontré dans la consommation de ces produits.

Il me semble légitime que l'on se pose la question mais, à ce jour, aucun risque ne semble avoir été démontré. La difficulté vient du fait -et cela avait été souligné dans les travaux de l'AFSSA- qu'il n'est pas évident que l'on soit en mesure de démontrer un risque immédiat et qu'il n'est pas exclu qu'il y ait des risques à distance.

Ne doit-on pas -et, en ce sens, l'IVS me semble très directement concerné- mettre en place des outils de surveillance qui permettraient de mettre en évidence le cas échéant des risques à moyen ou long terme ?

M. le président - Pour le moment, il n'y a pas d'outils mis en place sur ce sujet au niveau de l'IVS ?

M. Gilles Brücker - Au niveau de l'IVS, il n'y a rien.

M. le président - Rien aujourd'hui, rien dans les tuyaux ?

M. Gilles Brücker - Rien dans les tuyaux, juste des idées dans les neurones.

M. le président - Mais cela va très vite !

M. Gilles Brücker - Cela va très vite. Je vois tout à l'heure Martin Hirsch, précisément parce que je souhaitais que l'on ait une rencontre sur les interfaces entre l'AFSSA et l'IVS.

Ces interfaces existent déjà sur des sujets importants de sécurité sanitaire. Je pense au problème que posent les dioxines libérées dans l'atmosphère par les incinérateurs d'ordures ménagères qui se déposent sur l'alimentation. Il y a un sujet très directement lié à cela : l'alimentation à proximité des incinérateurs est-elle une alimentation à risque ? Ce risque est-il vraiment mesuré ?

C'est tout à fait dans le champ réflexion de l'AFSSA, parce que ce sont les aliments qui sont en cause. Ce qui relève de l'IVS, c'est le fait de savoir si les populations qui consommeraient cette alimentation locale sont plus exposées aux risques que génèrent les dioxines et quels sont les risques.

On voit bien qu'il y a des démarches conjointes indispensables entre l'AFSSA et l'IVS et nous sommes en train de mettre en place des groupes de travail communs sur ce sujet.

M. le président - Ce qui se met donc en place sur les dioxines pourrait se décliner. C'est votre intention en tant que nouveau directeur ?

M. Gilles Brücker - Absolument. Mon intention est de lister les sujets et d'aborder la question des OGM.

Je me souviens de la journée de travail qui avait eu lieu à l'automne dernier, durant laquelle avait été évoquée la nécessité de mettre en place des études sur le long terme ou une surveillance des conséquences éventuelles, attendues ou suspectées, dont découleront probablement les modalités d'une surveillance.

Je pense qu'il serait raisonnable de mettre en place des études. Ce qui est sans doute assez difficile sur le plan méthodologique, c'est de savoir qui consomme quoi. Comment fait-on pour savoir ce que l'on surveille, en fonction des modes d'alimentation ?

L'une des grandes difficultés de ces études sur le plan méthodologique est que nous ne savons pas ce que nous mettons dans nos assiettes. L'extraordinaire diversité de l'alimentation, à la fois dans sa provenance et dans sa dispersion géographique, fait que l'on ne sait pas qui consomme quoi.

L'exemple des dioxines est plus clair dans mon esprit parce qu'on a déjà pas mal avancé : pour les personnes du monde rural qui sont dans un rayon d'un certain nombre de kilomètres autour des incinérateurs, quelle est la part d'une alimentation réellement locale par rapport à celle de la grande distribution ? Les séjours que je fais pour mon compte personnel dans des zones rurales isolées montrent que chacun va aujourd'hui s'approvisionner au supermarché, parce que c'est commode et facile, et qu'on ne sait même pas qui consomme quoi de la production locale. C'est extrêmement difficile.

Il faut donc, si l'on veut construire des échelles de risques, être en mesure de savoir quelles sont les quantités et les types d'aliments ingérés par chacun.

Cela nécessite des enquêtes très spécifiques de consommation, où l'on mesure ce que chacun mange de la production locale ou générale. J'imagine qu'avec les OGM -et a fortiori si nous devions conduire des études relativement sur le long terme, parce que les éventuelles conséquences génétiques ne peuvent se mesurer que sur de longues périodes- on serait confronté à d'assez grandes difficultés méthodologiques.

Il faudrait donc éventuellement dégager des moyens. Tout est à construire. Qu'est-ce que l'on veut chercher, sur quel type de population, avec quelles méthodes et dans quels délais ? Cela fait beaucoup de question complexes.

Il faut en débattre avec les chercheurs de l'AFSSA, avec les épidémiologistes, mais il me semble qu'il serait important de mettre en place des éléments d'une veille. Cela relève aussi du principe de précaution et devra probablement être intégré dans la réflexion ou le débat très important qu'il faut avoir avec nos concitoyens sur ce sujet, parce qu'un des autres points que je voudrais faire émerger au niveau de l'IVS est de savoir comment nous allons conduire un débat public sur les questions de sécurité sanitaire.

Je suis très heureux que la loi sur le droit des malades ait pris en compte cette dimension du débat public et stipule que les agences de sécurité sanitaire -en particulier l'IVS- doivent participer à ce débat public.

Nous sommes confrontés à une communication de crise, toujours difficile dans un contexte de sensibilité qui se prête mal à une réflexion rationnelle. L'exemple le plus évident pour nous a été l'émoi considérable généré par l'histoire de l'école de Vincennes, construite sur un ancien site industriel Kodak, où l'on avait mis en avant des cas de cancer en nombre plus important chez les enfants de cette école. On imagine la réaction des parents.

Comme on n'est jamais en mesure d'apporter des certitudes sur ces sujets, surtout dans des délais courts, les scientifiques, avec l'honnêteté de la pensée qui doit les caractériser, n'avaient pu écarter d'emblée tout lien de causalité avec la fréquentation de l'école .

Les parents avaient immédiatement pris la décision de ne plus mettre leurs enfants dans cette école.

Il est intéressant de voir que, sans aucun élément scientifique rationnel sur les liens de causalité entre cancer et implantation, finalement, la décision a été de fermer l'école, alors qu'il n'y avait aucun argument objectif.

On comprend bien qu'il a donc fallu prendre en compte dans la décision l'émoi des parents.

Je pense que nous ne ferons jamais l'économie de cette communication en situation de crise ; elle est normale de la part d'un institut qui a pour charge d'expertiser des situations de cette nature, mais plus nous conduirons une communication régulière et permanente avec nos concitoyens et avec les représentants des associations, plus nous arriverons, je pense, à maîtriser l'émoi que peut générer la perception d'un risque mal défini et extrêmement flou.

J'avais eu le même type d'expérience en travaillant sur le problème des infections hospitalières, dans lequel j'ai été longtemps impliqué. Je note qu'il y a une quinzaine d'années, c'était un sujet tabou. Quand j'ai commencé à en parler, on m'a dit : « Le mieux, c'est de n'en rien dire ». C'était la logique qui prévalait à l'époque ! « On ne peut pas porter ce débat sur la place publique ».

On avait donc commencé à ouvrir non sans difficulté ni critiques internes des discussions en direction des associations et du public et l'on voit que c'est un sujet qui est aujourd'hui mieux maîtrisé, même si toutes les craintes ne sont pas dissipées, et l'accès au dossier médical renforcé doit permettre d'améliorer la transparence.

On voit combien il va être difficile de conduire un débat sur les OGM avec toutes les incertitudes que je crois beaucoup partagées, mais cela doit être une raison d'ouvrir le débat plutôt que de le fermer.

De ce point de vue, je suis très ouvert à ce que l'IVS participe avec l'AFSSA et d'autres organismes à ce débat public.

Voilà, très rapidement, quelques réflexions, mais mon niveau de connaissance scientifique reste succinct sur le sujet.

M. le président - Vous avez parlé du principe de précaution. On va auditionner dans les semaines qui viennent les professeurs qui ont travaillé sur le rapport demandé par l'ancien Premier ministre. Quelle est votre approche en matière de principe de précaution ?

La décision de fermeture de l'école de Vincennes n'est ni intellectuellement ni socialement satisfaisante, mais je me mets à la place de ceux qui ont pris la décision : il ne devait pas y en avoir d'autres dans l'urgence.

Quand on voit la place réservée au principe de précaution, tant au niveau de l'accord SPS que de l'approche de nos voisins européens -sans parler des Américains- comment, en tant que directeur de l'IVS appréhendez-vous aujourd'hui le principe de précaution ? Est-il est bien établi ? Faudra-t-il le corriger ?

M. Gilles Brücker - C'est une question majeure et difficile.

Je pense qu'il faut éviter que le principe de précaution soit une sorte de parapluie que l'on ouvre à chaque difficulté. On se met à prendre des mesures d'interdiction sans avoir véritablement fait d'étude des risques, sans connaître le niveau d'incertitude ni les alternatives possibles.

S'agissant de l'école de Vincennes, personnellement, je pense qu'il n'y avait aucun danger à maintenir cette école ouverte. C'est mon point de vue. Si cela a permis de ramener la tranquillité dans les familles, cela a été une sage décision.

De ce point de vue, il y a des décisions qui montrent qu'entre l'expertise scientifique et la décision politique, il y a une marge importante qu'il faut savoir respecter.

Il me semble qu'il est important de maintenir une dissociation entre l'expertise et la décision politique. Cet exemple le montre bien.

En revanche, je pense qu'il ne faut pas que nous sous-estimions des risques qui pourraient, par la suite, s'avérer avoir des conséquences importantes.

Il n'apparaissait dangereux à personne de faire manger des farines animales au bétail. Au fond, là aussi, le principe de l'amélioration de la productivité, les gains économiques générés ont fait que l'on a complètement transformé les modalités d'alimentation du bétail, sans pour autant penser que l'on pouvait avoir franchissement des barrières d'espèces par un agent aussi redoutable que le prion et être ensuite confrontés à des questions dont personne n'avait pu anticiper l'ampleur.

Il faut donc rester extrêmement prudent, car il y a des choses que l'on n'a pas su voir à l'époque et quand on les a vues, cela nous a paru évident au moment où la question s'est posée.

Les exemples dans le domaine de la sécurité sanitaire sont abondants. Les collectes de sang dans les prisons, aujourd'hui, paraissent aberrantes ; on n'avait pas, alors, ce regard des conséquences épidémiologiques.

On sait par ailleurs que les seuils peuvent êtres trompeurs ou relatifs. Je pense notamment à la catastrophe de Minamata au Japon et aux seuils très bas de rejets mercuriens dans le milieu extérieur. On pensait les seuils très faibles, mais les phénomènes de reconcentration ont fait que des gens ont finalement consommé des poissons à forte concentration en mercure, malgré la très faible diffusion initiale.

On ne sait donc pas tout voir et l'on doit donc rester empreint de modestie et d'humilité.

La difficulté est ensuite de savoir quelle décision prendre. Empêcher le développement des OGM, c'est peut-être, dans le contexte économique mondial, prendre des retards importants et avoir des effets pervers d'une autre nature.

M. le président - Le principe de base de l'équivalence de substance entre OGM et non-OGM est-il pour vous suffisant ou faudra-t-il aller vers une étude de toxicité de relais, telle que l'avait élaborée autrefois le professeur Truaud ? Quelle est votre approche ?

M. Gilles Brücker - Il s'agit plus d'un sentiment. Dans l'approche génétique, nous ne sommes plus dans les logiques des phénomènes toxiques qui ont des effets seuils et des effets doses qui peuvent être caractérisés par l'expérimentation.

Nous sommes aujourd'hui les uns et les autres tous confrontés à l'inhalation ou à l'ingestion de produits toxiques émanant de nombreuses sources d'émission et qui deviennent dangereux, dès lors que l'on franchit certains seuils.

La génétique est un domaine très différent, parce qu'il n'est pas évident qu'il y ait des effets de seuil. La transformation d'un gène entraîne des phénomènes de réplication qui font que, même en quantité extrêmement faible, le risque potentiel existe, du fait de l'introduction dans le génome d'une particule modifiée.

C'est probablement ce qui génère une des inquiétudes les plus grandes : quels sont les bons outils de mesure vis-à-vis de ce problème ? Cela ne répond pas actuellement de manière évidente -en tout cas pour moi- à la construction des échelles de risques dont on a l'habitude dans le domaine des toxiques et de l'environnement.

Cela ne répond pas non plus de manière évidente à la gestion des risques vis-à-vis des agents pathogènes infectieux.

Ma formation initiale a été dans le domaine des maladies infectieuses parasitaires tropicales, où l'on a un agent infectieux identifié. On a pu développer des logiques de prévention à partir de cet agent, soit du fait des phénomènes vaccinaux permettant une immunité -mais cela ne s'applique pas ici-, soit du fait de l'ensemble des mesures de prévention qui peuvent créer des barrières entre l'agent infectieux qui constitue la source de risque, et la personne exposée.

On a là toutes les mesures que vous connaissez, depuis le préservatif pour lutter contre le Sida, jusqu'à la prophylaxie par la consommation de médicaments.

La prévention des risques se pose de façon très différente en génétique. Les particules génétiquement modifiées sont-elles capables d'induire des modifications dans le génome de l'hôte ? Sur la base des documents que j'ai pu voir, il n'y a pas aujourd'hui de preuves que ce risque existe.

Les études sont-elles assez prolongées ? Les expérimentations animales conduites sont-elles suffisantes ? Les capacités de pénétration de tel ou tel agent peuvent éventuellement relever de la spécificité de certaines espèces animales. Je ne suis pas généticien et c'est un domaine que je connais trop mal pour pouvoir avoir une opinion bien structurée et bien argumentée mais, pour moi, c'est une interrogation.

Faut-il ou non mettre en place une démarche du type principe de précaution ? Je crois qu'il serait déraisonnable que nous ne mettions pas en place des études capables de répondre, sur les long et moyen termes, à la question de l'existence d'un risque. Je ne sais aujourd'hui quelle méthode il faut proposer, mais je suis convaincu que la question reste posée et qu'il faut que nous débattions du type d'étude qu'il conviendrait de mener, avec l'AFSSA pour les questions alimentaires, mais peut-être aussi avec des généticiens pour savoir comment la confrontation à ce type de risque peut être évaluée par des études de surveillance de population.

M. le président - Est-ce qu'en tant que directeur de l'IVS vous avez des rapports et des échanges d'information avec vos homologues des structures similaires, aux Etats-Unis par exemple, où l'antériorité de la consommation d'OGM est plus ancienne ?

M. Gilles Brücker - Sur ce sujet nous n'en avons pas, uniquement parce que ce sujet n'est pas au sein de l'IVS. Je pense qu'il faudrait qu'il y soit.

Sur d'autres sujets, la démarche de confrontation avec les autres instituts similaires, en Europe ou aux Etats-Unis, est une démarche très active et très engagée.

Historiquement, le réseau national de santé publique qui a préfiguré l'IVS était au départ un réseau basé sur les maladies infectieuses. Il y a donc des échanges extrêmement réguliers avec le fameux Center for diseases control, à Atlanta, aux Etats-Unis, qui est le grand centre mondial de référence des maladies infectieuses, mais nous avons aussi des échanges avec les autres instituts européens, qu'il s'agisse des Anglais, des Allemands, des Espagnols. Il y a avec eux une confrontation régulière.

Je me réjouis que dans ces perspectives européennes, il y ait le projet d'un institut européen capable d'orchestrer ce qui se fait au niveau des pays de l'union d'une part, mais aussi au niveau européen, puisque pour l'institut de veille sanitaire, l'Union européenne est un premier champ qu'il faut coordonner.

La veille sanitaire doit évidemment, prendre en compte d'autres phénomènes, y compris les migrations de population venant d'autres pays d'Europe ou d'ailleurs.

Pour donner un exemple, la surveillance du VIH qui est coordonnée par l'IVS porte sur 51 pays européens.

Là aussi, il faudra, me semble-t-il, que l'on ait une vision européenne du problème tel qu'il est posé, connaître la situation de l'utilisation de ces OGM dans les autres pays européens, savoir ce que les instituts comparables au nôtre mettent en place, s'ils mettent en place une surveillance et, dans le cas contraire, pourquoi ils ne le font pas.

Si on mettait en place des outils de surveillance, je pense qu'il faudrait tout de suite réfléchir à des outils communs, ce qui permettrait d'exercer des comparaisons européennes.

Première réflexion sur l'avenir de l'IVS : je vois deux démarches à conduire conjointement, la coordination européenne, qui est un enjeu fondamental, et le développement régional, tant il est vrai que les perspectives européennes renforcent aussi d'une certaine manière l'importance de la concertation régionale sur les questions de santé.

Celle-ci n'est d'ailleurs pas uniquement liée à l'Europe, mais l'on voit bien que la veille sanitaire doit prendre en compte les régions. Nous mettons en place des cellules interrégionales d'épidémiologie. L'un des objectifs dont nous débattons avec la direction générale de la santé est le renforcement de ces équipes.

L'enjeu européen et l'enjeu régional sont les deux axes autour desquels devrait se développer l'organisation de l'IVS.

M. le rapporteur - Il y a deux pistes dans le débat sur les OGM lancé depuis quelques années, une piste éthique, avec tout ce que cela peut comporter, y compris en termes philosophiques, et une piste scientifique, avec le retour sur nous-mêmes.

Dans ce débat, il faut reconnaître que l'on est mal à l'aise parce que l'on a des opposants fermes sur le principe éthique ; or, aujourd'hui, on n'a pas encore tous les arguments à leur opposer par rapport à l'homme.

Qui prend la décision d'enclencher des recherches, des études dans le domaine du retour sur la santé humaine ? Est-ce vous ou le politique ?

M. Gilles Brücker - Je pense qu'il n'y a pas d'exclusive. Il me semble qu'il est de la responsabilité de l'IVS de mettre en place les études qui lui paraîtraient nécessaires, compte tenu du développement d'un certain nombre de sujets.

Je pense que l'on doit toujours avoir une réflexion prospective sur les risques à venir et essayer d'avoir un effort d'anticipation sur les risques potentiels. Je pense que c'est de la responsabilité de l'IVS.

Maintenant que nous sommes sous la tutelle du ministère de la santé, nous répondons aussi à des saisines. Nous sommes donc saisis sur certains sujets.

M. le rapporteur - Pas sur celui-là ?

M. Gilles Brücker - Nous n'avons pas été saisis sur ce sujet à ce jour. Nous avons été saisis sur des sujets comme l'uranium appauvri, qui sont peut-être des sujets à risques théoriquement modestes, mais qui peuvent avoir une certaine importance, qui nécessitent un partenariat avec d'autres structures, comme le service de santé des armées, avec qui nous avons eu une discussion récemment sur ce sujet.

Nous avons été saisis du risque sur l'accroissement des cancers de la thyroïde potentiellement lié à l'effet Tchernobyl.

On a pu voir à cette occasion combien les travaux que l'on pouvait conduire nécessitaient là aussi un débat bien construit car, comme vous le savez, nous avons eu accroissement du taux des cancers de la thyroïde mais, en fait, cet accroissement est très largement réparti sur l'ensemble du territoire, qu'il soit concerné ou non par le nuage de Tchernobyl, avec même peut-être un accroissement plus important dans les zones non concernées.

Le sentiment que l'on a est qu'il n'y a pas eu de corrélation entre ce qui s'est passé au moment du nuage de Tchernobyl et l'accroissement des cancers de la thyroïde. Il est intéressant de voir que si l'on avait fait simplement une étude sur les zones concernées, on aurait dit, avec une assurance scientifique formelle : « Vous voyez que depuis quelques années cela monte » et il aurait été évident pour tout le monde qu'il s'était bien passé quelque chose de grave.

En fait, en ayant pris soin de conduire une étude plus large sur le plan géographique, on voit qu'il n'y a pas de corrélation démontrée à ce jour, mais nous continuons notre surveillance épidémiologique à ce sujet.

Cela montre bien que la réflexion méthodologique est essentielle au départ, si l'on ne veut pas avoir des résultats peu interprétables, ou en tout cas qui donnent place à des interprétations qui pourraient faire conclure à des risques qui, en fait, n'en seraient pas.

Toute cette réflexion préalable est donc importante, et il faudra que l'on voie comment la conduire sur le sujet des OGM.

M. le rapporteur - Si le politique, demain, est prêt à mettre en place une loi sur les OGM et sur leur incidence, quel délai vous faut-il pour apporter des réponses crédibles scientifiques ?

M. Gilles Brücker - Aujourd'hui, je ne sais pas répondre, parce que je ne mesure pas bien, sur le plan méthodologique, quels sont les indicateurs dont on aura besoin.

Va-t-il falloir travailler sur des effets générations, ce qui serait préoccupant ? Une des leçons de santé publique qui m'avait semblé passionnante est l'histoire du Distilbène. Vous vous souvenez que le Distilbène avait été utilisé à petites doses chez des femmes enceintes.

Il a fallu que l'on dépiste chez les filles nées des mères qui avaient reçu du Distilbène pendant leur grossesse la survenue de cancers vaginaux pour établir la corrélation, ce qui est quand même extraordinairement compliqué et a pris du temps.

Quand ces cancers sont survenus chez des jeunes filles ou des adolescentes de 16-17 ans, comment a-t-on réussi à se dire que le facteur de risque était le fait que la mère, 15 à 20 avant, avait reçu du Distilbène pendant sa grossesse ?

M. le président - Est-ce resté un cas d'école ?

M. Gilles Brücker - Oui.

M. le président - L'inventeur du Distilbène avait failli avoir le prix Nobel. Il avait fait une thèse sur ce sujet, avec la problématique des veaux aux hormones, puisque c'était une des hormones artificielles dans l'élevage bovin. Je pense que c'est rarissime.

M. Gilles Brücker - C'est rarissime, mais on voit le délai qu'il a fallu.

Dès lors qu'on est dans la recherche d'une modification génétique, il me semble que l'on sera contraint à des études relativement prolongées, mais je dis sous toute réserve.

C'est un peu la question que je me pose quand je vois qu'aujourd'hui, on fait de la fécondation in vitro avec des spermatides, qui sont des spermatozoïdes immatures. C'est un prodige technologique, une réponse à la stérilité chez les hommes qui ont des spermatides qui n'arrivent pas à maturité, mais est-ce que cela a des conséquences ultérieures sur l'enfant qui naît ? Est-on capable de mesurer cela à la naissance, ou 5 ou 10 ans après ? Sait-on si cet enfant né de spermatides venant du père qui n'arrivait pas à avoir des spermatozoïdes matures fait que ces enfants seront féconds ou stériles ? Sait-on si on crée une génération d'enfants stériles ? C'est impossible de le savoir si l'on ne met pas en place un suivi sur le long terme.

A-t-on mis en place les études pour le mesurer ? Je ne crois pas. Je crois que ces enfants naissent comme n'importe quel enfant né de la fusion d'un spermatozoïde mature avec un ovule. A-t-on péché par imprudence ? Peut-être que dans 20 ans, on aura un débat à ce sujet.

On voit donc bien qu'il y a de temps en temps, sur des questions qui se posent, des risques peut-être sur le long terme. L'idée que ces enfants à naître seraient des enfants stériles contre-indiquerait-il l'usage du spermatide dans le domaine de la fécondation ? Ce sont des questions éthiques difficiles mais, aujourd'hui, on n'a pas complètement la réponse à cette question.

Nous avons besoin d'études sur le long terme. Sur les OGM, je ne sais pas quelles sont les études qu'il faut faire, et mon principe de précaution à moi serait de penser qu'il serait imprudent de ne pas mettre en place d'outils.

M. le président - Qui gèrerait ces outils ? Vous, vous ne gèreriez que l'information.

M. Gilles Brücker - L'IVS a vocation à faire des études épidémiologiques et à surveiller la population. En général, c'est plutôt sur le court terme. Sur un certain nombre d'études, on est passé sur le long ou le moyen terme. Je pense à ces travaux en cours dans le domaine de la nutrition pour mesurer les conséquences de celle-ci sur la santé. Il faudra d'ailleurs que l'on fasse ce que font les Anglo-saxons depuis un certain temps, avec un suivi des types de transformations, notamment biologiques, induites par le mode de nutrition.

C'est long, il faut avoir les moyens de le faire. Ce sont des enquêtes relativement lourdes et coûteuses en termes de ressources humaines mais, si cela s'impose au plan de la santé publique, il faudra le faire.

M. Christian Gaudin - Le politique ne pourra prendre des dispositions qu'après un éclairage apporté par les experts que sont les scientifiques et je suis préoccupé par la forme du processus. Il est certes nouveau, mais un certain nombre de travaux ont dû être menés au niveau mondial ou européen, et cela commence seulement à s'organiser au niveau national.

Il y a aussi des travaux menés sur des choses très différentes, comme le passage du règne végétal au règne animal. Je fais sûrement beaucoup d'erreurs, mais je suis surpris. Où en est-on ? Existe-t-il des modèles ? Où en est-on au niveau de cette recherche ?

Je suis, en tant que politique, préoccupé parce que notre décision ne pourra utilement se prendre qu'après un éclairage sûr. Comment, sur ces sujets aussi importants, s'organise la recherche nationale, européenne et mondiale ? Comment les programmes s'organisent-ils ? Cela me semble urgent par rapport aux décisions que l'on va être amené à prendre !

M. Gilles Brücker - Mon niveau de maîtrise scientifique sur le sujet n'étant pas très bon, je ne peux pas répondre dans le détail.

Ce que je peux dire, c'est que lorsqu'on parle de modifications génétiques, on induit une notion de risque parce qu'on a l'impression que l'on touche à ce qui est essentiel, pour l'espèce humaine notamment.

Les synthèses que j'ai pu voir démontrent que l'on peut, avec des animaux à courte période de vie et à reproduction rapide, étudier les effets des OGM sur des générations.

D'après ce que je sais, on n'a pas mis en évidence de conséquences sur les générations d'animaux nourris avec des OGM.

Le moment délicat, que ce soit dans l'expérimentation médicamenteuse ou dans les autres recherches, est le passage de l'animal à l'homme. Les résultats seront-ils les mêmes chez l'homme ?

On a le droit de le penser, mais je ne peux répondre aujourd'hui à cette question. Ce qui me semble important à prendre en compte dans les perspectives de développement des OGM, c'est qu'à côté des enjeux économiques -que je connais mal là aussi- on a parlé de différents végétaux qui pourraient servir à couvrir certains besoins nutritionnels particulièrement préoccupants.

On peut imaginer que, dès lors qu'on travaille sur l'articulation nutrition-santé, il est concevable que l'on identifie dans les aliments des caractéristiques génétiques générant des problèmes de santé que l'on pourrait supprimer en modifiant génétiquement les aliments.

Prenons un exemple simpliste : on sait que certains aliments déclenchent chez les personnes sensibilisées des phénomènes allergiques importants. Peut-on imaginer que ces phénomènes relèvent d'une substance allergisante que l'on pourrait supprimer de l'aliment ? C'est un sujet émergent. Peut-on penser que la production d'OGM favorisera pour certains aliments la consommation chez les personnes allergiques ? Il pourrait y avoir là une réponse « thérapeutique » entre guillemets à un problème d'allergie alimentaire.

Est-ce que ceci générerait un risque ? En tout cas, nous aurions peut-être une vraie réponse à un problème de santé important.

L'AFSSA a rendu un rapport sur ces allergies alimentaires auquel l'IVS a contribué, qui montre que cela constitue aujourd'hui un vrai sujet de préoccupation, notamment pour beaucoup d'enfants qui déclenchent des phénomènes allergiques sévères, y compris des crises d'asthme majeures pour certains produits. Si ces produits sont d'origine alimentaire, on peut espérer avoir cette réponse.

Je pense que notre réflexion ne peut pas être exclusivement économique, mais qu'elle doit aussi constituer une réponse sanitaire. On renverse donc presque la problématique : ne peut-on dire aussi que les OGM seront des réponses à nos problèmes de santé ? Pourquoi pas ?

C'est pour cela qu'il faut rester attentif et prudent, mais ouvert, et ne pas demeurer dans un conflit violent, idéologique, avec le rejet des OGM, comme on a rejeté les trains à vapeur au motif qu'ils allaient tuer les vaches !

M. le président - Monsieur le Directeur, nous arrivons au terme de notre entretien.

N'hésitez pas à nous communiquer des suggestions ou des informations complémentaires.

M. Gilles Brücker - Je ne manquerais pas de vous contacter. Merci de votre invitation.

9. Audition de M. Gérard Buttin, professeur émérite à l'Institut Pasteur, président de la Société Française de Génétique

M. Gérard Buttin - Je vous remercie de me permettre d'évoquer devant vous et d'échanger des avis sur ces questions importantes. Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais évoquer mon parcours personnel. J'ai été placé sous des auspices particulièrement heureux lors de mes études. J'ai fréquenté, lors de ma thèse, le Professeur Jacques MONOD, prix Nobel, puis en stage post-doctoral, un autre prix Nobel, le Professeur Arthur KORNBERG de l'Université californienne de Stanford. J'ai rencontré à cette époque Paul BERG, l'un des pères des manipulations génétiques qui a été l'un des initiateurs de la Conférence d'ASILOMAR, et j'ai enfin travaillé quelques temps avec un quatrième lauréat Nobel en la personne du Professeur François JACOB.

J'ai eu le privilège d'être au contact avec ces maîtres qui étaient d'une grande honnêteté et qui, pour beaucoup, furent des exemples. Ensuite, je suis parti à l'université pour pratiquer l'enseignement. Depuis ma retraite, j'exerce comme professeur émérite à l'institut Pasteur où je suis en charge de la veille déontologique, c'est-à-dire que je me penche sur les questions touchant aux relations entre les personnels et les bénéfices issus des travaux de la recherche. J'ai, par ailleurs, été élu président de la Société Française de Génétique qui compte 275 membres. Cette société rassemble un grand nombre de généticiens. Parmi les travaux qu'elle a conduits, il y a eu le thème : « Science et société » où les OGM ont été au centre des débats. J'ai fait diffuser une lettre électronique auprès des généticiens en demandant s'ils avaient quelque chose à dire sur ce sujet qui les concernait - c'était au moment où l'on détruisait les cultures d'OGM en plein champ. Assez curieusement, il n'y a eu qu'une réponse défavorable à la poursuite des recherches sur les OGM. J'ai essayé de contacter d'autres cercles, comme l'Association des Professeurs de biologie et géologie , qui marche très bien et qui compte près de 10 000 membres. Mais, là encore, pas de réponse. Malgré mon insistance et celle d'une autre personnalité scientifique, le silence s'est prolongé. Manifestement ma démarche dérangeait.

Je me suis alors retourné vers d'autres secteurs scientifiques plus spécialisés. Etant biologiste moléculaire et membre de l'EMBO- société européenne de biologie moléculaire dont le centre est en Allemagne à Heidelberg et qui est un des pôles d'excellence de recherche, je me suis rendu, en novembre 2000, à un colloque sur le thème « science et société » et dont la structure était construite par les personnes appartenant à tous les secteurs de la biologie appliquée. Mais les travaux remarquables qui s'y sont déroulés n'ont pas eu d'effets, notamment sur les façons de penser. Il n'y a pas eu de « scoop », ce qui n'a pas intéressé les journalistes présents.

J'ai reçu une autre invitation en février 2002 sur les essais aux champs organisé par le Conseil économique et social. Ce colloque était très bien organisé. Il comptait 36 experts, 200 personnalités et 120 étudiants.

J'ai été quelque peu heurté par la manière dont les travaux ont été conduits qui n'était pas, c'est le moins qu'on puisse dire, rationnelle. Il y a eu des affrontements - le rapport le relève honnêtement - et non des discussions. A partir de là, on a guère avancé.

Le premier problème quand on parle des OGM, ce sont essentiellement des OGM agronomiques. Il y a une confusion sur les OGM par une médiatisation sélective sur la nature des produits. On en a fait un épouvantail. L'opinion publique a vécu plusieurs drames : le SIDA, l'affaire de la vache folle, problèmes alimentaires dans lesquels des scientifiques étaient mêlés - à leur corps défendant - ce qui a fait beaucoup de tort aux OGM qui arrivaient sur le marché au même moment.

Ces produits, issus de la grande industrie, sont appréhendés par une partie de l'opinion avec une certaine méfiance vis-à-vis de la science et des chercheurs. Les OGM sont considérés comme dangereux et inutiles. Mails il faut dépasser les seuls OGM agricoles. Que peut-on attendre des OGM : le développement des techniques de découverte.

La confusion concernant les OGM n'est pas seulement scientifique, elle est aussi politique. Le chercheur est un citoyen. En tant que tel, il a des devoirs et aussi des droits. Le citoyen a le devoir de laisser travailler le chercheur. Celui-ci doit conduire ses travaux avec rigueur et communiquer honnêtement ses résultats - y compris sur les risques qui peuvent s'y attacher.

Une notion essentielle doit rester de la compétence et de la responsabilité exclusive des chercheurs : l'évaluation du risque et la transmission de cette notion. Souvent, l'on interroge sur le risque, mais au cas particulier, c'est le risque du risque. Un autre point important dans ce domaine c'est le principe de précaution. C'est une remarquable acquisition. Mais il ne doit pas devenir un principe d'hypernursing.

Si l'on veut essayer d'être neutre dans la présentation des OGM, il faut être extrêmement sérieux sur ce qu'on demande comme manifestation citoyenne. Je suis d'accord avec l'attente du public de savoir ce qu'il mange. Mais lorsqu'on parle de traçabilité et que l'on inscrit sur des produits « garanti sans OGM », on dévalorise, a contrario, les produits dépourvus de cette mention. Lorsqu'on manipule les éléments d'information, il faut être prudent.

M. Jean Bizet, président - Les constructions génétiques actuellement sur le marché sont-elles correctes ? En tant que chercheur, quelle est votre approche, notamment du point de vue de la prospective ?

M. Gérard Buttin - Les travaux menés en France ne sont pas plus dangereux que ceux qui ont été conduits à l'étranger. Les produits transgéniques connaissent des progrès considérables.

M. Jean Bizet, président - Estimez-vous que les critères de sécurité appliqués dans notre pays ou à l'étranger sont suffisant ?

M. Gérard Buttin - Je pense que ce qui est mis en oeuvre en France doit être suffisant sous cette réserve que nul ne peut dire qu'il n'y aura pas un jour un accident, et c'est là tout le problème. Quand on regarde en pratique comment les accidents arrivent, c'est souvent de façon inattendue. La vie biologique est compliquée. A partir de quel moment est-on totalement sûr ?

M. Jean Bizet, président - Pensez-vous que les oppositions actuelles risquent d'entraîner un recul des recherches ?

M. Gérard Buttin - L'évolution pose une question clé. Je perçois que les grandes entreprises soient toutes mobilisées. Dans cette affaire, la biologie n'est pas seule en cause, des disciplines comme la physique connaissent aussi des soubresauts. Il n'est qu'à penser au secteur de l'énergie. En ce qui concerne les OGM, il faut informer et établir des règles. En conclusion, je voudrais exprimer mon regret de voir qu'en France, progressivement on arrive à une situation où l'on se protège de tout et où l'on a peur de tout. Cette tendance nous conduit, si l'on y prend garde, à devenir une société d'assistés.

M. Jean Bizet, président - Merci de votre intervention.

10. Audition de Mme Florence Castel, adjointe au sous-directeur de la réglementation, de la recherche et de la coordination des contrôles à la direction générale de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales du ministère de l'Agriculture et de la Pêche

Mme Florence Castel - Je commencerai d'abord par évoquer la transposition de la directive 2001/18, qui concerne la dissémination volontaire d'OGM dans l'environnement. Cette directive 2001/18/CE a abrogé, depuis le 17 octobre 2002, la 90/220 qui avait été transposée par la loi de 1992, codifiée dans le titre III du livre V du code de l'environnement. Cette directive 2001/18 apporte plusieurs avancées qualitatives notables et notamment : premièrement, un renforcement de l'évaluation scientifique ; deuxièmement, l'introduction de la limitation de la durée de l'autorisation à 10 ans ; troisièmement, des procédures de consultation et d'information du public qui faisaient défaut dans la précédente. Le choix avait été fait dans le cadre de la précédente transposition de ne pas aller au-delà des exigences de l'ancienne directive 90/220.

Concernant la directive 2001/18/CE, la France accuse un retard dans la transposition. Or, la France est déjà en procédure de manquement en transposition sur la directive 90/220. L'argument avancé jusqu'alors par la France a été fondé sur l'inutilité de procéder à la transposition complète de la directive 90/220 (absence de définition du contenu des dossiers de demandes d'autorisation) alors que les dispositions prises sur son fondement seraient de fait abrogées par celles prises dans le cadre de la transposition de la directive 2001/18/CE. L'urgence de cette transposition ne doit toutefois pas obérer le débat qui doit avoir lieu. Je crois que la Commission européenne sera vigilante sur la transposition de la 2001/18/CE d'autant que, de surcroît, la France n'est pas très moteur sur la reprise des essais OGM. En plus, la Commission européenne, vous le savez, envisage la sortie prochaine du moratoire, car la 2001/18/CE est en application du point de vue juridique, même si elle n'est pas transposée dans tous les Etats membres.

Il faut bien voir que la France, aujourd'hui, est en position moins forte qu'elle l'a été en 1999 lorsque le moratoire a été pris à son initiative. Ce changement dans le rapport de force est perceptible dans le cadre des négociations actuelles pour deux règlements qui découlent de la 2001/18. Celui sur la traçabilité de l'étiquetage et celui qu'on appelle « novel food, novel feed » qui concerne les denrées alimentaires et les nouveaux aliments pour animaux. Les positions de certains Etats membres ont tendance à évoluer rendant le maintien des positions très fermes défendues jusqu'alors plus délicat. Pour revenir sur l'historique des deux propositions actuellement en cours d'examen, l'article 4 de la 2001/18 prévoit que les Etats membres peuvent mettre en vigueur des dispositions particulières relatives à l'étiquetage et à la traçabilité. Mais la France s'est toujours prononcée en faveur d'un dispositif harmonisé. C'est la raison pour laquelle, le 25 juillet 2001, la Commission a « mis sur la table » les deux propositions de règlements précédemment citées ; la France a donc salué ces initiatives, mais les considère pour autant encore insuffisantes pour envisager la sortie du « moratoire de fait ». Le règlement traçabilité/étiquetage a fait l'objet d'un examen au Conseil Environnement du 17 octobre 2002 et le règlement « novel food, novel feed » au Conseil Agriculture des 14 et 15 octobre 2002. Il est possible que ces règlements soient adoptés rapidement car la Présidence Danoise a une forte volonté d'aboutir avant la fin 2002. Elle est donc très attachée à l'obtention d'accords politiques avant la fin de l'année 2002 sur chacune de ces propositions.

Il n'y a pas eu d'accord politique en octobre sur les deux règlements en question. En ce qui concerne le règlement sur lequel Monsieur le Ministre chargé de l'agriculture conduit la négociation, un nouvel examen aura lieu lors du Conseil agricole qui se tiendra du 27 au 29 novembre 2002.

La question qui est au centre des débats est celle de la présence fortuite. La Commission proposait initialement, d'une part, un seuil d'étiquetage obligatoire au-delà de 1 %, pouvant être abaissé en comitologie et, d'autre part, le principe d'une tolérance de présence fortuite pour les OGM non autorisés au sein de l'Union européenne mais évalués, ou non-évalués, ce dernier point restant à débattre. La France est favorable à un seuil d'étiquetage de 0,5 % et totalement opposée à une quelconque tolérance pour la présence fortuite d'OGM non autorisés et non évalués. La Présidence Danoise maintient à ce stade la proposition de la Commission de 1 %. Par ailleurs, la France s'est clairement exprimée en faveur d'une procédure centralisée, alors que la Présidence Danoise défend une procédure décentralisée, mais sur ce point la France est plutôt sur la ligne de la Commission européenne et je pense que nous pourrons raisonnablement faire valoir nos positions.

Concernant les semences, il y a également une négociation en cours concernant la révision des annexes de la directive « semences ». Celles-ci définissent notamment des seuils de pureté variétale pour les semences qui ne peuvent évidemment être fixés de manière indépendante de ceux des denrées alimentaires.

La question est complexe et délicate car la fixation d'un seuil de « tolérance fortuite » aura des répercussions sur les coûts de production. Ce point souligné par les opérateurs de la filière a déjà été largement débattu en réunion interministérielle à Matignon. Des études ont été faites qui montrent que en dessous de 0,5 %, il y aurait un surcoût sans doute rédhibitoire. Le seuil de 0,5 % proposé à ce stade est donc techniquement possible à respecter, mais la question de la prise en charge du surcoût par les consommateurs ou les utilisateurs reste en suspens.

Concernant l'étiquetage des produits dérivés d'animaux nourris aux OGM, le débat a eu lieu au niveau communautaire et la question a été tranchée : il n'y aura pas d'étiquetage pour ces produits.

Toutes ses négociations en cours au niveau européen sont préparées de manière interministérielle et prennent bien entendu en compte l'environnement international en raison principalement du risque croissant de contentieux devant l'OMC. Il apparaît clair, compte tenu de cet environnement international, que l'on maîtrisera davantage la situation si on accompagne la sortie du moratoire, plutôt que si l'on s'arc-boute sur des positions très fermes, juridiquement, voire économiquement, délicates.

Si l'on s'interroge sur la date de la transposition de la directive 2001/18, cela soulève deux interrogations immédiates. D'abord, est-ce qu'il s'agira d'une transposition a minima ou l'hypothèse d'une loi fondatrice est-elle envisageable ? Personnellement, compte tenu de l'urgence de la transposition et de la sensibilité extrême du sujet en France, je doute de la possibilité d'élaborer maintenant une véritable loi fondatrice. Et ensuite quel ministère portera ce texte ? L'agriculture, l'environnement, voire la recherche, qui ne serait pas illégitime compte tenu, d'une part, des conclusion des divers débats qui ont pu avoir lieu sur la question des essais OGM et, d'autre part, de la compétence de ce ministère en matière d'utilisation confinée d'OGM ?

En effet, la France est également en manquement en transposition sur la directive 98/81 qui concerne l'utilisation des OGM en milieu confiné sur lesquelles le ministère de l'agriculture n'a pas compétence. On peut donc imaginer transposer les deux directives par un seul projet de loi et ainsi mettre au propre le code de l'environnement. Donc, si c'est le ministre chargé de la recherche qui porte le texte, ce sera un signal fort pour les essais au champ. Il faut toutefois bien garder à l'esprit que les décisions d'autorisation pour ces essais « partie B » sont délivrées par le Ministre de l'agriculture et que, si les essais pour la recherche sont importants, il ne faut pas occulter les autorisations de mise sur le marché sur lesquelles le ministère de la recherche n'est pas impliqué.

M. le président - Je serais déçu, qu'à l'occasion de ces transpositions de directives, il n'y ait pas de grande loi fondatrice pour les biotechnologies.

Mme Florence Castel - Cela permet à ce stade d'éviter un débat sans doute long compte tenu de l'importance du sujet et incompatible avec les exigences du calendrier. Mais peut être que je me trompe et que nous aurons un projet de loi ou même une proposition de loi fondatrice sur les biotechnologies.

M. le président - Je le souhaite d'autant plus que cela élargirait le débat aux OGM et à leurs implications en termes de santé, de thérapie génique, de vaccins et non uniquement dans le domaine alimentaire. Et cela permettrait également de débattre de la brevetabilité, c'est à dire de la directive 98/44. Ou alors on peut imaginer un scénario par palier avec une transposition a minima, puis derrière une grande loi fondatrice. Je crois qu'aujourd'hui le ministère des finances travaille à un plan sur les biotechnologies. Peut être qu'il faudrait aussi voir qui s'en occupe et raccrocher aussi ce wagon là à cette grande loi.

Mme Florence Castel - Concernant l'acceptation sociale des OGM, qui, je crois, est l'une de vos préoccupations majeures, je crois qu'il faut bien voir la très forte demande qui émane de nos concitoyens d'être informés, voire de participer, aux questions touchant aux OGM. Parce qu'avec le sentiment qu'ils ont qu'on leur cache quelque chose, leur peur s'accroît et le débat est devenu très tranché et passionnel et donne lieu à des réactions violentes. Il me semblerait opportun de mettre en place un lieu de débat au niveau national, donc une sorte de « deuxième cercle » dans lequel pourraient être abordées les questions non scientifiques et évalués, par exemple, les coûts et les bénéfices des OGM. Et je crois surtout qu'on ne peut pas couper à l'organisation d'un débat local, puisque les maires sont très attentifs sur cette question. Il faut évidemment veiller à en assurer l'efficacité. L'idée d'une enquête publique locale a été émise ; il convient d'être prudent car un tel dispositif ne serait pas compatible avec le calendrier de la procédure telle que définie par la directive.

M. le président - Mais les débats n'ont-ils pas déjà eu lieu en 1998 avec la Conférence des citoyens, en 2002 avec la réunion au Conseil économique et social ? Il me semble que l'heure est à la décision politique.

Mme Florence Castel - Les élus locaux ne demandent pas a priori à délivrer les autorisations. Ils demandent en revanche et de manière très forte à être informés. Ils veulent être écoutés. Donc, c'est un lieu d'écoute qu'il faut créer. Il faut montrer l'importance stratégique d'un essai, les emplois qui sont à la clé, la survie d'une entreprise, etc... Alors, soit on sensibilise les maires et c'est à eux de lancer les débats d'information au plan local, soit c'est l'administration qui organise ces débats, soit on confie la charge d'organiser les débats à un acteur extérieur. Je crois que les élus locaux sont très partagés sur le sujet, certains ne veulent pas s'y lancer, alors est-ce qu'il faudrait décentraliser sur cette question là aussi ? Je ne suis pas sûre.

M. Jean-Marc Pastor - Je crois qu'il faut éviter de trop charger les maires. Je crois vraiment qu'il ne faut pas décentraliser la décision mais simplement avoir les avis locaux, pour ne plus passer en force, et faire des essais OGM seulement dans les villes où il y aura eu un débat en amont. Je crois aussi qu'il faut que des partenaires compétents soient présents au débat.

Mme Florence Castel - En effet, il faut absolument que les pétitionnaires s'impliquent plus et soignent leurs opérations.

M. le président - Pour ma part, je ne suis pas sûr que le sujet des OGM déclenche un très gros débat entre les élus nationaux.

11. Audition de M. Pierre Castella, Président de Solagral et de Mme Anne Chetaille, chargée d'étude environnement pour Solagral

M. le président - Merci d'avoir accepté l'invitation que vous a adressée la mission d'information sur les OGM, créée par la Commission des Affaires économiques.

M. Pierre Castella -SOLAGRAL est une association qui joue un rôle d'étude et de diffusion militante sur les négociations internationales. Elle assure son financement par des contrats d'études et emploie environ 20 salariés.

SOLAGRAL est hostile aux OGM, notamment pour les pays développement (PED). En effet, les problèmes alimentaires qui se posent dans ces pays ne sont pas d'abord des problèmes technologiques, mais de politique agricole et d'accès à la nourriture. L'alimentation est plus une question de revenus qu'une question technique. C'est pourquoi nous pensons que la question des OGM ne concerne que marginalement les PED. Ainsi en est-il de la résistance aux herbicides..

M. le président - N'y aurait-il donc aucun apport des OGM aux PED ?

M. Pierre Castella - Dans le domaine de la résistance à la sècheresse, les solutions à l'étude en matière d'OGM diminuent l'ensemble des capacités de la plante. Cette évolution n'est donc pas intéressante, particulièrement en terme de rendement, du moins avant longtemps. De plus, il y a peu de recherches menées sur les applications d'OGM pour les PED, qui ne sont pas des marchés solvables..

M. le président - Si les OGM de seconde génération existaient, y seriez-vous favorable pour les PED ?

Mme Anne Chetaille - Oui, accompagnés de règles de sécurité quant à la dispersion et en prenant en compte la question de la liberté de choix des agriculteurs.

M. Pierre Castella - Se posent de plus les problèmes de dépendance par rapport aux firmes de semences des pays développés et les problèmes de dispersion des OGM et de fraude, et donc de contamination irréversible, par exemple dans le cas du Brésil.

M. le président - Quelle est votre position quant au seuil d'OGM ?

Mme Anne Chetaille - Nous voudrions le « zéro technique », c'est-à-dire un niveau de 0,1 %. A l'heure actuelle, on évoque un seuil de 0,5 % à 1 % pour l'alimentation et de 0,3 % à 0,7 %. pour les semences.

M. Pierre Castella - Il faut savoir ce qu'on veut. Il est probable que l'introduction des OGM soit irréversible en raison des fraudes. L'affaire Monsanto/Percy Schmeiser est très inquiétante à cet égard.

M. le président - Est-ce que la sélection par hybridation ne rend pas déjà l'agriculteur dépendant de semenciers ?

M. Pierre Castella - Oui, mais l'hybridation a un intérêt avéré et ne comporte pas de risque...

M. le président - Si l'intérêt des OGM est limité, pourquoi est-ce que tout le monde en achète ?

M. Pierre Castella - Notre analyse est que les OGM sont essentiellement un moyen de créer de façon artificielle un nouveau marché. Les PED producteurs d'OGM, ont reçu depuis plusieurs années le message que si l'on ne va pas vers les OGM on perd les marchés. Je précise qu'on ne sait pas ce qui se passe exactement en Chine, même sur le coton.

Mme Anne Chetaille - Aux Etats-Unis, il y a des agriculteurs qui regrettent aujourd'hui d'être passés aux OGM.

M. le président - Comment imaginer la coexistence entre l'agriculture conventionnelle, l'agriculture biologique et l'agriculture utilisant des OGM ? Votre refus n'est-il pas surtout le rejet d'un mode de développement plus qu'une inquiétude sur le terrain scientifique ?

M. Pierre Castella - C'est le rejet d'un mode de développement, d'autant plus que les risques environnementaux n'ont pas été réellement évalués et que la coexistence est impossible. Les discussions sur ce point achoppent notamment sur la question de la responsabilité. On sait qu'il y a des risques et qu'ils se traduiront dans 40 ans.

M. le président - Comment pouvez-vous illustrer votre propos quant à la certitude d'une pollution génétique dans 40 ans ? Pourquoi 40 ans plutôt que 20 ou 50 ans ?

M. Pierre Castella - L'expérience montre qu'aujourd'hui il y a une dissémination incontrôlable. Le délai de 40 ans nous place au-delà d'une génération, en terme juridique. Vers qui se retournera la prochaine génération ?

M. le président - Est-ce que la baisse des intrants n'est pas un élément positif pour l'environnement ?

M. Pierre Castella - Si, mais elle n'est pas avérée. La question est de savoir comment la recherche répond aux besoins de l'agriculture et de l'alimentation. Les banques publiques de gènes souvent menacées, peuvent apporter de nombreuses réponses aux questions actuelles.

M. le président - Mais est-ce que la position attentiste de la France et de l'Europe ne risque pas d'affaiblir nos entreprises de recherche. Ne verrons-nous pas notre génothèque rachetée par des entreprises étrangères ?

M. Pierre Castella - Pourquoi est-ce qu'on ne travaillerait pas sur d'autres techniques que les OGM pour répondre aux s questions posées ? Le marché OGM peut très bien n'être qu'une bulle technique et s'effondrer dans 10 ans.

M. le président - Malgré votre opposition aux OGM, êtes-vous pour la recherche dans ce domaine ?

M. Pierre Castella - Nous ne sommes pas contre une recherche qui serait profitable aux PED. Incidemment, des essais approfondis en laboratoires doivent précéder les essais en plein champ, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Le problème principal est double : à quels sujets sont affectés les moyens de la recherche ? comment les citoyens sont-ils associés aux choix d'affectation ?

M. le président - Si par exemple on supprimait le gène allergogène présent dans le riz et qui fait que 10 à 20 % des asiatiques sont allergiques au riz, est-ce que ce ne serait pas une bonne chose ? Personnellement, je suis favorable à un seuil de 5 % qui serait conforme à ce que peut faire par exemple le Brésil. En dessous, ils ne pourront pas respecter le seuil.

M. Pierre Castella - Pour reprendre votre exemple du riz non allergogène, il s'agirait certes d'une avancée positive. Mais pourquoi recourir pour cela à des OGM alors que nous disposons déjà dans notre génothèque de spécialités qui doivent permettre d'atteindre ce résultat ? Quant au seuil, nous sommes conscients qu'un seuil très bas peut être contre-productif, mais un seuil de 5 % conduit à une diffusion généralisée et irréversible des OGM. Je pense en outre que, dans les 10 ans, nous vivrons une crise grave liée aux OGM, par exemple un problème d'allergie.

M. Hilaire Flandre - Le développement des allergies n'est pas lié aux OGM !

M. Pierre Castella - Personne ne peut assurer que ce ne sera pas le cas dans l'avenir. Plus généralement, je pense que la bulle OGM crèvera un jour ou l'autre car lorsque l'ensemble de la recherche développement se concentre sur un seul procédé, il y a nécessairement un risque. .

Mme Anne Chetaille - Sur la question des coûts liés à un seuil très bas, il faut penser au fait que ces coûts seront d'autant plus faibles que le problème sera pris en amont. Je rappelle que le seuil de 0,1 % existe en Autriche et en Italie. S'ajoute le problème de l'irréversibilité : les OGM ne permettent pas vraiment le maintien d'une filière non-OGM.

M. Hilaire Flandre - Mais quelle différence y a-t-il entre une mutation génétique naturelle et un OGM ?

M. Pierre Castella - La différence réside dans le fait que la nature n'a pas comme seul moteur le profit.

M. le président - Nous savons que de nombreuses mutations génétiques sont générées par les éclairs. Je reviens à la question de la « bulle OGM ». Nous avons vu l'éclatement de la bulle des nouvelles technologies. Mais après cet éclatement, l'Europe n'est-elle pas sous la domination de Microsoft et l'Internet n'est-il pas devenu indispensable ? Si nous refusons les OGM, ne serions nous pas dans une situation de dépendance vis à vis d'autres pays après l'éclatement de la bulle des biotechnologies ? Je vous concède qu'une bulle des biotechnologies existe sans doute, mais elle s'appuie sur des avancées réelles qu'exprime notamment la question des brevets.

Second aspect du problème : la biodiversité. Est-ce que la génothèque dont nous disposons aujourd'hui n'est pas une richesse pour l'avenir ? En restant en retrait de la recherche, ne risquons-nous pas de perdre cet acquis ?

Troisième question : votre attention va particulièrement aux PED. Est-ce qu'un parallèle ne pourrait pas être tiré avec le développement des médicaments sous licence générique ? Ne pourrait-on imaginer une évolution comparable en matière d'OGM dans le cadre de la FAO ou de l'OMC ?

Mme Anne Chetaille - Disposer d'une génothèque est très important, mais il faut également une conservation in situ.

M. Pierre Castella - Si l'Europe développe les technique non OGM, ce sont les autres pays qui dépendront de nous après l'éclatement de la bulle. Sur la question des brevets, que nous suivons attentivement, se pose le problème des droits de propriété. Un point de vue se développe selon lequel le brevet ne protège plus rien. Les firmes américaines qui vont en justice perdent une fois sur deux ou ne gagnent qu'après un délai qui rend l'objet du litige obsolète. Par conséquent, la question de la durée du brevet devient centrale puisqu'au bout de trois ans il n'a plus guère de valeur. Il nous semble donc que cette question des brevets est beaucoup moins importante qu'il y a quelques mois ou années.

Quant à la recherche, la question est de savoir quelle programmation de la recherche est décidée. Mais ce n'est pas aux chercheurs eux-mêmes de décider sur quoi ils vont chercher. La question fondamentale est celle du nouveau rapport entre la recherche et la société : la société doit décider quels sont les objectifs de la recherche.

Quand vous imaginez que des OGM génériques puissent exister, vous supposez que certains OGM seront suffisamment utiles pour les pays du Sud et désirés par eux pour qu'il soit souhaitable de créer un marché d'OGM génériques, en appliquant à ce marché la procédure des licences génériques, ou celle des « licences obligatoires »autorisée par l'OMC pour les médicaments. Même si j'accepte ces hypothèses en cascade, quand je constate les résistances durables des industriels et distributeurs du Nord au développement des médicaments génériques, et les limites étroites imposées à Doha au développement des licences obligatoires, je pense que l'hypothèse d'un second marché pour les OGM restera une hypothèse, ce qui est conforme à mes voeux.

12. Audition de M. Bernard Chevassus-au-Louis, directeur de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et vice-président de la Commission d'étude de la dissémination des produits issus du génie biomoléculaire

M. le Président - La Commission des Affaires économiques et du plan a décidé il y a quelques mois de créer une mission d'information sur les biotechnologies de façon à connaître leurs implications à la fois sur la santé des consommateurs, sur l'environnement de notre pays, et voir comment essayer de dialoguer avec nos concitoyens sur cette nouvelle modernité qui est une réalité de tous les jours et à l'intégrer également dans l'autre problématique qui fait peur et qui est l'organisation mondiale du commerce.

Deux missions ont été créées - une mission d'information sur les OGM et une mission de suivi sur l'OMC - de façon à faire rentrer notre pays dans cette nouvelle ère de modernité sans que nous soyons animés de crispation passéiste et en essayant d'élever le débat, ce qui n'est pas tout à fait simple.

M. Chevassus-au-Louis, vous êtes directeur de recherche à l'INRA, président du Muséum national d'histoire naturelle depuis 2002, président du Conseil d'administration de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), vice-président de la Commission d'étude de la dissémination des produits issus de génie biomoléculaire et membre du conseil scientifique du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement. Je me suis permis, au travers de vos différents titres, fonctions et missions, d'en retirer celles qui sont en articulation avec le sujet d'aujourd'hui.

Ce matin, M. Gilles Brücker, nouveau directeur de l'Institut de veille sanitaire, a évoqué la problématique de l'inclusion de gènes d'intérêt dans un génome et nous aimerions que vous répondiez à la question des effets induits de ces interactions sur le produit final et que vous nous disiez comment, compte tenu de votre connaissance du sujet et de votre approche au niveau de vos différentes missions, dialoguer avec nos concitoyens sur ce sujet qui est devenu un sujet de société.

M. Bernard Chevassus-au-Louis - Ce que je vais dire ne représente en fait la position d'aucune des organisations auxquelles vous avez fait référence quant à mes missions, il s'agit d'un mélange de ce que j'ai pu débattre et constater à travers diverses expériences, donc je parle à titre personnel.

L'un des tout premiers OGM largement disséminé à travers la France est le virus recombinant qui a permis d'éradiquer la rage, qui a été construit en laboratoire, mis dans des appâts vivants et qui a été à l'origine du fait que la rage qui s'était approchée de Paris a maintenant totalement disparu du territoire français, alors qu'elle est encore à nos frontières. Cette opération s'est passée dans l'indifférence générale, en tout cas par rapport à la thématique des OGM.

M. Hilaire Flandre - Nous ne le savions pas !

M. Bernard Chevassus-au-Louis - Les scientifiques travaillaient, non pas dans l'indifférence, mais effectivement ils n'étaient pas sous le feu des projecteurs et ils ont vu peu à peu monter, par rapport à leurs travaux, des phénomènes d'interrogations, voire d'hostilité. La première question qu'il faut se poser est la suivante : S'agit-il d'une espèce de crise temporaire liée à des personnalités médiatiques à la fin du XXe siècle, à un climat particulier - et dans ce cas-là, nous pourrions avoir une attitude d'attentisme en disant que cela passera - ou avons-nous affaire à quelque chose qui pose un problème de fond auquel il va falloir s'adapter ?

Ma position est qu'effectivement, nous avons franchi une transition lourde à laquelle nous allons devoir nous adapter, non pas seulement pour les OGM, mais également pour toute une série d'innovations issues des technologies, et particulièrement des technologies du vivant. Cela veut dire qu'il ne faut pas se tromper d'analyse - pour s'adapter, il faut comprendre ce qui ne va pas.

La première réaction d'une partie des scientifiques a été de croire que la critique portait sur leur « bricolage », c'est-à-dire sur le fait que ce n'était pas tout à fait au point - un peu comme les premiers moteurs à explosion - parce que des gens disaient qu'ils avaient mis des gènes marqueurs de résistance aux antibiotiques, que l'on ne sait pas à quel endroit va se mettre le gène, peut-être n'y a-t-il pas une copie mais une copie et demie, un petit morceau qui n'avait pas été vu, etc. Une grande partie des critiques portait sur le fait que ce n'était pas une technologie parfaitement bien maîtrisée.

Si le problème résidait à ce niveau, la réponse serait technique, autrement dit il faudrait faire ce que l'on appelle des OGM de deuxième génération, c'est-à-dire qui seraient débarrassés de ces imperfections techniques, ainsi, tout le monde retrouverait sa tranquillité. Ce n'est pas mon opinion, et ce pour diverses raisons :

- La première raison est que, très honnêtement, les OGM actuellement utilisés pour la thérapie génique chez l'homme, donc dans les applications biomédicales, sont tout aussi bricolés que ceux que l'on a l'intention d'utiliser en agriculture. Or, je constate que les uns posent problème et pas les autres.

- La deuxième raison est que, du point de vue technique, ces OGM sont de natures extrêmement diverses. Lorsque vous demandez aux gens ce qu'ils veulent dire en déclarant qu'ils sont contre les OGM, ils vont évoquer les énormes tomates que l'on voit sur les marchés, les fraises qui n'ont plus de goût, les oignons qui n'ont plus de peau et tout cela reste du bricolage, c'est de la manipulation génétique. C'est ce que j'appelle l'ensemble du refus, c'est-à-dire que le périmètre de ce que les gens définissent comme ce dont ils ne veulent pas est très largement supérieur à la définition de la directive 98-220 de la Communauté européenne qui définit précisément ce qu'est un OGM et ce que ce n'est pas. La plupart des gens ne connaissent pas la définition juridique et technique d'un OGM, mais ils savent qu'ils sont pour ou contre les organismes génétiquement modifiés.

Il faut donc s'interroger sur ce que l'ensemble de ce périmètre du refus contient de dénominateur commun qui en constitue un objet de refus dès lors que, sur un plan technique, c'est une arche de Noé constituée de choses qui n'ont rien à voir. C'est-à-dire constituée de choses qui peuvent être des produits, non seulement de transferts de gènes, mais de culture de cellules, d'hybridations interspécifiques, enfin de toutes les technologies, y compris les technologies anciennes.

- La troisième raison pour laquelle je pense que la question n'est pas technique, c'est que les questions que l'on pose aujourd'hui sur les OGM - par exemple vous ne savez où l'OGM va s'insérer, vous ne savez pas combien de copies de gènes ont été intégrées, vous ne savez pas si vous n'allez pas déstabiliser le génome, etc. - sont des questions que l'on peut parfaitement se poser avec les méthodes les plus traditionnelles de la génétique, c'est-à-dire y compris ce que l'on a fait depuis 40 ans en fabriquant des hybrides entre espèces ou en réalisant des croisements entre races pour faire pénétrer un gène de fertilité. Sur ces sujets, personne aujourd'hui ne se pose la question de savoir où ce gène va s'insérer et s'il va perturber le génome.

Cela ne veut pas dire que les scientifiques et les techniciens ne doivent pas rendre leurs technologies de plus en plus fiables, c'est de leur responsabilité et ce n'est pas la clé du problème. Mais cela signifie que même si les laboratoires affirment maintenant qu'ils peuvent fabriquer des « super » OGM capables de répondre à toutes les questions qui se posent, le problème ne sera malgré tout pas résolu.

Je pense que le refus vient du fait que toutes ces innovations arrivent trop tard dans un monde qui n'en a plus besoin. Ces attributs ont été perçus comme incarnant la continuité d'un système d'innovations basé sur l'augmentation des rendements, sur des technologies que les agriculteurs ne maîtrisaient pas totalement et sur tout ce que José Bové appelle « le symbole de », c'est-à-dire l'appropriation du vivant, donc la non-liberté des agriculteurs de continuer à semer. Le symbole de l'irruption des firmes multinationales alors que jusqu'à présent les firmes semencières étaient plutôt nationales, des PME, c'est le symbole de la « mal-bouffe et du productivisme ». Autrement dit ces OGM se sont retrouvés comme étant le bouc émissaire idéal de toute une série de débats qui sont nés de problèmes très différents (le débat sur OMC et la mondialisation, le débat sur les concentrations dans le domaine agricole et agroalimentaire, le débat sur la propriété du vivant au départ étaient assez disjoints).

Si ma vision des choses est exacte, cela veut dire que pour répondre à la question « comment avancer », la seule voie possible est justement de débarrasser tous les OGM de tous les attributs qu'on leur a accrochés pour en faire simplement des objets techniques, non pas innocents, mais polyvalents. Il faut donc montrer que l'on peut disjoindre OGM et appropriation du vivant, OGM et concentration industrielle, OGM et intensification de l'agriculture, etc., mais pour cela, il faut étudier les dossiers un par un.

OGM et brevetabilité, c'est-à-dire propriété du vivant. Les firmes qui ont fabriqué des OGM étaient essentiellement issues de la chimie et de la pharmacie et elles ont comme tradition de protéger leurs innovations par des brevets (la propriété industrielle). Les firmes issues de l'agroalimentaire ont l'habitude de pratiquer le secret industriel, quant aux firmes semencières traditionnelles, elles protègent par certificat d'obtention.

Peut-être faudrait-il ouvrir un chantier pour étudier à la fois en France et en Europe un système de protection de l'innovation spécifique à ces innovations du vivant plutôt que d'utiliser un système proche de celui de la chimie ou de la pharmacie. Ce chantier est sans doute compliqué, mais il n'y a pas un lien consubstantiel entre le fait de faire des innovations biotechnologiques et le fait de les protéger par le système des brevets.

OGM et concentration industrielle. On voit aujourd'hui le secteur semencier aller vers un poids croissant d'opérateurs privés internationaux avec des rachats et des concentrations. Autour de l'agriculture, en amont comme en aval, les engrais, le machinisme, le phytosanitaire, la distribution de l'alimentation font l'objet de phénomènes massifs de concentrations. Les OGM ne sont pour rien dans cet état de fait, et si l'on admet que les OGM ne sont pas le facteur qui préside à la concentration, même si on les supprime, le phénomène se poursuivra.

Je pense donc que l'on peut découpler OGM et concentration industrielle, mais à une condition, que les règles d'homologation que l'on va établir pour créer des OGM qui, sur un plan purement technique, ne sont pas des technologies aussi lourdes que l'on veut bien dire, ne représentent pas un coût et une durée tels que seuls les grands groupes multinationaux puissent affronter une telle procédure.

OGM et outils du productivisme. Qu'ils soient français ou américains, les semenciers réalisent 50 % de leur chiffre d'affaires avec le maïs parce qu'on peut faire des hybrides et il faut racheter la semence chaque année. La technique OGM pourrait très bien être une manière de remettre en culture des variétés de pays traditionnelles abandonnées parce que trop sensibles à un certain nombre de maladies ou autres. Plutôt que de faire des OGM un facteur de réduction de la diversité, il faudrait au contraire en faire un facteur de reconquête de la diversité des agricultures ; et encore une fois, ce n'est pas consubstantiel.

La technologie OGM a sans doute été un grand échec de communication, elle est peut-être à la clé une technologie de l'agriculture biologique de demain ou en tout cas de formes d'agricultures plus respectueuses de l'environnement dès lors qu'elle apporte une manière de lutter contre un certain nombre de problèmes autrement que par des recours à des engrais chimiques et du phytosanitaire.

Il ne faut pas non plus tomber dans la caricature en disant que le chimique est mauvais et que le biologique c'est bon. Les firmes phytosanitaires innovent, elles font des molécules de plus en plus ciblées, à des doses de plus en plus faibles, elles connaissent de mieux en mieux ce qu'elles font, et donc je ne veux pas là aussi diaboliser le phytosanitaire. La lutte contre les ravageurs, les bactéries et les virus sera demain un astucieux mélange de substances chimiques utilisées à bon escient, de génétique utilisée à bon escient et d'agronomie utilisée à bon escient. Je ne voudrais pas dire qu'il faut présenter le biologique comme systématiquement meilleur que le chimique.

La ligne d'attaque qui n'est pas simple mais qui est à mon avis la seule possible, consiste peu à peu à séparer les problèmes que les citoyens se posent sur les OGM ; il ne faut évidemment pas les nier, mais les prendre un par un et essayer des trouver des solutions pour que les OGM retrouvent des degrés de liberté pour être utilisés au service d'un projet politique, social et économique pour l'agriculture.

Actuellement, nous sommes dans une période de grand flottement quant à l'agriculture que nous voulons et par rapport à notre alimentation. Il faut maintenant dire clairement que les OGM sont soit un mal nécessaire soit un bien potentiel, il faut que nous ayons une vision un peu globale et sur quel projet.

M. le Président - Pour vous avoir déjà écouté de temps en temps je n'en suis pas très surpris - mais vos propos sont assez décapant en ce sens où ils sont d'une grande lisibilité et simplicité par rapport à tout ce que l'on entend depuis déjà quelques années. Cela nous éclaire énormément au niveau politique parce que c'est vrai que notre mission est effectivement de se sortir de cette question par le haut.

Comment, dans cette réponse que vous venez de rappeler, à partir du moment où l'on aura défini quelle agriculture pour demain, pourrons-nous répondre à la question fondamentale : « quelles utilisations des OGM pour demain ? » nous savons très bien que l'agriculture biologique, par exemple, qui est médiatique et depuis quelques années très encouragée, est une niche à mon avis qu'il ne faut pas maîtriser mais qui doit être définie comme représentant demain peut-être 5 % de la production nationale, mais il ne faut pas oublier les 95 % d'agriculture conventionnelle. Donc, quelle est la coexistence possible entre agriculture biologique et agriculture conventionnelle compte tenu des problèmes de contamination environnementale ?

M. Bernard Chevassus-au-Louis - J'ai participé à un certain nombre de réunions, notamment au ministère des Finances sur cette question de la cohabitation.

La position des agriculteurs biologiques, telle qu'elle est exprimée, n'a aucune raison d'évoluer dans une négociation quelconque à court terme, à moins de recourir à des méthodes coercitives. Ils restent bloqués sur l'idée que lorsqu'on a dit zéro, c'est zéro, même quand on leur explique que d'après les méthodes utilisées par la DGCCRF zéro veut dire un peu moins de 0,5 %, ils ne veulent pas le savoir et considèrent inadmissible de trouver des traces.

Il n'y aucune raison scientifique de donner un seuil quelconque entre zéro et 100 %. Tant en France qu'aux Etats-Unis, dès lors que les scientifiques ont dit qu'un OGM pouvait être mis sur le marché, cela veut dire (à tort ou à raison) qu'ils estiment que les consommateurs peuvent en manger 100 % toute leur vie durant. Mais si on leur demande s'il faut fixer le taux de présence fortuite à 5 % comme au Japon ou à 1 % comme le propose l'Europe, ou à 0,1 % comme semble l'accepter Que Choisir, ils répondent, « pourquoi pas ? »

Il faudra bien que la fixation du seuil de cohabitation ressorte du travail du politique. L'Etat organise un système avec des règlements, des contrôles qui garantissent un seuil de passage, mais si l'agriculteur biologique veut vendre un produit avec un seuil autre, l'Etat estime que c'est de nature privée et que l'agriculteur biologique doit le garantir.

A mon avis, c'est une prérogative des pouvoirs publics de garantir des niveaux sans doute à fixer en termes de coût et de contrôle compte tenu de ce que représentent ces deux agricultures qui ont vocation à coexister et qui déjà cohabitent en échangeant toutes sortes de choses (pollen ordinaire, bactéries, maladies, etc.). mais l'idée de définir un seuil de cohabitation par négociation ou par recours à des experts est à mon avis définitivement exclue.

C'est un point qui est resté en suspens, bien qu'évoqué depuis longtemps, mais il faut le considérer comme un futur point de repérage car je crains que la fixation des seuils acceptés par la société soit de plus en plus l'objet de débat social. De nombreux règlements antérieurs étaient basés sur la notion de doses minimales sans effet, mais avec les techniques modernes, cette notion de dose sans effet disparaît peu à peu.

Pouvons-nous faire l'économie d'une ségrégation des filières ? Nous avons fait une analyse dans le cadre du travail du plan qui a abouti au fait que pour un produit donné, non typé (ce qu'on appelle une commodité), nous sommes très dubitatifs sur le fait qu'il pourra y avoir longtemps des volumes significatifs de filières avec et sans OGM. Pour donner deux exemples clairs :

- Le cas du maïs - en France, c'est à peu près certain que les producteurs de maïs aujourd'hui ne se lanceront pas dans l'OGM pour le moment.

- Les sucriers et les betteraviers - il y a actuellement une tension entre les planteurs qui voient potentiellement avec les OGM betteraves quelques centaines de francs à l'hectare de bénéfice potentiel - ce n'est pas négligeable -, et puis les raffineurs, qui sont obnubilés par l'image de marque du sucre issu de betteraves OGM. Mais comme c'est une profession extrêmement intégrée, ils vont faire un choix qui ne sera pas celui d'avoir les deux filières.

Nous pourrions attendre finalement que, segment par segment, les agriculteurs choisissent l'un ou l'autre, que les efforts de cohabitation ne soient que transitoires avant que les choses se stabilisent dans une configuration quelconque. Mais je pense que l'on ne peut pas éviter cet effort d'organiser sur notre territoire cette cohabitation et ensuite d'entrer dans les détails.

Autre point qui est important, c'est le fait que, technologiquement, dans dix à quinze ans, les OGM vont disparaître au sens réglementaire du terme. Des technologies vont se développer qui ne rentreront pas dans la définition européenne et française, des technologies de modification du génome.

M. le Président - C'est-à-dire ?

M. Bernard Chevassus-au-Louis - Par exemple, aujourd'hui, plutôt que de planter des milliers d'hectares de maïs, de mettre un herbicide quelconque pour voir si par hasard il y a une plante résistante, on peut faire des cultures de cellules de maïs, donc on peut faire des tapis de cellules sur lesquels on peut mettre des substances chimiques afin d'obtenir des mutants naturels résistants aux herbicides. A partir d'une cellule végétale on peut reconstituer une graine, une plante, ce qui veut dire que l'on pourra mettre au catalogue des maïs résistants à des herbicides totaux - un a été homologué l'an dernier en France et deux en Europe de manière parfaitement légale, qui ne sont pas passés par la CGB mais par l'inscription au catalogue comme une variété classique, alors qu'il est résistant à un herbicide total. Et une partie de l'effort des firmes va aller dans ce sens.

Je pense toutefois que ce serait à courte vue parce que, un jour ou l'autre, quelqu'un va soulever le problème des attributs des nouvelles technologies de la même manière que ce qui s'est passé pour les OGM. Aussi, il ne faut pas accepter cette solution instable qui consiste à laisser disparaître les OGM officiels pour voir apparaître des vrais faux OGM. Mais c'est un élément à considérer.

M. le Président - C'est la première fois que nous avons cette information très intéressante car elle s'inscrit dans le moyen et long terme, et puisque nous avons tous commis des erreurs dans la première approche, à commencer par les industries qui ont recherché un retour sur investissement sans se préoccuper de l'acceptabilité sociale, il faut déjà à mon avis s'y préparer. Depuis Grégor Mendel, cela évolue avec les moyens de l'époque.

M. Bernard Chevassus-au-Louis - Il faut s'y préparer parce que justement, quand on raisonne à échéance dix ou quinze ans, le champ couvert par les problèmes que nous sommes en train d'évoquer va être effectivement assez vaste et je ne suis pas de ceux qui disent que les problèmes de risque sanitaire et environnementaux qui ont été mis en avant par les OGM doivent être négligés. Ce sont des problèmes qui ne sont pas résolus dans le cas de nombreuses innovations. Les mêmes questions se retrouvent pour les médicaments et pour le phytosanitaire. Ces questions sont très difficiles et la science est très limitée pour y répondre.

Je suis plutôt de ceux qui disent oui ces questions sont des questions difficiles, elles se posent pour beaucoup d'innovations, aujourd'hui la science est très limitée pour répondre à ces questions et donc faisons comme cela a été fait, notamment pour le médicament : n'essayons pas d'assurer à priori lors de la mise sur le marché la sécurité absolue, mais ayons un système de vigilance qui effectivement sera capable, si un problème apparaît de le voir venir et de le corriger.

Je crois que nous n'échappons pas à la notion de vigilance élargie au-delà du médicament, nous ne pouvons pas attendre de la science qu'elle garantisse l'innocuité absolue avant la mise sur le marché, mais il ne faut pas non plus tomber dans le piège du principe de précaution extrême.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - En tant que chercheur, vous sentez bien comme nous la difficulté de faire passer un message à la société. Comment vous, vous voyez la possibilité de rattraper ce qui n'a pas pu se faire il y a quelques années ? Avez-vous réfléchi à cette chose-là ? Comment le politique doit-il se positionner maintenant parce qu'à un moment donné la décision finale sera entre les mains du politique ?

M. Bernard Chevassus-au-Louis - La première réaction que l'on peut avoir, lorsque l'innovation proposée est prête à être mise sur le marché, est de mélanger experts et citoyens, mais en fait on est déjà en phase terminale et on demande simplement aux gens s'ils veulent ou pas du produit. Le citoyen a été passif par rapport au processus d'innovation et je crois qu'il faudrait trouver les moyens d'associer les citoyens de manière beaucoup plus précoce à la discussion et à la conception des innovations qui, en fin de compte, vont les concerner. Je fais partie des chercheurs à qui cela ne pose pas d'états d'âme, au contraire.

M. Max Marest - Aujourd'hui, je pense que le gros problème, c'est le vocabulaire, et on a oublié un terme qui s'appelle vulgariser. Je pense que le niveau d'évolution des technologies implique que ceux qui sont les techniciens en la matière fassent un effort, en tout cas avec des spécialistes autour d'eux, pour vulgariser. Aujourd'hui, méfions-nous du degré de connaissance de la majeure partie de nos citoyens. On emploie des termes qui finissent par leur faire peur parce qu'ils sont trop savants. Il y a, à mon avis, un effort à faire pour mettre en commun un langage que chacun peut comprendre. Je crois qu'aujourd'hui, il est nécessaire de vulgariser la science, comme d'ailleurs cela s'est fait dans les siècles passés où l'automobile et la vapeur pouvaient avoir quelque chose d'effrayant, jusqu'au jour où l'on a compris comment cela fonctionnait.

M. Bernard Chevassus-au-Louis - Je suis entièrement d'accord avec vous. Il y a deux points importants : Il faut vulgariser sans trop médiatiser. Ensuite, il faut faire connaître dans l'immédiat, mais aussi faire développer en amont toute une connaissance de ce que l'on a appris dans le domaine des sciences de la nature depuis 30 ans.

Les sciences de la nature n'ont pas été forcément considérées comme un élément important dans l'enseignement comme les mathématiques, les langues ou le français, et il faudra trouver d'autres formes pour diffuser ce que l'on sait aujourd'hui de ces sciences de la nature.

M. Hilaire Flandre - Cela reste quand même un domaine mystérieux pour le commun des mortels, ceux qui ne sont pas scientifiques de formation. Ensuite, les enjeux bénéfiques ne sont pas toujours au rendez-vous. En tant qu'agriculteur, je serais très intéressé par une variété de betteraves résistant aux herbicides classiques qui élimineraient tout le reste, tout en me disant que si ma betterave se ressème en betterave sauvage, je serais encore plus ennuyé dans la rotation d'assolement suivante. Et comme il n'y a pas un enjeu terrible, on se demande pourquoi aller dans ce sens-là si cela n'apporte pas un plus.

Je crois que la réponse consisterait en deux points : Pouvoir expliquer les choses de façon simple comme vous l'avez fait lors de votre exposé, et notamment lorsque vous avez commencé sur les hybrides et les métissages qui sont finalement l'introduction de gènes nouveaux dans une espèce ou dans une variété, et ça tout le monde peut comprendre et sans connaissances dramatiques. Ensuite, on peut avoir un intérêt évident, ce que vous avez démontré en parlant des vaccins vivants répandus contre la rage dans nos régions et qui n'ont jamais posé de problèmes, mais on ne nous avait pas dit que c'était à partir de gènes modifiés. Sinon, cela ne posait aucune difficulté, les gens étaient satisfaits de voir que la rage reculait en permanence.

Je crois que c'est dans ces deux aspects : l'utilité de la recherche et de ce qu'on voudrait découvrir, et puis la deuxième chose, le faire avec des termes très simples en montrant que ça a toujours existé sans que cela pose forcément problème. On ne cherche qu'à aller plus vite que ne va la nature habituellement. C'est un peu cela si on voulait résumer ou schématiser de façon un peu excessive.

M. Bernard Chevassus-au-Louis - Justement, nous sommes persuadés qu'il ne faut pas s'affoler des enjeux micro-économiques à court terme. Je ne vais pas dans le sens de l'idée que l'on peut perdre la compétitivité de l'agriculture française si l'on n'adapte pas à vive allure les OGM. Une simple fluctuation du cours du dollar en une semaine fait beaucoup plus que le différentiel de compétitivité liée aux OGM.

Nous pouvons prendre notre temps, et je suis de ceux qui pensent qu'à long terme, ces technologies font partie des choses qu'il faut savoir utiliser, que l'agriculture aura certainement bien d'autres problèmes à affronter en Europe et dans le monde dans les années qui viennent, et que ça fait partie des technologies qu'il faut savoir utiliser. Il est nécessaire d'avoir une réflexion de fonds sur ce qu'il faut mettre en place pour que ces technologies trouvent leur place et soient effectivement appropriées progressivement comme l'ont été d'autres technologies.

Par contre, je ne serai pas de ceux qui considèrent qu'il faut expliquer à un betteravier comment choisir une bonne variété de betteraves ; j'ai suffisamment de respect pour la profession agricole pour savoir que ce sont des gens qui n'adoptent pas des innovations gadgets. Là aussi, laissons-leur faire leur choix eux-mêmes en leur donnant le temps de choisir.

M. Christian Gaudin - Vous avez introduit tout à l'heure la notion de deuxième génération, c'est-à-dire par intervention sur le génome, nous allons arriver à cette évolution. A votre avis, est-ce une tendance lourde qui va être une substitution de la première génération appelée aujourd'hui OGM ? Vous avez dit qu'elle ne rentrait pas dans la norme aujourd'hui de l'OGM, ce serait donc un phénomène transitoire qu'il faut traiter ou va-t-il falloir faire cohabiter plusieurs générations avec des évolutions ? Comment vous le sentez pour l'évolution à venir ?

M. Bernard Chevassus-au-Louis - Sur le long terme, je vous ai donné ma vision des choses, autrement dit je pense que nous serons capables, plutôt que d'aller chercher un gène qui va faire une toxine qui va tuer un insecte ravageur dans une bactérie, de repérer dans la plante un gène qui, s'il s'exprimait un peu plus fort, aurait le même effet. Quand un insecte mord une plante, il y a des réactions de défense qui ne sont pas spécifiques de cette plante, qui même parfois peuvent se transmettre aux plantes du voisinage et même à des plantes d'autres espèces.

En même temps, nous allons mettre au point des outils permettant de modifier tel gène à tel endroit un peu comme se pratique la chirurgie aujourd'hui, sans ouvrir. Ce sera une sorte de chirurgie génétique et selon la définition, il n'y aura pas d'ADN étranger au sens qu'on l'aura pris dans une autre espèce. Mais je pense que les OGM de première génération, c'est-à-dire basé sur des gènes injectés par d'autres méthodes vont rester sur le marché encore un certain temps, de même que la sélection traditionnelle, l'hybridation et autres méthodologies qui ne se remplacent pas les unes les autres vont perdurer.

Il est toutefois possible que l'Europe saute l'étape des OGM de première génération. Il ne faut donc pas surestimer les enjeux à court terme ni sous-estimer les enjeux à long terme.

M. le Président - Si je peux me permettre de résumer, ce qui est très difficile compte tenu de toutes les informations très intéressantes parmi les différentes auditions auxquelles nous avons pu assister depuis quelques semaines, vous nous avez apporté des éclairages très particuliers. On passerait de cette notion de transgenèse qui choque un peu encore l'esprit de nos concitoyens et qui était une première approche scientifique, certes, mais avec quelques petites imperfections, imprécisions, à une mutagenèse dirigée.

M. Bernard Chevassus-au-Louis - On peut utiliser ce terme, qui va d'ailleurs faire peur aussi.

M. le Président - Ce premier verrou devrait tout doucement sauter, nous passons une étape supplémentaire. Cela étant, comme vous l'avez dit, il faut par contre que nos firmes françaises ne se désengagent pas sur la recherche parce que, de toute façon il y a une continuité de progrès scientifique sur lequel on ne peut pas faire de transgression, donc nous avons cet angle-là que vous dessinez sur le moyen et le long terme.

M. Bernard Chevassus-au-Louis - La recherche est quand même une activité qui n'aime pas les ruptures. Je me suis rendu compte en voyageant dans des pays en développement à quel point un laboratoire performant est quelque chose qui se construit dans la longue durée en termes de savoir-faire, de formation, etc. Donc le fait de faire une parenthèse, de mettre en veilleuse en se disant que cela rebondira, il faut être prudent avant de défendre cette théorie et je pense qu'il ne serait pas responsable de dire que ce n'est pas grave. Aujourd'hui, il y a un peu cette tendance de dire que ce n'est pas grave.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - En tant qu'AFSSA, avez-vous mené des recherches par rapport à la santé humaine ?

M. Bernard Chevassus-au-Louis - J'ai terminé mon mandat AFSSA fin mars. Nous n'avons pas fait de recherche, mais un certain nombre de gens voudraient, pour homologuer des OGM, que l'on fasse directement des essais sur l'homme, or nous, nous avons pris position en disant que c'était une fausse bonne idée - bonne idée dans le sens où cela pourrait rassurer les gens, mais quand on regarde ce que l'on peut voir avec des essais sur l'homme, ce serait rassurer les gens à bon compte, autrement dit il vaudrait mieux développer des essais sur animaux plus longs et plus crédibles (c'est ce que nous avons un peu développé), mais rester sur le principe que ce sont des essais sur animaux alors que les essais sur l'homme, indépendamment des considérations juridiques qui ferait que de tels essais seraient difficiles à mettre en place, eh bien ça rassurerait à tort les gens par rapport aux questions qu'ils se posent.

M. le Président - Merci M. le Directeur, n'hésitez surtout pas à nous adresser un certain nombre de documents que vous jugeriez pertinents compte tenu du fait que cette mission d'information a une durée de vie de quelques mois, en principe un an.

13. Audition de M. Yves Chupeau, Directeur de recherches au laboratoire de Biologie Cellulaire de l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA)

M. le Président - La commission des affaires économiques a souhaité cette mission pour préparer la transcription des deux directives européennes et -c'est moins simple- aller à la rencontre de nos concitoyens et les convaincre de préférer la modernité au jeu de l'exception culturelle.

Tout à l'heure, M. Testart s'est bien gardé de formuler des propositions concrètes. Pourrez-vous nous parler concrètement des avantages des O.G.M. : leurs détracteurs en nient les avancées.

M. Yves Chupeau - Bien sûr, le débat sur les avantages est facile : on ne voit pas d'avantages concrets dans les plantes transgéniques d'aujourd'hui. Plus exactement, les détracteurs refusent d'en admettre les intérêts. Cela était à la limite compréhensible il y dix, quinze ans, mais aujourd'hui cette attitude devient vraiment et purement malhonnête, car dix ans d'expérimentation agronomique et d'utilisation à grande échelle fournissent des éléments objectifs d'évaluation. Même lorsque nous arrivons à faire admettre les intérêts agronomiques et environnementaux, la position de repli des contestataires consiste à dire que ces plantes ne présentent pas d'intérêt pour les consommateurs... Ce que je ne comprends vraiment pas : les maïs résistants à la pyrale qui limitent le recours aux insecticides contribuent à favoriser la biodiversité des insectes, or la biodiversité est un bien public international !

En outre, il y a dans les tuyaux des laboratoires de nombreuses utilisations du génie génétique vers une meilleure sécurité alimentaire, mais qui sont elles aussi combattues à priori sans que l'évaluation agronomique ait été conduite (riz doré).

A mon avis, le flou réglementaire a joué également un rôle non négligeable dans l'émergence des comportements de défiance.

Jusqu'ici, les règlements ont mélangé beaucoup de choses. Au départ, le texte était destiné aux micro-organismes génétiquement modifiés. On conçoit alors les dangers potentiels : beaucoup de ces micro-organismes sont pathogènes, ou capable de le devenir...

Ce n'est absolument pas le cas pour les plantes. Or, on aborde la réglementation (et le débat) sans les distinguer. Cette apparente première confusion entretient le climat de suspicion, on l'a vu avec le pseudo-débat du Conseil économique et social où les journalistes étaient totalement de parti pris.

Alors que, même pour les micro-organismes que l'on modifie depuis trente ans et qui contribuent à de nombreuses utilisations industrielles, il ne s'est pas produit de cataclysme. Ce qui prouve que les principes de précaution, édictés par les scientifiques eux-mêmes, ont été utiles et surtout « didactiquement » efficaces. Mais pour entretenir cette défiance, la plupart des media veulent ignorer que ces techniques et leurs utilisations remontent bientôt à trente cinq ans (c'est l'époque de mon recrutement à l'I.N.R.A.), les scientifiques avaient une volonté de recherche sur ce thème depuis longtemps et sur des projections prospectives assez rationnelles assez rationnelles. D'ailleurs, l'ensemble des découvertes de la génomique conforte et vérifie nos intuitions d'alors.

M. le Président - La directive est plus microbienne que végétale ?

M. Yves Chupeau - La construction des paragraphes le montre bien.

M. le Président - Disposez-vous déjà d'analyses plus précises ?

M. Yves Chupeau - Pas véritablement, il faut se souvenir que le législateur souhaite toujours distinguer le minimum de catégories possibles, à la limite deux suffirait : bon ou mauvais (dixit Glavany à propos de OGM). Mais il s'agit dans ces textes de réglementer l'ensemble des organismes vivants et même de la biologie...

La quasi totalité des pathogènes végétaux ne sont pas transmissibles aux animaux. Par exemple, il n'y a pas de transmission des virus à partir des végétaux. Mais cela n'apparaît pas dans les règlements.

Un peu de la même façon, le débat général mélange plusieurs aspects. La validation de la fonction ou de la régulation d'un gêne passe par les cellules, le tissu, mais aussi par l'organisme entier et dans son environnement, ce que Jacques Testart refuse. Il faudrait pouvoir aller jusqu'aux expérimentations en plein champ. On nous explique que ces parcelles appartiennent à l'espace social.

Il faut néanmoins distinguer la recherche et la commercialisation de ses résultats.

Autant il est indispensable de s'interroger au cas par cas sur telle ou telle innovation, il n'y a aucune raison de craindre une catastrophe en travaillant sur les plantes qui multiplient tel ou tel transgène (sauf en créant volontairement des plantes toxiques). Les plantes qui existent aujourd'hui résultent de milliards et de milliards de transferts de gênes « naturels » entre au moins trois organismes différents. Nous n'avons pas su faire passer ce message à une opinion très fixiste. Ce que nous faisons en laboratoire ne représente qu'une infime partie des mécanismes de l'évolution.

Si l'examen au cas par cas se justifie pleinement dans les phases initiales d'une recherche pour les expérimentations , je suis par contre assez d'accord avec des critiques sur l'absence de régulations suffisantes au niveau mondial. Il manque, pour les mises sur le marché, une analyse plus large ; je pense à la résistance du soja aux herbicides : une fois validée la démarche et l'innocuité du « produit », il faudrait se donner les moyens de s'interroger sur les conséquences de l'extension des cultures de soja ; mais aussi sur l'extension de l'usage de l'herbicide qui modifie radicalement les données prises en compte lors des premières évaluations de l'herbicide. Certains considèrent d'ailleurs que les multinationales décident à cet égard à la place des Etats.

Le dialogue ? A l'évidence il est difficile, en raison du climat de défiance dont je parlais tout à l'heure, nous devons d'abord disposer d'un exemple absolument bénéfique et probant. On a modifié la composition en acides gras du soja. Grâce à Dupont de Nemours, l'huile de soja est comparable à l'huile d'olive. Le progrès en matière de sécurité alimentaire est remarquable, mais le produit ne s'est pas imposé sur le marché américain.

Cependant, nous ne devons pas nous laisser aller à anticiper nos résultats : ce que l'on réalise aujourd'hui était assez prévisible il y a vingt ans ! Mais, à mesure que l'on progresse à la fois dans les connaissances et dans les techniques, il est de plus en plus compliqué de prévoir l'ensemble des utilisations...

M. le Président - Est-ce au point dans les laboratoires ?

M. Yves Chupeau - S'agissant de la composition en acides gras, en protéines de réserve, dont on découvre les multiples fonctions, il faut développer une vision plus complexe. Les protéines de défense ont souvent un effet allergisant pour l'homme. Des équipes s'efforcent d'éliminer les protéines de réserve du riz -qui sont parmi les plus dramatiquement allergisantes. On peut imaginer de modifier ou d'éliminer de telles protéines, tel est l'objectif d'équipes japonaises et chinoises. L'Europe, notamment l'Allemagne, travaille dans la même optique sur le blé. En cas de réussite, nous pourrons sans doute plus facilement et directement convaincre nos concitoyens. Attention cependant de telles démarches sont à très long terme : pour une même plante, les panoplies des protéines de défenses exprimées dans les graines ne sont pas les mêmes à Montpellier et à Lille. C'est justement l'un des exemples de la complexification de nos conceptions et, en même temps, des démarches d'amélioration vers davantage de sécurité alimentaire. D'autant plus complexes d'ailleurs, qu'il faut également considérer que l'on ne pourra sans doute pas éliminer totalement les protéines de défense, au risque de ne plus récolter de graines viables, et que les manifestations d'allergie chez l'homme sont en perpétuelle évolution ...

M. le Président - Nos concitoyens voudraient des résultats tout de suite.

M. Yves Chupeau - Il faudrait vulgariser la recherche et ses acquis récents comme ceux que nous venons d `évoquer, tâche ardue ! mais essentielle pour modifier la vision trop souvent simpliste que véhiculent les organes de vulgarisation vers nos concitoyens, dont la vision de la vie sur terre reste trop poétique, et même contemplative (la nature est belle et bonne).

Dans un tout autre domaine, on comprend de mieux en mieux la régulation du développement des végétaux. On a su modifier l'allongement des cellules pour faire des céréales naines mais aussi productives. Une équipe australienne vient de vérifier que les mêmes séquences, les mêmes gènes de régulation, fonctionnent chez la vigne. A termes, il devrait être possible de mieux contrôler la végétation de la vigne, cette liane volubile, en favorisant la floraison, tout en freinant la végétation. Supprimer la taille, et ses conséquences sur les pathogènes de la vigne donc en favorisant une culture réellement biologique, devient envisageable ! Du moins en Australie où il y a moins d'états d'âme que parmi les producteurs conservateurs français qui n'hésitent pas à professer des contrevérités : la fausse culture biologique qu'ils professent

M. le Président - Les Australiens ont réussi à modifier la pousse de la vigne quand nous nous en restons à la taille...

M. Yves Chupeau - Oui, et en utilisant lourdement des traitements au cuivre, qui sont autorisés en production biologique, en raison du caractère « traditionnel » de ce type de traitement !

M. le Président - Quelle est la quantité de cuivre ?

M. Yves Chupeau - Il en reste très peu dans le vin, mais le problème réside dans l'accumulation du cuivre dans la terre, ce n'est pas un produit organique de synthèse consommable par les micro-organismes, c'est un élément métallique stable et toxique à forte dose pour toute forme de vie. Or, on utilise la bouillie bordelaise depuis plus de cent ans : pour les cultures pérennes, il arrive que le sol soit stérilisé sur un mètre de profondeur.

Lors d'une discussion âpre, un député vert de la région de Chinon a fini par m'avouer qu'en cas de replantation, les racines n'arrivent pas à prendre - celles des vieux plants demeurent car elles atteignent vingt mètres de profondeur.

M. le Président - Voilà un secteur emblématique. Cela intéressera notre collègue M. César. Nous devons considérer la modernité d'un autre oeil.

Les grands crus n'ont pas noué le dialogue...

M. Yves Chupeau - L'I.N.R.A. ou les organismes de recherche devraient effectivement s'intéresser à des résistances biologiques, et tendre vers une combinaison de types de protection, pour une gestion plus durable des territoires. Pour les grands crus, c'est d'abord une histoire de profit, l'argent gagné est, semble-t-il réinvesti par leurs propriétaires en Australie, au Chili...

Il convient ici de mener un effort d'information en direction de professionnels.

M. le Président - Surtout des grands crus. (Sourires)

La F.N.S.E.A. a une position ambiguë. Le syndicalisme agricole est en phase sinon de réconciliation, du moins de séduction avec nos concitoyens. L'image du passé les y aide mais cela demande du temps.

M. Yves Chupeau - Nos concitoyens demandent qu'on leur dise la vérité. Organisons la transparence. C'est bien la difficulté essentielle pour un certain nombre de productions. Comment gommer l'opacité en quelques mois ? Lors de mes causeries dans les universités ou dans les paroisses, je rencontre bien davantage le besoin de transparence, que la crainte mise en avant par les baromètres de la presse.

M. le Président - Et Terminator ?

M. Yves Chupeau - C'est un piège médiatique! Un tel système ne sera jamais à 100 % au point. Les catastrophes, non plus, ne sont jamais totales.

Certains développements auront nécessairement recours à de tels processus, je pense à la production de médicament par les plantes. Pourquoi les accepter pour la santé humaine et non pour les usages alimentaires ? L'absence de contamination virale me semble un considérable facteur de sécurité. On peut également envisager d'éviter toute dissémination d'un transgène bien spécifique.

Terminator existe déjà pour les semences hybrides (seize lignées parentales pour le maïs).

M. le Président - Il n'y a pas là de génie génétique.

M. Yves Chupeau - Ce n'est que de l'hybridation.

M. le Président - Les agriculteurs ne pourraient revenir à la semence initiale.

M. Yves Chupeau - Si on reste dans le schéma actuel de production, pour un niveau de revenu agricole, c'est exclu.

Mais il y a deux questions dans votre formulation, l'une sur la génétique, l'autre sur l'économie de la production. Pour le maïs, il est possible de revenir à des populations que les producteurs pourraient multiplier eux-mêmes, mais bien sûr avec des capacités de production moins élevées. ce qui paraît bien improbable dans la politique actuelle.

Mais que l'on chiffre les atteintes au sol, à l'environnement ...Le problème se cadre différemment.

Dans cette ligne de réflexion, il n'est pas inutile de revenir sur l'analyse du soja transgénique résistant à un herbicide. Nos collègues économistes avec leurs modèles de prédiction sont arrivés à la conclusion (sans doute partisane) que le soja transgénique n'a pas d'intérêt économique ! c'est sans doute que leurs modèles oublient de chiffrer l'économie de travail des producteurs, ainsi et surtout que le coût des atteintes à l'environnement d'autres pratiques culturales.

Le défi des scientifiques est de trouver les moyens d'une production moins demandeuse en produits phytosanitaires et en travail.

M. Christian Gaudin - Les viticulteurs de mon département sont très attentifs à la typicité du terroir.

M. Yves Chupeau - Je crois qu'il faut désormais se situer sur le terrain de la transparence, et c'est un tout.

Avoir autorisé le sulfate de cuivre et d'autres produits encore plus toxiques était suicidaire, même si leur durée de vie est réduite.

Sur les terrains, vous avez raison c'est une voie d'information. Encore faudrait-il être plus précis. Si l'on va vers la transparence, (credo de la Commission européenne), quelle part de qualité restera-t-elle au terrain, et quelle sera son influence sur les consommateurs ?

Voyez l'étiquette de cette eau minérale : Evian ou Vittel, le nom identifie un terroir, un territoire mais surtout une marque, donc un signal en fin de compte déconnecté du terroir !

14. Audition de Mme Yvette Dattee, Directeur du groupe d'étude et de contrôle des variétés et des semences, Membre de la commission du génie biomoléculaire.

M. le président - Je vous remercie d'être venue ici en vue d'éclairer la mission sur la transcription de la directive européenne 98-44 et pour faire le point sur cette question de société.

Directeur de recherche de l'Institut national de la recherche agronomique (I.N.R.A.) et membre de nombreux comités scientifiques, vous avez une carrière impressionnante pour le sujet qui nous intéresse.

Mme Yvette Dattee - Je vous remercie de me donner cette occasion d'aborder le contrôle des semences dans notre pays.

Le groupe d'étude et de contrôle des variétés et des semences (G.E.V.E.S.) est un groupement d'intérêt public (G.I.P.) entre l'I.N.R.A., le G.N.I.S. et le ministère de l'agriculture. Il expérimente et analyse les semences en vue de leur certification. Notre activité est fortement encadrée afin que les agriculteurs disposent de produits de qualité, conformes à leur description.

La production de semences est également très organisée. La France est le premier producteur européen et elle occupe la deuxième place au niveau mondial. Je pourrai vous communiquer ultérieurement sa part du marché mondial.

Pour les variétés, nous rendons nos avis par l'intermédiaire du Comité Technique Permanent de la Sélection auprès du ministère.

Chaque année, environ 1.200 variétés sont proposées en vue de leur inscription au catalogue national ; 400 à 450 sont retenues. Notons que ce catalogue possède environ 2.500 variétés potagères à l'échelle nationale, 12.000 à l'échelle communautaire et, respectivement 4.700 et 17.000 variétés de plantes agricoles.

Les caractéristiques agronomiques sont évaluées en fonction de plusieurs critères. Il est tenu compte de la productivité, mais aussi de la convivialité entre les variétés et l'environnement. Nous vérifions le l'originalité, la reproductibilité et la stabilité, de chaque variété. Nous réalisons ainsi une sorte de carte d'identité pour chaque variété.

Les variétés génétiquement modifiées subissent le même contrôle que les autres, en vue d'une autorisation de commercialisation, contrôle qui s'ajoute au dossier établi en réponse à la directive 90-220.

Depuis 1996, le G.E.V.E.S. étudie les variétés OGM, parfois dès le stade « recherche et développement ». Nous avons expérimenté du melon génétiquement modifié, du maïs, du blé mais pas de colza, en raison des contraintes imposées par la commission du génie biomoléculaire.

A ce jour, hormis les 15 variétés de maïs OGM au catalogue français, aucune décision n'a été prise par le ministère, bien que plusieurs autres variétés de maïs aient satisfait à toutes les épreuves. La durée de vie commerciale d'une variété ne dépasse guère dix ans, sauf cas particulier.

M. Daniel Raoul - Comment amortir les frais de recherche dans ces conditions ?

M. Hilaire Flandre - La nouvelle variété améliore la précédente !

Mme Yvette Dattee - En matière potagère, la durée de vie est encore plus brève notamment parce que les attaques de parasites évoluent, un peu comme le virus de la grippe.

M. le président - Quelles sont les tendances de la sélection variétale ?

Mme Yvette Dattee - Sans oublier la productivité, l'accent est mis sur les résistances à des bioagresseurs et la convivialité avec l'environnement.

M. le président - Quels sont les contrôles effectués ?

Mme Yvette Dattee - Pour les semences, ils portent sur les conditions de production, sur la qualité sanitaire et biologique. Malgré les précautions prises, une semence n'est jamais pure à 100 %, car du pollen peut parcourir de grandes distances..

Au départ, nous pensions que les impuretés O.G.M. seraient traitées comme les autres. A notre surprise, elles ont été considérées comme des fraudes.

Aujourd'hui, environ 9.000 équivalents emplois à temps plein sont consacrés à l'amélioration des semences. Je crains que l'hostilité aux O.G.M. ne fasse fuir les cerveaux d'Europe vers les Etats-Unis. Certaines entreprises ont engagé la délocalisation de leurs laboratoires, ce qui risque de pénaliser même la création de variétés conventionnelles.

M. Hilaire Flandre - Il faudrait le faire comprendre à M. Bové !

Mme Yvette Dattee - Je conçois très bien que l'on veuille disposer d'une agriculture biologique, mais la coexistence de plusieurs types d'agriculture ne doit pas s'accompagner d'une régression technique.

A l'extrême, avec les variétés O.G.M., on peut obtenir des résistances à certains parasites, donc éviter les traitements phytosanitaires, précisément refusés par l'agriculture dite biologique.

Sur le plan réglementaire, il y a des lacunes car les organismes de contrôle ne peuvent pas contrôler tout ce qui devrait l'être ; les niveaux de tolérance ne sont pas fixés ; les modalités de certification ne sont pas établies. Pour ce dernier point, nous avons mis au point sur une base volontaire un protocole avec les producteurs pour les premières variétés inscrites, mais il faut que ce dispositif soit rendu obligatoire.

Aujourd'hui, un obtenteur de variété OGM n'est pas tenu de faire connaître le moyen de reconnaître spécifiquement cet O.G.M. Je le regrette, les bases de données qui existent aux Etats-Unis et en Europe ne résolvent pas cette question.

Vous connaissez les contrôles effectués l'année dernière par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (D.G.C.C.R.F.) : certains ont abouti à des résultats ambigus. Malheureusement, il semble que la directive 2001-18 ne permettra pas de remédier totalement aux lacunes constatées.

M. le président - Pourriez-vous comparer le certificat d'obtention végétale et le brevet ?

Mme Yvette Dattee - Le certificat est délivré par une cinquantaine de pays, adhérents de l'Union pour la Protection des Obtentions Végétales, basée à Genève. La création du certificat est due à une initiative française, il y a quarante ans.

La différence avec le brevet tient au fait qu'une variété protégée peut être utilisée par tous les obtenteurs comme source initiale de variations. C'est un libre accès à la variabilité génétique, alors que le brevet interdit tout progrès sans accord de la personne possédant ce brevet.

La convention de l'UPOV a été revue en 1991 pour être adaptée aux nouvelles technologies notamment moléculaires. La notion de dérivation essentielle entre deux variétés a été introduite afin qu'un accord puisse être trouvé entre le producteur d'une variété dérivée (c'est-à-dire très fortement apparentée) et l'obtenteur de la variété initiale.

Il serait intéressant de se rapprocher de la FIS (Fédération Internationale des Semences) qui a fortement débattu du COV et des brevets lors de son congrès de juin 2002.

M. le président - On peut y voir la marque de l'influence américaine, néfaste pour le progrès.

Mme Yvette Dattee - Absolument. Il est profondément regrettable de se diriger vers quelques monopoles. Telle serait la conséquence de l'approche mercantile privilégiée par les Américains.

M. Hilaire Flandre - La protection apportée par les brevets peut-elle inciter à la recherche ?

Mme Yvette Dattee - Mais un obtenteur est très bien protégé par le certificat ! La seule difficulté vient de l'hésitation des petits producteurs à faire valoir leurs droits.

M. Claude Saunier - Nous sommes confrontés à la volonté hégémonique d'un pays, comme avec Microsoft dans la sphère informatique.

M. le président - Qu'en est-il du brevet de procédé ?

Mme Yvette Dattee - Dans notre domaine, je doute qu'il présente un grand intérêt.

Sur un autre plan, le débat sur les O.G.M. est difficile pour les généticiens, mais il a une vertu : le regain d'intérêt pour la génétique des populations et l'ensemble des organismes vivants.

M. Christian Gaudin - Quelle peut-être la fonction l'Office Communautaire des Variétés Végétales ?

Mme Yvette Dattee - L'Office communautaire est une structure administrative et juridique, qui délivre les certificats d'obtention à l'échelle communautaire. Il n'a pas lui-même de structure technique mais s'appuie sur des structures comme le GEVES au sein de l'U.E.

Nous avons réalisé des études sur des lignées de maïs O.G.M. pour l'office communautaire.

M. Christian Gaudin - Pourriez-vous préciser les limites de tolérance ?

Mme Yvette Dattee - Tout dépend des produits. Je ne peux pas fournir de réponse chiffrée générale.

M. le président - Je vous remercie pour les informations que vous avez communiquées à la mission.

15. Audition de MM. Claude Delpoux et Bernard Foussat, de la Fédération française des sociétés d'assurance (F.F.S.A.)

M. Jean Bizet - Messieurs, je souhaiterais aborder avec vous la question difficile de la coexistence de deux formes d'agriculture, l'une recourant aux OGM l'autre pas, et envisager les problèmes d'assurance que cette coexistence soulève. Pour information, je rappellerai que l'agriculture biologique représente 1,4 % de la surface agricole utile de ce pays, mais que son poids est bien supérieur dans les esprits.

MM. Claude Delpoux et Bernard Foussat - Les assureurs sont très réservés sur la question du risque OGM. Il y a pour nous deux risques en la matière : un risque environnemental par pollinisation. Ce risque pose deux problèmes : un problème d'aléa et un problème de quantification et de mesure de ce risque en l'état actuel des connaissances. Le deuxième grand risque, c'est le risque pour la santé des produits contenant des OGM. Les avis scientifiques sur ce point sont assez divergents, certains rassurants, d'autres plus dubitatifs. Si l'on a considéré qu'il n'y a pas de risque (et on peut penser que les produits autorisés par les pouvoirs publics sont considérés comme sans risque) et que, quelque temps après, des dommages apparaissent imputables aux OGM, on se trouve dans le cas d'un risque de développement, c'est-à-dire un dommage que l'on ne pouvait pas prévoir au moment de la mise en circulation. Or, ce type de risque est inassurable : on ne peut en connaître ni le contenu, ni les effets. Les assureurs l'ont dit dans leur « livre blanc » sur l'assurance responsabilité civile il y a deux ans. Le risque de développement est donc exclu des garanties d'assurances de responsabilité civile.

L'assurance responsabilité civile est en période de crise comme on peut le voir avec les problèmes de l'assurance de RC médicale. Le contexte économique entraîne des retraits de capacité et donc des réflexes de prudence chez les assureurs. Il est donc impossible aujourd'hui de dégager des capacités pour parer des risques nouveaux, le marché lui-même ne dégageant plus de capacités.

Si l'assureur peut avoir la certitude de la limite de ses engagements, en montant comme en durée, et si le contexte économique et financier s'améliore, on pourrait peut être envisager les choses avec plus d'ouverture. Car un des rôles de l'assurance est d'accompagner les innovations, c'est certain, mais de manière prudentielle.

Concernant les questions de responsabilité civile, il faut voir les limites du dispositif actuel de responsabilité civile, qui exige un lien de causalité entre un dommage et un fait générateur.

Concernant le risque produit, cela sera difficile d'établir ce lien donc les mécanismes de responsabilité civile ne règlent pas toujours la réparation des dommages. Sur le risque produit, on pourrait imaginer, puisque la technique juridique existe aux Etats-Unis, de décharger la responsabilité civile sur l'ensemble des producteurs d'OGM, mais cela rendrait les producteurs inassurables.

M. Hilaire Flandre - Le risque OGM serait inassurable s'il était illimité !

MM. Claude Delpoux et Bernard Foussat - On peut limiter les délais de prescription de l'action en responsabilité. Mais le délai de prescription commence à la date où le dommage se manifeste. Or, le problème essentiel concerne les dommages dont l'imputabilité est très décalée, c'est-à-dire lorsqu'on recherche une responsabilité pour des faits extrêmement lointains.

Se pose donc une question liée aux mécanismes de l'assurance : l'engagement de l'assureur de responsabilité ne peut se prolonger très longtemps après la fin du contrat d'assurance. Donc, sur les risques longs, type OGM, l'assureur ne peut couvrir les risques que pour les réclamations présentées pendant la durée du contrat, sinon l'assureur ne peut plus faire ses comptes. On pourrait s'inspirer de la loi « About » sur les limites des contrats d'assurance pour la responsabilité médicale.

Quant à la question de savoir s'il conviendrait d'alléger le lien de causalité en responsabilisant tous ceux qui ont une activité, j'exprimerais de grandes réserves car la responsabilité est une relation individuelle entre la victime et le responsable, donc je crois très utile de garder la rigueur de ce lien de causalité. Si on est dans une logique de risque zéro, il faut déterminer ce qui doit être financé par des assurances directes et ce qui doit relever de la responsabilité.

M. Hilaire Flandre - L'assurance, pour moi, c'est l'organisation de la solidarité, donc je crois qu'il faudrait revenir à des choses plus raisonnables au lieu de dériver vers le système américain en matière de tabac, d'amiante, etc...

MM. Claude Delpoux et Bernard Foussat - La prime d'assurance n'est que le prix du risque. Il faudrait, pour être complet, évoquer non seulement les dommages causés à des tiers mais aussi les atteintes à la biodiversité. On rejoint ici le débat européen qui se développe aujourd'hui dans la perspective de l'examen de la proposition directive sur la responsabilité environnementale. Les assureurs européens pensent qu'il ne faut pas inclure le risque OGM dans cette directive.

Pour les entreprises, si ce risque est pris en compte au niveau de l'environnement, il faudra le réparer. Cette réparation a un coût qui doit être évalué. Or, il est difficile voire impossible d'évaluer le coût de la disparition de telle ou telle espèces, par exemple celui des abeilles..

M. Hilaire Flandre - Il n'est pas possible que les abeilles aient été modifiées. Depuis des générations, les plantes sont génétiquement modifiées en permanence.

M. Bernard Foussat - Oui, sans doute étaient en fait visés les pesticides, mais en rendant les plantes tolérantes aux pesticides, nul ne peut savoir s'il n'y aura pas des conséquences sur les insectes.

M. Jean Bizet - Finalement, la proposition que notre rapport pourra peut être avancer, ce serait d'encadrer l'assurance dans le temps et en montant.

16. Audition de M. Roland Douce, professeur à l'université Joseph Fourrier à Grenoble, membre de l'Académie des Sciences

M. le président - Merci d'avoir accepté d'être auditionné par notre mission, dont le travail s'inscrit notamment dans la perspective de la transposition des deux directives à venir, et éventuellement d'une loi fondatrice sur les biotechnologies. Il me semble qu'il était inédit de voir des scientifiques s'exprimer clairement sur ce dossier et je remarque que pour la première fois la presse s'en est fait l'écho.

M. Roland Douce - Vous avez devant vous un homme humilié. Je ne pensais pas qu'on pouvait avoir en face de soi des gens aussi intolérants et fanatiques. J'ai reçu des coups de fil, des e-mails, des tracts dans ma boîte à lettres, des tracts dans celles de mes voisins. J'estime que la presse est complice du dénigrement dont j'ai été, avec d'autres, l'objet. Toute l'agrochimie est en train de disparaître de France, ce qui a comme conséquence que nous sommes livrés pieds et poings liés à l'hégémonie multinationale. Compte tenu de ce que j'ai enduré, si c'était à refaire, je ne le referais pas. J'ai appris beaucoup. J'aurais du savoir déjà que les OGM étaient condamnés pour au moins dix ans en France, car les grandes multinationales de l'agroalimentaire (les grands prédateurs au sens où l'entendait Michel Serre) se sont emparés des semences transformées avivant ainsi la méfiance des petits paysans.

Un deuxième élément a jeté le discrédit sur les OGM. Les militants d'ATTAC ont associé ces derniers aux grands problèmes de sécurité alimentaire (Vache folle en particulier). Je voudrais rappeler ce qui s'est passé dans le cadre de la vache folle : les premiers responsables ont été les fabricants de farines animales, qui ont décidé d'abaisser la température de préparation des farines de deux degrés pour faire des économies mais ce qui a entraîné la survie du prion agent causal de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Cet amalgame a tué le développement des OGM pour longtemps, en France. Aujourd'hui, il faut du courage pour les défendre.

Je voudrais revenir sur l'origine du rapport de l'Académie des Sciences. Ce rapport est né d'une décision de l'Académie prise en juillet 2000, ce qui prouve qu'elle n'était aucunement liée à l'actualité. J'ai accepté du bout des lèvres l'animation du groupe de travail de scientifiques venus de différents groupes de recherche. Une des originalités de ce rapport est que tous ses auteurs blanchis sous le harnais, maîtrisent les outils de la transgénèse. Nous avons adjoint, à la demande du comité RST (rapports sur la science et la technologie) de l'Académie, deux personnalités du monde de l'industrie. Je précise que jusqu'à la fin de 1998, j'ai dirigé une unité mixte Rhône-Poulenc/CNRS, impliqué dans des études portant sur la synthèse des acides aminés et des principales vitamines. Le partenaire industriel nous a bien soutenu, mais nous n'avions rien à voir avec les OGM. Soit dit en passant, je rappelle que tous nos grands scientifiques français ont toujours, de près ou de loin, travaillé avec les industriels. Ce rapport donne l'avis de l'Académie des Sciences et nous n'avons fait l'objet d'aucune pression ou d'aucune intervention d'industriels impliqués dans les OGM : je ne l'aurais pas accepté. Les conclusions en sont très mesurées. Pour le critiquer, des phrases ont été sorties de leur contexte. Après des discussions difficiles, nous sommes arrivés à un consensus, qui consiste essentiellement en trois recommandations principales :

- « une introduction raisonnée et prudente, au cas par cas, des plantes transgéniques dans l'agriculture, et cela sous l'égide de la Commission du génie génétique (CGG), de la Commission du génie biomoléculaire (CGB), du comité de biovigilance et de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) ».

- « le groupe recommande d'autoriser et de développer des recherches visant à accroître les connaissances indispensables à une évaluation raisonnée des conséquences de ces avancées (avantages et risques potentiels), tout en garantissant l'indépendance des chercheurs des organismes publics face aux impératifs économiques et aux pressions diverses ».

- « le groupe recommande de mieux sensibiliser les chercheurs à la communication scientifique, en les plaçant résolument à l'interface de la science et de la société. »

Je voudrais enfin rappeler que notre rapport a souligné le fait que les OGM soulèvent des problèmes d'ordre sociologiques, comme le contrôle de l'outil par les grandes multinationales, ou la mise en concurrence d'agricultures différentes.

M. le président - Comment peut-on imaginer favoriser en France une agriculture diverse, sans contamination ?

M. Roland Douce - Le sujet de la pollution génique est extrêmement intéressant : on pourrait en discuter des heures entières. Prenons l'exemple de la ricine, un poison violent présent dans les graines de Ricin. Les gènes impliqués ne se sont jamais propagés d'une plante à l'autre. Cela nous amène à relativiser en partie, sans les écarter, les problèmes liés à la pollution génique. Je prendrais un deuxième exemple, le maïs. Ce dernier dérive d'une petite plante, la téosinte. Cette petite plante est ramifiée, avec de petits épis et des grains coriaces. Nous savons maintenant qu'il y a eu cinq mutations génétiques entre la téosinte et le maïs et dont les gènes sont à présent connus. La première mutation a fait d'une plante ramifiée une plante à un épi. La deuxième mutation a concerné la disposition des grains dans l'épi, etc. Les Indiens d'Amérique centrale ont sélectionné ces traits il y a plus de 5000 ans. Pourquoi les Indiens se seraient-ils privés de ces améliorations successives ? Aujourd'hui la téosinte existe toujours et le maïs est cultivé a proximité de cette dernière, alors même que la fécondation croisée est possible. Par ailleurs, les OGM de première génération étaient « brouillons » ils contenaient, en particulier, des marqueurs résistants à des antibiotiques. Ces marqueurs ne sont plus utilisés à l'heure actuelle. Enfin les gènes que nous ingérons ne s'intègrent pas dans notre patrimoine génétique : Ils sont détruits très rapidement dans notre tractus intestinal. N'oublions pas que dans un gramme de feuille d'épinard il y a 30 milliard de gènes !

Il y a des pollutions avérées, par exemple du colza OGM vers le colza non-OGM. La contamination chiffrée au Canada, grand producteur de Colza OGM, est de l'ordre de 0,7 à 1 %. Curieusement quand on fait un potager, on ne se demande pas si cela va contaminer les autres plantes. En fait les risques sont les mêmes pour les variétés obtenues d'une façon traditionnelle (hybridation sexuée intra ou interspécifique ou exploitation de mutants) (voir le dernier rapport de l'Académie des Sciences Américaine).

Sur les questions de contamination d'autres cultures, je vous rappelle, à titre indicatif, que la durée de vie du pollen du maïs est assez courte, et près de 90 % tombe dans un rayon de cinq à dix mètres. Le pollen de colza est sans doute plus résistant. La maîtrise des contaminations croisées devrait obligatoirement passer par une connaissance très fine de la physiologie du pollen.

M. le président - Quelle est votre approche de la contamination dans le cadre du molecular pharming ?

M. Roland Douce - Dans le cas du Molecular Pharming (production d'anticorps, de vaccins, de molécules diverses) la vigilance à ce niveau doit être importante notamment en ce qui concerne les contaminations éventuelles vers les espèces apparentées cultivées ou sauvage. Une certaine distance entre les cultures doit être maintenue. En revanche entre les espèces non apparentées le risque est nul. Ainsi Il existe un chardon d'Afrique du nord qui fabrique un poison terrible, l'atractylate. C'est un poison diabolique, qui agit à des doses extraordinairement faibles. Depuis quatre millions d'années que les gènes impliqués dans la synthèse de ce poison existent, on ne les a jamais vu se propager d'une plante à l'autre. Même chose pour les opiacées, etc. Bien sûr, le risque zéro n'existe pas. Bien sûr les risques liés à l'ignorance d'un problème sont possibles.

En réalité, les OGM peuvent permettre une agriculture beaucoup plus propre et accessible à tous, respectueuse de l'environnement. Les outils de la transgénèse pourront, j'en suis sûr, diminuer l'utilisation des pesticides (un mal malheureusement nécessaire). Aujourd'hui, si du jour au lendemain, on supprimait les pesticides homologués sans les remplacer, l'humanité n'y survivrait pas. Je rappelle que les petits jardins particuliers représentent 7 % de la pollution française en herbicides et pesticides.

Notre rapport n'est peut-être pas parfait, mais ses auteurs avaient du courage. Je suis sceptique sur notre possibilité de faire changer les choses d'autant plus que la population très mal informée, n'est pas très favorable aux OGM. De plus si le Gouvernement levait le moratoire, il n'arriverait pas à appliquer la loi. Pourquoi Greenpeace ne saccage-t-il pas les cinquante millions d'hectares d'OGM dans le reste du monde et notamment aux Etats-Unis ? Je crois que cette guerre est en grande partie perdue. Mon conseil serait de tout remettre à plat. Il y a des opposants qui soulèvent de bonnes questions et que je respecte, en particulier sur l'utilité des OGM. C'est la raison pour laquelle l'introduction d'un OGM dans l'agriculture doit être associé impérativement à un critère d'utilité.

Quant à la brevetabilité du vivant, j'ai écrit récemment un petit article là-dessus à Grenoble. Je ne suis pas pour breveter le génome ; c'est le patrimoine commun. Par contre, si après avoir manipulé un gêne, on découvre quelque chose qui a une très grande valeur ajoutée, ne peut-on pas imaginer un brevet raisonnable ? Les critiques sur ce plan s'appuient sur une part de vérité, qui fait peur à juste titre. Je serais donc d'accord pour breveter, mais avec des nuances.

17. Audition de M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie

Mme la présidente - Monsieur le Ministre, bienvenue devant la mission d'information sur les OGM, qui fonctionne depuis neuf mois.

Nous avons auditionné de nombreuses personnalités, de nombreux entrepreneurs et chercheurs, des gens de l'agro-alimentaire, de la recherche. Il était important que nous auditionnions aussi le ministre de la consommation.

Monsieur le Ministre, vous avez la parole.

M. le ministre - Merci, Madame la Présidente.

Le ministre de la consommation, lui, est inspiré par un objectif très important, celui de la bonne information du consommateur et de la transparence la plus complète de l'information, que ce soit sur ce sujet ou sur d'autres.

Les OGM sont des organismes vivants dont le génome a été modifié grâce au génie génétique, technique qui permet d'ajouter des gènes provenant d'une autre espèce.

Que cherche-t-on avec les OGM ? On cherche à transférer des propriétés nouvelles à l'OGM qui vont lui conférer un avantage par rapport à l'organisme initial.

Ces techniques ont des applications importantes, notamment dans le secteur industriel, en agriculture avec l'obtention de végétaux tolérants à des herbicides ou résistants à des insectes ravageurs des cultures, en médecine pour la fabrication de vaccin, en alimentation pour la fabrication d'auxiliaires technologiques et d'ingrédients alimentaires, de fruits à maturation retardée, tout ce qui peut permettre de faire progresser la qualité des aliments.

Les biotechnologies sont désormais considérées comme un secteur stratégique sur le plan scientifique et économique.

Néanmoins, l'introduction et le développement des OGM ont suscité de nombreuses interrogations en Europe, en particulier depuis la fin de l'année 1996, date d'arrivée des deux premiers OGM à vocation alimentaire en provenance des Etats-Unis, un soja tolérant à l'herbicide et un maïs résistant à un insecte.

Depuis, les associations de défense de l'environnement d'une part et de consommateurs d'autre part ont émis des doutes sur l'innocuité des OGM vis-à-vis de l'environnement et de la santé humaine et ont également revendiqué un étiquetage précis pour que le consommateur puisse exercer pleinement sa liberté de choix.

Les avantages des OGM -augmentation des rendements agricoles, moindre impact sur l'environnement- ont été contestés, alors que des effets socio-économiques insidieux ont été également reprochés à ces nouvelles technologies. Je pense à l'augmentation de la dépendance des agriculteurs vis-à-vis des semenciers et également au problème de brevetabilité du vivant.

Ces inquiétudes, largement relayées par la presse, ont fait du sujet des OGM un sujet grand public qui intéresse l'opinion publique dans son ensemble.

Voilà le contexte particulier des OGM, qui en fait un dossier sensible et important pour le ministre de la consommation que je suis, mais aussi pour tous ceux qui s'intéressent à la santé publique et au développement économique, notamment dans le cadre de ce que l'on peut appeler le développement durable.

Ce sujet a fait l'objet de très nombreux rapports ou sources d'informations très différentes et très complètes. Je voudrais juste évoquer le dernier en date, non pour le reprendre à mon compte dans ses conclusions ou dans ses analyses, mais pour le livrer à votre appréciation, car je pense que c'est un élément nouveau qui est aujourd'hui à notre disposition.

Il s'agit de l'avis de l'académie des sciences du 10 décembre 2002 qui, dans sa tonalité générale, apporte des éléments rassurants pour la santé en ce qui concerne les OGM, avec quelques points que j'évoque brièvement.

Premier constat de l'académie des sciences : il n'existe aucun risque particulier lié au mode d'obtention des OGM. L'académie nous indique que l'ADN du génome des OGM est semblable à celui des autres génomes, ce qui implique que, dans l'intestin, cet ADN est dégradé lors de la digestion.

Second point : l'académie estime que les risques éventuels des OGM pour la santé sont contrôlables. Il existe un danger potentiel des OGM, dit l'académie, mais qui est dû aux protéines dont la synthèse est codée par le gène introduit.

C'est donc au cas par cas, selon l'académie, et selon des protocoles précis et bien définis au niveau national et européen, qu'il faut vérifier l'absence de toxicité ou de réactions allergiques, comme ceci doit être d'ailleurs effectué pour tout nouvel aliment.

Troisième point : les avantages escomptés l'emportent sur les risques éventuels, toujours selon l'académie, qui estime que les OGM ouvrent, notamment pour l'alimentation, des perspectives très favorables, qu'elle évoque : limitation de l'usage des pesticides et des insecticides -donc action en faveur de l'environnement- amélioration de la qualité des aliments permettant de lutter contre certaines carences -carence en fer, carence en vitamines- et action contre les déséquilibres alimentaires, notamment les excès de corps gras saturés, dont les effets nocifs ne sont plus à décrire.

L'académie estime que les perspectives thérapeutiques sont également très prometteuses et considère que les contraintes réglementaires qui limitent la recherche sur les OGM et leur utilisation mériteraient d'être considérées.

Je voulais vous livrer cet avis, dans la mesure où il me paraît contribuer également, avec toutes les précautions dont il doit être entouré, à la bonne information de votre commission.

Qu'en est-il plus particulièrement de mes attributions et de ce contrôle que nous exerçons ? Depuis 1998, la DGCCRF entreprend régulièrement des enquêtes dans toutes les filières concernées par les OGM, et notamment dans le secteur de l'alimentation, afin de vérifier les moyens mis en oeuvre par les professionnels pour respecter les exigences de loyauté -publicité mensongère sur l'absence d'OGM qui pourraient éventuellement être détectées, mais également exigence de bonne information des consommateurs et des utilisateurs.

Quel est le bilan de ces contrôles ? Les contrôles réalisés montrent que, pour les filières bien réglementées au niveau communautaire -essentiellement les filières semences et alimentation humaine- les anomalies sont peu nombreuses, et même de moins en moins nombreuses comparées aux premières campagnes de contrôle.

Ceci reflète la prise en compte par les semenciers et les industriels de la filière agro-alimentaire des revendications des consommateurs, qui ont été entendus, ainsi que des agriculteurs.

Ainsi, mis à part des cas possibles de contamination de semences conventionnelles par les OGM, aucune semence génétiquement modifiée n'est commercialisée en France.

Seulement 15 hectares de maïs génétiquement modifiés étaient cultivés en 2001 à des fins commerciales, contre 1.500 en 1998.

De même, en alimentation humaine, les opérateurs ont mis en place des filières tracées afin de s'assurer qu'ils n'ont pas à étiqueter leurs produits finis.

L'absence de réglementation communautaire spécifique aux OGM pour la filière de l'alimentation animale fait qu'il est aujourd'hui difficile de faire un bilan de la réelle utilisation des OGM pour cette filière.

Toutefois, il semble que ce secteur soit moins attentif à la problématique OGM, en partie du fait de cette lacune réglementaire.

A cela, s'ajoute l'interdiction des farines animales, qui oblige les opérateurs à se tourner vers d'autres sources de protéines, comme le soja, massivement importé de pays tiers.

Les données relatives au contrôle dans les autres Etats membres sont peu nombreuses. Toutefois, pour la filière de l'alimentation humaine, le programme coordonné de contrôle des denrées alimentaires en matière d'OGM au niveau communautaire, qui se termine au printemps 2003, devrait permettre d'avoir une vision globale sur l'ensemble de ces contrôles dans la zone de l'Union européenne.

Où en est la situation communautaire ? Le cadre réglementaire relatif aux OGM est un cadre communautaire. Il porte sur la sécurité, l'information et l'étiquetage, ainsi que sur la protection des inventions biotechnologiques.

En ce qui me concerne, je suis essentiellement les deux premiers aspects -sécurité et information/étiquetage.

En matière de sécurité tout d'abord, pour s'assurer que les OGM ne présentent pas de risques pour la santé et l'environnement, une première directive, la directive 90-220, a instauré un système d'autorisation préalable, reposant sur une expertise scientifique, d'abord nationale, dans le pays où la demande est déposée, puis communautaire.

La seconde directive, la directive 2001-18, applicable depuis le 17 octobre dernier, abroge la directive 90-220 et augmente la prise en compte des effets des OGM sur l'environnement et la santé, conformément au principe de précaution dont l'exigence est diffusée dans les populations.

De plus, les autorisations seront délivrées pour dix ans, période à l'issue de laquelle il y aura une nouvelle évaluation pour s'assurer que l'autorisation peut être renouvelée.

La stratégie adoptée pour ces directives a été d'élaborer un dispositif horizontal s'appliquant à tous les OGM puis, en fonction des besoins, de mettre en place des mesures spécifiques plus adaptées à tel ou tel domaine. Par exemple, en alimentation humaine, le règlement 258-97, qui reprend le principe de l'expertise communautaire, s'applique aux ingrédients OGM et dérivés -farine, amidon, etc.

En matière d'étiquetage, la volonté d'informer le consommateur ne s'est manifestée que progressivement dans l'Union européenne, essentiellement d'ailleurs sous la pression de la France.

Cet étiquetage n'était prévu, en 1990, qu'en cas de risques pour la santé. La réglementation applicable à la filière de l'alimentation humaine, et notamment le règlement n°1139/98, a introduit l'étiquetage des OGM et des produits dérivés à des fins d'information du consommateur, à l'exception des cas de contamination fortuite. Dernièrement la directive 2001-18 a étendu ce principe à tous les OGM, indépendamment de leur utilisation.

Ces lacunes en matière d'étiquetage, liées à l'absence d'obligation de traçabilité, ont conduit sept Etats membres -la France, le Luxembourg, l'Italie, le Danemark, la Grèce en 1999, rejoint par l'Autriche en 2001, puis plus récemment la Belgique- à indiquer qu'ils ne souhaitaient pas que de nouvelles autorisations soient délivrées tant que l'Europe ne disposerait pas d'une réglementation complète. Ce moratoire a été instauré en 1999.

Deux projets de règlements (l'un relatif à la traçabilité des OGM et de leurs dérivés alimentaires, l'autre concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés), nécessaires dans leur adoption pour que ce moratoire soit levé, ont été proposés par la Commission européenne en 2001 afin de compléter le cadre réglementaire existant, pour identifier clairement des produits à tous les stades, sur la base d'échanges d'informations entre les opérateurs et tout au long des filières et, en second lieu, pour rendre obligatoire et systématique l'information sur la nature génétiquement modifiée des denrées alimentaires et des aliments pour animaux.

Le principe d'un seuil d'exemption d'étiquetage en cas de présence fortuite est repris.

La valeur de ce seuil a fait l'objet de nombreuses discussions. Elle est pour l'instant fixée dans ce projet de règlement à 0,9 %.

Ce texte prévoit également de tolérer des OGM non-autorisés, mais évalués en Europe, sous réserve qu'ils soient présents de façon fortuite en dessous de 0,5 %.

Ces deux projets de règlement ne sont pas encore applicables, puisqu'ils viennent de faire l'objet d'un accord politique au Conseil de fin 2002 et qu'il reste au Parlement européen à donner son aval, ce dernier ayant, en première lecture, indiqué qu'il souhaitait des dispositions plus strictes encore en matière d'étiquetage. Il est donc à ce jour difficile de prévoir la date à laquelle ces négociations seront achevées.

Une fois en application, ces règlements devraient permettre un encadrement plus rigoureux des OGM et de leurs dérivés, tant au niveau des procédures d'autorisation que des dispositions d'étiquetage.

Mon ministère a participé activement à ces négociations, en veillant à trouver un compromis entre les revendications du milieu professionnel -secteur agricole et professionnel- et les attentes des consommateurs.

Je peux peut-être maintenant répondre à vos questions.

Mme la présidente - Etes-vous en mesure de préciser les dates de lecture par le Parlement européen des textes communautaires relatifs à l'étiquetage et à la traçabilité, sur lesquels les conseils des ministres de l'agriculture du 28 décembre et de l'environnement du 29 décembre ont adopté une position commune ?

Estimez-vous qu'à l'issue de la lecture de ces textes par le Parlement européen, le moratoire sera levé, puisque sont réunies les deux conditions posées par les pays les plus réticents ?

Jugez-vous que les consommateurs sont prêts à accepter la levée du moratoire en raison de la finalisation de cette réglementation communautaire ?

M. le ministre - En ce qui concerne les dates de lecture par le Parlement européen, on peut imaginer que la transmission des projets de règlement soit opérée fin février-début mars au plus tôt puisque, dans l'intervalle, il faut que les accords réalisés fassent l'objet d'une mise en cohérence des considérants et d'une vérification linguistique, formalités indispensables et préalables à la transmission.

En ce qui concerne les suites que pourrait avoir cette transmission sur la levée du moratoire, la France a, depuis le début, exigé des mesures effectives et fiables en matière d'étiquetage et de traçabilité.

Elle a indiqué qu'elle ne souhaitait pas la reprise des autorisations communautaires avant l'entrée en vigueur, par la publication au journal officiel des communautés européennes, de ces deux règlements. Seule cette échéance permet aux opérateurs d'avoir connaissance des obligations qui leur incombent.

Pour autant, la position de la France sera-t-elle effective ? On peut s'interroger, dans la mesure où les autres Etats membres à l'origine du moratoire -Grèce, Danemark, Luxembourg et Autriche- n'ont pas encore clairement indiqué s'ils souhaitaient ou non reprendre les autorisations.

En second lieu, ces Etats membres constituent une minorité de blocage. La Commission est consciente que la réglementation présentait des lacunes. Elle n'avait pas, jusqu'à présent, soumis au vote de nouveau projet de décision d'autorisation.

En revanche, elle a indiqué que, compte tenu des accords politiques intervenus sur les deux projets de règlement, elle reprendrait les procédures d'autorisation courant 2003.

En conséquence, on peut envisager que de nouvelles autorisations soit accordées avant la finalisation des négociations par le Parlement et le Conseil sur les projets de règlements.

Si tel était le cas, il serait alors nécessaire de rappeler aux citoyens français qu'un Etat membre ne peut suspendre sur son propre territoire une autorisation accordée au niveau communautaire que pour des raisons de risques potentiels pour la santé ou l'environnement, ce qui n'est pas le cas par définition, puisque tous les OGM en attente d'autorisations ont fait l'objet d'un avis scientifique favorable et sont donc réputés ne pas voir d'impact sur la santé ou l'environnement.

Pour information, plus de 20 dossiers sont en cours d'autorisation. Il s'agit d'OGM déjà autorisés en Europe pour une application différente, d'espèces végétales modifiées déjà autorisées et présentant de nouvelles caractéristiques -par exemple la modification de la teneur en acides gras- ou de nouvelles espèces végétales génétiquement modifiées -par exemple la pomme de terre, betterave sucrière et le coton.

Mme la présidente - Le représentant américain au commerce a annoncé qu'il était personnellement d'avis que les Etats-Unis devaient maintenant porter l'affaire devant l'OMC. Comment interprétez-vous cette déclaration ?

S'agit-il d'exercer une nouvelle pression afin de précipiter la levée du moratoire, maintenant que l'arbitrage politique du Conseil a été rendu, ou faut-il voir une véritable annonce, les Etats-Unis ayant décidé de ne pas attendre la fin du processus législatif européen pour porter plainte devant l'OMC ?

Si la plainte venait à être examinée par l'OMC, quelles seraient selon vous ses chances de succès ? Dans quelle mesure l'Union européenne peut-elle invoquer le principe de précaution ?

M. le ministre - Ces menaces sont anciennes et remontent maintenant à pratiquement cinq ans.

Il existe deux sources de contentieux : le moratoire et le dispositif envisagé dans les projets de règlement.

Le maintien du moratoire peut entraîner un risque contentieux à court terme non seulement devant l'OMC, mais aussi devant la Cour de justice européenne, auprès de laquelle les pétitionnaires, dont les dossiers sont bloqués à l'heure actuelle, pourraient introduire des recours.

Il me semble que les récents accords politiques intervenus sur le dossier OGM montrent que les négociations avancent et que la bonne volonté de l'Union européenne ne peut être contestée, ce qui me paraît constituer un élément favorable et devrait prévenir ce contentieux.

Par ailleurs, on peut s'interroger sur l'intérêt qu'il y a pour les Etats-Unis, en termes de communication, notamment vis-à-vis des opinions publiques, à s'attaquer à l'Europe, qui revendique la mise en place de règles complètes en matière d'étiquetage avant de reprendre les autorisations ? Ce n'est pas un terrain facile pour nos amis américains !

On a vu notamment les contestations qu'a pu inspirer l'envoi d'aides humanitaires contenant des OGM sans étiquetage en Afrique, ce qui montre bien que la politique américaine n'est pas toujours très bien perçue ou comprise par l'opinion internationale.

En ce qui concerne le contenu des règlements, je crois que les risques sont moins importants pour deux raisons.

Il existe au niveau international un protocole de biosécurité qui cherche lui aussi à réglementer le commerce international des OGM, qui sont de ce fait déjà considérés, au niveau de ce protocole, comme des marchandises particulières et non comme des marchandises banalisées.

Ce protocole prévoit également la transmission d'informations, certes moins précises que ce que nous prévoyons, mais l'objectif d'information du consommateur existe et constitue une reconnaissance de la nécessité de faire état de la présence d'OGM dans un produit, même de présence potentielle.

En second lieu, de nombreuses discussions sur la question des OGM ont eu lieu dans les différents comités du Codex Alimentarius, qui sert de référence en cas de litige devant l'OMC. L'évaluation et la traçabilité des OGM sont à l'heure actuelle discutées dans le cas du groupe de travail intergouvernemental sur les aliments dérivés des biotechnologies.

Je crois que plusieurs options sont débattues. Elles sont présentes à niveau égal dans le document de travail, et il me semble qu'il serait difficile pour les Etats-Unis, pour ces raisons, de porter un différend devant l'OMC sur l'étiquetage, dès lors que nous nous trouvons dans ce contexte de débat et, en même temps, de respect des différentes positions en présence.

En cas de plainte, on connaîtra précisément les arguments mis en avant par l'Europe. Je pense que l'Europe peut avancer et que le moratoire n'a pas été instauré pour des raisons liées aux risques potentiels des OGM, mais que la revendication principale, notamment celle portée par la France, était une meilleure information des consommateurs et des utilisateurs.

Encore une fois, je vous rappelle que ce qui a inspiré le moratoire, c'est la bonne information des consommateurs et la nécessité de mettre en place des règles permettant que cette information soit totalement assurée.

Mme la présidente - Que pensez-vous de la faisabilité d'une filière non-OGM et quel pourrait être son avenir ?

M. le ministre - La question porte surtout sur l'avenir puisqu'à l'heure actuelle, les filières agricoles européennes, compte tenu du contexte, sont des filières non-OGM.

La question de faisabilité de telles filières ne se pose pas actuellement. En revanche, si les OGM viennent à se développer en Europe, on peut s'interroger sur la possibilité technique de maintenir ce type de filière non-OGM. Pourquoi ? Parce que les exploitations agricoles européennes sont de taille modeste comparées aux exploitations américaines qu'il peut paraître très difficile de maintenir ces filières, sauf à imaginer que l'on mette en place des régions ou des territoires totalement exempts de culture d'OGM, ce qui n'est pas facile.

Peut-il être intéressant, sur le plan économique par exemple, de maintenir des filières non-OGM en termes d'échange commerciaux ? On peut l'imaginer. Certains pays, comme la Chine, n'ont aucun seuil de tolérance en matière d'étiquetage. Ailleurs, on voit bien que, maintenant, certains consommateurs américains ou canadiens commencent à revendiquer l'étiquetage de ces produits.

On pourrait imaginer que le maintien de produits exempts d'OGM représente, à moyen terme, une voie de valorisation de la production française et européenne.

Il faut cependant constater que le nombre de pays susceptibles de fournir des quantités importantes de produits agricoles exempts d'OGM est très limité et que l'adoption de seuils de présence fortuite peu élevés pourrait constituer un atout non négligeable pour un pays comme la France.

Toutefois, je suis très prudent sur ces perspectives car, sur le plan technique, on peut imaginer que la contamination rende très difficile la mise en place de ces filières totalement garanties sans OGM. Il faut également s'interroger sur l'intérêt qu'aurait la France en tant qu'exportateur à s'engager dans cette voie.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Le Conseil a décidé que les aliments dérivés d'OGM seraient étiquetés, même s'ils ne présentent plus de trace d'ADN modifié. Comment contrôler ces produits puisque qu'aucun ADN ne sera détectable ?

Jugez-vous réaliste de maintenir un contrôle qui ne repose que sur une traçabilité papier ?

La DGCCRF a-t-elle, de son côté, les moyens d'assurer pleinement ce type de contrôles ?

M. le ministre - On peut dire que la révision des critères d'étiquetage, indépendamment de la présence de trace d'ADN ou de protéines, va entraîner un certain nombre de changements au niveau des contrôles en entreprise que nous effectuons.

Par exemple, les huiles raffinées issues de colza transgénique devront être étiquetées même s'il n'est pas possible de les différencier des huiles conventionnelles.

L'obligation de traçabilité tout au long des filières, avec la transmission d'informations précises quant à la caractéristique transgénique, va permettre de fiabiliser l'étiquetage de ces produits très transformés. Plus les produits sont transformés, plus ce contrôle doit être précis.

Il est très probable que ces nouvelles dispositions entraînent une augmentation de la part du contrôle documentaire.

Les services de la DGCCRF procèdent déjà à ce type de contrôles. Cette phase de vérification des justificatifs fournis par l'entreprise constitue d'ailleurs la première étape des contrôles, complétée le cas échéant par un prélèvement afin de faire une vérification analytique.

Il faut également noter que la conformité d'une denrée étiquetée sans OGM repose principalement aujourd'hui sur un contrôle documentaire. Aucun des produits utilisés lors de la fabrication, y compris les auxiliaires technologiques, ne doivent contenir de trace d'ADN ou de protéines.

M. le rapporteur - Ne convient-il pas de prendre les devants pour garantir la responsabilité des producteurs vis-à-vis de la santé des consommateurs ?

M. le ministre - La réponse est assez simple. Cette question a été largement discutée lors du débat public sur les OGM et lors des essais en champ de février 2002.

On a constaté à cette occasion que le risque était très difficile à assurer, dans la mesure où il n'était pas mesurable.

Second point : on ne peut mettre en cause, pour des problèmes sanitaires, la responsabilité des producteurs qui utilisent des OGM, dans la mesure où ce type de produits a été évalué par les instances scientifiques compétentes et autorisé par les pouvoirs publics.

On peut donc considérer qu'à partir du moment où le produit est autorisé, c'est qu'il a fait la preuve de son innocuité. S'il y a une responsabilité, elle ne peut reposer sur les producteurs qui se sont sentis, à juste titre, couverts à la fois par les données scientifiques et par les autorisations données par les pouvoirs publics !

La responsabilité éventuelle est à rechercher auprès de ceux qui ont permis l'utilisation de ces produits, mais en aucune manière auprès des producteurs eux-mêmes, qui se retrancheront inévitablement derrière les autorisations qui leur ont permis d'utiliser ces produits.

M. le rapporteur - Comment envisagez-vous les choses par rapport aux organismes qui délivrent une sorte d'agrément en matière d'utilisation des OGM ? Doivent-ils prendre des assurances ? Comment prendre les devants ?

M. le ministre - C'est un problème qui se pose uniquement au niveau communautaire, puisque ce sont des autorisations communautaires qui seront délivrées. A l'heure actuelle, il est difficile d'envisager le type de responsabilités qui pourrait être mis en cause. La politique suivie est une politique de précautions. Les autorisations qui seront délivrées font l'objet d'un luxe de précautions assez important. Je rappelle qu'elles sont renouvelables après évaluation.

C'est essentiellement par cette très forte exigence que l'Union européenne, à l'heure actuelle, répond à cette préoccupation.

Mme la présidente - Les exigences européennes relatives à une faible présence d'OGM dans les produits destinés à l'alimentation humaine comme animale sont-elles de votre point de vue réalistes étant donné la difficulté croissante de maintenir un approvisionnement de masse non-OGM ?

M. le ministre - Avant tout, il s'agit d'un problème d'information des consommateurs et des utilisateurs.

Ces seuils d'étiquetage prévus dans le règlement ne signifient pas qu'il est interdit de commercialiser des produits qui contiennent un niveau supérieur d'OGM, mais permettent simplement aux citoyens d'exercer leur libre choix.

Les opérateurs établis dans des pays exportateurs sont d'ores et déjà mis en place des filières tracées qui répondent aux critères actuels de la réglementation européenne, en particulier avec un seuil de 1 % pour l'alimentation humaine.

Mises à part les filières en place dans la région Nord du Brésil, les autres, comme celles des Etats-Unis, coexistent avec les OGM. Les Etats-Unis ont en fait une situation paradoxale. Leurs exploitations étant très grandes, ils ont en effet plus de facilités à faire du non-OGM que d'autres pays !

Nos contrôles montrent que les lots contaminés par des OGM le sont à moins de 0,1 %, qu'il s'agisse de lots importés ou de lots nationaux.

Pour l'alimentation humaine, les contrôles de la DGCCRF montrent que les contaminations sont, à quelques exceptions près, intérieures à 0,5 %, ce qui montre que les exigences européennes sont très réalistes.

M. le rapporteur - Comment le système d'information de la population et des consommateurs peut-il être encore amélioré ? Quelles sont vos pistes de réflexions dans ce domaine ?

M. le ministre - Dans le cadre des conclusions du débat public sur les OGM et des essais au champ, il avait été proposé de créer une instance nationale chargée de l'évaluation des aspects socio-économiques, afin de se prononcer, pour tout nouvel OGM, sur les conséquences agronomiques, économiques, sociales.

Cette instance devait rendre des avis sur tout nouveau dossier de demande d'autorisation, tout comme le font à l'heure actuelle la commission du génie biomoléculaire et l'AFSSA pour les aspects liés à l'évaluation des risques.

On peut s'interroger sur la nécessité de mettre en place une telle expertise pour les OGM destinés à la recherche et au développement, pour lesquels il n'y a pas de commercialisation et où les paramètres socio-économiques semblent donc beaucoup moins pertinents.

En revanche, l'idée de créer cette instance dans le cadre des OGM destinés à la commercialisation doit être examinée.

Une telle instance sera chargée d'apprécier la pertinence du produit OGM faisant l'objet d'une demande d'autorisation, en examinant notamment la balance entre les avantages et les inconvénients, selon les termes habituels de notre jurisprudence.

La nécessité de prendre en compte cette balance figurait déjà dans les recommandations du rapport commissariat général du plan de juillet 2001. Elle permettrait notamment d'associer les principales composantes de la société civile dans le processus de décision.

Cette réflexion provient essentiellement d'une réflexion franco-française, puisque la directive 2001-18 prévoit seulement que la Commission fasse un rapport en 2003 sur les conséquences socio-économiques des OGM de façon générale, et non pour chaque nouvel OGM autorisé.

Quand bien même nous créerions une telle instance au niveau national, il faudrait que son fonctionnement soit compatible avec les procédures communautaires.

Enfin, on peut se poser la question de savoir s'il faut créer une nouvelle structure qui conduirait à traiter les OGM comme un cas particulier, alors que d'autres technologies sont actuellement en cours de développement et pourraient inspirer les mêmes interrogations, sans pour autant qu'elles justifient la création d'une autorité particulière.

Mme la présidente - La parole est aux commissaires.

M. Christian Gaudin - Comment gérez-vous, en tant que ministre en charge de la consommation, l'information de l'opinion publique ? C'est, selon moi, un problème crucial !

M. le ministre - Les sociétés modernes sont des sociétés d'innovations, qui progressent par des avancées technologiques. On peut remonter à l'origine de la société industrielle en France : Vigny avait estimé, lorsque le premier train a été lancé sur les rails, que l'être humain ne pouvait résister à une vitesse supérieure à 60 kilomètres / heure. Au-delà, la mort était assurée !

Je ne veux pas caricaturer, mais il faut bien voir que toutes les sociétés modernes, qui sont fondées sur le progrès, ressentent ces difficultés à un moment donné.

Comment y répondre ? Je pense que la première réponse réside dans la transparence de l'information : ne rien dissimuler, donner aux consommateurs la plus large information possible et le mettre en position de choix.

Ce que vous dites traduit des mouvements collectifs mais, en réalité, l'acte de consommation et l'acte d'achat sont des actes individuels.

Ce ne sont pas les groupes qui achètent les produits, mais les individus. Il est essentiel à mes yeux, en tant que ministre de la consommation, qui ait face à moi des consommateurs individuels, de donner à chacun les éléments lui permettant de choisir en son âme et conscience le produit qui correspond à ces critères de sécurité, voire de conscience.

L'information est la clef de la réponse, et la France a été en pointe sur cet aspect.

D'ailleurs, au niveau institutionnel, je souhaite que le Conseil national de la consommation, que je préside, soit régulièrement saisi de ces affaires, qu'il puisse communiquer, dialoguer avec les associations de consommateurs, qui sont l'expression des éventuelles préoccupations des consommateurs, afin que l'on puisse avoir un lieu où, habituellement et régulièrement, on évoque ces questions.

La deuxième dimension, c'est la pédagogie. Qu'est-ce qui entraîne les comportements irrationnels ? C'est l'ignorance ! Depuis l'invention des lumières, nos sociétés combattent l'ignorance en considérant qu'elle justifie les comportements irrationnels, les peurs injustifiées. Ce qui est important, c'est d'avoir une bonne qualité d'information. Il ne suffit pas d'informer : il faut aussi que l'information soit crédible !

Sur qui repose l'information ? Sur les scientifiques. Ce sont eux qui sont en mesure d'apporter une qualité d'information maximum. Sur ce sujet, les scientifiques s'expriment -et je viens d'évoquer à l'instant l'avis qui a été rendu par l'académie. Je pense que ce type d'avis est très intéressant à porter à la connaissance de l'opinion publique.

Si l'opinion publique veut contester ces avis, elle est obligée, à travers ses instances représentatives - associations de défense de l'environnement, associations de consommateurs- d'entrer sur le terrain de l'objectivité scientifique. On ne peut contester des travaux scientifiques autrement que par des contre-expertises.

Là aussi, il est essentiel de donner la possibilité à la société civile de bâtir des contre-expertises et, en même temps de dire à l'opinion publique que l'on ne peut se cantonner à des positions d'ordre irrationnel, car la réponse à ces interrogations se situe sur un terrain scientifique que ce soit

Qu'il s'agisse de contre-expertise ou d'expertise, on est obligé de se placer sur le terrain de la connaissance objective des problèmes et de l'évaluation.

C'est la raison pour laquelle la démarche entreprise n'engage pas l'avenir, mais des périodes de dix ans à travers un processus de suivi permanent qui permet ensuite de corriger les choses.

Je crois que l'expérience des crises a conduit l'ensemble des gouvernements européens à améliorer considérablement le traitement de ces psychoses, dont on peut imaginer qu'elles sont fondées, mais qu'on ne peut prendre non plus au pied de la lettre car, dans ce cas, le pilotage des sociétés modernes devient impossible.

On peut féliciter le Sénat, à travers cette commission, d'avoir également abordé la question sous un angle raisonnable, qui permet de communiquer en direction de l'opinion publique, avec sang-froid et sans passion, sur un sujet parfois brûlant.

M. le président - Monsieur le Ministre, vous avez abordé le fait que le Sénat s'est penché sur ce cette question et je m'en réjouis. Sachez -vous le mesurez aujourd'hui- que nous le faisons avec beaucoup de rationalité et sans passion.

Je souhaite que nous puissions présider à la transcription des deux directives que vous connaissez et même aller au-delà, en imaginant la mise en place d'une loi fondatrice sur les biotechnologies, dont notre pays aura besoin.

C'était peut-être prématuré hier, car l'opinion publique n'était pas tout à fait prête. Je pense qu'on y parvient tout doucement. L'avis des deux académies, voire des trois, a été sur ce point déterminant. J'espère que l'on va donc continuer en ce sens.

M. le rapporteur - Courant décembre, j'ai dû participé dans mon département à deux réunions locales qui avaient été organisées sur les OGM. Dans ces réunions, il n'y a que des opposants. Sur quatre-vingt personnes, il n'y en a pas cinq qui viennent pour s'informer !

Le fait d'avoir, demain, des produits étiquetés ne pose aucun problème mais comment les scientifiques vont-ils pouvoir aider cette mission à réfléchir ? Les politiques ne sont pas crédibles. C'est là une vraie difficulté. J'ai voulu interroger l'INRA pour savoir si quelqu'un viendrait aux réunions dont je parlais. Personne n'est venu et personne ne vient jamais !

L'information se fait par les médias classiques, traditionnels, mais l'information sur le terrain, avec un contact direct, est irremplaçable. Le débat est "pipé" dès le départ ! Les scientifiques ne pourraient-ils, sur une période d'un an par exemple, apporter leur expérience au cours de ce type de rencontres ?

Ce serait aussi une manière de valoriser le travail que nous avons fait.

M. le président - Il y a 3 mois, dans un grand quotidien de l'après-midi, un chercheur de l'INRA, M. Berlan, a écrit une tribune violente contre les OGM. Il n'y a eu aucune possibilité pour qu'un autre chercheur, spécialisé dans les OGM, lui réponde. Moi-même, je n'ai jamais pu avoir un droit de réponse sur ce point.

Or, M. Berlan, qui est un homme fort respectable, est un mathématicien spécialisé dans la modélisation de l'évolution des populations, qui n'a rien à voir avec les biotechnologies !

M. le ministre - Chaque fois qu'il y a une mutation technologique, on pourrait généraliser un modèle de cycle de crise, d'abord avec une montée en puissance de l'inquiétude, nourrie par une curiosité très grande de l'opinion publique, un intérêt des médias à monter le sujet en épingle, mais un regard assez peu objectif sur le fond du problème. C'est généralement la période de maturité de ces mutations technologique que nous vivons.

On s'aperçoit -et c'est une règle quasi-générale- qu'à un certain moment, la passion s'émousse au contact de la réalité et des arguments objectifs. Quand vous opposez l'irrationnel au rationnel ou au scientifique, c'est l'irrationnel qui s'use le plus, car il arrive un moment où la raison finit par l'emporter.

Nous sommes en train de vivre ce cycle. Peu à peu, le sentiment qu'il faut raison garder et essayer de s'informer de façon objective s'installe. La société française va très loin dans l'explication, l'information et le débat public.

Depuis 1997, le groupe OGM du CNC a pratiquement tous les six mois un débat sur les OGM, une mission d'expertise, un rapport de telle ou telle instance française réputée. Les pouvoirs publics, qu'il s'agisse du Parlement ou du Gouvernement, et quelle que soit la majorité, font tout pour que ce débat soit dépassionné et que l'information arrive jusqu'aux Français.

Comment faire au niveau local ? D'un côté, on a les médias nationaux, de l'autre des scientifiques qui sont plus entendus lorsqu'ils font de la provocation que lorsqu'ils rassurent. C'est le jeu des sociétés paroxystiques.

Comment porter l'information au plus près des gens ? Je pense que la communication de proximité est tout à fait utile. Je suis à votre disposition, avec mes collègues Gaymard et Mattei.

Dans chaque région, les conseils régionaux de la consommation, échelons essentiels de la politique de consommation, organiseront des débats entre pouvoirs publics et consommateurs, au cours desquels nous veillerons à ce que des scientifiques soient présents. Personne n'est jamais incontestable, mais je pense que la parole d'un scientifique doit être écoutée.

On a déjà l'avis de l'académie de médecine et de l'académie nationale de pharmacie. Pour des habitants de nos départements qui s'inquiètent ou qui s'interrogent sur les OGM, il peut être intéressant d'avoir un débat avec des gens qui ne sont pas suspects de partialité et qui cherchent, avec les données objectives et les données scientifiques dont ils disposent, à se forger leur propre avis.

On peut, en France, mobiliser pas mal de scientifiques pour ces communications directes sur le terrain.

M. le rapporteur - Il existe un autre public qui est fragilisé, ce sont les maires.

Ils sont montrés du doigt, mis en accusation. Ils sont désarçonnés par cette question. Comment désamorcer cette approche de l'information ?

M. le ministre - Les maires, s'ils veulent mettre des informations à la disposition de leurs administrés, peuvent, dans leur mairie, permettre un accès tout public aux sites Internet sur lesquels figurent les informations scientifiques.

Le site de la DGCCRF est accessible à une petite commune de 120 habitants pour peu qu'elle soit dotée d'un ordinateur et un abonnement à Internet. Le maire est un intermédiaire qui permet à ses administrés d'avoir accès à l'information. Il est évident que les maires sont toujours entre le marteau et l'enclume. C'est la grandeur et la difficulté de ce mandat.

M. Hilaire Flandre - Je ne suis pas sûr que ce soit à ce niveau que se situe le malaise des maires. Ils ont été destinataires d'une pétition de Green Peace leur demandant d'interdire sur leur territoire les champs d'expérimentation d'OGM, de la même façon qu'ils sont destinataires d'autres formules de même nature.

Leurs concitoyens ont tendance à les considérer comme responsables si un champ d'essais est implanté sur le territoire.

C'est la même chose pour un aéroport qui va se construire, une autoroute qui va passer trop près. Les maires des petites communes sont en permanence destinataires de ce type de revendications, d'exigences. On remonte la population par derrière et ils se sentent dans l'obligation de prendre une décision dont ils savent pertinemment qu'elle est stupide.

Mme Odette Terrade - La part d'irrationnel touche aussi au fait que les OGM concerne l'alimentation, ce qui, pour notre pays et pour chacun de nos concitoyens, est quelque chose de fort. La France est le pays du bien manger, du manger sain et naturel. Cela contribue à la psychose.

M. le ministre - Patience et longueur de temps font plus que force et que rage. Plus le temps passe, plus l'opinion essaye de se forger une idée objective et de résister aux pressions de gens souvent bien inspirés, mais qui sont parfois quelque peu excessifs.

Je fais toujours le pari de la raison. Je crois que la raison finit toujours par l'emporter après la passion, qui généralement entre en scène la première.

Il est vrai que l'information ne s'est pas encore diffusée dans l'opinion publique, notamment sur les améliorations que les nouvelles technologies peuvent apporter en matière de santé. Une grande partie de ce qui inspire le progrès scientifique, dans ce domaine comme dans d'autres, est d'améliorer la santé, notamment grâce à une alimentation plus équilibrée, plus saine, qui permet un meilleur vieillissement du corps humain. Je crois qu'il faut aussi communiquer sur les aspects positifs de ces mutations technologiques et ne pas trop s'inquiéter de l'état de l'opinion publique à un moment donné.

Le fanatisme finit par discréditer ceux qui agitent les peurs. Je crois que les autorités publiques, en Europe, sont les plus respectueuses du principe de précaution et de la bonne qualité de l'information des consommateurs.

Evidemment, ces populations se sentent plus concernées par les sujets, mais on ne peut reprocher aux pouvoirs publics de mettre en oeuvre l'information et le principe de précaution.

M. Max Marest - Lorsque le travail sera terminé, il faudra peut-être que les pouvoirs publics procèdent à une grande campagne d'information nationale sur le sujet, en y mettant les moyens.

Je me pose toujours la question de savoir à qui rapporte une telle opposition aux OGM ? Qui est derrière Green Peace et José Bové ? Qui paye ? Il y a indiscutablement un facteur économique derrière tout cela !

Il ne s'agit évidemment pas du même sujet, mais je ne peux m'empêcher de rapprocher le comportement des opposants à l'énergie atomique de celui des semenciers ou des agriculteurs qui veulent se lancer dans le "bio" et être protégés dans leur affaire. On trompe l'opinion -et on sait que l'alimentation est un sujet encore plus sensible que les autres !

Or, on a le sentiment que les risques sont pratiquement inexistants sur le plan alimentaire. Encore faudrait-il que vous répondiez à Greenpeace ou Bové et associés avec les mêmes moyens !

M. le ministre - Je pense que la méthode du débat contradictoire est essentielle. Cela marche depuis Socrate. C'est ainsi que les sociétés ont évolué : par la dialectique ! Chacun expose sa position et celui qui est à l'extérieur essaye de se forger sa propre opinion.

Je ne fais pas de procès d'intention à ceux qui ont pris des positions contre les OGM. Je pense qu'ils doivent respecter la règle du jeu de notre société, qui est celle du débat contradictoire : on échange non des invectives, mais des arguments. Si on en reste sur l'échange d'arguments, une vérité émergera.

Nous faisons tout, de façon très transparente et loyale, pour que ce débat puisse conduire à cette mutation, qui paraît aller dans le bon sens, avec toutes les précautions qui ont été prises, mais je pense qu'il faut construire le débat contradictoire pacifique.

Le Gouvernement a lancé cette année un grand débat sur l'énergie parce qu'il partage tout à fait votre préoccupation, Monsieur le Sénateur. Il circule aujourd'hui beaucoup d'idées fausses sur le nucléaire. Le dernier sondage sur l'énergie nucléaire laisse entendre que plus de 50 % des Français ont le sentiment que le nucléaire porte atteinte à la couche d'ozone ce qui, sur le plan scientifique, est un contresens majeur ! Ce sont au contraire les émanations de gaz carbonique, produites par d'autres sources d'énergie que le nucléaire, qui portent atteinte à la couche d'ozone !

Il faut donc engager des débats nationaux. Votre mission peut tout à fait déboucher sur une proposition de débat national sur les OGM.

De mon côté, j'en discuterai avec mes collègues et avec le Premier ministre, car je ressens comme vous la nécessité de dépassionner le débat et de porter l'information au plus près de nos concitoyens, pour qu'ils puissent s'exprimer et participer.

M. Max Marest - A mon avis, il faut que cela parte d'un haut niveau !

M. le ministre - Je reste à votre disposition pour le cas où vous souhaiteriez m'entendre à nouveau.

M. le président - Merci, Monsieur le Ministre.

Je prends note qu'au travers de votre ministère, et avec vos collègues Gaymard et Mattei, nous pourrons dialoguer avec nos concitoyens sur ce sujet.

18. Audition de M. Ewald, Professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers (C.N.A.M.), co-auteur du « Que sais-je » sur « Le principe de précaution »

M. le Président - Monsieur le Professeur, je vous remercie d'être venu à la rencontre de notre mission d'information.

Le principe de précaution a pris beaucoup d'ampleur aujourd'hui. L'assurabilité des risques me semble relever de la même logique car, selon votre formule, « l'accident nous attend au coin de la rue ».

M. Ewald - Cette expression provient du débat sénatorial sur l'assurance des conducteurs d'automobiles, imposée par la loi de 1957.

Le S.P.D. allemand a introduit dans son programme ce que nous avons -mal- traduit par « principe de précaution », en nous inspirant de la traduction anglaise « precautionary principle ». En réalité, l'idée correspond à l'anticipation et à la prévoyance.

En France, le débat public sur le principe de précaution est apparu avec une proposition allemande relative à la Mer du Nord. Au fond, nous approchons l'idée des provisions techniques passées par un assureur.

M. Daniel Raoul - Confronté, lui, à un risque parfaitement connu !

M. Ewald - Le principe de précaution a trois dimensions temporelles, selon que le risque est immédiat, envisageable à moyen terme ou possible à long terme. Plus l'horizon temporel est éloigné, plus les certitudes s'estompent.

Le débat européen en cours sur la pêche illustre le principe de précaution : éviter la disparition de ressources halieutiques dans cinquante ans ou un siècle.

Le principe de précaution est applicable à toute politique publique. Il n'est pas, en soi, spécifique à l'environnement. En Allemagne, il a été introduit pour permettre au Gouvernement fédéral de conduire des politiques d'environnement qui, constitutionnellement, relevaient des Länder. Par ailleurs, dans le cadre communautaire, ce principe avait pour avantage de justifier le versement de subventions aux entreprises respectant ce principe.

La deuxième étape est la notion de développement durable construite dans le cadre de l'O.N.U., et officialisée par les principes adoptés au sommet de la Terre à Rio de Janeiro (1992).

Sur le plan communautaire, tout le domaine de la santé est soumis à ce principe qui figure explicitement dans le traité de Maastricht.

Juridiquement, le principe de précaution vise les États : l'administration a le devoir d'intervenir lorsque la sécurité ou la tranquillité sont menacées.

La première application en France est l'arrêt de 1993, rendu par le Conseil d'Etat au sujet du sang contaminé. La Cour de Luxembourg l'a utilisé dans l'affaire de l'encéphalopathie spongiforme bovine (E.S.B.).

Au demeurant, un ministre peut être condamné pour être allé au-delà de ce qu'imposait le principe de précaution ! Chaque texte international impose de respecter le principe de précaution et en précise les conséquences techniques.

De fait, le principe de précaution reprend une vieille distinction de la littérature philosophique qui incite à distinguer entre ce qui est juste (dans l'ordre de l'action) et ce qui est vrai (dans l'ordre de la connaissance). Le champ de la connaissance vraie est limité ; les exigences de l'action ne cessent de l'excéder. Il faut trouver ce qui est convenable, adapté, approprié.

La première obligation des conventions internationales appliquant le principe de précaution est, systématiquement, de créer une institution de recherche, car produire du savoir est la principale exigence de l'anticipation !

En matière d'O.G.M., que doit savoir une entreprise ? Faut-il évaluer les risques en fonction de ce que l'on sait ou bien en tenant compte de ce que l'on ignore -mais qui n'est pas exclu ?

Le principe de précaution n'est jamais exprimé en termes binaires mais en termes de proportionnalité au risque. Ainsi, on n'applique pas le même raisonnement à un colorant alimentaire -dénué de toute vertu non-commerciale- et à un médicament -qui peut-être dangereux, mais aussi très utile pour certains patients.

Il est donc injustifié de mentionner le principe de précaution. Il s'incarne dans une très grande variété de conduites.

Le danger principal de ce principe concerne son extension au droit privé, et surtout pénal. En effet, on aboutirait à un droit d'attaque illimité, fondé non sur la preuve d'un dommage subi mais sur la simple possibilité qu'il apparaisse ultérieurement !

Il faut également faire très attention à l'éventuelle possibilité ouverte à l'administration d'interdire une activité qui pourrait être dangereuse.

M. le Président - Comment éviter les dérives ?

M. Ewald - Il faut élaborer des critères et des procédures pour encadrer l'application.

Aujourd'hui, il suffit d'inquiéter la population, même de façon irrationnelle, pour paralyser l'action. Le débat devrait transformer les émotions en arguments. Tel est le rôle des experts. D'où la création d'agences d'évaluation en France. Malheureusement, rien n'existe en matière de communication.

M. Hilaire Flandre - Mais l'expert limite la portée de son intervention par la référence aux connaissances actuelles.

M. Daniel Raoul - Depuis l'affaire du sang contaminé, les experts n'ont plus la confiance du public. On invoque même le principe de précaution pour les contester.

M. le Président - On a trop laissé croire que la connaissance scientifique ne valait rien, que tous les experts étaient intéressés, si bien que la panique peut s'installer.

La crise de confiance de l'E.S.B. en résulte directement : ne croyant personne, les consommateurs se sont abstenus, car ils ne pouvaient se déterminer en fonction de « zéro information ».

M. le Président - Pouvez-vous nous dire un mot sur l'assurabilité ?

M. Ewald - Face à un risque, on peut : ne rien faire, le réduire, atténuer ses conséquences ou l'assurer. En pratique, on cumule ces approches.

Les O.G.M. n'échappent pas à cette logique.

Tout système d'assurance est fondé sur la mutualisation d'un risque analogue et aléatoire qui frappe une mutualité d'individus. C'est pourquoi les catastrophes relèvent d'un régime spécifique.

Le faible nombre des producteurs d'O.G.M. rend très difficile cette mutualisation. En outre, l'horizon temporel n'a rien à voir avec l'assurance d'accidents : de même que pour l'indemnisation d'un décès provoqué par l'exposition à l'amiante, la compensation financière peut être exigée plusieurs dizaines d'années après l'exposition au risque !

Aujourd'hui, les assureurs sont très inquiets du traitement judiciaire de ces risques à développement lent : une prime modeste expose l'assureur à verser des sommes gigantesques, à d'imprévisibles changements de jurisprudence.

En France, le principe de précaution est utilisé par les politiques en cas de crise, alors qu'il devrait précisément servir à les éviter !

M. le Président - Pourriez-vous nous faire savoir par la suite si l'assurabilité existe aux États-Unis ? Nous voudrions également connaître votre analyse sur la future directive européenne.

M. Patrick Lassourd - A propos de l'E.S.B., l'absence de connaissances a fait prendre des mesures que l'on estime excessives aujourd'hui. Mais n'était-il pas utile de rassurer la population ?

M. Ewald - La crise de l'E.S.B. est apparue parce que certains signes inquiétants ont été -au moins partiellement- ignorés.

Très rapidement, un risque de cette nature devient politique, il doit dont être traité comme tel.

M. Patrick Lassourd - Une personne âgée, poussée en fauteuil roulant par une personne du C.C.A.S. de la commune que j'administre, est tombée dans un fossé, le long de la rue, s'est blessée puis en est morte.

Aujourd'hui, le maire est poursuivi par les ayants-droits, qui invoquent un manquement au principe de précaution.

M. Ewald - Nous n'acceptons plus l'idée de force majeure.

Il se peut que le droit de la responsabilité prenne en compte la diffusion de l'information : si le consommateur et le producteur savent la même chose, qui est responsable ? Si l'employeur et l'ouvrier connaissent l'un et l'autre le danger d'une machine, le premier n'est pas nécessairement le seul responsable d'un accident.

M. le Président - Je vous remercie pour votre contribution au travail de notre commission.

19. Audition de M. Marc Fellous, Président de la Commission du génie biomoléculaire (CGB)

M. le Président - Nous accueillons maintenant M. Marc Fellous, Président de la commission du génie biomoléculaire.

Vous avez ici quelques membres de mission d'information sur les OGM, qui est chargée de voir quelles sont leurs conséquences et leurs effets induits sur la santé humaine et sur les problèmes environnementaux.

Je vous cède à présent la parole.

M. Marc Fellous - Ce que je vais dire sur les OGM, en fin de compte, pourrait être étendu à toutes les nouvelles biotechnologies.

Nous sommes allés ensemble à Londres la semaine dernière, Monsieur le Sénateur, et nous avons bien réalisé que c'est un problème de la société vis-à-vis des progrès scientifiques qui la touchent directement. Cette rencontre avec nos collègues anglais m'a paru très intéressante.

Je croyais, jusqu'à il y a un certain temps, que le problème des OGM et des biotechnologies était un problème de formation et d'information du public. Je me suis rendu compte que les Anglais, qui ont pourtant la meilleure formation et information en sciences, ont les mêmes problèmes, et j'ai eu l'impression que la conclusion de nos deux jours de débats était que nos concitoyens sont prêts à accepter les nouvelles technologies, mais qu'ils veulent en voir le bénéfice. S'il n'y en a pas et s'il existe un risque, même minime, ils se demandent à quoi cela sert.

En démontrer l'intérêt est peut-être la partie la plus difficile de notre travail. On avait sous-estimé cet aspect, dans la mesure où il n'était pas de notre compétence. Je pense qu'il faut créer une structure afin d'essayer de faire apparaître le bénéfice d'une nouvelle méthodologie. A côté de la commission du génie biomoléculaire, peut-être faudrait-il créer un second cercle, qui développerait l'implication sociale de ces technologies. Je crois que l'on s'y dirige actuellement.

Les plantes génétiquement modifiées -les PGM- ont vu le jour en 1988. Elles ont connu un pic en 1993-1994, pour décroître ensuite. Alors qu'on avait 40 dossiers l'année dernière, on en a 23 cette année, soit cinq fois mois qu'en 1993. Si cela continue, on n'en aura plus et c'est catastrophique pour la présence de ces nouvelles technologies en France car, si cela décroît un peu moins vite en Angleterre, c'est exponentiel aux Etats-Unis, au Brésil, en Inde, en Chine.

Si cela décroît pour les plantes, par contre, pour ce qui est de la thérapie génique, cela ne bouge pas. Pourquoi ? Autant nos concitoyens ne voient pas tellement l'intérêt des PGM, autant ils appuient à fond la thérapie génique et les vaccins, alors qu'en tant que scientifique, je pense qu'ils posent exactement les mêmes problèmes.

Pour l'instant, on n'a jamais recensé d'accidents avec les plantes, même si cela pourrait arriver. Par contre, pour la thérapie génique, il y a eu des morts aux Etats-Unis. Nos collègues médecins ont voulu aller trop vite. 5 morts déclarés parce que la thérapie génique a été mal prescrite ou faite de manière inconsidérée !

Malgré cela, s'il existe une nouvelle thérapie génique contre le cancer, on l'essaye, parce que l'on a un petit espoir. Cela cerne bien le problème des plantes et des vaccins génétiquement modifiés.

Il existe aujourd'hui deux grands types de PGM, soit des plantes tolérant un herbicide, soit des plantes, comme le maïs, résistant par exemple à la pyrale. Monsanto et d'autres compagnies ont mis au point un gène résistant à la pyrale, la protéine BT. Cela permet une meilleure productivité. En France, ces expériences sont bloquées.

Les OGM présentent deux intérêts : augmenter la qualité et, par exemple, diminuer la concentration de nitrates dans les salades, ou bien coupler tous ces facteurs et avoir une plante qui résiste à l'herbicide, à l'insecte et qui offre une meilleure qualité. On ajoute donc ces gènes les uns après les autres.

En France, nous avons trois grands types de PGM : le maïs, le colza et le soja, cultivées dans le Roussillon et dans le bordelais.

Un OGM, c'est un parcours du combattant. Entre la découverte en laboratoire, le moment où il va être mis au champ et éventuellement autorisé sur le marché, il y a plusieurs années de travail. Il existe un moratoire depuis 1998 pour leur mise sur le marché.

Plusieurs structures expertisent la demande. En premier lieu, l'expérimentation en laboratoire relève de la commission du génie génétique, qui dépend du ministère de la recherche et qui vérifie que le laboratoire est équipé et a une compétence. Elle suit des règles précises de sécurité.

Notre commission, la CGB, intervient lorsqu'il y a expérimentation au champ et étudie l'effet des OGM sur l'environnement et sur la santé. La CGB dépend de deux ministères de tutelle, l'Agriculture et l'Environnement.

Enfin interviennent, l'agence de l'alimentation, l'agence des semences et l'agence du comité des toxiques dépendant du ministère de l'environnement et du ministère de l'agriculture.

Ces analyses sont des analyses des risques a priori, en fonction des informations que nous avons et qui sont fournies par le pétitionnaire.

Depuis 1998 s'est créée une commission qui n'a pas encore été validée par le ministre de tutelle, qui va suivre cette expérimentation a posteriori. Il s'agit du comité de biovigilance, qui dépend du ministère de l'agriculture et de l'environnement

Les mêmes structures, tout aussi importantes, vont faire le même travail au niveau de l'Europe.

Un dossier OGM est quand même quelque chose qui passe par un filtre de compétences et d'expertises, et c'est la raison pour laquelle les OGM, pour moi, constituent vraiment un projet de recherche scientifique qui n'a jamais autant été évalué qu'aujourd'hui. Jamais on a eu ce type d'évaluations et, malgré cela, il y a des réticences qui ne sont pas, à mon avis, uniquement d'ordre scientifique, mais qui reposent sur les points que j'ai évoqués précédemment.

La commission que je préside étudie les risques sur la santé de l'homme et les risques sur l'environnement.

D'autres critères sont difficiles, comme le critère des pratiques agricoles. Dès que l'on met sur le marché une plante résistant à un insecte ou à un herbicide, on risque obligatoirement de faire apparaître la résistance. Si elle se dissémine, c'est catastrophique.

Pour l'instant, on n'a jamais vu de résistance, mais cela pourrait apparaître. La question est de savoir comment on gère la résistance. Nous avons organisé des réunions, des séminaires sur ces thèmes.

De la même manière, si des plantes résistent à quelque chose, comment peut-on avoir une culture OGM en parallèle à l'agriculture biologique ? Peut-on envisager que ces deux agricultures vivent d'une manière cohérente, en bons termes ? C'est le problème que nous avons à gérer, en sachant qu'en termes économiques, l'agriculture biologique touche un petit nombre d'agriculteur, 30.000 environ, alors que l'agriculture non biologique représente 10 a 20 fois plus.

Il existe également des critères ambigus. Ces OGM, que nous faisons pousser en France et en Europe, sont en effet utilisés pour l'alimentation animale, mais il existe des OGM qui proviennent de l'extérieur et beaucoup de notre bétail, en France et en Europe, ne peut vivre que grâce à cela. C'est le cas du soja américain ou argentin, qui constitue une source de protéines indispensable.

D'autres critères sont non recevables, mais importants. Il faut qu'on en tienne compte. Ils sont incontournables. On ne peut les éliminer. Ils font partie des sciences : c'est l'éthique, la valeur ajoutée, l'amélioration génétique -sans parler de l'économie et des marchés, qui ne concernent pas la commission du génie biomoléculaire, mais dont il est important de tenir compte.

C'est pourquoi je pense qu'il faut créer une structure pour analyser ces dossiers dans ce sens.

M. le président - Pouvez-vous préciser à nouveau le laps de temps nécessaire en moyenne entre les essais en milieu confiné et la mise sur le marché ?

M. Marc Fellous - En général, il s'agit de dossiers de recherche et développement.

Un pétitionnaire, que ce soit un organisme de recherche comme l'INRA ou le CIRAD, ou une société de biotechnologie française ou étrangère -Biogemma, Aventis ou Monsanto- élabore un projet de recherche et développement. En général, ces projets sont de petite taille. Ils ont lieu dans des champs que le pétitionnaire nous propose. Ces projets durent 2 à 3 ans.

Par exemple, l'INRA veut faire une recherche pour développer des peupliers pauvres en lignine, agent polluant de l'eau pour la préparation du papier.

C'est un projet qui est suivi à Orléans. La question a été de déterminer le risque de voir les OGM polluer un champ voisin.

Voilà un projet qui dure 2 à 3 ans. Ce sont des projets de recherche lourds, mais important pour le futur de l'industrie du bois.

C'est vrai aussi pour les plantes utilisées pour lutter contre certaines maladies, comme la mucoviscidose.

Ce sont aussi des projets d'avenir très lointains, mais que je trouve passionnants, comme par exemple faire produire par les plantes des produits à valeur ajoutée.

J'en ai discuté avec certains industriels français qui pensaient que l'on pourrait faire produire par des plantes des huiles végétales haute performance mécanique utilisables en mécanique.

Cela montre que l'agriculteur, si l'on permet ce genre d'expériences en France, va pouvoir passer de la production d'une plante à intérêt alimentaire à une plante à intérêt industriel. Je trouve cela intéressant pour le futur. Je pense que vous êtes aussi concerné que moi par le devenir de l'agriculture française et de la petite ferme française, qui est souvent une structure vivrière.

Les OGM permettraient à l'agriculteur de cultiver des produits à haute valeur ajoutée et d'envisager l'agriculture d'une manière nouvelle et moderne.

La recherche et le développement peuvent donc avoir pour moi des intérêts à long terme très intéressants.

M. le Président - Pourrait-on avoir la liste des produits à haute valeur ajoutée pour l'agriculture ?

M. Marc Fellous - Bien sûr.

A Londres, j'ai discuté avec un des opposants de la confédération paysanne.

Je lui ai dit que s'ils se coupaient de ces options, ils risquaient de tuer la petite agriculture. On peut demander à une ferme de produire des produits à valeur ajoutée.

On me dit que je suis naïf, mais le chercheur est plein d'imagination. C'est notre fonction d'imaginer et de prospecter pour l'avenir.

Quand un dossier recherche-développement est vérifié, qu'il n'y a pas de risques pour l'environnement ni pour la santé humaine, la finalisation de ces projets de recherche est leur application et la mise sur le marché.

Effectivement, le moratoire était justifié, dans la mesure où il n'y avait pas suivi des expérimentations au champ . C'était des projets pour lesquels on donnait un blanc seing sans limite, et je pense la nouvelle loi européenne qui doit être acceptée par notre Parlement va être plus précise.

Une mise sur le marché n'est pas illimitée. On la donne pour plusieurs années, on vérifie qu'il n'y a pas eu de problèmes et l'on surveille. Peut-être ces mises sur le marché doivent-elles être plus surveillées et encadrées.

La santé pour l'homme, c'est évidemment le risque alimentaire. Ce risque, nous l'analysons selon trois critères. Le premier est la toxicité. Est-ce que l'OGM peut être toxique pour l'animal sur lequel on va le tester ?

C'est un problème difficile parce qu'autant la toxicité aiguë est facile à détecter, autant la toxicité discrète, à long terme, est plus compliquée.

Dès que nous avons défini une difficulté ou incertitude, on essaye de poser les questions et d'y répondre par des séminaires de travail internationaux. Grâce à votre générosité, Monsieur le Sénateur, nous allons organiser les 28 et 29 septembre, ici, un colloque international sur l'évaluation de la toxicité chronique des aliments.

Que fait-on aujourd'hui, qu'elle est la situation et comment avancer dans notre évaluation ? Ceci démontre très bien qu'une commission comme celle que je préside évolue en fonction des connaissances. On n'est pas figé dans les règles. Dès que l'on a identifié un problème, il faut réévaluer nos critères.

Cela a également été appliqué pour déterminer le caractère allergène d'une plante, pour évaluer l'effet allergène sur le métabolisme d'une plante ou l'effet d'un OGM sur le métabolisme d'une plante.

Le troisième critère d'évaluation du risque considère la composition de la plante, ce que l'on appelle l'équivalence en substance.

Evaluer l'impact d'une plante génétiquement modifiée sur l'environnement est un sujet difficile. Pour savoir si une nouvelle variété va avoir un avantage sélectif, il faut la surveiller l'isoler et étudier des paramètres de sélection.

Autre problème : les flux de gènes dispersés par le pollen. Si l'on crée par exemple un maïs génétiquement modifié, il ne faut pas qu'il contamine les autres maïs, et il convient de définir la distance nécessaire pour protéger les plantes les unes des autres. Tout un travail a donc été fait dans des séminaires scientifiques, où l'on a mélangé à la fois recherche expérimentale et modélisation, afin de déterminer des seuils de contamination de moins de 1 %.

Cela pose un problème très difficile, celui de l'isolement pour minimiser les flux. Nous avons défini nos seuils en fonction de ceux des semenciers.

Les semenciers disent qu'une souche de blé ou de maïs est pure quand il y a moins de 1 % de contamination. Pour le maïs, c'est 400 m ; pour le soja, c'est 200 m, etc. On a fait des expériences. Elles sont en cours. Cela fait partie de la recherche-développement. On regarde, en fonction de la taille du champ, des conditions géographiques, du vent, des arbres, des collines, etc., quelle est la distance minimale pour protéger un champ de maïs, de soja ou de colza.

C'est là où il y a un débat difficile, dans la mesure où certains opposants aux OGM voudraient que ce seuil soit de 0,1 %. Si c'est le cas, je pense qu'il faut arrêter les OGM : c'est impossible !

Une abeille qui va butiner dans un champ voisin, ce sera 0,1 %. Un sanglier ou un lapin qui ira dans un champ d'OGM et qui va ensuite entraîner ce qu'il a mangé, ce sera 0,1 %. Je pense donc que cette notion de seuil est très importante et qu'il nous faudra les définir avec précision.

M. le Président - Parallèlement, le seuil des semenciers est de 1 %.

M. Marc Fellous - Les semenciers disent que si c'est moins de 1 %, ils ne pourront pas non plus tenir leur cahier des charges.

Vous avez entendu parler de la contamination, en septembre 2000, de maïs génétiquement modifié. La commission de la qualité, qui dépend du ministère de l'économie et qui vérifie la contamination des aliments par les OGM, avait trouvé des contaminations dans 2 ou 3 % des plantes. Notre commission a été saisie pour étudier l'origine de cette contamination.

On est en cours d'analyse mais, apparemment, les premiers résultats préliminaires non-officiels suggèrent que cette contamination provient du fait que, dans notre agriculture, pour augmenter la production, certains OGM sont cultivés en Argentine. Or, l'aliment brut revient d'Argentine, et c'est là-bas qu'il y a eu contamination.

L'aliment génétiquement modifié est produit dans l'hémisphère Sud pour des questions de saisons, et il se pourrait que la contamination des grains de maïs que la commission a observée provienne non d'une contamination en Europe, mais de l'aliment produit dans l'hémisphère Sud, ce qui va poser de gros problèmes dans la gestion de la production de ces maïs dans le cadre de leur commerce international.

En tant qu'expert scientifique, on est toujours très critique dans notre travail, et les opposants aux OGM nous facilitent ce travail. Nous, scientifiques, n'avons jamais de certitudes. Si une expérience démontre que nous nous sommes trompés, on est prêt à l'accepter. On n'est pas attaché à des règles, et tout le problème de l'expertise réside dans la gestion de l'incertitude, de l'inconnu et de notre nécessaire réévaluation de nos critères de travail en fonction des résultats.

Or, si l'on dit au citoyen qu'on ne sait pas, il répond qu'il vaut mieux arrêter. Comment utiliser le principe de précaution vis-à-vis des citoyens ? Le principe de précaution peut être vu de deux manières : nous, scientifiques, disons que si on ne sait pas, il faut faire des expériences pour avancer. Le citoyen, lui, dit : « Si on ne sait pas, on arrête ».

Ce principe de précaution, tel qu'il est utilisé aujourd'hui, me paraît un peu un principe d'inertie ; en fin de compte, il se retourne contre une démarche qui n'était pas voulue au départ, et je suis personnellement un peu critique vis-à-vis de ce principe. Je pense que vous partagez mon opinion, Monsieur le Sénateur.

Effectivement, il y a beaucoup de choses que nous ne savons pas. J'ai parlé du problème de méthodologie imprécise. On ne sait pas prédire si un aliment, génétiquement modifié ou non, va être allergène. On n'a pas aujourd'hui les outils pour cela. Il nous faut faire des progrès et des recherches, et produire des OGM pour tester cette question.

Il en va de même pour les flux d'OGM. Il nous fait faire de plus en plus d'expériences en fonction des conditions climatiques ou géographiques.

Nous ne savons pas non plus très bien gérer le problème du risque alimentaire dans les OGM. Il faut faire des expérimentations. C'est en cela que le principe de précaution va à l'encontre du développement des ces nouvelles technologies, qu'il s'agisse des OGM ou non.

Ce sont là les limites de notre expertise, mais des limites conscientes. L'expert scientifique est conscient de ses limites. Il pose des questions et essaye de les résoudre par des séminaires et par des recherches de plus en plus poussées et précises.

C'est le problème dont il faut débattre avec nos concitoyens et avec les opposants : comment gérer l'incertitude du savoir ? C'est quelque chose qui n'est pas uniquement du ressort de l'expertise, mais de celui de l'information et de la discussion.

J'en arrive à la critique de l'expertise, qui est effectivement le point faible du système. Cela fait partie des limites du jugement de l'homme de sciences. C'est vrai pour les OGM et pour les biotechnologies, en général.

Tout d'abord, dans le cadre de la CGB chaque dossier pose un problème. On ne peut faire de règles générales. Notre expertise se termine par un avis très circonstancié, où l'on décrit l'expérience, l'objectif, la construction, l'expérimentation et les cas précis dans lequel, elle va être faite. C'est ce qu'on envoie aux demandeurs.

Ce dossier est envoyé au ministre de tutelle, qui décide. Cette expertise se fait a priori, sur des arguments scientifiques. Nous ne donnons pas notre avis sur les intérêts économiques. Nous n'avons pas les compétences : notre commission est composée de biologistes, d'agriculteurs, de toxicologues, d'écologistes, de juristes, auxquels se greffent des représentants de la société civile -consommateurs, industriels du monde agricole, etc.

Notre commission est composée de 18 personnes : 11 experts scientifiques et 7 représentants de la société civile. C'est ce que l'on nous reproche. On nous dit que les experts scientifiques sont majoritaires -et c'est vrai. Vous pouvez imaginer que l'on rarement le consensus.

Dans notre rapport, les opposants expliquent leur position. Souvent, c'est à cause de l'incertitude ou parce qu'ils n'en voient pas l'intérêt. Voilà les limites de l'expertise.

Les représentants de la société civile font apparaître des aspects que nous n'analysons pas, et c'est donc une expertise pluridisciplinaire, contradictoire, où les opinions minoritaires dissidentes apparaissent.

Cette expertise, nous essayons de la rendre la plus transparente possible. Au départ, ce n'était pas très transparent. Les avis étaient gardés entre nous ; maintenant, ils sont détaillés et figurent sur le site du ministère de l'agriculture et sur celui de l'environnement, et sont accessibles au public et aux journalistes spécialisés.

Quelles sont les critiques à l'égard de l'expert ? Tout d'abord, on nous critique sur nos compétences : toutes les compétences sont-elles représentées dans notre commission ? Non, il y a des manques.

Par exemple, il est vrai qu'il n'y a pas assez d'écologistes. C'est une science peu développée en France . C'est un peu un cercle vicieux. Pourquoi la France est-elle si pauvre en écologistes et en épidémiologistes ? Ce sont des sciences qui n'ont pas été assez soutenues dans nos universités. Ce sont des sciences en dépérissement et qui risque de disparaître.

Une science qui risque de disparaître, c'est la zoologie. C'est une science à laquelle les étudiants avaient tendance à peu s'intéresser. S'il y a peu d'étudiants, on nomme moins de professeurs, moins de maîtres de conférences. Pourtant, la zoologie est maintenant très importante. Elle revient à la mode grâce au progrès de la paléogénomique.

C'est la même chose pour l'épidémiologie. Ce sont des sciences qui étaient des parents pauvres et dont on a maintenant besoin. L'épidémiologie française est très pauvre par rapport à l'épidémiologie des pays nordiques, qui ont beaucoup maintenu la notion de registre : registre des maladies, des populations, etc.

Seconde critique : l'indépendance. Un expert qui travaille dans une commission est-il vraiment indépendant ? Dans notre commission, nous faisons signer une lettre aux experts par laquelle il affirme ne pas avoir d'intérêt direct avec la recherche qui va être expertisé ou avec la société de biotechnologie qui demande cette recherche. Lorsqu'un expert nous dit qu'il n'est pas indépendant, on le fait sortir au moment de l'expertise, ou on lui demande de ne pas prendre la parole ou de ne pas participer au vote.

Que signifie être indépendant ? Plutôt que d'indépendance, il me semble qu'il vaut mieux parler de transparence : Cet expert a des intérêt ou des liens directs, et il le déclare.

La France étant un petit pays, on risque de ne plus avoir d'experts. Dans notre commission, on est très peu à vouloir travailler, parce que cela demande beaucoup de travail, de disponibilité, et si l'on élimine les bons experts qui ne sont pas indépendants, notre commission réunira très peu de gens compétents !

Un point important est la formation de l'expert, qui n'a pas été bien jugée.

Je suis médecin, généticien et biologiste, et j'essaie d'avoir beaucoup de bon sens, mais quand on m'a demandé de présider cette commission, j'avais très peu d'expertises en loi ou en économie à mon actif.

Je pense qu'il conviendrait peut-être de constituer une structure de formation de l'expert. Cela peut être fait rapidement. C'est la même chose pour vous, sénateurs ou députés. Comment êtes-vous formés ? Comment apprenez-vous votre travail ? Je regrette que ce soit un apprentissage sur le tas. Pourquoi ne pas avoir une structure qui, en 2-3 mois, apprenne les règles élémentaires ? C'est quelque chose auquel il faut réfléchir.

On a parlé d'une agence d'expertise scientifique, dont le rôle serait de proposer une liste d'experts dont on contrôlerait la qualité de l'expertise, que l'on formerait. Je pense que notre pays a besoin de cette structure. Cela permettrait peut-être de nous protéger contre les critiques qui nous sont faites quand à notre compétence, qualification, indépendance.

Ces experts pourraient également être sélectionnés par un jury. Cela ne me gênerait pas qu'un jury sélectionne de manière transparente les postes à haute responsabilité. On serait ainsi couvert, alors qu'actuellement, on est simplement proposé. C'est là une source de fragilité. Ceci justifierait une réflexion dans le cadre d'un débat parlementaire.

La durée constitue également un point important. Personnellement, je crois que l'on ne peut être expert à vie. Je pense que l'expertise scientifique doit être proche de la démarche scientifique, donc du travail de recherche et je crois qu'il est malsain que quelqu'un en fasse son métier, surtout si cela l'éloigne de son activité de recherche.

Il y a un problème que nous avons en France et que n'ont pas nos collègues anglais ou outre-atlantique. Notre travail d'expertise n'est pas reconnu par nos organismes de tutelle. Je ne sais pas comment vous faites en tant que parlementaire, mais en temps qu'universitaire, mon travail d'expert, qui m'occupe beaucoup, n'est pas reconnu par mon université. Mon président d'université n'accepte pas que je m'absente de mes activités d'enseignante. Mon travail d'expert, je le fais donc en plus. C'est un surcroît de responsabilités et de travail bénévole.

Je pense qu'il y a là un gros problème : de très bons experts juristes, ne voyant pas leurs tâches reconnues par nos organismes de tutelle, démissionnent. C'est fort dommage, car cela fragilise la qualité de notre expertise. Il faudrait donc que ces charges soient reconnues et que les organismes de tutelle les acceptent comme faisant partie de nos fonctions. C'est indispensable pour le bon fonctionnement de nos commissions.

M. le Président - Cette mission d'information ne manquera pas de faire des recommandations. Cela peut faire partie de nos réflexions et éventuellement de nos conclusions et recommandations.

M. Marc Fellous - J'ai cru comprendre que le problème vient du fait que la commission dont je dépends relève du ministère de l'agriculture et de celui de l'environnement, alors que mon ministère de tutelle est la recherche et l'enseignement. C'est un problème de secteur budgétaire.

Comment faire pour que l'expert puisse participer à un travail d'information ? Notre métier est trop cloisonné. C'est là le problème entre une science qui évolue très vite et qui apporte beaucoup de choses, et une société qui ne voit pas très bien où elle va.

Les opposants aux OGM, comme les opposants aux biotechnologies ou au nucléaire, utilisent le spectre de la peur, et il est très facile de faire peur : une information mal faite fait peur, et il est très difficile de faire marche arrière.

Je pense que l'expert devrait à la fois donner des avis aux politiques et participer à la formation et à l'information du public, et ce dès l'école.

Le risque et l'incertitude sont mal enseignés dans notre société. Ainsi, mes propres étudiants ne supportent pas l'idée que ce que je leur enseigne aujourd'hui soit faux demain.

Ils veulent des choses claires, simples, immuables, et il va falloir faire passer ce message le plus tôt possible, par les maîtres d'école : La notion d'incertitude dans nos connaissances et sa gestion.

C'est complexe, mais ce serait le rôle des Académies. Je trouve qu'il y a une faillite de leur part ! Elles sont enfermées dans une tour d'ivoire, débattent de problèmes importants à votre demande, alors que leur rôle serait de participer à ces débats publiques. Ce serait une sorte de garant scientifique. J'y vois là une fonction importante.

L'Académie des sciences -à votre demande je pense- a débattu des OGM. Je dois dire que j'ai été très déçu de voir combien nos Académies sont loin des réalités et de la gravité de la situation.

Je crois qu'ils sous-estiment la gravité de la situation. Il y a urgence à intervenir et il me semble que l'interaction de plusieurs cercles -politiques, Académies, hommes de terrain et experts- pourraient essayer de dialoguer et parvenir à de meilleures formations et informations du publique à tous les niveaux.

Voilà mon impression.

M. le Président - Merci.

Y a-t-il des questions ?

M. le rapporteur - L'expertise, pour vous, consiste en quoi ?

M. Marc Fellous - Nos ministères de tutelle nous demandent de donner ou non un avis favorable pour qu'une expérience ait lieu, selon les critères que j'ai dits. C'est une expertise pluridisciplinaire, contradictoire, transparente.

M. le rapporteur - Vous n'allez pas sur le terrain voir ensuite les essais, évaluer avec d'autres partenaires, des techniciens ?

M. Marc Fellous - Quand nous donnons un avis, c'est une autre structure qui va suivre l'expertise. Les services de la protection des végétaux qui dépend aussi du Ministère de l'agriculture.

Je pense en effet qu'il serait mieux que ce soit la même commission qui vérifie l'expertise a priori et a posteriori, dans un esprit de cohérence et de suivi, et que l'expertise de la société civile soit à la charge d'une autre structure qui donne ses arguments.

J'étais contre cette notion, parce que je me demandais comment le politique allait pouvoir gérer des expertises contradictoires.

Or, je pense aujourd'hui que le politique doit gérer les contradictions et prendre les décisions. C'est son rôle.

Peut-être y a-t-il à faire une synthèse des expertises scientifiques et de celles de la société civile. C'est à vous de l'analyser. Peut-être est-ce là le rôle des conseillers des ministres. Peut-être ces conseillers ont-ils une double expertise mais, in fine, il faudra qu'ils décident en tenant compte des avis des deux commissions.

M. le président - L'IVS ne s'est pas encore penché sur ce type de sujet.

Au-delà de la problématique de l'équivalence des substances ou des problèmes d'allergénicité, estimez-vous qu'il faut faire des études complémentaires sur les conséquences induites par l'introduction des OGM ?

M. Marc Fellous - Effectivement, les méthodes que nous avons, sont imparfaites. Je pense qu'il faut les améliorer.

Les méthodes utilisées aujourd'hui sont, celles utilisées pour les aliments normaux. Il y a un débat très important sur le fait de savoir si les OGM ou l'aliment génétiquement modifié doivent être considérés comme une discontinuité, un aliment nouveau, ou comme une continuité : Ruptures ou continuités, voilà une des importantes questions que soulève les OGM, mais aussi d'autre développements scientifiques.

Or, les Etats-Unis et le Canada ont affirmé qu'il y avait là continuité, que ceci constituait une amélioration et qu'il n'y avait aucune raison d'utiliser des méthodes nouvelles pour évaluer ces aliments.

C'est le fond du débat. Les Américains, qui ont tout de même dix ans de recul, n'ont jamais publié de problèmes. Il n'y a pas plus d'allergies ou de toxicité dans les OGM que dans les aliments classiques. A ma connaissance, il n'y a pas plus d'accidents non plus.

En Europe, nous sommes beaucoup plus précautionneux. Il existe de nouvelles méthodes pour comparer les plantes. On va trouver des différences. La question est de savoir comment les interpréter. C'est ce dont nous allons discuter au prochain colloquer de septembre.

Je pense que le scientifique a des méthodologies nouvelles à proposer, mais je pense que, parallèlement, le point important est celui de la traçabilité. Afin de nous permettre de faire des études rétrospectives, des études d'épidémiologie.

Je crois que les Etats-Unis, de ce point de vue, commettent une erreur, dans la mesure où les aliments génétiquement modifiés sont distribués sans aucune traçabilité. Si un jour il y a un problème, on pourra très difficilement remonter à la source.

Je pense que la meilleure manière de faire avancer le problème pour monter que nos critères d'études sont bons, c'est d'améliorer nos méthodes d'études de l'alimentarité, OGM ou non, mais surtout de développer l'épidémiologie et la traçabilité.

Nous, scientifiques, disons : « Nous n'avons jamais rien constaté -pourtant, des pays comme l'Argentine ou le Canada ont un certain recul- mais soyons attentifs, développons des méthodes de surveillance », alors que le citoyen dit : « Comme vous n'êtes pas sûrs, on arrête tout ». Il y a là deux conceptions qui s'opposent et il est très de difficile de le faire comprendre à nos concitoyens.

M. Christian Gaudin - Ne doit-on pas plutôt privilégier l'indépendance du chercheur, de l'expert et n'est-il pas dangereux de communiquer trop vite, au risque de voir le grand public en demander toujours plus ? N'est-ce pas là un constat d'échec ?

M. Marc Fellous - Est-ce qu'il ne faudrait pas une structure intermédiaire entre le scientifique et le citoyen qui permettrait de ralentir le transfert d'informations ?

M. Christian Gaudin - Ce serait même le rôle de l'agence d'expertise !

M. Marc Fellous - Je trouve que l'Académie des sciences a un rôle important à jouer.

C'est une structure prestigieuse. C'est une structure d'excellence ; beaucoup de gens que j'admire -mes maîtres- y sont, mais je trouve que nos académies ne jouent pas le rôle qu'elles devraient jouer, en association avec l'agence. On a des compétences qui sont malheureusement sous-utilisées.

M. le président - Du même style que l'AFSSA.

M. Marc Fellous - Une agence qui donnerait une information contrôlée.

Je trouve que, dans notre pays, l'information est mal faite. Une revue américaine ou anglaise, Nature ou Science, a envie de se faire de la publicité et de vendre sa revue. L'AFP retransmet l'information dans les journaux. Celle-ci est lue par un citoyen, qui se dit : « Qu'est-ce qui se passe ? Le maïs mexicain est contaminé ? ».

On me téléphone à l'Institut Pasteur, et je réponds aux questions, bien ou mal. Cela ne va pas. Il faudrait une structure qui soit entre la science et l'AFP, ou entre la science et les journalistes, afin que l'on valide une information, qu'on la contrôle. Vous avez tout à fait raison et je partage votre avis : il nous faut cette structure.

Dans l'affaire du maïs mexicain, l'information s'est d'ailleurs révélée fausse, parce que les chercheurs avaient mal travaillé, mais dès qu'une information est diffusée, c'est irrécupérable. On ne peut plus faire marche arrière. La rumeur est catastrophique.

M. le président - J'utilise souvent l'exemple des travaux de Prusiner, dont l'équipe avait trouvé une concentration de prions dans le muscle la souris.

Or, c'était une variante de la tremblante que l'on n'avait découvert que chez la souris.

J'ai été très surpris de voir que les journalistes, qui avaient médiatisé avec plus ou moins de bonheur les problèmes de vache folle depuis trois ans, ne se sont pas jetés sur cette nouvelle et ont été assez rationnels. Ils ont digéré l'information et ne l'ont pas déclinée au regard du bovin, alors que je m'attendais à une catastrophe !

Vous estimez donc qu'il faut que l'agence verrouille l'information dès qu'elle paraît à l'AFP ? Vous ne craignez pas de voir nos concitoyens dire que nous sommes dans une société où l'information n'est pas véhiculée correctement ?

M. Marc Fellous - Certes, il y a eu des erreurs malheureuses, je l'ai reconnu mais, d'un autre côté, selon les sondages, les gens ont confiance dans la science et croient au progrès. Ils regardent les émissions scientifiques à la télévision. Cela les intéresse.

Cependant, il faut que nos concitoyens réalisent qu'une information scientifique doit être contrôlée. Ce serait facile à expliquer. Il existe des tas d'informations qui sont données sans qu'elles soient vérifiées. On peut citer des exemples.

Je n'ai jamais voulu le faire, mais j'aimerais reprendre les résultats de la page scientifique du Monde et vérifier ce qui a été confirmé et ce qui a été infirmé. Moins de la moitié des informations se sont avérées fausses !

C'est un peu ce que je disais vis-à-vis de mes étudiants, qui ne comprennent pas que ce que je leur dis aujourd'hui peut se révéler faux demain. Je pense que nos concitoyens acceptaient une structure qui valide les informations. Que vous l'appeliez agence ou autrement, ce n'est pas important, mais il faut un tampon. Je pense que serait bien pour notre société.

M. le président - On le note. Cela fait partie du rôle de cette mission.

M. le rapporteur - Il faudrait également décoder, parce que le commun des mortels n'est pas toujours en mesure de suivre.

M. Marc Fellous - Il faudrait que l'AFP le veuille. Ce que je dis pour la science est vrai aussi pour la politique !

M. le président - Je pense que l'on a fait le tour.

Merci beaucoup. Comme nous le disons à toutes les personnes que nous auditionnons, n'hésitez pas à nous adresser un certain nombre de documents qui pourraient nous être utiles au fil du temps.

M. Marc Fellous - J'ai été heureux que vous m'acceptiez dans votre sérail.

M. le président - Nous sommes là pour apprendre auprès de gens comme vous.

20. Audition de Mme Madeleine Ferrières, Professeur à l'université d'Avignon, auteur du livre « Histoire des peurs alimentaires » (ed. du Seuil)

Mme Madeleine Ferrières - Les historiens n'ont pas pour mission de donner des leçons à leurs contemporains. Ils souhaitent que leurs travaux les éclairent sur le passé et permettent de mieux comprendre le présent. Au cas particulier des plantes, l'histoire abonde d'exemples d'apparition de plantes nouvelles. Ainsi Charles de Lecluse parle au XVI e de « plantes nouvelles ». Elles l'étaient pour lui et les Européens mais pas pour les Indiens d'Amérique. Il faut toujours relativiser. On observe une constante dans le discours alimentaire : le thème du déclin. Les discours alimentaires font toujours référence à un âge d'or, le passé, auquel succède au présent la décadence, avant la catastrophe qui se produira dans le futur.

Dans les écrits anciens - la Bible, Lucrèce - les premiers hommes sont invariablement décrits comme forts et en bonne santé, comme Adam ou Mathusalem pour ne citer que ces exemples illustres. D'où l'importance d'une bonne alimentation, proche de la nature.

A partir de Christophe Colomb et des grandes découvertes, jusqu'à la Révolution, des plantes seront adoptées par les populations avec plus ou moins de rapidité. Il y a des lièvres, comme le poivron ou le haricot, et des tortues : on a tous en mémoire la pomme de terre. Quelles sont les clés de cette adoption : - l'acclimatation ? Pas vraiment. Si les hommes trouvent une plante bonne, ils n'hésitent pas à la faire venir de loin, par exemple le café ou le cacao.

Le goût est fondamental. Si la plante nouvelle s'approche de saveurs connues, elle est adoptée. C'est ainsi que les haricots en provenance d'Amérique sont acclimatés dans la région de Cavaillon parce qu'ils ressemblent à une plante connue - la dolique - qu'ils ont le même goût, mais sont plus productifs. De même, le poivron sera assez vite accepté car il rappelle les épices rares. En revanche, nos ancêtres avaient quelques bonnes raisons de rejeter la pomme de terre. A certains égards, elle était toxique et, certaines variétés de « Taratouffle » n'avaient pas bon goût. Comme l'a écrit Claude Levi-Strauss , un aliment doit être » bon à manger, bon à penser ». Grâce aux généticiens d'autrefois, on a réussi, au milieu du XVIII e siècle, à mettre au point des variétés mangeables et surtout moins toxiques.

Le problème qui se pose aujourd'hui c'est l'accélération de la technique génétique qui est, quelque part, en contradiction avec une certaine culture.

M. Jean Bizet, président - Comment dialoguer avec nos concitoyens d'aujourd'hui sur ces sujets ?

Mme Madeleine Ferrières - En étudiant notre culture alimentaire, on peut observer qu'en France nous sommes du côté de la tendance « saveur et convivialité » alors que l'aspect sanitaire a plutôt les faveurs des anglo-saxons. Mieux connaître aussi notre passé alimentaire : il devrait nous rendre plus humbles et nous apprendre que nous ne sommes pas les premiers à affronter le risque de la nouveauté. Enfin, être mieux informé par les sciences « dures ». Moi qui me croyais avertie sur ce sujet, j'ai récemment appris que les semences stériles, qui mettraient le producteur dans une situation de dépendance, ne sont pas une nouveauté née des OGM. Or la peur naît souvent de l'ignorance.

M. Jean Bizet, président - l'attitude actuelle paraît, pour certains, assez figée.

Mme Madeleine Ferrières - Le franchissement de la barrière des espèces fait peur. Que la transgénèse puisse se produire spontanément dans la nature n'est pas un bon argument. La transmission « naturelle » des maladies de l'animal à l'homme n'est pas une bonne chose !

M. Jean Bizet, président : la sémantique n'est-elle pas pour quelque chose ?

Mme Madeleine Ferrières - Pas nécessairement. On a choisi d'abandonner l'expression de manipulation génétique au profit de génie génétique. Cela n'a rien changé dans l'opinion. La politique est plus importante que la sémantique. Les autorités politiques, telles que j'ai pu les observer dans les crises sanitaires du passé, tantôt suivent les experts, tantôt l'opinion... ou les deux.

M. Jean Bizet, président - Je vous remercie.

21. Audition de M. Franck Garnier, Directeur général de Bayer CropScience, accompagné de M. François Thiboust, Directeur des affaires publiques et gouvernementales

M. le Président - Je vous remercie de venir devant la mission d'information créée en raison de la transcription prochaine de la directive communautaire 98-44 et conformément à notre voeu de préparer une loi fondatrice sur les biotechnologies en France.

Nous attendons de vous que vous présentiez vos intentions et vos inquiétudes.

M. Franck Garnier - Nous avions déjà été auditionnés il y a quatre ans par cette même Commission non dans le cadre de Bayer Cropscience créé il y a un mois seulement, mais d'AgrEvo dont l'activité a été totalement reprise par Aventis CropScience puis tout récemment par Bayer CropScience.

Dans le cadre de notre activité BioScience, notre stratégie tend à l'utilisation des biotechnologies comme d'un outil pour produire des plantes, des semences et des nouvelles variétés. Cette activité est conduite principalement en Europe pour la recherche et le développement. Un laboratoire emploie 60 personnes à Lyon. Nous sommes de plus partenaires dans Génoplante et dans plusieurs autre initiatives françaises.

Nous sommes particulièrement sensibles au cadre réglementaire européen et à son évolution, tant en ce qui concerne l'encadrement des activités de recherche et développement que pour la commercialisation d'OGM en Europe ce qui est notre objectif.

M. le Président - Comment évolue votre budget de recherche et développement ?

M. Franck Garnier - A terme, il représentera 10 % d'un chiffre d'affaires de 6,5 milliards d'euros. La part des biotechnologies est relativement faible, mais plus que proportionnelle au chiffre d'affaires de cette activité.

Ce qui nous gêne, c'est que nos projets hors Europe - seuls les marchés américains, canadien, argentin, chinois sont actifs - sont, hélas, freinés par le cadre actuel : les difficultés que nous rencontrons au niveau de la recherche en Europe et le retard pris dans l'examen de nos dossiers représentent des handicaps importants par rapport à nos concurrents américains. Pourtant des groupes comme les nôtres contribuent au développement et soutiennent l'agriculture.

M. François Thiboust - Firme internationale qui ne fait que 10 % de son chiffre d'affaires en France, nous ne pouvons négliger le développement important des biotechnologies dans le monde, développement qui a un impact sur le marché mondial de la protection des plantes. Ainsi, les marchés « insecticide coton » et « désherbage soja » ont été fortement réduits !

M. le Président - Vos opposants ne disent pas que les traitements phytosanitaires ont diminué.

M. François Thiboust - Greenpeace reconnaît que le coton Bt reçoit moins d'insecticides. Le maïs Bt ne nécessite pas l'application d'un insecticide début juillet.

Le développement des biotechnologies a un impact sur le marché de la protection des plantes mais les biotechnologies ne doivent pas être vues seulement sous l'angle des OGM.

Ainsi pour notre activité agrochimique, les développements de la génomique et de la transgénèse sont utiles à l'identification de nouvelles familles chimiques et de nouveaux sites d'action.

S'agissant de la sélection végétale (et même si notre activité semences n'est pas très importante), l'identification des gènes accélère les méthodes classiques de sélection.

Les journalistes et le public assimilent biotechnologies et OGM, mais les biotechnologies sont aussi très utiles pour des activités considérées comme conventionnelles.

M. le Président - Avec, à la clé, des essais en plein champ.

M. François Thiboust - Effectivement. Notre laboratoire de biotechnologie végétale de Lyon travaille à la fois sur les OGM et pour la recherche sur les produits phytosanitaires. Les mêmes chercheurs travaillent sur plusieurs sujets et ont besoin pour tous leurs projets de passer au champ après les tests en laboratoire.

En ce qui concerne les OGM, nous avions demandé au printemps des autorisations pour des essais en plein champ de sojas exclusivement destinés au marché américain. Nous n'avons pas obtenu l'autorisation du précédent gouvernement malgré l'avis positif de la CGB.

M. le Président - Où ont été conduits les essais ?

M. François Thiboust - Ils n'ont pas pu être réalisés et nous perdons un an. Alors continuerons-nous à effectuer nos recherches à Lyon ?

M. le Président - Envisageriez-vous une délocalisation ?

M. François Thiboust - Je n'irai pas jusque là mais malgré l'avis positif de la Commission du Génie Biomoléculaire, un refus nous a été opposé sur ce dossier soja comme sur un dossier maïs.

Nous voulions pour ce maïs destiné lui aussi au marché américain réaliser des études afin d'obtenir une autorisation d'importation dans l'Union Européenne. Il ne s'agit pas de commercialiser ce maïs en Europe, mais nous voulons obtenir cette autorisation avant le lancement aux USA, car actuellement la moindre trace d'OGM non autorisé dans l'Union Européenne y est interdite, même si cet OGM est autorisé dans un autre pays de l'OCDE.

M. le Président - Il n'y a pas de seuil ?

M. François Thiboust - Lors de l'examen au Parlement Européen de la nouvelle directive Food and Feed, la fixation d'un seuil de présence fortuite pour des OGM autorisés dans d'autres pays de l'OCDE et non dans l'Union Européenne a fait l'objet d'un amendement qui n'est pas passé. Notre objectif est donc d'obtenir l'autorisation d'importation en France et en Europe.

Nous voulons obtenir cette autorisation pour éviter que des présences fortuites de ce maïs posent problème lors de l'importation en Europe de maïs ou de produits alimentaires américains. Nous n'avons pas pu faire les études en France, ce qui va repousser le lancement de notre produit aux Etats-Unis.

M. Hilaire Flandre - Renoncez-vous ou délocalisez-vous ?

M. François Thiboust - Nous faisons partie, depuis un mois, du groupe Bayer. La société va être réorganisée. Une ouverture, en France, sur ce dossier des biotechnologies, serait la bienvenue.

M. Franck Garnier - Rien n'est figé. Le savoir-faire est à Lyon : l'activité « bioscience » pour le monde restera à Lyon. Nous avons anticipé une amélioration de la situation. Nous souhaitons que l'évolution conforte ce choix. L'absence de déblocage d'ici deux à trois ans, en particulier sur le maïs, nous amènerait à nous poser des questions.

M. François Thiboust - S'agissant de l'avenir des biotechnologies en France, nous avons conscience qu'un développement commercial rapide des OGM n'est pas réaliste, mais la recherche doit pouvoir continuer et nous ne pouvons imaginer que notre pays reste à l'écart de cette technologie dans les cinq à dix ans qui viennent.

Il faut du temps pour expliquer et pour laisser les pouvoirs publics prendre des initiatives. Nous savons que nous ne sommes pas les plus crédibles sur ce dossier. Mais les responsables de ce pays doivent prendre position et sortir d'une opposition idéologique. Certains combattent les OGM comme des symboles d'une société qu'ils refusent. Nous voulons apporter des solutions innovantes aux problèmes rencontrés par les agriculteurs, et non gérer des débats de société.

M. le Président - Sommes-nous en retard en matière de recherche fondamentale sur les biotechnologies...?

M. François Thiboust - C'est à Gand en Belgique qu'a eu lieu le premier transfert de gène sur une plante. Mais maintenant les Etats-Unis jouent un rôle primordial et nous avons signé des contrats de recherche avec des start-up américaines.

M. Franck Garnier - Pour la culture du colza, il y a quelques années, nous disposions d'un avantage concurrentiel important et d'une propriété intellectuelle très en avance. Nos parts de marché au Canada étaient importantes, mais cette avance fond. Le retard du cadre réglementaire européen nous amène à nous interroger sur le maintien de cette activité de recherche-développement sur le colza, surtout que le déblocage réglementaire semble devoir passer d'abord par le maïs.

M. François Thiboust - Nous disposons d'une bonne technologie déjà commercialisée au Canada et aux Etats-Unis et qui va être lancée en Australie et en Inde.

Avant la commercialisation du colza OGM en France, des essais plein champ sur les flux de gène doivent être réalisés. Plusieurs de ces essais mis en place par la recherche publique ont été détruits depuis 1998. Il faudra donc encore plusieurs années avant de lancer le colza OGM en France, alors qu'au Canada le « canola » tolérant aux herbicides lancé en 1995 représente les trois quarts de la superficie totale.

M. le Président - Envisagez-vous un développement de l'agriculture française en marge des OGM ? Imaginons que le codex alimentarius protège le marché européen, y a-t-il un avenir pour notre agriculture ?

M. François Thiboust - Cette protection concernerait-elle les importations ?

M. le Président - Evidemment !

M. François Thiboust - Des subventions européennes très importantes devraient obligatoirement être accordées pour créer une filière protéine européenne forte. Notre filière protéine n'est actuellement pas compétitive par rapport au soja américain que nous importons.

M. le Président - 78 % !

M. François Thiboust - Au niveau mondial, des filières non OGM avec des seuils de présence fortuite et un prix plus élevé devront exister, car l'Europe ne pourra pas être autosuffisante. Les Américains, les Brésiliens et les Argentins travaillent à la mise en place de telles filières.

M. le Président - Carrefour considère la filière brésilienne non OGM d'une grande fiabilité.

M. François Thiboust - Il est difficile de trouver du soja non OGM dans le sud du Brésil vu les importations illégales de semences d'Argentine bien adaptées aux conditions climatiques de cette région, mais nos collègues brésiliens nous ont aussi appris que dans le Mato Grosso, des sélectionneurs locaux ont introduit le gène de tolérance à un herbicide dans des variétés mieux adaptées à des régions situées plus au nord. Les agriculteurs brésiliens ont intérêt à utiliser du soja tolérant à un herbicide ce qui est normalement interdit dans leur pays, car ils ne paient pas de technology fees et utilisent des produits génériques. La fraude leur donne un avantage par rapport à leurs concurrents américains et argentins qui utilisent ces produits tout à fait légalement.

On peut cependant encore trouver du soja non OGM au nord et ce sera toujours possible si l'agriculteur brésilien est correctement rémunéré.

M. le Président - Vous imaginez que les pouvoirs publics brésiliens les aideraient...

M. François Thiboust - Le marché « désherbage du soja », au Brésil, est en chute libre. Les ventes d'insecticide en Chine ont baissé (les autorités reconnaissent désormais qu'un tiers de leur coton est OGM). Dans ces deux cas, soja comme coton, des semences de ferme OGM peuvent être produites par les agriculteurs car les plantes sont autogames.

M. le Président - A terme, la productivité diminue.

M. François Thiboust - Non, il suffit d'acheter un peu de semence commerciale chaque année, de la semer et ainsi de produire sa propre semence pour l'année suivante. Dans le tiers-monde, les contrôles sont inexistants.

La France aura du mal à rester de côté. Les barrières coûteront cher aux contribuables...

M. Hilaire Flandre - La décision devra être européenne.

M. François Thiboust - Notre agriculture ne bénéficierait alors pas des avancées dont bénéficieront les autres pays!

M. Pastor, rapporteur - Je me ferai l'avocat du diable : les pouvoirs publics et l'opinion publique freinent. Comment leur répondre, notamment en ce qui concerne le comportement de ces produits en deuxième et troisième génération. Quelle en est l'incidence sur l'homme ? Qu'êtes-vous prêts à accepter pour faire passer le message ?

M. Hilaire Flandre - Votre métier principal est de fabriquer des produits phytosanitaires qui deviennent inutiles pour les OGM...

M. Franck Garnier - La totalité de la marge est dégagée par les produits traditionnels, mais le marché mondial va opérer une substitution progressive. L'interdiction de l'atrazine sur le maïs va poser le problème des nouvelles technologies.

Un sanctuaire français ou européen ne perdurerait que quelques années. Nous n'y croyons pas, c'est pourquoi nous investissons très lourdement. A terme, le développement d'usages non alimentaires - énergie, matériaux - serait inéluctable car les sources fossiles vont s'épuiser.

M. le Président - Avez-vous des projets de constructions génomiques non alimentaires ?

M. Franck Garnier - Dans le cadre de « génoplante » avec les pouvoirs publics.

M. le Président - Pourrions-nous disposer d'une note sur ce sujet ?

M. Franck Garnier - Le développement passe aussi par un consommateur rassuré. C'est la transparence qui permettra, dans un cadre défini, d'effectuer les expérimentations qui pourront rassurer le consommateur.

Le maïs ? Les effets sur l'environnement sont infimes ou nuls. Le colza ? Des expérimentations longues seront nécessaires, en plein champ, sur des bases pluriannuelles et avec garanties de bonne fin.

M. le rapporteur - Vous n'en êtes qu'à l'expérimental.

M. François Thiboust - Prenons l'exemple de la campagne que nous n'avons pas pu faire. Les obligations réglementaires ne suffisent pas. Depuis trois ans, nous avons l'habitude de prendre contact avec le maire, de proposer une réunion avec le conseil municipal sur nos intentions et les précautions prises. Nous rencontrons des responsables agricoles comme nos clients, coopératives et négociants. Tous ces contacts avaient été réalisés avant qu'on nous refuse l'autorisation: nous avions même convaincu un ferme opposant ! Nous ne pouvons cependant visiter toutes les communes de France.

M. le rapporteur - Mais vous êtes suspects !

M. François Thiboust - Nous sommes prêts à faire des efforts.

M. Hilaire Flandre - Ces précautions ne risquent-elles pas d'avoir un effet contraire à celui espéré ?

M. François Thiboust - Nous avons face à nous des activistes qui gèrent leur fond de commerce. Les 4 et 5 février dernier lors du débat sur les essais OGM au Comité Economique et Social, M. Rebelle de Greenpeace a attaqué sur les aspects scientifiques, mais des représentants de l'INRA ont balayé ses arguments. Il a alors déclaré que de toute façon, les OGM, il n' en veut pas et n' en voudra jamais !

M. Daniel Raoul - Cela dépasse le domaine rationnel.

M. le Président - Greenpeace n'est-il pas soutenu par certains pays que son action arrange bien ?

M. François Thiboust - Je n'ai pas de preuve... Mais les sociétés qui n'ont pas leur recherche en France ont bien sûr été moins gênées par les destructions.

On peut comprendre les interrogations de l'opinion publique, mais je suis choqué par les propos de ceux qui se servent de ce dossier comme d'un symbole. La lutte contre la mondialisation ou certains excès de notre société peut passer par d'autres moyens.

La réglementation actuelle ne pourra concerner les "OGM" qui arriveront dans dix ans: le gène marqueur et le promoteur auront disparu.

M. le Président - On sera revenu aux mutations génétiques naturelles.

M. François Thiboust - Déjà certaines plantes "non OGM" sont résistantes à des herbicides.

Aux Etats-Unis et au Canada, la réglementation s'intéresse d'abord aux propriétés des plantes et ces plantes "non OGM" sont examinées comme des OGM.

La réglementation européenne qui prend en compte la technologie et non le produit final ne pourra qu' être transitoire.

M. Franck Garnier - Des développements de productions ciblées de molécules pour la nutrition et la santé sont envisageables. Chaque coup de frein retarde de nouvelles recherches inévitables. Nous sommes favorables à toutes les expérimentations qui rassureraient les consommateurs.

M. le rapporteur - D'autres entreprises sont déjà dans la phase de développement. Que pensez-vous des pays qui font l'impasse sur l'expérimentation ?

M. François Thiboust - Les conséquences sur la santé et l'environnement doivent partout être étudiées au cas par cas.

Les études exigées dans le cadre réglementaire européen sont très nombreuses, alors quelles études supplémentaires effectuer ?

Le consommateur européen a été échaudé, il y a eu des erreurs de communication : l'industrie a mal évalué l'impact de ce dossier sur l'opinion et les opposants ont bien utilisé les médias.

Pour le maïs, nous voulons reprendre le dossier, réaliser des expérimentations « grandes parcelles », en collaboration avec la recherche publique et en organisant des visites afin d' essayer de faire prévaloir le bon sens:

Le génie génétique est un outil comme un autre.

Pourquoi accepter son utilisation dans certains domaines et la refuser en agriculture ?

Pourquoi refuser le maïs OGM pour faire de l' amidon alors que des enzymes OGM sont utilisées ultérieurement dans le process de fabrication ?

M. le Président - Vous attendez une signature du ministre !

M. Franck Garnier - Sur un maïs et un soja. Mais l'élaboration du communiqué de presse agriculture-environnement semble difficile.

M. le Président - Chacun sa croix !

Je vous remercie. Faites-nous parvenir toute information complémentaire utile. Si une loi est préparée, nous nous reverrons. Nous ne souhaitons pas que la France perde.

22. Audition de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales

M. le président - Merci, Monsieur le Ministre, d'avoir bien voulu nous rendre visite pour cette audition de la mission d'information sur les OGM, que la commission des affaires économiques et du plan a souhaité mettre en place de façon, en quelque sorte, à présider à la transcription de la directive européenne 2001-18 et, pour partie, de la 98-44 sur la brevetabilité.

Nous avons un certain nombre de questions que nous nous sommes permis de vous glisser. Vous avez la parole.

M. le ministre - Monsieur le Président, Messieurs les sénateurs, merci de votre accueil. Mon premier mot sera pour vous présenter mes voeux les meilleurs pour l'année nouvelle.

C'est avec plaisir que je viens devant votre mission d'information vous indiquer ma position à l'égard du défi posé par les essais au champ des OGM.

Je crois en effet que, sur des sujets par essence aussi sensibles, il est important que le Gouvernement et la représentation nationale puissent travailler de façon étroite, transparente et en pleine confiance.

Depuis quelques années, la mise sur le marché et la dissémination dans l'environnement de plantes génétiquement modifiées suscitent, en effet, de nombreuses controverses en France, et plus généralement dans l'Union européenne, avec d'ailleurs des divergences notables qui peuvent correspondre aux sensibilités différentes des opinions publiques.

Le débat autour de ces questions est extrêmement passionné, particulièrement nourri et donne souvent lieu à des prises de positions définitives et relativement inconciliables.

Cette question a ainsi fait l'objet de nombreux débats et rapports dont la plupart ont souligné la nécessité de mieux prendre en compte les préoccupations de nos concitoyens, telles qu'elles peuvent s'exprimer dans le cadre de la Conférence des citoyens organisée en 1998 par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, du Conseil économique et social, du Commissariat général au plan, des débats citoyens organisés dans les régions en 2001, par les associations de défense des consommateurs et à l'initiative du Secrétariat d'État à la consommation, ou encore, plus récemment, du débat public des 4 et 5 février 2002.

La richesse de ces débats et le foisonnement de ces rapports tiennent sans doute à ce que les OGM demeurent une innovation récente mais qui connaît une évolution rapide.

En effet, les OGM exigent de tous, y compris des décideurs publics, une vitesse d'acculturation hors du commun, car ces technologies progressent plus vite que les connaissances sur leur impact.

Dans le même temps, le principe de précaution tend à être invoqué à tout propos et à l'appui des demandes les plus inattendues.

La question des OGM implique fréquemment la compétence de différents départements ministériels. Le ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales délivre les décisions d'autorisations pour la dissémination de plantes, les animaux, les engrais et les produits phyto-pharmaceutiques issus d'OGM. Les contrôles a posteriori des mises en culture d'OGM incombent, quant à eux, aux agents des services régionaux de la protection des végétaux du ministère.

Le directeur de l'Agence du médicament humain délivre, pour sa part, les autorisations relative à la thérapie génique et aux médicaments humains et le directeur de l'Agence nationale du médicament vétérinaire relevant de l'AFSSA accorde les autorisations relative aux médicaments vétérinaires.

J'ajoute que le ministère de l'environnement, celui chargé de la consommation et le ministère chargé de la recherche sont également au coeur de ce débat, qui est par nature interministériel.

Dans la gestion de ce dossier, nos choix sont guidés par les principes définis par le Gouvernement que sont la recherche, l'information des citoyens et le souci de précaution.

La recherche, tout d'abord, est essentielle au développement des biotechnologies.

En effet, dans le domaine agroalimentaire, le génie génétique ouvre de nouvelles possibilités, jusqu'alors peu exploitées, d'adapter certaines plantes de culture à des conditions aussi extrêmes que la sécheresse, la salinité, le froid ou les maladies.

A l'avenir, le génie génétique pourrait également permettre d'éliminer les substances toxiques produites naturellement par les plantes. En optimisant les pratiques agricoles, il pourrait, enfin, contribuer à réduire l'utilisation des intrants, en particulier les pesticides et les fertilisants.

Dans les domaines médical et vétérinaire, il pourrait notamment contribuer à la lutte contre certaines maladies génétiques et mettre en oeuvre de nouveaux procédés d'obtention de produits thérapeutiques, telles que l'insuline ou l'hormone de croissance.

La production de vaccins contre la rage, l'hépatite B ou le sida est également envisagée.

Dans le domaine environnemental, des travaux portent sur l'utilisation de micro-organismes pour dépolluer les sols contaminés et plus généralement éliminer de l'environnement tout contaminant.

Aussi, la recherche dans ces domaines doit-elle se poursuivre. J'ai observé que le débat public des 4 et 5 février 2002 n'a pas remis en cause le principe de la recherche sur les plantes génétiquement modifiées. Cette recherche est d'autant plus nécessaire que la compétition scientifique internationale et les enjeux économiques sont considérables. Elle doit être parfaitement comprise par nos compatriotes et donc leur être expliquée.

L'information du citoyen doit, en effet, permettre de concilier la prise en compte de leurs attentes et la poursuite de l'innovation technologique.

Il est important que les Français ne se sentent pas exclus des décisions que nous prenons. Les débats publics ou les conférences de citoyens constituent un moyen d'associer les citoyens et de mieux percevoir leurs attentes.

On ne saurait toutefois se contenter de débats trop généraux et nous entendons profiter du travail législatif que suppose la transposition de la directive 2001-18 pour faire des propositions visant à améliorer l'information des citoyens sur les essais au champ de cultures OGM.

Compte tenu de l'état du droit national en vigueur, certains points de cette directive nécessitent une transposition par voie législative. D'autres, à l'inverse, pourraient plus simplement être transposés par voie réglementaire.

La directive impose la consultation du public sur les disséminations effectuées au titre de la recherche et du développement. La consultation du public en ce qui concerne la mise sur le marché des OGM relève, pour sa part, de la compétence de la Commission européenne.

La décision finale d'autorisation est une décision de gestion du risque. C'est pourquoi elle relève de l'autorité politique. Celle-ci l'arrête en fonction d'une évaluation scientifique des risques et de tout autre élément porté à sa connaissance. C'est dans ce contexte d'évaluation préalable que se pose la question de la consultation du public, à laquelle j'accorde -vous le savez- la plus grande importance.

Différentes modalités, plus ou moins contraignantes, de consultation du public sont envisageables. Celle-ci peut être opérée à plusieurs niveaux -national, régional ou local- et suivant des formes différentes -réunion publique ou mise à disposition d'éléments du dossier.

Enfin, elle peut mettre en oeuvre différents supports, documents papier ou système électronique d'échange d'informations par Internet. Il conviendra, bien entendu, que les différents ministres se prononcent sur ces options.

Sans préjuger des conclusions de ce débat, l'opinion des acteurs locaux me semble devoir être prise en compte. Les maires doivent être des interlocuteurs privilégiés et je souhaite pouvoir engager la concertation avec eux, afin de recueillir leur point de vue et de mieux connaître leurs attentes dans le domaine de l'information et de la consultation des acteurs locaux.

D'ailleurs, les travaux parlementaires préalables à la transposition de la directive 90-220, abrogée et remplacée par la directive 2001-18, avaient déjà largement abordé cette question.

Différentes recommandations portant sur l'organisation de l'expertise nationale et sur son champ ont été émises. Il convient désormais de réfléchir à une éventuelle réorganisation de notre dispositif d'expertise, indépendamment de la transposition de cette directive. Une telle réorganisation améliorerait, de surcroît, la transparence du dispositif existant.

Le travail des experts scientifiques est indispensable et précieux pour le décideur politique. J'entends que le rôle des instances d'évaluation scientifique des risques soit conforté et qu'il demeure au coeur du processus.

La question d'une éventuelle réforme de l'expertise scientifique devra naturellement faire l'objet d'une réflexion interministérielle approfondie, sur laquelle je n'entends pas aujourd'hui m'exprimer de façon anticipée.

Nous devons également trouver un moyen de mieux prendre en compte la demande par nos concitoyens d'une expertise socio-économique. Une telle expertise permettrait d'éclairer le Gouvernement sur des questions de portée générale relatives aux OGM. Même si elle n'est pas dictée par la directive, cette démarche me paraît souhaitable.

Renforcer notre dispositif national permettrait à nos concitoyens de mieux saisir l'intérêt des essais en plein champ. Il préserverait ainsi le dynamisme et la compétitivité de nos entreprises du secteur des biotechnologies.

A défaut, celles-ci devraient se résoudre à délocaliser leurs expérimentations dans des pays voisins. Sachez que notre pays réclame avec force une évolution de la réglementation communautaire dans le domaine de l'information du consommateur. Les deux projets de règlements relatifs, d'une part, aux aliments contenant des OGM et, d'autre part, à la traçabilité et à l'étiquetage des OGM, en sont l'occasion.

Comme vous le savez, j'ai pris une part active, à Bruxelles, à la négociation de ce premier règlement. Un accord politique a été trouvé avec nos partenaires allemands et italiens. Ainsi, pourra être mis en place un dispositif d'étiquetage qui réponde aux attentes des consommateurs pour une plus grande lisibilité, et à des impératifs techniques pour sa mise en oeuvre et son contrôle.

Conformément à la procédure de co-décision, ce projet doit désormais être soumis au Parlement européen pour une deuxième lecture. Il ouvre la possibilité, après sa publication au Journal officiel des communautés européennes, d'une reprise des demandes d'autorisations de mise sur le marché d'OGM.

Je rappelle qu'en l'absence de conditions de traçabilité ou d'étiquetage, le précédent Gouvernement avait proposé au Conseil des ministres de l'Union européenne des 24 et 25 juin 1999 une déclaration visant à suspendre toute nouvelle autorisation de mise sur le marché d'OGM. Celle-ci pourrait être à nouveau délivrée, après que soit mise en place une traçabilité effective des produits issus d'OGM, condition préalable à un étiquetage complet et clair.

Enfin, je voudrais aborder le troisième pilier de notre action, celui relatif à la précaution.

Ainsi que je l'ai développé précédemment, la recherche nous est indispensable pour parfaire notre connaissance des OGM. L'implantation de cultures d'OGM en plein champ ne doit bien évidemment être opérée qu'après que toutes les dispositions ont été prises pour prévenir les risques liés à une possible dissémination.

C'est, d'ailleurs, tout l'enjeu des mesures proposées par les experts scientifiques de la Commission du génie biomoléculaire, qu'il s'agisse des distances d'isolement ou des conditions de destruction avant floraison.

Il est nécessaire, par ailleurs, de mettre en oeuvre une véritable surveillance biologique du territoire, afin que les problèmes qui surviendraient du fait de la mise en culture d'OGM puissent être identifiés sans retard.

Le Comité de biovigilance, créé par la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999, est chargé de mettre en oeuvre la surveillance biologique du territoire, au delà de la seule question des OGM.

Cette instance est ouverte à la société civile et permet de nombreux échanges sur les protocoles de surveillance et les résultats du suivi.

Il me parait souhaitable que ce comité puisse développer des travaux scientifiques sur les méthodes de surveillance biologique du territoire et analyser les résultats des plans de surveillance mis en oeuvre par les opérateurs privés comme par les services de l'Etat.

Ces derniers travaux constitueraient, en outre, un précieux retour d'expérience. Ils enrichiraient utilement les connaissances sur l'évaluation des risques par les opérateurs et la Commission du génie biomoléculaire et permettraient, le cas échéant, aux pouvoirs publics de recourir au principe de précaution d'une façon appropriée.

Un tel retour d'expérience ne saurait, toutefois, être envisagé sans que soit maintenue une stricte séparation entre l'évaluation et la gestion du risque.

Monsieur le Président, Messieurs les sénateurs, je crois que nous partageons ensemble le souhait d'améliorer notre dispositif à court terme, d'autant plus que nous voulons opérer la transposition de la directive communautaire.

Pour autant, la sensibilité extrême de ce sujet le rend fort délicat et nous impose de réfléchir très sérieusement avant de proposer toute réforme. Les populations établies sur le territoire de la commune soumise à des essais au champ et des communes proches devront disposer d'une information exhaustive, car seule cette information permettra une consultation sereine, comme la directive le prévoit.

Je voulais également vous dire en terminant que j'attends beaucoup des travaux de votre mission. Sur un sujet aussi important et aussi complexe, il est utile de disposer d'expertises collectives afin de prendre la meilleure décision publique.

Voilà Monsieur le Président, Messieurs les sénateurs, quelques éléments introductifs que je voulais vous livrer, en vous remerciant encore de m'avoir convié parmi vous.

Sur ce sujet difficile, je sais pouvoir compter sur votre soutien. Vous pouvez, en retour, compter sur mon écoute attentive et mon attention la plus vigilante aux préoccupations dont vous me ferez part.

M. le président - Merci pour ces éclairages, Monsieur le Ministre.

Vous avez parlé de la directive 2001-18. Peut-on avoir une idée de la date à laquelle le Parlement sera saisi ? Quel ministère sera porteur de cette transcription ?

Au-delà de la traçabilité et de l'étiquetage, on sent très bien le souci de nos concitoyens de consommer des produits non-OGM. Comment respecter l'identité et la lisibilité de ces deux filières ?

Enfin, quelle est votre position à propos du problème de l'assurance et vis-à-vis des agriculteurs biologiques qui réclament un niveau zéro ?

M. le ministre - Tout d'abord, s'agissant du calendrier et du porteur de la transposition, un travail interministériel est en ce moment en train de se faire pour la rédaction du texte visant à transposer la directive.

Viendra ensuite le moment du débat parlementaire. Je ne suis pas en mesure de vous dire quand celui-ci aura lieu. Le secrétariat d'Etat aux relations avec le Parlement, en liaison avec les conférences des présidents des deux assemblées, va travailler sur l'ordre du jour des semaines et des mois qui viennent.

Je ne suis pas plus en mesure de vous dire quel sera le ministère porteur. Plusieurs ministères sont possibles, puisqu'il s'agit par essence d'un sujet interministériel. Le Premier ministre n'a pas encore, sur ce sujet, rendu sa décision.

Nous sommes conscients de l'urgence et voulons aller le plus rapidement possible, d'autant qu'au niveau communautaire, les choses se sont développées à la fin de l'année dernière. Je pense que c'est une question de semaines, mais je vous confirme notre souhait d'aller le plus rapidement possible.

La question de la lisibilité et de la traçabilité -sans mauvais jeu de mots- de la filière exempte d'OGM est extrêmement importante.

C'est un sujet en soi qui, d'ailleurs, recoupe celui de l'agriculture biologique. Ce sont des thématiques et des problématiques voisines.

Je crois qu'il existe sur ce point un certain nombre de sous-sujets à traiter. Le premier d'entre eux est la lisibilité et la labellisation d'une filière exempte d'OGM.

Le second point, que vous connaissez, est la question de la circulation de ces produits au regard des règles commerciales internationales.

Enfin, le troisième sujet, qui n'est pas le moindre, est la question du coût d'une filière exempte d'OGM Qui le prendrait à sa charge ? Est-ce le consommateur ou faudrait-il prévoir dans les dispositifs d'organisation commune de marchés, au niveau communautaire, des aides ou des compensations ? Aujourd'hui, il y a plus de questions ouvertes que de réponses précises !

C'est en partie pour cette raison que j'ai nommé Martial Saddier, jeune député de Haute-Savoie, parlementaire en mission sur les questions de l'agriculture biologique. Il connaît bien les questions agricoles. Cette question fait partie des sujets qu'il aura à traiter et je lui demanderai de se rapprocher de votre mission pour que vous puissiez travailler en commun.

M. le président - Les agriculteurs biologiques suisses ont trouvé un certain équilibre avec une contamination fortuite à hauteur de 3 %, car le zéro est impossible à atteindre. Or, si elle s'enferme dans un refus total, cette niche se marginalisera totalement.

Comment définir la notion de risque auprès des assurances ? La position du Conseil et celle du Parlement sur le seuil de 0,9 % fait que nous aurons des coûts d'analyses au niveau européen qui ne seront pas neutres et qui placeront les produits français et européens en distorsion de concurrence par rapport aux produits américains.

Nous aurons en effet intérêt à rencontrer M. Saddier.

M. le ministre - Je voudrais vous livrer deux observations complémentaires. Je n'ai pas de compétences particulières en matière scientifique mais, ayant été secrétaire d'Etat à la santé il y a quelques années, je suis particulièrement sensible à tout ce qui touche au principe de précaution et à son exacte et opportune application.

Tout d'abord, je trouve la Commission européenne et les services chargés de cette question tournés vers les problèmes de l'OMC dans une optique de marché intérieur davantage que dans une logique de santé publique.

La Commission et le commissaire sont en effet très catégoriques sur le plan des questions liées à la santé. Toutefois, invoquer uniquement -comme le font souvent les partisans des OGM- la question de l'OMC et des recours que peuvent former les Américains à l'encontre de l'Europe ne me semble pas être un argument suffisant pour convaincre une opinion publique, notamment en France, qui, sur ces questions-là, éprouve un scepticisme profond et peut avoir le sentiment qu'on lui cache des choses.

La seconde observation, qui peut aller en sens inverse, est encore le fruit de ce que j'ai vécu à Bruxelles : le débat pour savoir si l'on doit passer de 1 à 0,9 % ou de 0,8 à 0,9 % est à la fois kafkaïen et symbolique, et n'a pas grand sens !

J'ai parfois l'impression qu'on emblématise des seuils et des mots mais qu'en réalité, il y a derrière beaucoup d'imprécisions.

C'est pourquoi je crois que le travail que vous faites ici est extrêmement important. Ma conviction profonde est qu'on ne peut être contre la recherche ou contre le progrès par définition. On ne peut être luddiste, comme l'étaient les destructeurs de métiers à tisser, à Lyon, il y a quelques siècles, mais on ne peut pas non plus faire comme si ces interrogations et ces craintes n'existaient pas.

J'observe un divorce entre ce que beaucoup de gens ressentent spontanément sur la question des OGM et la vision des scientifiques. C'est le véritable débat qui doit nous faire réfléchir, nous autres, politiques, pour prendre la meilleure décision possible.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Je vous sens très prudent, au moment où le monde économique bouge, et alors que les Etats-Unis ont réussi à s'approprier bien des brevets dans ce domaine.

Dans quelle situation allons-nous être dans trois ou quatre ans, quand l'Europe et la France se réveilleront ? Les Etats-Unis n'auront-ils pas réglé la question ? Peut-être serons-nous marginalisés !

L'information est essentielle, mais rien ne remplacera le contact direct sur le terrain. Les élus locaux sont régulièrement sollicités pour participer à des réunions communales sur ces questions-là. Or, on n'y retrouve que des opposants systématiques aux OGM. Il n'y a pas d'information, pas de débat. Quand un élu évoque une piste éventuelle liée aux OGM, il est discrédité parce qu'il n'a pas compétence à s'exprimer sur ce sujet.

Si nous n'avons pas à nos côtés des scientifiques qui sont les seuls à pouvoir s'exprimer dans ce domaine, on ne s'en sortira pas !

J'avais demandé aux gens de l'INRA de venir à une de ces réunions organisées dans mon département. Personne ne s'est dérangé ! Si le monde scientifique n'est pas prêt à venir à nos côtés, je vois mal comment on pourrait enclencher une campagne d'information sur les OGM !

Le Gouvernement ne peut-il proposer à des scientifiques de participer à une campagne pédagogique sur le terrain ?

M. le ministre - Je partage entièrement votre sentiment. L'émetteur est parfois plus important que le message. Un élu ou un ministre ayant un discours scientifiquement incontestable est soupçonné du connivence. Je pense donc que nous ne sommes pas les meilleurs émetteurs pour répondre aux inquiétudes de l'opinion publique.

Par ailleurs, il peut circuler dans l'opinion publique des histoires incroyables sur les OGM. Je me souviens d'une personne qui m'a expliqué, avant que je n'occupe mes fonctions actuelles, que les OGM allaient transformer nos poumons en branchies ! Certaines personnes à qui on le raconte le croient de bonne foi. Dans notre société anxiogène, c'est la loi de la peur maximum qui l'emporte. C'est une donnée relativement plus importante en France, compte tenu du drame du sang contaminé, que dans d'autres pays.

J'observe également que les pays qui ne croyaient pas avoir de problèmes avec les OGM en ont aujourd'hui.

Lors du dernier CIAL du mois d'octobre, au cours du dîner traditionnel offert par le ministre de l'agriculture à ses homologues du monde entier, rue de Varennes, j'ai lancé à dessein la conversation sur les OGM. J'ai été très frappé de la diversité des réactions selon les pays.

Le ministre indien nous a dit que son problème n'était pas les OGM, mais de nourrir la population d'un sous-continent dont la démographie est galopante. Entre production et distribution, l'Inde enregistre 50 % de perte du fait de l'absence de chaîne du froid et à cause de transports déficients.

Quelle n'a pas été ma surprise, il y a quelques jours, de lire dans la presse que l'Inde, officiellement, protestait contre les importations de produits contenant des OGM et demandait des éclaircissements sur cette question !

Ceci montre bien que ces préoccupations sont partagées par des pays développés comme les nôtres, y compris par les pays du Sud ! J'ai vu que la Zambie avait également émis les plus expresses réserves sur ce sujet.

C'est la raison pour laquelle votre position est très pertinente, et je la partage.

Notre rôle est d'organiser le mieux possible ce débat. Je ne puis aujourd'hui inférer des décisions que nous prendrons, mais nous avons évoqué ces questions avec Roselyne Bachelot, Claudie Haigneré, Jean-François Mattei et notre souhait est de pouvoir organiser, dans le prolongement de ce débat parlementaire, à l'occasion de la transposition, un débat national décentralisé, avec des scientifiques qui aillent sur le terrain dire de quoi il s'agit.

De ce point de vue, l'avis conjoint de l'académie de médecine et de l'académie des sciences va dans le bon sens. La manière dont il a été médiatisé ces dernières semaines est plutôt un élément nouveau, mais vous avez raison de dire que c'est toujours la psychologie des minorités actives qui, sur le terrain, l'emporte.

On fait signer des pétitions à l'aveugle aux conseils municipaux sur ces questions. Je pense donc qu'il faut procéder à ce travail très méthodique de sensibilisation et d'explications, et je crois que les assemblées parlementaires, votre mission, l'Office parlementaire des choix scientifiques et techniques, le Gouvernement, les académies, les grands instituts de recherches comme l'INRA, doivent vulgariser cette expertise collective dans l'année qui vient. C'est notre souhait.

Il faut que l'on organise cela matériellement, mais c'est une très bonne suggestion. Nous en avons déjà parlé avec mes collègues en charge de ces questions. C'est en effet très important.

M. Max Marest - On est en effet complètement désinformé et notre travail en cours, ainsi que le débat parlementaire que vous prévoyez, devraient nous permettre d'ouvrir une campagne d'information objective sur les OGM, car notre pays prend un retard considérable dans ce domaine. Les Allemands ont rattrapé 5 ans de retard en peu de temps et sont maintenant au niveau des Anglais. Où allons-nous si on ne bouge pas ?

Aujourd'hui, tout devient biotechnologique. Je crois donc qu'il faut que l'on rétablisse la vérité auprès de nos concitoyens, et je pense que c'est au plus haut niveau qu'il faut aborder le sujet.

M. Hilaire Flandre - J'ai peur qu'on ne se heurte de toute façon à un mur, même en employant des arguments sensibles, en supposant que l'on ait de notre côté des scientifiques de haut niveau. On a en effet face à nous des gens qui ne veulent pas des OGM. Ils n'ont pas d'arguments : ils sont contre et je crains que la discussion ne tourne court !

Tous ceux qui demandent aux conseils municipaux de prendre des arrêtés pour interdire les essais sur leur territoire n'ont pas d'arguments : ils le font au nom du principe de précaution. Je crains que le débat que l'on pourra avoir ne soit tronqué. D'un côté, on aura une argumentation scientifique et, de l'autre, une argumentation reposant sur des croyances.

M. le ministre - Ce que dit Hilaire Flandre est marqué au coin du bon sens. Quelqu'un qui est convaincu ne sera peut-être pas dissuadé de ses convictions, même après un débat scientifique de bon niveau et avec un bon niveau de vulgarisation -car dans ce cet travail de communication que nous voulons faire, le travail de vulgarisation est extrêmement important.

Je crois que ce travail sera néanmoins extrêmement utile parce qu'il existe aujourd'hui des personnes qui n'ont pas d'idée particulière sur ce sujet, mais qui sont très influencées par le caractère abrupt et définitif de certaines affirmations. Je pense que si l'on conduit ce débat de manière intelligente sur le plan scientifique, cette grande masse de population qui n'est ni pour, ni contre, pourra disposer des éléments scientifiquement incontestables pour fonder son choix.

Aujourd'hui, c'est une certaine forme de chantage, qui repose sur la peur et les manipulations, qui l'emporte. Je crois donc très important de dire les choses telles qu'elles sont.

M. le président - Je partage l'analyse que vous formulez à l'adresse d'un voire de deux commissaires européens, plus investis de démarches essentiellement économiques que de protection des consommateurs, mais au fil des différentes auditions que l'on a pu mener jusqu'à maintenant, j'ai eu le sentiment que ce ne sera peut-être pas du côté des Etats-Unis que viendra le différend qui opposera l'Europe à un autre pays.

Il n'est en effet pas impossible, à Cancun, fin septembre, que le coût parte de la Chine.

Par ailleurs, en marge de ce dossier, il faudra que l'on se positionne sur le plan des protéines au niveau européen, et en France en particulier. Nous sommes dépendants à hauteur de 75 à 78 %. Je me réjouis que le Conseil et le Parlement, sur ce sujet, ne soient pas allés jusqu'à imaginer un étiquetage sur le lait et la viande d'animaux ayant consommé du soja ou des protéines génétiquement modifiées, car on sait les difficultés que rencontrent ces deux filières depuis la crise de la vache folle !

En outre, les filières d'approvisionnement brésiliennes ne pourront tenir longtemps au niveau de 0,5 à 0,9 qui est le leur.

Il serait donc peut-être temps, au travers d'une mission qui pourrait être confiée à l'INRA, d'imaginer que des protéagineux soient cultivés en France. Au-delà des accords de Blair House, pourrait-on avoir une filière protéinique en Europe ?

D'autre part, ne pourrait-on pas, soit dans le droit fil de la transcription des directives, soit après, imaginer une loi fondatrice sur les biotechnologies en France ? Je suis peut-être un peu provocateur, mais je pense qu'il faudrait s'y préparer doucement.

M. le ministre - Au milieu des années 1960, l'Europe s'est abstenu de faire des protéagineux, en échange de quoi les Etats-Unis nous ont laissé en paix dans les négociations commerciales et multilatérales agricoles jusqu'en 1992. L'agriculture n'est devenue un objet de négociation au sein du GATT qu'au début de la décennie précédente.

C'est la raison historique pour laquelle il n'y a pas de politique commune des oléo-protéagineux, puisqu'il était entendu que l'Europe importe du tourteau de soja américain.

On sait bien le déficit qui est le nôtre dans ces protéagineux et il faut donc encourager une filière européenne en ce sens. Ceci fait d'ailleurs partie des propositions françaises dans le cadre des conversations communautaires pour la revue à mi-parcours de la PAC. Il nous faut à l'évidence diminuer notre dépendance en produits oléo-protéagineux.

Vous savez que la FOP a intenté un recours devant l'OMC pour dénoncer le soutien des Etats-Unis à notre propre filière ! C'est l'histoire de l'arroseur arrosé ! Les Etats-Unis ont des pratiques contraires à leur discours prétendument vertueux sur ces questions-là !

Si l'on entre dans le contexte OGM, il est bien évident qu'il faut pousser la recherche sur ces questions. Nous avons, le 23 décembre, à l'INRA, évoqué ces sujets. Il est bien d'évident qu'avec nos règles d'étiquetage et de traçabilité, on aura des problèmes avec les oléo-protéagineux devant l'OMC, puisque notre taux de dépendance est de l'ordre de 70 %.

S'agissant du second sujet, les biotechnologies ne concernent pas le seul secteur de l'agriculture et je ne répondrai pas à la place du Premier ministre, mais je crois que qu'il faut envisager un tel cadrage, une telle mise en perspective. Quand on parle avec des industriels ou des scientifiques, on se rend compte du retard criant qui est le nôtre en la matière, et qui risque de ne pas être rattrapable si on ne réagit pas !

De ce point de vue, toutes les propositions qui pourraient être faites par votre mission seront les bienvenues pour guider les choix du Gouvernement en la matière.

M. le président - La commission des affaires économiques et du plan est fort désireuse, à une échéance qui sera déterminée par le Premier ministre, d'avoir une loi fondatrice sur les biotechnologies.

M. le ministre - J'ai été invité en Californie il y a quatre ans, en tant que parlementaire, pour le programme "young leaders". J'ai visité un certain nombre d'entreprises. J'ai rencontré beaucoup de chercheurs et d'entrepreneurs français et je suis revenu de ce voyage avec la conviction que, sur ce sujet, il fallait rapidement tracer des perspectives.

M. le rapporteur - Les OGM végétaux sont une chose, mais l'inquiétude est encore plus grande en ce qui concerne les OGM animaux.

J'ai un centre de sélection dans mon département qui fait de l'insémination artificielle avec beaucoup de précautions. Les gens sont vraiment à cran sur ce sujet. Quel est votre sentiment à ce propos ?

M. le ministre - Je partage complètement votre vision des choses. Je ne suis ni vétérinaire, ni médecin, ni scientifique, mais on me dit qu'il y a longtemps que l'on arrange la nature sans qu'on s'en émeuve !

Le débat se cristallise aujourd'hui à la faveur du débat sur les OGM. Nous sommes tous ici élus de terrain et nous constatons cette inquiétude. C'est pourquoi l'information est encore plus importante.

M. le président - Nous avons auditionné le professeur Thibier à ce sujet. C'était très intéressant.

Lorsque le grand public va le découvrir, ce sera encore un choc psychologique. La race charolaise a mis un siècle pour se transformer et passer d'animal de trait à animal de boucherie. Avec les biotechnologies, on va pouvoir faire les mêmes opérations en cinq années. Ce raccourci va fortement troubler nos concitoyens !

M. le rapporteur - Tous les centres de sélection travaillent là-dessus en catimini.

M. le ministre - J'imagine que l'on va dire que le lait qui sortira d'une vache qu'on ne traira qu'une fois par jour sera moins bon !

M. le président - Monsieur le Ministre, merci. Sachez que le Sénat va, au travers de cette mission, essayer de travailler le plus correctement possible, sans passion et d'une façon politiquement transversale.

23. Audition de M. Jérôme Gervais, président de Biosquare, ancien directeur général d'Aventis Animal Nutrition

M. le président - Merci d'avoir accepté l'invitation que vous a adressée la mission d'information sur les OGM, créée par la Commission des Affaires économiques.

M. Jérôme Gervais - Je ne suis pas de formation scientifique mais mon expérience de la direction générale au sein d'un grand groupe engagé dans les biotechnologies m'a amené à mesurer les enjeux économiques liés aux OGM.

Chez Rhône-Mérieux, nous avons mis au point un vaccin recombinant contre la rage chez le renard qui a contribué à éradiquer cette maladie de France en 2000. Les technologies du génie génétique nous ont aussi permis de mettre au point un vaccin contre la maladie d'Aujesky chez le porc. Chez Aventis Agriculture, nous avons mené des études qui ont mis en évidence le potentiel des biotechnologies chez l'homme, l'animal et la plante mais aussi les obstacles à la commercialisation des OGM en Europe. Ces obstacles expliquent en partie que certains grands groupes Européens se soient dégagés de leurs activités liées à l'agriculture. Dans nos études sur les OGM, nous avons évalué le potentiel de production d'albumine humaine à usage pharmaceutique par le poulet. Nous avons étudié la possibilité de baisser le niveau de cholestérol contenu dans les oeufs. Nous avons aussi mené des études sur des fleurs enrichies en pigments et sur les enzymes de digestibilité pour les animaux afin de diminuer les déjections. Enfin, chez Biosquare, je mène un travail d'animation et de rapprochement entre les acteurs économiques impliqués dans les biotechnologies.

Aujourd'hui, les cultures d'OGM sont en rapide progression à travers le monde et couvrent plus de 60 millions d'hectares, soit près de deux fois la surface agricole utile (SAU) de la France. Les USA, leader dans ce domaine, ont mis en place des procédures d'homologation des OGM garantissant la sécurité des produits. Ces OGM sont acceptés par les consommateurs. Ailleurs, les OGM offrent de nombreuses possibilités d'amélioration tant qualitatives que quantitatives pour les productions animales et végétales, notamment pour les pays en voie de développement (PVD).

La Chine produit aujourd'hui 4 milliards de poulets par an contre 1 milliard en France et 7,5 milliards au Etats-Unis. Dans dix ans, la Chine produira près de 10 milliards de poulets par an ce qui nécessitera de 30 à 35 millions de tonnes de soja et de maïs supplémentaires à produire dans des terres peut propices.

Le « golden rice » enrichi en provitamine A peut limiter les carences alimentaires.

Un porte greffe résistant pourrait protéger le vignoble français d'un nouveau virus.

Toutes ces recherches exigent des engagements très lourd. Il faut investir environ 20 à 50 millions d'euros et 10 ans de travail pour développer un nouveau produit et ceci sans garantie de succès. Cela explique la réflexion approfondie des entreprises sur les débouchés de leurs produits avant de s'engager dans de tels programmes et la nécessité d'une protection intellectuelle de leur recherche par un brevet.

Aujourd'hui, en France, de nombreux obstacles réglementaires et politiques restreignent le développement et la commercialisation des OGM dans le domaine de l'agriculture. Cette situation entraîne la délocalisation de certaines entreprises de biotechnologie et la fuite des chercheurs vers les USA. Si nous renonçons aux OGM, la compétitivité au niveau mondiale des productions végétales et animales françaises se dégradera encore plus. Le prix de revient d'un poulet en France est aujourd'hui d'environ 2 euros le kilo contre 1 euro le kilo en Asie du Sud-Est car l'aliment représente 65 % du prix de revient d'un poulet. Nos exportations agricoles se réduiront en se traduisant par une perte d'influence dans nos marchés traditionnels. Dès aujourd'hui, des pays comme la Tunisie se tourne vers d'autres pays leur offrant des céréales à un prix plus compétitifs. Enfin, à terme, nous risquons de devoir importer des produits issus des biotechnologies fautes de les avoir développer en France, un comble pour le premier exportateur agricole en Europe !

Le public français comprend mal les processus biotechnologiques et les bénéfices qu'il peut en espérer d'où sa mauvaise perception des OGM. Que faire ? Tout d'abord informer, éduquer et respecter le consommateur : il doit conserver son libre choix d'achat mais apprécier les risques / bénéfices éventuels qu'il prend ; créer une agence européenne d'homologation des OGM, détachée des contingences politiques, qui sera de nature à rassurer le consommateur ; faire respecter le droit d'expérimentation ; et enfin soutenir l'effort de recherche en France.

Aujourd'hui les OGM représentent un enjeu stratégique agricole majeur pour la France. Ces technologies permettent aux Etats-Unis d'approvisionner plus économiquement la Chine, le Moyen-Orient et de nombreux pays en céréales et en viandes de qualité et ainsi d'y renforcer leur poids politique. L'anti-américanisme de certains, le rejet des grandes entreprises par d'autres ou le manque d'information du public ne doivent pas faire obstacle à une technologie innovante source de croissance pour la France. Une partie importante des agriculteurs français sont désormais prêts à utiliser les OGM pour maintenir la qualité et la compétitivité de leur production alors que les subventions européennes vont se réduire. Ils ont besoin d'un soutien politique fort.

M. le président - Pensez-vous qu'il soit encore temps de renverser la vapeur, si l'on regarde notamment le désengagement d'Aventis ?

M. Jérôme Gervais - Aventis continue à travailler sur la thérapie génique pour traiter certaines maladies de l'homme.

M. Hilaire Flandre - Le problème est que l'apport des OGM n'est pas certain pour beaucoup de nos zones cultivables. Il semble que la technologie sera surtout intéressante dans les zones de pays où l'agriculture est plus difficile.

M. le rapporteur - Vous êtes membre du Haut Comité Français pour la Défense Civile : pourriez-vous développer une analyse des OGM de ce point de vue ?

M. Jérôme Gervais - Je suis membre de ce Haut Comité dans le domaine de la lutte contre le bio terrorisme ce qui n'a pas de rapport direct avec le sujet que nous évoquons aujourd'hui.

24. Audition de M. Pierre-Henri Gouyon, Directeur du laboratoire UPS-CNRS d'« Ecologie, Systématique et Evolution », Membre du Comité de biovigilance

M. le président - Nous accueillons en seconde audition Pierre-Henri Gouyon, Docteur Ingénieur en génétique de formation, qui exerce diverses responsabilités au sein du Conseil de département des sciences de la vie du CNRS et au Comité opérationnel éthique. Pierre-Henri Gouyon possède également un DEA en philosophie -il est assez rare de voir ces deux sciences qui sont, non pas opposées, mais à mon sens complémentaires- et ses travaux portent essentiellement sur les mécanismes de l'évolution en allant de la génétique à l'écologie.

La Commission des affaires économiques et du plan, qui est composée de dix-huit membres, a décidé il y a quelques mois de créer une mission d'information sur les biotechnologies, sur les organismes génétiquement modifiés, voir leurs implications sur la santé de nos concitoyens, sur l'équilibre de l'environnement dans notre pays et voir comment nous pouvons essayer de dialoguer avec nos concitoyens sur ce sujet qui est devenu un véritable sujet de société où le passionnel l'emporte sur le rationnel. C'est également une problématique du quotidien dans le cadre de l'internationalisation des échanges.

M. Pierre-Henri Gouyon - Je vous remercie de vous saisir de ce problème car je pense très important que les parlementaires français s'en préoccupent. Il y a eu un certain vide de ce point de vue et il était essentiel que ce vide soit comblé assez rapidement, et malgré sa complexité, j'espère que la situation évoluera.

Ma situation est un peu particulière vis-à-vis du problème des OGM, mais je voudrais d'abord souligner que les biotechnologies couvrent un champ bien plus large que celui des OGM, et si je m'intéresse aux organismes génétiquement modifiés, c'est parce que je pense que les biotechnologies dans leur ensemble poseront des problèmes que nous ne savons pas résoudre à l'heure actuelle. C'est l'une des raisons pour lesquelles en 1988, lorsque j'ai fondé à la Faculté d'Orsay (Université de Paris-Sud) un laboratoire qui s'occupe d'évolution et d'écologie des plantes, j'ai démarré un projet sur l'étude des risques environnementaux liés à la culture d'OGM.

Lorsque nous avons commencé ces recherches en 1988, c'était « de tout repos », cela ne posait de problème à personne. Au milieu des années quatre-vingt-dix, un certain nombre de débats ont été organisés par la CGB, présidée à l'époque par Axel Khan, débats qui était tout à fait corrects et qui se sont très bien déroulés jusqu'en 1995 lorsque les premières plantes transgéniques sont arrivées en phase de commercialisation. A ce moment-là, les débats ont tourné court, les industriels ayant décidé de ne plus discuter sur ce sujet.

De fait, notre laboratoire s'est trouvé dans une situation un peu compliquée car, sans globalement contrer le fait de les cultiver, nous jugions que certains OGM n'étaient franchement pas recommandables, et nous nous sommes trouvés face à une opposition totale des industriels qui nous disaient que nous perdions notre temps à nous occuper de ces questions ; à l'époque, ils nous disaient que d'ici deux à trois ans tout serait OGM et qu'il n'y aurait plus rien à faire par rapport à cela.

De fait, nous nous sommes retrouvés poussés vers une attitude d'opposants aux OGM, alors que notre position de départ n'était pas du tout celle-là puisque nous pensions travailler avec l'industrie pour essayer de trier ce qui était bon et mauvais dans ce domaine.

Je voulais vous faire part de l'aspect un peu historique et expliquer le fait que, tout en faisant des recherches nous conduisant à constater que certains aspects ne poseraient pas de problèmes et que d'autres en poseraient, nous nous sommes retrouvés à travailler sur le plan social dans une attitude d'opposants.

Le deuxième point, c'est que les biotechnologies dépassent largement les OGM et je pense qu'à l'heure actuelle, nous sommes en phase de voir un certain nombre d'erreurs graves commises dans le domaine des biotechnologies en termes de santé publique et d'environnement parce qu'on ne prend pas le temps de faire les recherches sur les impacts de nos actions en même temps que l'on fait les recherches amont pour produire les nouveaux procédés.

Je m'intéresse beaucoup à de nouvelles molécules (les peptides antibactériens) qui pourraient permettre à terme de remplacer les antibiotiques ou tout au moins suppléer à ce que ces derniers ne savent plus résoudre. Les antibiotiques ont été mal gérés et, de fait, les bactéries deviennent résistantes et l'on ne sait plus guérir avec les antibiotiques à force d'avoir trop et mal « joué » avec dans tous les domaines, celui de la médecine mais également celui de l'agriculture. J'ai une formation d'agronome, je connais un peu le milieu agricole et nous savons tous qu'il y a des antibiotiques partout dans les fermes françaises, ce qui n'est certainement pas une bonne idée.

Les peptides antibactériens sont une autre famille de médicaments antibactériens qui auront certainement beaucoup de qualités, mais qui ont un énorme défaut, c'est que ce sont les molécules que nous secrétons nous-mêmes pour nous défendre contre les bactéries, donc si nous gérons aussi mal les peptides antibactériens que les antibiotiques, nous pouvons craindre que les bactéries deviennent résistantes à nos propres défenses. Des recherches ont été faites pour développer ces peptides antibactériens, des start-up sont lancées et il n'y a toujours aucune recherche sur les risques ni aucune réglementation en train de se mettre en place vis-à-vis de ces nouvelles technologies.

Ce ne sont pas des OGM ; évidemment, on utilise la génomique pour aller chercher les gènes qui permettront de fabriquer les peptides, mais ce ne sont pas directement des organismes génétiquement modifiés, mais il n'empêche qu'à nouveau, nous sommes en train de foncer dans une direction, de faire des recherches qui permettent le développement, d'en arriver à la commercialisation sans faire les recherches nécessaires au respect de la santé publique, etc.

C'est un gros problème ; je ne sais pas dans quelle mesure vous en êtes conscients, mais à l'heure actuelle lorsque l'on est dans un laboratoire de recherche, on est sollicité quasiment journellement pour développer des recherches donnant trait à des valorisations - nous entendons plusieurs fois par jour le mot valorisation en provenance de nos instances de tutelles, que ce soient les universités, le CNRS, le ministère de la Recherche. En revanche, nous n'entendons jamais le mot précaution, et je pense qu'il y a là un problème de gestion de la recherche assez global et qui concerne l'ensemble de la société. Je pense important que nos élus en soient informés et comprennent que les inquiétudes de nos concitoyens, même si elles sont souvent irrationnelles, en tout cas exprimées de façon irrationnelle, ne sont pas complètement infondées.

Pour ce qui concerne les OGM en particulier, je voudrais évoquer les trois problèmes qui me semblent importants à l'heure actuelle :

Les commissions qui sont chargées de s'occuper de ces questions, comme la Commission de génie biomoléculaire, ne sont pas constituées de façon optimale vis-à-vis de ces problèmes. C'est un débat que j'ai fréquemment avec Marc Fellous.

Avec Marc Fellous, nous avons été parmi les fondateurs de la Société française de génétique, nous nous connaissons bien et nous avons beaucoup de respect l'un pour l'autre tant intellectuellement qu'à d'autres niveaux, par contre, sur ce plan-là, nous ne sommes pas trop d'accord.

Normalement, la CGB doit s'occuper des problèmes de santé publique et d'environnement, elle devrait donc contenir une majorité de membres s'occupant de toxicologie, d'épidémiologie et d'environnement, d'écologie. Or, si l'on en regard la composition, on s'aperçoit qu'il n'y a « qu'un et demi » spécialiste de l'écologie, un seul spécialiste de toxicologie qui « fait la pluie et le beau temps » et diverses personnes qui travaillent sur l'ADN, mais sans véritables compétences dans le domaine de la toxicologie ou de l'écologie. Cela peut se comprendre car au début des OGM, dans les années quatre-vingt, il est probable que peu de gens faisant partie de la communauté des spécialistes de l'écologie pouvaient comprendre simplement ce qu'était un OGM sur le plan technique ; la biologie est une discipline assez segmentée, certains travaillent sur les gènes, d'autres sur les écosystèmes, mais ce ne sont pas les mêmes, et ceux qui travaillaient sur les écosystèmes n'avaient généralement pas du tout de connaissance dans le domaine de la génétique.

Ces commissions ont été constituées exclusivement de généticiens pour qu'ils comprennent ce qu'était un OGM, mais en oubliant d'inclure les écologistes. Bien sûr, l'OGM de départ est constitué avec des technologies génétiques, mais les conséquences sur l'environnement sont d'ordre écologique. Donc le premier problème est celui de la constitution de ces commissions qui, à mon avis, retentit lourdement sur les interactions avec la société - je pense que les chercheurs dans le domaine de l'écologie sont beaucoup plus aptes à répondre à nos concitoyens aux questions qu'ils se posent et à leurs inquiétudes que des chercheurs essentiellement biologistes moléculaires.

Dans les réglementations qui ont été mises en place, on n'a pas pensé à réfléchir à une gestion globale de ces objets que sont les produits des biotechnologies. Je fais souvent la comparaison suivante : quand on fabrique des voitures, avant de les mettre sur les routes, on est obligé de les faire passer devant le contrôle des Mines de façon à savoir si elles sont dangereuses ou pas ; si elles ne passent pas, on ne les commercialise pas et si elles passent, on peut rouler avec. En plus, il y a le Code de la route auquel le contrôle des Mines ne saurait se substituer ; ce sont deux démarches différentes, il faut gérer la circulation automobile, même une fois que l'on a vérifié que les voitures étaient bien faites.

Pour les biotechnologies, il y a l'équivalent du contrôle des Mines qui est l'autorisation de mise sur le marché, mais il n'existe pas d'équivalent du Code de la route, aucun code d'utilisation ne permet de gérer globalement les biotechnologies.

Selon la majeure partie des personnes qui ont réfléchi à la question -et je me souviens en particulier d'Axel Khan qui était tout à fait en accord avec beaucoup d'entre nous sur ce sujet- il serait tout à fait stupide de rendre toutes les espèces cultivées résistantes aux mêmes herbicides. En France, contrairement à ce qui se passe sur le continent Américain, on cultive les espèces les unes derrière les autres ; on va faire ce que l'on appelle des assolements, des rotations culturales et un même champ accueillera successivement différentes cultures. Si l'on veut pouvoir désherber les colzas qui repoussent dans les blés, il ne faut pas avoir rendu ces colzas résistants aux mêmes herbicides que ceux que l'on veut utiliser pour les blés.

La logique commerciale des entreprises qui produisent des OGM, par exemple Monsanto qui produit des OGM résistants au Round-up ou « Rhône-Poulenc » (ou ses succédanés actuels) ou Novartis qui produisent des OGM résistants au Liberty, va être de rendre toutes les plantes résistantes à leurs herbicides pour maximiser leurs ventes.

Le résultat, c'est qu'à l'heure actuelle, les firmes sont en train d'essayer de transformer toutes les espèces et de les rendre toutes résistantes à leurs propres herbicides. Ce n'est pas le cas en France puisqu'on ne les cultive pas, mais ces espèces vont se croiser entre elles et au Canada par exemple, on a déjà montré qu'il existait des colzas résistant aux trois herbicides utilisés dans le cadre des OGM, ce qui est évidemment une erreur au plan de la gestion du territoire agricole. Il n'est prévu nulle part dans les systèmes de décision d'éviter de telles aberrations. .

La CGB est censée travailler au cas par cas, c'est un a priori. Evidemment, il faut travailler au cas par cas, un gène donné dans une plante donnée n'aura pas le même effet qu'un autre gène dans une autre plante, mais il y a des effets de système et le même OGM qui pourra être très bien dans un certain cadre sera très mal dans un autre parce qu'il y avait déjà un autre OGM résistant au même herbicide qui est cultivé dans le même région. Ces effets de système ne sont donc pas pris en compte à l'heure actuelle, et cela fait partie des recommandations des sages du Conseil économique et social à prendre en compte, mais on saurait difficilement comment le faire, il y a tout un travail d'élaboration à réaliser pour mettre en place la façon de gérer les choses de façon globale.

Cela veut dire qu'il y a des erreurs que l'on est en train de faire comme rendre toutes les plantes résistantes aux mêmes herbicides. On sait déjà que ce sont des erreurs alors même qu'on les fait, mais la logique économique du moment veut qu'on les fasse quand même. On sait que ce n'est pas malin, mais à l'heure actuelle, les industriels sont en train de tenter de produire toutes ces plantes-là et vont demander, si le moratoire est levé, la commercialisation de toutes ces plantes en même temps. C'est ce qui se fait sur le territoire américain au sens large, mais là-bas, on fait culture sur culture (colza sur colza), donc les repousses n'auront pas les mêmes inconvénients qu'en France.

La biologie est une science bien souvent empirique, c'est-à-dire que c'est une science dans laquelle on ne sait « prévoir » que ce que l'on a vu se produire souvent, ce n'est pas une science théorisée au sens où l'on aurait des modèles théoriques permettant a priori de décider de ce qui va se passer si on fait telle ou telle chose - la physique a atteint ce stade-là, je ne sais pas si la biologie l'atteindra un jour, mais à mon avis, je pense que l'on peut dire qu'elle n'y est pas.

La biologie est difficilement capable de faire des prédictions quand elle s'aventure sur des terrains qu'elle n'a pas encore rencontrés vraiment. Nous faisons tout notre possible pour faire des prédictions, nous essayons de monter des modèles théoriques qui explicitent ce qui se passe dans les écosystèmes, dans les organismes, dans les populations, mais nous savons bien qu'actuellement nos prédictions sont quand même extrêmement faibles dès que nous sortons de situations connues. Je vous dis cela parce qu'il n'y a beaucoup d'implications par rapport à notre sujet.

Les scientifiques honnêtes doivent dire qu'ils ne peuvent pas affirmer s'il y a vraiment des risques avec telle ou telle technologie, ils peuvent dire qu'ils n'en voient pas, qu'a priori ils ont l'impression qu'il y a peu de risques, mais dire que l'on sait qu'il n'y a pas de risque ne me semble pas sérieux. C'est très intéressant parce que, dans vos propos introductifs, vous avez parlé d'irrationalité, et dans les nombreux débats publics auxquels je participe, j'ai rencontré de l'irrationalité à tous les niveaux.

Quand les citoyens disent que transgresser les lois de la nature est dangereux et va aboutir à des ennuis, il est évident qu'au départ, c'est un propos irrationnel. Toutefois, si l'on veut essayer de comprendre ce que veulent nous dire nos concitoyens, derrière l'idée de transgresser les lois de la nature, il y a justement l'idée d'aller dans un territoire que l'on ne connaît pas. Et comme je viens de le dire, dans le cas des applications des biotechnologies, comme la biologie est dans un territoire qu'elle ne connaît pas, il est vrai que ses capacités de prédiction sont très faibles. Donc, je pense que ce discours irrationnel sur la transgression n'est pas aussi irrationnel si on l'interprète en disant, « eh bien oui, à l'heure actuelle, nos capacités de prédiction sont telles que quand on fait quelque chose de nouveau, ce n'est pas dangereux en soi, mais nos capacités à déceler des dangers sont extrêmement réduites et, de fait, nous risquons fort d'avoir un jour un ennui que nous n'avions pas prévu ».

Finalement, qui est irrationnel ? Le citoyen qui dit que c'est dangereux parce qu'on transgresse ou le scientifique qui tout en sachant les limites de ses connaissances affirme haut et fort qu'il n'y a pas de risque ; je ne sais pas lequel des deux est le plus irrationnel, et c'est ce qui m'ennuie beaucoup vis-à-vis de la communauté scientifique à laquelle j'appartiens pleinement.

Voilà un peu les points qui, à l'heure actuelle, me tracassent sur le plan des biotechnologies. Je pense que nous sommes au début d'un millénaire dans lequel il y aura des biotechnologies de façon lourde et je ne suis certainement pas parmi ceux qui essaieront de s'y opposer ; en revanche, je pense que si l'on n'encadre pas très sérieusement les choses et si l'on n'admet pas dès le début qu'il y a des incertitudes et si l'on ne met pas en place tout ce qui est possible pour essayer que les choses soient encadrées intelligemment, je suis tout à fait convaincu que les lois du marchés sont capables de régler un certain nombre de choses en termes de développement technico-industriel, mais on sait bien que sur les problèmes d'ordre généraux comme l'environnement ou les problèmes de santé publique, les lois du marché, il faut franchement les aider pour qu'elles fassent ce qu'il faut.

Personnellement, je suis très admiratif devant le système des permis à polluer mis en place par les Américains à l'échelle intra-nationale, je trouve que c'est une méthode très intelligente pour réguler la pollution. Sur les OGM, je pense que l'on pourrait très bien faire des choses comparables, on pourrait vendre des permis à mettre des gènes dans les plantes.

Si vous disiez, « je ne veux pas qu'il y ait plusieurs gènes de résistance à un herbicide dans le colza, je veux mettre la résistance à un seul herbicide (en gros, il y a actuellement seulement deux herbicides totaux et plutôt bien fichus : glyfosate (Round-up) et glufosinate (Liberty ou Basta)), eh bien si on disait je ne veux jamais qu'il y ait les deux dans la même espèce, on pourrait mettre sur le marché un permis pour mettre un gène de résistance à un herbicide dans le colza. Ensuite, la firme qui l'achèterait aurait le droit de mettre son OGM sur le marché. On peut aussi imaginer qu'elle puisse le revendre à un autre, dans des conditions bien encadrées, si finalement elle n'en veut plus, mais en tout cas, on peut laisser les lois du marché jouer là-dessus ; rajouter quelques contraintes comme : si vous avez acheté un permis sur le Colza, vous ne l'aurez pas sur le blé pour éviter qu'il y ait les mêmes résistances aux herbicides dans le colza et dans le blé... On pourrait réfléchir à des systèmes qui permettent, tout en laissant jouer les lois du marché, de rationaliser la façon dont on introduit des gènes dans les plantes au lieu de laisser le fonctionnement anarchique actuel.

Je ne dis pas que l'on peut faire ce que j'expose là sans précautions, je pense qu'il faudrait travailler sérieusement avec des économistes sur ce genre de questions, mais je suis sûr qu'il y a des solutions qui permettraient, tout en laissant jouer les lois du marché, de faire fonctionner les biotechnologies de façon beaucoup plus sérieuse que ce qu'on fait actuellement.

M. Daniel Raoul - Vous évoquiez une règle de précaution qui consistait à ne pas faire cohabiter deux OGM résistants à des pesticides différents, mais on peut très bien avoir une autorisation sur le marché de ces deux OGM, c'est bien ce que vous avez dit ?

M. Pierre-Henri Gouyon - Dans l'état actuel des choses, on pourrait très bien l'imaginer.

M. Daniel Raoul - Mais rien ne prouve que par hybridation de deux colzas, vous vous retrouviez avec les deux gènes.

M. Pierre-Henri Gouyon - C'est plus que probable, et démontré au Canada. Peut-être me suis-je mal exprimé. Si je vends une autorisation de mettre un gène de résistance à un herbicide dans le colza, personne ne pourra plus mettre un autre gène de résistance à un herbicide dans un colza. En revanche, les autres pourront acheter un permis pour le blé pour mettre leur herbicide, mais les colzas et blés ne s'hybrident pas. C'est simplement un exemple pour vous montrer que l'on peut réfléchir à des modes de régulation, je ne m'accrocherai pas à cette méthode-là.

M. Daniel Raoul - Peu audible - Quand nous avions évoqué le problème de mélange d'un G1 et d'un G2...

L'autorisation de mise sur le marché est donnée pour une fonction donnée. On peut avoir un OGM pour une autre fonction et l'hybridation des deux peut potentialiser et mettre le feu à une troisième fonction qui n'a pas été prévue.

M. Pierre-Henri Gouyon - C'est ce que je vous disais en précisant que nos capacités de prévision sont faibles. Des modèles théoriques sur lesquels cela pourrait arriver, on en connaît ; par exemple, il y a des trèfles qui produisent du cyanure et d'autres qui n'en produisent pas soit parce qu'ils ne produisent pas le précurseur, soit parce qu'ils ne produisent pas l'enzyme, en tout cas il faut un précurseur et une enzyme pour fabriquer du cyanure dans un trèfle. Si vous avez un colza qui ne possède pas l'enzyme en question et que vous rentrez le précurseur dedans, eh bien vous ne verrez rien. Si vous avez un colza qui n'a pas le précurseur et que vous mettez l'enzyme dedans, vous ne verrez rien, mais si vous mettez ensemble l'enzyme et le précurseur, là vous verrez se dégager du cyanure. Evidemment, ce genre de chose peut se produire. Il pourrait très bien arriver qu'un jour, par croisement... Pas besoin de deux OGM pour le coup. Vous pouvez très bien faire un OGM avec un transgène dans une plante donnée dans un contexte génétique donné et que ce même gène dans un autre contexte génétique fasse quelque chose qui soit tout à fait désagréable, même si le contexte génétique n'est pas lui-même OGM.

Cela fait partie de nos incapacités de prédictions. Ce qui est ennuyeux, c'est que l'on peut imaginer des scénarios comme ça, ils sont improbables, mais cela dépend de la quantité de ces scénarios. En faisant des milliers d'expériences, il est évident qu'un jour on tombera dessus. Je vous rappelle qu'il y a une firme qui est en train de commercialiser un produit avec 26 transgènes à la fois. Personne ne peut contrôler l'action de chacun des 26 transgènes et toutes leurs interactions.

M. Max Marest - Votre prédécesseur, M. Chevassus-au-Louis, expliquait la nécessité de mettre en place un système de vigilance. Je pense que vous êtes parfaitement le corollaire. Avez-vous des possibilités d'échanges là-dessus pour mettre en place un système de vigilance qui pourrait se traduire d'une manière compréhensible vis-à-vis de nos concitoyens. Parce que nous revenons ensuite sur la nécessité de vulgarisation.

M. Pierre-Henri Gouyon - Vis-à-vis de nos concitoyens, je pense que la première chose à faire assez rapidement pour améliorer les choses serait d'établir un cahier des charges fixant des critères de ce qui est acceptable ou de ce qui ne l'est pas ; par exemple, si des plantes sont potentiellement invasives, il ne faut pas accepter d'y mettre des gènes de résistance aux herbicides. Il existe un Comité de biovigilance (qui a été créé en même temps que la CGB était renouvelée, en 1998, en avance sur les régulations européennes) qui était constitué d'une très grande diversité de gens et tout y était dit, même s'il n'était pas d'une très grande efficacité parce que son champ d'actions couvrait exclusivement les cultures commerciales et n'incluait pas les essais. Lorsque j'ai fait partie de ce Comité de biovigilance, j'ai demandé que l'on regarde si les gènes s'échappaient des essais, il m'a été répondu que cela ne faisait pas partie des missions du Comité.

Outre toutes les institutions qui étaient représentées dans ce Comité de biovigilance, on trouvait aussi un certain nombre de scientifiques qui étaient présents en leur nom propre, comme c'était mon cas. Si je représente le CNRS dans une réunion comme celle-ci, je ne peux pas dire tout ce que je pense, pour que les scientifiques puissent s'exprimer, il faut qu'ils soient présents en leur nom propre et non pas en leur qualité de représentant d'une institution.

Dans la nouvelle version du Comité de biovigilance, je crois qu'il y a très peu de scientifiques qui sont présents en leur nom propre, la majorité d'entre eux sont là comme représentants d'une institution de recherche, et à mon avis, c'est une grave erreur sur le plan du fonctionnement futur de ce Comité.

Je suis tout à fait pour l'idée d'une biovigilance tout à fait sérieuse et, à terme, il faudrait arriver à développer des recherches qui permettraient d'avoir réellement une vision prédictive, un peu comme la météo, et confronter ces prédictions à la réalité. Je pense qu'il faudra en arriver là si nous voulons pouvoir gérer l'écosystème en ayant de vrais modèles, de vrais observatoires. Pour le moment, nous sommes un certain nombre à essayer de développer les outils pour faire cela, mais cela reste une toute petite recherche par rapport aux énormes moyens qui sont mis en place pour les biotechnologies.

Je pense que vous êtes tous conscients du fait qu'en gros, les recherches sont axées à 90 % sur les biotechnologies. Cela dit, la biovigilance ne peut pas tout régler, il faut quand même des choses a priori.

Avec la chimie, on a fait des molécules polluantes que l'on a retirées dès lors qu'on s'en est aperçu. D'abord, c'est difficile d'éviter les fraudes, ensuite il y a une certaine rémanence des produits pendant un certain temps. On a beau avoir interdit le DTT, il y en a encore dans les écosystèmes, mais à l'échelle de quelques centaines d'années, on peut espérer que ces produits auront disparu et qu'ils auront tous été transformés.

M. Hilaire Flandre - Sur cet exemple précis du DTT, si on faisait le bilan de son utilité et de ses inconvénients par la suite, je ne suis pas sûr inaudible.

M. Pierre-Henri Gouyon - Je pense que l'on pouvait faire un bilan, mais il est vrai qu'on ne pouvait pas continuer éternellement. C'est le problème de la durabilité. Si l'on veut réfléchir à un développement durable de nos pratiques agricoles et médicales, on ne peut pas continuer comme on le fait actuellement jusqu'à ce que ce soit tellement polluant qu'on soit obligé d'arrêter. C'est ce que je disais, je pense qu'il manque vraiment un outil de gestion.

La chimie pose les problèmes que cela pose, mais on sait qu'en stoppant, cela s'arrêtera plus ou moins vite. Avec la physique nucléaire, une fois que vous avez bien pollué un site, ça peut être très long avant de pouvoir faire quelque chose.

M. Max Marest - C'est très long, mais cela se fait.

M. Pierre-Henri Gouyon - Je ne sais pas dans combien de temps on pourra aller faire du tourisme à Tchernobyl, mais ce sera certainement dans un bon moment.

Le nucléaire, s'il dure plus longtemps que le chimique, au moins ne se reproduit pas. Le problème du biologique, c'est qu'il se reproduit et sans nous. Donc, si nous faisons une erreur, nous pouvons nous retrouver dans une situation où l'on a enclenché un processus qui augmente tout seul ; de ce point de vue, que pourrons-nous faire avec la biovigilance ? On pourra dire, cet OGM c'était une erreur, il faut l'arrêter et on l'arrêtera. Mais la question qui se pose, c'est : est-ce qu'on n'aura pas déjà lancé quelque chose qu'on ne pourra plus arrêter parce qu'une fois qu'on est en train de le cultiver, il sera déjà trop tard. Pour une très grande majorité des OGM, le problème ne se pose pas, pour moi, la pire des horreurs, ce sont les gens qui essaient de développer des gènes de perte du sexe chez les maïs.

Pour faire un beau maïs, il faut le faire hybride entre deux lignées. L'avantage, c'est qu'on garde ce qu'on appelle la vigueur hybride, donc le fait d'avoir deux patrimoines génétiques bien différents, par contre l'agriculteur ne peut pas ressemer son maïs. Donc, des gens bien intentionnés ont essayé de rentrer dans le maïs hybride un gène qui provoque un clonage spontané. Au lieu de faire de la reproduction sexuée et, de fait, perdre ses capacités hybrides, la plante fait des graines génétiquement semblables à celles de leurs mères et qui n'acceptent pas le pollen des autres, ça s'appelle de l'apomixie chez les plantes. On connaît les apomixies chez d'autres espèces de plantes et tout ce que l'on sait actuellement, c'est que c'est un gène extraordinairement invasif. Une plante apomictique fait ses graines avec ses propres gènes sans mettre le pollen des autres dedans, et elle fait du pollen avec lequel elle va disséminer le gène d'apomixie chez les autres plantes ; donc le système est complètement asymétrique, les plantes apomictiques restent apomictiques et les plantes non-apomictiques sont contaminées donc on peut montrer mathématiquement que tout le monde va devenir apomictique.

Ce ne serait pas très grave parce que le maïs, on le cultive dans nos champs et on pourrait peut-être contrôler l'impulsion des gènes d'apomixie dans nos variétés, mais il ne faudrait pas faire ça au Mexique parce que, là-bas, juste à côté du maïs, il y a l'ancêtre du maïs qui s'appelle le téosinte qui est une plante qui sert de ressource, de réserve génétique - d'abord, c'est une plante sacrée, elle est à l'origine du maïs et elle possède des ressources génétiques très importantes pour améliorer le maïs. Or, si jamais on cultive des maïs apomictiques au Mexique, on risque fort de transférer le gène d'apomixie au téosinte et qu'il perde entièrement sa reproduction sexuée. Là, on voit bien que c'est quelque chose de très invasif et qu'il ne faut à aucun prix mettre dans la nature.

M. Max Marest - la mise en place de ce Comité où l'on prendrait position pour dire que tel OGM est dangereux ou que telle démarche scientifique n'est pas encore au point et nous l'interdisons, rassure quand même sur l'ensemble des OGM avec lesquels il n'y a pas de problème. Alors que là, on a l'impression que tout est mis au même niveau.

M. Pierre-Henri Gouyon - Vous avez raison, je pense que le fait de pouvoir faire cela serait déjà une très bonne chose. Par contre, dans ce cadre-là, il ne faudrait pas cultiver des produits dont on sait déjà a priori que ce ne sera pas une bonne idée de les cultiver.

Lorsque j'ai expliqué à la Confédération paysanne et aux Verts que je trouvais très mauvaise leur idée de vouloir détruire certains essais de colzas en Ariège, ils m'ont répondu qu'ils savaient très bien que le colza était une plante suffisamment résistante en elle-même pour que ce ne soit pas une bonne idée des gènes de résistance aux herbicides dans le colza de toute façon. Ils ne voient pas l'intérêt de faire des manipulations pour démontrer ce que l'on sait déjà, sachant que ces manipulations risquent elles-mêmes de transférer le gène de résistance là où on ne le veut pas. C'est évidemment discutable, mais s'il y a des preuves vraiment identifiées à l'avance, il faudrait que les problèmes d'environnement et les problèmes d'agriculture soient suffisants pour refuser d'avance la variété sans attendre d'avoir des problèmes. C'est pour cela qu'un cahier des charges me semble vraiment indispensable pour les OGM pour déterminer ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. Je pense qu'il serait facile de faire passer les plantes sans capacité invasive et cultivées en milieu confiné pour fabriquer des médicaments, par contre il faudrait davantage d'attention pour des plantes destinées à l'alimentation comme le maïs, bien qu'il soit parfaitement possible d'expliquer aux concitoyens que si les gènes sont exprimés dans les feuilles et non pas dans les graines, il n'y a aucun danger. Par ailleurs, quand il s'agit d'implanter des gènes risquant d'augmenter l'aspect invasif d'une plante comme le colza, par exemple, là il faut être très réservé et avertir dès le départ de la nécessité d'une plus grande observance.

Il est regrettable d'avoir manqué « le coche » en 1995-1996. A cette époque, nous disions que deux plantes nous semblaient devoir être mises sous boisseau pendant longtemps : le colza et la betterave. Le colza parce qu'il est invasif en lui-même et la betterave parce qu'elle se croise très librement avec les mauvaises herbes. Nous avions commencé à travailler là-dessus et les industriels (Rhône-Poulenc pour ne pas les nommer) nous ont dit contrôler totalement la situation. Il nous a fallu trois ans pour démonter que les sauvages et les cultivés échangeaient librement leurs gènes. Lorsque nous avons prévenu la CGB et Rhône-Poulenc, ils nous ont dit qu'ils le savaient, mais qu'ils n'avaient pas voulu le dire de peur que nous fassions obstruction.

Il y a eu le coup de semonce de l'interdiction du maïs par Juppé qui a déplacé le débat sur tous les OGM alors qu'à l'époque, nous n'avions l'intention d'interdire que colza et betterave, en tout cas de mettre un frein sur ces deux-là. Depuis, il y a une sorte de débat bloqué entre OGM et pas OGM ; ce qui serait essentiel, ce serait de faire la différence entre les OGM qui peuvent être facilement acceptés et ceux qui ne le peuvent pas, et je pense que c'est du ressort d'une négociation qui doit pouvoir être faite mais qui n'a jamais été mise en place.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Le monde scientifique a-t-il suffisamment de puissance pour proposer ce tri ?

M. Pierre-Henri Gouyon - Je pense que le monde scientifique pourrait assez facilement se mettre d'accord sur des OGM qui sont franchement acceptables et probablement sur des OGM qui ne le sont franchement pas. Bien sûr, il y aurait une zone de flou, une zone de débat parmi les scientifiques. Le monde scientifique n'est pas un monde monolithique, pas plus que le monde politique.

Lorsque j'étais directeur adjoint au CNRS, je couvrais à la fois les gens qui s'occupent d'écologie et ceux qui s'occupent de biologie végétale (commissions 27 et 30 du CNRS). Pratiquement tous les membres de la commission 27 (biologie végétale) étaient en faveur du fait de pouvoir très rapidement accepter la culture de la plupart des OGM ; dans la section 30 qui s'occupe d'écologie, la majorité pensait que c'était une folie de se lancer sur les OGM et qu'il ne fallait pas continuer dans cette voie. Il est certain que vous n'aurez pas un accord de l'ensemble de la communauté scientifique sur toutes les mesures, mais se mettre s'accord sur la liste des caractéristiques qui doivent être discutées de manière plus approfondie avant d'être autorisées, celles qui pourraient être autorisées sans trop de risques et celles dont on ne veut pas même au stade des essais, serait une chose réalisable.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Quel est votre sentiment sur l'introduction d'un gène stérile Terminator qui pourrait apporter une solution ?

M. Pierre-Henri Gouyon - Terminator est « mal parti » à tous points de vue. Il a été développé essentiellement pour obliger les agriculteurs à racheter leur semence chaque année, avec également des erreurs de communication incroyables. J'ai vu sur France 3 un chercheur de Monsanto expliquer que, de toute façon, Terminator n'était pas pour les agriculteurs occidentaux, mais pour ceux du tiers-monde parce que l'on ne pouvait pas contrôler que ces derniers rachetaient bien leurs semences, aussi pour que les agriculteurs du tiers-monde paient des droits, il fallait mettre Terminator dans leurs plants. Je trouve assez surréaliste de dire cela devant une caméra de télévision dans le contexte de l'époque, à l'évidence ils ont fait tout ce qu'il fallait pour que cela ne passe pas.

Je crains que Terminator ne soit pas une solution parce que je ne pense pas qu'il stérilise totalement les plants. Pour empêcher que l'agriculteur puisse ressemer ses plantes, il suffit de stériliser 80 % des graines, et je suis certain que l'on ne saurait pas à l'heure actuelle faire un système Terminator qui fonctionne à 100 %. A ma connaissance, Terminator ne constitue pas une réelle garantie contre les transferts de gènes, il ne constitue une garantie que contre le ressemis industriel de la plante.

M. Hilaire Flandre - Ce débat sur l'utilisation des semences fermières ou non est pour moi d'un ridicule incroyable. C'est un non-sens de prendre une partie de la récolte pour la ressemer, il y a une dégénérescence très rapide des cultures ; il était nettement préférable de racheter de la semence de reproduction.

M. Pierre-Henri Gouyon - Il y a des régions où l'on trouve encore de la semence de ferme.

M. Hilaire Flandre - Le scénario un peu catastrophe que vous avez fait avec le maïs apomixique est-il scientifique ou s'agit-il d'une supposition ? Il n'y a aucune raison qu'une plante devienne capable de produire des clones de gènes propres à son « instinct maternel » et développe en même temps du pollen fertilisant.

M. Pierre-Henri Gouyon - Nous savons que les plantes apomictiques font du pollen fertilisant. Quitte à faire des plantes apomictiques, il faudrait arriver à ce qu'elle ne produise strictement aucun pollen, mais ce n'est pas du tout le cas et un certain nombre de plantes apomictiques ont besoin du pollen pour déclencher le développement du grain, même si les gènes du pollen ne rentrent pas dans la graine.

M. Hilaire Flandre - Vous ne faites pas beaucoup confiance à la capacité de la nature pour se défendre elle-même.

M. Pierre-Henri Gouyon - Tout dépend de ce que l'on entend par « confiance en la nature ». La nature nous survivra sans doute, mais l'étude de l'évolution des espèces montre qu'il y a eu de très grandes catastrophes écologiques à la surface de la terre. Il y a eu l'extinction des dinosaures, mais il y a eu des extinctions bien plus graves avant et pratiquement aussi importantes après et souvent ces périodes d'extinction concernaient 90 % des espèces. Que la nature se soit refabriquée, certes, mais on n'a pas envie de vivre cela. Je pense que la nature est capable de supporter de très fortes perturbations, mais que nous en souffririons terriblement, donc le fait que les choses soient naturelles ne me rassure pas en soi, il faut que je sache un peu comme cela fonctionne pour savoir si j'ai confiance ou pas.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Vous nous avez précisé votre sentiment par rapport aux essais, par rapport à la nécessité d'avoir un cahier des charges, qui peut enclencher ce cahier des charges ? Dernier point que je souhaitais aborder et qui va peut-être au-delà du scientifique, aujourd'hui les Etats-Unis sont en plein dans cette démarche OGM, ils envahissent plus ou moins le monde, que doit faire l'Europe par rapport à cette situation ?

M. Pierre-Henri Gouyon - Sur l'aspect national, je pense que les parlementaires (députés et sénateurs) peuvent faire des propositions, ils me semblent les mieux placés pour gérer ce type de question. Nous sommes dans une démocratie, tout le monde en est content et il serait très important que ce soient les élus qui se préoccupent de ces questions. Personnellement, j'ai interprété la non-réaction des élus français devant le problème des OGM comme une difficulté qu'avaient les partis à se situer vis-à-vis de ces problèmes et je pense que c'est très préjudiciable au fonctionnement national. Je pense que plus les parlementaires seront impliqués dans la manière dont les solutions seront trouvées, mieux ce sera parce que ce ne sera justement pas une solution technocratique ni une solution venant de la rue. C'est un avis que j'ai d'ailleurs souvent émis.

Comment faire ? J'ai l'impression que nous n'en sommes plus à la phase des débats et des recommandations, nous sommes dans la phase où il faudrait mettre en place des systèmes de négociations, c'est-à-dire prendre la Confédération paysanne, les Verts, les producteurs de semences, etc. et essayer de leur demander d'avancer sur le dossier. Tout le monde va perdre à ce que la situation reste bloquée comme elle l'est actuellement. La Confédération paysanne se rend bien compte qu'à force d'inertie, l'opinion publique va se désintéresser du problème et qu'il deviendra possible de faire à nouveau passer n'importe quoi comme c'était prévu avant qu'elle ne réagisse. On ne peut pas reprocher à la Confédération paysanne d'avoir bougé, même de façon un peu abusive, parce que si elle n'avait rien fait, les dossiers seraient passés sans que l'on en parle et il n'y aurait pas eu le sérieux qu'il fallait par rapport à ce problème.

Tout le monde est conscient du fait que l'immobilisme actuel est la pire des choses, mais au lieu d'organiser des débats, il faut maintenant organiser des négociations en décidant de ce que l'on va autoriser ou non.

Pour ce qui concerne les Américains, leur système agricole est très différent du nôtre, mais ils vont rencontrer les problèmes qui sont prédits avec les OGM. Si l'Europe cultive les OGM qui ne posent pas de problèmes et si elle refuse vraiment les OGM qu'il ne faut pas cultiver, à moyen terme nous y gagnerons par rapport à eux. Le bénéfice actuel des OGM n'est pas très important sur le plan financier, le seul gain réel s'exprime en termes de temps pour les agriculteurs.

S'il y a des erreurs à faire, profitons du fait que les Américains soient en train de les faire pour que nous puissions faire le tri entre ce qui est bon et ce qui est mauvais, et travaillons avec eux pour le voir. La précipitation ne donnera pas automatiquement le plus grand gain dans cette affaire. Si nous perdons trop de temps avant d'avoir mis les choses sérieuses en place, nous pourrons être ennuyés, mais si nous prenons le temps qu'il faut pour aboutir aux décisions intelligentes, nous avons de fortes de chances d'y gagner par rapport à ce laisser faire américain actuel.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Vous ne pensez pas qu'ils ont déjà commencé à envahir sur le plan économique une partie du monde ?

M. Pierre-Henri Gouyon - Qu'ils aient commencé à envahir économiquement une partie du monde ne date pas des OGM. Je pense qu'en exportant une bonne agronomie, nous aurions une assise bien supérieure à celle que nous aurons en vendant simplement des semences.

M. Daniel Raoul - Que pensez-vous de ce qui se passe en Inde ou en Chine avec le nombre d'hectares ensemencés en OGM ?

M. Pierre-Henri Gouyon - En ce qui concerne la Chine, la situation est assez compliquée, mais je suis certain que les Chinois se sont préoccupés des problèmes d'environnement et travaillent sur la question ; je ne sais pas exactement comment ils vont y répondre, mais la Chine est un pays qui a la puissance nécessaire pour résister s'ils pensent que ce qu'ils doivent faire, ce n'est pas ce que voudront leur imposer les Américains. La Chine a des problèmes de surpopulation, elle doit réellement augmenter sa production agricole de manière urgente.

Pour ce qui concerne les Indiens, je pense que la situation est pire parce que, à l'heure actuelle, la pression américaine s'est dirigée vers le fait de faire accepter non seulement les OGM, mais également des cultures de type occidental pour remplacer certaines cultures traditionnelles indiennes. Je pense que les OGM ne sont qu'un tout petit élément dans la négociation internationale et les Américains n'auront certainement aucune difficulté à faire passer les OGM en échange du fait de ne pas aider le Pakistan dans l'affaire du Cachemire, par exemple. A ce niveau-là, il est évident que nous, biologistes et écologistes, nous sommes totalement dépassés, et je crains que le fait de développer ou non des OGM en France ne changera rien vis-à-vis de ces problèmes. Au contraire, si l'Europe constitue une sorte d'alternative en allant aider les Indiens à développer les cultures traditionnelles qui répondent mieux à leurs besoins nutritifs que le soja Monsanto, c'est peut-être là que nous aurons davantage d'influence sur les pays du sud, plus qu'en essayant de jouer la course avec les Américains où, dans ce domaine, nous n'avons aucune chance.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Quelles sont les relations que vous avez en termes scientifique avec d'autres partenaires, y compris européens ? Y a-t-il une réflexion ? Y a-t-il quelque chose qui s'organise entre techniciens et scientifiques ou, au contraire, chacun vit sa vie de son côté ?

M. Pierre-Henri Gouyon - Pour le moment, il faut bien avouer qu'il n'y a pas grand-chose qui s'organise, et même au niveau national où il n'y a que quelques groupes -mais vraiment très peu- et un nombre très restreint de débats dans lesquels même les scientifiques ne sont pas d'accord. Par exemple, nos collègues molécularistes ne sont pas intéressés par ces questions. Au niveau européen, c'est un peu la même chose. Je connais quelques scientifiques européens qui travaillent sur les risques environnementaux associés, mais nous n'avons aucun poids sur le monde scientifique en la matière.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - L'une des premières choses serait peut-être de coordonner tout cela.

M. Daniel Raoul - Je voulais faire une petite remarque en ma qualité de physicien. Vous avez dit tout à l'heure qu'il serait dangereux de transgresser les lois de la nature, mais nous n'aurions jamais trouvé le transistor si nous n'avions pas transgressé les lois de la nature.

M. Pierre-Henri Gouyon - Tout à fait, mais la grande différence entre la physique et la biologie sur ce plan-là, c'est que les physiciens n'ont pas essayé de mélanger tous les produits qu'ils pouvaient jusqu'au jour où ils ont trouvé le transistor ; c'est toute la différence entre une science théorisée et une science empirique.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - M. Gouyon, je vous remercie de vous être déplacé jusqu'à nous, d'avoir accepté de participer à cet échange. Nous allons encore rencontrer beaucoup de monde pendant les mois à venir, le but étant d'y voir plus clair. En tant qu'élus, nous représentons également la société qui, sur cette question des OGM, a besoin aujourd'hui de clarté. Le problème n'est pas d'en faire la promotion ni d'être systématiquement opposé, mais c'est essayer de voir tous les aspects qui tournent autour des OGM, bons et mauvais, et surtout de faire en sorte que la société soit informée, avertie, alertée par rapport à ce problème.

Si, de votre côté, vous avez des avancées qui pourraient nous éclairer, nous serions très heureux que vous nous en fassiez part de manière que, avant de terminer le rapport, nous puissions introduire ces éléments nouveaux qui pourraient voir le jour. Sous la forme que vous voulez, nous sommes preneurs d'informations jusqu'à la fin de cette mission. Et si vous souhaitez que nous voyions tel ou tel aspect qui n'aurait pas été abordé, n'hésitez pas à nous le rappeler.

M. Pierre-Henri Gouyon - Je vous remercie beaucoup.

25. Audition de M. Alain Grimfeld, Président du Comité de la prévention et de la précaution

M. Jean Bizet, président de la Mission d'information - Notre mission d'information a déjà auditionné des experts qui l'ont éclairée sur l'aspect scientifique du problème. Nous souhaiterions connaître l'analyse que vous en faites, en tant que président du Comité de la prévention et de la précaution, afin que nous puissions contribuer à ce que nos concitoyens acceptent ou rejettent, en meilleure connaissance de cause, des OGM ... qui sont déjà présents dans leur assiette.

M. Alain Grimfeld - Merci de me donner l'occasion d'exprimer l'avis de notre Comité sur un sujet auquel il consacrait une séance dès le 5 septembre 1997, à la suite d'une saisine de la ministre de l'environnement et aussi parce que, de nous-mêmes, nous jugions indispensable d'instruire ce dossier.

La possibilité de produire des OGM est déjà ancienne ; elle date de Mendel : c'est la possibilité de fabriquer des organismes supérieurs aux précédents et, s'agissant des végétaux, des organismes supérieurs, par exemple, en termes de facilité de culture, d'aspect ou de goût. Je centrerai mon propos sur les OGM végétaux -les « plantes génétiquement modifiées » ou PGM- puisque c'est leur retentissement sur la santé, sur l'économie, sur l'agriculture et sur l'environnement qui fait actuellement débat. Ces PGM peuvent servir soit à la consommation humaine, soit à fabriquer des médicaments et leur acceptabilité peut être différente dans l'un ou l'autre cas.

S'agissant des PGM destinés à l'alimentation, il n'existe à l'heure actuelle aucune étude permettant d'affirmer qu'ils ont provoqué des dommages dans l'espèce humaine. Mais rien n'interdit de penser qu'ils pourront en provoquer à terme. Il y a là matière à appliquer le principe de précaution, lequel requiert que, en situation d'incertitude scientifique, le politique prenne une décision.

Pourquoi la possibilité d'effets dommageables ultérieurs n'est-elle pas à exclure ? Un laboratoire de l'Institut Pasteur a démontré la possibilité de transgenèse induite entre végétaux et bactéries. Avec un maïs transgénique utilisant comme marqueur un gène d'origine bactérienne de résistance à un antibiotique, l'ampicilline, s'il y a possibilité, même infime, de transgenèse induite -et pourquoi pas spontanée ?- on multipliera les bactéries résistantes à l'ampicilline. On m'a déjà objecté que 50 % des bactéries existant dans l'intestin humain sont déjà résistantes à l'ampicilline. Il est inepte de proposer que 100 % de ces bactéries y deviennent résistantes. C'est inacceptable.

On sait maintenant qu'il suffit d'une seule mutation de très faible ampleur dans ce gène pour conférer la propriété de résister à une nouvelle classe d'antibiotique, les céphalosporines. De même, une seule et toute petite mutation d'un autre gène de reconnaissance, celui de la résistance à la kanamycine, suffit pour conférer la résistance à un autre antibiotique très utilisé, l'amikacine.

Faut-il tout arrêter pour autant ? Non. Le principe de précaution ne vise pas l'immobilisme. C'est un principe d'avancée intelligente. Il faut aussi savoir que le grand laboratoire qui commercialisait cette formule de maïs transgénique avec gène de résistance à l'ampicilline, disposait déjà dans ses réserves d'un autre maïs transgénique ne contenant pas ce gène marqueur  : mais il fallait écouler les stocks déjà produits ... Là il ne s'agit même plus de précaution, mais de prévention.

Donc, même si le risque de transgenèse est très peu probable, ses conséquences seraient catastrophiques pour la population. On ne doit donc pas prendre le risque de diffuser ces gènes de résistance, d'autant qu'il est techniquement possible de faire autrement.

La population souhaite être informée, et de façon claire, sur les PGM qu'elle consomme, ce qui pose l'énorme problème de la traçabilité et de l'étiquetage. Sur le sujet les producteurs de l'agroalimentaire et la grande distribution ont des points de vue divergents, cette dernière étant disposée à informer les consommateurs de la présence d'OGM dans leurs aliments. Il y a également divergence au niveau international entre l'Europe et les Etats-Unis. Ceux-ci, qui n'exportent que la moitié de leur production agricole sous forme de produits transformés, sont favorables à l'étiquetage des produits agroalimentaires européens qui représentent les trois quarts de la production agricole de notre continent....

La question des PGM utilisées pour fabriquer des médicaments se pose de façon toute différente et nos populations européennes et méditerranéennes rechigneront beaucoup moins à accepter des médicaments ainsi fabriqués, qu'à consommer des aliments contenant des PGM.

S'agissant des répercutions sur l'environnement. On ne sait encore rien de l'effet des PGM sur les espèces animales.

S'agissant de l'environnement végétal, y-a-t-il risque de transferts de gènes entre plantes inter-fertiles, génétiquement modifiées et sauvages ? Le problème ne se pose pas en Europe pour le maïs qui est une plante importée. Mais entre espèces le risque de contamination n'est pas nul. Le maïs exprimant la toxine de Bacillus thuringiensis, ou maïs Bt, par exemple, devient, grâce à l'acquisition de cette toxine, capable de se défendre contre la pyrale. Mais cette acquisition ne sera efficace que pendant un temps. Souvenons-nous que, après les bactéries, les insectes sont les premiers à être apparus sur la planète et qu'ils seront sans doute les derniers à y être présents ... A terme, la pyrale s'adaptera et dévorera à nouveau le maïs. La quantité de phytosanitaires nécessaires pour contrer des insectes devenus résistants au Bt sera alors bien supérieure.

Que savons-nous au juste du passage inter espèces ? Il n'y a pas si longtemps on jugeait impossible le passage du prion entre espèces animales différentes. On a vu ce qu'il en a été. Même si la possibilité de contamination inter-espèces est infime, si elle se produit, elle sera exponentielle et nous devrons utiliser des pesticides de plus en plus puissants, non plus seulement pour le maïs mais aussi pour d'autres plantes.

Nos méthodes expérimentales nous permettent de voir comment évolue une transgenèse. Nous savons expérimenter en espace confiné et en plein champ. Essayons donc de progresser afin de mettre au point des PGM qui soient bonnes pour la consommation humaine, bonnes pour notre agriculture et bonnes pour les autres pays. Mais avec prudence, ce qui suppose une législation, des expérimentations et des évaluations de ces expérimentations, lesquelles, lorsqu'elles sont faites en plein champ doivent respecter certains espacements -au moins 400 mètres.

Aucune évaluation -pas même aux Etats-Unis- n'a encore été faite sur les bénéfices économiques qui pourraient être éventuellement retirés de l'utilisation des PGM. Nous ne disposons d'aucun retour sur expérience permettant de conclure qu'il y a avantage à cultiver tel maïs plutôt que tel autre.

Il n'est pas acceptable que notre pays qui dispose d'organismes de recherche agronomique remarquables, ne mène pas de recherches sur les PGM en tant que telles. Car si un jour nous devons en consommer, il est impensable que nous dépendions, pour ce faire, de recherches menées ailleurs. Cela relève même du principe de précaution. Il s'agit de ne pas laisser passer l'occasion de travailler ce sujet ! Pourquoi ne pas mener nos propres expériences sur les cultures en plein champ et sur les PGM entrant dans la fabrication de médicaments ? Nos concitoyens trouveraient parfaitement acceptable un médicament issu de PGM s'il revient moins cher ou s'il est mieux toléré qu'un médicament fabriqué industriellement. Mais tout cela suppose, dans chaque cas, des expériences, des retours d'expériences, des évaluations. Au Comité de la prévention et de la précaution, nous n'avons pas d'état d'âme ; nous tentons d'être les plus scientifiques possible.

Et lorsque la France aura mis au point des PGM pour sa propre consommation, pour celle d'autres pays ou pour fabriquer des médicaments, pourquoi ne pourrait-t-elle pas en tirer des profits licites, puisqu'il est courant de breveter tout ce qu'on produit ? Un agriculteur français ayant renoncé à la culture traditionnelle ou biologique ne doit pas être obligé d'aller chaque année se procurer ses semences à l'étranger. Compte tenu du niveau de notre recherche agronomique, il serait pour nous inacceptable d'avoir à subir les contraintes commerciales d'autres pays. Pour des raisons économiques, il est hors de question de rater ce train là.

Les questions de responsabilité, quant aux effets sur l'espèce humaine, sur l'environnement sur l'économie, sont encore en débat. Par exemple, si une PGM est à l'origine d'allergies, qui sera responsable ? Le fabricant, le producteur, le distributeur ? Même question pour d'éventuels effets sur l'environnement.

M. Jean Bizet - L'AFSSA a prouvé que les risques présentés par les gènes marqueurs résistants aux antibiotiques étaient infimes, de l'ordre de 10 puissance moins 25 et, maintenant, toute construction transgénétique fait abstraction de ces marqueurs. Quand il arrive qu'on en trouve un, on fait revoir la copie. Reste que, sur l'opinion publique cela a un effet répulsif.

Par ailleurs, il est vrai que le parallèle avec le prion laisse penser qu'une transmission inter-espèces est possible. Je vais être un peu provocateur : est-ce qu'une technologie du genre Terminator ne serait pas pertinente ?

M. Alain Grimfeld - Ce serait une solution, mais à condition que l'autolyse se produise avant qu'il y ait contamination inter-espèces. Car, dans tout cela, on oublie totalement, la dimension dynamique. Depuis des siècles, nous avons une dynamique qui nous permet de voir les effets de la sélection. Mais quand nous modifions génétiquement une plante, la dimension dynamique est totalement absente ; on ne peut tester l'évolution génétique, ce qu'on faisait auparavant sur plusieurs années. L'aspect dynamique de la tolérance inter-espèces n'existe plus. Jusqu'à présent il y avait eu cette tolérance et donc une harmonie qui nous a permis d'être encore là aujourd'hui.

Je ne suis pas anti-progrès, que cela soit bien clair ! Je voudrais seulement qu'on réfléchisse à une modélisation qui prenne en compte cette dimension dynamique, cette notion de développement conjoint, afin qu'on n'introduise pas n'importe quoi dans un écosystème au développement jusqu'ici harmonieux.

M. Jean Bizet - Vous êtes le premier à nous parler de dynamique et d'harmonie. C'est en effet un aspect à ne pas négliger.

Mais j'ai appris à devenir prudent quant à l'application d'un principe de précaution utilisé à tort et à travers, brandi à chaque instant par des « écologistes échevelés » et devenu principe d'inaction. J'ai eu l'occasion d'en discuter avec M. Glavany, l'ancien ministre de l'agriculture qui avait bien conscience de se laisser enfermer par ce principe. Car dès qu'il y a un problème, notamment dans les négociations internationales, les Français sortent le parapluie du principe de précaution. A mon avis, cela va mal finir. Donc, en tant que président du Comité de la prévention et de la précaution, quelles recommandations avanceriez-vous pour corriger ou adapter cette notion de principe de précaution ?

M. Alain Grimfeld - Depuis sa création en 1996, notre Comité est attaché à cette définition du principe de précaution : « devant le risque d'un danger grave, irréversible et coûteux pour la société, en situation d'incertitude scientifique, il faut cependant prendre une décision politique. » Soit non, soit oui. En ce qui me concerne, c'est plutôt oui : on prend une décision politique et la nouveauté, me semble-t-il, c'est que cette décision politique peut être temporaire -ce qui est difficile à accepter- et qu'elle doit toujours être flanquée d'un programme de recherche. Toujours !

Reprenons l'exemple d'une plante que l'on vient de modifier génétiquement. Il n'est pas question de dire : « nous n'allons pas faire ». C'est clair dans notre esprit : il faut avancer, progresser et la France doit prendre ce train. Nous devons donc avancer et produire dix, vingt PGM, modéliser la mise en culture de ces plantes soit en surface confinée, soit en plein champ mais avec des systèmes de prévention de la contamination conformes au principe de précaution. Il ne s'agit pas de s'arrêter, il s'agit de faire et de faire mieux que les autres. Cela signifie que, à chaque fois, on doit avoir un retour d'expérience, une évaluation et un programme de recherche. Depuis six ans que notre Comité manie ce principe de précaution dans ses recommandations, il le fait selon cette démarche-là. Le principe de précaution, c'est l'inverse du « On ne sait jamais. » Depuis six ans nous cherchons à quel niveau mettre la barre entre la précaution et la prévention. Lorsque l'incertitude scientifique disparaît, grâce au programme de recherche qui a flanqué la décision politique - laquelle peut être transitoire -, on peut alors dire qu'il n'y a plus de danger ou bien qu'il y a un danger, désormais connu, mais qui n'empêchera pas de continuer à produire - pourquoi pas ? -mais en prenant des mesures de prévention-, de même que nous continuons à vivre à côté de bactéries diphtériques ou tétaniques en prenant des mesures de vaccination. Lorsque l'incertitude scientifique disparaît, la précaution cède la place à la prévention. Si nous savons que telle PGM présente tel danger, nous pouvons continuer à la produire en prenant telle mesure de prévention. Et le politique qui aura pris la décision, aura en même temps pris la précaution de financer un programme de recherches qui lui permettra d'asseoir cette décision sur des connaissances scientifiques consolidées. Pour nous c'est cela le principe de précaution, ce n'est pas le principe d'immobilisme qu'on en a fait.

M. Christian Gaudin - On peut dire que la prévention, c'est la phase suivant immédiatement un principe de précaution paramétré.

M. Alain Grimfeld - Tout à fait. On aura évolué vers la prévention, grâce à un programme de recherches, d'une incertitude scientifique à une certitude scientifique.

M. Christian Gaudin - Quel est le rôle de l'obtention du gène de résistance ?

M. Alain Grimfeld - Dans une modification génétique, on associe habituellement un gène d'intérêt -ce pourquoi vous voulez cette modification, la résistance à la pyrale par exemple-, et un gêne marqueur de reconnaissance des semences -en l'occurrence le gène de résistance à l'ampicilline.

M. Christian Gaudin - Le mécanisme de la transgenèse est-il connu, bien maîtrisé ?

M. Alain Grimfeld - Excellente question. Quand dans certaine émission traitant de transgenèse ou de thérapie génique, on annonce qu'il est possible de remplacer le vilain wagonnet par un bon petit wagonnet salvateur, c'est biologiquement complètement faux. Les marges de la transvection génique sont telles que vous ne savez pas toujours ce que vous faites en bordure de la transvection. C'est une question majeure, soulevée par des généticiens de haut niveau. D'autres, également de haut niveau mais d'esprit partisan, très favorables à la génétique moléculaire, à la transvection et à la modification géniques, oublient cela dans leurs discours. On ne contrôle pas tout au milliardième de nanomètre près et, dans tout transfert génique, subsiste une incertitude en ce qui concerne les bords du gène transféré. C'est pourquoi les allergologues se demandent si, sachant ce qui s'est passé avec la noix du Brésil et certaine tomate, on ne risque pas de fabriquer des molécules allergènes parce que leur structure tridimensionnelle résultera du codage par un gène dont la transvection n'aura pas été ce qu'on prévoyait. Et l'anomalie produite sur les bords affectera toute la production ultérieure de la PGM.

M. Christian Gaudin - Quel est l'état des travaux ?

M. Alain Grimfeld - Ils sont en cours. La difficulté est qu'on ne peut les mesurer qu'avec les retours d'expérience. Ces travaux sont extrêmement complexes : il faut voir pour quel type de protéines code le gène et quelles sont les structures moléculaires de ces protéines, pas seulement en termes de composition mais aussi de structure tridimensionnelle puisqu'il semble bien que cela joue sur de nombreux phénomènes membranaires. Par exemple, on sait que la fonctionnalité d'un récepteur membranaire tient à la structure tridimensionnelle du récepteur et de la molécule qui va s'y fixer.

M. Max Marest - Comment expliquer l'intérêt industriel porté à ces OGM alors que, dites-vous, il n'y a pas d'évaluation possible de leur intérêt économique ?

M. Alain Grimfeld - L'évaluation est possible mais elle n'a pas encore été faite. Nous ne disposons pas de suffisamment de retours d'évaluation de l'intérêt d'une PGM, par exemple en matière d'économie de phytosanitaires ou d'éventuels bénéfices pour la santé humaine.

M. Max Marest - Cela signifie-t-il que seuls les semenciers font un pari sur l'avenir ?

M. Alain Grimfeld - Nous ne disposons pas actuellement de données facilement exploitables. Les semenciers pourraient probablement, pour un type de semences donné, comparer la rentabilité d'une PGM et celle d'une plante traditionnelle. Mais actuellement nous n'avons pas beaucoup de chiffres disponibles.

M. Jean Bizet - Dernière question : M. Chevassus-Au-Louis nous a expliqué qu'on savait désormais, à partir d'une cellule, refabriquer en quelque sorte la graine elle-même. Cela laisserait à penser que, d'ici quelques années, les OGM seraient dépassés ...

M. Alain Grimfeld - Mon domaine de recherches n'est pas du tout celui-là ; donc je ne m'y aventurerai pas et je n'ai aucune idée personnelle sur ce sujet.

26. Audition de Mme Françoise Grossetête, député européen

Mme Françoise Grossetête - Quand on parle de risque OGM, j'ai envie de parler du risque de la cigarette. Je crois que le plus difficile à gérer pour ce risque, c'est la communication avec le grand public qui absorbe toutes les informations livrées par les grands médias, or ce dossier, très médiatisé et très délicat, n'est pas toujours bien présenté. Je crois que l'on peut notamment évoquer la dernière actualité du 24 janvier, où nous avons assisté à une condamnation des OGM par les artistes, les autorités religieuses et politiques qui ont arraché des plants de colza transgéniques dans la Marne. C'est difficile de remonter la pente, et les politiques que nous sommes inspirent malheureusement peu confiance, alors que les scientifiques, eux, peuvent obtenir la confiance de nos concitoyens, du moins quand leurs avis convergent.

Je voudrais faire un petit point sur l'évolution législative qui a débuté en 1990 et s'est déployée au cours de la décennie. Le principal instrument législatif qui autorise les disséminations expérimentales, et la mise sur le marché d'OGM, c'est la directive 90-220. Mais, dans ce premier texte, l'inspection, le contrôle, la mise en place de plans d'urgences et la consultation éventuelle du public sont laissés à la discrétion des Etats membres. De plus, la lacune principale de cette directive, c'était que les procédures administratives et les exigences de notification n'étaient pas liées aux risques. Cette directive a été abrogée par la directive 2001-18 qui est en application depuis le 17 octobre 2002. Elle vient renforcer la législation précédente, notamment en ce qui concerne une évaluation scientifique précommerciale plus approfondie des OGM et une transparence accrue aux différentes étapes de la procédure. Cette directive repose sur de nouveaux principes d'évaluation des risques qui garantissent que les OGM mis sur le marché sont inoffensifs pour la santé humaine et pour l'environnement. Alors, cette directive modifiée 2001-18, qui abroge la 90-220, renforce les règles et apporte notamment les points suivants :

1. une évaluation plus détaillée des risques pour l'environnement, ce risque dépendant des caractéristiques du matériel génétique ajouté, du produit génétiquement modifié obtenu, de l'environnement, des interactions entre tout cela en fonction des possibles transferts de gènes, etc.... ;

2. des exigences de surveillance, y compris pour les effets à long terme des OGM ;

3. l'obligation d'informer le public ;

4. des règles générales d'étiquetage et de traçabilité obligatoires ;

5. des périodes de première autorisation de dissémination d'OGM limitées à 10 ans ;

6. et enfin, l'obligation de consulter les comités scientifiques.

Je voudrais maintenant apporter quelques précisions sur la méthode d'évaluation des risques et sur les étapes de cette évaluation. Les étapes sont les suivantes : identification des caractéristiques de l'OGM susceptibles d'avoir des effets indésirables, évaluation des conséquences potentielles de chaque effet indésirable, évaluation de la probabilité d'apparition de chaque effet indésirable potentiel, estimation du risque présenté par chaque caractéristique identifiée des OGM, application de stratégies de maîtrise des risques et détermination du risque global présenté par l'OGM.

En quoi consiste la procédure d'autorisation ? Conformément à la directive 2001-18, une entreprise qui voudrait commercialiser un OGM doit, au préalable, soumettre une notification à l'autorité nationale compétente dans l'Etat membre où le produit doit être mis sur le marché la première fois. Donc, l'autorisation est accordée par l'Etat membre et l'autorité nationale, quand elle rend un avis favorable, doit informer les autres Etats membres par l'intermédiaire de la Commission. Si un Etat membre fait une objection, la décision de mise sur le marché du produit dans l'Union entière doit être prise au niveau communautaire. Dans ce cas, la Commission sollicite l'avis de ses comités scientifiques. Si l'avis scientifique est favorable, la Commission soumet un projet au Comité réglementaire, qui est composé de représentants des Etats membres. Si l'avis scientifique est défavorable, le projet de décision est transmis au Conseil des Ministres qui doit se prononcer alors à l'unanimité, et s'il ne se prononce pas dans un délai de 3 mois, son accord tacite est supposé.

Permettez-moi de revenir une seconde sur les comités scientifiques que la Commission consulte avant de rendre son avis. Vous savez peut être qu'aujourd'hui, la Commission a mis en place un réseau européen de laboratoires de référence pour les OGM, qui est destiné à obtenir des évaluations les plus objectives possibles.

Je voudrais aussi préciser que, au cours de toute la procédure de notification que je viens de décrire, le public doit être largement informé et pouvoir accéder aux données publiques sur Internet, telles que la synthèse des notifications, les rapports d'évaluation des autorités compétentes ou l'avis des comités scientifiques.

Je ne m'attarderai pas sur les règles en matière de commercialisation d'aliments génétiquement modifiés, puisqu'elles sont tout à fait semblables aux règles qui président aux demandes d'autorisations dont je viens justement de décrire les procédures.

Un petit mot des semences génétiquement modifiées, pour dire que jusqu'à présent, seules deux variétés de semences dérivées d'OGM ont été inscrites dans le catalogue commun, c'est-à-dire autorisées à être commercialisées dans l'Union. Elles avaient obtenu donc une autorisation préalable au titre de la directive 90-220 et 18 autres variétés de semences sont en attente d'inscription dans le catalogue commun.

Il existe également des règles en matière d'étiquetage et d'information des consommateurs.

M. Jean Bizet - A ce sujet, je voulais vous faire part d'une constatation que nous a permis de faire notre voyage aux Etat-Unis. Nous avons pu sentir que les Etats-Unis étaient relativement ouverts sur la question d'étiquetage, car en tant que marchands ils sentent bien la nécessité qui s'impose à eux de s'adapter et je crois qu'aussi, du fait du terrorisme, la notion de traçabilité rencontre un écho nouveau de l'autre côté de l'Atlantique.

Mme Françoise Grossetête - C'est tout à fait vrai, et je me réjouis qu'en matière d'étiquetage, les Américains soient un peu plus ouverts. Je voudrais rappeler que l'étiquetage indiquant la présence d'OGM, en tant que tel, ou bien dans un produit, est obligatoire depuis 1997. A partir du 17 octobre 2002, c'est la directive 2001-18 qui s'applique, laquelle prévoit que les Etats membres doivent garantir l'étiquetage des OGM mis sur le marché en tant que produit, ou même élément de produit. Si la France n'applique pas la 2001-18, de nouveaux textes communautaires sont déjà en cours. L'autorité européenne pour la sécurité alimentaire, qui a été créée depuis, aura compétence pour la traçabilité et l'étiquetage des produits OGM, et issus d'OGM. Cette traçabilité et cet étiquetage d'OGM, et de dérivés d'OGM, font l'objet d'une proposition de règlement qui est actuellement en discussion. Un deuxième texte est également en cours, qui est une proposition de règlement sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, texte souvent désigné sous le nom de « novel food / novel feed ».

Où en sont ces propositions au niveau législatif ? Les positions communes sur ces deux propositions de règlement ont été adoptées en décembre dernier et une deuxième lecture par le Parlement européen devrait avoir lieu avant l'été. La Commission à laquelle j'appartiens au Parlement européen, la Commission environnement et santé, a des exigences idéologiques parfois très fortes qui tiennent au poids des nordiques et au poids du groupe des Libéraux, mais ces exigences sont souvent tempérées en séance plénière. Moi-même, j'appartiens au groupe PPE qui est soucieux à la fois de l'agriculture, de l'industrie et du progrès pour l'environnement. Je pense que l'entrée des pays d'Europe centrale et orientale sera aussi un facteur de rééquilibrage au sein de notre Commission.

Alors, que prévoient ces textes ? Les propositions instaurent un système communautaire harmonisé de traçabilité des OGM introduisant l'étiquetage obligatoire des aliments pour animaux génétiquement modifiés et elles mettent en place une procédure simplifiée d'autorisation qui est à mi-chemin entre une procédure centralisée et une procédure décentralisée. L'objectif général est de faciliter le contrôle et la vérification des allégations figurant sur les étiquettes. Cependant, bien que la directive 2001-18 contienne des dispositions permettant de fournir un système de traçabilité, elle ne fournit pas la définition de cette notion de traçabilité. Donc le texte prévoit seulement qu'à chaque maillon de la chaîne, l'information soit transmise et qu'un registre soit tenu à cet effet. Les exploitants doivent indiquer à chaque fois les codes des OGM utilisés pour obtenir la matière première originale des produits destinés à l'alimentation humaine, à l'alimentation animale ou à la transformation.

Je voudrais aussi souligner que, pour la première fois, des exigences strictes en matière d'étiquetage des aliments génétiquement modifiés pour animaux sont proposées suivant les mêmes principes que les aliments destinés à l'alimentation humaine. Pour l'heure, les aliments pour animaux produits à partir d'OGM ne sont soumis à aucune exigence d'étiquetage. La proposition exigera l'étiquetage par exemple de la farine de soja génétiquement modifiée et de tout aliment composé contenant de la farine de soja génétiquement modifiée. Elle imposera également l'étiquetage des aliments à base de gluten de maïs produit à partir de maïs génétiquement modifié.

Concernant le seuil d'étiquetage, dans le cadre de la législation actuelle, il n'existe pas de seuil de tolérance pour la présence accidentelle de matériel génétiquement modifié. La proposition de la Commission était que les emballages de tous les aliments signalent la présence d'OGM si leur proportion dépassait 1 % par ingrédient. Le Conseil a proposé un seuil de 0,9 %, après que le Parlement avait voté un seuil de 0,5 % à mon grand regret. J'espère qu'en deuxième lecture ce seuil sera rectifié, car à ce jour il est scientifiquement quasiment impossible de détecter cette présence lorsqu'elle oscille autour de 0,5 %. A l'issue de la deuxième lecture au Parlement européen, il y aura peut être un comité de conciliation, composé pour moitié de représentants du Conseil et pour moitié de représentants du Parlement européen. Tout cela dépend du rapporteur au Parlement européen, notamment de sa volonté de négocier certains points. Mais votre information sur les Etats-Unis est, de ce point de vue, rassurante et intéressante.

M. Jean Bizet - Je vous rappelle que le seuil auquel les Etats-Unis sont prêts à consentir est variable selon le type de cultures. Ils nous ont parlé de 1 % pour le soja, mais de 3, 4 voire 5 % pour le maïs. Pensez-vous qu'on gagnerait à publier ces chiffres ?

Mme Françoise Grossetête - Oui, je pense que cela serait intéressant pour encourager à plus de réalisme.

M. Jean-Marc Pastor - Existe-t-il un seuil pour l'agriculture biologique ? Car le cahier des charges existe, mais on ne teste pas le produit obtenu.

Mme Françoise Grossetête - Je crois que ce serait une très bonne idée de demander aux écologistes pourquoi ils n'ont pas les mêmes exigences, pour l'agriculture bio, sur les antibiotiques, etc... que pour l'agriculture conventionnelle. Une question qui mérite d'être posée, est de savoir si les nouvelles règles sur l'étiquetage sont en harmonie avec les règles du commerce international. Les propositions de la Commission tiennent compte des engagements communautaires en matière d'échanges commerciaux internationaux et aussi des exigences du protocole de Carthagène sur la biosécurité au regard des obligations des importateurs. Une autre proposition législative, régissant les obligations des exportateurs et d'autres aspects du protocole de Carthagène, est en préparation. Une fois que les règles d'étiquetage et de traçabilité seront bien assises, et que le consommateur aura donc un choix réel, normalement la levée du moratoire doit s'envisager. A priori, cela ne pose pas de problème dans les pays d'Europe du Nord, en Allemagne et au Royaume-Uni.

M. Jean Bizet - Sur ce point, pourriez-vous nous préciser la position de M. Franz Fischler, commissaire européen à l'agriculture ?

Mme Françoise Grossetête - Je sais que M. Fischler est autrichien et je pense qu'il sent que l'évolution est nécessaire. MM. Busquin et Lamy seront aussi des « facilitateurs ». Il faut comprendre la nécessité de l'effort de recherche qui débouche naturellement sur l'économie.

M. Jean Bizet - Sans même parler du professeur Douce, M. Malvoisin, de Génoplante, nous a fait part du très grand désarroi des chercheurs.

Mme Françoise Grossetête - Le désarroi des chercheurs indépendants me touche encore plus que celui des chercheurs appartenant à des industries agroalimentaires. Le discours à tenir, je crois, est le suivant : on a fait le travail permettant aux consommateurs de conserver une liberté de choix, donc il faut maintenant aller de l'avant. Et ceux qui font opposition aux OGM sont les mêmes que ceux qui s'opposent à la mondialisation. Or, c'est un fait donc la seule solution, c'est de se donner les outils pour la vivre, et je crois que votre discours en France sera d'autant plus facile à tenir quand les textes auront été transposés. Donc, il faut répondre à la demande du consommateur, c'est à dire des règles et des contrôles, et si un risque apparaît, grâce au suivi qui sera assuré par le Comité de bio-vigilance, on arrête tout.

M. Jean Bizet - C'est pour cela que notre mission d'information, par sa composition politique très transversale, me semble à même de préparer l'esprit de nos collègues.

M. Jean-Marc Pastor - Il manque dans le dispositif une stratégie de communication, sinon rien ne passera malgré l'existence de toutes les règles imaginables.

Mme Françoise Grossetête - C'est vrai, mais il ne faut pas alourdir la tâche du Ministère de l'Agriculture qui est déjà au front pour mettre au point la réglementation. Mais je conviens qu'il manque un intermédiaire. Chacun est libre de son choix, donc il faut responsabiliser le consommateur et ensuite laisser jouer la loi du marché.

On n'a pas parlé des huiles issues de produits OGM, type huile de soja ou de maïs, qui vont devoir être étiquetées.

M. Jean Bizet - Oui, et d'ailleurs nous estimons que cette décision est très risquée et qu'elle pourrait entraîner un retour de bâton sur nos vins et fromages, où l'on utilise des OGM en amont sans pour autant exiger un étiquetage.

Mme Françoise Grossetête - C'est vrai, je le note. Mais il faudrait être habile et le faire souligner par d'autres Etats membres sinon, si la France elle-même évoque les vins et les fromages, elle sera rapidement soupçonnée de ne défendre que ses intérêts propres. Mais je vais en reparler avec M. Joseph Daul, président de la Commission de l'Agriculture au Parlement européen, afin d'obtenir autre chose qu'un débat franco-français irritant.

27. Audition de M. Jean-Claude Guillon, Directeur stratégie et communication du groupe Limagrain

M. le président - Pouvez-vous nous présenter la stratégie et la communication de Limagrain ?

M. Jean-Claude Guillon - permettez-moi de m'appuyer sur une série de transparents.

Notre groupe est ancré dans le monde agricole : Limagrain, c'est d'abord une coopérative qui inscrit son action dans le cadre d'une certaine idée de l'agriculture. Cette agriculture, nous la voyons innovante, productive, économe des ressources naturelles et respectueuse de l'environnement, avec une finalité : être au service de l'homme.

L'innovation est indispensable pour que l'agriculture française puisse répondre aux besoins et différencier ses productions du « tout venant ». La productivité - qui n'a rien à voir avec le «productivisme » - est tout aussi indispensable : produire de la qualité ne suffit pas, il faut l'offrir à un prix acceptable par rapport aux produits génériques.

Nous sommes le 4ème semencier mondial : notre métier c'est l'amélioration des plantes. Nous mettons au point des variétés répondant aux besoins de l'alimentation et de la transformation agro-alimentaire. Nous sommes de plus le 1er semencier indépendant des groupes agrochimistes. Toutefois, même si notre chiffre d'affaires est important - un milliard d'euros - nos moyens financiers n'ont rien à voir avec les leurs.

Aujourd'hui, les marchés de commodités se segmentent : pour chaque grande culture, la norme est désormais de distinguer selon la destination, c'est à dire les utilisateurs. Prenons l'exemple du blé : ce ne sont pas les mêmes variétés qui sont utilisées pour la panification, pour l'alimentation du bétail, pour l'amidonnerie ou encore pour la biscuiterie. Prenons l'exemple des blés biscuitiers : aujourd'hui nous avons un partenariat avec Danone pour mettre au point des variétés mieux adaptées à ses besoins, il aura fallu huit ans de travail de persuasion pour en arriver là. Danone est désormais convaincu du lien entre la génétique et la qualité de la matière première, tout comme d'ailleurs Nestlé.

Notre concept c'est « de la semence au produit final », c'est à dire que la création variétale doit être orientée en fonction des besoins. C'est pour faire la preuve de ce concept que nous avons acheté la société Jacquet en 1995 et le renouveau de l'entreprise Jacquet doit beaucoup à la qualité de ses produits, laquelle résulte largement de l'adéquation entre farines ( issues de variétés spéciales ) et procédés de fabrication.

Limagrain est aussi leader dans les semences potagères avec Vilmorin, Clause et cie. Enfin, nos clients sont pour 30 % le grand public, avec des marques comme Jacquet ou Vilmorin, et 70 % avec les professionnels de l'agriculture , du maraîchage et de l'agroalimentaire.

Nous nous sommes lancés dans les biotechnologies en 1984, à Clermont-Ferrand, sur le campus de l'université Blaise Pascal. Aujourd'hui nous consacrons plus de 15% de nos dépenses de recherche aux biotechnologies, soit 12 millions d'euros sur un total de 77. Limagrain consacre en effet près de 12% de son chiffre d'affaires professionnel à la recherche. Ce sont à la fois des moyens importants et limités par rapport à nos grands concurrents.

Avant de parler de communication sur les biotechnologies, j'aimerais vous faire part de nos analyses et de convictions : les biotechnologies apportent de nouveaux outils pour mieux exercer notre métier d'amélioration des plantes. Et ces nouveaux outils sont indispensables pour relever les défis qui se posent à l'agriculture.

Parmi ces défis figure celui de l'alimentation. Préparer les variétés de demain c'est imaginer les besoins de demain ! A commencer par la demande quantitative. Que constate-t-on ? Depuis une vingtaine d'années, la demande mondiale de céréales ne cesse de s'accroître, mais la production fluctue avec une récente tendance à la stagnation, avec une difficulté : pour la 3ème année consécutive, l'offre est inférieure à la demande ( 1,9 milliard de tonnes en 2001 ). Si bien que Monsanto n'a pas tort de dire qu'il faut se poser la question de « nourrir le monde demain ».... Nous devons intégrer cette réalité dans nos réflexions puisque nous préparons aujourd'hui les bases génétiques des variétés qui seront sur le marché dans 10 ans.

La production de blé a beaucoup plus progressé que celle de riz ; elle représente 31 % de la production mondiale, comme le maïs ; le riz 17%. Nous pensons que la France et l'Europe ont un rôle à jouer pour relever ce défi de l'alimentation. Il s'agit d'un devoir collectif. Sur un autre plan, une variation de 1 à 2 % de la production mondiale peut faire varier le prix du simple au double. A coté de mécanismes de régulation de la production, réduire les variations de la production est donc un objectif essentiel. La solution ne peut passer que par l'innovation technique. Et ce potentiel d'innovation existe.

J'aimerais maintenant aborder la question des besoins que nous intégrons dans nos programmes d'amélioration des plantes. Il est nécessaire d'apporter des réponses à chacun. En premier lieu, il faut se soucier des tolérances : au sec, au froid, au sel. Il y a aussi la résistance aux maladies, aux virus, aux insectes. Et sans oublier le potentiel de rendement, c'est à dire de productivité par hectare, ni les coûts de production qui vont déterminer la compétitivité des productions, notamment par rapport aux produits importés. Ensuite viennent des besoins plus qualitatifs, par exemples les fonctionnalités : si l'on veut une céréale de petit-déjeuner qui ne fonde pas dans le lait, il faut utiliser des semoules de maïs issues de variétés adaptées par un travail génétique, en l'occurrence de sélection. De même, nous prenons toujours en compte les caractéristiques nutritionnelles, ainsi que le goût et la couleur. Enfin, à coté de ces besoins alimentaires, nous regardons aussi les besoins non alimentaires, tant ceux de la santé que ceux de l'industrie.

Avons-nous la capacité de répondre à tous ces besoins ? Je suis tenté de dire oui, si nous savons utiliser tous les outils disponibles, notamment les biotechnologies. Regardons l'histoire de l'amélioration des plantes : elle montre une très rapide accélération. De la sédentarisation au milieu du 18ème siècle, la productivité a très faiblement progressé, passant d'un à quelques quintaux par hectares. Avec la formulation des lois de Mendel en 1866 , la sélection généalogique a permis de réels progrès jusqu'en 1953, date de la découverte de la structure de l'ADN. A partir de là tout s'est accéléré avec la génétique quantitative durant une trentaine d'années ; puis, en 1983, la naissance de la génétique moléculaire ; nous sommes maintenant entrés dans l'ère de la génomique végétale qui ouvre des perspectives considérables grâce à la bio-informatique.

Nous avons fait le choix d'utiliser tous les outils disponibles. Naturellement, nous utilisons par principe la technique la plus simple : conventionnelle si possible, transgenèse si nécessaire. La transgénèse ouvre des perspectives intéressantes, notamment sur les résistances aux parasites et sur les matières premières renouvelables pour l'industrie.

M. le président - Prospective à long terme !

M. Jean-Claude Guillon - Une dizaine d'années, pour peu qu'une impulsion soit donnée. Nous avons travaillé avec Total sur un lubrifiant à base de colza. Cela n'a pu être finalisé, faute en particulier d'un cadre réglementaire permettant d'envisager une exploitation.

Les biotechnologies sont d'abord des outils permettant une plus grande précision. La sélection conventionnelle est empirique. Lorsque l'on croise une variété cultivée avec une plante sauvage pour introduire une caractéristique nouvelle, par exemple une résistance, on peut retrouver des éléments indésirables, en particulier à cause de molécules liées au système de défense des plantes ; c'est très net pour les légumes.

La transgénèse permet aussi d'élargir le champ des possibles : on peut activer un gène désirable ou, au contraire, éteindre un gène indésirable, par exemple à l'origine de certains alcaloïdes dans la pomme de terre et les tomates. On peut enfin ajouter un gène d'intérêt dans une espèce végétale, ce qui constitue un facteur puissant d'augmentation de la biodiversité.

M. Hilaire Flandre - C'est là que l'on peut s'inquiéter...

M. Jean-Claude Guillon - La transgénèse est un phénomène naturel, qui participe à l'évolution des espèces : chaque fois que des bactéries sont soumises à un orage, elles subissent un grand nombre de transgénèses et puis la nature trie. Rien de plus aléatoire que la nature. Les orages provoquent des mutations qui, pour beaucoup, ne prospèrent pas, mais nul ne peut les contrôler. Au contraire, les recherches en biotechnologies sont rigoureusement encadrées, dès le laboratoire, puis en serre et enfin au champ.

Pour les opposants, la transgénèse (les OGM) est devenue un symbole : celui de l'appropriation du vivant par quelques monopoles. C'est aussi notre préoccupation, une préoccupation partagée par l'ensemble de nos partenaires dans Biogemma, c'est à dire le monde agricole. Notre réponse est simple : « protéger sans confisquer ». De quoi s'agit-il ?

Un des formidables enjeux de la génomique réside dans la « synthénie » terme scientifique qui veut dire qu'un gène découvert dans une plante modèle, au petit capital génétique, comme l'arabidopsis par exemple qui a 145 millions de paires de bases (à titre de comparaison, l'homme a 3 milliards de paires de base ; le riz 400 millions ; le blé 16 milliards), a de très fortes probabilités de se retrouver dans tout le règne végétal. Or, si la découverte de la séquence d'un gêne n'est pas brevetable, la découverte de la séquence d'un gêne et de sa fonction l'est. Concrètement, cela veut dire que celui qui brevète un gène et sa fonction découverte chez arabidopsis ou le riz détiendra de fait un brevet couvrant toutes les plantes...D'où l'importance de ne pas se laisser distancer dans la recherche en génomique. C'est pourquoi GénoPlante est vital pour le pays : il faut découvrir notre part de gènes et de fonctions pour exister demain sur la scène mondiale. Et cela dépasse les capacités d'une entreprise comme Limagrain. Voilà pourquoi nous avons créé Biogemma qui regroupe Euralis, RAGT, Sofiprotéol et Unigrains.

Un autre enjeu majeur est celui de la protection des variétés végétales. En Europe, la protection des variétés se fait exclusivement par COV (certificat de protection des obtentions végétales) : c'est pour nous une forme de protection essentielle. Les Etats Unis autorisent la protection des variétés aussi bien par COV (PVP) que par brevet. Or, à la différence du COV, le brevet ne comporte pas « l'exception du sélectionneur », qui permet d'utiliser une variété protégée et commercialisée comme source génétique pour créer de nouvelles variétés : en conséquence, le brevet confisque la biodiversité alors que le COV la favorise.

Les Américains jouent sur les deux tableaux. Les négociations de l'OMC lancées à Doha comportent un volet « propriété intellectuelle » et les accords « ADPIC » qui prévoient la protection par COV vont être revus. Les USA tentent de généraliser le brevet comme seule forme de protection : le danger existe de voir l'Europe céder contre une autre concession. Soyons vigilants, n'échangeons pas une reconnaissance des IGP (Indication Géographique de Provenance) contre la généralisation du brevet ! La commission européenne pourrait être tentée de le faire, bien que cela paraisse deux choses sans rapport. Dans les négociations internationales, on échange souvent des choses très disparates !

La semence est aussi devenue un énorme enjeu : qui tient la semence tient l'agriculture. Le risque est grand de constitution d'oligopoles.

Dans le paysage mondial, les semenciers indépendants sont peu puissants au regard des Dupont, Monsanto, Syngenta, Dow. Partant de ce constat, nous avons été à l'initiative de partenariats pour continuer à exister face aux géants de l'agro-industrie. Biogemma d'abord, GénoPlante ensuite qui regroupe à parité la recherche publique et privée pour relever le défi de la génomique : Génoplante est dans les cinq premiers programmes mondiaux, derrière Dupont, Monsanto, Bayer et Syngenta. Mais attention, la Chine fait d'énormes efforts en génomique et pourrait nous dépasser ; leur retard séculaire est en passe d'être comblé, comme celui de l'Inde.

La situation mondiale des OGM est très contrastée. En 2001, il y avait 52 ,6 millions d'hectares ; en 2002 les surfaces ont encore progressé. La Chine est partagée entre son choix stratégique d'utiliser les OGM et son refus de se laisser envahir par ceux des Américains. Elle se retranche aujourd'hui derrière des normes provisoires mais ouvrira ses frontières quand elle se sentira assez solide. En Inde, la situation est variable selon les états ; ils se soucient surtout de contrôler les maladies des plantes. En Europe, la situation est bloquée.

Comment sortir de ce blocage ? Par un choix politique clair qui relève de la représentation nationale et européenne.

La question technique peut être raisonnablement tranchée. Pour nous, la transgénèse n'est qu'un outil et il faut raisonner au cas par cas, et non traiter globalement les choses. Que dirait-on de quelqu'un qui rejetterait « les transports » au motif qu'il ne veut pas prendre l'avion ?

Le procès d'une réglementation qui serait laxiste ne résiste pas à l'analyse ; la réglementation américaine est amplement suffisante : celle de l'Europe est devenue trop lourde, entraînant des difficultés majeures pour la recherche. Les risques sont correctement évalués. L'Union européenne a publié les résultats de 4 ans d'études : ils sont concluants : les OGM n'ajoutent pas de risques pour la santé humaine.

M. Rebelle, directeur de Greenpeace France, reconnaît d'ailleurs qu'il « n'a pas peur des OGM », mais que ceux-ci représentent un choix de société auquel il est hostile. Ce n'est pas à lui de décider le choix de société des Français ! C'est aux élus. Il est anormal que la situation soit à ce point bloquée.

Certains prétendent agir pour donner le choix aux consommateurs ; en même temps, ils veulent imposer des contraintes qui empêchent que coexistent les filières. Or la complémentarité entre agriculture de terroir et agriculture générique est un atout. L'agriculture biologique correspond aussi à une demande, mais quand le « bio » exige la totale absence d'OGM, il rend impossible la coexistence avec toute culture transgénique. Ceux qui préconisent aujourd'hui des seuils de présence fortuite d'OGM excessivement bas s'inscrivent dans une démarche d'exclusion : exclusion des OGM par les opposants, exclusion des filières « non OGM » par ceux qui veulent passer en force. Pour nous qui sommes attachés à cette coexistence, cela n'est pas acceptable. Dès lors qu'a été prouvée l'innocuité des OGM autorisés à l'expérimentation ou à la culture au champ, fixer des seuils réalistes s'impose. Nous sommes très inquiets suite au vote du parlement européen : le Sénat s'est fort justement prononcé pour une approche scientifiquement fondée. Or le travail de compréhension n'a pas été fait, on est dans l'émotionnel et pas dans le rationnel ! Si l'on continue ainsi, ce n'est pas les Etats Unis que ça gênera !

M. le président - Ça les arrange même !

M. Jean-Claude Guillon - Les japonais ont retenu un seuil de présence fortuite de 5 % chez le maïs et le soja. C'est raisonnable. Le seuil de neutralité est à 3,5 % ( étude DGAl de 1998 ). Descendre à 1 %, voire 0,5 ou 0,01, cela n'a plus de sens. Dans ma commune, un unique agriculteur bio prétend imposer son point de vue à ses 40 voisins. En 2001, Biogemma a été victime de destruction de parcelles de recherche. En 2002, Biogemma attend toujours les autorisations officielles pour semer. Il suffit d'une petite minorité qui quadrille le territoire, et c'est fini. Du moins, pour les gens comme nous car Dupont, Monsanto et autres se font du muscle ailleurs. Nous dépensons 77 millions d'euros en recherche. Dupont dix fois plus. De plus, la réglementation ne nous permet pas de pratiquer les expérimentations indispensables à la génomique fonctionnelle. Monsanto expérimente sans problème aux Etats-Unis tandis que le CIRAD, institut public, doit aller en Colombie ! On finit par se demander quels intérêts défendent les opposants aux OGM. Greenpeace ne fait rien contre les essais de Monsanto ou de Dupont aux Etats Unis ! Les radicaux qui s'opposent aux OGM sont fermés au dialogue : ils n'en veulent pas, c'est tout. Chaque fois que nous avons tenté de dialoguer avec eux , ils ont utilisé contre nous les données que nous leur avons transmises. Les arguments techniques leur servent d'alibis. Cela nous a refroidis !

Mais cela ne nous a pas découragé : nous restons bien sur ouverts au dialogue, tant avec les associations de consommateurs qu'avec les associations de protection de l'environnement : c'est d'ailleurs le sens de la brochure « donnons à l'agriculture les moyens d'innover » que vient d'adresser Biogemma à l'ensemble des parties au débat.

M. le président - Je vous remercie.

28. Audition de Mme Marion Guillou-Charpin, Directrice générale de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA)

M. le président - Merci, Madame Guillou-Charpin, d'avoir accepté notre invitation. Notre mission d'information, créée à la demande de la Commission des affaires économiques, doit permettre d'aller au-devant de l'opinion publique française, qui, à l'égard des organismes génétiquement modifiés (OGM), manifeste une certaine « exception culturelle ». Grâce aux auditions précédentes, nous sommes informés des aspects techniques des OGM. Aussi pouvons-nous vous interroger directement : quelles sont les orientations de l'INRA en matière d'OGM ? Quelle est votre perception de l'évolution des normes, en particulier du récent vote du Parlement européen en matière d'étiquetage ?

Mme Marion Guillou-Charpin - L'INRA travaille sur trois champs, appelés à s'équilibrer progressivement : l'agriculture durable ; l'alimentation et ses effets sur le bien-être ; l'environnement et les territoires. Actuellement, les moyens de l'Institut sont ainsi répartis : un quart à l'environnement ; un quart à la biologie ; un quart à l'alimentation, domaine qui s'est considérablement élargi puisqu'il comprend notamment la transformation alimentaire, la nutrition, la sécurité alimentaire, et que l'INRA va augmenter de 40% le nombre de scientifiques qui s'y consacrent entre 2001 et 2004 ; enfin, un quart de nos moyens vont aux modes de production agricole et aux sciences humaines et sociales.

L'INRA assume trois missions : produire et diffuser des connaissances - c'est notre activité de recherche proprement dite ; venir en appui de l'expertise publique - nationale, communautaire et internationale : 40 seniors de l'Institut sont mobilisés par exemple dans les comités de l'AFSSA ; enfin, contribuer à l'innovation - en nous associant à des entreprises privées ou en les suppléant sur les domaines économiquement non rentables, par exemple pour la mise au point d'un « blé durable ».

En matière de génomique - c'est-à-dire l'étude des gènes, de leurs fonctions et de leurs expressions dans un environnement -, l'Institut fait un effort de pédagogie, car les notions relatives au génome sont très confuses dans l'opinion. Nous avons réalisé un document sur la génomique végétale, destiné aux enseignants du secondaire, et un fascicule destiné au grand public (Mme Guillou-Charpin transmet ces documents à la Mission d'information). Nous avons aussi, par exemple, mobilisé 80 chercheurs lors du dernier Salon de l'agriculture, pour expliquer le génome au grand public, avec des exemples très concrets - l'expérience permettant de tirer l'ADN de l'oignon, en particulier, a rencontré un grand succès. Cela nous a valu le Prix de la communication sur ce Salon. Enfin, nous avons créé un site internet très complet. Cette fonction pédagogique est essentielle, car si la société attend de la science qu'elle fournisse des résultats, elle lui demande désormais de ne plus travailler dans le secret.

L'importance des coûts de la recherche en génomique rend indispensable les partenariats internationaux. Nous avons passé un accord-cadre avec notre homologue américain, l'ARS, pour un échange gratuit des séquences du bovin. D'autres accords existent sur le plan européen - par exemple avec le programme allemand GABI. Depuis 1998 enfin, nous avons conclu des accords avec d'importants partenaires privés des filières végétales, de la filière laitière, de la filière bovine et de l'aquaculture.

L'INRA produit des connaissances et participe à l'expertise publique en matière de génomique. Nous développons nos propres études, tout comme nous nous associons à des études internationales. L'accompagnement de l'expertise publique, à laquelle les membres de l'INRA participent intuitu personnae, est incontournable pour évaluer les projets industriels eux-mêmes.

En matière d'innovation, l'INRA a décidé de ne plus chercher à mettre au point de nouveaux OGM à vocation de commercialisation, sauf lorsque l'intérêt public est manifeste et que la rentabilité est loin d'être assurée : c'est le cas des OGM du peuplier -qui permettront de polluer moins dans la fabrication du papier, mais dont les essais sont pluriannuels et coûteux, dissuasifs pour le secteur privé-, et des OGM renforçant la résistance de la pomme de terre à certaines maladies. Nous avons par exemple arrêté nos recherches sur des OGM permettant au colza de résister aux herbicides. Nous avons estimé que la recherche d'OGM directement commercialisables ne relève pas de la mission publique de l'Etat. Cette décision n'allait pas de soi parce qu'elle nous fait prendre du retard sur les méthodes de transfert et les marqueurs principaux. Nous en avons longuement débattu au sein de l'Institut. Le moins que l'on puisse dire est qu'il n'y a pas dans notre pays une demande sociale forte pour ces recherches encore coûteuses, et que les destructions d'expériences en plein champ ont pu décourager certains chercheurs.

M. le président - Comment avez-vous perçu l'avis des quatre sages, consultés en février par le Conseil économique et social ?

Mme Marion Guillou-Charpin - Le débat organisé par le Conseil économique et social a été contradictoire puisque deux des sages étaient contre les expériences en plein champ et deux pour. Les quatre sages ont délivré un message simple : il ne faut pas interdire les essais en plein champ, faute de quoi l'Europe deviendrait sourde et aveugle en matière d'OGM. Passe encore que nous ne produisions pas de plantes génétiquement modifiées, mais nous ne saurions nous passer de toute expertise en la matière.

L'INRA plaide pour l'autorisation d'essais de plein champ, au nom de la sauvegarde de notre capacité d'expertise. Les essais en plein champs mis en place par l'INRA sont très peu nombreux - huit l'an passé - et ils sont indispensables pour connaître le comportement et la résistance des OGM dans les conditions réelles de l'agriculture.

M. le président - La Commission du génie biomoléculaire n'a pourtant pas autorisé de nouvel essai ?

Mme Marion Guillou-Charpin - Si, elle a donné son avis favorable à une expérience tendant à vérifier la stabilité au champ d'un OGM qui améliore la digestibilité du maïs. Pour cette expérience nous attendons désormais l'autorisation du gouvernement. La Commission du génie biomoléculaire nous a donné aussi un avis favorable pour les essais pluriannuels déjà engagés.

La France occupe le second rang mondial pour les semences et nous ne pouvons abandonner toute capacité d'expertise en génomique. Si nous devions renoncer en France à produire des plantes génétiquement modifiées, la sélection assistée par marqueurs, technique plus rapide que la sélection classique, nous permettrait au moins à la France de rester dans la course.

M. le président - Quelles sont les orientations de l'INRA pour les années à venir ?

Mme Marion Guillou-Charpin - Nous allons concentrer nos efforts sur le « post-génomique », c'est-à-dire, après le séquençage, sur l'identification des transcrits et des protéines et sur l'analyse des fonctions mêmes des gènes. Le séquençage revêt une dimension industrielle dépassant largement nos moyens et il fait l'objet d'une coopération internationale : le séquençage du riz - choisi comme espèce modèle -, est réalisé par trois consortiums. Au sein du consortium public, où l'information circule gratuitement, la France est chargée du seul chromosome 12.

L'identification des transcrits et des protéines nous demande des moyens nouveaux en informatique, plus précisément en bio-informatique. Nous avons mis en place, à Évry et à Toulouse, des équipes mixtes de bio-analystes et de bio-informaticiens qui développent des programmes leur permettant de « progresser en continu » dans la recherche sur chaque gène, les connaissances les plus récentes étant mises sans délai à leur disposition. La présence à l'INRA de biologistes, de physiologistes, d'agronomes et de spécialistes des maladies des plantes, nous rend compétitifs pour l'analyse des fonctions des gènes et de leur comportement dans leur environnement. La complémentarité de nos équipes est un atout évident. S'y ajoute le fait que nous avons déjà des connaissances sur les trois espèces-modèles choisies - l'arabidopsis, le riz et la luzerne -, toutes trois cultivées en Europe.

Nous veillons aussi au maintien de la diversité biologique, menacée par les perspectives de sélection des espèces les plus performantes. Il existe, par exemple, des milliers de blés ou de vignes conservés à l'INRA et il est très important de répertorier, de caractériser la plus grande partie possible - l'INRA y investit 15 millions de francs et projette de mettre en place un centre de ressources biologiques pour le végétal en 2003.

M. le président - La France est-elle bien placée pour la constitution de « génothèques »?

Mme Marion Guillou-Charpin - Oui, notre pays est au coeur des réseaux d'échange de patrimoine génétique. Cependant, ces échanges sont actuellement rendus plus difficiles par l'application de la Convention sur la biodiversité. Celle-ci a fait du patrimoine génétique un bien national et non plus un patrimoine universel : l'intention est parfaitement légitime puisqu'il s'agit d'empêcher le pillage auquel on assistait antérieurement, mais certains pays sont désormais réticents pour échanger des matériels végétaux par exemple.

M. le président - Nous allons bientôt devoir transcrire la directive 98-44 sur la brevetabilité. Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous communiquer une note récapitulant l'état des normes internationales sur cette notion et sur le certificat d'obtention végétale. Que pensez-vous des recommandations des quatre sages sur la sécurité des essais de plein champ ?

Mme Marion Guillou-Charpin - Les quatre sages ne recommandent pas d'interdire ces essais, mais ils suggèrent de leur imposer des conditions qui rendraient très difficile leur mise en place. Deux conditions en particulier : l'autorisation préalable du maire, d'abord - comment un maire pourra-t-il autoriser des essais quand les OGM sont diabolisés dans l'opinion ? La condition d'assurance, ensuite : les assureurs refusant d'assurer un risque en l'absence d'une définition précise des responsabilités; même si les probabilités d'accident sont infimes, l'INRA ne saurait indemniser sans limite des victimes et il faudrait que la loi définisse les champs de la responsabilité des opérateurs ainsi qu'un plafond de responsabilité.

Je voudrais aussi saisir l'occasion de cette audition pour vous informer de certaines de nos préoccupations.

Sur le plan budgétaire, d'abord : nous disposons de moyens de très loin inférieurs à ceux de nos concurrents américains. Pour vous donner un ordre d'idée : en matière de sciences de la vie et de la santé, le NIH dispose d'un budget de 27,6 milliards de dollars - contre 1,2 milliards cumulés pour l'INRA, l'Institut Pasteur et l'INSERM. Sur le seul volet de la biosécurité, l'ARS dispose de 300 millions de dollars, dont 125 millions vont être mis en oeuvre dans ses propres laboratoires.

M. Jean-Marc Pastor - Quel est le budget à l'échelle européenne ?

Mme Marion Guillou-Charpin - Nous pourrons vous le préciser à partir des chiffres de l'Observatoire scientifique et technique. La tendance française, depuis le début des années 1990, est au déclin des dépenses internes de recherche-développement, diminution plus rapide pour les dépenses publiques que pour les dépenses privées.

Autre préoccupation, la coopération européenne : le VIème programme-cadre de recherche-développement doit réintégrer la génomique végétale et animale, exclue lors du Vème programme-cadre actuellement en vigueur, faute de quoi l'Europe s'interdira d'être efficace sur ce secteur car les moyens de recherche seront dispersés.

M. le président - Nous vous serions reconnaissants de nous communiquer une note répondant à ces deux questions : quelles sont les incidences des OGM sur la compétitivité de l'agriculture française ? Comment le Parlement peut-il contribuer au débat public, en expliquant les enjeux des OGM à l'opinion publique ?

Mme Marion Guillou-Charpin - Je peux d'ores et déjà souligner qu'il est indispensable d'accompagner socialement les innovations scientifiques. Certains veulent présenter les OGM en stricte continuité de la sélection végétale ; or, si la démarche est comparable, il est évident que les techniques nouvelles accélèrent tellement le temps de cette sélection végétale, qu'elles la rendent substantiellement différente. Cela explique vraisemblablement la méfiance de la société vis à vis des OGM. C'est ce qui ressort notamment d'une étude qu'une équipe de sociologues a conduite au niveau international.

Pour le programme Génoplante, que nous conduisons en partenariats avec des entreprises privées - des biotechnologues, des semenciers -, nous avons créé une société de valorisation, dans laquelle les droits de vote sont détenus à majorité par le secteur public, lequel garde la maîtrise de l'utilisation du brevet, propriété de cette société commune. Enfin, il est essentiel de mettre en place des licences privilégiées pour les agricultures pauvres, pour que les pays en développement accèdent aux progrès de la génomique : si les OGM deviennent indispensables, on ne peut justifier d'en interdire l'accès aux pays pauvres.

M. le président - Cette attitude coïncide avec celle de l'OMC avec les médicaments, et elle est conforme aux recommandations faites par la FAO, que j'ai étudiées en 1998. On peut d'ailleurs y trouver une réponse à ceux qui prétendent que les techniques nouvelles n'ont de cesse d'étouffer les pays pauvres... La France est-elle une locomotive pour les licences avantageuses pour les pays en développement ?

Mme Marion Guillou-Charpin - Ces licences étant contractuelles, je n'en ai pas le bilan pour l'ensemble du secteur. L'INRA en a adopté le principe pour Génoplante, ainsi que pour le programme AGENAE qui concerne la génomique animale. Pour ce programme les résultats de la recherche générique seront publiés, donc en libre accès : la brevetabilité doit gêner le moins possible les échanges scientifiques.

Dernier message : que l'Etat encourage les fondations de recherche ! Elles démontrent leur utilité outre-atlantique. Ne pourrait-on créer un mécanisme fiscal qui inciterait les entreprises à se regrouper pour travailler avec les organismes publics de recherche? On irait plus loin que le crédit d'impôt recherche, qui reste un mécanisme individuel.

Les entreprises privées sont d'ores et déjà très impliquées dans la recherche en génomique - des semenciers aident au séquençage du blé, par exemple, et des groupes agroalimentaires financent des recherches sur la nutrition, auxquelles participent des experts de l'INRA. La délimitation entre le public et le privé n'est de ce fait pas toujours claire et cette difficulté serait levée par la création de fondations mixtes dont l'objet serait précisément le financement de recherches collectives.

M. le président - Merci pour ces messages, nous en prenons bonne note.

M. Jean-Marc Pastor - La décision prise par l'INRA d'arrêter la recherche sur la fabrication d'OGM commercialisables est-elle définitive ?

Mme Marion Guillou-Charpin - Oui pour les années qui viennent, car ce choix nous permet de nous concentrer sur le « post-génomique », qui est un secteur essentiel de la recherche : le programme Génoplante nous a déjà permis de déposer douze brevets.

M. Jean-Marc Pastor - Comment les chercheurs peuvent-ils communiquer leurs résultats à l'opinion et contrer les arguments faciles et les alarmes des opposants aux OGM ?

Mme Marion Guillou-Charpin - La communication est difficile et nous n'avons aucune leçon à donner... Outre notre action auprès des enseignants -souvent opposés aux OGM- nous organisons des rencontres avec le grand public - comme au Salon de l'agriculture -nous avons ouvert un site internet très complet et nous rencontrons aussi très souvent les opposants aux OGM. Chaque fois, nous nous attachons à distinguer la génomique, des OGM : il faut continuer les recherches en génomique, parce que leurs résultats pourront être utilisés pour les techniques classiques et parce que ces recherches n'impliquent pas la production d'OGM à grande échelle. Ce discours est reçu aujourd'hui par nombre d'opposants aux OGM, y compris par M. José Bové, qui souhaite encourager la recherche publique.

Je crois que les positions évoluent progressivement. Après avoir utilisé le spectre de l'insécurité alimentaire pour faire peur à l'opinion, les opposants se rallient désormais, pour la plupart, à l'opinion que les OGM autorisés ne présentent pas de risques scientifiques. Les organisations de consommateurs n'ont plus peur des OGM autorisés : 60% du soja américain est génétiquement modifié, à travers le monde plus de 40 millions d'hectares sont consacrés à des cultures de plantes génétiquement modifiées.

Mais le débat est plus large et les opposants contestent aujourd'hui un modèle de développement inégalitaire, où les pays pauvres verraient leurs agricultures ruinées par celles des pays riches, sans pouvoir accéder aux techniques nouvelles et onéreuses.

M. le président - Effectivement, le débat porte désormais sur le modèle de développement, et touche à des questions politiques autant que techniques.

Nous retenons le principe d'une visite à vos équipes d'Évry. Pourriez-vous aussi nous adresser une note sur l'évolution de la brevetabilité des deux côtés de l'Atlantique, avec des recommandations en vue du travail législatif ?

Mme Marion Guillou-Charpin - Nous élaborons actuellement un document sur « Brevets et invention biotechnologique », qui sera finalisé en octobre ; si ce délai vous convient, nous pourrons alors en discuter plus avant et répondre à vos questions.

M. le président - D'accord. Je dois interrompre ce débat passionnant, auquel nous vous remercions d'avoir participé, Madame. N'hésitez pas à nous faire parvenir de nouveaux messages...

29. Audition de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies

M. Jean Bizet, président - Je vous remercie, madame la ministre, d'avoir accepté de rencontrer la mission d'information sur les organismes génétiquement modifiés, les OGM.

Cette mission a été créée à l'instigation du président de la commission des affaires économiques et du Plan, M. Gérard Larcher, afin non seulement de faire le point de cette question sur le plan scientifique, mais également de l'aborder sous l'angle sociétal, dimension qui en est d'ailleurs tout à fait indissociable.

Au-delà du rapport que nous établirons, il conviendra que nous allions à la rencontre de nos concitoyens et que nous engagions le dialogue ; en effet, ou bien ils sont fermés à ce sujet, ou bien ils l'abordent comme un débat plus ou moins passionnel.

Nous parvenons pratiquement au terme de nos auditions. Nous aimerions aujourd'hui que vous nous exposiez l'approche qui est la vôtre.

Il ressort des auditions de Mme la ministre de l'écologie et du développement durable et de M. le ministre de l'agriculture que votre ministère aurait été retenu pour préparer la transpositions des directives 2001/18/CE et 98/44/CE. Nous souhaiterions savoir ce qu'il en est.

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies - Je veux d'abord vous remercier du travail considérable que vous accomplissez et en souligner l'importance.

Comme vous l'avez relevé, la question des organismes génétiquement modifiés fait encore l'objet d'une très forte contestation et d'une réelle incompréhension, et les sondages récents, comme ceux d'il y a quelques années, montrent à la fois le besoin d'information et le manque de confiance du public.

Actuellement, compte tenu de l'évolution de la législation communautaire, nous envisageons de lever le moratoire. Une réflexion interministérielle est donc en cours pour étudier comment nous pouvons reprendre le débat et restaurer la confiance. Car les signes encourageants sont nombreux. Maintenant que nous disposons de ces nouvelles mesures réglementaires européennes et des informations complémentaires que la recherche a apportées, maintenant que la transparence est plus grande, que nous lisons mieux les différents enjeux - et vous y contribuez grandement -, nous voudrions mener une action claire qui nous permettra d'aboutir à la transposition des directives et, le cas échéant, à la levée du moratoire et à l'introduction, pas à pas, de nouveaux organismes.

Nous avons donc pris la décision de faire porter la voix commune du Gouvernement par le ministère délégué à la recherche.

La directive 2001/18 et les réglementations complémentaires qui sont en cours d'élaboration représentent des avancées tout à fait considérables qui doivent nous permettre de reprendre le débat dans la transparence.

Le choix du ministère délégué à la recherche et aux nouvelles technologies pour préparer la transposition de ces deux directives, en concertation avec les autres ministères impliqués, permet de poursuivre le travail législatif que les services de mon ministère avaient engagé à propos de la directive 98/81/CE modifiant la directive 90/219/CEE relative à l'utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés.

Mon département ministériel est probablement le mieux placé pour donner une vision fiable de ce que peuvent apporter l'introduction des OGM et les technologies qui y sont associées, pour mettre en évidence les enjeux liés aux biotechnologies végétales et pour accentuer encore l'appui qu'il apporte depuis plusieurs années à la synergie des recherches dans ce domaine.

Nous constatons tout de même que, si les biotechnologies bénéficiaient d'un fort soutien dans le cinquième programme-cadre de recherche et développement de l'Union européenne, le cinquième PCRD, elles sont absentes du sixième PCRD. Or notre souci est que la recherche fasse l'objet d'un programme d'action important, au niveau tant national qu'européen, afin qu'elle puisse occuper toute sa place dans le dialogue avec le public et disposer de cette capacité d'expertise indépendante qui permettra de continuer d'avancer, pas à pas, dans la transparence et sans que les responsabilités soient esquivées. L'échelon européen est indispensable, et, puisque vous vous intéressez particulièrement aux enjeux économiques et à la question de l'indépendance alimentaire, vous connaissez toute l'importance de ce que la recherche, avec sa vision propre, peut apporter.

J'en viens au calendrier prévu pour la transposition de la directive 98/44 et à la méthodologie que nous avons retenue. Une réunion interministérielle s'étant tenue hier soir, je peux vous donner des informations qui sont assez consensuelles.

Le Sénat vient d'adopter, après un examen très approfondi, le projet de loi relatif à la bioéthique, qui, en ses articles 12 bis et 12 ter, reprend les articles de la directive qui soulèvent des difficultés et dont l'interprétation fait l'objet de divergences entre les différents Etats membres : les articles 5 et 6, qui sont relatifs à la brevetabilité du vivant. Le Gouvernement a ainsi pu préciser devant vous sa position sur la question.

Le projet de loi relatif à la bioéthique continuera son parcours législatif. L'Assemblée nationale devrait le discuter le 1er avril. Nous connaîtrons alors la formulation de la question de la brevetabilité du vivant qui aura été retenue ; si toutefois elle devait être modifiée par l'Assemblée nationale, vous seriez amenés à la réexaminer.

Une fois que la loi de bioéthique sera entrée en vigueur et aura reçu une interprétation française, interviendra alors la transposition de la directive 98/44. Nous avons décidé de déposer un projet de loi de transposition très proche de celui qui vous avait été soumis par le précédent gouvernement, c'est-à-dire un texte qui laisse de côté ces articles 5 et 6.

M. le président - Irez-vous dans le détail en ce qui concerne les certificats d'obtention végétale, les COV, ou bien vous en tiendrez-vous à la notion de brevet ?

Mme la ministre déléguée - Ce sera une transposition à plat !

La transposition de la directive 2001/18 sera elle aussi préparée par mon ministère, en totale interaction avec le ministère de l'agriculture et le ministère de l'écologie et du développement durable. Elle suppose que soient bien analysés les éléments que contient la directive concernant le suivi, l'analyse des risques, la meilleure information du public, l'ouverture de débats publics lors de la mise en place des autorisations. Le Gouvernement a très clairement fait savoir qu'il attendrait l'entrée en vigueur effective des règlements communautaires - concernant, notamment, la traçabilité et l'étiquetage - pour envisager la levée du moratoire.

M. le président - Pouvez-vous nous indiquer des échéances ?

Mme la ministre déléguée - La transposition interviendra à la fin de cette année ou au début de l'année prochaine. Cependant, il faut savoir qu'un certain délai s'écoulera entre l'adoption définitive des règlements et leur traduction dans les faits, car nous souhaitons nous donner un peu de temps pour ne pas commettre d'erreur. Ce sera vrai, en particulier, de l'étiquetage, qui permettra de préserver le choix du consommateur : sa mise en place sera progressive.

M. le président - Je souhaite aborder la question des seuils.

Vous souscrirez bien évidemment au seuil que déterminera le Parlement européen lors de la deuxième lecture, prévue, je crois, au mois de juin.

Jean-Marc Pastor et moi-même étions en mission aux États-Unis voilà environ quinze jours. Si, sur cette notion de seuil, nos interlocuteurs étaient très fermés à Washington, ceux que nous avons rencontrés à Chicago étaient au contraire assez ouverts, ne serait-ce que parce qu'ils savent très bien qu'ils ne peuvent guère faire autrement. Leur demande à l'égard de l'Union européenne est claire : ils attendent d'elle qu'elle détermine un seuil qui, j'emploie leur terme, soit « acceptable », c'est-à-dire techniquement concevable et abordable. Le seuil proposé par l'Union européenne pour le soja, qui est de 0,9 %, ne correspond pas tout à fait au leur, qui est fixé à 1 % ; cependant, les deux valeurs sont très proches. Pour le maïs, en revanche, le seuil qu'ils ont retenu est de l'ordre de 3 % ou 4 %, car il leur est difficile de descendre en deçà, notamment en raison des risques de contamination.

Je tenais à vous le faire savoir, parce que ce sera certainement un point de friction.

Mme la ministre déléguée - Le Gouvernement a adopté sur cette question des seuils une position consensuelle de compromis. Le ministère de la recherche préfère l %, mais 0,9 % représente un compromis acceptable. Cela étant, il est vrai que l'analyse de bench marking, en quelque sorte, des pratiques des autres pays a permis de constater que les Américains visaient effectivement 3 % et que les Japonais allaient même jusqu'à 3,5 %.

Cependant, nous sommes bien conscients que le point d'équilibre entre la préservation de la liberté de choix du consommateur, d'une part, et ce qu'il est techniquement et économiquement possible de faire sans mettre en danger la capacité de nos industries, d'autre part, est difficile à trouver. Je ne suis pas sûre que nous soyons les plus extrémistes.

M. le président - Loin de là ! C'est pourquoi il n'est pas facile de parvenir à un consensus à Quinze !

La directive 2001/18 contient un autre aspect auquel, en tant que sénateurs, nous sommes peut-être plus sensibles que d'autres parlementaires, je veux parler du dialogue avec les maires des localités où se feront les cultures en plein champ si le moratoire est levé.

Vous allez sans doute, madame la ministre, rencontrer l'Association des maires de France, et c'est extrêmement important. En effet, les maires ne souhaitent pas devoir délivrer les autorisations : ils savent très bien que cela ne relève pas de leur compétence, et, compte tenu de la judiciarisation de la société, ils veulent être totalement déchargés de cette question.

La première des choses auxquelles il faut veiller est leur information très en amont, et la transposition de la directive devra comprendre sur ce sujet un chapitre spécifique à l'adresse des élus locaux, car c'est par eux que passera l'acceptation sociétale de cette question dans les campagnes.

Mme la ministre déléguée - Vous abordez là un des sujets sur lesquels je souhaite, précisément, recueillir votre avis : quelle est la meilleure façon, selon les différents publics, non seulement de présenter un message, mais surtout de discuter en amont, de façon que les enjeux puissent être compris et acceptés et que les responsabilités de chacun soient clairement établies ? Ce serait certainement une bonne initiative que de rencontrer des représentants de l'Association des maires de France et de pouvoir travailler avec eux.

M. Hilaire Flandre - Jusqu'à présent, les maires étaient sollicités par certaines associations pour s'opposer à des essais d'organismes génétiquement modifiés sur leur territoire. Aujourd'hui, ils ne souhaiteraient pas être, à l'inverse, obligés de donner leur autorisation a priori.

M. le président - Il faut reconnaître que, jusqu'à maintenant, tout est parti dans tous les sens ! On rencontre les mêmes difficultés dans d'autres domaines, et il faudrait juguler tout cela, sans quoi cela risque de faire très « désordre ».

Peut-être savez-vous que, par exemple, certains maires refusent tout traitement au gaucho sur le territoire de leur commune. C'est invraisemblable ! Il faudra donc bien cadrer tous ces aspects dans la transposition de la directive 2001/18, afin d'éviter les dérives.

Mme la ministre déléguée - Nous devons commencer par mener un important travail pédagogique sur la base de la directive et de ses réglementations associées : le principe était tout de même d'éclairer le débat en apportant des éléments relatifs au suivi, à l'analyse des risques, à la surveillance des effets sur l'environnement ! A nous, maintenant, à partir des outils dont nous disposons, de restaurer la confiance, de rétablir un dialogue et de progresser sur la question.

Avez-vous le sentiment, messieurs les sénateurs, que les difficultés que nous rencontrons avec les collectivités locales et les maires sont essentiellement dues à un manque d'explications, à un défaut de pédagogie ?

M. le président - Certaines associations ou certains syndicats agricoles ont mené un lobbying assez fort auprès des maires qui, devant la judiciarisation de la société, ont voulu « se border », en quelque sorte, pour se prémunir de toute dérive. La source des difficultés me semble plutôt résider là.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Les maires ont d'abord subi la pression de diverses associations qui voulaient les voir prendre des délibérations pour refuser les OGM. Comment ne pourraient-ils pas être inquiets si, maintenant, on leur demande de délibérer en sens inverse ?

Mais les gens sont rassurés quand ils connaissent. Or, aujourd'hui, personne ne connaît les OGM. En tout cas, peu nombreux sont ceux qui, dans la société, savent ce que c'est.

Je ne connaissais pas spécialement les OGM ; or, depuis un an, nous sommes les uns et les autres amenés à nous en préoccuper, ne serait-ce que parce que nous sommes interpellés sur le terrain. Je constate qu'aujourd'hui seuls s'expriment dans le grand public, avec beaucoup de véhémence, avec souvent beaucoup de talent, des opposants. Et vous savez très bien qu'il suffit de brandir le drapeau de la peur pour tout de suite attirer autour de soi des gens qui confirment.

Or, face à eux, personne n'est en mesure de s'exprimer positivement, sur un plan technique, devant le grand public. C'est un problème ! Je vous demande donc, madame la ministre, comment vous concevez cette vaste opération d'information du grand public. Avons-nous, parmi nos techniciens, nos ingénieurs, nos chercheurs, nos scientifiques, une catégorie de personnes qui seraient capables d'aller devant le grand public, de participer à des émissions de télévision, de donner des conférences, d'aller dans la nature... ? Comment faire en sorte que, dans chaque région, soient identifiées trois ou quatre personnes, à l'INRA ou dans une autre institution, à qui nous pourrions faire appel chaque fois que nous en ressentons le besoin, de manière sinon à apporter la contradiction - nous ne sommes pas obligés de tomber dans un débat stérile -, du moins à pouvoir recourir à des personnes qui, dans certaines situations, peuvent tenir un autre discours ?

Les élus que nous sommes sont très rapidement discrédités en la matière, parce que nous n'avons pas la science ; et même si nous sommes convaincus que les OGM peuvent apporter un plus à la société, nous sommes très vite limités. Résultat des courses : le grand public reste happé par les opposants. En tant que parlementaires, nous sommes en permanence agressés, comme l'atteste encore un document que j'ai reçu hier et que je peux vous communiquer. Si aucune structure n'est mise en place, à l'échelon de l'Etat, afin que nous puissions être épaulés par des scientifiques crédibles, nous aurons du mal à élaborer un dispositif qui permette de rassurer tout le monde. Que comptez-vous faire ?

Mme la ministre déléguée - C'est là une question tout à fait fondamentale. Des tentatives en ce sens ont lieu depuis près d'une dizaine d'années, avec des formes de débats assez nouvelles, comme les débats citoyens. Cependant, la situation est effectivement telle que nous sommes encore plutôt confrontés au versant négatif, à la mise en valeur des risques et à l'incompréhension générale. Ce travail d'information doit partir très en amont, pour aller très loin en aval.

Même la recherche - vous évoquiez l'INRA tout à l'heure - est soumise à la pression de certains lobbies, comme le sont les maires, et notre organisme public de recherche a avancé très peu de propositions parce qu'il réagit en s'autolimitant.

Il nous faut avant tout poser la première brique de la construction qui permettra au public de comprendre, et notre premier effort doit certainement porter sur l'information de base, sur les sciences de la vie. La transgénèse n'est pas un concept si compliqué ! Mais il faut l'acquérir, car il ne fait pas du tout partie du bagage de base enseigné à l'école, où l'on apprend des choses, mais pas dans ce domaine-là.

Vous avez raison, M. Pastor : les scientifiques, qui sont les créateurs de l'information, sont ceux qui font passer le message. Ils sont ensuite relayés par les médias, mais ceux-ci, c'est vrai, préfèrent insister sur le risque de telles techniques plutôt que de se livrer à un exposé bien organisé de leurs bénéfices et de leurs potentiels. Il reste que nous devons assurément faire un effort pour former nos scientifiques à la communication, car on peut être un brillant scientifique sans être obligatoirement un brillant communicateur. Or, sur de tels sujets, il faudrait que nous puissions faire appel à de brillants communicateurs, j'en suis tout à fait consciente.

M. le président - Il y en eut un, sur ce sujet, qui fut Axel Kahn. Il ne souhaite plus s'exprimer, parce qu'il ressent sans doute une certaine usure, mais il a joué un rôle pionnier en matière de communication.

J'ai lu avec intérêt que le professeur Beaulieu, président des académiciens, ne se sent guère ému par les critiques formulées par les opposants et qu'il a l'intention de continuer à communiquer. Je souhaite qu'il en soit ainsi, sur ce sujet comme sur bien d'autres, car, si l'on n'entend que les opposants, comme le disait Jean-Marc Pastor, on entrera dans une période de crispation passéiste atroce.

Mme la ministre déléguée - C'est effectivement le deuxième élément.

La recherche cognitive pure ne pose pas de problème, car on ne met pas en doute la parole du scientifique, même si parfois on se pose quelques questions sur les applications. Il n'en va pas de même de l'analyse des potentiels de la recherche sur les OGM, de l'analyse de ses bénéfices, de ses risques, qui doivent se faire avec une expertise qui est au coeur même de la synergie entre la recherche publique et la recherche privée. Même si celles-ci ont des missions séparées, il arrive un moment où elles se rejoignent, et c'est tant mieux : sans cela, on n'avancera pas.

Il faut donc que nos scientifiques aient une écriture de réelle qualité. Les auteurs du rapport de l'Académie des sciences récemment publié sont des personnes d'excellence, de réflexion, dont la déontologie est parfaite. Bien sûr, certains ont eu des contacts avec des organismes de recherche privés ; à la limite, cela renforce leur expertise, parce qu'ils connaissent toutes les facettes de la question.

Lorsque l'Académie des sciences a été prise à partie, nous nous sommes sentis concernés et nous avons voulu nous mobiliser et réagir fortement. Il est tout à fait inadmissible que soit posé d'emblée le problème de fond et de forme de la légitimité des académiciens à répondre. Que l'on se pose la question, qu'il y ait à un moment donné une suspicion, pourquoi pas ? Mais le travail est de qualité, la déontologie est parfaite. On peut interpeller les auteurs du rapport, mais sans les agresser de cette façon-là.

L'Académie des sciences a d'ailleurs avancé une proposition intéressante de création d'un site d'information scientifique consacré à ces questions, qui recouvrent des enjeux de société, site qui serait très réactif et sur lequel les chercheurs et la communauté scientifique pourraient apporter des éléments de réponse. Il est bien évidemment important de s'assurer une réponse et une communication de qualité, et ce, au demeurant, quel que soit le thème donné.

J'en ai discuté récemment avec Hervé Gaymard, car cette préoccupation nous est commune, et nous allons mettre en place une petite task force qui essaiera de déterminer quelle est la meilleure stratégie pour mettre l'information à la disposition du grand public ; mais pas seulement du grand public : sont également concernés les publics ciblés amenés à intervenir sur le dossier ; vous avez parlé des maires, mais ils ne sont pas les seuls. Peut-être ferons-nous appel à des professionnels de la communication pour nous aider dans ce travail.

C'est là sans doute l'une des raisons qui ont conduit à choisir le ministère délégué à la recherche pour « piloter » cette action : la recherche, malgré tout, est incontestable. Elle est parfois soumise à la suspicion liée à son interaction avec le privé, les semenciers, les agrochimistes, les transformateurs, mais elle l'est moins que ne pourraient l'être le ministère de l'agriculture, le ministère de l'écologie et du développement durable ou le secrétariat d'État chargé de la consommation, qui ont également des positions délicates.

Nous attendons de ce choix que prévalent la transparence, le dialogue, l'anticipation, et non plus un principe de précaution qui serait un principe attentiste.

Il va d'ailleurs certainement nous falloir réexpliquer ce qu'est le principe de précaution,

M. le président - Cela demandera du temps, parce que nos concitoyens l'ont trouvé très confortable !

Mme la ministre déléguée - Oui, il est confortable. C'est pourtant un beau concept, et la lecture du rapport que lui a consacré Philippe Kourilski permet de comprendre à quel point il est intéressant. Cependant, la façon dont les médias l'ont présenté et dont il est utilisé actuellement nous contraint à un attentisme qui nous empêche de sortir de l'obscurantisme que vous évoquiez, monsieur le président.

C'est l'un des éléments sur lesquels nous devons travailler pour que la décision politique, parce qu'elle aura été alimentée par l'expertise et la réflexion mais qu'elle tiendra compte de l'analyse balancée du risque et du bénéfice, puisse être prise en toute responsabilité.

M. le rapporteur - Parmi les scientifiques de haut niveau que nous avons auditionnés, certains étaient complètement effondrés, vidés.

M. le président - Le professeur Douce, notamment !

Mme la ministre déléguée - Oui, bien sûr, et c'est inadmissible.

M. le rapporteur - Que comptez-vous faire pour les entourer, pour les remotiver, les encourager, leur donner des signes qui leur permettent de savoir qu'ils ne sont pas seuls face aux opposants et à leurs méthodes ignobles ? Car il est évident que des scientifiques qui ont passé une grande partie de leur vie dans une sorte de bulle ne peuvent qu'être déstabilisés lorsqu'ils se trouvent confrontés à la hargne des opposants. Or nous avons besoin d'eux.

Mme la ministre déléguée - Le premier signe que nous leur avons adressé a consisté à leur montrer notre soutien en réagissant très rapidement, par un communiqué, à l'attaque dont a fait l'objet l'Académie des sciences et à la façon dont les choses ont été présentées, qui nous a paru tout à fait inadmissible. La première version de ce communiqué contenait des mots très durs ; cependant, à la réflexion, il m'a semblé préférable, tout en conservant sa force à notre texte, de ne pas employer de mots de mépris, qui n'auraient fait qu'envenimer la situation.

La deuxième façon pour le Gouvernement de les soutenir, me semble-t-il, est de se tracer un chemin clair sur tous ces sujets : information, sécurité sanitaire, sécurité environnementale, biovigilance, suivi..., et de s'y engager avec détermination. Les conditions sont actuellement réunies pour que le moratoire soit levé en toute sérénité. Si nous en sommes parvenus à ce point, c'est précisément parce que la réflexion, le désir d'analyse, ont conduit à reprendre les choses. Nous devons expliquer, nous devons mener une action de pédagogie complémentaire, qui ne s'inscrira pas obligatoirement dans un discours d'opposition avec ce qui s'est fait précédemment.

Nous devons également élaborer et appliquer avec détermination une politique qui permette à la recherche d'être efficace, soutenue, bien construite, et qui inclue la synergie entre la recherche publique et la recherche privée.

Vous m'aviez, par exemple, transmis une question sur Génoplante, qui est en quelque sorte notre « bassin d'expérimentation », et sur la recherche dans ce domaine. Nous avons récemment rencontré - je pense que vous l'avez fait également -, Marion Guillou, de l'INRA, et M. Pagesse, de Limagrain, qui nous ont présenté l'« objectif 2010 » de Génopôle, qui, avec sa stratégie de la suite, est assez intéressant. Nous devons maintenant y travailler avec eux. C'est là un exemple du type d'actions sur lesquelles nous voulons clairement montrer notre détermination. S'y ajoutent les actions incitatives propres à notre ministère que sont les fonds pour la science, qui doivent nous permettre de mieux structurer la recherche.

M. le président - Les biotechnologies sont-elles pour votre ministère un dossier prioritaire ? Allez-vous valider en grande partie, sinon en totalité, le rapport de Mme Lenoir ?

Mme la ministre déléguée - Les biotechnologies doivent être abordées sous deux aspects.

Il y a d'abord l'aspect un peu particulier des biotechnologies végétales, que j'évoquais tout à l'heure. Nous voulons, dans le cadre de projets bien compris, lui donner un nouvel élan, et ce à l'échelon européen, parce que nous devons intégrer la dimension communautaire.

Vous savez que Nicole Fontaine et moi-même avons présenté en décembre dernier un premier plan de soutien à la recherche et à l'innovation, comportant des mesures à la fois fiscales et administratives, destiné relancer les partenariats entre le public et le privé, à accroître ainsi les capacités de recherche du public comme du privé, et à encourager l'esprit d'entreprise. Le but est que les chercheurs se sentent portés par la dynamique de l'innovation et de la création d'entreprise qui, jusqu'à présent, s'adressait à toutes les jeunes entreprises innovantes, sans « paquet » spécial pour les biotechnologies. Or nous sommes conscients de la nécessité de mener une action particulière en direction des biotechnologies, en raison de leur caractère spécifique.

M. le président - Ce sont maintenant 60 % des médicaments qui sont fabriqués à partir de ce concept !

Mme la ministre déléguée - C'est le médicament, mais c'est aussi l'agroalimentaire, l'environnement...

M. Hilaire Flandre - Mais la même réserve ne s'exprime pas pour les médicaments !

M. le président - Il n'y a pas la même réserve, alors qu'il y a davantage de morts au cours des essais en thérapie génique !

Mme la ministre déléguée - Nicole Fontaine et moi-même sommes donc en train d'élaborer un plan spécifique pour les biotechnologies, que nous espérons pouvoir présenter en juin 2003. Bien évidemment, nous nous inspirons fortement du remarquable rapport de Noëlle Lenoir ainsi que du plan d'action européen sur les biotechnologies.

Un important retard subsiste dans ce domaine, bien qu'il constitue dans le sixième programme-cadre de la Communauté, après les technologies de l'information, la deuxième priorité.

M. le président - Sur ce point, nous n'avons pas eu l'impression que le ministère de l'industrie était à notre écoute et que cette problématique le concernait. C'est en effet l'un des rares ministères à ne pas avoir souhaité être auditionné dans le cadre de cette mission d'information.

Par conséquent, madame la ministre, ce que vous venez de dire nous rassure. Eu égard aux interactions indiscutables qui existent, nous serons ravis de constater la mise en application des conclusions du rapport de Mme Lenoir.

J'en profite d'ailleurs pour me faire le porte-parole du docteur Bertrand Mérot, P-DG de la société Meristem Therapeutics, qui est le leader mondial - ce n'est malheureusement pas si fréquent en France - en matière de fabrication de succédanés du sang. Cette société est confrontée à un problème bien précis : faute de disposer, à l'horizon 2005, de deux cents hectares de maïs génétiquement modifié destiné à un programme de recherche et de fabrication d'un vaccin contre la carie dentaire, elle finira par succomber aux charmes des Américains, qui sont prêts à l'accueillir à bras ouverts. Même si Meristem Therapeutics s'est associée à des joint ventures américaines, Bertrand Mérot souhaite, pour le moment, rester en France, la société étant une émanation du groupe Limagrain. Mais l'échéance de 2005 est très proche. Nous avons donc transmis l'information à M. Gaymard et nous réfléchissons à la création d'un groupe de travail pour régler ce problème. L'acceptation sociétale sera assez simple à réaliser puisqu'il s'agit de molecular farming. Pour le reste - je le répète -, le temps passe très vite et il serait vraiment dommage de ne pas répondre à l'attente des responsables de cette société.

Mme la ministre déléguée - Le discours du président de Limagrain, M. Pierre Pagesse, m'a beaucoup émue. J'ai effectivement bien ressenti sa volonté de rester indépendant et de préserver ses propres capacités, alors que les pressions américaines sont très fortes.

Nous devons donc, à l'évidence, mieux coordonner les énergies pour soutenir les acteurs de l'industrie pharmaceutique et faire en sorte que ceux-ci puissent s'exprimer plus facilement dans le domaine de la recherche. En effet, la situation des acteurs de l'industrie pharmaceutique est aussi difficile que celle des semenciers du secteur agroalimentaire. En outre, plusieurs firmes importantes ont choisi d'exporter leurs activités de recherche et développement là ou il est possible pour elles de le faire.

Je puis vous assurer que nous veillerons à préserver les capacités de recherche en fonction de l'excellence des projets, tout en cherchant les moyens d'améliorer leur accessibilité afin de pouvoir, en toute conscience, progresser.

M. le président - Dans le domaine de la protection de la propriété intellectuelle, l'approche européenne, avec le certificat d'obtention végétale, est tout de même beaucoup plus séduisante que l'approche américaine puisqu'elle ne « stérilise » pas l'évolution des projets en matière de recherche.

Le COV est une spécificité qu'il serait intéressant de mettre en valeur. S'agit-il d'un sujet sur lequel vous comptez vous pencher ?

Mme la ministre déléguée - J'ai essayé de me former rapidement sur ce sujet très particulier de la protection de la propriété intellectuelle. Je suis très séduite par l'inventivité des Français, lesquels ont créé le COV au lieu de conserver la tradition anglo-saxonne du brevet.

A cet égard, l'article paru hier dans Les Echos et relatif aux brevets qui menacent l'amélioration des plantes est un plaidoyer idéal en faveur du COV.

La protection de la propriété intellectuelle est une problématique qui dépasse largement le cadre de la France et de l'Europe. Nous souhaitons en effet inciter les pays les moins développés à adopter, comme type de protection, le COV plutôt que le brevet. En Europe, les deux systèmes cohabitent alors que, aux Etats-Unis, il n'existe pratiquement que le brevet. Or, avec la transgénèse, il y a un risque réel que la propriété intellectuelle ne soit plus protégée que par brevet. Nous devons donc soutenir très fortement la spécificité du COV et être attentifs à l'évolution des aspects liés à la transgénèse, afin d'éviter toute dérive dans le domaine des biotechnologies végétales.

Plus généralement, les difficultés posées par la brevetabilité du vivant constituent un sujet de réflexion non seulement en Europe, mais aussi aux Etats-Unis, où des aspirations en faveur des mécanismes de clearing house, de mutualisation et d'accès à plus de facilités en matière d'information se manifestent de plus en plus.

La position du Gouvernement sur la préservation du gène en tant que tel et de l'accès à la connaissance est très ferme. Le Président de la République l'a d'ailleurs répétée dimanche dernier devant le Comité consultatif national d'éthique. Nous pouvons constater un renversement de situation aux Etats-Unis puisque cette position est partagée par de plus en plus de scientifiques et, au-delà de la communauté scientifique, par certains industriels.

M. le président - Comme j'ai eu l'occasion de le constater à deux reprises, en 1998 et en 2002, la notion de brevet a effectivement moins d'importance aujourd'hui aux Etats-Unis.

Il s'agit d'un sujet particulièrement pointu que l'opinion publique ne perçoit pas bien et qui suscite donc des crispations importantes. Il est nécessaire de bien préciser les choses et de réaffirmer que le vivant n'est pas brevetable, c'est-à-dire que seul le couple gène-fonction est brevetable et non la variété ou l'espèce. Pour autant, le chercheur qui s'est beaucoup investi en recherche et développement, qui a contribué à l'élaboration d'un produit « fini », doit pouvoir bénéficier d'un retour sur investissement.

Mme la ministre déléguée - Il faut effectivement trouver la bonne articulation entre ces deux aspects. Aujourd'hui, la complexité des brevets est telle qu'elle entraîne une perte d'efficacité, non seulement pour les scientifiques en termes d'accès à la connaissance, mais également pour les sociétés de biotechnologie elles-mêmes.

M. le président - A cet égard, le couplage entre la recherche publique et la recherche privée qui existe dans Génoplante et Agenae présente un grand intérêt.

Mme la ministre déléguée - Il s'agit en effet d'un terrain d'expérimentation pour la réflexion sur la propriété intellectuelle. Comme le note le journaliste dans l'article paru hier dans Les Echos : « En d'autres termes, c'est le talent d'assembleur de gènes du sélectionneur qui est protégé et non les gènes eux-mêmes. »

Il faut soutenir la particularité du COV et faire connaître ce mode de gestion dans les pays les moins développés. Peut-être faudra-t-il envisager à un moment donné une action internationale coordonnée.

M. le président - Quelle structure imaginez-vous pour mener cette action : une fondation ou un organisme similaire ?

Mme la ministre déléguée - Ma réflexion n'est peut-être pas encore suffisamment mûre, mais, en tout cas, la France pourrait jouer un rôle moteur. Il y a des appels de plus en plus fréquents pour mener cette action, provenant des Etats-Unis et de certains pays du Sud qui ont commencé à s'intéresser au sujet.

M. le président - La France doit profiter de son expérience et des ses liens avec les pays francophones pour contribuer à préserver la génothèque des pays les moins avancés, car ce serait du gâchis de ne pas le faire.

Mme la ministre déléguée - Ce serait non seulement du gâchis, mais cela aboutirait également à une perte de la biodiversité. Tels sont les dangers auxquels l'Europe doit faire face : elle doit avoir une attitude positive et constructive ainsi qu'une vision stratégique différente de celle qui prévaut actuellement.

M. le président - Aurez-vous des propositions à nous faire dans les mois qui viennent sur ce point particulier ?

Mme la ministre déléguée - Faire jouer à la France un rôle moteur me semble une idée intéressante à envisager, car cela correspond à nos convictions. Il faudrait étudier l'idée d'un clearing house Nord-Sud.

M. le président - Nous devons introduire dans le débat la dose d'humanisme qui existe en chacun de nous. Cela permettra de dialoguer d'une manière plus positive avec les ONG.

J'avais d'ailleurs proposé en 1998 - sous l'égide de la FAO plutôt que de la fondation INFOMER - que les acquis scientifiques soit transférés aux pays en voie de développement, afin qu'ils puissent disposer d'une couverture alimentaire.

Mme la ministre déléguée - Il existe effectivement dans Génoplante un accès privilégié pour les pays du Sud. Cette coopération aurait d'ailleurs pu être menée au niveau du G8, mais cette idée n'était pas suffisamment mûre. En tout cas, il faut réfléchir, avec le ministère de l'agriculture, à un mécanisme de type clearing house.

M. le président - Au regard du climat actuel, une telle action au niveau de l'OMC constituerait un réel encouragement pour ces pays.

Mme la ministre déléguée - Par ailleurs, vous avez évoqué le certificat d'obtention animale. Pour l'instant, nous ne savons pas vraiment définir la race animale sur le plan juridique.

M. le rapporteur - Cela peut aller vite !

Mme la ministre déléguée - En effet, cette réflexion pourrait être menée dans le cadre du programme Agenae, qui est un peu l'équivalent de Génoplante dans le domaine animal.

M. le président - Nous avons auditionné le professeur Michel Thibier, qui est le spécialiste français en matière animale. En outre, les animaux que nous avons pu observer aux Etats-Unis ont, après la trentième génération, bien intégré certains gènes assez surprenants. Cela peut donc aller très vite. C'est un autre pas dans l'acceptation sociétale.

Mme la ministre déléguée - Le programme Génoplante - vous en avez d'ailleurs rencontré les intervenants - permet de tisser des liens importants entre la recherche publique et la recherche privée. Ce programme illustre notre volonté de ne pas isoler la recherche cognitive pure par rapport à ses applications potentielles.

Il y a eu quelques modifications au niveau des partenaires de ce programme. L'arrivée de certains agrochimistes nécessite d'inclure les transformateurs d'une manière un peu différente. Nous sommes donc en train d'analyser en profondeur ce projet, que Mme Guillou et M. Pagesse nous ont récemment présenté. Au demeurant, Génoplante constitue une plateforme d'expérimentation et d'évaluation de nos actions.

Par ailleurs, s'agissant du fameux principe de précaution, j'ai eu l'occasion d'intervenir à plusieurs reprises auprès du ministre de l'intérieur pour que les expérimentations en champ soient assurées lorsque celles-ci sont définies, puis mises en place avec toutes les autorisations nécessaires et toutes les garanties de suivi et de précaution.

Les enjeux sont importants : les chercheurs, qui sont confrontés à des manifestations hostiles, risquent d'abandonner leurs travaux. L'opinion publique est influencée par des discours incomplets de certaines personnalités, qu'il est pourtant difficile, parfois - et c'est toute la contradiction - de remettre en cause.

Sur le plan économique, le saccage de toutes les possibilités de recherche, donc d'expertises indépendantes, met en péril l'indépendance alimentaire stratégique de l'Europe par rapport aux autres puissances. Par conséquent, dès lors que les chercheurs agissent en toute légalité, il est de notre devoir de protéger leurs activités, le recours à la force étant alors un droit tout à fait légitime, qui a d'ailleurs été consacré par la jurisprudence.

M. le rapporteur - Voilà deux mois, la presse a publié une photographie montrant des manifestants, dont des artistes...

M. le président - Ainsi qu'un évêque, et pas n'importe lequel !

M. Hilaire Flandre - Monseigneur Gaillot ! Cela s'est passé à Châlon-en-Champagne !

M. le rapporteur - ... en train de saccager un champ.

Ces personnes vont-elles être poursuivies par la justice, ou allons-nous les retrouver demain dans un autre champ ? Elles se sont laissé photographier, elles l'ont cherché : c'est une provocation manifeste.

M. Hilaire Flandre - Il s'agit en effet d'une affaire symbolique.

M. le rapporteur - A l'inverse des petits voyous qui brûlent des voitures dans les banlieues et qui ne se font pas prendre en photo (Sourires), ces personnes-là font en sorte de se faire photographier et filmer. Que faut-il faire dans ces conditions ?

Mme la ministre déléguée - C'est toute la complexité de la situation. A cet égard, la condamnation de M. Bové pourrait faire oeuvre de pédagogie.

M. Hilaire Flandre - Cela a tout de même un petit côté « martyr » !

M. le président - Ce n'est pas nous qui avons inventé la notion de principe de précaution.

Les industriels qui respectent les dispositions législatives - la dernière en date étant le dispositif de biovigilance institué par la loi du 9 juillet 1999 d'orientation agricole - souhaitent une intervention du législateur. Lors de son audition, un industriel nous a ainsi adressé un message très fort en nous demandant de protéger ses outils de recherche.

Mme la ministre déléguée - J'ai pris ma plume pour écrire à Nicolas Sarkozy, afin de mettre en oeuvre cette protection qui me paraît tout à fait légitime.

M. le président - En tout cas, madame la ministre, n'hésitez surtout pas à revenir pour nous fournir d'éventuels compléments d'information.

Mme la ministre déléguée - A ce propos, comment allez-vous organiser la communication du rapport de cette mission d'information ?

M. le président - Il y aura, comme pour tout rapport du Sénat, une communication classique. De plus, le président Larcher souhaite que nous allions aux quatre coins de la France, à la rencontre de la presse régionale.

Pour ma part, j'ai déjà répondu à l'invitation de quelques représentants des chambres d'agriculture. Je ne refuse jamais le dialogue, même s'il n'est pas toujours facile. En bon Normand, j'essaie de ne pas me fâcher de prime abord ! (Sourires.)

Quoi qu'il en soit, la communication ne sera pas aisée. Nous avons auditionné M. Bruno Rebelle, directeur général de Greenpeace France qui a, comme moi, une formation scientifique de vétérinaire. Il nous a déclaré qu'aucune construction génétique ne le gênait a priori, mais que cela représentait un modèle de développement que Greenpeace refusait. Greenpeace veut imposer sa loi à la majorité. Quand je lui ai demandé : « Greenpeace, combien de divisions ? », il n'a pas répondu... A partir de là, la conversation a été un peu tendue.

Mme la ministre déléguée - L'initiative évoquée tout à l'heure et qui tend à mettre en place des relations Nord-Sud vous paraît-elle alors être l'un des moyens de désamorcer la situation vis-à-vis de Greenpeace ?

M. le président - Absolument. Il y a deux pistes sur lesquelles nous devons travailler.

La première, c'est le respect de tous les acteurs des filières avec et sans OGM. Même si c'est difficile, il faut dialoguer avec les partisans du bio, qui souhaitent du « zéro technique », avec les consommateurs, mais aussi avec les agriculteurs, qui font face à des problématiques quelque peu différentes selon leur localisation géographique, selon qu'ils se trouvent dans un département de polyculture avec des petites surfaces ou en pleine Beauce, par exemple.

L'autre piste, c'est le dialogue Nord-Sud, avec le respect de la biodiversité. Nous éviterons beaucoup d'ennuis si nous parvenons à concilier ces deux objectifs.

M. Hilaire Flandre - La recherche sur les organismes génétiquement modifiés présente une utilité dans deux domaines. Il y a, d'une part, l'adaptation des cultures tropicales et vivrières là où il existe des besoins et, d'autre part, une application sur la fabrication des médicaments.

M. le président - Le deuxième aspect doit être mis un peu à part parce qu'il est assez globalement accepté.

M. Hilaire Flandre - Au demeurant, les opposants avancent comme principal argument que la recherche sur les OGM n'a aucune utilité puisque la production agricole est suffisante, voire excédentaire.

Il faut donc montrer à quel point cette recherche a toute son utilité pour lui donner une légitimité.

Mme la ministre - S'agissant des variétés qui ont été étudiées, peu a été fait jusqu'à présent sur le millet ou le sorgho. Nous avons certes obtenu des résultats sur le riz, mais cela ne peut pas constituer une solution pour l'Afrique. Au demeurant, il importe de mieux souligner la spécificité de ce type de technologies.

M. le président - Nous recevrons le 17 mars prochain M. Jacques Diouf, le directeur général de la FAO, à l'occasion d'une audition commune avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Même si cette audition n'est pas organisée dans le cadre de cette mission d'information, il y aura évidemment des questions portant sur les OGM.

Madame la ministre - nous vous remercions d'être venue devant la mission d'information. Nous aurons d'ailleurs sûrement l'occasion de nous revoir.

30. Audition de M. François Heisbourg, directeur de la Fondation pour la Recherche Stratégique (F.R.S)

M. François Heisbourg - Lorsque j'ai reçu votre convocation j'ai eu, dans un premier réflexe, l'idée qu'il y avait eu erreur de destinataire et j'ai eu peur de n'avoir pas les compétences requises pour répondre à vos interrogations. Cependant, après réflexion, j'ai perçu que cette affaire pouvait être examinée sous plusieurs aspects, notamment stratégiques. D'abord au niveau du sujet lui-même, d'ingénierie génétique qui a de nombreuses implications, et de la stratégie des acteurs - je pense notamment aux Etat-Unis.

Sur l'ingénierie génétique, les travaux de la fondation de la recherche stratégique ont abordé un aspect très particulier : les applications à des fins militaires, à des fins de destruction massive à travers la production de chimères (c'est-à-dire la combinaison , par manipulation génétique, de deux types de germes nocifs en un seul), de souches microbiennes nocives « boostées » (comme les travaux sur la variole à l'époque soviétique) ou certaines manipulations génétiques permettant le saut d'une espèce à l'autre (cf. la variole des souris en Australie). A la jonction des préoccupations éthiques, sociales et économiques on peut évoquer les manipulations des cellules-souches qui ont des implications dans le domaine économique, notamment pharmaceutique.

Dans le domaine des biotechnologies, les Etats-Unis ont de puissants motifs commerciaux pour agir, mais ils ont aussi décidé d'interdire le financement par des fonds fédéraux de recherches de toute nature sur les cellules-souches. Ce qui peut paraître étonnant mais qui prouve que ce pays peut être accessible à d'autres arguments qu'économiques.

La France, compte tenu de sa situation, a des avantages considérables dans le domaine agricole, le végétal comme l'animal. Dans ce contexte, les Américains ne voient pas d'un mauvais oeil la multiplication des contraintes européennes en matière de recherche sur les OGM. Comme ils fondent leur développement entre autres sur les OGM, les effets du moratoire étant ce qu'ils sont, ils vont en tirer avantage. Ceci dit, sans que je me prononce sur le fond de l'opportunité de poursuivre ou non les recherches sur les OGM.

M. Jean Bizet, président - Les travaux de la F.R.S. ont-ils intégré la notion des biotechnologies au niveau alimentaire comme un élément clé ?

M. François Heisbourg - Non, le sujet est certes important, comme les subordinations alimentaires qui peuvent exister entre tel ou tel groupe de pays mais la F.R.S., du fait de sa genèse, a été étroitement associée à certains partenaires, comme le ministère de la Défense, le CEA, le CNES dont ce n'était pas la priorité. Ceci dit, s'il existe des partenaires potentiels qui souhaitent que les OGM soient abordés sous l'angle stratégique, pourquoi ne pas l'envisager ?

M. Jean Bizet, président - Y-a-t-il à votre connaissance d'autres institutions qui se sont penchées sur la question ?

M. François Heisbourg - Sur les biotechnologies, les études existent, notamment l'impact militaire des biotechnologies. On n'a pas attendu le 11 septembre pour se pencher sur la guerre biologique ou les manipulations génétiques à des fins de dissémination d'agents de guerre biologique, comme la variole ou l'anthrax.

Les travaux sont menés notamment sur les moyens pour mettre en oeuvre ces techniques : humains, scientifiques et financiers.

Pour mettre en oeuvre des armes nucléaires stratégiques, il faut de vastes installations qui ne passent pas inaperçues. En revanche, pour la production d'armes biologiques, une pièce comme celle où nous sommes réunis doit suffire.

M. Jean Bizet, président - A travers la presse, on a découvert des articles sur Diabrotica Vergifera, ce parasite - lors de la guerre des Balkans - ce coléoptère qui a détruit le maïs des environs de Belgrade, qui s'est disséminé en Italie et qui aujourd'hui se trouve aux portes de Paris.

D'aucuns soutiennent qu'il a été apporté sciemment en Europe pour déstabiliser l'agriculture européenne. Les Etats-Unis ont la parole puisqu'ils disposent d'un OGM sur lequel ce parasite est inactif.

M. François Heisbourg - Nous n'avons pas étudié ce sujet. En revanche nos travaux portent sur le respect, entre autres, par les Etats-Unis, du traité de 1972 qui prohibe les productions, le développement, le stockage et l'emploi d'agents biologiques et de toxines à des fins hostiles et militaires.

Lorsqu'il y a eu les attaques d'anthrax aux Etats-Unis, il est apparu, au bout de quelques semaines, que les souches provenaient des Etats-Unis, issues de programmes anciens, antérieures au traité de 1972, mais traitées selon des protocoles cliniques contemporains. Une interrogation existe sur le respect par les Etats-Unis de ce traité sur les armes biologiques.

M. Jean Bizet, président - Pensez-vous que l'Europe est bien positionnée dans ce domaine qui a des implications considérables au-delà même du seul point de vue des brevets.

M. François Heisbourg - La France, de par ses institutions de recherche -comme l'INRA- ou d'entreprises de recherche privées, bénéficie d'une solide réputation. Mais les choses évoluent vite.

Au début de la mise en place de la politique agricole comme il y a 45 ans, les européens, notamment les Français, résonnaient en terme de sécurité alimentaire. Aujourd'hui l'Europe et la France sont devenues de grands exportateurs, comme les Etats-Unis ou les pays du groupe de Cairns. En tant qu'observateur et comme citoyen, je m'inquiète de nous voir perdre pied dans la maîtrise de technologies porteuses d'avenir. Pour accepter de tels abandons, il faut de fortes raisons.

M. Jean Bizet, président - Pourquoi, selon vous, les OGM ne sont pas objet de controverse aux Etats-Unis ?

M. François Heisbourg - On constate que les mouvements écologiques qui sont nombreux dans ce pays, ne manifestent pas beaucoup contre les OGM. La branche américaine de Greenpeace est beaucoup moins active sur ce sujet que ses homologues européens.

Dans le domaine des ONG il y a entre elles autant de différences qu'entre les États par exemple. Le mode de financement de Greenpeace ou de Worl Wide Fund n'est pas le même d'un pays à l'autre. Elles sont alimentées par des cotisants. A un moment Greenpeace comptait près de 11 millions de cotisants dans le monde, de même pour WWF. En revanche, d'autres ONG (comme Human Rights Watch ou Amnesty International) sont adossées à des fondations telles que la Ford, Volkswagen, etc...

En matière de fonctionnement, il y a beaucoup de schémas. Amnesty International est assez centralisée, alors que Greenpeace est plus éclatée, les instances locale ayant une marge d'autonomie un peu comme les franchises dans le domaine commercial.

Le radicalisme de Greenpeace dans certaines affaires (l'affaire Brant Spar notamment) a entraîné le départ d'un tiers de ses soutiens dans les années 90.

M. Jean Bizet, président - N'est-il pas troublant que cette organisation soit glissante dans des domaines stratégiques et de façon variable d'un pays à un autre ?

M. François Heisbourg - Greenpeace fonctionne un peu tous azimut ; son organisation atomisée, son financement balkanisé la conduisent à des opérations plus ou moins maîtrisées.

M. Jean Bizet, président - Quelle va être la place des pays émergeants ?

M. François Heisbourg - Il y a l'exemple de Singapour qui a engagé des efforts de recherche considérables dans le domaine des biotechnologies, organisant une recherche systématique des cerveaux à l'étranger. L'Inde a investi massivement dans les technologies de l'information et est devenu le premier exportateur mondial de logiciels. On peut s'attendre à ce qu'elle puisse faire de même dans les biotechnologies.

M. Jean Bizet, président - Je vous remercie de nous avoir apporté ces éclaircissement.

31. Audition de Mme Marie-Angèle Hermitte, directeur de recherches au CNRS, directeur d'études à l'EHESS (UMR 8056 « Régulation des activités économiques et sociales »)

Mme Marie-Angèle Hermitte - Dans les années 1980, je me suis intéressée au droit des obtentions végétales, qui à l'époque n'était pas encore en concurrence avec le droit des brevets. En 1983, étant l'une des seules juristes à avoir fait auparavant un peu de génétique, j'ai été amenée à accompagner la création du droit des biotechnologies, que ce soit dans le domaine de la protection des innovations par le droit des brevets, dans celui de la conservation de la diversité biologiques et dans le domaine des risques. Cette construction juridique a donc été faite en trois séquences, mais elle s'est faite à l'envers, d'où sans doute la majorité des problèmes que nous rencontrons actuellement. Au lieu de prendre le temps de la recherche fondamentale, qui aurait pu avancer en même temps dans le domaine de la compréhension des mécanismes, l'approche des risques et les fondements scientifiques des technologies, on a mis au point des produits immédiatement commercialisables, qui fonctionnaient sans que l'on ne comprenne bien les mécanismes de ce fonctionnement. Cette volonté de porter au plus vite une innovation sur le marché répond au modèle du capital risque et des start-up, qui ont pour objet de raccourcir le délai entre la recherche et la mise sur le marché. Cela ne pose pas de problème dans des secteurs où les grandes connaissances de base sont stabilisées, où il n'y a pas de danger spécifique et où la société n'est pas spécialement inquiète face à l'innovation. C'était apparemment une mauvaise stratégie dans un domaine à la fois sensible et incertain sur le plan scientifique.

Le secteur des biotechnologies rencontre donc deux difficultés, l'une dans la construction du droit de l'innovation, l'autre dans la construction du droit du risque. En matière de brevetabilité, la période qui s'étend de 1980 à 1991 est une période de confusion où personne n'a véritablement compris les enjeux. Cette période commence avec le premier arrêt de la Cour Suprême des Etats-Unis, l'arrêt Chakrabarti, qui porte sur la brevetabilité des micro-organismes (entamée en 1978 avec la Convention de Budapest, laquelle remplace la description des micro-organismes, impossible à réaliser par écrit et nécessaire pour obtenir un brevet, par le dépôt de micro-organismes vivants, qui doivent être cultivés pour servir de preuve de l'invention et permettre l'accès des tiers à l'invention). Or, qui dit brevetabilité des micro-organismes dit brevetabilité des cellules et tissus et par voie de conséquence possibilité de breveter un gène inséré dans le micro-organisme. Quand le Sénateur Huriet m'avait auditionnée en 1989-1990, il n'avait pas vu cette brevetabilité des gènes, y compris humains, alors qu'il suivait la progression de la brevetabilité des micro-organismes aux végétaux et aux animaux. La décision de breveter les gènes a été prise car, à l'époque, le sentiment dominant était que la connaissance des gènes était un miracle qui permettait de passer à la fonction (un gène, une fonction) et donnait la clé de la thérapeutique. Aujourd'hui ce n'est plus pareil, on ne sait plus ce qu'est un gène et avoir la fonction d'un gène permet de faire du diagnostic mais non pas de soigner, car il est rare que la protéine suffise pour assurer le rétablissement d'une fonction physiologique complexe. C'est une première difficulté, de type scientifique, qui montre l'immaturité de la technique utilisée.

Elle est compliquée par une difficulté, économique cette fois. La volonté d'aller vite a poussé les décideurs à choisir le droit des brevets plutôt que de se donner le temps de réfléchir au système de protection le plus adapté aux stratégies d'innovation dans ce domaine. Or, dans le droit des brevets, la règle veut que, quand on a breveté une invention A, toute personne qui brevète une invention AB ou ABC est dépendante du brevet de A. Il faut l'accord du titulaire du brevet de A pour pouvoir exploiter son brevet et lui payer une redevance ; or, de nombreux exemples montrent que cet accord n'est pas toujours donné, et il est évident pour beaucoup que le système des licences non volontaires doit être largement développé.

Après avoir été longtemps niés, les inconvénients de la dépendance sont aujourd'hui plus ou moins reconnus et le milieu professionnel tente de mettre au point un mécanisme de clearing-house, sorte de chambre de compensation, pour gérer dans un même objet biologique entre 10, 20 ou 30 brevets afin d'arriver à quelque chose de commercialisable. Mais ce système est beaucoup plus onéreux que ce qui avait été mis en place dans le système des certificats d'obtention végétale où on s'extrayait du mécanisme des dépendances. Le système de certificat d'obtention végétale a très bien marché mais il a été déstabilisé par le droit des brevets.

M. le président - Pourriez-vous expliciter cette notion de clearing-house ?

Mme Marie-Angèle Hermitte - Ces chambres permettent de mettre en relation les différents titulaires de brevets pour qu'ils s'entendent afin de proposer un objet composite rémunérant l'apport de chacun ; à ce titre, il permet de gérer une situation négative mais pas d'en sortir car le coût de l'innovation final reste excessif : plus on avance, plus le coût marginal de l'innovation est élevé, ce qui ne sert pas l'intérêt général. Au fond, un trop grand nombre d'étapes intermédiaires de l'objet commercialisé sont aujourd'hui brevetées. Dans le domaine des variétés végétales, les obtenteurs européens semblent revenir au certificat d'obtention végétale, mais rien ne dit que ce retour sera stable.

Il faudrait au minimum que le clearing-house soit conçu sur le mode du libre accès rémunéré, fixant des redevances minimes pour rémunérer l'innovation en amont, et ne pas bloquer les innovations d'aval. Le certificat d'obtention végétale, lui, repose sur un accès totalement libre et totalement gratuit. Aux Etats-Unis, il y a donc un marché des brevets qui permet de trouver mécaniquement un juste prix aux yeux des partenaires. Mais l'intérêt général n'est sans doute pas servi convenablement, car cela renchérit le coût des innovations. Déjà, même aux Etats-Unis, la rentabilité des plantes transgéniques n'est pas évidente.

Le brevet et le certificat d'obtention végétale ne s'attachent ni aux mêmes objets ni aux mêmes processus d'innovation. Dans le cas du certificat d'obtention végétale, il s'agit d'un processus cumulatif adapté à la biologie, qui intègre en permanence des qualités préexistantes. Dans le cas du brevet, l'innovation doit se situer à l'extérieur de la sphère de revendication des brevets déjà accordés : il faut essayer de s'extraire de ce qui a déjà été breveté de manière à ne pas être dépendant, alors que justement, dans le vivant, on ne peut pas s'extraire ; le brevet devient donc rapidement un instrument de blocage.

La convention de Munich sur le brevet européen (1973) a été interprétée de telle manière qu'elle a suivi de près les décisions américaines. Déjà la décision prise aux Etats-Unis en 1981 sur les micro-organismes avait été suivie dès 1982 en Europe. De même, la décision en 1985 de breveter les végétaux aux Etats-Unis a son symétrique en Europe en 1988. En 1987, les américains déposent un brevet sur l'huître, en 1989 sur une souris. L'Europe fait pareil, avec une petite différence quand même, qui est une réserve d'ordre public et de bonnes moeurs : l'animal ne sera pas breveté s'il souffre plus que ce qu'il apporte à l'humanité. Aujourd'hui, les variétés végétales et les races animales ne sont pas brevetables, mais elles sont couvertes par le truchement des gènes brevetés qui y ont été insérés. Donc, elles ne sont pas brevetables directement puisque cela est interdit par la directive, mais on arrive à un résultat quasi similaire.

Pour illustrer le fait que l'on ne maîtrise pas les bases scientifiques de ces techniques, on peut évoquer la leucémie qu'a déclaré l'enfant qui avait connu la première thérapie génique réussie : l'insertion n'était pas maîtrisée. Donc on fait les choses avant même d'avoir des bases de réflexion. L'insertion dans l'oncogène, c'est l'insertion du gène dans un génome, on ne sait où, donc on n'a pas la capacité à la diriger, et cette insertion peut se faire dans des zones dangereuses. L'insertion implique ensuite une réorganisation du génome, qui est d'ailleurs un secteur clé dans la recherche fondamentale en génétique, et c'est là-dessus qu'il faut travailler sur l'animal.

Tout cela invite à ne pas aller trop vite et à ne pas aller à l'industrie tout de suite. Les succès rares mais très impressionnants, comme les plantes génétiquement modifiées, ont pu nous tromper. On a trop vite abandonné la sélection traditionnelle, sauf dans quelques entreprises privées, et l'INRA a trop misé sur les biotechnologies en sélection végétale. Je renverrai au rapport Sebillote de 1999 sur le secteur des semences. On était persuadé à ce moment là que l'avenir serait à 100 % aux plantes génétiquement modifiées. Or, il fallait poursuivre les deux. Je crois qu'il ne faut jamais abandonner les autres voies de recherches. C'est une réaction basique des profanes, mais elle est pleine de bon sens.

Les plantes génétiquement modifiées, en l'état actuel des choses, n'ont pas fait faire des progrès clairs, à l'inverse de la recherche en sélection naturelle. Il est donc pensable de conserver des territoires adonnés aux plantes transgéniques et en préserver d'autres. Donc, il faut gagner du temps sans créer d'irréversibilité. Il faut surtout prendre des positions qui ne créent pas d'irréversible. C'est vrai qu'il y aura des petites pollutions, le taux zéro de contamination pour l'agriculture biologique n'est peut-être pas possible, mais il faut aussi garder sa liberté. Quand les multiplicateurs de semences se sont développés, on a évité les impuretés des semences et on a créé des distances de protection. Donc les agriculteurs qui font de la semence ont obtenu une certaine police de protection autour de chez eux.

Je crois qu'il faudrait parvenir à quadriller les régions, OGM - non OGM, respecter les souhaits des agriculteurs, et il y aura certainement de violents conflits... et il faudrait également respecter les concitoyens qui choisiront leur consommation selon l'étiquetage.

Enfin, je suggérerai d'organiser des conférences des citoyens. On pourrait en organiser une par région, parce que c'est cher donc ce n'est peut être pas la peine d'en faire une par département. Je sais que le coût d'une conférence des citoyens nationale est de 100.000 euros à peu près. Le principe de la conférence des citoyens, c'est qu'on ne paye personne, ni les experts ni les citoyens, et ce sont de vrais spécialistes qui doivent intervenir, parce qu'il faut que la procédure soit très rigoureuse.

32. Audition de M. Martin Hirsch, Directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA)

M. le président - Nous accueillons M. Martin Hirsch, directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), maître des requêtes au Conseil d'Etat en service détaché, président de l'Union centrale des communautés Emmaüs depuis 1995, ancien élève de l'École normale, diplômé d'études approfondies de neurobiologie et ancien élève de l'ENA, promotion « Jean Monnet ».

La Commission des affaires économiques et du plan a jugé utile de créer une mission d'information sur les organismes génétiquement modifiés qui sont devenus un véritable sujet de société. Ni la France ni l'Europe ne peuvent rester à l'écart de ce mouvement, cela étant il y a eu un certain nombre d'erreurs, notamment de la part des industriels pour ne pas avoir su communiquer et pour avoir heurté nos concitoyens, et donc l'un des objectifs de cette mission d'information consiste à essayer de contribuer à expliquer à nos concitoyens quels sont les risques, les avantages et les bénéfices de cette nouvelle technologie, et aussi de servir de base à la loi fondatrice sur les biotechnologies que nous attendons tous quelles que soient nos sensibilités parce que c'est un sujet éminemment transversal.

M. Martin Hirsch - Pour commencer, je vais vous indiquer trois questions que nous avons abordées sur les organismes génétiquement modifiés par l'intermédiaire de l'AFSSA ainsi que trois travaux que nous avons réalisés. Je ne vous rappelle pas que l'Agence a une mission d'évaluation, une mission de recherche et une mission d'information, et nous avons essayé, sur ces différents sujets, de remplir ces missions.

Nous avons abordé les OGM à travers trois questions :

Comment expliquer la présence de traces d'organismes génétiquement modifiés dans des semences conventionnelles dans lesquelles ils ne devaient pas se trouver. C'est un contexte de contrôle par les services des fraudes qui a conduit à ce que, en 2000 puis en 2001, le laboratoire strasbourgeois a détecté des taux faibles d'OGM dans un nombre élevé d'échantillons.

En 2000, le gouvernement avait décidé la destruction d'un certain nombre de parcelles ; en 2001, cela a conduit à s'interroger sur les raisons pour lesquelles on trouvait dans un certain nombre d'échantillons et à un taux extrêmement faible des OGM que l'on n'arrivait pas à identifier. Il a été demandé parallèlement à la CGB et à l'AFSSA s'il était possible d'expliquer cette présence d'OGM, si c'était spécifique à ces lots et si cela posait un problème pour la santé.

Le 23 juillet 2001, nous avons rendu un avis dans lequel nous avons indiqué qu'à partir du moment où nous écartions l'hypothèse qu'il y ait eu construction intentionnelle d'un OGM poison, il s'agissait d'organismes génétiquement modifiés qui étaient passés dans les cribles d'évaluation de différents comités à travers le monde et il n'y avait pas de risque pour la santé à la présence de ces faibles traces ; que ce n'était probablement pas spécifique au lot contrôlé, mais certainement le reflet d'une situation plus généralisée, c'est-à-dire que la présence d'OGM à faible dose était certainement présente dans beaucoup d'échantillons.

Effectivement, nous avons constaté que 41 % des lots concernés étaient contaminés et les industriels indiquent dans leurs autocontrôles trouver en moyenne 7 % de contamination. L'AFSSA tout comme la CGB en ont déduit que la vérité se trouvait probablement entre l'un et l'autre de ces taux ; encore une fois, pour des contaminations faibles mais un nombre de contaminations tout à fait élevé, considérable en proportion, donc qui pose problème.

A la question qui était de savoir si nous pouvions l'expliquer, nous avons répondu négativement, mais il était effectivement possible d'essayer d'initier un certain nombre de choses pour tenter de l'expliquer.

Nous avons dit qu'il serait normal qu'il y ait une obligation de déposer toutes les séquences qui sont utilisées, même lorsqu'elles ne sont utilisées qu'au stade des essais, même très en amont, et que tous les organismes publics d'évaluation aient accès à une banque mondiale pour que l'on puisse, face à de tels cas de figure, savoir si l'OGM que l'on recherche existe dans la banque.

Nous avons recommandé que des études de contrôle complémentaires soient faites ; elles ont été réalisées et ont confirmé qu'il y avait effectivement présence d'OGM et qu'il ne s'agissait pas d'un artefact de laboratoire.

Nous avons souhaité pouvoir disposer d'échantillons pour faire des recherches complémentaires, et en particulier au moyen des techniques d'amplification que je connais mal, qui consistent à faire pousser des graines et à les sélectionner par les différents produits phytosanitaires que l'on utilise et amplifier ce signal pour essayer d'arriver à une quantité que l'on puisse identifier, et enfin pouvoir répondre à une question qui est cruciale : savoir si cette présence d'OGM s'explique par la contamination des champs voisins ou par des mélanges entre les flux importés et les flux exportés, si elle correspond à des OGM autorisés en Europe ou pas, etc. Questions essentielles si l'on veut progresser sur ce sujet-là.

Nous n'avons pas pu à ce jour réaliser ce programme de recherche, les échantillons correspondants n'étaient plus disponibles, ils avaient été soit détruits soit utilisés pour quelques contrôles complémentaires.

Il y a eu récemment une polémique internationale sur ce qui se passe au Mexique dans des termes à peu près comparables. La présence d'OGM a été trouvée dans des champs mexicains, ce qui a donné lieu à une publication, dans l'une des revues les plus prestigieuses, des travaux contestés, disant qu'ils étaient de mauvaise qualité. Les scientifiques indiquaient que la seule façon de savoir ce qu'il en était réellement serait de faire une expérimentation qui est exactement celle que nous avons proposée et qui n'a pas pu être menée à bien.

Tant que cette expérimentation ou d'autres ne seront pas faites, nous ne saurons pas et nous sommes dans une situation dans laquelle nous ne sommes pas capables d'expliquer aujourd'hui pourquoi, l'année dernière, entre 7 % et 41 % de semences conventionnelles contenaient moins de 0,1 % d'organismes génétiquement modifiés que l'on ne sait toujours pas identifier. Je crois que c'est un problème suffisamment important et qui soulève différentes difficultés pour l'avenir.

L'évaluation des risques.

Beaucoup de travaux sont menés sur l'évaluation des risques, et généralement, la réponse des scientifiques sur les risques OGM consiste à dire qu'à leur connaissance, il n'y a pas de risque avéré, mais qu'ils sont incapables de dire s'il y a un risque zéro.

Nous avons essayé d'aller un peu plus loin que ces phrases un peu frustrantes et de nous interroger sur les procédures auxquelles étaient soumis les organismes génétiquement modifiés dans les différents pays industrialisés, que ce soit aux États-Unis ou en Europe, et de voir quel type de garantie cela pouvait apporter, et éventuellement quel type de garantie supplémentaire cela pouvait engendrer. Entre deux affirmations - l'une qui consiste à dire qu'aujourd'hui, dans les conditions dans lesquelles on a utilisé les organismes génétiquement modifiés, il n'a pas été démontré de risque pour la santé chez l'homme et l'autre qui est que l'on ne peut pas prédire quelles seraient les conséquences à long terme si une grande partie de l'humanité devait consommer des aliments composés pour tout ou partie d'organismes génétiquement modifiés - il faut essayer d'avoir des repères.

Nous avons essayé de regarder et de modéliser ce que pouvaient apporter comme garanties les différentes études que l'on pouvait réaliser. Nous en sommes arrivés à la conclusion que, entre ce que l'on fait aujourd'hui et des efforts qui seraient démesurés, il était certainement possible d'être plus exigeant dans les lignes directrices préalables à la mise sur le marché d'un organisme génétiquement modifié.

En particulier un certain nombre de recommandations pouvaient être faites comme réaliser des études chroniques en utilisant des protocoles existants et pas simplement se contenter d'études de toxicité aiguë ; C'est-à-dire ne pas faire ingérer à un animal un produit seulement une fois et étudier les effets, mais se mettre dans les mêmes conditions que sera l'humain s'il s'agit d'un OGM pour l'homme ou d'un animal de rente s'il s'agit d'un OGM destiné à l'alimentation animale .

Ensuite, on pouvait avoir différents niveaux, éventuellement travailler sur d'autres espèces, etc., et, en fonction de cela, il serait possible d'avoir des réponses probablement plus satisfaisantes permettant de dire avec davantage de certitude s'il y a ou non un risque et dans quelles proportions, et en ayant conscience des limites de ce que l'on peut faire au plan de l'expérimentation chez un animal de laboratoire par rapport à ce que l'on cherche à démontrer chez l'homme soumis à la consommation à long terme de substances.

Nous espérons que ce travail que nous avons réalisé sera pris en compte lors de la révision des lignes directrices européennes et dans les discussions entre l'Europe et les autres états ou continents dans les négociations internationale et, par exemple, le Codex alimentarius.

Nous nous sommes également interrogés sur le fait de savoir si nous pouvions procéder à des essais cliniques, c'est-à-dire soumettre les organismes génétiquement modifiés à des procédures identiques à celles auxquelles sont soumis les médicaments. Il s'avère que ce n'est éthiquement pas réalisable et scientifiquement compliqué. En revanche, cela pourrait être justifié dès lors que l'on rentrerait dans un système dans lequel il nous serait proposé des organismes génétiquement modifiés à visées sanitaires.

Ceci fait la transition avec la troisième question : peut-on dire que les OGM apportent des bénéfices sanitaires ?

Nous avons organisé le premier colloque en France - et peut-être le premier en Europe - sur le sujet « OGM et alimentation - peut-on évaluer des bénéfices pour la santé ? » Je tiens à souligner que ce colloque scientifique qui a eu lieu en décembre 2001 a rencontré un franc succès dans la mesure où le public était varié et nombreux avec une grande qualité des débats ; je vous ferai remettre une copie des actes si vous ne les avez pas.

La question était de savoir si l'on pouvait, pour les OGM présents et pour les OGM à venir, indiquer s'il y avait ou non des bénéfices sanitaires, savoir si ces bénéfices sanitaires étaient revendiqués et si nous avions les méthodes pour les évaluer. Nous avons pris tous les bénéfices théoriques que l'on peut attendre des OGM. Par exemple, les organismes génétiquement modifiés permettront d'utiliser moins de pesticides, donc l'homme sera moins en situation de risque ; en utilisant des organismes génétiquement modifiés résistants à des mycotoxines l'homme sera moins exposé ; tel OGM permettra de supprimer telle propriété allergisante ou apportera des propriétés nutritionnelles particulières, etc.

Je crois que tout le monde a considéré que cette démarche était légitime, que l'on en était aux balbutiements, qu'à ce jour il n'existait aucun OGM pour lequel il était possible de démontrer un bénéfice pour la santé, soit parce que ce n'était pas le but (propriétés agronomiques nouvelles recherchées), soit parce que l'on n'avait pas de données. Le sujet OGM et pesticides reste très flou, y compris sur les conséquences de l'utilisation des produits phytosanitaires ; certains diront qu'aux États-Unis, on utilise moins de produits phytosanitaires depuis qu'il y a les OGM et d'autres diront qu'on en utilise moins mais ils sont plus puissants. Quand on demande si cela peut éviter un cancer, par exemple, qui serait dû à des pesticides, on vous répond qu'on ne sait pas bien mesurer les cancers dus aux pesticides, on ne sait pas si cela existe, etc.

On entend fréquemment des discours tout faits sur ces sujets-là qui, aujourd'hui, résistent peu à la critique ; cela ne veut pas dire qu'un jour, ils ne résisteront pas à la critique, mais ce n'est pas le cas aujourd'hui.

De la même façon, nous avons constaté que les nutritionnistes étaient très divisés sur ce qu'ils pouvaient attendre des organismes génétiquement modifiés. Certains, avec beaucoup de forces, prétendent que les OGM n'ont aucun intérêt sur le plan nutritionnel ; d'autres défendent la thèse inverse en l'illustrant avec l'OGM le plus célèbre qui est le riz doré enrichi en vitamine A et qui permet de grands espoirs pour les enfants qui souffrent de déficit visuel provoqué par une carence en vitamine A. Aujourd'hui, on connaît le riz doré, on en connaît la teneur en vitamine A, mais aucun individu n'a été soumis à un régime à base de riz doré pour en voir les effets en comparaison avec un autre individu soumis à un régime à base de riz non modifié. Il y a donc un décalage entre les discours et les évidences scientifiques démontrées.

Ces sujets sont extrêmement importants et pour faire le lien avec un débat qui ne nous appartient pas (les essais au champ), si l'on s'engage dans une démarche en disant que les essais au champ doivent être effectués quand ils servent à quelque chose, on voit bien qu'a priori, même sur papier, on peut déterminer si cela a un sens de faire un essai au champ ou pas. Si l'on peut démontrer, uniquement sur le dossier, qu'ajouter tel gène dans tel produit n'a strictement aucun intérêt nutritionnel, ce n'est pas la peine de passer au stade de l'essai au champ et cela peut épargner de l'argent, des contrôles, des polémiques et éventuellement des risques environnementaux.

Nous avons certainement les moyens pour essayer de mettre en place des méthodes d'évaluation des bénéfices aussi rigoureuses que pour les autres produits de façon à ce nous, organismes publics chargés d'organiser l'expertise, nous ne soyons pas pris au dépourvu parce que nous ne disposons pas de lignes directrices pour évaluer, pas de méthodes critiques d'évaluation, pas de méthodes pour obtenir des dossiers correctement établis et pour que nous ne soyons pas dépendants de celui que nous devons évaluer ; l'une des raisons pour laquelle l'Agence a été créée a été qu'elle puisse proposer au gouvernement et rendre publics des avis rendus sur une base d'indépendance vis-à-vis du contrôlé ou de l'évalué.

Voilà les trois sujets sur lesquels nous avons effectué des travaux sur les OGM : Explication des disséminations, même à faible niveau ; Méthodes d'évaluation des risques ; Intérêt et méthodes pour évaluer les bénéfices sanitaires, ce type de bénéfice n'étant pas, bien entendu, dans notre champ de compétences.

M. le président - Merci, M. le Directeur général.

M. Dominique Braye - J'ai été très surpris quand vous nous avez dit qu'il était extrêmement difficile de trouver l'intérêt qu'il y aurait à cultiver certains organismes génétiquement modifiés par les méthodes comparatives ; il y a quand même des possibilités de comparer, il y a des choses comparables à condition d'avoir des protocoles suffisamment précis et rigoureux. Cela voudrait dire que nous en sommes au B.A-BA et que personne n'a réalisé ce type de contrôle et d'étude.

M. Martin Hirsch - Vous avez tout à fait raison. Je précise pour être clair que ce colloque avait précisément pour objet de faire un point sur les connaissances scientifiques disponibles, et non pas de réaliser nous-mêmes des travaux de recherche à ce moment-là, et de regarder ce qui avait été publié. On s'aperçoit qu'effectivement ces protocoles sont tout à fait possibles, quelques-uns existent, des centres techniques travaillent sur deux parcelles contrôlées, mais globalement les publications dans des revues scientifiques qui apportent les résultats nécessaires aux comités d'évaluation pour les convaincre sont peu nombreuses. Ce qui signifie que peu d'études ont été considérées comme nécessaires.

Le sénateur Bizet évoquait les erreurs, peut-être avons-nous mis « la charrue avant les boeufs » dans ce domaine-là en sous-estimant l'intérêt et la nécessité de faire des choses contrôlées ; on a plutôt regardé les performances qui pouvaient être apportées, mais pas forcément d'autres effets.

En préparant ce colloque, nous pensions trouver des éléments plus aboutis ; j'ai d'ailleurs constaté que nos collègues d'autres pays arrivaient à des conclusions similaires : il existe peu de données par rapport aux enjeux, alors qu'effectivement des dizaines de millions d'hectares sont concernés en Amérique.

M. Dominique Braye - Cela voudrait-il dire que l'on a laissé la bride aux industriels qui travaillaient sur les OGM ? Je ne vois pas pourquoi les industriels à qui l'on n'imposerait pas une série de contrôles et de contraintes se les créeraient eux-mêmes. C'est-à-dire que ceux qui étaient chargés, ne serait-ce que par souci de sécurité, du principe élémentaire de précaution, n'allaient pas eux-mêmes inventer des contrôles et, à partir du moment où ils pouvaient les éviter, on comprend bien qu'ils ne sont pas allés à l'avant.

M. Martin Hirsch - Pas tout à fait, si vous permettez. Je veux dire que l'on n'a pas évalué les effets positifs, très peu de travaux portent sur cet aspect, mais je n'ai pas dit que l'on avait fait n'importe quoi et qu'il n'y avait pas eu de contrôles, que l'on n'avait pas fait ce qui était nécessaire, loin de moi cette pensée. Mais effectivement, a posteriori, on s'aperçoit qu'en dehors d'un cercle de spécialistes, l'on n'avait peut-être pas pris conscience que, compte tenu des distances, on pouvait retrouver des contaminations faibles, mais encore une fois, on ne sait pas les expliquer. Sur l'aspect risque pour la santé, beaucoup de choses ont été faites, ce qui, outre la rigueur des procédures, explique le fait qu'il y ait aussi peu d'OGM.

Par contre, sur l'évaluation d'aller plus loin qu'une allégation, qu'une pétition de principe en disant qu'un OGM va permettre d'utiliser beaucoup moins tel produit nocif pour la santé et que l'on peut y trouver des effets bénéfiques ou que cela vaut la peine de poursuivre les travaux sur les OGM sur les aspects bénéfiques pour la santé, il y a peu d'éléments.

L'inventeur du riz doré disait que l'une des raisons pour lesquelles il n'a pas été capable de faire les essais sur les populations (du type essais cliniques) c'est parce que, compte tenu de la réglementation, il ne pouvait pas cultiver suffisamment de riz pour obtenir les quantités de riz génétiquement modifié qui seraient nécessaires. Certains diront que cela n'a pas été fait par trop de sévérité d'autres par trop de laxisme.

Il y a des domaines dans lesquels il existe des données scientifiques solides, d'autres où il n'y en a pas ; dans le domaine qui nous intéresse, il y en a peu.

M. Hilaire Flandre - Je reste interrogatif. Les réticences que l'on rencontre vis-à-vis à la fois des essais d'OGM et de toutes ces nouvelles productions qui pourraient exister sont-elles raisonnablement ou intelligemment fondées, ou est-ce que cela ne relève pas davantage de croyances ou d'un tout autre domaine ? Finalement, la modification génétique telle qu'on l'applique, ce n'est jamais que des phénomènes qui pouvaient se provoquer dans la nature pendant la période de l'évolution. Il pouvait y avoir des mutations génétiques spontanées, si je puis dire, et on n'en a pas fait un mal.

Je me souviens d'un ancien obtenteur de semences qui nous parlait de l'apparition un beau jour de la prune reine-claude. Ce n'est qu'une mutation qui est survenue, ensuite en replantant ce même noyau, on a tout simplement créé une variété de prune.

On précipite un peu les choses, mais finalement on vient au secours de la nature et cela me paraît plutôt une bonne chose dans l'a priori, dans mon esprit, mais peut-être y a-t-il des gens pour qui c'est tout le contraire. Y a-t-il une rationalité à être peureux ou craintif vis-à-vis de ces évolutions ?

M. Martin Hirsch - Je pense qu'effectivement, dans le débat « ce n'est que l'homme qui reproduit un mécanisme naturel », plusieurs questions se posent, notamment la différence entre l'introduction au rythme de la nature et l'introduction au rythme de l'homme et de son industrie. Il suffit qu'il y ait un phénomène rare, que l'on n'a pas vu et tout d'un coup, il est effectivement multiplié ; ce sont des phénomènes que l'on connaît bien.

Si vous vous trompez lors de la construction génétique, c'est quelque chose que vous ne voyez pas dans l'éprouvette mais, très rapidement, c'est-à-dire deux ou trois ans après, vous vous retrouvez avec cette erreur multipliée par des dizaines de millions d'hectares. Même si cette erreur est rare vous la retrouvez en de nombreux lieux et si elle pose un problème, il est ensuite difficile de faire marche arrière. Les questions d'échelle ne sont pas neutres par rapport au problème de la nature et c'est pour cette raison que se posent souvent les questions d'introductions progressives, maîtrisées, réversibles ; nous sommes en plein dans le principe de précaution.

De la même façon, on s'aperçoit que par rapport à la nature qui fait beaucoup de tentatives et qui subit beaucoup d'échecs - elle sait s'autoréguler par ses échecs - l'homme à la supériorité de savoir compenser les échecs. Il est capable de faire réussir une construction que la nature aurait rejetée et donc faire de l'eugénisme végétal ; vous vous retrouvez avec quelque chose qui n'est pas introduit au bon endroit et qui, encore une fois, peut avoir un caractère incontrôlé qui pose des problèmes. Les généticiens sauraient mieux en parler que moi.

Parmi les questions auxquelles nous sommes soumis, il y a effectivement beaucoup de questions irrationnelles sur les OGM, mais quelques-unes sont quand même rationnelles.

Une question qui revient souvent : Si un choix personnel est de ne pas manger d'OGM, est-ce possible ? Aujourd'hui, la réponse n'est pas si simple que cela. Je perçois souvent cette interrogation qui est souvent portée soit par des individus soit par des organismes qui disent ne pas considérer les organismes génétiquement modifiés comme dangereux, mais qui veulent rester libre d'en manger ou de ne pas en manger ; C'est légitime, mais aujourd'hui la réponse n'est pas satisfaisante.

Les Anglais considèrent que les filières sans OGM sont pratiquement condamnées et ils vont faire des filières sans OGM réservées à quelques privilégiés. C'est pour cela que la question est cruciale de pouvoir expliquer pourquoi il y a des contaminations ; il est très embarrassant pour moi de ne pas être en mesure de dire devant vous aujourd'hui pourquoi, il y a neuf mois, des traces d'OGM ont été retrouvées dans des conditionnements conventionnels et de ne pas pouvoir dire si cela provient du champ voisin ou d'un mélange avec des graines des États-Unis ou d'Amérique du Sud. Aujourd'hui, à cette question, nous répondons sur les seuils de détections, mais ce ne sont pas des réponses forcément satisfaisantes.

Une autre question est fréquemment posée : Je veux bien entendre les scientifiques qui disent ne pas pouvoir l'absence absolue de risque, mais j'aimerais savoir ce que cela va m'apporter. Là aussi, nous sommes démunis. Effectivement, on a un peu mélangé les bénéfices sanitaires, économiques, agronomiques, etc., on fait miroiter un certain nombre de choses, mais les gens s'aperçoivent bien qu'il y a un peu de confusion.

Il n'est pas irrationnel de se dire que si effectivement on doit apporter quelque chose au consommateur, on peut lui garantir ce qu'on lui apporte ou ce que l'on prétend lui apporter. Si on lui propose une margarine sur laquelle il est indiqué qu'elle fait baisser le taux de cholestérol, il faut en faire la démonstration ; si par ailleurs, il est indiqué que ce produit prévient des maladies cardiovasculaires, il faut être certain que les consommateurs de cette margarine auront moins de maladies cardiovasculaires.

Sur ces questions-là qui me paraissent rationnelles, nous n'avons pas beaucoup de réponses tout en sachant que, finalement, peu de gens prétendent que les OGM actuels apporteraient un bénéfice sanitaire, donc il faut relativiser l'intérêt de cette question qui est plus prospective qu'actuelle.

M. Hilaire Flandre - Il est reconnu que les OGM pouvaient apporter des économies en matière d'intrants en agriculture. Parmi les opposants aux OGM, on retrouve les mêmes groupes qui sont opposants à l'utilisation d'un certain nombre de produits phytosanitaires. On leur apporte une solution à un premier problème, mais ce n'est pas la solution qui les satisfait et l'on risque de tourner longtemps. Depuis 30 ans, on cultive des betteraves monogermes génétiquement ; ce n'est pas venu tout seul, il a bien fallu créer ces variétés et cela n'a pas provoqué de catastrophe ou de drame en la matière.

M. Martin Hirsch - C'est pour cela que mon propos n'est pas de dire qu'il y a des drames ou des catastrophes. Notre rôle est de donner des éléments scientifiquement validés, de mettre en évidence les incohérences scientifiques si elles existent de manière à ce que le travail puisse se faire et que l'information soit correcte. Sur pesticides et OGM, nous avons bien vu ces contradictions-là. Les gens estimaient qu'il fallait utiliser moins de pesticides car ce sera meilleur pour la santé, mais l'effet pour la santé des pesticides, on commence un peu à le connaître sur les travailleurs agricoles et encore on manque de données, mais sur le consommateur, on ne le connaît pas.

M. Hilaire Flandre - A force de stériliser tout, on finit par créer une génération de gens qui sont victimes de tout !

M. Martin Hirsch - La position de l'AFSSA est bien entendu de n'être ni pour ni contre, mais si nous disons quelque chose, nous devons être capables de le démontrer et de l'argumenter.

M. Christian Gaudin - Vous avez rappelé les travaux réalisés dans les trois directions : identification des traces, des méthodes d'évaluation des risques et les bénéfices sanitaires. Dans une approche scientifique sur ce genre de problématique, peut-on déjà arriver à faire une classification ou une hiérarchisation des risques ? Dans le domaine des OGM il y a toute une interrogation qui ne facilite d'ailleurs pas les travaux ni la compréhension du citoyen sur le sujet, et on mélange un peu tout.

M. Martin Hirsch - Nous le souhaiterions, mais c'est extrêmement difficile. Dès lors que nous sommes dans un risque potentiel et non pas dans un risque avéré, il est impossible de le quantifier, donc on ne peut pas le placer sur une échelle des risques contrairement au risque Listeria que l'on sait mettre dans une échelle de risque parfaitement précisée. La seule chose que nous savons faire et qui n'est pas inutile, c'est d'essayer de calculer le rapport bénéfice/risque. C'est-à-dire que si le bénéfice est nul, un risque aussi faible soit-il ne vaut pas la peine d'être couru ; par contre, si le bénéfice est important, le risque est acceptable.

C'est là que se situe la grande différence entre l'évaluation des organismes génétiquement modifiés et l'évaluation des médicaments. Si vous demandez à quelqu'un s'il préfère avoir de l'hormone de croissance d'origine naturelle venant d'hypophyses avec des risques inhérents ou bien de l'hormone de croissance issue du génie génétique, personne n'hésite. Même s'il y a un risque très faible d'effet indésirable avec l'hormone de croissance génétiquement modifiée, à partir du moment où le patient est prévenu, personne ne s'en offusque.

M. Christian Gaudin - Vous quantifiez les risques dans les deux cas.

M. Martin Hirsch - Dans le cas du médicament, d'un côté nous avons un bénéfice que l'on considère comme très grand, et d'un autre côté un risque que l'on considère comme de toute façon inférieur à ce bénéfice, donc nous sommes gagnants.

En ce qui concerne les organismes génétiquement modifiés, en tout cas du point de vue sanitaire qui est celui pour lequel nous sommes missionnés, même si le risque est faible, le public considère que la balance bénéfice/risque n'est pas favorable.

M. Dominique Braye - Vu de l'extérieur, on a l'impression que tout cela est fantaisiste. On fait des recherches, on n'en fait pas si l'on sait qu'il n'y a aucun risque, on regarde un peu quels sont les bénéfices, etc. Pour un certain nombre de produits, la première chose consiste à démontrer que les produits sont nocifs, qu'ils ont des effets négatifs et, à ce moment-là, on essaie de travailler sur la façon de diminuer ces effets négatifs ; les OGM pouvant être l'un de ceux-là.

Compte tenu des problèmes que l'on rencontre dans toutes les collectivités, par exemple avec l'augmentation des nitrates dans l'eau, le fait de diminuer les intrants est quelque chose de très bénéfique a priori pour moi qui n'y connais rien, qui suis représentant d'une collectivité locale confrontée à un certain nombre de problèmes. Par contre, si on me dit que l'on va faire cette recherche qui va apporter on ne sait pas quelle amélioration parce qu'il n'y a pas de risque, je comprends tout à fait que les gens n'en veuillent pas.

M. le président - Compte tenu de la fonction de M. Hirsch, j'aimerais recadrer un peu le débat au niveau de l'alimentation. Il est vrai que les OGM, dans un premier temps tout du moins, ont été des organismes génétiquement modifiés au regard du secteur agronomique et que les firmes, avec toute la maladresse qui est la leur, quel que soit d'ailleurs leur pays d'origine, ont souhaité un retour sur investissement assez rapide, ont complètement occulté l'acceptabilité sociale.

Ce qui me contrarie, cela ne fait pas partie de votre fonction mais nous vous poserons quand même la question, c'est que je suis persuadé que demain, il y aura des OGM de seconde ou troisième génération qui, sur le plan alimentaire, présenteront à mon sens des intérêts. Et je crains que toute la technicité, le savoir-faire, la matière grise nous échappent, aillent dans certains pays et qu'il y ait une concurrence assez forte sans que nous puissions nous aligner.

Je ne suis sans doute pas très objectif, mais cela me perturbe et le principe de précaution - on l'a vu au niveau de l'Organisation mondiale du commerce, au travers de l'accord SPS est toujours « cantonné » au travers de l'article 3 ou 5 paragraphe 7 et, même si les européens avaient voulu le formaliser un peu plus fortement, cela n'a pas été le cas. Et sans vouloir être provocateur, je crois que l'on est dans une dialectique ou une problématique très franco-française, et en voulant être parfait, au lieu d'afficher tout doucement notre spécificité en la matière, je crains, comme cela va très vite, que l'on risque à terme, dans quelques années, d'afficher notre exception qui se traduirait par des moins. Je fais certainement des parallèles provocateurs, NTICIR aujourd'hui biotechnologies, demain nouveaux matériaux ou nanomatériaux, etc.

Vous n'êtes interrogé qu'au cas par cas pour formaliser ce que vous savez, mais ne pressentez-vous pas malgré tout dans les OGM de seconde ou troisième génération des effets positifs ou des bénéfices sur ce type de produit ?

M. Hilaire Flandre - Si le principe de précaution avait existé avant la création de l'automobile ou de la marine à vapeur, nous ne les connaîtrions pas.

M. Martin Hirsch - Je n'ai pas utilisé le principe de précaution à l'appui de la présentation des travaux, je l'ai évoqué pour autre chose et je pense que nous n'en avons pas forcément besoin. Nous avons été très frappés de pouvoir parler des OGM pendant les deux journées du colloque sans brandir le principe de précaution dont le terme a dû, sur les 200 pages des actes, n'être employé peut-être qu'une seule fois. Donc je ne me situerai pas sur ce terrain qui est par ailleurs intéressant et noble, mais ce n'est pas forcément celui-là qui est en cause dans le domaine qui nous préoccupe.

L'AFSSA est en charge aussi de l'évaluation sanitaire de l'eau, et la question que vous avez abordée sur la possibilité in fine d'améliorer la qualité de l'eau est pour nous extrêmement importante. Nous souhaiterions pouvoir atteindre cet objectif, mais aujourd'hui, nous n'avons pas encore franchi les différentes étapes permettant de faire le lien entre un mode de culture, l'utilisation des intrants et le fait qu'on ne retrouve plus ces intrants dans un autre élément. Peut-être faut-il un modèle pour le faire et peut-être faut-il travailler dans des conditions particulières.

Sur les nouvelles technologies de l'information, avons-nous pris du retard parce que nous n'avons pas suffisamment travaillé ou parce que nous sommes trop longtemps et trop largement restés dans le Minitel ? La réponse n'est pas évidente. A titre personnel, je suis absolument convaincu qu'il est extrêmement important d'avoir une recherche active, vive, forte, de premier plan sur les questions génétiques, sur les OGM et sur d'autres sujets, mais je ne suis pas convaincu que la qualité de la recherche soit liée au pourcentage d'hectares qui seront faits. Une fois que l'on sait cultiver du maïs BT, ce n'est pas en le mettant dans 70 % des cultures françaises que l'on va faire progresser les connaissances ou la motivation des chercheurs.

Je ne pense pas qu'il faille mélanger les deux enjeux, mais il y a un véritable enjeu de savoir si effectivement on peut ou non utiliser les plantes pour modifier leurs qualités parce que cela peut avoir un effet sur la santé, pour avoir des constructions bien organisées ; Si on se projette sur quinze ou vingt-cinq ans pendant lesquels on va utiliser ces techniques-là et que l'on veut se débarrasser du problème de la présence des intrants, cela peut valoir la peine de faire des expérimentations qui permettent de répondre aux questions qui se posent.

Quand vous demandez si on va se retrouver face à des OGM avec ce contenu sanitaire, la réponse est visiblement positive puisque tout le monde s'y prépare, que les industriels les annoncent et que les chercheurs s'en passionnent.

Le message que je veux faire passer avec ma qualité de responsable d'un organisme sanitaire, c'est qu'il serait extrêmement problématique de ne pas avoir les outils pour pouvoir évaluer ces effets-là et si l'on est désarmé, nous aurons cent ans de retard comme lorsque nous n'étions pas capables d'évaluer l'effet d'un médicament. Je pense que ce n'est pas un frein à l'innovation et je ne crois pas que nos méthodes d'évaluation sont des freins à l'innovation, mais au contraire des moyens d'éviter de faire des marches arrière parce qu'on s'est trompé à un moment et que l'on a voulu aller plus vite que la musique et que l'on n'a pas eu les conditions pour pouvoir apprêter les choses.

Dans d'autres domaines, l'intérêt est visible. On a pu observer que parfois la sévérité ou la rigueur font que des procédures durent trois mois alors que les gens seraient contents que cela ne prenne que trois semaines, mais cela permet ensuite de dire que le travail a été fait et validé, que le public ait confiance et que cette nouvelle technique puisse prospérer.

Si les Américains sont puissants sur le plan industriel, c'est aussi parce que leurs autorités de régulation sont puissantes. Je pense que les procédures que l'on mettra en place au niveau européen peuvent être aussi les garantes que, soit on n'y aille pas si on n'a pas envie d'y aller et si on estime que ce n'est pas maîtrisé, soit qu'on y aille dans des conditions où l'on n'aura pas à faire marche arrière brutalement, ce qui pourrait engendrer des effets sanitaires et économiques déplorables.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - J'aimerais connaître votre sentiment sur le secteur viticole. Il y a environ six mois, j'ai eu l'occasion de voir une émission de télévision assez dramatique par rapport à la viticulture en France. Deux chirurgiens, l'un à Bordeaux et l'autre à Montpellier, expliquaient qu'il y avait un tout petit pourcentage d'enfants qui naissaient dans ces régions avec des problèmes physiques qui étaient la conséquence d'une utilisation massive de pesticides dans ces régions. En parallèle, il y avait le vignoble chilien qui se développait de plus en plus avec l'argument OGM, donc non-utilisateur de produits pesticides. Qu'en pensez-vous ?

M. Martin Hirsch - Je n'ai pas d'éléments de réponse. Je connais effectivement l'interrogation du Professeur Sultan à Montpellier qui fait état de données non publiées sur la présence de malformations sexuelles chez les enfants dans ces régions et qu'il impute à l'utilisation des produits phytosanitaires.

Nous sommes aujourd'hui très peu documentés sur les effets des pesticides sur la santé, tant sur les quantités que sur les conditions d'utilisation. C'est un sujet compliqué et nous sommes désarmés pour deux raisons : les réponses ne sont peut-être pas atteignables aujourd'hui sur le plan scientifique, ou peut-être ne sommes-nous pas suffisamment mobilisés pour que les organismes de recherche puissent le faire.

L'AFSSA n'a pas été interrogée sur ce sujet, nous avons été questionnés uniquement sur des pesticides dans des fruits pour savoir s'il était possible de faire des campagnes de nutrition en préconisant de manger davantage de fruits ; notre réponse a été qu'il n'y avait pas de problème au regard des pesticides et que le bénéfice était avéré. J'ai toutefois entendu parler d'un certain nombre d'intrants assez puissants dont il faudrait peut-être se débarrasser.

M. Hilaire Flandre - Le comportement de l'ensemble de la population est très différent selon que le produit dont on dit qu'il peut être dangereux procure chez eux une satisfaction ou un plaisir important ou un produit de consommation obligatoire.

Tout le monde sait que dans les colorants alimentaires, certains sont dangereux, mais les colorants des rouges à lèvres et surtout ceux du caviar sont parmi les plus dangereux. On accepte de prendre le risque alors que sur d'autres problèmes, il faudrait zéro risque, c'est un comportement irrationnel de la part de nos concitoyens.

M. Martin Hirsch - Permettez-moi d'être un tout petit peu en désaccord. Pour reprendre vos comparaisons, on peut éventuellement échapper au caviar, en revanche, les OGM sont utilisés comme matières premières dans un certain nombre d'ingrédients et l'on ne pourra pas y échapper. C'est une différence qu'il est assez rationnel de prendre en compte.

M. le président - Merci M. le Directeur général d'avoir, comme toujours, parlé aussi clairement et de façon très synthétique. Notre commission a une durée de vie d'un an, n'hésitez surtout pas à nous adresser tous les documents que vous jugeriez pertinents pour que nous puissions continuer de mener à bien cette mission d'information car, je le répète, elle devrait aboutir à des recommandations pour cette fameuse loi fondatrice.

33. Audition de M. Peter Hooper, directeur général de Pioneer Semences, et de Mme Maddy Cambolive, chargée de la réglementation et de l'homologation

M. Peter Hooper - Pioneer est une filiale du groupe Dupont de Nemours. Fondée en 1926 aux Etats Unis, c'est le premier semencier mondial. Elle compte 5000 salariés. Avec un chiffre d'affaires de 2 milliards de dollars, on dénombre 150 unités de recherches, 73 usines de production. 250 millions de dollars sont consacrés à la Recherche.

En Europe, il existe 4 unités opérationnelles (« business units ») dont la France.

Pioneer en France a réalisé un chiffre d'affaires de 80 millions d'euros en 2001, avec une part de marché d'environ 20 % en maïs.

Notre siège social est basé à Aussonne, près de Toulouse. 4 stations de recherches sont également implantées en France : au total, 230 salariés permanents travaillent pour Pioneer en France auxquels s'ajoutent de nombreux temporaires pour les travaux saisonniers.

Nous participons aux travaux des divers organismes et associations intervenant dans les semences et nous collaborons dans divers projets de recherche alliant public et privé.

Du fait de la situation en France et en Europe, nos produits commercialisés à ce jour sont tous des variétés conventionnelles mais nous avons plusieurs programmes de recherche pour développer des variétés OGM.

Mme Maddy Cambolive - Le moratoire de fait est réel pour les produits, y compris par le blocage de l'accès au marché des variétés contenant des événements de transformation autorisés au niveau européen. Le ministère de l'agriculture a refusé de statuer sur l'inscription de nouvelles variétés au catalogue français depuis 1998 (dernière année d'inscription de variétés OGM).

M. Jean Bizet, président - Il y avait un moratoire pour les essais en plein champ, il y a eu en plus une absence d'inscription par le ministère.

Mme Maddy Cambolive - Depuis cette date le même blocage existe en Espagne et en Italie bien que les procédures d'homologation des variétés aient été accomplies par l'organisme officiel chargé des inscriptions.

Les essais en plein champ ne relèvent pas directement du moratoire mais plutôt de l'indécision politique vis-à-vis des biotechnologies végétales et de ses conséquences médiatiques.

M. Peter Hooper - La situation en 2002 où les autorisations d'essais OGM en maïs n'ont été reçues qu'en juillet, soit après l'époque des semis, est révélatrice à cet égard.

Mme Maddy Cambolive - Depuis 1995 on avait fait de nombreux essais de variétés OGM : en particulier en 1998 quand l'autorisation de mise en marché de 2 événements de transformation avait été accordée. Depuis la chute du nombre d'essais a été vertigineuse ! Les phénomènes de rejet entretenus par les campagnes anti-OGM relayés par les media, ont abouti à la destruction d'essais OGM mais aussi d'essais de variétés conventionnelles. A notre connaissance, près de 3 hectares ont été détruits alors même que certains champs ne comportaient pas d'OGM...

Dans ce contexte, la transposition de la nouvelle directive 2001-18 qui prévoit la consultation du public, permettra peut-être d'éviter les saccages réalisés sous couvert d'une non-information du public .

On devrait pouvoir concilier l'information locale en mairie et la consultation du public telle qu'elle a été expérimentée en 2002 par la mise en ligne des dossiers soumis pour autorisation.

M. Jean Bizet, président - Comment faire partager aux citoyens cette nouvelle forme de modernité ?

M. Peter Hooper - Au niveau européen, 6 entreprises semencières et phytosanitaires, dont le groupe Dupont-Pioneer, ont créé un association de communication sur les biotechnologies. En France, l'association DEBA (Débats et Echanges sur les Biotechnologies en Agriculture) a réalisé plusieurs actions d'information à destination des médecins et de leurs patients, des pharmaciens, des professeurs de grandes écoles, des professeurs de biologie... Des rencontres avec des journalistes ont été organisés, au-delà du cercle agricole traditionnel. Mais la communication des opposants reste très vive. Ainsi, Greenpeace, par exemple, a dépensé 7,5 millions d'euros en 2001 pour sa campagne contre les biotechnologies.

Mme Maddy Cambolive - Sur un sujet aussi technique, la nécessité d'information est réelle et demandera du temps pour que le grand public assimile l'intérêt de ces nouvelles technologies. Cependant nous pouvons être optimiste, pour les OGM il aura fallu seulement 7 ans pour reconnaître leur intérêt aux Etats-Unis puisqu'ils couvrent déjà 40 % des surfaces en maïs, alors qu' il a fallu 40 ans pour que les agriculteurs américains adoptent les hybrides de maïs.

Il faut reconnaître que cette adoption des nouvelles technologiques a été permise par une confiance plus grande des associations de consommateurs aux Etats-Unis envers les organismes de contrôle que celle qui existe chez nous.

M. Peter Hooper - Un retour au "non OGM" n'est pas envisageable pour les agriculteurs américains car ils ont pu mesurer la plus - value apportée par cette technologie. Aussi les OGM leur apportent des perspectives nouvelles de lutte contre des ravageurs du maïs, tel que le Diabrotica (chrysomèle du maïs), causant des pertes annuelles de l'ordre de 1 milliard de dollars.

Mme Maddy Cambolive - Le Diabrotica qui s'est développé aux Etats-Unis, est arrivé en Europe de l'Est il y a 10 ans, et il se propage depuis, la France ayant été atteinte en 2002. La mise en place d' essais de variétés résistantes est donc nécessaire.

M. Jean Bizet, président - Quel est votre sentiment sur les OGM de deuxième génération ?

M. Peter Hooper - La première génération présente des bénéfices réels pour le revenu des cultivateurs. La deuxième génération de maïs OGM apportera des bénéfices pour l'environnement par exemple en diminuant les rejets de phosphore dans les effluents d'élevage en utilisant des maïs pauvres en phytates. D'autres OGM amèneront également des améliorations de la qualité (maïs riche en acides aminés ...)

M. Jean Bizet, président - Quel est votre sentiment sur l'éventualité d'un recours des USA devant l'OMC pour lever le moratoire ?

Mme Maddy Cambolive - Nous préférerions que les choses se résolvent à l'échelon de l'Europe sans aller à l'OMC.

M. Peter Hooper - La levée du moratoire est nécessaire pour permettre à l'amélioration variétale de continuer à mettre à la disposition des agriculteurs des produits performants, des industriels, des matières premières en quantité et qualité satisfaisantes, du grand public, des produits sûrs et respectueux de l'environnement.

Une des clés de la réussite pour développer les OGM est de faire cohabiter tous les types d'agriculture. La question des seuils est à placer aujourd'hui au coeur du débat sur les OGM pour permettre cette coexistence.

M. Jean Bizet, président - Je vous remercie.

34. Audition de Me Michel Jacquot, avocat, spécialiste en droit communautaire, droit agricole et agro-alimentaire, sécurité alimentaire, OMC/GATT et commerce international

Me Michel Jacquot - Je voudrais commencer par faire un premier commentaire sur le principe de précaution. Ce principe existe seulement en pointillé dans le traité d'Amsterdam à l'article 130. Il n'a pas une très grande consistance, et porte exclusivement sur l'environnement. Il s'apparente alors à un « principe de l'action préventive ». La Cour a rappelé qu'il fallait préciser ce principe. La Commission des Communautés européennes a publié des documents sur l'application du principe mais, dans le dernier arrêt de la Cour de septembre 2002, celle-ci considère que ce sont des documents de réflexion de la Commission qu'elle n'est pas tenue de suivre. Il y a donc une incertitude juridique qui persiste autour de la valeur de ce principe de précaution.

Dans ces deux derniers arrêts, la CJCE valide quand même la communication de la Commission sur le recours au principe de précaution du 2 février 2000. Mais la CJCE affirme la pertinence de ce principe de manière plus systématique et rappelle les principes qui doivent diriger l'action. Premièrement, définition d'un risque. Deuxièmement, application de l'article 129 du Traité, selon lequel la Communauté européenne doit atteindre un niveau de protection pour la santé, le plus élevé possible. Troisièmement, respect des lignes directrices suivantes : toute décision doit être fondée sur une évaluation scientifique du risque. Donc, la CJCE délimite la part du politique et la part du scientifique et rappelle la primauté du politique sur le scientifique.

Je crois en tout cas qu'il est nécessaire, aujourd'hui, de mettre dans un texte juridique le "process" d'application du principe de précaution. Surtout qu'à l'OMC, au Codex Alimentarius et à la FAO, il est nécessaire d'avoir des textes qui définissent le processus d'application. A l'OMC, il faut pouvoir codifier le principe de précaution comme est codifiée, par exemple, la clause de sauvegarde. Je pense que, début mars, si vous nous le demandez, le Cabinet GIDE pourrait vous fournir les grandes lignes définissant les procédures d'application pour ce principe de précaution.

Revenons-en à l'OMC. Dans les accords du GATT de 1994, à l'article 20, il est écrit qu'on ne peut empêcher un membre d'adopter des mesures si elles sont nécessaires à la protection de la santé, à la vie des personnes, des animaux et des plantes et ce, à condition que cela ne soit pas un moyen de discrimination et qu'il ne s'agisse pas d'une restriction déguisée au commerce. Cet article a été l'objet de beaucoup de discussions avant l'Uruguay Round. Dès la fin du Tokyo Round, en 1978, un groupe de travail avait été mis en place, pour essayer d'adopter un accord et ce groupe avait donné lieu à des discussions entre la Communauté, toujours considérée comme protectionniste sur ces affaires-là, et les autres pays. L'accord OMC sur les mesures sanitaires et phytosanitaires est intéressant car il définit, à l'annexe A, ce que sont les mesures sanitaires et phytosanitaires. Lesquelles comprennent les procédures d'échantillonnage, les mesures d'évaluations des risques et les règles d'étiquetage. Donc les règles européennes d'étiquetage, qui ont été adoptées la semaine passée, tombent sous ces dispositions et non pas sous le coup du Code OMC sur les Obstacles Techniques au Commerce comme on a pu le lire.

Le principe de précaution est bien reconnu à l'article 5, paragraphe 7 de cet accord OMC. Pourtant, dans l'affaire du boeuf aux hormones, il n'en a pas été fait application, car la Communauté n'a pas invoqué à l'époque cet article 5, paragraphe 7.

M. Jean Bizet - Pourtant, j'imagine que cet article est bien connu par l'Union européenne.

Me Michel Jacquot - Je crois que la non-utilisation de cet article tient sans doute au fait qu'il existait trop de divergences européennes sur l'application du principe de précaution. Le panel lui-même a évoqué la possibilité d'utiliser le principe de précaution, mais la CEE n'a pas répondu sur ce point. Si elle y avait fait recours dans sa défense, elle n'aurait peut être pas été condamnée et on lui aurait dit : c'est provisoire, faites des travaux, tenez compte de ceux effectués dans le Monde et procédez à des évaluations. J'ai fait relire les mémoires déposés par la Communauté et, pour moi, c'est un mystère que la CEE n'ait pas voulu répondre sur l'aspect principe de précaution. Peut être cela tient-il à l'imprécision des textes qui fondaient le principe.

De plus en plus, les américains sont confrontés à leurs consommateurs et à leur opinion publique. Donc, on pourrait peut être envisager la transcription du principe de précaution dans un mémorandum, ou dans un addendum à l'accord. Aujourd'hui, les américains invoquent eux-mêmes le principe de précaution. Je pense notamment au "panel Thon n° 2" concernant la pêche aux crevettes par les filets mexicains. Il s'agissait ici d'une mise en cause de ces filets qui mettaient en danger, non pas la santé humaine mais qui menaçaient les animaux. Finalement, les américains ont été condamnés. Mais, il est apparu, à travers ce panel, que l'invocation du principe de précaution devait reposer sur des considérations scientifiques, sur des preuves suffisantes et surtout ne devait pas créer de discriminations arbitraires ou injustifiables entre les Etats membres où il existe des conditions identiques ou similaires.

Les dernières frictions transatlantiques sur les décisions en matière de traçabilité et d'étiquetage laissent entrevoir la probabilité d'un contentieux entre l'Europe et les Etats-Unis, puisque l'étiquetage systématique des OGM condamne un produit à rester sur les rayons d'un supermarché en Europe. Le préjudice que subiraient les Etats-Unis est évalué, par eux, à 4 milliards de dollars. On peut anticiper la survenue de ce contentieux euro-américain, notamment vu les fortes pressions exercées en matière d'aide alimentaire.

M. Jean Bizet - En tant que docteur en droit, comment imaginez-vous la coexistence entre les divers modes d'agricultures et comment imaginez-vous que soient résolues les questions soulevées par la pollution génétique ?

Me Michel Jacquot - Je voudrais vous rappeler, qu'au début, il n'était pas dit que l'agriculture biologique ne devrait pas utiliser les OGM. Cette démarche est assez récente. Les Argentins eux-mêmes utilisent les OGM, justement parce que cela diminue l'usage des intrants. En Suisse, l'agriculture tolère la présence d'OGM en dessous de 3 %.

M. Jean Bizet - Donc, vous estimez qu'il faudra trouver un tel seuil par consensus, en deçà duquel la responsabilité ne joue pas.

Me Michel Jacquot - Je crois surtout qu'il faudra intégrer la question des OGM dans la directive européenne sur la responsabilité du fait des produits défectueux, les OGM étant assimilés à des produits défectueux. Je vous renvoie là aux propos de Mme Lepage.

M. Jean Bizet - Pensez-vous qu'il soit possible de définir les notions de pollution génétique et de produits défectueux, alors que les constructions génétiques se font maintenant sans gène marqueur ?

Me Michel Jacquot - Je crois en tout cas que les vendeurs de semences OGM pourraient indiquer aux agriculteurs les distances d'isolement nécessaires pour éviter une telle pollution génétique. Je voudrais juste attirer votre attention sur les propos de Mme Haigneré qui appellent à un devoir de vigilance, malgré la parution de rapports extrêmement rassurants des Académies, notamment de médecine. Mais, malgré cette vigilance ministérielle, on constate une accélération des travaux au niveau européen. Vous savez qu'il faut compter environ 3 ans pour l'adoption d'un texte de co-décision, donc, pour moi, la date-phare sera l'adoption par le Parlement européen et le Conseil des Ministres des règles sur l'étiquetage et la traçabilité. C'est alors qu'il sera intéressant de guetter la réaction américaine.

M. Jean Bizet - Pour moi, l'adoption d'un seuil signifie la création d'une filière, donc la possibilité d'importations. Je vois donc mal pourquoi les Etats-Unis réagiraient à l'adoption d'un seuil, même si c'est vrai que le seuil de 0,9 % est un peu bas et risque de créer des coûts de distorsion de concurrence pour les produits américains.

Me Michel Jacquot - La question primordiale est de savoir quelle sera la réaction du consommateur. Parce que, même si les produits OGM sont moins chers, le consommateur restera sans doute défavorable à ces produits. Ils n'atteindront donc sans doute pas une consommation de masse dans un proche futur.

35. Audition de Mme Chantal Jaquet, Directrice prévention santé, sécurité et environnement du groupe Carrefour, accompagnée de M. Jacques Etienne,consultant auprès de Carrefour dans le domaine de la santé et de la sécurité des aliments

Nous recevons maintenant Mme Chantal Jaquet et M. Jacques Etienne .

Nous ne parlerons pas avec vous de la partie scientifique relative aux OGM, mais nous aimerions savoir quelle est l'approche du premier groupe distributeur français en la matière, vos prospectives et votre communication et avec quel modèle agricole vous souhaitez travailler.

Mme Chantal Jaquet - Tout d'abord, si vous le permettez, je vais demander à Jacques Etienne, qui travaille à nos côtés, de se présenter.

M. Jacques Etienne - Je suis professeur à l'université d'Aix-Marseille III et j'ai été pendant 15 ans directeur de la répression des fraudes à Marseille. J'exerce depuis 1976 un rôle de consultant auprès de Carrefour dans le domaine de la santé et de la sécurité des aliments.

Avec le président Cappella, nous avons créé la première filière universitaire de France et nous avons rassemblé 120 ingénieurs dans le cadre d'une société de contrôles et d'analyses.

Mme Chantal Jaquet - C'est pourquoi Carrefour avait pris l'option, dès 1976, de s'associer à un organisme indépendant qui puisse nous donner une vision claire sur la composition de nos produits.

En 1996, nous avons appris l'arrivée inopinée des OGM. Nous avons donc voulu comprendre ce qu'étaient les OGM. Nous sommes, depuis toujours, moralement responsables devant nos consommateurs des produits que nous mettons sur le marché. Nous sommes maintenant pénalement responsables de par la loi sur les produits défectueux.

Bien évidemment, nous ne sommes ni des scientifiques, ni des spécialistes de l'agriculture. J'étais à l'époque directeur des produits à marque Carrefour et j'ai organisé une très large consultation. Nous avons entendu les représentants de la société Monsanto, qui sont venus des Etats-Unis, pour nous expliquer leur démarche. Nous avons rencontré des représentants l'INRA, des responsables agricoles, des scientifiques de tous bords, car il était important d'écouter l'ensemble des parties prenantes.

J'avoue que plus nous avancions dans notre effort de compréhension des OGM, « moins nous comprenions ». Devant ce manque de visibilité, nous avons posé un certain nombre de questions par écrit à la société Monsanto. Bon nombre de questions sont restées sans réponses, ou ont reçu des explications extrêmement vagues.

A l'époque, nous avons voulu mettre en place le principe de transparence et le principe de précaution, en demandant à chacun de nos partenaires d'assurer la traçabilité de leurs produits et de rédiger un étiquetage transparent, qui réponde à l'attente de clients.

Nous n'avons jamais cherché à diaboliser les OGM vis-à-vis des consommateurs. La première publication que nous avons faite sur ce sujet date de l'année 2000.

Carrefour est une société moderne qui ne s'oppose pas au concept de la transgénèse. Ce serait une véritable stupidité !

Lorsque j'ai été entendue par la conférence citoyenne sur les OGM, nous avons réaffirmé la nécessité de la transparence, de l'étiquetage et de la traçabilité, de façon à ce que chaque citoyen puisse choisir librement son alimentation.

Nous n'avons donc pas rejeté les OGM a priori mais Carrefour, à travers les produits à sa marque, a offert une alternative crédible en proposant une gamme de produits NON -OGM. Nestlé ou Danone ont adopté une stratégie différente à l'époque. Nous n'avons pas à interférer sur les décisions des marques nationales, par contre le consommateur a le droit de choisir son type d'alimentation, pour des raisons environnementales, éthiques, religieuse, .... Notre rôle est d'offrir aux consommateurs la gamme la plus large de produits. C'est notre fonction.

Notre décision de mettre en place une gamme de produits à marque Carrefour non-OGM s'est appuyée sur un principe de traçabilité des ingrédients et sur des analyses dites PCR négatives qui confirme l'efficacité de la traçabilité mise en place. C'est facile à dire, mais un peu moins facile à réaliser !

Nous avons étudié chaque produit et nous avons identifié les ingrédients (matières premières et additifs) susceptibles de contenir des OGM. Bien sûr, il y avait le soja et le maïs, mais aussi les amidons, les lécithines, les arômes, les sirops de glucose....

Nous nous sommes rendus compte en avançant que c'était plus compliqué que nous le pensions. Nous avons établi une liste d'ingrédients susceptibles de provenir d'OGM, nous avons demandé à nos fournisseurs si leurs produits renfermaient ces ingrédients et dans l'affirmative garantir leur traçabilité à partir de semences conventionnelles. Beaucoup d'entre eux ne s'étaient même pas posé la question.

Je tiens à rappeler que nous avons pris contact avec des amidonniers dès 1997 à ce sujet. A l'époque, pour eux, toute traçabilité était impossible.

Nous avons soit substitué les ingrédients de fabrication contenant des OGM par d'autres produits soit nous en avons assuré la traçabilité en faisant en sorte que l'ensemble de nos produits soient issus de substances NON-OGM. Nous avons supprimé une dizaine ou une quinzaine de produits pour lesquels nous ne pouvions pas assurer ni la traçabilité, ni la substitution.

Nous n'avons toutefois pas pu valoriser notre démarche sur nos produits, la législation actuelle ne nous le permettant pas. Cela ne nous a pas empêchés de continuer notre engagement. Lors d'un contrôle récent de la DGCCRF a d'ailleurs été assez impressionnée par notre travail, en particulier en matière de traçabilité.

Les fournisseurs, à l'époque, prédisaient que ces productions spécifiques coûteraient 30 % plus cher mais, peu à peu, ils nous ont fait confiance et ont fabriqué l'ensemble de leurs produits NON OGM. Globalement, au bout de 2 ans, cela a coûté entre 0,10 à 0,20 % plus cher.

M. Jacques Etienne - Sauf pour l'alimentation animale.

Mme Chantal Jaquet - En effet. Nous avons mené ce travail dans l'ombre, tout en défendant notre position à l'extérieur. Cette prise de position de Carrefour a été souvent contestée et cela m'a personnellement value d'être critiquée, mais nous continuons aujourd'hui encore à proposer cette alternative sur nos produits de marque Carrefour, car nous répondons aux attentes d'une certaine catégorie de clients.

Le rapport à l'alimentation est important pour chaque citoyen et en même temps difficile à cerner. Chaque citoyen se construit à travers son alimentation. Si il existe un domaine de liberté, c'est bien celui là.

Nous désirions que le débat vienne sur la place publique et que les citoyens puissent se prononcer sur l'utilisation des OGM dans l'alimentation. Dès que cela a été le cas notre prise de position s'est alors trouvée confortée par celles des consommateurs.

En France et en Europe, l'alimentation représente une valeur très forte et constitue notamment une notion de plaisir, de lien à la terre, à l'agriculture et à la construction que l'on peut faire de son propre corps.

Le débat citoyen qui a eu lieu m'a énormément impressionnée, car les positions exprimées par les consommateurs, de quelque horizon qu'ils soient, étaient toutes empreintes d'un bon sens extraordinaire et allaient dans le sens d'une plus grande transparence.

Nous avons voulu aller plus loin. Car Carrefour croit beaucoup au respect de la biodiversité. Comme nous l'avons déjà exposé Carrefour n'est pas opposé à la transgénèse en tant que telle mais, aujourd'hui, compte tenu de notre engagement dans le développement durable, toutes les décisions irréversibles nous paraissent graves .

Toute expérience faite en ambiance confinée peut être maîtrisée. Par contre, en ce qui concerne les OGM, tous les scientifiques s'accordent sur le fait que la dissémination dans la nature est incontrôlable. Sans parler de contamination, il y aura forcément à terme des croisements dont nous ne connaissons pas encore les conséquences.

Pour nous, cette impossibilité de retour en arrière ne s'inscrit absolument pas dans une démarche de développement durable !

Personne n'a jamais prouvé l'intérêt de la première génération d'OGM pour l'agriculture ! Que l'on ne me dise surtout pas que l'on va sauver le monde avec les OGM ! En Afrique, les agriculteurs, qui sont déjà miséreux, ne pourront même plus replanter la semence de leur exploitation !

On prétend que les Chinois, grâce au riz transgénique, pourront avoir une alimentation plus saine : il faudrait qu'ils mangent 9 kilos de riz par jour pour cela ! Une alimentation plus équilibrée serait préférable !

On dit également que l'on va utiliser moins de pesticides. C'est une vision à court terme ! Peut-être traitera-t-on moins dans un premier temps mais, à long terme, on va obligatoirement créer des résistances et les prochaines générations d'herbicides devront être encore plus efficaces donc plus toxiques. Cela se passe ainsi depuis que l'agriculture existe.

Peut-être y aura-t-il une deuxième génération d'OGM qui aura une véritable utilité. Carrefour n'y est pas opposé. Mais aujourd'hui, cela ne représente que 4 ou 5 % de la recherche. On en parle beaucoup, mais c'est de la publicité mensongère ! La recherche est beaucoup plus tournée vers la recherche de nouveaux OGM que sur les conséquences de leur mise en marché.

Il serait stupide de refuser les technologies nouvelles mais, à propos de la première génération d'OGM, notre position n'a pas évolué d'un « iota » par rapport à ce que nous avions dit en 1996 et 1997, la situation n'ayant pas évolué.

Je vais laisser à présent la parole à M. Jacques Etienne pour qu'il argumente scientifiquement mes propos.

M. le président - Quelles étaient précisément vos questions et vos appréhensions ?

M. Jacques Etienne - La première appréhension est purement scientifique et réside dans le fait que l'implantation du gène est aléatoire. Nous ne savons pas quelles sont les parties qui vont être exprimées dans le génome -ou surexprimées-.

La question des allergies est le premier problème que j'avais soulevé auprès de Monsanto. Ne sachant pas où ils implantent le gène d'intérêt dans le génome, ils ne peuvent pas évaluer par exemple dans la pomme de terre, la sécrétion supplémentaires de toxines type : (solanine...) l'étude exhaustive de l'ensemble des possibilités d'interaction n'ayant pas été réalisé ; cette question est restée sans réponses.

La seconde question qui me paraît très importante, c'est le fait qu'à peu près 90 % des plantes OGM actuellement plantées résistent à un herbicide. Le plus connu est le Round Up. Pour le moment, nous avons une plante qui est capable d'assimiler de grandes quantités de cet herbicide sans mourir. Nous allons donc avoir, nous ou les animaux, une accumulation de métabolites sur lesquels il n'y a pas eu d'études complètes.

Or, l'université de Roscoff, où Jérôme Monod a réalisé des études, a démontré récemment des effets importants du glyphosate sur le comportement hormonal. des oursins Si nous fabriquons une plante capable de résister aux herbicides. Que deviennent les métabolites de ces produits dans cette plante ?

Les sociétés de commercialisation des OGM se sont tellement pressées « mais c'était peut-être une question de prise de part de marché ?» que l'élimination du marqueur antibiotique leur a paru inutile. C'était la première chose à éviter, car le risque de création de résistance ne peut être écarté.

En second lieu, ils n'ont pas étudié le problème de la dissémination ; en particulier avec le colza et le maïs.

Nous pensons qu'il va y avoir des conséquences importantes dans ce domaine pour l'agriculture biologique. Je vous ai apporté sur ce sujet un article intitulé « OGM et cultures conventionnelle», paru cette semaine dans la revue «Bio Futur ».

Actuellement, dans le règlement européen, il est strictement interdit d'avoir des OGM dans une culture biologique. Si nous plantons des OGM en France, il n'y n'aura plus de possibilité d'agriculture biologique. Cet article démontre en effet que, selon les cultures, la contamination OGM sera comprise entre 0,2 et 2 %, selon les types de plantes et surtout selon les pratiques culturales.

Actuellement -je rejoins donc ce que disait Mme Jaquet- l'intérêt des OGM de première génération n'a pas été démontré.

Un maïs qui n'aurait pas besoin d'eau, avec des gènes de cactus, des maïs plus riches en acides poly-insaturés, du soja riche en acide oméga 3 (qui pourrait nourrir les poissons), auraient mérité une attention particulière. Actuellement les motifs sont strictement commerciaux : « Je fabrique l'herbicide, je vends la plante qui va avec, en quelque sorte un kit, et je refuse les semences fermières ». Or, le paysan a toujours ressemé sa propre récolte. C'est un fondement de l'agriculture.

En tant que scientifique, je ne peux être que pour la transgénèse, mais je pense que les motifs commerciaux l'ont emporté et que les règles de bonne gouvernance n'ont pas été respectées.

Quand on mélange du soja transgénique avec du soja conventionnel -et c'est le fonctionnaire qui parle- on obtient un objet comestible non-identifié. C'est contraire à la directive européenne sur l'étiquetage. Le principe d'équivalence n'est pas respecté. C'est la loi.

Je sais que la société Monsanto et d'autres travaillent actuellement sur des OGM plus sociétales mais à l'heure actuelle les OGM proposés risquent de perturber fortement notre agriculture. Dautre part, nous ne voyons pas comment l'agriculture biologique pourra vivre, même en respectant des pratiques culturales très contraignantes les sociétés de biotechnologies doivent prendre ces données en compte.

Il est prévisible que la biotechnologie pourra élaborer des plantes qui auront un intérêt nutritionnel ou environnemental, les OGM de première génération présentent un intérêt commercial. Ce tandem herbicide-plante à herbicide ne présente à notre avis pas d'intérêt pour le consommateur, en particulier sur le plan économique.

Mme Chantal Jaquet - Dans cette affaire rien n'a été claire depuis le départ.

Tout d'abord, les OGM sont arrivés en Europe sans informations préalables. Ensuite, on nous a promis : « On va nourrir la planète ». C'est faux ! Les plantes utilisées aujourd'hui sont destinées aux pays riches -soja, maïs, coton et colza- et non aux pays défavorisés.

On nous a dit : « On traitera moins ». A cinq ans, c'est faux ! Regardez le bilan du Canada ou des Etats-Unis en termes d'utilisation de pesticides et d'herbicides, puisqu'ils utilisent des OGM à hauteur de 25 %. Depuis ce temps : l'utilisation de phytosanitaire devrait avoir diminué. Or, ce n'est pas le cas.

On nous dit avoir fait des études sur les bovins, en effet, des mesures ont été faites sur 3 mois : une vache vit en moyenne dix ans. Ce ne sont pas par ces démarches qui vont crédibiliser les OGM !

Lorsqu'on est fier de son produit, qu'il possède un véritable intérêt, on en fait un argument de marketing donc une mise en avant sur le packaging !

Les Européens n'ont pas la même relation à l'alimentation que les Américains. De la même manière que nous croyons à la biodiversité dans la nature, nous croyons aussi à la diversité des peuples. Chacun a une relation particulière avec l'agriculture et l'alimentation. C'est parce qu'il a une relation particulière à l'alimentation en Europe et notamment dans les pays du Sud qu'il y a cette résistance.

J'ai eu de très longues conversations avec beaucoup d'interlocuteurs en Chine dans ce domaine. Le Coton, en Chine, aujourd'hui, c'est vrai, est en grande majorité génétiquement modifié, mais les autorités sont extrêmement réservées quand à l'intérêt pour les autres plantes. Ils réclament l'étiquetage et la transparence, même au stade des essais. Nous avons eu des échanges importants et fructueux avec les différents Bureau de l'Hygiène, de l'Agriculture, du Commerce lors d'un séminaire sur la sécurité alimentaire, dans le cadre d'un partenariat avec la mairie de Pékin. Ils sont très prudents et beaucoup moins favorables aux OGM qu'on veut bien le dire en Europe !

M. le président - Ce n'est pas tout à fait la conclusion de la mission de l'INRA. Nous avons auditionné Mme Marion Guillou sur ce point.

Mme Chantal Jacquet - Chacun entend ce qu'il veut entendre. Nous avons rencontré de nombreux interlocuteurs sans essayer de les influencer. Nous les avons écoutés. Nous avons rencontré par exemple le directeur de l'université Agricole de Canton, qui est l'une des plus grandes universités agricoles de Chine ainsi qu'un nombre important d'administration. Leur position est exactement entre la position américaine et la position européenne.

M. le président - L'analyse qui est faite sur ce point est qu'à terme, ce serait incontournable pour des tas de raisons...

Mme Chantal Jaquet - Cela dépend des domaines.

M. le président - Compte tenu du nombre de Chinois et de la problématique environnementale. Ils ont un retard, mais ils disposent également de chercheurs de grande qualité qu'ils veulent mettre en capacité de réactivité par rapport aux chercheurs américains ou occidentaux. Parallèlement, ils mettent en place une législation assez coercitive vis à vis de l'extérieur.

Mme Chantal Jaquet - Carrefour met en place dans un certain nombre de villages Chinois, des expériences d'agriculture biologique et notamment un village où l'agriculture biologique fait vivre 800 personnes. Les Chinois sont extrêmement pragmatiques et prennent ce qu'il y a de bon dans chaque avancée technologique. Ils peuvent développer en parallèle 2 types d'agricultures.

M. le président - L'augmentation continuelle, année après année, de surface de maïs, de soja ou de coton génétiquement modifié, de par le monde, me trouble. S'il y en a qui le font, c'est qu'ils y trouvent un intérêt.

M. Jacques Etienne - C'est une attitude de confort. L'agriculteur a moins de travail.

M. le président - Il y a des réponses.

Mme Chantal Jaquet - Nous avons entendu souvent que les agriculteurs "s'y retrouvaient" sur le plan économique. Aujourd'hui, personne n'est capable de le démontrer : les plantes coûtent plus cher, les rendements des récoltes sont plutôt un peu inférieures à celles des récoltent conventionnelles et on n'en est qu'au début ! Par contre, c'est vrai, les agriculteurs ont moins de travail.

M. le président - On arrive pratiquement à 5 % de plus-value nette.

Je ne dis pas qu'ils ont raison ou tort. Le rapporteur fera son rapport le moment venu.

Il s'avère par ailleurs que les filières SANS-OGM, même au Brésil, commencent à devenir excessivement poreuses. Quelle sera votre stratégie à moyen ou à long terme si, comme on nous le dit, l'opinion publique est en train de changer et que 80 % des préoccupations de nos concitoyens sont environnementales -qualité des sols, de l'air et de l'eau- ?

Globalement, les entreprises que l'on a auditionnées jusqu'à maintenant considèrent qu'il y entre 30 et 45 % d'utilisation d'intrants en moins.

Mme Chantal Jaquet - Nous pouvons aussi vous donner des chiffres. 35 à 40 %, c'est impossible. De tels chiffres sont inacceptables, je souhaiterai pouvoir les analyser ainsi que les conséquences sur les champs attenants.

M. le président - Je ne pense pas qu'ils soient secrets. Nous avons auditionné les gens de chez Monsanto...

Mme Chantal Jaquet - Evidemment, si ce sont les chiffres de Monsanto ! Pour ma part, je n'en ai jamais entendu de pareils !

M. le président - On nous explique qu'une plante résistante, ayant moins de prédateurs, a moins de risques de développer de mycotoxines par la suite.

M. Jacques Etienne - Quand vous semez une plante qui résiste aux herbicides la formation des mycotoxines n'est pas inhibée pour autant ; leur élaboration est liée surtout aux conditions de stockage. Pour le maïs, que l'on contrôle depuis longtemps, le risque est le stockage à 18 % d'humidité. Si vous voulez des mycotoxines ; vous n'avez qu'à rentrer du maïs humide. Tous les experts agricoles s'accordent pour le reconnaître. Les OGM actuels procurent un certain confort sur le plan des pratiques culturales, mais ne lutent pas contre la formation des mycotoxines.

M. le président - Pensez-vous que l'agriculteur européen renoncera à ce confort par rapport à son homologue étranger ? Il y a là une forme de distorsion de la concurrence. C'est ce qui m'inquiète en matière d'internationalisation.

Mme Chantal Jaquet - Tout dépend si l'on a une vision à court ou à moyen terme. Nous, nous nous sommes toujours battus pour ne pas utiliser les antibiotiques comme facteurs de croissance. Ils sont toujours utilisés, je vous le rappelle. Un jour ou l'autre, ce scandale va éclater. Les filières agroalimentaires ont payé un prix énorme les différentes crises de ces dernières décennies : veaux aux hormones, farines animales, dioxine, .... Ce que cela a coûté à l'Etat, aux citoyens et aux agriculteurs est difficile à chiffrer mais extrêmement important.

Il y a un minimum de précautions à prendre. Il y a de nombreux agriculteurs, avec qui nous avons des contrats et qui sont dans une stratégie de développement durable. Ces agriculteurs ont pris l'engagement de moins traiter, d'avoir des semis moins denses à l'hectare ou un nombre d'animaux au mètre carré moins important. Nous rémunérons les démarches qualité, avec pour objectif de rentrer dans une spirale vertueuse et non dans le développement d'une agriculture intensive à outrance. Bien sûr, tout le monde, demain, ne pourra pas se mettre à faire de l'agriculture biologique, mais je ne comprends pas pourquoi la France ne développe pas ce type d'agriculture qui pourrait participer fortement à l'aménagement du territoire.

M. le président - Pour moi -je le vois dans mon département- l'agriculture biologique est une niche et restera toujours une niche. Elle y a intérêt. Le jour où elle en sortira, elle sera morte. Tous les consommateurs ne pourront pas acheter massivement du biologique, pour la bonne raison que le prix est beaucoup plus élevé.

Mme Chantal Jaquet - Je ne suis pas sûre que cela coûte aussi cher à la société quant on fait le bilan global !

M. le président - Je vois bien que les agriculteurs qui vivent de l'agriculture biologique en vivent mal. Ce que je trouve assez choquant avec l'agriculture biologique, c'est que nous acceptons un taux de contamination fortuit sur un certain nombre d'intrants et que nous voulons du 0 % pour les OGM !

Ce n'est pas parce que 2 % de l'agriculture française est placée sous le signe du biologique qu'il faut pour autant oublier les 98 % restants ! Je suis pour une agriculture plurielle respectueuse de la sensibilité du consommateur et de l'agriculteur.

Nous, législateurs, allons être confrontés à l'obligation de légiférer sur ce sujet. Cela ne va pas être facile et je m'interroge. On voit que le virage qu'ont pris les Anglo-saxons, sous l'impulsion de Tony Blair...

Mme Chantal Jaquet - Nous avons un modèle agricole en Europe : gardons-le !

M. le président - Nous y reviendrons...

Aujourd'hui, l'Angleterre est en train d'opérer un virage en la matière. Je crains que, si nous enfermons nos agriculteurs dans une exception agricole, au travers d'un certain nombre d'outils -et les biotechnologies en sont un parmi d'autres- nous ayons de moins en moins d'agriculteurs sur le sol national !

Mme Chantal Jaquet - Les grandes épidémies et beaucoup de scandales alimentaires sont quand même nées en Grande-Bretagne ! Ce n'est pas mon modèle !

M. le président - La sécurité sanitaire de la Grande-Bretagne n'est pas un modèle, mais ne comparons pas l'ESB et les biotechnologies. S'il n'y a pas une expérimentation grandeur nature au travers des 300 millions et quelques de consommateurs qui, quotidiennement, aux Etats-Unis et au Canada, depuis 10 ou 15 ans, consomment des OGM, alors je ne sais pas ce qu'est une expérimentation grandeur nature !

Mme Chantal Jaquet - C'est toujours très facile de dire qu'il ne se passe rien.

Les Etats-Unis, en termes d'alimentation, ne sont pas non plus un modèle ! Même Bush est en train de revenir en arrière en conseillant aux Américains de manger sain. Le nombre de maladies et de morts par intoxication aux Etats-Unis est très supérieur à ce qui se passe chez nous. D'autre part, il y a toutes ces contaminations croisées que nous ne maîtrisons pas.

M. le président - Je ne vois pas le rapport avec les biotechnologies !

Mme Chantal Jaquet - Si, car la vision actuelle n'est pas globale. Qu'on ne me dise pas que l'on a identifié les conséquences, puisque les conséquences les plus simples, on ne les a même pas étudiées ! La science n'est pas suffisamment avancée pour mesurer toutes les interactions. Les pesticides ont tué des agriculteurs et l'OMS produit chaque année des statistiques dans ce domaine.

Bien sûr, il n'y a pas eu de morts directes du fait des OGM, de la même manière que, pendant dix ans, on a donné des farines animales à manger au bétail et qu'il n'y a pas eu de problèmes.

Notre position restera ferme dans ce domaine. Je ne vois pas l'intérêt d'utiliser les OGM de première génération si notre seul et unique objectif est de faire comme les Américains ! Nous, entreprise responsable, mettrons tout en oeuvre pour ne pas les utiliser !

Ce n'est pas pour autant que nous ne vendrons pas ces produits, mais le consommateur a le droit de choisir librement son mode d'alimentation. Nous continuerons donc à proposer une alternative même si cela est difficile à mettre en oeuvre.

Vous parliez des filières SANS OGM au Brésil. Nous sommes depuis quatre ans sur le terrain...

M. le président - Vous infirmez ou confirmez que les filières de soja, même brésiliennes, sont fiables ?

M. Jacques Etienne - Non, nous avons abandonné des Etats comme le Parana. Cela étant, sur 300.000 tonnes importées dans le cadre de notre propre filière, nous n'avons eu que 0,2% de contamination. Nous avons une traçabilité de la parcelle. Jusqu'au silos d'alimentation de nos fournisseurs. Pour le moment, des territoires entiers sont épargnés, dans le Goias ou le Mato Grosso, mais il est clair que la partie frontalière est contaminée.

Nous pouvons vous faire un rapport très précis, car nous faisons chaque mois des centaines d'analyse avec nos partenaires, par exemple sur du soja indien, qui n'est absolument pas contaminé.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Etes-vous partisan de maintenir les essais et d'aller jusqu'au bout de manière à permettre que les uns et les autres puissent avoir les éléments pour juger de la situation ?

Mme Chantal Jaquet - Avec toutes les précautions nécessaires pour éviter le maximum de dissémination.

M. le rapporteur - Quelle est votre position par rapport au seuil ? Etant donné le positionnement de votre groupe dans différents pays, comment réussissez-vous à faire le tri dans vos achats entre les produits OGM et les produits NON-OGM ?

En second lieu si, demain, la mondialisation fait que nous avons des produits OGM sur les trois-quarts de la planète, comment allez-vous opérer ? Allez-?vous avoir des filières NON-OGM ? Allez-vous assurer vous-même la traçabilité ? Quelles sont les pistes que vous voyez dans le domaine commercial, que ce soit pour vous ou pour d'autres ?

Mme Chantal Jaquet - Comme je l'ai dit au début de cet entretien, il est extrêmement difficile de garantir l'absence d'OGM. Même en France, où l'on ne cultive pas de maïs transgénique, si ce n'est à titre d'essais, on a déjà des contaminations.

Bien que nous ayons mis en place la traçabilité des ingrédients et des analyses PCR négative, la mention NON-OGM ne figure pas sur nos produits. Nous la mentionnons dans certains prospectus, mais cela ne figure jamais sur les emballages de nos produits, car le « SANS-OGM », au sens administratif est pratiquement impossible.

Pour le consommateur, la législation actuelle est incompréhensible, la zone de 0 à 1 % n'entraîne aucune mention et c'est pour lui une zone d'ombre sans signification. Il n'y a rien de pire ! La mention « avec OGM » est obligatoire et donc plus claire.

Ce que nous souhaiterions, pour le consommateur, c'est la précision « avec OGM » ou « NON-OGM », avec un seuil de 1% de contamination fortuite.

M. le président - Pour vous, c'est 1 %?

Mme Chantal Jaquet - Oui, car aujourd'hui, il est plutôt aux alentours de 0,50-0,60, mais il n'y a pas de cultures OGM ou très peu sur le sol français. Si, demain, les cultures OGM devaient se développer, il faudrait changer la législation. Le seuil de 1% me paraît donc à peu près correct.

Je sais que certaines associations de consommateurs disent que c'est lié aux produits. C'est vrai, mais il faut aussi être clair pour le consommateur : s'il y a un seuil par produit, il ne va plus rien comprendre. Nous sommes partisans de l'allégation NON-OGM des ingrédients ou des produits susceptibles de contenir des OGM, avec un contrôle par analyse PCR négative et un dossier de traçabilité.

M. le président - Ne pensez-vous pas que, par rapport aux Etats-Unis, ce seuil de 1 % va entraîner des surcoûts des produits finis par rapport à d'autres pays ?

Mme Chantal Jaquet - Pour les produits de marque Carrefour, cela représente 0,20 % environ de coût supplémentaire. Ce qui coûte cher dans l'industrie, c'est d'avoir des lignes séparées. A partir du moment où toute la production est identique, le coût est énormément réduit.

Pour l'alimentation animale, lorsque l'on a des volumes suffisants pour avoir une usine de trituration qui ne traite que du soja non-transgénique, les coûts baissent eus aussi de façon importante.

M. le rapporteur - L'Espagne est plus ouverte aux OGM. Avez-vous la même politique en Espagne ou votre approche est-elle différente ?

Mme Chantal Jaquet - Notre position ne s'applique que sur nos produits à marque d'enseigne. Nestlé, Danone font ce qu'ils veulent pour les produits vendus à leur marque.

En France l'on a mis 4 ans pour mettre tout en place le dispositif de la filière soja sans OGM. Dans chaque pays, nous avons entamé des démarches, en Espagne comme ailleurs, avec des degrés plus ou moins forts, liés aux spécificités du pays.

En Argentine, aujourd'hui, avoir du soja "SANS-OGM", ce n'est pas très simple ; par contre, nous allons nous battre pour ne plus avoir d'OGM dans les tomates, les salades, le riz. Nous sommes en train de sécuriser un certain nombre de filières.

En Chine, le riz est garanti sans OGM. Nous avons ouvert notre premier rayon de produits biologiques dans cinq magasins de Pékin, en affichant clairement la garantie NON-OGM. Ce que nous regrettons de ne pouvoir faire en France !

Nous continuerons à nous battre pour avoir une gamme de produits NON-OGM. Si demain toute la planète est OGM. Bien évidemment nous serons contraints de suivre les évènements.

M. le président - Vous ne resterez pas sans OGM ?

Mme Chantal Jaquet - Non, parce que nous sommes honnêtes et nous voulons pouvoir prouver ce que nous disons. Tant que nous pourrons avoir les moyens de notre position, nous continuerons.

M. le président - Nous sommes réceptifs à toute information ou document qui puisse venir enrichir notre réflexion.

M. Jacques Etienne - Nous pouvons vous montrer des DVD sur les contrôles opérés à l'arrivage de chaque bateau, depuis la parcelle, jusqu'au chargement des cales et au nettoyage.

Mme Chantal Jaquet - Nous pouvons vous communiquer tous nos documents avec grand plaisir et nous répondrons à toutes vos demandes.

M. le président - Je vous remercie.

36. Audition de M. Peter Kearns, administrateur principal à l'OCDE, accompagné de M. Michael O'Borne, directeur de l'unité consultative auprès du secrétaire général de l'OCDE

M. le président - La séance est reprise.

Merci, Messieurs, d'avoir bien voulu venir nous rencontrer.

Comment l'OCDE appréhende-t-elle les OGM ?

M. Michael O'Borne - L'OCDE a été fondée en 1948 pour administrer le plan Marshall jusqu'à la fin des années 1950 et regroupait essentiellement les pays européens, les Etats-Unis et le Canada, dans le cadre de la coopération internationale et de l'aide à la reconstruction de l'Europe. Les dix départements composant l'OCDE correspondaient aux dix ministères que compte chaque gouvernement.

L'idée était que les fonctionnaires se réunissent, échangent des informations sur les programmes et leurs approches et étudient les possibilités d'harmonisation ou de transfert de leurs pratiques. Il s'agissait donc d'une sorte de conférence permanente des gouvernements.

L'organisation actuelle date de 1960. C'est à cette époque qu'elle a accueilli de nouveaux membres comme l'Australie, le Japon, la Corée, le Mexique et la Nouvelle-Zélande. L'OCDE regroupe aujourd'hui 30 pays. Récemment, la Chine, le Brésil et la Russie se sont associés de manière plus structurée.

Le sujet que je vais traiter dans un instant est donc important pour cinq ou six pays de l'OCDE qui sont producteurs ou utilisateurs de biotechnologies, par exemple dans le domaine de la santé.

Que faisons-nous et qui décide du programme de travail ? Les gouvernements sont-ils contraints ou non de suivre nos recommandations ? Dans tous les domaines, les projets sont suggérés par les pays membres.

Les pays membres suggèrent que le secrétariat général de l'OCDE étudie tel ou tel problème dans les 30 pays membres. Le secrétariat décide d'une méthodologie pour dresser un inventaire sur le sujet, présente les données de manière harmonisée, et procède parfois à des suggestions de travaux basés sur l'analyse de l'inventaire.

Il existe une centaine de comités différents -agriculture, sciences, technologies, éducation, etc. Le fait qu'un comité accepte de mettre un programme de travail à l'ordre du jour est déjà un acte politique.

Le secrétariat général compte quelque 1.500 personnes. Les ambassadeurs auprès de l'OCDE constituent en quelque sorte le conseil d'administration de notre organisation.

En France, c'est le secrétariat général du Quai d'Orsay qui envoie des messages et des instructions pour que la France intervienne au sein de l'OCDE.

C'est ainsi que le sujet de la sécurité alimentaire a été proposé par la France, la Belgique et l'Italie il y a trois ans.

Les discussions sur l'ADN recombiné entre les pays industrialisés ont débuté en 1982. Un groupe national d'experts a travaillé sur ce sujet. M. Kearns et moi faisions partie de ce groupe.

Chaque délégation comportait une douzaine de personnes, ce qui est rare à l'OCDE, issues des ministères de l'agriculture, de la santé, de l'industrie et de l'environnement.

Ceci a d'ailleurs posé quelques problèmes au chef de la délégation, les différents ministères ne s'accordant pas sur une approche commune.

Ce travail, aligné sur des procédures réglementaires déjà existantes, a débouché sur un texte de quelques pages.

Ce groupe s'est dissous en 1992, mais les études ont été poursuivies par d'autres groupes, dont celui de M. Kearns.

Juste avant sa dissolution, le groupe en question s'est intéressé au problème de la sécurité alimentaire et a produit un texte consensuel, aujourd'hui controversé, mais repris par Bruxelles.

Il y a 3 ans, lors de l'épidémie de fièvre aphteuse qu'a connue la Grande-Bretagne, quelques pays ont réclamé à l'OCDE un débat international sur l'évaluation des OGM. En fait, le problème porte sur les échanges et repose en fait sur deux systèmes différents d'évaluation ou de gestion du risque.

Les Etats ont alors décidé de porter la discussion au niveau socio-économique. Le texte final est un compromis important sur la gestion des risques.

Les Etats-Unis, le Canada, l'Australie et l'Argentine considéraient les procédures de mise sur le marché scientifiquement fondées. Au-delà, l'idée était d'engager un dialogue avec le public et d'utiliser le système légal comme recours.

Aux Etats-Unis, le système juridique est très différent du système européen. Les citoyens peuvent assez facilement avoir accès aux procédures. Ceci fait partie du système réglementaire de gestion du risque, mais demeure très coûteux. Le rôle de l'Etat, dans les deux camps, est donc différent et vise notamment à assurer la sécurité de tout service ou produit.

Les travaux se sont poursuivis très étroitement avec l'OMC et le Codex Alimentarius.

Le rapport est sorti il y a quelques jours et demande au conseil de l'OCDE d'approuver les observations générales.

Nous avons également travaillé avec l'Institut Pasteur, et les Britanniques ont décidé de modifier les pratiques de communication avec le public.

Si vous le permettez, je vais à présent passer la parole à M. Kearns, à propos des groupes spécialisés dans l'évaluation en matière de sécurité alimentaire.

M. Peter Kearns - J'ai aujourd'hui la responsabilité de deux groupes à l'OCDE, un groupe de travail sur l'harmonisation des surveillances réglementaires en matière de biotechnologies et un groupe d'études sur la sécurité des aliments destinés à la consommation humaine et animale.

La sécurité des OGM n'est pas un nouveau sujet à l'OCDE. Cela fait presque vingt ans que l'on s'en occupe.

Le groupe de travail, composé de délégués des ministères, qui s'occupe des questions de sécurité de l'environnement, dépend de chaque pays ; le groupe d'études est chargé de la sécurité alimentaire.

A la demande des chefs d'Etat et de gouvernements des pays du G 8, les deux groupes ont rédigé deux rapports expliquant l'histoire de la sécurité alimentaire et présentant le travail en cours.

Ces deux rapports ont été présentés au sommet du G 8 à Okinawa, en juillet 2000.

Il existe peu de différences entre les pays en matière d'évaluation des risques pour l'environnement ou pour les consommateurs.

Les problèmes apparaissent lorsqu'on aborde la gestion du risque, comme par exemple l'étiquetage, la traçabilité, etc.

La première tâche du groupe de travail a consisté à rédiger un document consensuel, comme celui portant sur la biologie de la betterave à sucre.

Lorsqu'on établit une évaluation du risque pour l'environnement, on a 18 documents identiques à celui-ci, qu'il s'agisse du maïs, du soja ou du colza.

Nous avons également une base de données sur les produits aptes à être commercialisés dans les pays membres, appelée "biotrack". On peut y trouver des informations très intéressantes sur tous les pays où le produit est autorisé.

L'OCDE a passé un accord pour établir une liste d'identifiants uniques, en particulier pour les plantes transgéniques. Il s'agit d'un code alpha-numérique à dix chiffres très simple. Ce système permet d'organiser les informations relatives à la sécurité.

M. le président - Avez-vous ou non le sentiment que, d'ici quelques années, les biotechnologies vont s'harmoniser et finir par être acceptées ?

M. Peter Kearns - Le groupe de travail a débuté ses travaux en 1994-1995. Je pensais alors que notre tâche durerait environ trois ans. C'est à ce moment, en 1997, que le sujet a explosé.

M. Michael O'Borne - Tout dépend du développement socio-économique. Certains estiment, compte tenu de la croissance des populations dans le monde et des problèmes d'alimentation, qu'il y a qu'une solution : accroître la production agroalimentaire. D'autres pensent au contraire que c'est uniquement une question de répartition.

Personnellement, je ne connais pas dans l'histoire d'exemples d'une technologie que l'on a développée et qui soit restée inutilisée -malheureusement !

La technologie s'impose par le fait que les communautés scientifiques sont plus ou moins moteurs, ainsi parfois que les différents ministères de l'industrie.

Pour la biotechnologie, le problème vient du fait que les consommateurs y sont hostiles.

Les gens sont beaucoup plus enclins à utiliser les produits pour leur santé si cela les concerne personnellement. Ils sont prêts, s'ils sont dans une situation difficile, à prendre des risques qu'un Gouvernement ne prendrait pas sans évaluation !

Dans l'alimentation, les gens ne sont pas prêts à prendre ce risque, car ils n'en tirent aucun bénéfice pour l'instant. On assure que la prochaine vague biotechnologique permettra d'y remédier, grâce à des produits comme les nutriments.

M. Peter Kearns - C'est vrai, mais un certain nombre de PVD sont en train dès développer les OGM. En Inde et en Chine, on trouve beaucoup de coton résistant aux pesticides.

M. le président - Cela signifie-t-il, au niveau de l'acceptation sociétale et des éventuels conflits à venir au niveau de l'OMC, que ce seraient plutôt les pays en voie de développement qui mettraient le sujet la table, alors que les Etats-Unis sont un peu fatigués de discuter de cela depuis quatre à cinq ans ?

M. Michael O'Borne - Il y a la Chine, mais aussi l'Argentine.

Les Etats-Unis, l'Europe et le Canada engagent également des politiques étrangères via l'aide au développement à travers l'aide alimentaire. Il y a donc plus que la question de la production locale : il y a aussi celle de la propriété intellectuelle des licences, qui sont contestées dans les pays en voie de développement, notamment en Chine. C'est extrêmement compliqué.

Si on est pour, on donne des arguments de développement et de consommation ; si on est contre, on donne très souvent des arguments contre l'environnement et contre le consommateur : les produits sont aussi chers que les produits naturels.

M. le président - Il faut aussi tenir compte de la diminution de la surface des terres arables, l'augmentation des quantités de phytosanitaires et, compte tenu de l'élévation du niveau de vie, l'augmentation des besoins des consommateurs en protéines animales.

L'évolution de la production agricole ne pourra donc se faire qu'au travers des technologies.

Cela a-t-il fait l'objet d'une réflexion globale de votre part ?

M. Michael O'Borne - Oui.

M. le président - Avez-vous des conclusions sur ce sujet ?

M. Michael O'Borne - Tout dépend de la croissance de la consommation des PVD. Ceci est suivi par la Banque mondiale des Nations-Unies. La Chine a le taux de croissance économique le plus élevé au monde -8 %. Avec une concentration dans les villes et dans les centres urbains, on a une nette augmentation de la demande en viande et en pétrole.

L'entrée de la Chine dans l'économie internationale est considérée par le plus grand nombre de nos interlocuteurs comme un événement certes risqué, mais comme un grand événement.

L'Inde arrive en seconde position et utilise plutôt les OGM pour le coton.

M. Peter Kearns - Beaucoup de produits régionaux se développent en Inde, comme le poivre vert, qui n'est pas encore commercialisé.

M. Michael O'Borne - Les centres d'excellence de ces technologies sont plus en Europe qu'aux Etats-Unis, en particulier dans le domaine pharmaceutique, alors que l'agriculture est plutôt basée aux Etats-Unis.

Je crois que c'est la politique industrielle qui est ici également en question.

On a demandé aux PVD si les arguments technologiques étaient importants pour eux et s'ils désiraient ouvrir leurs frontières à ces technologies.

La réponse des fonctionnaires concernés par la commercialisation des produits est positive mais, au niveau de la production, c'est soit le silence, soit le bémol : ils ne savent pas, il faut que ce que soit mis en relation avec d'autres sujets -propriété intellectuelle, accès aux marchés européen, américain, etc.

Ce n'est pas aussi simple que cela. A mon avis, le problème est plutôt celui des échanges et le fait qu'une dizaine de pays dans le monde sont extrêmement riches et capables d'inonder les marchés avec leurs produits. Pour soutenir le niveau de vie de ces pays, il faut continuer ce système, car personne n'est motivé pour changer cet état de choses. S'il y a une croissance globale du PNB, il y a un impact sur l'environnement extrêmement négatif.

La question de la transition entre préindustriel, industriel et post-industriel est donc très importante. Cela a pris 200 ans à l'Europe et aux Etats-Unis, et on demande à la Chine de le faire en quelques trentaines d'années, avec une masse de population beaucoup plus grande que les nôtres !

M. le président - Ne trouvez-vous pas que le fossé s'accroît entre les Etats-Unis et l'Europe sur ce sujet ?

M. Michael O'Borne - Avec l'administration actuelle, oui.

M. Peter Kearns - Aux Etats-Unis, les entreprises qui utilisent ces technologies, comme Monsanto, Pionneer, Aventis, sont très mécontentes et poussent l'administration américaine à aller devant l'OMC. La température monte en ce moment. C'est évident.

M. le président - A cause de l'existence du moratoire européen ?

M. Peter Kearns - Oui.

M. le président - Avez-vous le sentiment d'une sortie du moratoire ou non ?

M. Michael O'Borne - Je ne crois pas qu'on en sorte.

M. Peter Kearns - Pour tous les fonctionnaires européens, la situation est irrégulière.

M. Michael O'Borne - La poursuite du moratoire est sans fondement et va amener à une guerre économique. S'il y a une autre guerre en même temps, les choses se compliquent de manière extraordinaire.

J'ai été surpris que le ministre en charge du commerce, aux Etats-Unis, ait émis en public un avis sur la situation. C'est en quelque sorte de mise en garde faite à Bruxelles.

M. le président - Vous ne voyez donc pas ce sujet résolu rapidement ?

M. Michael - Il faut prendre une décision.

M. Peter Kearns - Un an peut-être. C'est très difficile. Une guerre économique serait une catastrophe. Les produits concernés ne sont pas la banane, comme il y a deux ans, mais le maïs, le soja !

M. le président - Vous estimez que la technologie ne reviendra jamais en arrière ?

M. Michael O'Borne - C'est un avis personnel. Je n'ai jamais vu cela dans l'histoire de la technologie. Tout dépend des problèmes que l'on a en face de nous. Le public, dans la plupart de nos pays, met tous dans le même panier : clonage, OGM, etc. Dans l'imaginaire du public, on joue avec le feu !

Aux Etats-Unis, il y a des groupes qui sont contre l'avortement, la recherche scientifique sur le clonage ou sur les cellules souches. Ce sont en général les mêmes. Il est intéressant de voir où est l'opposition au développement des technologies sur le vivant et où sont les intérêts. Ce n'est pas l'argument scientifique qui importe. C'est exactement le même problème avec le nucléaire.

Il faut faire un effort de dialogue important avec les gens pour les convaincre que ceci peut bénéficier à tout le monde, et pas seulement aux pays producteurs.

C'est pourquoi la position des pays en voie de développement est cruciale, mais il ne faut pas attendre grand-chose de Pékin. Ce n'est pas représentatif. On peut arriver à un consensus, mais ce sera à la marge.

Nous avons auditionné des Canadiens de Monsanto qui disaient que les Européens étaient opposés à leurs produits tant que ceux-ci n'étaient pas sur le marché, mais qu'ils concurrenceraient ensuite les autres. Les Italiens nous l'ont dit : cela nous laisse deux ou trois ans pour faire de la recherche. Ce cynisme est déconcertant !

M. le président - Vous avez le sentiment que les Américains le perçoivent comme tel ?

M. Michael O'Borne - Cela dépend des personnes.

M. le président - Mais au niveau du G 8 ?

M. Michael O'Borne - Les Américains ne veulent pas toucher à ce problème soit de l'agriculture. Bush a donné aux fermiers américains 15 milliards de dollars de subventions !

M. le président - 151,5 milliards de dollars sur dix ans.

M. Michael O'Borne - Ce n'est pas rien !

Nous traitons aussi avec les associations industrielles, qui sont évidemment pour l'utilisation de ces produits, mais qui sont beaucoup plus intelligentes que les gouvernements, car beaucoup plus sensibles au fait que, s'ils n'ont pas le consommateur derrière eux, ils n'ont rien !

Il ne faut pas pousser les gouvernements à accepter quelque chose qui, par la suite, ne serait pas accepté par la société.

Il est donc essentiel d'engager les industriels dans la discussion avec le public, car ils sont en première ligne.

M. le président - Ceci dit, la discussion qu'avait engagée Monsanto n'avait pas été pertinente.

M. Michael O'Borne - Monsanto a d'ailleurs fait quasiment faillite. Ils ont vendu la partie la moins intéressante de la compagnie qui était engagée dans cette campagne, et ils ont licencié les personnes qui avaient été chargée de la communication. Ils ont considéré cela comme un désastre.

M. le président - Vous êtes malgré tout confiant quant à l'avenir de Monsanto ?

M. Michael O'Borne - Ils ont des problèmes avec un de leurs produits les plus populaires, le Round up.

M. Peter Kearns - Monsanto est actuellement en difficulté.

M. Michael O'Borne - L'action en bourse a chuté après cette affaire. Ils ne sont plus en première ligne. Ce sont les compagnies pharmaceutiques qui le sont.

L'OCDE, l'année prochaine, va organiser une rencontre sur la "bio économie". Ce sera une grande foire d'idées où l'on fera venir les pour et les contre, les gens de l'environnement, les industriels, etc. pour confronter les points de vue en exposant les arguments économiques en faveur de l'utilisation de ces technologies et les arguments contre.

Nous devons essayer de parvenir à un consensus entre le Japon, les Etats-Unis et l'Europe. Il y a des risques, mais aussi des bénéfices à tirer. Il faut faire en sorte d'assumer ces risques et ces bénéfices si nos sociétés veulent conserver leur niveau de vie et l'étendre à d'autres pays. C'est cela, la grande question.

Les politiques n'aiment pas entendre ce genre de discours, car il faut prendre position -et ils ne le veulent pas.

Nous opérons suivant le principe du Vatican : si vous n'êtes pas l'auteur de quelque chose, vous pouvez faire accepter cette chose.

Notre rôle est d'informer et de trouver le consensus sans prendre position en tant qu'organisation. Ce sont les pays membres qui peuvent le faire. Ils sont d'ailleurs furieux à juste titre si le secrétariat se prête à ce rôle.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Comment les Etats membres ou d'autres partenaires peuvent-ils servir de relais et faire passer ce message auprès de la société ? Seriez-vous près à un partenariat et sous quelle forme ?

M. Michael O'Borne - Oui, tout à fait. Nous sommes en train de mettre sur pied une rencontre afin de permettre aux différents groupes de discuter et d'arriver à un consensus sur les options à retenir. Il faut procéder à cet échange pour maintenir le niveau de nos sociétés et assurer le même niveau aux autres sociétés. Je crois que c'est la seule pression, à moyen terme, qui soit utile.

Si on aborde l'impact sur l'environnement, on entre dans un autre type de discussion, qui tourne autour du principe de précaution. C'est un terrain miné. Chacun a une opinion, fondée sur les informations qu'il reçoit.

Nous sommes prêts à engager des partenariats avec des gouvernements, des consortiums de producteurs d'OGM et avec l'industrie, mais il faut le faire avec les trois ensemble. On ne peut le faire uniquement avec l'industrie ou uniquement avec les producteurs d'OGM. Cela ne sert à rien.

M. le rapporteur - Je suis surpris de ce que vous avez dit à propos du moratoire, qui pourrait durer plus longtemps que ce que l'on imaginait. Qu'est-ce qui vous fait dire cela ?

M. Peter Kearns - Mon pessimisme naturel !

M. Michael O'Borne - Et vous, pensez-vous que cela dure ?

M. le rapporteur - On a une occasion, avec le débat sur l'application de la directive européenne, de relancer le débat, et le moratoire plane au-dessus de ces interrogations. Si on ne réussit pas à faire pression pour le lever, on l'a pour la vie !

M. Michael O'Borne - A vrai dire, nous ne suivons pas cet aspect des choses, qui relève du département de l'agriculture de l'OCDE. Comme vous pouvez l'imaginer, les discussions sont très politisées par les comités "agriculture". On n'obtiendra pas d'idées nouvelles sur ce sujet de la part de nos collègues de l'agriculture.

M. le rapporteur - Quels pays vous semblent prêts à réaliser des avancées, notamment en Europe ?

M. Michael O'Borne - Cela dépend. Le Gouvernement italien est assez neutre sur l'affaire, mais les différents groupes industriels sont plus positifs, surtout dans le Nord.

Il y a également la Pologne et la Hongrie, qui font partie de l'OCDE. Je dirais que l'opposition la plus acharnée se trouve en Angleterre, en France et en Belgique.

Autrefois, on avait aussi les Pays-Bas, mais cela a changé. Il y a également l'Allemagne, mais la situation politique est très difficile.

M. Peter Kearns - Le Gouvernement anglais est très positif.

M. le rapporteur - Vous avez laissé entendre qu'il était important de savoir à qui pouvait profiter l'opposition aux OGM. Nous avons, nous, un partenaire qui est José Bové. Selon vous, de quoi va-t-il profiter ?

M. Michael O'Borne - Je ne connais pas M. Bové mais, pour moi, c'est un politique très habile. Il représente un courant qui est présent dans tous les pays, Japon inclus.

Il a un sens des médias exceptionnel, même si les idées qui sont derrière ne sont, elles, pas aussi exceptionnelles. C'est une sorte de commando.

J'en ai vu aussi aux Etats-Unis. Il y a des groupes beaucoup plus violents que lui, mais qui n'utilisent pas les médias de la même manière. Ils sont réprimés et personne ne le sait.

Je crois qu'il y a une tradition radicale en France et en Europe qui met ce genre de personne en lumière.

Je ne crois pas qu'il soit très influent, d'après ce que je vois. Il peut réunir quelques milliers de personnes mais, en fin de compte, ce n'est pas beaucoup.

M. le président - Il a malgré tout déterminé un mauvais climat, qui est négatif.

M. Michael O'Borne - C'est astucieux si on est dans cette situation, mais cela ne contribue pas faire avancer la société.

M. le président - Nous sommes sûrs qu'il nous retarde, et je crois qu'il aura eu un effet très négatif sur l'évolution de l'agriculture française et européenne.

Son implication aura contribué insidieusement à diminuer les seuils qui ont été négociés récemment dans l'Union européenne, qui vont entraîner des coûts supplémentaires d'analyses, etc.

Nous revenons des Etats-Unis. On a bien vu que le seuil de 0,9 % n'était pas accepté. Les agriculteurs américains sont assez ouverts à la notion de seuil et d'étiquetage, mais ils considèrent le seuil trop bas et techniquement difficile à réaliser.

M. Michael O'Borne - Il n'est d'ailleurs pas bien fondé scientifiquement.

M. le président - Il fallait trouver un consensus.

M. Michael O'Borne - Il y a des choses beaucoup plus dangereuses que cela dans tous nos pays, comme le nombre de morts sur les autoroutes -personne ne le conteste d'ailleurs.

M. le président - Avez-vous le sentiment que les phytosanitaires vont devenir dans les années qui viennent un sujet très lourd qu'il faudra régler malgré tout, sous peine d'entraîner des dégâts ?

M. Michael O'Borne - Les phytosanitaires sont un principe politique plutôt que scientifique. Cela va être difficile et utilisé de plus en plus.

M. le président - Vous trouvez les phytosanitaires scientifiquement fondés ou non ?

M. Michael O'Borne - Oui. En dernier lieu, si la population ne croit pas à la sécurité, on peut invoquer ce principe. C'est en quelque sorte une porte de sortie en cas de problèmes.

C'est pour cela que nous avons cru, lors de l'adaptation de ce projet, qu'un des buts intermédiaires serait d'avoir une institution réglementaire pour toute l'Europe, afin que les pays puissent traiter entre eux au lieu de traiter avec chaque agence.

Les Américains voulaient une agence européenne -ce que proposait M. Chirac.

Pour des raisons que je comprends mal, cela n'a jamais été avancé sérieusement. L'Angleterre a fondé par la suite sa propre institution.

M. le président - J'ai l'impression qu'il y a une réflexion à l'échelle européenne sur les phytosanitaires...

M. Michael O'Borne - Il y a une réflexion, mais pas encore d'harmonisation des seuils sur tous les produits.

C'est pourtant rationnel. Cela permettrait d'éviter d'avoir à le faire pays par pays, ce qui est très cher, mais c'est politique. Il s'agit de développer une autre fonction à Bruxelles. C'est pour cela qu'il y a des résistances.

M. le président - Merci.

37. Audition de M. Philippe Kourilsky, Professeur au Collège de France, membre de l'Académie des sciences, Directeur général de l'Institut Pasteur, co-auteur du rapport sur « Le principe de précaution »

M. Philippe Kourilsky - Je suis l'auteur, avec Mme Viney, d'un rapport sur le principe de précaution publié il y a trois ans. Donc ce rapport commence à dater, mais il est le fruit d'un effort pour approfondir les concepts. Mon domaine d'expertise, c'est l'immunologie moléculaire, donc je dois avouer une compétence limitée en matière d'OGM végétaux.

Pour en revenir au rapport, je voudrais rappeler que le premier ministre l'avait demandé parce que je m'étais préoccupé des malentendus entre les scientifiques et la société. Concernant le principe de précaution, l'essence du rapport, c'est de dire que ce principe est trop souvent compris comme un principe d'abstention, alors qu'il doit s'entendre comme une démarche particulière demandant des modes d'actions particuliers dans un contexte d'incertitudes. Finalement, ce rapport appelle à un transfert : il s'agit de compenser l'incertitude par une rigueur d'autant plus grande du côté des procédures. Le public espère le risque zéro mais il comprend qu'il n'existe pas. Ce qu'il refuse, c'est que les choses soient floues et que les décisions soient mal justifiées.

L'intérêt d'un suivi sous un angle résolument procédural, c'est d'affranchir les acteurs de la judiciarisation. Derrière le principe de précaution, il est certain qu'il existe une philosophie d'abstention. Le mouvement écologique, au sens social, recouvre des tendances diverses au sein desquelles on trouve des abstentionnistes qui voudraient ralentir le progrès. C'est la logique du moratoire. Cela touche à une certaine conception de la nature. Par exemple, on a dit que la nourriture des vaches avec des farines animales, ce n'était pas naturel. Mais on pourrait dire, de la même manière, qu'un médicament n'est pas naturel, et, plus généralement, on peut remarquer que tout le développement de l'homme s'est fait grâce à la fabrication d'artefacts. En nourrissant ainsi les vaches, on coupe l'évolution darwinienne, puisque la vache est herbivore, et la sélection naturelle. Ceci est juste, et cela aurait pu alerter au sens de la précaution et conduire à s'interroger plus sur le mode de préparation de ces farines. Mais quand on dit que ce n'est pas naturel, on reproche de transgresser la nature. Mais cela est étrange, car cette transgression, au fond, est fréquente, et heureusement.

Donc Mme Viney et moi-même avons décliné les procédures, dont certaines sont de l'ordre de la pure hygiène intellectuelle. Et plusieurs de ces procédures ne sont pas suivies. Je pense notamment à la comparaison des scénarios. Il faudrait se poser la question de savoir : les OGM sont-ils plus ou moins dangereux que l'alimentation actuelle (on parle peu des pesticides qui existent sur les salades), au lieu de poser la question : est-il dangereux de manger des OGM ? De même, une autre procédure, c'est d'associer les analyses économiques à toutes les démarches réglementaires. Par exemple, la réduction de la norme du plomb de 25 à 10 unités a eu un coût pharaonique de dizaines de milliards d'euros.

Globalement, il s'agit d'inscrire l'ensemble des démarches dans une démarche qualité qui passe donc par une identification des procédures, leur explicitation et la preuve qu'on les respecte. C'est-à-dire finalement d'ériger deux principes, qui sont la transparence et la traçabilité. La transparence a deux aspects : c'est à la fois libérer de l'information et assurer la lisibilité de l'organisation. Transparence et traçabilité, ce sont deux attributs inhérents de la démarche qualité et qui sont réclamés à corps et à cris par le public, à raison.

Concernant plus spécifiquement les OGM, permettez-moi de faire quelques remarques. On ne peut plus dire aujourd'hui que les OGM sont dangereux pour l'alimentation. Aucune donnée scientifique ne permet de le dire, puisque les Etats-Unis constituent un terrain d'expérience à grande échelle depuis 15 ans qui n'ont rien montré. Les OGM sont plus logiques que les méthodes conventionnelles qui sont aléatoires, puisque l'hybridation génétique chahute les génomes. La technique OGM est plus précise que la méthode conventionnelle et permet de savoir ce que l'on fait au nucléotide près.

Deuxième remarque que je voudrais faire, c'est qu'à l'évidence il existe des flux d'OGM dans l'environnement. Donc il faut se poser la question écologique. On a découvert les flux de gènes grâce aux plantes transgéniques, les premières ayant des marqueurs faciles à suivre. La conclusion, c'est que tous les gènes fuient, ce qui est peu rassurant d'ailleurs. La génétique, c'est donc la science de l'instabilité, ce qui est beaucoup moins confortable que ce que l'on imaginait auparavant. Donc, à chaque division cellulaire, il y a une mutation génétique, ce qui d'ailleurs est à l'origine des cancers. On voit donc là l'entrée du hasard sous une forme scientifique dans la science et dans les consciences. La génétique est donc une science de l'incertitude, et cette découverte de l'instabilité est très difficile à gérer. Mais ce n'est pas une raison pour faire n'importe quoi.

Je voudrais aussi insister sur la pondération dans la mesure des risques pour une autre raison. Si les risques sont mal évalués et cosmiques, on peut prétendre avoir le droit à l'ingérence et ne pas suivre la loi. On a le droit de faire ce que l'on veut, si on laisse les autres le faire. La surévaluation des risques est porteuse d'intolérance et elle accrédite une fausse notion de crédibilité.

Je voudrais dire aussi combien je suis frappé par l'impact des mouvements ayant entouré les OGM. Ces mouvements ont réussi à tuer une grande partie de la recherche en France et en Europe, je pense notamment à l'INRA, bien implanté en milieu rural. En raison de cette osmose locale, les troubles extrémistes anti-OGM ont dissuadé de chercher sur les OGM, et l'espace de recherche sur les plantes génétiquement modifiées a été largement laissé en friche. C'est un gros problème, d'autant que la France et l'Europe vivent largement sur l'agriculture. Or, les OGM vont donner des produits de grande qualité. Les plantes les plus importantes pour l'alimentation ont été séquencées. Maintenant des efforts sont faits pour les améliorer et 95 % de cette recherche est faite hors d'Europe aujourd'hui. Cette situation peut être très nocive. Pour le maïs, le coton ou le soja transgéniques, ce n'est pas un problème. Mais il est malheureux que l'affaire sur les OGM ait démarré avec les produits de première génération, parce que c'est un arbre qui cache la forêt. En fait, il existe très peu d'entreprises de start-up de biotechnologie qui travaillent sur le végétal. Nous sommes en train de construire notre dépendance par rapport aux Etats-Unis et par rapport à la Chine. Cela ne veut pas dire qu'il faut refuser le bio, mais il ne faut pas pour autant lâcher l'agriculture technologique.

Au plan réglementaire, je voudrais retracer un peu l'historique qui remonte au début des années 1970. En 1972, a lieu la première recombinaison génétique in vitro. En 1974, les scientifiques se sont imposés un moratoire et ce moratoire a été levé un an plus tard, en 1975, à la conférence internationale d'Asilomar sur les manipulations génétiques. Il a été levé en fixant des conditions de sécurité, et c'est là je crois le premier exemple de l'application du principe de précaution, qui était un terme inutilisé à l'époque. Comme les risques étaient effectivement inférieurs à ceux qui étaient craints, on a diminué les conditions de sécurité, et progressivement le domaine de la santé a été affranchi du doute, contrairement au domaine des végétaux et au domaine de l'environnement. Il est vrai que, pour la santé, les résultats d'amélioration sont immédiatement perceptibles.

A la fin des années 1970, les Etats-Unis ont décidé d'accorder une priorité aux biotechnologies. Il existait des risques potentiels mais ces risques étaient maîtrisables, donc ils ont décidé d'aller de l'avant. Et, de cette époque, date aux Etats-Unis une priorité très forte sur les développements des sciences de la vie dans le domaine de la santé et dans le domaine du végétal, ce qui a conduit à des investissements considérables. Le budget du National Institute of Health (l'INSERM américain) a été doublé en sept ans pour atteindre 23 ou 27 milliards de dollars par an, ce qui représente en fait une augmentation annuelle de 10 ou 20 instituts Pasteur chacune. En Europe, les directives ont été prises à partir du présupposé que les OGM étaient dangereux. Les directives de 1990 ont fait l'objet d'une tractation au Parlement européen, juste après les élections de 1989 qui avaient envoyé des députés écologistes à Strasbourg, lesquels, en position d'arbitrage, ont demandé l'arrêt de toute manipulation génétique. Donc, il s'agissait d'un compromis politique qui a renforcé la dangerosité au lieu de la relativiser et, parallèlement, les opinions publiques nationales ont accru leur pression.

Finalement, tout cela a concordé pour jouer en faveur des Etats-Unis et beaucoup de financiers ont investi aux Etats-Unis, ce qui a renforcé le potentiel américain. Il s'agit d'une problématique à la fois nationale et européenne. Je relèverais que le budget du sixième PCRD c'est 17 milliards d'euros pour cinq ans, et pour toutes les sciences. Donc, les financements européens qui viennent d'être adoptés ne sont absolument pas de nature à compenser quoi que ce soit, ce qui justifie ma grande inquiétude.

Dans la réglementation actuelle, on inclut sous le terme d'OGM tout bricolage génétique, or ces bricolages peuvent être de deux natures, soit on rajoute un gène à une plante, soit on lui en enlève, ce qui n'est pas pareil. Faire une ablation c'est faire un mutant de perte, c'est à dire une perte de fonction, donc c'est beaucoup moins risqué. Et le fait que le terme OGM regroupe ces deux bricolages génétiques bloque encore plus le domaine de la recherche.

M. le président - La directive 2001/18 doit-elle revoir ce classement ?

M. Philippe Kourilsky - Il existe des OGM « SAGE », c'est à dire sans addition de gènes extérieurs.

J'en viens maintenant à la communication avec le grand public. Tout cela a laissé des empreintes médiatiques qui sont maintenant extrêmement fortes. Je crois qu'il aurait fallu déjà rebaptiser les OGM. Ce nom étant aussi désastreux que celui de manipulation génétique. Il faut démystifier les mutations génétiques, évoquer par exemple leur impact sur les modifications de nos propres gènes, etc. Je crois que les OGM vont suivre le sort qu'ont connu les surgelés il y a 20 ans. C'est à dire que, finalement, ils vont retrouver la popularité en se banalisant.

Mais le problème central c'est le retard de la recherche, qui ne peut être rattrapé qu'en investissant et en protégeant les expérimentations. Donc, il faut dissocier le problème scientifique et le problème de sociologie des agriculteurs. C'est sûr, ce sont les petits qui vont perdre et pas de la manière qu'ils croient. Je suis inquiet de voir se développer l'autocensure. Ainsi, l'INRA, qui avait créé un melon transgénique en 1996, qui ne pourrissait pas, a enterré ce projet. Je crois qu'à l'OMC aussi les combats que nous menons apparaissent protectionnistes aux Etats-Unis, car l'Europe n'arrive pas à objectiver les risques que représentent les OGM.

Et puis je voudrais souligner le problème politique qui existe pour la France et l'Europe. Nous exportons notre crainte à l'égard des OGM aux pays en développement, ce qui les empêche d'utiliser les outils OGM et je crois que c'est moralement peu acceptable parce que cela les prive d'outils qui pourraient servir leur développement.

38. Audition de M. Guy Le Fur, membre du Conseil économique et social, ancien porte-parole de la Confédération paysanne, co-auteur du rapport « La France face au défi des biotechnologies : quels enjeux pour l'avenir ?»

M. Guy Le Fur , entendu par la Mission d'information, a souhaité acter son audition par la communication de la déclaration dont le texte suit :

« Le vivant, au sens large du terme, a été longtemps exclu du champ du brevet par une jurisprudence qui s'en est tenue au principe de base que «puisque c'est vivant, ce n'est pas brevetable». A partir de 1980, cet adage de bon sens s'est peu à peu détourné de ce principe pour entrer dans la sphère du droit à l'appropriation et de la marchandisation du vivant. Cette offensive juridique est menée mondialement par les grandes transnationales des biotechnologies, pour lever cette exception. Jusqu'à cette date, les gouvernements français successifs ont joué la carte de l'ambiguïté, affirmant d'un côté sa répugnance sur la prise de brevets sur le vivant et, de l'autre côté prenant des initiatives visant à favoriser l'approbation du vivant : le cas de la transposition de la directive 98/44 CE dans le droit français en est un exemple controversé.

Le vivant étant exclu de la brevetabilité, il a fallu un nouveau mot pour décrire ce que l'industrie voulait breveter. C'est ainsi que la directive 98/44 emploie quarante-trois fois le terme de « matière biologique » pour les micro-organismes, plantes, séquences d'ADN,... Le projet de loi relatif à cette transposition, définit comme matière biologique : les informations génétiques qui se reproduisent ou peuvent être reproduites dans un système biologique.

Il aura fallu dix ans de négociations entre le Parlement européen, la Commission et le lobby des biotechnologies [EUROPABIO appuyé par l'organisation d'une manifestation avec des handicapés moteurs portant des tee-shirts sur lesquels était marqué : «Patents for life» (des brevets pour la Vie)], ainsi que trois présentations du projet au Parlement pour que la directive 98/44 soit votée le 6 juillet 1998 malgré l'opposition de nombreux députés européens. A cette date et, selon nos informations, seulement six états membres l'avaient transposée dans leur droit.

Le nom donné par la Commission européenne à la directive 98/44 est «directive relative à la protection des inventions biotechnologiques». Cette dénomination est là pour insister sur le caractère, non évident, d'inventions pour placer cette directive dans la lignée historique du droit des brevets en occultant les ruptures avec les principes de ce droit. Dans les faits, ce sont aussi des découvertes que la directive permet de breveter. Sous l'influence des industriels de la chimie et de la pharmacie, il a été décidé que l'on pourrait déposer un brevet sur une molécule et non plus sur le procédé qui permet de la synthétiser. C'est en totale contradiction avec les principes du droit des brevets.

Pour la Confédération paysanne : nous demandons, de manière très claire, l'interdiction de la brevetabilité du vivant et la reconnaissance du vivant comme patrimoine inaliénable et commun de l'humanité. Aucune firme ne peut s'approprier ou pirater les gènes ou séquences de gènes. Il est indispensable d'obtenir l'interdiction ou l'exclusion du champ des brevets l'ensemble du vivant.

Selon nos pouvoirs publics, la France aurait pris au moins trois années de retard dans le développement des biotechnologies vis-à-vis des États-Unis et du Japon notamment, et qu'il convient aujourd'hui d'adopter cette directive (sous-entendu donnons à nos scientifiques et industriels des outils leurs permettant de développer des stratégies de propriété intellectuelle et d'investissement dans ce secteur).

Cette situation n'engage en rien la mise en place d'un véritable débat. Sujet qui intéresse et interpelle la société. Dans le cadre de la campagne co-menée avec Agir Ici, Solagral, Greenpeace et une quarantaine d'autres organisations : plus de 30.000 personnes ont écrit à leurs députés et au Premier ministre leur demandant l'abrogation et la renégociation de cette directive. A cette date, près de 200 députés français nous ont répondu : une grande majorité se sont dits inquiets et attentifs par les termes et la portée de cette directive, d'autres députés et groupes politiques demandent un débat lors de sa transposition ou la rejettent en l'état actuel. Le rapport(1) présenté par Alain CLAEYS recommandait : une réflexion sur le statut du vivant et l'organisation d'un débat au Parlement sur la brevetabilité du vivant.

Gènes humains .

L'article 5 de la directive 98/44 comporte deux alinéas. Le premier énonce qu'un élément du corps humain n'est pas brevetable. Le second qu'un élément isolé du corps humain, même s'il est identique à un élément naturel qui préexiste (donc si cette «invention biotechnologique» est une découverte !) est brevetable. Plusieurs personnes se sont émues de cet article. Le projet de loi, par le biais des révisions des lois bioéthiques, permettra d'exclure les brevets sur les gènes humains. Cependant, à supposer que cette distinction soit juridiquement prise en compte, elle sera aisément contournée : au lieu de breveter le «gène humain», on brevettera le «gène simien ou bactérien» correspondant et le tour sera joué.

Le privilège de l'agriculture. La directive prévoit de réserver le droit aux agriculteurs de garder le grain produit une année pour le ressemer l'année suivante. Les juristes appellent cette disposition le «privilège de l'agriculteur». C'est une illusion pour plusieurs raisons :

- Tout d'abord, avec les OGM et des constructions génétiques comme Terminator qui permet de stériliser les graines récoltées par le paysan, le privilège invoqué ne vaut rien et une poignée de semenciers contrôleront l'amont de la chaîne alimentaire.

- Les semenciers exigent de plus en plus, sous une forme contractuelle, prenant ainsi le pas sur la disposition «humaniste» de la directive, que le fermier leur revende l'intégralité de leur production afin qu'ils la vendent. Ici encore, les semenciers court-circuitent les paysans et se placent en amont de la chaîne alimentaire mondiale.

Appeler « privilège » un droit généreusement concédé à l'agriculteur pourrait vite devenir demain un privilège ayant mauvaise presse et permettant de critiquer les privilégiés. En fait, ce sont des monopoles pour les entreprises et une exclusion de ce droit pour nous tous que la directive entérine et pas des privilèges généreusement donnés à des privilégiés. Il est également utile de souligner le revirement des positions de certains groupes et d'organisations professionnelles spécialisées sur la semence qui clament haut et fort qu'ils sont eux-mêmes contre les brevets (GNIS, BIOGEMMA et autres obtenteurs comme DESPREZ).

Néanmoins, des marges de manoeuvre politiques existent pour s'opposer à la transposition de cette directive et demander sa renégociation au niveau européen.

Nous estimons qu'il n'est pas acceptable que les entreprises puissent finalement s'approprier, par des brevets de produits, des éléments de la nature. Peut-on réellement croire que cette Directive aura pour simple fonction de stimuler l'innovation et le partage des connaissances ?

Nous appelons à soutenir toute initiative politique permettant d'engager un réel débat sur le droit de délivrer des brevets de produits sur les éléments naturels. Le Gouvernement peut-il faire abstraction de questions éthiques aussi fondamentales et se limiter à une simple transposition de fait et ce, parce que l'Europe oblige les États membres à s'y soumettre ?

Nous demandons un examen plus approfondi sur les libertés de fonctionnement dont jouit l'Office Européen des Brevets (OEB). Une quantité croissante de brevets passe, en effet, par lui. Alors que quelques États ont transposé cette directive 98/44, les autres la contestant plus ou moins ouvertement, les administrateurs de l'OEB, qui sont les États, ont outrepassé leurs droits et leur compétence réglementaire en incluant le contenu de la directive 98/44 dans le règlement de l'OEB comme le reproche aussi l'Académie des Sciences. Comme le mentionne le rapport de M. CLAEYS, il convient également de mieux contrôler les activités de l'OEB «cette instance, qui n'est pas une institution de l'Union européenne, jouit d'une large indépendance sur le plan administratif».

A la seule logique des brevets, nous demandons de privilégier les Certificats d'Obtention Végétale. La création des Certificats d'Obtention Végétale (COV), en 1961, était une « reconnaissance du droit des semenciers ». Un COV nécessite que la plante, en plus d'être nouvelle, soit :

- Distincte : la variété doit être distincte de toute autre variété dont l'existence est notoirement connue des examinateurs,

- Homogène : les semences doivent être suffisamment homogènes dans l'expression de leurs caractères,

- Stable : elle doit rester inchangée à la suite de multiplications successives (en général, on doit le tester sur trois générations).

Un COV n'est donc pas un monopole, comme un brevet, puisque ce titre de propriété ne permet pas de bloquer la circulation de l'information. On pourrait dire que c'est un droit ouvert, à l'opposé du brevet. Ce système des COV freine, dans une certaine mesure, le partage des connaissances par l'appropriation mais, au moins, il ne menace pas de bloquer les échanges comme celui des brevets. Les COV forment une des réponses possibles aux brevets, en plus de la solution que nous préconisons d'une interdiction pure et simple de toute appropriation du vivant.

Recommandation finale

L'acceptation des brevets sur le vivant est bien un choix politique qui ne fera que renforcer les plus puissants par rapport aux plus faibles. Si l'on veut continuer l'industrialisation de l'agriculture, on pourra envisager de réfléchir sur la base des COV, à condition que le droit de tous (et pas seulement les chercheurs ou les paysans) de garder le fruit du vivant soit positivement garanti et que les techniques de stérilisation (biologiques, contractuelles, légales, réglementaires...) soient interdites.

Compte tenu de l'antériorité, en particulier des États-Unis, sur les biotechnologies et sur les brevets en général, selon nous, aucune entreprise européenne ne pourra développer le moindre produit sans se voir accusée d'enfreindre un brevet américain (voir l'exemple récent de Myriads Genetic sur les diagnostics de dépistage du cancer du sein).

L'exception du vivant du champ des brevets que nous demandons pourrait également s'inscrire dans le prolongement de l'avis du comité international de bioéthique de l'UNESCO, reconnaissant le génome humain « Patrimoine de l'Humanité ». Au terme de cet avis « un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence partielle d'un gène, ne peut constituer une invention brevetable ».

Il convient aujourd'hui d'étendre ce principe à l'ensemble du vivant et de ses composantes. »

39. Audition de M. Hervé Le Meur, Président d'OGM Danger

M. Hervé Le Meur - L'association que je préside, OGM dangers, considère que les OGM sont porteurs de dangers multiples. Concernant les aspects environnementaux, si l'on veut que coexistent cultures avec OGM et cultures sans OGM, il faut impérativement changer les pratiques agricoles. Tenir un seuil dans une même région est impossible. Et même si les OGM ne présentaient aucun risque alimentaire ou environnemental, le seul fait que la technologie transgénique soit hégémonique devrait suffire à l'interdire !

J'ai deux critiques à formuler à propos du rapport publié par l'Union européenne qui concluait tout de même à l'irréversibilité des contaminations et portant sur la possibilité de la coexistence de filières OGM et conventionnelles dont on a beaucoup parlé. En premier lieu, il suppose que le coût de la coexistence devrait être supporté par les agriculteurs y compris par les membres de la filière non-OGM, ce qui est proprement scandaleux. Ensuite, le discours qui se fonde sur le respect éventuel de seuils est malhonnête : un seuil n'a de sens qu'à un terme donné ; même le seuil de 99,9 % sera enfreint à un moment ou à un autre ! En réalité, la question du seuil est annexe, la contamination est un phénomène naturel.

M. le président - La sélection naturelle conduit, elle aussi, au développement d'espèces résistantes...

M. Hervé Le Meur - C'est vrai, mais le développement d'espèces sur des millions d'hectares en quelques années n'est pas au rythme naturel et il faut aussi parler de la pollution. On entend beaucoup dire que la culture d'OGM permet une moindre utilisation des insecticides, et en conséquence pollue moins. Mais c'est complètement faux, car on oublie la quantité de pesticides émise par la plante, qui est 10 000, 100 000 fois supérieure ! De plus, ces émissions touchent de très nombreuses espèces dont les prédateurs bénéfiques : coccinelles, ...

J'en viens aux aspects économiques. Quelques chiffres tout d'abord. En Europe, le prix d'achat d'un kilo de boeuf est de 17 unités ; le prix de revient d'un kilo de boeuf à Abidjan est de 12 unités ; et la Commission européenne exporte en Côte d'Ivoire du boeuf à 10 unités le kilo. Ce qui veut dire qu'on achète cher au paysan européen -ce qui n'est pas illégitime en soi- un produit qu'on va vendre à un pays du sud en-deçà de son coût de revient. Tout le monde y perd, le paysan du sud comme le contribuable du nord !

Autre exemple... Les semenciers internationaux sont allés expliquer aux producteurs ghanéens de maïs que leurs maïs hybrides avaient de meilleurs rendements ; mais ces paysans n'avaient pas de quoi les acheter. Alors le FMI a prêté de l'argent, ce qui, soit dit en passant, revient à subventionner les entreprises industrielles du nord... La première année, la production a augmenté. La deuxième, les semenciers, également vendeurs de produits phytosanitaires, ont expliqué que l'usage de ces derniers accroîtrait encore la production. Là encore, le FMI a prêté de l'argent. Et les récoltes ont été meilleures. Si on s'arrêtait là, on aurait la vision progressiste des choses. Après quelques années, deux choses se sont passées concomitamment. D'une part un changement du pouvoir du Ghana n'a pas plu au FMI qui a supprimé les financements. D'autre part, les vendeurs de produits phytosanitaires, ayant intérêt à en vendre le plus possible, ont fait que les paysans avaient saturé leur terre de ce qu'ils appelait Devil's salt. Concrètement, ils ont tué leur terre par endroits sur plus de 10 cm, ce qui est énorme, surtout dans ces pays. Et derrière le discours progressiste du toujours mieux, les paysans ont vu que se profilait le pire : 1) ils étaient ruinés (mais on ne tond pas un oeuf et c'est le Fmi qui payait), 2) leur terre \'tait partiellement morte 3) ils n'avaient plus de stocks de graines et 4) ils n'avaient plus non plus la diversité qu'ils avaient avant ces hybrides de mais. Et dans cet exemple, il n'est même pas question des OGM ! Le vieux dicton « Le mieux est parfois l'ennemi du bien » n'est pas si stupide.

Un mot également des moyens qui existent pour empêcher les paysans de garder leurs semences et qui participent de cette confiscation du vivant que renforcent les OGM, sans en être les seuls défenseurs : moyens techniques, comme le trop fameux Terminator ; moyens réglementaires, en subordonnant l'obtention de subventions à l'achat de certains types de semences ; moyens juridiques au travers des brevets ; moyens conventionnels enfin, avec l'insertion dans les contrats de clauses imposant la vente des semences au semencier.

Les semenciers assurent qu'ils peuvent contrôler la diffusion des OGM, mais on a constaté au Mexique des taux tels que la contamination ne peut être due aux flux de pollens -il faut plutôt incriminer le transport par route ou par fer des récoltes voire la malhonnêteté des semenciers qui ont intérêt à ce que l'on croit qu'ils sont partout .... Et cela, comment l'empêcher ?

Mon propos est-il catastrophiste ? La question n'est-elle pas en réalité la place de la science dans nos sociétés ? Pour Descartes, le but de la science était de se rendre comme maître et possesseur de la nature. Maître ? C'est la transgenèse. Possesseur ? Ce sont les brevets sur le vivant. Après avoir asservi la matière, l'homme essaye d'asservir les principes mêmes du vivant. Telle Chronos, la société moderne dévore ses enfants. Nous sommes aussi comme Bernard Palissy qui brûlait ses meubles et ses parquets pour obtenir de très beaux plats en céramique, mais dans lesquels il n'avait plus rien à mettre. J'y vois une métaphore de nos sociétés industrielles.

M. le président -Je vous trouve excessivement critique et pessimiste ! Nous n'aurions pas été confrontés aux affaires du sang contaminé ou de l'hormone de croissance si nous avions abordé ces questions autrement. Et la rage n'aurait pas été éradiquée sans des vaccins issus des biotechnologies. Vous devriez être plus ouvert et plus positif.

Sur l'aspect économique... Comment fera-t-on pour nourrir chaque année 90 millions de bouches supplémentaires ? Tout ce qui est fait pour rendre les végétaux plus résistants à la salinité ou à la sécheresse est bénéfique aux pays du sud ! Pourquoi n'évoquer que les profits réalisés par les multinationales ? Quant à cette invention sémantique extraordinaire qu'est Terminator, ce n'est rien d'autre, après tout qu'une construction hybride, faut-il se plaindre qu'elle empêche toute dissémination dans l'environnement ?

M. Hervé Le Meur - Terminator n'est pas une construction hybride, d'ailleurs les hybrides ne sont pas biologiquement stériles ! S'ils n'intéressent pas l'agriculture industrielle, c'est à cause de l'hétérogénéité de la production ! Si Terminator permet, certes, d'empêcher des disséminations, il peut être remarqué que ce sont les chercheurs du secteur public des Sciences de la Vie qui ont travaillé à stériliser la Vie ... Belle victoire !

Quant à la mise à disposition d'OGM aux pays du sud, par le biais de la FAO ou d'autres, son seul objectif est de faire passer la pilule : le but des OGM pour le sud est uniquement de faire accepter les OGM par le Nord.

Je ne nie pas qu'il pourrait être utile de disposer de plantes résistantes aux chocs hydriques, mais la question est plutôt celle des pratiques agricoles ; il en existe qui permettent de se passer de grandes quantités d'eau. Que veut-on ? Que l'industrie nourrisse les populations ou que ce soient les populations elles-même? Pourquoi ne pas privilégier les cultures vivrières ? Les Somaliens mouraient de faim pendant la guerre, mais le pays exportait du soja en Angleterre! Cela montre que la faim n'est pas un problème de production, mais un problème de répartition de la propriété foncière, d'infrastructures ... etc. Ce sont les travaux d'Amartya Sen (Prix Nobel d'économie) qui l'ont montré si cela n'avait pas été évident. Même s'ils tenaient leurs promesses, les OGM contribueraient à renforcer les plus gros fermiers (ceux qui exportent de Somalie vers l'Angleterre dans mon exemple) au détriment des plus faibles et donc à déséquilibrer les économies locales (pour les pays du Sud). Même si les OGM ne présentaient pas de risque alimentaire, écologique, leurs risques économiques, politiques, philosophiques sont tels que nous leurs serions opposés.

M. le président - De tels risques ne sont aujourd'hui pas démontrés !

M. Hervé Le Meur - ... les gros paysans en profiteraient bien plus que les petits, et les écarts ne cesseraient de se creuser ! On l'a bien vu avec la révolution verte en Afrique !

M. le président -Le vaccin contre la rage a été obtenu par un processus de modification génétique...

M. Hervé Le Meur - Selon la définition légale (directive 90/220CE par exemple), un OGM est un « produit obtenu par une technique visant à faire ce que la nature ne peut pas faire ». Donc, on ne peut assimiler un OGM à ce que fait la nature, ni même la sélection variétale pratiquée par les paysans depuis le néolithique. Or les bactéries, les virus aussi peuvent naturellement échanger des gènes ou des portions d'ADN. Un vaccin est un virus atténué. On n'a donc rien modifié a priori en faisant un vaccin. On a juste sélectionné a posteriori un virus dans plusieurs lignées. En revanche, une tomate au gène du poisson des mers du Nord est faite a priori. On ne peut attribuer le vaccin contre la rage aux biotechnologies !

M. le président - Je ne suis pas de cet avis. Avec les biotechnologies, au lieu d'aller au petit bonheur la chance, on va directement aux gènes d'intérêt ; et on peut obtenir en laboratoire des organismes génétiquement améliorés, qu'on va ensuite industrialiser si les résultats sont probants. S'ils ne le sont pas, on ne dépasse pas le stade du laboratoire. Par rapport à la sélection variétale classique, on gagne vingt ans !

M. Hervé Le Meur - Il y a certes un gain de temps...

M. le président - Et de précision ! Et d'efficacité !

M. Hervé Le Meur - ... Non, on ne peut comparer la sélection variétale, qui est a posteriori, et la transgenèse, qui est a priori. D'ailleurs, la définition légale de l'OGM (cf. la directive 90-220) le rappelle bien : un OGM « est obtenu par un procède qui permet des choses que la nature ne permet pas. » Quant à la précision... Savez-vous que les tomates résistant au pourrissement, premier OGM commercialisé, ont été obtenues grâce à la réactivation inattendue d'un autre gène que celui qu'on avait manipulé ? Ma source est la revue « Nature ». J'appelle ça du bricolage, pas de la science ! Quand à la précision, je ne crois pas que bombarder un noyau avec un canon soit un modèle de précision. Même Agrobacterium tumefaciens insère au hasard. L'exemple de la tomate au gène inversé de polygalacturonase montre bien que l'on ne contrôle rien. Si c'était si précis, il serait bien, au moins de pouvoir le justifier ! De nombreux scientifiques disent la même chose. Ainsi, André Pichot, historien des Sciences au CNRS, conclut dans son dernier article (Esprit mai 2002) que la génétique est une science sans objet, mais qu'elle a une fonction, celle de faire tenir ensemble deux interprétations contradictoires de la notion d'hérédité (contradictions liées à celles sur la définition du gène comme l'a montré la revue « La Recherche » en décembre 2001).

M. le président - Le décryptage du génome, ce n'est pas du bricolage, même s'il peut y avoir des découvertes fortuites !

Notre législation a vieilli, il faudra bien l'amender, même si nous n'avons pas en la matière le même recul que les Américains ou les Canadiens. Et nous ne pourrons rester éternellement dans notre bulle... Vous avez dressé un tableau apocalyptique de la situation ; que proposez-vous en réalité ?

M. Hervé Le Meur - Aux Etats-Unis, on ne sépare pas les filières, donc on ne peut pas avoir de données fiables sur d'éventuelles intoxications ou morts. Le taux de décès par intoxication alimentaire y est dix fois plus élevé qu'en France...

M. le président - Ces décès sont dus à des contaminations bactériennes...

M. Hervé Le Meur - C'est vrai. Mais les filières ne sont pas séparées ! Comment savoir s'il y a eu un problème de santé publique?

M. le président - Ces contaminations n'ont rien à voir avec les biotechnologies !

M. Hervé Le Meur - Peut-être, peut-être pas... Je le répète : comment savoir ? Et puis le recul n'est que de dix ans, c'est bien peu pour faire un bilan !

M. le président - Le problème de la résistance se posera toujours, les plantes s'adaptent et mutent...

M. Hervé Le Meur - Je reviens sur les tomates résistantes au pourrissement : je n'ai pas dit qu'il y avait eu découverte fortuite, j'ai dit que l'effet obtenu n'était pas dû à la manipulation du gène visé mais à la réactivation d'un autre gène par cette manipulation... Ma source est la revue « Nature » et je peux vous donner les références exactes. Si l'on en croit André Pichot, un chercheur du CNRS, la génétique est une science sans objet, dont le seul but est de faire tenir ensemble la biologie moléculaire et la biologie des populations...

M. le président - Le décryptage du génome permet de connaître la fonction de certains gènes. Les méthodes d'insertion sont peut-être encore un peu brutales, mais la construction génétique obtenue fait l'objet de très nombreuses études. On ne peut pas parler de bricolage ! On obtient aussi des résultats inattendus avec la sélection classique ! Que faisaient les paysans autrefois ? Ils écartaient telle ligne, conservaient telle autre, sans savoir précisément pourquoi, au seul vu des résultats ! Aujourd'hui, oui, on commence à avoir des explications pertinentes ! Si bricolage il y a, c'est du bricolage de haut niveau ! Depuis les années 1960, l'agriculture a considérablement progressé ; dans les années 2000, il faut appréhender l'agriculture au travers des acquis de la science, plutôt que de développer des thèses obscurantistes !

M. Hervé Le Meur - Qualifier ceux qui critiquent d'obscurantistes quand ils ne sont pas d'accord et alors même qu'ils argumentent est .. obscurantiste. De toute façon, nous ne sommes pas opposés à la Science. Nous voulons que la Science ne se mette pas au service des puissants de ce monde, mais plutôt des petits paysans. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons invité André Pochon (paysans des Côtes d'Armor) et Marc Dufumier (INRA) pour nous dire quelle recherche était possible dans une conférence récente].

M. le président - Que proposez-vous ?

M. Hervé Le Meur - Je vais prendre l'exemple de la lutte contre la pyrale...

M. le président - Il n'y a que deux solutions : l'emploi de produits chimiques pour tuer la pyrale, ou les OGM !

M. Hervé Le Meur - Il y a beaucoup d'autres solutions ! La grande taille des parcelles, la faible rotation des cultures favorisent la pyrale. Et puis le hachage de la paille de maïs en fin de saison suffit à tuer les larves...

M. le président - Soyons sérieux ! Quel agriculteur va hacher sa paille, vu le prix que ça coûte ?

M. Hervé Le Meur - L'achat d'OGM coûte encore plus cher !

M. le président - C'est inexact ! Sans compter qu'avec les OGM, le travail de la terre est moindre. N'oubliez pas que la finalité de l'agriculture est aussi économique !

M. Hervé Le Meur - La pyrale ne pose de problème que sur une petite partie du territoire et sur cette partie, sur de faibles quantités. Et il y a des agriculteurs qui hachent leur paille !

M. le président - Le feront-ils longtemps ?

M. Hervé Le Meur - Supposons que les OGM dispensent de hacher les agriculteurs deviendront dépendants. Finalement, c'est un enjeu politique ! Quelle agriculture voulons-nous ? Moi, je préfère des petites fermes avec beaucoup de paysans aux grosses fermes avec peu de paysans...

M. le président -Ce n'est pas aussi simple ! Pour qu'il y ait des paysans, il faut qu'ils puissent vivre de leur travail, qu'il y ait un minimum de production, un minimum de rentabilité ! Les agriculteurs sont ravis d'acheter les variétés hybrides, parce qu'elles rapportent plus et qu'elles leur demandent moins de travail !

M. Hervé Le Meur - Je ne suis pas de votre avis. Il y a des maïs de pays qui, cultivés selon des méthodes biologiques, ont la même productivité que les hybrides et un taux de protéines supérieur de 30 % ! De plus, leur prix est environ 100 fois moindre ! La prétendue supériorité des hybrides n'est pas prouvée. En réalité, la dépendance aux hybrides date du plan Marshall et des semences alors fournies par les Américains à des agriculteurs dont les stocks avaient disparu. Depuis, l'INRA s'es mise au service de la domination des paysans. Il y a des maïs de pays qui, eux, ne créent aucune dépendance, et qui marchent très bien ! Imaginez où nous en serions si l'INRA avait investi dans ces variétés plutôt que dans les hybrides ! On a laissé l'industrie façonner des décisions politiques !

M. le président - Imaginez, de votre côté, ce qu'on pourrait faire avec un maïs de pays rendu génétiquement plus précoce, plus résistant, et moins gourmand en eau ! La compétitivité de nos agriculteurs augmenterait de façon sensible...

M. Hervé Le Meur - Les maïs de pays ont un autre avantage : la longueur de leur période de floraison facilite les croisements...

N'ayons pas une vision trop mécaniste des choses, la matière est très complexe ; qui sait comment fabriquer le maïs parfait ? Avant de faire le mais parfait, ne pourrait-on pas envisager de diminuer les primes PAC pour le mais fourrage qui coûtent cher aux contribuables, polluent et entretiennent la dépendance envers le soja américain ?

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Nous vivons dans une économie mondialisée, et les OGM touchent de plus en plus les consommateurs. Le besoin d'information de ces derniers est grand. Comment le satisfaire ? Que faut-il faire aujourd'hui ?

M. Hervé Le Meur - Il faut interdire tout OGM, relancer les recherches sur l'agriculture biologique, ... Il s'agit d'un problème d'allocation des ressources entre les OGM et d'autres technologies agronomiques. Il faut se poser une question simple : que gagne-t-on dans chaque cas ?

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Je m'intéresse à l'information qu'il faudrait fournir au consommateur...

M. Hervé Le Meur - Je dis ceci : si les frontières sont poreuses, si on ne sait pas comment éviter les contaminations, il faut interdire purement et simplement les OGM dans l'alimentation.

M. Hervé Le Meur - La société doit être informée de l'incidence des OGM...

M. Hervé Le Meur - Si on accepte les OGM, il est clair qu'il faut les étudier, informer, nous ne vivons pas sous la dictature des scientifiques qui, seuls, connaîtraient la vérité !

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Un semencier français propose aujourd'hui une fétuque modifiée qui résiste à la sécheresse et a un excellent rendement en protéine. S'il ne peut pas se développer en France, où le fera-t-il ? Il est là aussi question d'indépendance nationale ! Et dans le même temps, dans le sud du pays, qui souffre de la sécheresse, les paysans font des stocks de soja américain !

M. Hervé Le Meur - Fuite des technologies, fuite des capitaux... Si une entreprise ne vent pas un produit, c'est qu'une autre entreprise vend le même ou un produit similaire à sa place ; bilan macroéconomique en matière d'emploi : neutre. Et je ne pleurerai pas la disparition d'une personne morale... Et je prétends même que si l'agriculture biologique ou paysanne nécessite plus de mains, elle aide à diminuer le chômage !

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Dans le midi, il nous faut bien résister à la sécheresse ! Et si nous ne voulons pas recourir à l'irrigation massive qui pose d'autres problèmes, il faut trouver des plantes adaptées !

M. Hervé Le Meur - S'il y a tant de soja américain qui rentre en Europe, c'est à cause des traités internationaux ! Les Européens ont été roulés dans cette affaire !

M. le président - Le soja pousse mieux aux Etats-Unis que chez nous...

M. Hervé Le Meur - C'est vrai, mais il y a d'autres espèces, la luzerne, le trèfle blanc... qui ne répondent pas aux critères de l'agriculture industrielle ! Je le redis : c'est une question de choix politique !

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Dans certaines régions, les pertes en herbe atteignent 60 %. Sauf à acheter à l'étranger, il faut bien que nous trouvions une façon de limiter le risque climatique !

M. le président - Monsieur Le Meur, je vous remercie de nous avoir apporté votre éclairage sur la question des OGM.

40. Audition de M. Pierre Le Roy, Directeur de GLOBECO

M. Pierre Le Roy - Je suis plutôt spécialiste en matière de prospective relative à la production agricole alimentaire. Fils d'agriculteur, j'ai été fonctionnaire pendant un certain temps au Ministère de l'Agriculture, avant d'intégrer le monde de l'entreprise à la direction de la Banque Unigrain. Désormais, je suis Président d'une association, « Pluri-Agri », qui rassemble les grandes cultures et qui réfléchit aux questions agricoles et alimentaires. Nous publions une revue trimestrielle sur la globalisation qui s'appelle « Globéco », dont un numéro porte sur la question : « Faut-il avoir peur des sciences de la vie ? ».

Alors, a-t-on besoin d'OGM pour répondre à la demande alimentaire mondiale dans les vingt ou cinquante ans qui viennent ? Dans les discussions internationales, cet argument revient assez souvent. Comme la population mondiale s'accroît, la production agricole pourrait ne pas faire face. Les OGM seraient une réponse pour accroître les quantités produites, outre les questions de qualité d'environnement auxquelles les OGM peuvent également apporter une réponse. J'ai monté un colloque récent à Paris, Défiblé, qui réunissait les producteurs de blé mondiaux. La question que je posais tout à l'heure soulève un problème de terme exact : comment faire de la prévision, de la prospective sur 10, 20 ou 50 ans ? Les concurrents américains ont des organismes de prévision à 10 ans. Celui de l'USDA s'appelle le FAPRI (Food and Agriculture Prospective Research Institute), financé par le Sénat américain, et il apporte des prévisions annuelles chaque printemps, ce qui est une force pour le gouvernement américain dans les négociations internationales. Cela donne aux Etats-Unis un avantage en crédibilité, donc Pluri-Agri essaie de se préparer à faire un travail similaire dès 2004-2005.

Il existe aussi des travaux qui sont faits sur des horizons plus longs, je citerai notamment ceux de Philippe Collomb : « Une voie étroite pour la sécurité alimentaire d'ici à 2050 ». Philippe Collomb était un démographe qui a participé aux travaux de la FAO en 1995-1996, qui sont remarquables par leur méthode et leur crédibilité scientifique. Deux points :

1. Ces travaux s'interrogent sur l'augmentation de la production agricole mondiale nécessaire pour nourrir toute la planète en 2050.

2. Mais ces travaux ne s'interrogent pas sur le fait de savoir si la production agricole pourra augmenter d'autant et c'est cette question que j'ai voulu traiter moi-même.

Sur le premier point, la réponse globale qui est apportée est que la production agricole de 1995 aura à être multipliée par deux pour nourrir la planète en 2050. En fait, Philippe Collomb trouve un coefficient de 2,25 que j'ai donc ajusté pour les raisons que je vous expliquerai plus loin. Le travail qu'il a fait porte sur les calories végétales. En matière de démographie, les prévisions pour 2050 sont évidemment incertaines. Certains parlent de 25 milliards d'habitants comme l'avait suggéré M. Bourgeois-Pichat de l'INED, mis depuis à la porte dans les années 80. Il faut tabler sur une baisse du taux de fécondité des femmes, et pas seulement dans les pays en voie de développement. Il n'y a qu'à voir l'exemple tunisien, ou même le sud de l'Inde, où le taux de fécondité des femmes est inférieur au taux de renouvellement de nos populations. Donc la croissance de la population mondiale continue, mais beaucoup moins vite. Elle était de 90 millions d'habitants par an en 1990, elle est déjà de 70 millions par an aujourd'hui. On peut donc estimer qu'on irait vers une croissance quasi-zéro vers 2050 et, qu'à cette date là, la population mondiale avoisinerait 9 milliards d'habitants. En 1995, l'ONU était sur une prévision de 10 milliards d'habitants. Donc, globalement, Philippe Collomb estime que le coefficient de hausse en matière de démographie est de 1,72, c'est à dire une hausse de 72 %.

Le deuxième aspect sur lequel porte son travail est la structure de la population, c'est à dire le rapport entre les jeunes et les moins jeunes, puisque les personnes plus âgées mangent moins, ainsi qu'entre les villes et les campagnes, les urbains mangeant également moins. Ces deux facteurs devraient jouer à la baisse sur les besoins et donc, sur ce paramètre « structure de la population », Philippe Collomb juge que l'augmentation sera de 2 %, soit un coefficient de 1,02.

Le troisième élément sur lequel il s'est penché est la qualité de l'alimentation à laquelle il associe un coefficient de 1,28, soit une hausse de 28 %.

Ces trois aspects -démographie, structure de la population et qualité de l'alimentation- se multiplient et on arrive ainsi au taux global de 2,25.

Le facteur démographie est surévalué sans doute en raison des révisions des prévisions, c'est pour ça que j'estime que le véritable coefficient est plutôt aux environs de 2. Il s'agit de moyennes mondiales, mais si l'on affine ces prévisions entre pays développés et pays en développement et, au sein de ces derniers, entre l'Asie et l'Afrique, on arrive à des résultats sensiblement différents. Pour les pays développés, la quasi-stabilité de la production répondrait aux besoins, alors que pour les pays en développement il faudrait une multiplication de la production par 2,74, ce chiffre lui-même se décomposant pour l'Asie en un coefficient de 2,34 et pour l'Afrique en un coefficient de 5,14. Donc, la région du monde qui aura les plus grandes difficultés pour l'autosuffisance alimentaire sera l'Afrique subsaharienne. Développer l'agriculture en Afrique paraît donc la seule solution manifestement.

Sur le deuxième point, que la FAO n'a pas traité globalement, j'ai moi-même tenté une approximation en prenant la courbe de régression sur la période 1961-2001 à partir de l'évolution de la production et j'en ai dégagé une tendance sur les céréales, sur les oléagineux, sur les fruits et légumes et sur le sucre. Si l'on fait ce schéma en tirant la courbe de régression jusqu'en 2050, on met au jour l'absence de difficulté pour les productions de fruits et légumes, puisque la projection donne un doublement de la production. Pour le sucre pareil et pour les oléagineux également. En revanche, pour les céréales, riz inclus, apparaît une difficulté du fait que la croissance de la production se ralentit depuis une dizaine d'années, donc, s'il doit y avoir un problème alimentaire mondial dans les 50 prochaines années, il devrait porter sur les céréales.

Pour l'Afrique subsaharienne, la croissance la plus rapide de la production a eu lieu entre 1970 et 1990. Elle se monte à une moyenne de 2,4 % par an, alors que le double serait nécessaire.

En Asie, on serait tenté de se fier à la croissance connue de 1975 à 1990, soit 4,3 % par an grâce à la révolution verte. Mais il convient de ne pas extrapoler l'optimisme puisque cette révolution est terminée aujourd'hui. Il n'est donc pas sûr qu'il faille lever le pied sur la production agricole mondiale puisque le doublement ne va pas de soi.

Le troisième point que je souhaiterais aborder concerne les éléments qui pourraient modifier la tendance que je viens de dessiner. Une production agricole, c'est en fait une surface ou un cheptel multiplié par un rendement. Donc un des deux facteurs doit s'accroître. En matière de surface agricole, il n'est pas nécessaire d'être trop inquiet, l'érosion des sols, la déforestation ne sont pas si redoutables qu'on le dit, d'autant que des surfaces agricoles restent disponibles en Amérique du Sud. Le deuxième élément qui pourrait influer sur la production agricole, c'est l'eau. Sa quantité à l'échelle mondiale est à peu près constante, mais la question de sa répartition est très aiguë puisqu'on assiste à la raréfaction de cette ressource en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et au Sud des Etats-Unis. Mais dans quel délai et dans quelle proportion la production agricole pourrait diminuer du fait de ce manque d'eau, aucune étude n'a été faite là-dessus.

Pour en venir aux OGM, qui sont le sujet d'aujourd'hui, un argument pour leur développement est-il de dire que la production agricole mondiale en aura besoin ? Je ne le pense pas puisque apparemment le doublement de la production agricole mondiale semble possible en l'état actuel de l'agriculture, c'est à dire sans les OGM, mais que l'on n'interprète pas ce propos comme un argument pour dire non aux OGM, puisque les enjeux environnementaux de ce type d'agriculture sont à examiner aussi de très près.

M. Hilaire Flandre - L'augmentation des rendements est continue depuis 50 ans, il est donc certain que cela continuera. Mais le calcul fait par la FAO ne porte que sur les calories végétales. Or, une des tendances naturelles, c'est le passage vers une alimentation de plus en plus riche en calories animales. Donc, il faudrait revoir les calculs sachant que quatre calories végétales sont nécessaires pour la production qu'une calorie animale. Et puis, je voudrais aussi souligner un autre aspect, c'est que les OGM pourraient être utilisés afin de produire dans des conditions agricoles limites (manque d'eau, résistance aux ravageurs, etc...).

M. Pierre Le Roy - Le catastrophisme et le malthusianisme sont évidemment très présents, je vous renvoie au discours du Président Chirac à Johannesburg : « la maison brûle et nous regardons ailleurs ». Dans l'état de la planète, M. Brown semblait convaincu que la baisse de la production agricole allait accroître les prix. Le Fair Act de 1996 également reposait sur une anticipation de hausse des prix qui finalement n'a pas eu lieu, et la Chine est même devenue autosuffisante. Quant à la modification de la ration alimentaire, on peut estimer qu'elle est incluse dans les 28 % que j'ai cité plus haut.

M. Jean Bizet - Les projections sur la progression de la production agricole mondiale sont faites depuis 30 ans sur la base des progrès imputables aux intrants, phytosanitaires notamment. Or, on ne pourra plus les utiliser comme par le passé puisque j'anticipe que l'opinion pourra de moins en moins les supporter. Avez-vous intégré ce paramètre ?

M. Hilaire Flandre - Effectivement, avez-vous pris en compte la nécessité de l'usage raisonné des intrants qui s'impose de plus en plus ?

M. Pierre Le Roy - Ce qui peut jouer, ce sont en effet les contraintes sociales. Elles pourraient modifier la tendance. A cet égard, la production génétique peut jouer un rôle. Je crois tout de même qu'il conviendrait de réorienter les recherches OGM vers les pays pauvres, parce qu'aujourd'hui les opinions publiques de nos pays riches y voient une sophistication supplémentaire inutile, et d'autre part elles brandissent le principe de précaution à la mode européenne qui est un frein au développement des OGM.

41. Audition de M. Pierre Lefebvre, Président de la Confédération française des semenciers

M. le président - Je suis heureux d'accueillir M. Pierre Lefebvre qui a été directeur financier du groupe Limagrain et qui en est aujourd'hui le directeur général adjoint, en même temps qu'il préside la Confédération française des semenciers.

Je rappelle que la commission des affaires économiques a constitué cette mission d'information afin de recueillir davantage d'informations sur ce qui se présente aujourd'hui d'abord comme un problème de société, et expliquer ce que sont véritablement les OGM.

Nous avons assez largement cerné l'aspect scientifique et ce qui nous intéresse aujourd'hui est plutôt la différence entre le certificat d'obtention végétale et le brevet. Seuls les États-Unis, semble-t-il, suivent la logique du brevet, tandis que l'approche européenne est autre. Mais cette nouvelle « exception » européenne pourra-t-elle subsister longtemps ? Que dire à ceux qui s'opposent aux OGM et en contestent l'intérêt ? Que faut-il attendre, à cet égard, des OGM de deuxième génération ? Viendront-ils à court terme ?

M. Pierre Lefebvre - Je m'exprime ici en tant que président de la confédération française des semenciers et donc comme porte-parole de l'ensemble de la profession. Certains de nos membres sont des filiales de groupes américains, qui, aux États-Unis, appliquent la logique du brevet, mais il existe une position française qui exprime le point de vue de tous les semenciers.

Je considère qu'il y a urgence à trouver une solution, car nous devons nous inquiéter d'une perte de compétitivité de l'industrie française, et européenne, de la semence, du fait du blocage entraîné par le phénomène de société que vous avez évoqué. Le décalage avec l'industrie américaine s'accroît, au plan de la recherche et du dépôt des brevets qui peuvent être déposés sur les procédures et les gènes, et les Américains acquièrent de ce fait un avantage compétitif qui les mettra par la suite en position de force. Ils disposent en outre d'un marché ouvert aux OGM qui leur assure ces débouchés sans lesquels on ne peut financer de recherche.

Il certain que la fermeture des marchés européens constitue un handicap, d'autant plus que nous travaillons sur des plantes spécifiques à l'Europe et peu exportables.

Une décision européenne sur ce sujet est donc éminemment souhaitable, il faut établir des règles du jeu, car le flou actuel risque de devenir très préjudiciable à notre industrie : je dois lancer un cri d'alarme.

Nous avons exposé notre position au gouvernement qui craignait la réaction d'une opinion perçue comme hostile. Nous avons déposé des dossiers en vue d'obtenir des autorisations pour de nouveaux essais, les dossiers ont été instruits par la CGB, mais la décision n'a pas été prise à temps par le ministre compétent, de sorte que le moment des semis est passé. Les essais en cours bénéficient d'une autorisation pluriannuelle déjà accordée.

M. le président - Compte tenu de cet attentisme avez-vous envisagé de poursuivre vos recherches à l'étranger ?

M. Pierre Lefebvre - Délocaliser ? Nous n'avons pas brandi cette menace, car nous sommes des entreprises françaises, qui avons nos marchés en France, et il n'est pas facile de transférer des équipes de chercheurs aux États-Unis. Notre horizon est l'Europe et nous sommes attachés au développement de cette zone.

Nous avons en outre la conviction que, grâce à la technique génétique, il sera possible de mettre au point des variétés plus adaptées aux besoins de l'agriculture, d'une meilleure qualité nutritive, mais les avancées de plus en plus rapides dans ce domaine risquent d'être balayées si la situation actuelle perdure.

Le débat n'est pas franco-français, mais européen. L'Allemagne semble avoir compris les enjeux, comme le Royaume-Uni, tandis que certains pays, fidèles à leur vision de l'agriculture, comme l'Autriche, sont très hostiles aux OGM.

M. Hilaire Flandre - J'ai vu avec surprise dans mon journal local qu'un conseil municipal avait pris une délibération interdisant la culture des OGM sur le territoire de la commune. Il semble que des délibérations toutes prêtes circulent.

M. le président - J'ai alerté le président Delevoye sur ce point. L'inspiration vient de Greenpeace, de la Confédération paysanne, de la Ligue communiste révolutionnaire, d'ATTAC.

Mais quand est-il de la transposition de la directive 9844, affirmant que le gène n'est pas brevetable ? Ne sommes-nous pas à la frontière difficile à déterminer entre découverte et invention ?

M. Pierre Lefebvre - Nous sommes favorables au maintien de la non-brevabilité des plantes. Le certificat d'obtention végétale (COV) permet de rémunérer l'inventeur d'une variété, comme il est légitime, mais n'interdit pas, comme le brevet, l'utilisation de cette variété par autrui, ce qui est un gage de progrès dans l'étude des gènes et la fabrication de nouvelles variétés.

M. le président - Les pays anglo-saxons n'ont-ils pas pris de l'avance en matière de brevets ?

M. Pierre Lefebvre - Les États-Unis sont le seul pays où il est possible de breveter des plantes, et le brevet ne vaut que pour le territoire des États-Unis. Nous pouvons utiliser en Europe une plante brevetée sur le territoire américain.

M. le président - Avez-vous négocié avec eux ?

M. Pierre Lefebvre - Ce problème a été évoqué lors du Congrès annuel mondial des semenciers, qui s'est tenu en mai à Chicago, et où a été adoptée une motion indiquant une préférence pour le COV par rapport au brevet. Les entreprises américaines comme Dupont ou Monsanto ont voté contre ou se sont abstenues, ce qui est en cohérence avec leur droit national. L'autre motion adoptée porte sur les « amorces » qui permettent de faire détecter par des laboratoires indépendants, dans la plus grande confidentialité, la présence de variété transgénique.

M. le président - Est-il possible, compte tenu des divergences entre les États-Unis et l'Europe et des « accords » de Munich, de faire prévaloir le COV ?

M. Pierre Lefebvre - Je le crois, car, si nous ne pouvons pas changer le droit des États-Unis nous pouvons agir au sein de l'Organisation mondiale du commerce pour parvenir à un texte commun et empêcher que le brevet ne soit confiscatoire.

M. le président - Faites-vous du lobbying à Genève ?

M. Pierre Lefebvre - Nous essayons de faire passer le message.

M. Max Marest - Vous êtes le premier semencier que nous auditionnions : je vous le dis, je ne suis pas sûr que l'exploitant agricole trouve son intérêt aux OGM, qui servent le monopole des semenciers.

M. Pierre Lefebvre - Nous travaillons bien entendu pour répondre aux attentes des agriculteurs, mais aussi pour leurs clients et les consommateurs. Nous devons ainsi prendre en compte les attentes des transformateurs et des distributeurs.

Aux Etats-Unis, où se sont cultivés en 2001, 30 millions d'hectares de cultures OGM, l'utilisation des variétés résistantes aux herbicides permet aux producteurs de réduire les épandages d'herbicides, donc les coûts, en même temps qu'ils protègent mieux l'environnement et facilitent leur métier.

Lorsque l'on produit des tomates au Maroc ou en Espagne pour les commercialiser en Suède, il faut qu'elles soient transportables sans perdre leur saveur, ce qui est encore peu compatible. De nouveaux produits répondant à ce cahier des charges ne peuvent qu'être utiles aux producteurs ou aux consommateurs. Ils sont tout-à-fait conscients des avantages mais doivent avoir des débouchés. Les blocages actuels viennent des inquiétudes suscitées dans l'opinion par les campagnes évoquées ci-dessus.

Plus les applications OGM s'élargiront, plus leur acceptabilité sera facilitée. Des légumes-santé (qui ne sont pas des médicaments) pourraient, par exemple, emporter aisément l'adhésion.

M. le président - On en reste actuellement aux intrants.

M. Pierre Lefebvre - En matière de commercialisation, oui. Mais arrivent déjà des variétés résistantes à la sécheresse ou enrichies en telle ou telle protéine qui vont élargir la palette de choix et, je veux le croire, la compréhension des avantages offerts.

M. le président - Se pose le problème de l'acceptation sociétale. Y avez-vous réfléchi au sein de la Confédération ?

M. Pierre Lefebvre - Nous avons sans doute commis une erreur au début, en pensant que ces produits ne rencontreraient pas de difficultés, nous avons sous-estimé la réaction de rejet et, il faut le dire, la capacité de manipulation de certains. Nous avons été séduits par ce que nous avions vu aux États-Unis, où les autorités de régulation, comme la Food and Drugs Administration, jouissent d'une confiance qui n'existe pas en France et en Europe, à cause des scandales du sang contaminé et de la vache folle, et où l'autorisation de mise sur le marché subit un discrédit excessif.

Nous n'avons pas compris à temps et réagi de façon appropriée, nous n'avons pas su communiquer, contrairement aux adversaires des OGM, même si je ne suis pas convaincu que l'opinion publique n'éprouve aucune aversion pour les OGM, comme le montre la plupart des sondages.

M. Hilaire Flandre - Disons de l'appréhension.

M. Pierre Lefebvre - La crainte d'une dépendance vis-à-vis des brevets n'est pas un faux débat, mais celui-ci doit être remis en perspective et se résoudra par la volonté politique.

M. Hilaire Flandre - Les agriculteurs craignent de se livrer pieds et poings liés aux semenciers, mais nous risquons si nous ne faisons rien de nous trouver dans la dépendance complète des États-Unis.

M. le président - Quelle est votre position concernant l'étiquetage et les filières ?

M. Pierre Lefebvre - Nous ne sommes pas contre, et nous avons commis l'erreur de laisser croire que nous y étions hostiles. Ce serait une bonne chose, compte tenu de la sensibilité du consommateur européen. Il en va de même en ce qui concerne la filière séparée, même si l'agriculture bio ne doit dicter sa loi à toute la profession.

M. le président - Les deux filières peuvent-elles coexister ?

M. Pierre Lefebvre - Nous savons appliquer des règles d'isolement des cultures.

M. le président - Le zéro pour cent n'existe pas ; il doit être possible de faire admettre des seuils de « contamination ».

M. Pierre Lefebvre - Je rappelle qu'il existe déjà un seuil de 5 pour cent pour le bio.

M. le président - Croyez-vous à l'agriculture bio ?

M. Pierre Lefebvre - Elle constitue une niche, qui n'est pas à l'abri d'accident sanitaire, et qui vend des produits rendus chers par leur mode de production. Mais, il y a une demande et il est légitime d'y répondre.

M. Hilaire Flandre - Elle ne peut exister que si son environnement n'est pas lui-même bio, et est traité par exemple par les insecticides.

M. Pierre Lefebvre - Nous avons besoin de seuils de tolérance, mais la situation actuelle, c'est-à-dire l'absence de règles du jeu, est la pire des situations. La Commission de Bruxelles a fait des propositions qui constituent des ouvertures : il faut aller vers des solutions raisonnables avec des seuils modifiables qui permettent à toutes les agricultures de voisiner.

M. Max Marest - Nous avons été surpris à Bruxelles d'entendre des propos que l'on ne veut pas connaître en France. Plus le seuil est bas, plus les coûts s'envolent.

M. le président - Nous avons transmis ces documents à l'AFSA, mais nous attendons toujours une réponse. Les États-Unis vont tirer profit de la situation en mettant sur le marché des produits sans analyse. Comment mieux communiquer désormais ?

Où en êtes-vous en ce qui concerne l'acceptation sociétale ?

M. Pierre Lefebvre - Il faut savoir que les OGM de coton ou de riz se développent discrètement, mais fortement en Asie, notamment en Chine, à cause des problèmes que posent la dégradation des sols, le manque d'eau, l'urbanisation, tandis que le Japon demeure comme nous très réservé, en raison de la nature même de son agriculture -du jardinage, du maraîchage-, mais il importe déjà énormément de dérivés transgéniques des États-Unis et de l'Argentine, pour le soja.

M. le président - Les OGM peuvent-ils contribuer à réduire notre dépendance dans le domaine des protéagineux ?

M. Pierre Lefebvre - Nous avions la possibilité de développer ces cultures qui avaient échappé à l'accord de l'OMC à Marrakech, mais nous n'avons pas saisi cette occasion. Nous sommes donc pieds et poings liés pour le soja que nous importons des États-Unis.

Je veux dire en conclusion que nous souhaitons donc rencontrer le nouveau ministre de l'Agriculture le plus vite possible, pour rouvrir ce dossier, avec lui et avec les ministres de l'Environnement et de la Consommation, pour sensibiliser les autorités et réamorcer un dialogue fructueux.

M. le président - Nous ferons de notre mieux. Nous recevons M. Gaymard en commission le 9 juillet.

42. Audition de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes

M. le président - Madame la Ministre, merci d'avoir bien voulu répondre à notre invitation pour venir parler de biotechnologie.

S'il y a un ministre qui connaît ce dossier là à fond, c'est bien vous, au travers de vos investigations, et de vos rapports.

J'ai commencé à lire le dernier. J'oserais presque dire qu'il n'est point besoin que le Sénat en fasse un autre, le vôtre étant quasiment parfait ! Il aborde pratiquement tous les points, et je suis très admiratif car toute la partie incitations fiscales, dimensions économiques et prospectives est très bien abordée.

Il nous servira très largement pour guider nos réflexions et nos propositions.

Que nous conseillez-vous, Madame la Ministre, au travers de ce rapport, pour essayer d'avoir des applications pratiques et rattraper notre retard au niveau européen, sans nous trouver trop en porte-à-faux vis-à-vis de nos voisins d'outre-Atlantique ?

Mme la ministre - D'entrée de jeu, je voudrais vous remercier chaleureusement de faire appel à moi, dans la mesure où il est vrai que, parmi les facteurs identitaires de l'Europe, il y a la question des OGM.

C'est à partir de l'Europe et de l'opinion publique européenne que se sont manifestées les premières inquiétudes sur les OGM, notamment en Europe de l'Ouest. On s'est aperçu, alors que ces inquiétudes se manifestaient, que des exportations, au début 1990, étaient déjà faites depuis les Etats-Unis vers d'autres pays -les pays de l'Est, mais aussi les pays d'Amérique latine ou d'Afrique.

En 1990, lorsque ont été adoptées les deux directives, révisées en 2001, sur l'utilisation confinée et sur la dissémination volontaire, on ne voit pas apparaître, dans le débat parlementaire, à Strasbourg, un quelconque rejet des OGM.

Celui-ci n'est apparu que plus tard, pour des causes qui pourraient être utilement recherchées par des historiens ou par des politologues. Un déclic s'est sans doute opéré. Le mouvement d'inquiétude vis-à-vis des OGM est né en Europe, mais pas au moment où on a commencé à encadrer juridiquement la production d'OGM.

Deuxième observation : d'habitude, il arrive que l'on mette sur le marché des produits dont l'absence de risque total n'est pas absolument avérée, alors qu'ici, il n'y a pas de risque véritablement prouvé mais une forte hostilité de la part des populations.

Pour la première fois, on voit une technologie ne pas avoir de débouchés sur le marché parce que les opinions publiques la refusent ou y sont réticentes.

Ce qui marque l'approche toute particulière, en ce qui concerne l'Europe, c'est la question de l'acceptation sociale des technologies nouvelles, notamment lorsque ces technologies ne paraissent pas répondre à un besoin et qu'elles ne sont pas prises en compte par les producteurs eux-mêmes, puisque les agriculteurs et les semenciers, en France, n'ont pas manifesté un très fort engouement pour cette technologie et ne paraissent pas plus ouverts aujourd'hui.

Si la corporation de métiers intéressés ne prend pas en charge une technique pour en valider l'utilité, et si les opinions publiques sont réticentes, on a la situation actuelle, qui a été d'une certaine manière néanmoins assez positive du point de vue communautaire, puisqu'elle a permis de préciser les contours du principe de précaution, qui est un principe du droit de l'environnement qui s'est maintenant diffusé à travers l'Europe dans à peu près tous les secteurs, qu'il s'agisse de la sécurité alimentaire ou de la médecine.

Ce principe -il faut en avoir conscience, car nos points de vue sont très différents du point de vue américain et expliquent un certain nombre de malentendus- est un principe politique. Le principe de précaution qui trouve à s'appliquer dans le cas des OGM en Europe est un principe qui n'est pas uniquement lié à la mise en oeuvre des conclusions d'expertises scientifiques.

En Europe, cette philosophie a pour souci de répondre à certaines préoccupations ou aux aspirations de l'opinion publique, quels que soient par ailleurs les résultat des expertises scientifiques, même si l'on n'apporte pas la preuve absolue qu'à un moment donné, il n'y a pas de risque. Je crois qu'il faut le relever.

C'est ce qui a conduit, en juin 1999, un certain nombre de pays à appliquer ce principe -ou, en tous les cas, à faire appel à un moratoire de fait, qui n'a d'ailleurs, pas plus aujourd'hui qu'hier, de base juridique. Ces pays sont la France, le Danemark, la Grèce, l'Italie, le Luxembourg, l'Autriche.

Voilà le cadre sociocritique général de la situation en Europe. Aux Etats-Unis, cette appréhension du risque est complètement différente. Les fermiers américains ont tout de suite adopté les OGM, puisque plus d'un tiers des cultures sont des cultures OGM, ce qui explique la pugnacité de nos amis américains face à cette question pour écouler leurs productions, voire leurs surplus.

Ceci a conduit l'Europe à se doter d'outils juridiques qu'il ne faut à mon sens pas regretter, qui sont certainement les plus complets, les plus précis et dont on va voir aujourd'hui s'ils sont opérationnels, ce que je crois, malgré certaines nuances qui peuvent être apportées en réponse aux questions que vous posez.

Pour indiquer la portée commerciale du sujet que constituent les OGM, il faut savoir que les Etats-Unis sont les premiers producteurs d'OGM, avec 68 % de la surface mondiale cultivée : 75 % du soja, 71 % du maïs, 34 % du blé cultivés aux Etats-Unis sont OGM.

M. le président - Quand imaginez-vous que la lecture puisse avoir lieu au Parlement ?

Mme la ministre - En mars pour la directive 2001-18, le chef-de-file étant Mme Haigneré et à partir d'avril-mai pour ce qui est de la directive 98-44, le chef-de-file étant Mme Fontaine.

D'ores et déjà, les articles 5 et 6 qui concernent les gènes humains -il peut y avoir des gènes humains dans les plantes- ont été transposés dans le cadre de la loi en cours de discussion sur la bioéthique.

Comme vous l'avez vu et comme le Président de la République lui-même l'a souligné dans son intervention devant le Comité national d'éthique, dimanche dernièr, à l'occasion du vingtième anniversaire de celui-ci, nous admettons la brevetabilité de la matière vivante -en l'occurrence les gènes humains- mais dès lors que le gène a été breveté en fonction d'une certaine caractéristique, les recherches faites sur ce même gène pour en déceler d'autres caractéristiques donnant lieu à brevet ne sont pas soumises aux détenteurs du premier brevet.

On souhaite rompre le lien qui existe entre le premier inventeur du gène, pour une caractéristique donnée, et les inventeurs ultérieurs qui mettraient à jour d'autres caractéristiques.

M. le président - On reste donc toujours malgré tout sur cette notion de brevetabilité du binôme gène-fonction. Le même gène ayant une autre fonction aura un autre brevet.

Mme la ministre - Le gène est breveté en raison de la fonction mise à jour. C'est une conception assez restrictive. Il y a un grand débat aux Etats-Unis, qui ont une position très différente. En revanches, les Etats-Unis -cela vaut aussi pour les gènes humains- ont sensiblement restreint les conditions de brevetabilité. L'Office américain des brevets est plus rigoureux qu'auparavant, car la rente de situation susceptible d'être accordée au premier inventeur surenchérissait le coût de la recherche d'une manière qui n'est pas apparue satisfaisante -encore qu'il y a toujours des négociations entre le second et le premier inventeur beaucoup plus développées aux Etats-Unis que chez nous.

Aux Etats-Unis, tout se négocie, mais chez nous, on a souhaité clarifier au maximum la notion d'invention sur le vivant pour que celle-ci s'appuie sur une fonction identifiée, et non sur la matière vivante. C'est un peu subtil.

M. le président - ... Mais rationnel !

Mme la ministre - Je le crois.

M. le président - Cette explication serait certainement de nature à décrisper nos concitoyens.

Mme la ministre - Je le pense.

Ce qu'il faut expliquer, c'est que l'innovation a des sources de financement et que le chercheur contribue au développement économique. La part qu'il apporte à ce développement futur doit être rentabilisée, faute de quoi le chercheur ne trouve pas de financement.

Les gens doivent comprendre que ces investissements très lourds, souvent privés, voire publics -il s'agit de recherches très sophistiquées qui font appel à des matériels informatiques et robotiques coûteux- justifient un certain retour financier. Il serait injuste que seul le producteur final puisse obtenir les recettes tirées de son produit.

Il y a beaucoup d'explications à apporter sur les modes de financement de la recherche.

S'agissant de votre deuxième question, la lecture des textes communautaires relatifs à l'étiquetage et à la traçabilité aura lieu d'ici l'automne. Le moratoire sera vraisemblablement levé. C'est en tous les cas la volonté du Gouvernement, conformément à nos obligations, une fois toutes les conditions de nature à écarter les inquiétudes établies au travers de ces textes.

M. le président - J'en reviens aux directives 2001-18 et la 98-44. Les dates que vous avez données concernent leur examen en conseil des ministres ou leur dépôt au Parlement ?

Mme la ministre - Ce sont les dates de présentation du projet de loi en Conseil des ministres.

M. le président - Mais pas encore au Parlement...

Mme la ministre - Vous savez que je suis chargée d'accélérer la transposition des directives. Je suis par conséquent très intéressée à ce que l'on puisse déposer les textes !

C'est une question d'encombrement de l'ordre du jour parlementaire. Il est très important que l'administration se mobilise pour élaborer les textes.

M. le président - Avez-vous une idée de l'échéance à laquelle ce texte pourra venir devant le Parlement ?

Mme la ministre - J'espère que ce sera avant l'été.

La question de la brevetabilité est urgente, car la promotion de la brevetabilité des inventions, ainsi que l'incitation à la recherche, vont faire l'objet du conseil européen du 21 mars, dans le cadre de la stratégie dite "de Lisbonne". Si on lève le moratoire, ceci incitera à multiplier les recherches sur les OGM.

Vous m'avez demandé si les règles d'étiquetage retenues -seuil de 0,9 % pour les OGM autorisés- ne risquaient pas de créer des distorsions de concurrence au détriment des produits agricoles européens dans les échanges agricoles mondiaux.

In fine -et je m'en réjouis- on a retenu le pourcentage de 0,9 %, alors qu'à une époque, on avait soutenu le pourcentage un peu irréaliste à mon sens de 0,5 % . Ce pourcentage est beaucoup plus raisonnable.

Il faut savoir que les produits américains exportés vers le marché européen devront être étiquetés. Cette norme ne s'appliquera pas seulement en Europe : tous les pays qui voudront y vendre des produits OGM devront les étiqueter en fonction de nos standards.

M. le président - Y compris lorsqu'on ne retrouve plus ni protéines, ni structures ADN.

Mme la ministre - C'est le compromis qui a été acté après de très longues discussions et qui a permis de mettre fin au débat, sans quoi nous n'y serions jamais arrivé ! Pour l'instant, on va expérimenter cette norme.

M. le président - Ne pensez-vous pas qu'avec un seuil aussi bas, on risque malgré tout une discordance avec les Américains, ainsi que des contaminations fortuites, mais que l'opinion appellera peut-être différemment ?

Mme la ministre - En l'état actuel, le Parlement européen ne changera pas les seuils.

Il est vrai que le maïs ne présente pas les mêmes risques de dissémination que les autres produits. Ce qui importe, c'est d'expliquer aux consommateurs que, plus peut-être qu'un seuil, c'est la surveillance de l'écart laissé entre certaines cultures pour éviter des disséminations fortuites qui est important.

Pour l'instant, je ne vois pas le Parlement européen revenir sur ce seuil, en l'état de l'opinion publique européenne. Sera-t-il facile à contrôler ? C'est une autre paire de manche ! Est-ce réaliste ? C'est l'arbitrage qui a été rendu...

M. le président - Sentez-vous un durcissement du Parlement européen ?

Mme la ministre - Pour l'instant, le débat sur les OGM est moins présent au niveau communautaire -encore que, cet après-midi, à l'Assemblée nationale, M. Cochet a posé une question à Mme Haigneré sur les risques de levée du moratoire.

Deux éléments vont jouer lors des prochaines élections au Parlement européen.

En premier lieu, quel va être le nombre de représentants des Verts, le système étant celui de la représentation proportionnelle ?

En second lieu, quelle va être l'attitude des parlementaires des pays candidats ? Si l'on n'explique pas aux pays candidats l'état de la situation, on risque d'avoir beaucoup de mésaventures ou de déceptions. Ils seront en effet beaucoup plus sensibilisés à la question des risques, car ils n'ont pas la même approche scientifique et technique que la nôtre, ne serait-ce que parce que dans ces pays, la recherche scientifique et la technologie de pointe sont peu développées.

M. Hilaire Flandre - Ils peuvent se montrer méfiants ou, au contraire, très intéressés. Les pays d'Asie ou l'Inde ne se sont pas posés de questions. Il se peut donc que les pays candidats aient le même comportement.

Mme la ministre - La République tchèque en a importé, puis a ensuite arrêté.

M. Hilaire Flandre - Le non-OGM est devenu un argument de vente ! Le Brésil joue là-dessus également.

Mme la ministre - La Chine a développé des cultures d'OGM très importantes, puis a posé un certain nombre de règles de sécurité alimentaire et a mis des barrières nouvelles qui ont freiné ou empêché les importations des Etats-Unis.

Vous m'avez interrogée sur l'intention des Etats-Unis par rapport à un éventuel contentieux à l'encontre de l'Union européenne. Les Américains y ont pour le moment renoncé pensant -et je crois qu'ils ont totalement raison- que cela pourrait être contre-productif que d'essayer de forcer les sentiments et les réactions de l'opinion européen.

Ils attendent donc, sachant que le processus est en marche et, vraisemblablement, que la plupart des pays vont lever le moratoire. A ma connaissance, ils n'ont pas manifesté de nouveau l'intention d'attaquer l'Union européenne devant l'OMC.

Vous m'avez ensuite demandé dans quelle mesure la proposition de directive communautaire sur la responsabilité environnementale pouvait contribuer à apaiser le débat sur les OGM. Il n'y a pas de lien direct. Les OGM ne constituent pas vraiment une pollution.

Cette responsabilité est une responsabilité civile -principe du pollueur-payeur- avec obligation d'assurance et responsabilisation des opérateurs, qui est multiple selon les cas.

A mon avis, cela a peu de lien avec la question posée, si je puis me permettre, ce qui n'est pas le cas de la responsabilité du fait des produits défectueux, qui relève de la directive de 1985, qui a été transposée par une loi française de 1998 qui vient d'être censurée par la Cour de justice des communautés.

Il existe deux systèmes dans les directives sur le niveau de protection du consommateur. Le premier est le système des règles minimales : chaque Etat peut, un peu comme en matière de convention collective, donner des droits supérieurs à ceux reconnus par la loi.

Le second système est le système dit d'harmonisation : tous les Etats doivent accorder la même protection au même niveau. La directive de 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux est de ce type.

Si ces produits s'avéraient être, dans vingt ans, des produits à risques, ce genre de directive pourrait faire jouer une responsabilité sans faute qui va assez loin.

Les textes de ce type, réparateurs et non préventifs, ne rassurent en général pas complètement l'opinion publique, car ils sont trop techniques.

M. Hilaire Flandre - Les opposant aux OGM -notamment les agriculteurs biologiques- considèrent que l'on devrait pouvoir leur garantir l'absence de pollution de leurs récoltes par dispersion accidentelle. C'est là que se situe le problème.

Mme la ministre - Je ne suis pas très informée du sujet précis. Le domaine de l'assurance est devenu un domaine extrêmement compliqué, chacun voulant s'assurer contre tout.

M. Hilaire Flandre - Chacun cherche surtout quelqu'un pour payer !

Mme la ministre - La tendance actuelle en matière de couverture de risques incertains ou inconnus est d'aller dans le sens d'une responsabilité sans faute, avec renversement de la charge de la preuve, afin de montrer qu'un tiers a été fautif et que l'on peut rejeter la responsabilité sur son compte. Le plus souvent, ceci met en jeu une assurance forfaitaire.

On veut faciliter l'indemnisation mais, dans le même temps, une indemnisation quasi-automatique est en même temps une assurance volontaire.

Pour le cas précis, je ne pense pas que cela puisse faire l'objet d'un texte général législatif.

M. Hilaire Flandre - Non, c'est une responsabilité civile classique.

Mme la ministre - L'Europe s'est dotée des textes les plus complets et les plus protecteurs qui existent au monde.

Du point de vue du marché européen lui-même, les exigences de traçabilité et d'étiquetage jouent aussi bien pour les produits exportés des pays tiers, notamment Etats-Unis, que pour les produits européens.

A cet égard, on peut penser que la distorsion de concurrence, au moins par rapport au marché européen, ne jouera pas.

Le seuil de 0,9 % est le plus bas possible et peut évoluer mais, pour l'instant, ce n'est pas d'actualité, le compromis étant trop récent. Les Américains ont compris qu'il ne s'agissait pas pour eux, en l'état, de porter ce problème devant l'OMC. D'ailleurs, ils risqueraient de perdre.

Enfin, s'agissant de la responsabilité pollueur- payeur, qui est celle prévue au titre de la directive en cours de discussion sur la responsabilité environnementale, c'est une autre logique. Il ne s'agit pas de pollution, mais davantage de risques de dissémination accidentelle, de sécurité alimentaire ou de sécurité tout court.

Quant aux autres questions, il est vrai que le contrôle exercé en matière de traçabilité va être assez lourd et coûteux mais, là encore, c'est le compromis qui a été adopté au niveau communautaire.

Enfin, les biotechnologies sont une priorité du Gouvernement. Le Premier ministre s'est engagé de façon résolue dans la promotion de l'innovation. Il a créé le Conseil national de l'innovation, présidé par Philippe Pouletty, qui est à la tête de compagnies de biotechnologies qui ont remporté de grands succès, tant aux Etats-Unisqu'en France.

Un plan innovation a été publié et a fait l'objet d'une communication conjointe de Mmes Haigneré et Fontaine. Un plan de développement "biotech", d'après les informations dont je dispose, s'inspirerait pour partie de mon rapport, qui a voulu dégager un certain nombre de pistes en discussion.

Ce qui me préoccupe, c'est de savoir comment cette promotion de l'innovation peut se traduire en politique européenne.

Comme vous l'avez observé, la convention sur l'avenir de l'Europe, présidée par M. Giscard d'Estaing, dans les premiers articles qui ont d'ores et déjà été rédigés, propose de faire figurer pour la première fois la recherche parmi les compétences communautaires partagées entre l'Union européenne et les Etats, ce qui tend à laisser penser que recherche et innovation sont très liées et qu'il pourrait y avoir, au niveau européen, des incitations juridiques à l'innovation.

L'une des propositions actuellement faites au commissaire à la recherche et à celui à l'industrie et aux entreprises est de créer un statut communautaire de la jeune entreprise innovante tous secteurs confondus, afin de ne pas induire de distorsion de concurrence.

Ils s'agirait de promouvoir l'innovation et les biotechnologies en particulier, sans identifier un secteur.

L'un des problème réside dans le fait que les débouchés technologiques, industriels et commerciaux des biotechnologies sont faibles et mettent très longtemps à se concrétiser.

Il faut plus de dix ans pour développer un médicament et ceci coûte cent cinquante millions d'euros. Cette technologie fait apparaître ce qu'est la recherche biotechnologique, sauf dans le domaine alimentaire, où les choses sont plus rapides mais où, pour l'instant, il n'y a pas de marchés.

L'enjeu des OGM est donc important dans ce cadre, pour inciter à la recherche.

M. le président - Vous avez le sentiment que le Premier ministre porte aux biotechnologies un intérêt particulier, au même titre qu'aux NTIC ?

Mme la ministre - Oui. Compte tenu de nos traditions, on ne peut pas peut se mettre à l'écart des NTIC.

M. Hilaire Flandre - Cela pose surtout moins de problèmes !

Mme la ministre - En revanche, pour les OGM, c'est plus problématique du point de vue sociétal. C'est un priorité forte qui va se traduire par des mesures qui doivent être annoncées prochainement.

M. le président - Pourrait-on avoir la liste du Conseil national de l'innovation ?

Mme la ministre - Bien sûr.

J'attire votre attention sur la stratégie de Lisbonne, qui vise à faire de l'Europe le pôle économique le plus compétitif du monde en 2010, et sur le fait que la recherche doit faire l'objet de financements publics aussi bien que privés à hauteur de 3 % du PNB.

On est à 1,9 % ; les Etats-Unissont à près de 3 % ; certains pays, comme la Suède, sont à 3,5 %. Le chiffre de 3 % est très ambitieux. On dit que c'est un pourcentage trop élevé pour les pays entrants et que, même pour nous, c'est assez conséquent.

Ce sera au coeur des débats du Conseil européen du 21 mars, qui va porter essentiellement sur la recherche, la compétitivité et l'innovation, afin de ne pas continuer à laisser se creuser le décalage entre les Etats-Unis, le Japon et l'Europe.

M. le président - Merci.

Encore une fois, à titre personnel et en tant que président de cette mission, je tiens à vous féliciter pour votre rapport, qui est passionnant.

43. Audition de Mme Corinne Lepage, Présidente du Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique (CRII-GEN)

M. Jean Bizet, président de la mission - Comment envisagez-vous la question de l'acceptabilité sociale des OGM, sachant que, de toutes façons, nous seront tenus de transposer la directive 2001/18 et que le moratoire ne pourra pas durer éternellement : dans le cadre de l'OMC, nous avons rencontré M. Lamy qui ne nous a pas caché que les Américains songeaient à mettre en oeuvre un panel sur ce sujet.

Mme Corinne Lepage - Le sujet est économique et il devient même géostratégique. Les manipulations génétiques pratiquées dans le monde visent, de façon classique et légitime, à gagner des marchés mais répondent aussi à des soucis d'une autre nature. J'en donnerai un exemple préoccupant. La Diabrotica virgifera, insecte qui détruit le maïs, assez présente aux États-Unis, n'existait pas en Europe. Il semblerait qu'elle y soit arrivée en 1992, dans des valises à Sarajevo. En 1998, la société Monsanto a demandé à la CGB l'autorisation d'expérimenter un maïs résistant à des insectes, sans préciser lesquels. La Commission a donné son accord. La diabrotica virgifera est aujourd'hui en Italie, aux frontières de la France... Nous sommes donc confrontés à un problème classique de conquête de marché mais aussi, via le génie génétique, à une guerre économique, qui est plus guerre qu'économique.

Les Américains, très partisans des OGM, nous menacent par le biais de l'OMC : dans cette partie, je ne suis pas certaine que leur position soit si forte que cela. D'abord parce que la Chine ne joue les OGM que pour le coton, et non pour les produits alimentaires : ce pays est en train de se lancer sur le marché des filières non-OGM. C'est une première faiblesse de la position américaine.

Sa seconde faiblesse réside dans l'étiquetage. Tout le système des OGM aux États-Unis a été fondé sur le principe d'"équivalence en substance" d'après lequel, comme il n'y a pas, pour le consommateur, de différence ni majeure, ni mineure, entre un produit OGM et un produit non-OGM, il n'y a pas lieu d'étiqueter ni de mener d'études spécifiques sur la santé humaine ou sur le monde animal.

Or, aujourd'hui se développe aux États-Unis une double contestation. D'abord la filière biologique, directement menacée par la dissémination du gène Bt, a porté plainte contre la FDA pour avoir autorisé l'utilisation de ce gène. D'autre part, l'étiquetage, devient une exigence croissante des consommateurs nord-américains et est en passe de se généraliser. Or, l'étiquetage impose de différencier les filières, alors que tout a été fait aux États-Unis pour banaliser la filière OGM. L'obligation d'étiquetage met le système par terre. Le Canada, qui a consulté le CRII-GEN à plusieurs reprises à ce sujet, s'oriente aujourd'hui vers un système d'étiquetage, donc de traçabilité, ce qui modifie totalement l'équilibre du système.

Au total donc, même si les États-Unis exercent une forte pression sur l'Europe en matière d'OGM, le rapport de force n'est plus le même qu'il y a deux ou trois ans.

Quant au commissaire Lamy, je ne suis pas étonnée de sa position puisque, en novembre 2001, lors de la conférence de Doha, il a adressé à son homologue américain auprès de l'OMC, M. Zellick, un courrier que je tiens à votre disposition et où il s'engageait, en tant que mandataire de l'Union européenne, à ne pas se prévaloir du principe de précaution dans les négociations internationales sur les OGM... Cela a provoqué quelques remous parce que le mandat n'avait pas été exactement celui-là....

Donc, sur le plan économique, on ne peut se contenter de la présentation classique et simpliste d'après laquelle, les États-Unis ayant déjà une grande avance sur nous, il conviendrait de développer chez nous la filière OGM, de peur d'être à leur merci en ce domaine. Le rapport de l'Union européenne que Greenpeace a pu sortir il y a quelques jours est à cet égard assez éclairant.

Depuis plusieurs années j'ai une intuition - qui n'est pas une certitude scientifique - mais que renforce l'évolution des évènements. C'est que nous nous engageons sur une voie dont nous ne connaissons pas les conséquences à terme et qui présente une spécificité : on peut nettoyer un site chimiquement contaminé ; la pollution génétique est d'un autre ordre, elle est exponentielle. Et c'est la première fois que l'humanité est exposée à ce type de problème ; même avec le nucléaire, on a affaire - certes sur la très grande période - à une courbe de Gauss. Avec la pollution génétique, nous ne savons pas revenir en arrière et réparer. D'où la nécessité d'une extrême prudence. D'autant que, si les Américains se trompent, il leur restera toujours encore beaucoup d'espace, tandis que l'exiguïté du territoire européen nous interdit de nous tromper.

Ce qu'établit le rapport de l'AFSSA de janvier 2002, le CRII-GEN l'écrivait le 19 juin 2001 en adressant à une dizaine de firmes européennes productrices d'OGM, ainsi qu'au Premier ministre, à Mme Voynet, à M. Glavany et à M. Prodi, président de la Commission, un recensement des risques connus à cette date. Cela afin d'exclure que le "risque développement" puisse être invoqué par ces firmes en application de la directive sur les produits défectueux. Cette directive considère en effet que la responsabilité du producteur est engagée sauf en cas de risque totalement inconnu à l'époque de mise sur le marché du produit défectueux et que l'état des connaissances ne permettait pas de prévoir. Le Parlement européen, au moment du vote de la directive sur les OGM, a exclu la possibilité de mettre en cause la responsabilité des producteurs de ces organismes. Il n'a pas davantage exigé de système d'assurance ; s'il l'avait exigé, c'était la fin des d'OGM parce qu'aucune société d'assurance, sur la planète, n'accepte aujourd'hui de couvrir ce risque...

A la date du 19 juin 2001, nous faisions donc part de risques concernant la santé, risques repris dans le rapport de l'AFSSA. Nous faisions notamment valoir, qu'en l'absence de test sur mammifères, les conséquences à moyen et long termes étaient méconnues. L'expérience si contestée faite par Pusztai en 1997 n'a jamais été rééditée, alors qu'il n'est ni coûteux, ni compliqué de nourrir des rats pendant deux mois avec des pommes de terre génétiquement modifiées !

Nous sommes donc face à de réelles inconnues et le choix des OGM, et plus encore des micro-OGM, est une voie sans retour possible. Nous n'avons pas intérêt à nous tromper car, là, contrairement à ce qui se passe avec la pollution chimique, on ne peur réparer les dégâts.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Alors que préconisez-vous ?

Mme Corinne Lepage - Je ne suis pas anti-progrès, je pense qu'il faut faire de la recherche sur les OGM, le plus souvent possible en site confiné, mais aussi en plein champ pour connaître précisément les effets de pollinisation. Car, s'étant aperçu que les distances de sécurité auparavant préconisées étaient insuffisantes, on recommande maintenant de les multiplier par deux : on en est à 400 mètres pour le maïs et, pour le colza, la distance minimale peut aller jusqu'à des kilomètres ! Quid, alors, de la protection des agricultures biologique et traditionnelle ? Quelle liberté sera laissée aux maires qui souhaitent maintenir tout ou partie du territoire de leur commune en zone non-OGM ?

S'agissant maintenant des tests et de l'étiquetage, la DGCCRF vous dira la difficulté qu'elle a à faire son travail. Le CRII-GEN a suscité la création d'un laboratoire spécialisé dans la détection d'OGM, y compris en cas d'expérimentation puisque, aujourd'hui, les contrôles ne portent que sur les OGM autorisés à la mise en culture et le Comité de biovigilance ne travaille pas sur les expérimentations.

Comme vous, je souhaite que l'Europe ait une industrie et une agriculture compétitives mais, en même temps je suis extrêmement soucieuse car, dans ce domaine, nous n'avons pas droit à l'erreur : or, les réponses à toute une série de questions que nous avions posées au fil des dernières années se sont toutes révélées mauvaises.

Nous sommes, par exemple, confrontés à une nouvelle pathologie des abeilles. Les apiculteurs ayant tendance à concentrer leurs ruches à proximité de champs de colza, certains se demandent si le colza génétiquement modifié - autorisé à l'expérimentation mais non à la mise en culture - ne serait pas à l'origine de l'actuelle hécatombe d'abeilles. Ce n'est pas établi, c'est une hypothèse à vérifier. D'autant qu'il semblerait que, il y a quelques années, lorsque l'INRA a commencé à travailler sur les OGM, il avait envisagé la possibilité d'un raccourcissement de la durée de vie des abeilles.

Nous ne savons pas ce qu'il en est. Et, ce qui m'impressionne, précisément, c'est tout ce que nous ne savons pas. Nous engager dans la mise en culture d'OGM alors que subsistent tant d'incertitudes, que les tests sur les mammifères n'ont pas été faits et que les conséquences sur l'environnement sont maintenant certaines, c'est prendre une immense responsabilité, pour un gain économique douteux.

La recherche publique consacrée aux effets des OGM sur la santé et l'environnement est notoirement insuffisante. Je comprends fort bien que nos jeunes chercheurs de l'INRA aient envie de breveter des OGM. Reste que la recherche publique doit s'intéresser avant tout à la santé des gens et à la préservation du patrimoine collectif. Or aujourd'hui en ce domaine, le pourcentage des fonds publics consacrés à la santé est de l'ordre de 2%.

L'affaire des pesticides me semble aussi extrêmement préoccupante. Les études épidémiologiques montrent qu'il y aurait des liens assez étroits entre les pesticides et la fréquence de certains cancers et que le monde rural souffre de cancers des appareils urinaire ou génital en proportion plus importante que le reste de la population En outre, de plus en plus de scientifiques envisagent l'hypothèse d'un lien entre l'importante baisse de la fertilité humaine, actuellement constatée, et l'utilisation des pesticides. A fortiori, quelles sont les conséquences sur la santé humaine, de l'absorption d'une plante modifiée génétiquement de façon à devenir elle-même insecticide - le maïs Bt par exemple ?

M. Jean Bizet - Il semble que la protéine insecticide s'exprime davantage dans les feuilles et les tiges du maïs BT, et quasiment pas dans les grains, et que c'est également variable en fonction du stade de développement de la plante.

Mme Corinne Lepage - Mais on voit apparaître des résistances croisées. Le Mexique, pays d'origine du maïs, voit aujourd'hui ses cultures traditionnelles contaminées par les maïs génétiquement modifiés. Nous vivons une phase de grande expansion des cultures OGM, tout en ignorant leurs effets à moyen et long termes sur l'environnement et la santé.

M. Jean Bizet - Les études de l'AFSSA posent en effet plus de questions qu'elles n'apportent de réponses et les essais sur animaux de laboratoire ont été relativement courts.

Mme Corinne Lepage - L'essai a concerné quatre vaches sur trois semaines !

M. Jean Bizet - Mais toutes nos vaches de France et de Navarre ont mangé du soja génétiquement modifié depuis que les Américains en fabriquent, puisque nous importons 78% de nos besoins. Après 10 ans d'expérience en Amérique du nord, il ne semble pas se profiler de résultats très probants Il est vrai que quelques pyrales sont devenues résistantes et que des plantes adventices ont développé des résistances croisées ; mais toute utilisation d'herbicide entraîne ce phénomène.

Donc il faut être prudent, peut-être sélectionner le type d'OGM en fonction de la molécule chimique qu'on met à côté, et tenter, sur un plan législatif, de mettre en place des binômes afin de ne pas galvauder 36 cultures avec 36 molécules chimiques, parce qu'on en trouve pas tous les jours qui aient la qualité du Round up.

Mais je suis tout à fait d'accord avec vous sur l'impact géostratégique.

Mme Corinne Lepage - Et encore n'ai-je parlé que de l'alimentation et non de ce qui se prépare au niveau humain et qui est bien pire.

M. Jean Bizet - Il est vrai qu'en matière de géostratégie, on peut faire confiance aux Américains qui n'auront aucun état d'âme, et les conséquences seront énormes.

Mme Corinne Lepage - Cela nous conduit directement à votre question sur l'acceptabilité des OGM par les populations. Une étude réalisée en 2001 par l'Institut CSA et relative à l'opinion des consommateurs sur les OGM montre que leur refus augmente : 86 % n'en voient pas l'intérêt et 70 % ne veulent pas en manger. Vous ne convaincrez pas les Français, ni les Européens, de la nécessité de manger des OGM au motif que cette technique augmente la productivité. Ils ne voudront pas courir un risque, même minime, pour favoriser cette productivité, alors même que nous ne savons pas quoi faire de nos surplus agricoles ! C'est une question de bon sens.

Et on n'arrivera pas davantage à leur "vendre" des OGM de 2ème ou 3ème génération. Pour le moment les alicaments sont un échec commercial.

Reste l'utilisation du sentiment de culpabilité occidental à l'égard de la malnutrition dans les pays du sud. Les producteurs d'OGM qui acceptent encore de discuter - et ils sont de plus en plus rares ! - reconnaissent comprendre que les consommateurs ne voient pas l'intérêt d'OGM de la première génération, puisque cet intérêt n'existe pas. En revanche, avancent-ils, cette biotechnologie permettra de résoudre le problème de la malnutrition dans le monde.

Il faut continuer la recherche parce que c'est peut-être en effet une piste. Mais, pour le moment, il n'existe pratiquement aucun OGM intéressant de ce point de vue. Le riz doré est très controversé : il faudrait le consommer en quantité considérable pour qu'il soit efficace contre la cécité, et beaucoup disent qu'en accordant aux gens un lopin de terre pour cultiver des carottes, on obtiendrait le même résultat.

De plus; ce problème de l'alimentation dans les pays du sud n'est pas une question de semences, mais avant tout d'infrastructures. Au Sénégal, 40% des récoltes sont perdus par manque d'infrastructures.

Ce problème est aussi fonction de l'utilisation de l'aide. Bref, pour le résoudre, toute une série de facteurs sont au moins aussi importants que la mise au point d'OGM. D'autant que l'erreur en ce domaine serait encore plus inacceptable qu'au Nord. Je pense néanmoins nécessaire de travailler sur des plantes susceptibles de se développer sur des sols secs, acidifiés, salinisés.. Mais il ne faudrait pas que ce soit un miroir aux alouettes permettant de continuer à vendre aux marchés solvables du Nord des produits OGM dont ils ne veulent pas, au motif que cela va nourrir le Sud.

Pour tout cela, il faut changer le système d'expertise. Je souscris assez à l'avis de Mme Viney et du Pr. Kourilsky sur la nécessité de deux cercles distincts d'expertises, scientifique et socio-économique. Vous ne convaincrez pas les Français ni les Européens qu'il faut s'engager dans la voie des OGM tant qu'ils soupçonneront, à tort ou à raison, des conflits d'intérêts. La CGB doit travailler de façon complètement différente. Sa gestion par le ministère de la Santé serait sans doute une meilleure solution. Il est regrettable qu'on ait donné au ministère de l'Agriculture la tutelle de la consommation et de la sécurité alimentaire : depuis des années je me bats pour qu'on ne mette pas développement économique et contrôle sous la même autorité.

Il est également anormal que, dans la CGB, le producteur lui-même, et non la Commission choisisse son expert. Sa composition même devrait être révisée, précisément en distinguant entre le scientifique et le socioéconomique, et en respectant un meilleur équilibre entre la représentation des intérêts économiques et celle de la société civile.

Tout cela est à revoir complètement, avec un vrai souci de transparence et en veillant à certains effets pervers. Le CRII-GEN avait, par exemple, réclamé que les dossiers soient rendus publics sur Internet. Maintenant, ils le sont effectivement mais il n'y a plus rien dedans....

En résumé, tant que les gens auront le sentiment qu'on veut leur faire avaler de force quelque chose dont ils ne veulent pas parce que cela ne présente aucun intérêt, cela ne fonctionnera pas et le moratoire de fait ne sera pas levé facilement.

M. Jean Bizet - Il faudra bien légiférer. Un consensus se dessine sur la nécessité de revoir le système d'expertise. Il faudra sérieusement mettre en place les filières. Il doit y avoir au plan national onze produits autorisés à la transformation et à la commercialisation - huiles de soja, de maïs, semoules, fécules. Avec l'étiquetage, les consommateurs verront apparaître la mention de l'existence d'OGM dans les plats préparés qu'ils avaient l'habitude de consommer. Ces produits se banaliseront donc sans qu'il y ait eu un vrai débat et sans que soit répondu à certaines questions d'importance. Et en termes stratégiques on sera en situation de dépendance. Je crains qu'on n'ait alors tout perdu.

Mme Corinne Lepage - Pour les principales céréales, on est déjà en situation de dépendance. Lorsqu'à Blair House, on a décidé de ne plus faire de protéagineux en Europe, on s'est coupé un bras !

M. Jean Bizet - Frantz Fischler est intraitable sur ce sujet : il veut bien accorder à l'Union européenne quelques surfaces de protéagineux supplémentaires, mais à condition que ces cultures soient biologiques et pour une utilisation interne à l'exploitation agricole. Peut-être cela sera-t-il corrigé avec l'élargissement aux pays d'Europe de l'Est, qui devront bien produire quelque chose qui ne perturbe pas nos productions traditionnelles ?

Mme Corinne Lepage - Certains pays vont jouer la filière non-OGM, ainsi que, de plus en plus, la grande distribution.

M. Jean Bizet - Un seuil fixé si bas favorisera des contaminations croisées, même involontaires, ce qui perturbera encore un peu plus le consommateur.

Mme Corinne Lepage - Certains demandent même d'abaisser le seuil à 0,1 %. Ces questions d'étiquetage et de seuil contribuent à la non-acceptation des OGM . Car lorsqu'ils ont été introduits en Europe, il était assuré que toute contamination serait impossible. On sait maintenant que ce n'était pas vrai. Les OGM apparaissent donc aujourd'hui aux yeux du grand public, comme un système qui pollue les autres systèmes. Cela vient de l'existence d'un seuil.

La CGB a autorisé l'expérimentation de blé génétiquement modifié : les Français ne voudront jamais manger du pain génétiquement modifié !

M. Jean Bizet - Depuis des années, la chymosine employée pour cailler le fromage n'est plus issue de la caillette du veau mais d'une bactérie génétiquement modifiée, mille fois plus sécurisante, eu égard à l'éventuelle transmission de certaines maladies.

Nous allons devoir légiférer. Ce ne sera pas facile. Sur l'expertise et le principe de précaution, on semble voir s'affiner la réflexion. Mais sur les choix stratégiques nous ne voudrions pas nous tromper et votre propos initial sur Diabrotica virgifera montre l'ampleur de l'enjeu. On n'y pense pas suffisamment mais cela peut être une arme redoutable.

Mme Corinne Lepage - Un livre récemment sorti "Germes" écrit par trois journalistes américains traite de l'utilisation potentielle des biotechnologies comme armes, y compris comme armes alimentaires. On y apprend l'existence de recherches menées sur le génome humain afin de pouvoir différencier les populations selon leur origine et d'inventer ensuite des virus qui s'attaqueront à telle population plutôt qu'à telle autre. Terrifiant.

44. Audition de M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur

M. le président - Monsieur le Ministre, merci d'avoir bien voulu nous rencontrer pour parler des biotechnologies.

La commission des affaires économiques et du plan a souhaité que nous nous penchions sur la problématique des biotechnologies et des OGM en particulier.

Deux directives doivent être transcrites en droit national. La France ne peut rester dans une exception biotechnologique par rapport à l'ensemble des autres pays, qui se sont investis dans cette question -essentiellement les Etats-Unis, le Canada, l'Argentine et la Chine.

Ceci risque, au travers de l'OMC et de l'ORD, de devenir quelque peu conflictuel. Les rapports sur ce sujet, tant à Seattle, de façon désordonnée, qu'à Doha, de façon beaucoup plus discrète, font qu'entre MM. Zellig et Lamy, ce sujet fera tôt ou tard l'objet soit d'un arrangement, soit d'un conflit.

Voilà pourquoi on ne peut pas ne pas se pencher sur cette question, qui est devenue un véritable sujet de société.

Le souci au de notre mission et de la commission des affaires économiques et du plan est aussi de faire le point sur les plans scientifique et économique. Ce sera l'occasion d'aller à la rencontre de nos concitoyens. Des conférences de consensus ont eu lieu en 1998. Le dernier dialogue en date des 4 et 5 février 2001, au Conseil économique et social, sera certainement insuffisant.

Un des objectifs que nous a assignés le président de la commission des affaires économiques et du plan sera donc d'entrer en contact, sous une forme à déterminer, avec la presse régionale, de façon à délivrer l'information au plus près du terrain.

Voilà dans quel cadre se déroule cette mission. Le rapporteur rendra son document dans quelques mois. Toutes les auditions qui ont été menées jusqu'à présent se sont déroulées dans un excellent climat. L'approche est très transversale. En effet, c'est un sujet sur lequel on doit pouvoir trouver un consensus.

Je vous remercie encore et vous cède la parole.

M. le ministre - Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs, j'ai essayé de préparer une intervention qui répond aux questions que vous m'avez préalablement adressées.

Il est intéressant que vous auditionniez le ministre chargé du commerce extérieur, car je pense que la façon dont les OGM peuvent ou risquent d'être traités devant l'OMC n'est pas sans conséquences sur les politiques que l'on doit mener et que l'on peut mener dans ce domaine.

Je voudrais vous rendre attentif à un certain nombre d'éléments factuels peu connus mais à la base de l'analyse juridique internationale que l'on peut faire du phénomène.

Tout d'abord, les Etats-Unis possèdent 68 % de la surface mondiale cultivée en OGM, surtout du soja, du coton et du maïs.

Au total, dans le monde, la surface en OGM est supérieure à la surface de la France. Les OGM correspondent à une partie significative de la production agricole des Etats-Unis.

En Europe, le moratoire empêche les Etats-Unis d'exporter une partie de leurs produits. Les Américains évaluent le préjudice causé par ce moratoire à une somme de 3 à 4 milliards de dollars.

C'est le plus gros contentieux existant entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Il est comparable, en montant, au contentieux FSC pour lequel un jugement a été rendu par l'ORD, condamnant les Etats-Unis à une somme équivalente à celle que représente le préjudice qu'ils disent subir concernant les OGM.

Par comparaison, le préjudice relatif au boeuf aux hormones est évalué à 117 millions de dollars. Le préjudice concernant la banane est à évaluer à 191 millions de dollars.

Les OGM sont donc évalués à vingt fois le contentieux portant sur la banane ou à trente ou quarante fois le contentieux sur le boeuf aux hormones dont nous subissons encore les conséquences -mais ceci est beaucoup moins important au total.

Nous avons suscité de la part des Etats-Unis une certaine insatisfaction ces derniers mois, lorsque l'Union européenne a acheté du blé ukrainien. Les Américains ont alors demandé à avoir eux aussi la possibilité de vendre des céréales à l'Union européenne.

Les règles commerciales en vigueur dans ce type de marché font que l'on se base sur les références historiques de vente. A partir du moment où l'Europe accepte d'acheter du blé ukrainien, elle s'engage par équivalence à acheter aussi du blé aux autres exportateurs habituels de céréales auxquels il a acheté dans le passé.

Les Etats-Unis ont demandé il y a quelques semaines que nous leur achetions également des céréales mais nous n'avons pu acheter de céréales car ils n'auraient pu nous vendre que du maïs génétiquement modifié ou du maïs non OGM mélangé avec du maïs génétiquement modifié.

Ceci a provoqué l'insatisfaction des Américains, qui peuvent le considérer comme un argument pour nous attaquer.

Autre insatisfaction dont les Américains nous ont fait part : lorsque de l'aide alimentaire américaine a été donnée à la Tanzanie il y a un an environ, des ONG financées par l'Union européenne ont tout fait pour que cette aide alimentaire ne soit pas consommée.

Le bateau contenant cette aide alimentaire a même été renvoyé aux Etats-Unis et les Américains ont considéré que c'était une entrave à leur commerce et à leur action que de refuser des produits OGM.

Troisième souci des Etats-Unis : les projets de règlement sur la traçabilité leur paraissent contestables, d'une part par l'absence de proportionnalité entre le niveau d'étiquetage imposé aux producteurs et les bienfaits attendus pour les consommateurs.

D'autre part, il existe une discrimination dans le traitement des produits obtenus à partir d'OGM, où l'étiquetage est exigé, et les produits obtenus au moyen d'OGM, où il ne l'est pas.

Sur ce plan précis de l'étiquetage, les Américains pensent avoir matière à attaquer nos directives sous deux angles.

En fait, si les Etats-Unis, au vu de ces trois motifs -et le motif plus général de vouloir vendre en Europe des OGM- décidaient une action contentieuse, ils devraient le faire sur la base de l'accord des obstacles techniques au commerce -OTC- et démontrer que les règlements européens actuellement en discussion ne respectent pas cet accord.

En effet, il existe deux accords auxquels on pourrait songer pour que les Etats-Unis nous attaquent : l'accord OTC ou celui sur les règles sanitaires et phytosanitaires -SPS.

En fait, SPS concerne les produits animaux et végétaux dans une optique environnementale et de santé animale, alors qu'OTC concerne les produits industriels et agro-alimentaires dans une perspective de protection du consommateur.

Les règlements sur l'étiquetage et la traçabilité sont des règlements de protection du consommateur.

C'est donc au titre d'OTC que les Américains pourraient nous attaquer s'ils décidaient de le faire.

M. le président - C'est davantage sur le plan purement économique que sur le plan sanitaire.

M. le ministre - Cela se rejoint un peu.

M. le président - Le Codex Alimentarius n'aurait rien à voir dans l'opération ?

M. le ministre - Non, ce sont uniquement des règles au titre des obstacles techniques au commerce, ce qui implique ensuite une certaine méthode.

Juridiquement, tout le monde est d'accord sur le fait que c'est à travers cet accord que se ferait l'attaque, si elle devait se faire, que ce soit l'OMC, l'Union ou les Etats-Unis.

L'accord OTC a une particularité : il prévoit une application plus souple du principe de précaution que l'accord SPS. L'accord SPS exige une preuve scientifique pour tenir compte du principe de précaution.

Cet accord a été utilisé dans le contentieux relatif au boeuf aux hormones. Lorsque nous avons été attaqués par les Américains sur ce sujet, nous n'avons pu faire la preuve scientifique que le boeuf aux hormones était nuisible pour les consommateurs.

Nous avons été condamnés à l'époque par défaut de preuves.

Aujourd'hui, nous sommes en train de réouvrir le dossier et rassemblons des éléments de preuve pour démontrer qu'il y a effectivement danger, dans certains cas, pour certaines hormones.

Concernant les OGM, le passage par l'accord OTC autorise d'autres moyens pour évaluer les risques et justifier leur prise en compte, mais il exige une proportionnalité de restrictions au commerce pour réaliser un objectif légitime. On ne peut tracer des obstacles techniques au commerce que de façon proportionnelle au danger qu'ils font subir aux consommateurs.

Autant SPS représente le principe de précaution en direct, autant OTC concerne le principe de proportionnalité, l'étiquetage, la traçabilité. Les exigences doivent être du niveau de risques que l'on peut imaginer.

Nous ne sommes donc pas sûrs du sens dans lequel l'affaire serait jugée. Tout d'abord, il n'y a pas de jurisprudence sur cet accord. En second lieu, on sait quand même qu'il y a deux points cruciaux : tout d'abord, il faudrait justifier la discrimination entre les produits issus d'OGM et les produits élaborés à partir d'OGM.

Le risque est-il aussi vraiment différent quand ce sont des produits issus d'OGM ? Au fond, scientifiquement, ce n'est pas évident de dire que, dans un cas, il y a risque et dans l'autre non !

D'un autre côté, c'est à nous de démontrer la proportionnalité des exigences d'étiquetage. Le niveau à partir duquel l'étiquetage est exigé sera déterminant. Pourquoi 1 %, 0,9 ou 0,5 ? Quelle est l'explication scientifique qui donne à cette valeur une valeur de seuil par rapport au risque que l'on fait courir au consommateur -si risque il y a ? On voit bien que l'affaire n'est pas si simple à traiter.

D'un autre coté, on ne sait pas non plus comment on pourrait traiter l'affaire dans le temps. L'instance de jugement de l'OMC -l'organe de règlement des différends- rend en général sa décision en 12 mois en moyenne.

La première étape est de constituer un panel de représentants de différents pays appelés à examiner le cas. Ce panel a donc en moyenne 12 mois pour rendre une décision.

On peut faire appel. Le délai moyen d'appel est de trois mois, mais tout cela peut être prolongé du fait de demande d'expertises qui peuvent être longues à produire, les questions au fond de ce problème nécessitant des expertises scientifiques qu'il n'est pas facile de réunir.

Je pense que c'est ce qui se passerait si les Américains voulaient vraiment nous attaquer.

La question psychologique est également très importante. Les Américains ont-ils intérêt à le faire ? Il y a aux Etats-Unis des gens conscients qu'une attaque risque de radicaliser encore les positions européennes. Si leur but est, à terme, d'obtenir que l'Union européenne leur achète des OGM, des semences ou des produits, il faut que l'opinion publique européenne accepte cette situation !

Une partie des gens qui s'occupent de cette question aux Etats-Unis ont conscience qu'il vaut peut-être mieux attendre et voir les choses se régler que de radicaliser notre réaction anti-OGM.

Je pense que c'est la raison pour laquelle les Etats-Unis son dans cette période d'atermoiements. Ils en parlent, mais ne font rien et je pense que les représentants de l'industrie américaine, que j'ai rencontrés, souhaitent plutôt que le Gouvernement américain ne fasse rien, même si, celui-ci annonce qu'il risque de faire quelque chose. Voilà à peu près l'état de la situation.

Effectivement, pour répondre à vos questions, ce qu'a dit Robert Zellig le 9 janvier dernier, fait partie des réclamations traditionnelles que les Etats-Unis évoquent dans le cadre de leurs relations commerciales avec l'Union européenne.

D'un autre côté, nous n'avons pas encore réclamé l'application des sanctions concernant les FSC. Ceci constitue une menace pour eux. Or, les Etats-Unis savent bien que nous sommes prêts à répondre vigoureusement à leur attaque. Aujourd'hui, ils ont 4 milliards de dettes. C'est une sorte de "donnant-donnant" qui peut fonctionner un certain temps.

On pourrait imaginer que si les Etats-Unis n'y vont pas, d'autres pays pourraient y aller. Aujourd'hui, on n'a de menaces de nulle part, ni de la Chine, ni du Canada. A la limite, on pourrait imaginer que le Canada le fasse. Il pourrait être sur la même longueur d'ondes que les Américains. Les Canadiens sont moins préoccupés par la question, parce qu'ils n'ont pas la même puissance agricole que les Etats-Unis.

M. le président - Les spécialistes en géostratégie verraient plutôt le coup partir de la Chine dans quelque temps.

M. le ministre - Nous n'avons, à notre connaissance, aucune indication allant en ce sens.

Dans les rencontres internationales, il y a une certaine attente de la position européenne. Il existe un débat même dans les pays qui acceptent les OGM. Même aux Etats-Unis, certains n'en veulent pas. Finalement, nous rendons service à tout le monde en étant extrêmement précautionneux. Cela vaut aussi pour le Japon et, à l'évidence, pour les Etats-Unis.

Le fait que nous ayons l'attitude que nous avons n'est pas défavorable à leur économie.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Quel est votre sentiment personnel ? Comment sentez-vous la chose sur le territoire national ?

M. le ministre - Mon sentiment, à titre personnel, est que les agriculteurs français font confiance aux agriculteurs du reste du monde. Au fond, nos agriculteurs souhaitent que les problèmes se règlent avec l'acceptation d'un certain nombre d'OGM. C'est mon sentiment personnel.

D'autre part, les consommateurs et les anti-OGM, qui sont inquiets, demandent l'étiquetage et la traçabilité. Ceci ne supprime pas le risque, si risque il y a.

L'opinion a déjà admis que l'on pouvait vivre avec des OGM à hauteur de 0,5, 0,9 ou 1 %. Il y a déjà une espèce de reconnaissance de l'existence des OGM.

Seconde remarque : je pense qu'il faut avoir des procédures extrêmement rigoureuses sur le plan scientifique. Au départ, on a peut-être sous-estimé les risques. Aujourd'hui, il faut que les procédures mises en oeuvre permettent d'éliminer les OGM qui présentent un risque et confirment que les autres ne présentent pas de risques.

Je pense qu'il faut que les procédures qui existent soient très discriminatoires. Voilà mon opinion personnelle.

M. le rapporteur - On est confronté, dans le débat public, à ce type de questions de façon régulière, avec des gens qui mettent en avant le souci de préserver une agriculture dite fermière et d'autres -même s'il s'agit de niches- une agriculture biologique. Peut-on le garantir ?

Ce n'est certes pas votre secteur, mais cela fait partie de ce problème général qui gravite autour des OGM.

M. le ministre - Effectivement, il faut être extrêmement dur sur le plan scientifique. Il faut avoir des commissions très sévères et pouvoir faire le tri. Le travail que l'on est en train de faire sur le boeuf aux hormones est un peu la même chose. Au début, on a refusé complètement le boeuf aux hormones et on continue à le faire, mais peut-être y a-t-il des hormones dangereuses et d'autres qui ne le sont pas. Il y a des tas d'autres pays dans le monde où cela ne pose pas de problèmes.

Il y a parfois des choses étonnantes : ainsi, en Inde, on ne peut avoir de Perrier parce que le ministère de la santé indien a décidé que les bulles du Perrier étaient trop grosses et quelles nuisaient à la santé ! La terre entière boit du Perrier, mais l'Inde est persuadée qu'il ne faut pas en boire ! Je pense qu'il faut, dans ce domaine, prêter beaucoup d'attention à ce qui est scientifiquement valable, sans fantasmer sur des risques là où il n'y en a plus !

Il faut que les analyses scientifiques soient sévères, approfondies, élargies, mais qu'elles permettent de dire de temps en temps oui ou non. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation bloquée.

Ceci dit, si vous me demandez mon sentiment personnel, les Américains ne vont pas nous attaquer.

M. le rapporteur - Il y a trop d'intérêt derrière !

M. le ministre - Je pense qu'ils ont intérêt à nous menacer de temps en temps, sauf si le décalage entre leur production et les nôtres devenait trop important mais, aujourd'hui, ils ont intérêt à attendre.

M. Christian Gaudin - Comment voyez-vous l'organisation européenne par rapport à ce thème des OGM dans l'avenir de notre agriculture, notamment par rapport aux Etats-Unis.

Vous avez dit que nous devions faire preuve de rigueur scientifique. A-t-on la même situation aux Etats-Unis ? Les Etats-Unis ont-ils suffisamment mené de travaux pour laisser penser qu'il n'y a aucun risque ?

Les OGM facilitent-ils les relations avec les Etats-Unis ou constituent-ils un facteur de dépendance ?

M. le ministre - La question de fond est vraiment celle de la relation entre la connaissance et la décision. Peut-on avoir un monde rationnel dans la question de l'alimentation, sur un sujet qui, d'apparence, est scientifique ?

Il y a beaucoup de domaines dans lesquels la rationalité scientifique ne marche pas. Pour les Américains, c'est le cas du nucléaire. Les décisions dans ce domaine sont bloquées, comme la question du traitement des déchets. Il y a des domaines tabous sur lesquels la rationalité n'arrive pas à s'exprimer.

En Europe, les questions alimentaires sont devenues extrêmement sensibles parce qu'on s'est aperçu que les problèmes scientifiques qui se posaient dans le passé n'étaient pas réglés. L'affaire des farines animales a créé, à l'évidence, une distorsion de raisonnement scientifique. On pensait que tout allait bien, avant de se rendre compte que cela n'allait pas, certaines protéines pouvant changer de forme et produire des maladies alors que toute la théorie scientifique affirmait le contraire.

Si la connaissance scientifique est insuffisante, on peut avoir tout d'un coup des découvertes imprévues. C'est le cas de l'ESB et des OGM.

On est incapable de prévoir toutes les conséquences que les OGM peuvent avoir. Dire aujourd'hui qu'il n'y a aucun risque nécessite beaucoup d'analyses exhaustives. La connaissance scientifique, dans ce domaine, n'a donc pas été d'emblée suffisante. Sur le plan des conséquences, peut-être y a-t-il des choses qu'on n'avait pas imaginées qui peuvent se produire dans dix ou vingt ans !

Je pense que le défaut réside dans l'absence de connaissance scientifique et sur les limites de l'utilisation de celle-ci. Les scientifiques se disputent entre eux et l'expertise n'est pas unanime. Or, quand l'opinion publique rencontre une expertise non unanime, elle se méfie et applique le principe de précaution.

Il faut plus d'activités scientifiques sur ces questions pour que les experts soient unanimes. Je pense que c'est de cela que nous avons manqué, parce que nous sortions d'une période de vache folle, de sang contaminé, autant d'affaires où les experts se sont disputés, n'ayant pas de connaissances suffisantes pour être tous d'accord.

Je pense néanmoins que l'expérience acquise depuis plusieurs années par la culture d'OGM, à travers le monde, sur une surface grande comme la France, fait qu'à la longue, la connaissance scientifique est acquise par la pratique.

M. le président - Les comparaisons entre les industries biotechnologiques en Grande-Bretagne, en Allemagne, en France et aux Etats-Unis, qui figurent dans le plan "Innovation 2003-2007", sont extrêmement parlantes.

On peut établir un parallèle entre biotechnologies et nouvelles techniques d'information et de communication : la France a inventé le minitel et Bill Gates et Microsoft sont arrivés.

La France a pris un certain retard. Il faut essayer de ne pas accroître ce différentiel. Ce sera une décision gouvernementale, interministérielle : seriez-vous favorable à la création d'une loi fondatrice sur les biotechnologies, avec tout ce que cela peut comporter, c'est-à-dire un développement de capital-risque, un développement de fondations, une mise en place de défiscalisation ?

Nous aurons des propositions à faire, et je ne saurais trop inciter le rapporteur à aller en ce sens.

Votre ministère est très indirectement concerné, puisque vous serez en charge de d'exporter tout ce qui produit sur le territoire national.

La commission des affects économiques et du plan souhaiterait que nous puissions aller jusqu'à la création d'une loi fondatrice sur les biotechnologies, souscrivant en cela aux recommandations des 4 et 5 février 2001 du Conseil économique et social.

Quelle est votre analyse sur ce point ?

M. le ministre - Je suis depuis toujours persuadé que les NTIC sont un facteur de croissance et de développement, suivies tout de suite derrière par les biotechnologies. C'est ce que l'opinion informée française ou internationale pense depuis vingt ans !

D'un autre côté, les biotechnologies ne sont pas la même chose que les NTIC, qui ont cet avantage de produire des produits grand public, qui ont changé nos téléviseurs, nos magnétoscopes, nos DVD, nos téléphones, etc.

Les biotechnologies ne se placent pas sur le même plan. Les biotechnologies permettent de modifier des procédés. Ce sont des technologies, non des produits.

Les produits que la biotechnologie peut offrir devraient être les médicaments, fabriqués rationnellement. Il se trouve que ce n'est pas le cas. La démarche rationnelle pour les fabriquer n'existe pas réellement. On continue de tâtonner, même si on tâtonne intelligent. Ce n'est pas comme construire une fusée.

L'utilisation rationnelle des biotechnologies pourrait effectivement trouver son application dans le domaine agricole. Toutefois, les gains de productivité que cela permet sont intéressants, mais ne sont pas de nature à modifier les choses considérablement.

Le bon côté des OGM est que cela permet de réduire les insecticides et les produits utilisés par ailleurs, mais cela ne révolutionne pas considérablement l'économie du système.

Je suis donc un peu plus réservé aujourd'hui que je ne l'étais il y a vingt ans quand je disais ce genre de choses.

D'un autre côté, au plan international, la France a tout à gagner à apparaître très active dans le domaine des biotechnologies. Les pays sont identifiés par des spécialités. Les nôtres, vues de loin, sont la gastronomie, le luxe, la mode, l'aéronautique, le spatial et l'agro-alimentaire, en tant que secteur de l'alimentation gastronomique.

Nous avons bien entendu intérêt à promouvoir la France dans le domaine des biotechnologies mais, aujourd'hui, nous n'avons pas le tissu d'entreprises correspondant.

Certes, on en a de très bonnes, mais on est loin du compte par rapport aux Etats-Unis ou à la Grande-Bretagne.

Nous avons donc un retard dans ce domaine qu'il faut rattraper.

C'est exactement le discours que tient Monsanto, champion des OGM, qui prédit à l'Europe et à la France un retard de dix à quinze ans par rapport aux Etats-Unis.

Il faut être conscient que nous partons avec un vrai handicap et que le bénéfice global n'est peut-être pas à la hauteur du bénéfice que représente les NTIC en termes de marché mondial.

M. le président - Pourtant, les milieux de la pharmacie considèrent que 60 à 70 % des médicaments sont directement ou indirectement issus de process biotechnologiques. C'est ce qui nous inquiète.

Cette fameuse notion de brevetabilité fait que nous sommes, au fur à mesure de l'acquisition des connaissances, dans des situations qui, tout doucement, se figent même si, ici où là -et vous êtes mieux placé que quiconque, au travers du médicament, pour en parler- le brevet est une réalité.

Ceci va nous handicaper énormément aux niveaux européen et français, si nous n'allons pas plus avant dans ce domaine.

M. le ministre - Ce n'est pas la technologie en elle-même qui produit le chiffre d'affaires : ce sont les produits.

Les médicaments utilisent les biotechnologies. Ils se fabriquent en répondant à un cahier des charges. Les biotechnologies sont un outil. On ne peut en prédire le résultat. Elles restent d'une utilisation plus difficile que d'autres techniques courantes.

Toutefois, pour le commerce extérieur, si la France apparaît comme active dans ce domaine, c'est bon pour notre pays !

M. le président - Merci beaucoup, Monsieur le Ministre.

45. Audition de M. Jean Lunel, Président d'Organibio

M. Jean Lunel -J'ai créé la première équipe de génie génétique chez Rhône Poulenc en 1978. En 1984, la cinquantaine de chercheurs venait de tous les pays du monde. Pour les OGM, tout se tient : recherche, développement, mise sur le marché, réglementation. Il a fallu deux siècles pour que la pomme de terre s'impose ! En 1952, on lisait que le maïs hybride rendrait les oies aveugles. C'est pourquoi les opposants demandent toujours plus de tests, ce qui relève sans fin les coûts.

Une étude de toxicité durant deux ans sur le rat ne permettra de rien voir, pour un coût faramineux. Les sociétés en sont à se demander si elles doivent vraiment continuer.

Je concentrerai mon audition sur deux plantes, le colza et le maïs pour démontrer les apports des OGM

Le colza a un faible rendement : 30-35 quintaux l'hectare, pour la même quantité d'azote que le blé à 85 quintaux/ha. Dans le tourteau de colza, il n'y a que 38 % de protéines, contre 48 % dans le soja. Il y a donc beaucoup à faire sur le colza. Dans les années 50, on avait 25 quintaux de blé à l'hectare en France et aux USA, on est, aujourd'hui, à 85 en France mais les Etats-Unis sont restés à 29, parce qu'ils n'ont rien fait. En conventionnel, on peut gagner 1 % par an sur le colza. Avec le génie génétique on peut faire beaucoup plus et, par exemple, éviter l'égrenage et gagner ainsi de 5 à 10 %.

Le coût du diester reste élevé. Si l'on arrivait à 50 quintaux, où en serait le coût ? On a 1,2 million d'hectares pour le colza, dont 300.000 pour le diester. Cela n'a rien à voir avec les quelques dizaines d'hectares utilisés actuellement pour les médicaments issus de plantes ! Les derniers résidus soufrés dans les carburants classiques ne pourront être éliminés qu'à un coût considérable ; dans le diester, il n'y a pas de soufre

La France doit maintenir un devoir de recherche sur le colza. Il y a énormément à faire. Dans les négociations internationales, nous avons eu des restrictions sur les oléagineux à cause de la PAC. Les Etats-Unis, c'est le maïs et le soja ; nous, le blé et le colza.

Pour le maïs, des essais récents, en utilisant les techniques du génie génétique, ont permis de multiplier par deux la teneur en méthionine d'une variété, ce qui est très important puisqu'il s'agit d'un acide aminé essentiel. Comme au final tous les gènes étrangers seront éliminés, on peut laisser croire que cette variété a été obtenue par sélection classique. Personne ne pourra rien prouver puisque ce maïs n'a plus aucun gène étranger ! Chez Rhône Poulenc, nous avons pratiqué ce type d'autoclonage pour les souches de vitamine B 12 utilisées dans des fermenteurs et donc en utilisation confinée. Dans ce cas, utilisation confinée, l'autoclonage ne passe pas sous les fourches caudines de la législation, mais, pour le maïs, il s'agit de dissémination volontaire et, dans ce cas, l'autoclonage passe sous les fourches caudines de la législation Comprenne qui pourra !

Remplacer le tourteau de soja par blé + lysine permettrait de limiter considérablement les nuisances des porcheries industrielles. Il faut donc continuer à tout prix la recherche. Reste à convaincre les consommateurs. L'ESB a beaucoup nui à la recherche scientifique. Le débat public devrait être centré sur la science et rien d'autre !

On pourrait prendre exemple sur ce qu'a fait le centre d'information sur les viandes (CIV) ou d'autres exemples. La fondation Aventis Institut de France a un grand projet en cours, Science-Generation, pour rapprocher la science des citoyens avec des réseaux de jeunes, de parents et d'enseignants dans toutes les régions françaises. Aventis et l'Institut Pasteur ont fait le train du génome. La profession est prête à ce travail de longue haleine. L'Académie des technologies a un programme d'information en province. Que sont les risques ? Le tabac tue 60.000 personnes, l'ESB 4. Au regard des morts sur les routes, de l'alcool, du sida, quel est le risque des OGM ? L'association des professeurs de biologie et géologie fait un excellent travail d'information.

Les essais actuels ne concernent pas directement les consommateurs. Au Canada, le colza génétiquement modifié a été introduit rapidement pour des raisons climatiques évidentes : vu la brièveté du printemps et de l'été, les agriculteurs avaient intérêt à utiliser des stratégies de désherbage utilisant le glyphosate. Le gain final est de 30 % ! Sans parler de la facilité de travail.

Il est dramatique que le nombre de jeunes souhaitant exercer une profession scientifique soit si faible. Dans ces conditions, il sera difficile de convaincre, d'autant que certains industriels de la profession font leur publicité en proclamant ne pas utiliser d'OGM !

M. Patrick Lassourd - Vous dites que la communication doit être principalement scientifique. Le problème n'est-il pas plutôt philosophique ?

M. Jean Lunel - Il faut d'abord que les citoyens s'approprient les questions. L'Académie des sciences s'en est saisie, réfléchissant sur les relations du sacré et du naturel. Prométhée nous a donné le feu du ciel on ne va pas le rendre ! Il faut expliquer cette désacralisation due à l'avancée des sciences.

M. le président - Le Sénat réfléchit à la manière de se pencher sur ce sujet, et de faire connaître la réalité des choses au public.

M. Jean Lunel - Les scientifiques doivent descendre jusqu'aux citoyens ; ce n'est pas toujours aisé. Cette année, aucun essai de plants transgéniques n'a été lancé !

M. le président - Je vous remercie.

46. Audition de Mme Claire Marris, chargée de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), Unité STEPE (Sociétés, Techniques, Environnement, Politiques Économiques)

M. le président - Merci d'avoir accepté l'invitation que vous a adressée la mission d'information sur les OGM, créée par la Commission des Affaires économiques. Pourriez-vous nous présenter vos travaux ?

Mme Claire Marris - Je suis sociologue et j'étudie la perception des risques depuis dix ans notamment en France et au Royaume-Uni, et en particulier par rapport aux OGM. Mes travaux couvrent différentes thématiques :

- la perception des OGM par le public. Nous avons mené sur ce thème une grande étude dans cinq pays européens (Royaume-Uni, Allemagne, Italie, France et en Espagne), publiée début 2002 ;

- l'évolution des controverses socio-technologiques ;

- l'utilisation de la science dans l'évaluation des risques, par exemple dans le cas du maïs Bt ou dans celui du boeuf aux hormones.

Je trouve que tout cela n'évolue pas beaucoup. Nous disons depuis longtemps des choses qui ne sont pas entendues. D'une façon qui peut paraître aujourd'hui paradoxale, j'ai commencé à travailler sur la perception des OGM en France en 1996 parce que je me demandais pourquoi ce dossier ne soulevait pas de controverse en France. C'est de là qu'est né le projet de mener une comparaison dans cinq pays européens. Notre étude s'est appuyée sur des focus groups, c'est-à-dire sur l'étude de groupes de discussions plutôt que sur l'utilisation de questionnaires. Ces groupes rassemblaient essentiellement des citoyens non spécialistes, puisque dans chaque pays nous avions dix groupes non spécialistes et un groupe spécialiste.

Un autre aspect de notre étude reposait sur des entretiens avec les « acteurs ». Je m'intéressais plus particulièrement à la façon dont ces acteurs se représentaient le public. On constatait un grand écart entre les deux. On rencontrait souvent des idées reçues comme « les citoyens ne comprennent pas assez la science » (ils ne savent pas ce que c'est qu'un gêne par exemple). L'idée sous-jacente était que, si la société avait une culture scientifique plus grande, il n'y aurait pas de controverse. Pourtant, nous avons bien vu dans les focus groups que les citoyens ne fondaient pas leur refus des OGM sur une position scientifique et qu'ils étaient bien conscients qu'ils ne maîtrisaient pas tous les éléments scientifiques.

Autre idée reçue : « les gens sont pour ou contre ». On constate en réalité que les gens sont beaucoup plus ambigus que cela. « Les OGM ne sont pas naturels, tout le reste est naturel » : il serait faux de croire que c'est ce que pense le public car celui-ci est bien conscient que le reste n'est pas naturel non plus.

Dernier exemple : « les consommateurs acceptent les OGM médicaux, mais pas alimentaires ». C'est vrai à un premier niveau, mais l'idée que c'est l'équilibre entre les bénéfices et les risques qui est important au niveau industriel pèse moins que l'on ne l'imagine souvent. Ce n'est pas la seule préoccupation.

Ce décalage entre les spécialistes du dossier et le grand public est très important, car il explique largement les difficultés et les erreurs de communication des pro-OGM.

M. le président - Cette fracture s'accroît-elle ou se réduit-elle ?

Mme Claire Marris - Les citoyens ne réagissent pas aux OGM eux-mêmes à proprement parler, mais aux institutions qui ont à voir avec les OGM. Ainsi, tant que le comportement des institutions ne change pas (et il change peu), il n'y a pas de changement de position de l'opinion publique. Je constate que l'on continue à caricaturer le public comme étant ignorant. Devant une réaction des consommateurs qui est globalement négative, on a analysé le problème comme relevant de l'éthique, et on a donc mis en place des commissions éthiques qui restaient dans leur propre conception des OGM et du public. Il y a des exemples de points qui n'étaient pas perçus au départ comme des problèmes, et qui sont aujourd'hui traités comme tels, ce qui prouve que l'on parvient parfois à prendre conscience qu'il y a problème.

Je voudrais insister sur un point : il est tout à fait possible que deux études scientifiques du risque aboutissent à des résultats différents, sans que l'une soit meilleure que l'autre, mais parce que l'on a pris des hypothèses ou des postulats différents. Je prendrais comme exemple le boeuf aux hormones. De telles différences dans les hypothèses de départ expliquent la possibilité de conflit, y compris à l'OMC. La Cour d'Appel de l'Organe de Règlement des Différents (ORD) essaie de développer une jurisprudence cohérente, face à cette difficulté. Le traité donnant naissance à l'OMC et les traités européens sont fondés sur l'idée que la science pourra toujours trancher la question du risque pour déterminer s'il existe ou non. Or ce n'est pas si simple. Les gens commencent à le reconnaître, mais ils pensent encore trop souvent que le conflit vient de ce que les autres font de la mauvaise science. L'idée que la science puisse donner deux réponses différentes n'est pas du tout acceptée.

M. Daniel Raoul - Avez-vous analysé la position de l'opinion publique par rapport au principe de précaution ?

Mme Claire Marris - En 1998-99, le terme « principe de précaution » était très rare. Ce qui est clair en revanche c'est l'attitude de l'opinion publique par rapport à l'incertitude. Il existe un mythe selon lequel le consommateur demanderait un « zéro risque ». C'est parfaitement faux ! Les consommateurs savent bien que la vie est risquée. Ils acceptent aussi l'incertitude. Ils citent souvent le cas de l'ESB (Encéphalite spongiforme bovine), non pas pour reprocher que les risques n'aient pas été prévus, mais pour reprocher qu'on leur ait dit qu'il n'y avait pas de risque et qu'on fasse semblant qu'il n'y a pas de risque irréductible. Les consommateurs ne sont pas inquiets à court terme. Par contre, ils savent bien que les difficultés se posent souvent dans le long terme. Dans ces conditions, leur position est que si cela n'ajoute rien, pourquoi encourir le risque. Par conséquent, il posent la question de notre besoin des OGM aujourd'hui.

M. Daniel Raoul - Mais comment prouver l'absence de risque ?

Mme Claire Marris - Il ne faut même pas essayer ! En effet, ce n'est pas crédible. Il faut au contraire prouver le besoin du nouveau produit, le suivi qui en est fait (biovigilance, étiquetage et traçabilité). On peut dresser la comparaison avec le domaine médical : il y a des médicaments qui sont retirés et les gens y voient quelque chose de positif. C'est en effet une preuve qu'on a suivi les effets du médicament et que, lorsque ceux-ci étaient en fin de compte négatifs, on n'a pas hésité à retirer le produit. Dernière revendication des consommateurs, ne pas écouter seulement les scientifiques, mais tous les acteurs du dossier. Par conséquent, l'enjeu est plus de savoir comment on fait la science aujourd'hui que de savoir si les gens sont pour ou contre tel ou tel produit.

47. Audition de M. Ambroise Martin, Directeur de l'évaluation des risques nutritionnels et sanitaires à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA)

M. le président - Nous accueillons aujourd'hui M. Ambroise Martin (directeur de l'évaluation des risques nutritionnels et sanitaires à l'AFSSA), docteur en médecine, qui possède une maîtrise de philosophie, une maîtrise de biochimie, un DEA de biochimie, un DERBH de biochimie et un doctorat d'Etat ès-Sciences.

La Commission des affaires économiques et du plan, à travers son président, Gérard Larcher, a souhaité créer une mission d'information sur les organismes génétiquement modifiés. L'objectif est de faire le point sur cette délicate question qui est devenue un problème de société, afin de bien évaluer l'importance des risques et des bénéfices, et d'aller au-devant de nos concitoyens pour leur expliquer tout cela de façon à parvenir à un choix clair et en matières économique et stratégique de façon également à ne pas passer à côté de certaines évolutions.

Dans le cadre de l'internationalisation des échanges, nous ne pouvons plus aujourd'hui vivre en vase clos et le principe de précaution (objet des débats des 4 et 5 février derniers au Conseil économique et social) qui a été appuyé par un principe de parcimonie et de transparence a remis quelques « clés de sécurité » supplémentaires. Les professionnels, qu'ils soient chercheurs, semenciers, transformateurs ou agriculteurs, ont de plus en plus de contingences en la matière et il nous appartient d'y voir plus clair. Vous allez nous y aider à travers votre mission qui est celle de l'AFSSA, notamment avec l'évaluation des risques nutritionnels et sanitaires.

M. Ambroise Martin - La Direction de l'évaluation des risques nutritionnels et sanitaires regroupe l'ensemble des comités d'experts chargés d'évaluer les risques ou parfois les bénéfices puisqu'il est clairement indiqué dans la loi « évaluer les propriétés nutritionnelles et fonctionnelles des aliments », que ces aliments soient conventionnels ou obtenus par de nouvelles technologies. La mission est fréquemment limitée à l'évaluation dans le domaine alimentaire, c'est-à-dire à une seule partie de l'évaluation des organismes génétiquement modifiés ; nous n'avons aucune mission sur la partie environnementale ni sur l'influence économique ou sociale, nous avons une mission d'évaluation scientifique de ces organismes génétiquement modifiés et, en ce sens, nous avons repris les attributions de la section nutrition et alimentation du Conseil supérieur d'hygiène publique de France.

Au sein de la Direction, cette évaluation est plus spécifiquement dévolue à un Comité d'experts spécialisés en biotechnologie qui a été constitué à la fin de l'année 2000 après un appel à candidatures national largement diffusé et relayé, suivi d'une évaluation de ces experts sur leurs compétences, leur indépendance et leur disponibilité éventuelle ; la compétence étant appréciée par les travaux scientifiques publiés et par la reconnaissance académique, l'expérience de l'expertise au sein de comités nationaux et internationaux étant prise en compte dans cette appréciation. Nous avons pu ainsi effectuer un choix pour essayer d'avoir les meilleurs experts dans différentes spécialités incluant les biotechnologies.

Ce comité traite non seulement des organismes génétiquement modifiés, mais également d'autres aspects des biotechnologies plus traditionnelles comme tout ce qui concerne les micro-organismes pour les fermentations, l'utilisation d'enzymes, etc., avec un lien entre les trois puisque si des organismes génétiquement modifiés directement pour la production d'aliments sont relativement peu présents à l'heure actuelle dans notre évaluation, par contre des sujets moins sensibles comme l'utilisation d'enzymes issues d'organismes génétiquement modifiés ou des travaux sur des micro-organismes génétiquement modifiés dans certains processus technologiques et fermentaires font l'objet de notre attention.

Lorsque l'on évoque les OGM, l'aspect production d'aliments directement absorbés par le consommateur est généralement mis en avant, mais beaucoup d'autres utilisations existent -moins médiatisées et posant sans doute moins de problèmes de sécurité- qui participent à l'amélioration des processus industriels. Par exemple, les enzymes préparées par biotechnologie permettent d'obtenir des enzymes mieux caractérisées, plus pures, et donc de nature à favoriser l'amélioration des « process ».

Le fonctionnement de l'évaluation des OGM pour le domaine alimentaire s'effectue actuellement dans un cadre harmonisé au niveau européen puisque ces organismes génétiquement modifiés rentrent dans le cadre du règlement Nouveaux aliments édité en 1997 par la Commission européenne qui prévoit une évaluation communautaire qui se fait en deux étapes :

- une évaluation initiale est réalisée par un pays évaluateur qui détient l'intégralité du dossier et qui est choisi par le pétitionnaire qui souhaite mettre sur le marché l'organisme génétiquement modifié. Un rapport d'évaluation initiale, rédigé selon les lignes directrices du règlement Nouveaux aliments édicté par le Comité scientifique de l'alimentation humaine à Bruxelles, est ensuite transmis à l'ensemble des autres Etats membres qui ont 60 jours pour donner un avis sur ce rapport, faire des objections et poser des questions ;

- au terme de cette procédure, un accord général est donné d'un point de vue scientifique ; en cas de désaccord, les comités scientifiques bruxellois examinent le sujet, discutent des remarques émises par les différents pays, amendent le rapport, le complètent éventuellement et délivrent l'avis final qui est rendu public conformément aux obligations.

Cette évaluation dont la procédure devrait se poursuivre dans le cadre de la nouvelle autorité alimentaire européenne, constitue un examen extrêmement large effectué par des scientifiques très divers.

Lorsque l'on est rapporteur initial, selon l'importance du dossier, la diversité des problèmes posés, le dossier est confié à plusieurs rapporteurs spécialisés dans les différents aspects soumis à examen. Si le Comité biotechnologie est chargé de coordonner ces différents dossiers, il fait très fréquemment appel au travail d'autres comités pour évaluer d'autres aspects de ces OGM. Par exemple, le Comité nutrition humaine apporte son concours dans le cas d'aspects nutritionnels et le Comité d'experts en toxicologie intervient sur certains aspects toxicologiques pointus. L'approche est transversale pour examiner l'ensemble des aspects liés à la sécurité alimentaire ou à l'intérêt alimentaire éventuel de ces organismes génétiquement modifiés.

M. le président - Combien faut-il de temps pour le déroulement de cette procédure ?

M. Ambroise Martin - La durée sera variable en fonction de l'importance du dossier mais les règles directrices européennes et nationales font qu'il faut compter entre trois à six mois pour traiter un dossier complet. Plusieurs rapporteurs seront sollicités si les dossiers sont très volumineux. Si des compléments d'informations sont demandés par les rapporteurs, les délais peuvent éventuellement être allongés.

M. le président - Auriez-vous la liste des enzymes et des micro-organismes couramment utilisés ?

M. Ambroise Martin - Elle devrait être disponible auprès des services de contrôle et je vous la ferai parvenir.

M. le président - Sur des enzymes ou des micro-organismes assez classiques, pourriez-vous nous donner votre analyse en matière de risque/bénéfice ? Personnellement, j'avais une interrogation sur un point bien précis que j'avais soulevé dans un rapport en 1997, c'est-à-dire la chymosine qui est la présure utilisée pour cailler le lait. Par définition, on considérait que la présure d'autrefois, collectée à partir de la caillette du veau, était « naturelle » et synonyme de fromage sous AOC. Même si la transmission verticale de l'ESB est de moins en moins évaluée comme positive, la chymosine fabriquée par génie génétique est quand même d'une sécurité absolue.

M. Ambroise Martin - Etant obtenue par transgenèse, elle offre, certes, une plus grande sécurité, car l'enzyme est purifiée. Il n'y a absolument plus d'organisme génétiquement modifié dans la préparation finale. Lors de l'évaluation, nous regardons de très près ces phénomènes, notamment la pureté et nous exigeons des études toxicologiques chez l'animal selon des procédés classiques qui permettent de définir les facteurs de sécurité qui seront extrêmement importants ; nous regardons également l'identité avec l'enzyme existant naturellement, les contaminants éventuels provenant des nouvelles cultures, la présence d'ADN et d'éléments résiduels, etc.

M. le président - D'autres exemples vous viennent-ils à l'esprit ? je suppose que la liste est assez longue.

M. Ambroise Martin - La liste est en effet assez longue car les sociétés sont très actives sur cette question. Outre les lipases qui permettent de retravailler les différents types de graisses pour des usages technologiques bien particuliers, je n'ai pas d'exemples qui me viennent spontanément à l'esprit, d'autant que je ne gère pas directement ce Comité et, compte tenu du contexte et de la complexité, ce ne sont pas des dossiers courants, ils sont très lourds à porter et peuvent être très argumentés.

M. le président - Auriez-vous un cas typique de refus d'autorisation ?

M. Ambroise Martin - J'ai un cas précis de refus sur le fait que la construction génétique n'était pas parfaitement connue et que, notamment, il y avait un certain nombre de séquences d'ADN dans la construction qui nous était proposée dont la fonction n'était pas déterminée. L'amorce était parfaitement connue, par contre aux extrémités et au milieu, il restait des séquences d'ADN sur lesquelles il y avait une incertitude. Le premier point de l'examen consiste toujours à examiner les caractéristiques de la séquence transférée et, dans ce cas précis, cette première étape n'avait pas été franchie.

M. le président - En plus des gènes d'intérêt, s'il y a des gènes associés, êtes-vous obligés de connaître l'intégralité de l'ADN transféré ?

M. Ambroise Martin - Tout à fait, nous demandons une construction génétique parfaitement déterminée et connue dans ses moindres détails, et c'est toujours le premier point qui est examiné.

M. le président - A moins qu'il ne soit très complexe, pourriez-vous nous transmettre une liste « standard » de ce protocole ?

M. Ambroise Martin - Nous pouvons vous transmettre les lignes directrices émises par le Comité. Pour résumer, nous faisons une évaluation d'après des renseignements le plus précis possible sur la construction génétique, sur la protéine issue de ce transgène : tissu exprimé, niveau d'expression, séquence, l'identité ou non avec l'équivalent naturel, les éventuelles modifications post-traductionnelles, les propriétés physico-chimiques, notamment la thermostabilité et la résistance aux enzymes digestives. Nous demandons ensuite une comparaison des séquences avec les banques de données sur les séquences allergènes permettant éventuellement de trouver des homologies de séquences. Nous admettons que si la protéine étudiée comporte six à huit acides aminées identiques qui se retrouvent dans des protéines allergènes, le risque allergénique est important.

A l'heure actuelle, l'évaluation du potentiel allergénique est un peu plus précisée. En effet, des réflexions internationales au niveau de la FAO et de l'OMS ont proposé des lignes directrices pour les organismes génétiquement modifiés avec en complément de l'approche existante une évaluation par des tests utilisant des sérums de patients allergiques bien identifiés. Une recommandation préconise que les autorités publiques de chaque pays mettent en place des banques de sérums de patients allergiques afin de réaliser ces tests.

Certes, l'allergie nécessite de l'allergène, mais elle nécessite également un patient et c'est un risque que l'on ne pourra jamais totalement éliminer ; tout est susceptible d'être allergique ou allergisant. Par exemple, on a hydrolysé les protéines du lait pour les patients allergiques, mais l'on commence à décrire des enfants allergiques à ces laits hypoallergéniques.

M. Hilaire Flandre - A toujours vouloir éliminer tous ces risques, notamment en matière d'allergie, ne développe-t-on pas des risques d'allergies encore plus importants ?

M. Ambroise Martin - C'est une question que l'on peut se poser dans la mesure où toute modification que l'on fait intervenir sur un produit peut créer de nouveaux allergènes. Par ailleurs, il y a une augmentation des phénomènes allergiques pour lesquels il y a davantage d'hypothèses explicatives que de démonstrations.

L'évaluation du potentiel allergique est un aspect important et l'on ne pourra jamais exclure ce potentiel. Toutefois il peut y avoir des variables selon les types d'OGM en cause, c'est pour cette raison que l'évaluation doit être réalisée au cas par cas, et c'est particulièrement important pour les organismes génétiquement modifiés utilisés comme commodités et dont les produits dérivés vont se retrouver dans de très nombreux produits alimentaires.

M. le président - En dehors de l'allergique, qu'y a-t-il comme autres risques ?

M. Ambroise Martin - L'allergie est le risque le plus plausible que nous pouvons le mieux observer. Pour les autres risques, nous avons l'impression de pouvoir bâtir énormément de scénarios catastrophes qu'il est difficile, voire impossible scientifiquement d'éliminer. Du point de vue scientifique, on ne peut pas démontrer une absence totale de risque. On peut tout au plus démontrer que quelque chose est différent ou non de zéro avec une certaine puissance et une certaine probabilité de se tromper.

Parmi les risques souvent évoqués figure le fait que l'insertion du nouveau gène que l'on ne sait pas encore diriger parfaitement malgré les progrès, peut perturber d'autres métabolismes de la plante et faire apparaître des produits potentiellement dangereux du fait de ces modifications métaboliques. Par exemple, l'augmentation ou l'apparition d'un nouvel alcaloïde ou d'un nouveau composé quelconque qui peut éventuellement avoir des effets délétères.

Les tenants des OGM ou ceux qui ne leurs sont pas défavorables par principe, soulignent le fait que malgré tout, le maïs qui est modifié reste un maïs et que les perturbations métaboliques ne peuvent pas être trop profondes, sinon il ne serait pas possible à la suite du transfert de gène de refaire pousser un nouveau maïs. Ce maïs reste donc fonctionnel, ce qui veut dire que les modifications introduites n'ont pas eu d'effet délétère sur la plante ; quant aux plantes issues de la transgenèse qui paraîtraient anormales ou modifiées, elles ne seraient pas sélectionnées, on ne prendrait que des plantes qui, en apparence, ne seraient pas modifiées.

Pour approcher ce risque, l'une des bases utilisée -qui n'est pas une garantie de sécurité mais un point de départ et qui a été mise en avant par la Communauté européenne- est la notion d'équivalence en substance. Aussi essayons-nous de voir, sur le plus grand nombre possible de caractéristiques de la plante, s'il y a des différences ou non avec les lignées parentales à partir des quelles les OGM ont été obtenus, et cela par deux types d'approches :

- les approches analytiques : dans certains cas, plus de 1 000 dosages différents sont effectués pour déterminer les quantités des principaux nutriments, les vitamines, les minéraux et tout ce que l'on sait être présent dans la plante. Toutefois, cette approche est limitée dans la mesure où on ne peut doser que ce que l'on connaît et que ce que l'on cherche, donc par rapport au scénario d'un métabolite nouveau, cette approche n'est pas du tout performante ;

- les approches globales : elles font l'objet de développements méthodologiques et permettent d'avoir une sorte d'empreinte biologique de la plante en faisant appel à des techniques d'analyses globales, génomiques pour l'aspect ADN, protéomique pour l'aspect expression des protéines, voire métabolomique pour les produits du métabolisme, ce qui nécessite également une analyse informatique extrêmement poussée. D'autres types d'approches font appel à des technologies physiques, telles que la pyrolyse couplée à la spectrométrie de masse permettant d'obtenir des empreintes relativement fines.

Ces méthodes font encore partie du domaine de la recherche, et nous encourageons fortement les industriels et les promoteurs des organismes génétiquement modifiés à les utiliser sans pouvoir en faire pour le moment une obligation dans la mesure où de nombreux problèmes techniques restent à étudier, notamment comment prendre en compte la variabilité naturelle d'une plante pour dire que telle modification est vraiment spécifique de la partie OGM par rapport à la partie non OGM.

Chacune de ces approches sur la sécurité a ses limites et le troisième volet est l'étude sur l'animal à deux niveaux :

- la protéine purifiée lorsque c'est possible, recherche qui s'effectue plus spécifiquement sur des animaux de laboratoire avec des études classiques de toxicologie ;

- l'aliment ou l'ingrédient pris globalement de façon à pouvoir révéler d'éventuels effets inattendus, non intentionnels ou non prévisibles ou a priori non suspectables.

M. le président - Vous faites les études sur plusieurs générations ?

M. Ambroise Martin - De nombreuses discussions tentent de déterminer les études qui sont les plus pertinentes. Actuellement, les études portent sur le court terme (28 jours) ou le moyen terme (90 jours), de la même manière qu'elles sont réalisées classiquement en toxicologie. A ma connaissance, il n'existe pas d'étude qui ait été mise en place sur plusieurs générations.

Le problème de ces études est de savoir ce qu'il faut rechercher. Au départ, il s'agit de produits alimentaires qui ont subi une modification qui, du fait de l'ensemble des examens réalisés, paraît relativement mineure, mais avec une probabilité d'effets non suspectés que l'on ignore totalement. Parfois, les biologistes moléculaires ne comprennent pas la position des statisticiens qui veulent connaître l'importance de la différence qu'on souhaite mettre en évidence entre OGM et non OGM pour savoir combien d'animaux devront être testés. Par ailleurs, ces études sont longues et coûteuses, et les scientifiques débattent encore pour essayer de déterminer celles qui seront les plus discriminantes ou les plus évocatrices.

M. le président - N'allez-vous pas jusqu'à la toxicité de relais, voire de la consommation d'un animal qui a ingéré des organismes génétiquement modifiés ? C'est une problématique qui va se poser maintenant.

M. Ambroise Martin - Ces questions font l'objet d'actives discussions et posent des problèmes un peu conceptuels, surtout pour les nutritionnistes car on sait que les déterminants au long cours de la santé ne sont absolument pas liés à un aliment isolé, mais à la globalité du régime alimentaire et au style de vie. Donc la pertinence de ce type d'étude sur des produits dont l'ensemble des études que nous venons d'évoquer a démontré en quelque sorte l'alimentarité paraît difficile, sachant que là encore, rechercher quoi et comment fait l'objet de très nombreux débats.

Avec une molécule dont on sait qu'elle peut avoir une toxicité et dont on peut monter qu'elle a un effet in vitro sur tel type de cellule, on sait à peu près quoi rechercher chez l'animal. Les tests ont montré que les organismes génétiquement modifiés qui ont été autorisés jusqu'à présent sont totalement dépourvu d'effets, et l'on ne sait pas comment bâtir une expérience pour démontrer quoi que ce soit puisque l'on ne sait pas ce que l'on veut chercher. Ce que nous connaissons est très faible par rapport à ce que nous ignorons, mais on peut en dire autant de l'ensemble des aliments que nous connaissons. Les tenants des organismes génétiquement modifiés ont toujours beau jeu de dire que si on soumettait à l'heure actuelle la pomme de terre aux commissions d'experts, elle ne serait pas mise sur le marché.

M. le président - Nous sommes là sur l'évaluation risque/bénéfice, vous avez parlé des risques (allergie, production éventuelle de nouvelles molécules), quels sont les bénéfices ?

M. Ambroise Martin - Les bénéfices sont tout aussi difficiles à évaluer. Dans le domaine de la nutrition, il n'y a guère que les modifications visant à changer les caractéristiques nutritionnelles des OGM qui pourraient présenter, a priori, un intérêt immédiat pour le consommateur ; éventuellement le second intérêt porterait sur les modifications des protéines allergisantes. Des essais ont été effectués, notamment au Japon, avec des riz hypoallergéniques dont il ne semble pas qu'ils aient bien résolu les problèmes.

L'AFSSA a organisé au mois de décembre un colloque sur la question « peut-on évaluer les bénéfices des organismes génétiquement modifiés ? » et l'on s'aperçoit que nous avons un peu les mêmes problématiques que pour les risques et qu'il n'est pas plus facile de les démontrer.

Pour les nutritionnistes, en ce qui concerne les pays occidentaux, les organismes génétiquement modifiés ne semblent pas indispensables, il existe déjà de très nombreuses sources de nutriments modifiés et les OGM n'apportent qu'une cacophonie supplémentaire. Un autre aspect, sans doute davantage spécifique à la tradition scientifique française, est lié au fait que modifier des aliments pour qu'ils ressemblent à autre chose que ce qu'ils sont au départ est assez problématique. Nous entrons dans une complexité qui modifie, détruit l'image traditionnelle des aliments et qui complique toutes les tâches d'éducation alimentaire.

Les nutritionnistes sont donc plutôt réservés sur cet aspect « positif » des OGM, au moins en ce qui concerne les pays occidentaux. Pour les pays en voie de développement, la problématique est différente et là, il peut y avoir des utilités réelles.

M. le président - Nos concitoyens ne se nourrissent pas toujours très bien -beaucoup mieux en France que dans d'autres pays-, toutefois que pensez-vous de la problématique modification du rapport acides gras saturés ou insaturés de façon à éviter des risques d'accidents cardiovasculaires ?

M. Ambroise Mar tin - En ce qui me concerne, ce serait un élément supplémentaire, mais pas déterminant puisque l'essentiel du gras que nous consommons est, pour une bonne partie, du gras ajouté.

Pourquoi n'existerait-il pas des corps gras modifiés par transgenèse, mais actuellement, l'essentiel des graisses est apporté par les produits industriels ou la restauration collective avec des produits que nous ne maîtrisons pas (quiches, viennoiseries, frites, etc.). Récemment Que Choisir ? a fait une analyse des graisses cachées dans notre alimentation et montrait qu'il n'était pas nécessaire d'avoir recours aux OGM pour améliorer la situation qui, d'après leurs résultats, est assez dramatique.

M. le président - La notion d'alicament ne vous séduit pas beaucoup, semble-t-il ?

M. Ambroise Martin - C'est exact, c'est un type de produit qui se développe et dont nous sommes bien obligés de tenir compte pour essayer de l'encadrer au maximum et l'orienter dans le meilleur sens possible, mais cela ne me séduit pas du tout. C'est la globalité du régime qui est importante, donc c'est le régime qui devrait être « régicament » et non pas l'aliment lui-même.

Il est certain malgré tout qu'il y a des produits intéressants, mais qui restent pour le moment relativement rares car les exigences scientifiques pour leur autorisation n'ont rien à envier à celles du médicament. Certains de ces aliments ont des effets que même un bon régime n'arrive pas à produire et qui pourraient être favorables pour la santé.

M. le président - Auriez-vous des exemples à nous donner en la matière ?

M. Ambroise Martin - Les nouvelles margarines : pour le moment, une seule sur le marché répond réellement à ce critère et je considère que c'est vraiment le seul alicament qui a fait preuve d'une efficacité sur une fonction biologique, il s'agit de la margarine pro.activ d'Unilever qui repose sur l'addition de phytostérols (stérols végétaux) empêchant l'absorption du cholestérol alimentaire et permettant, si ce cholestérol alimentaire n'est pas trop abondant, de faire baisser le cholestérol sanguin, et notamment ce que l'on appelle « le mauvais cholestérol ».

Pour le moment, cette efficacité est parfaitement démontrée et un avis favorable a été accordé pour que cette margarine puisse faire état de cette réduction du cholestérol en précisant toutefois que c'était dans le cadre d'un régime adapté, mais on n'a pas voulu aller au-delà puisqu'il n'est absolument pas démontré pour le moment qu'il y ait un effet sur la diminution du risque de maladies cardiovasculaires. Je pense que les études sont en cours, mais la démonstration n'est pas faite.

M. Daniel Raoul - Où commence votre mission au niveau du contrôle de la nutrition ? Pour prendre un exemple relatif à la mission viticole, les nouveaux cépages génétiquement modifiés pourront produire du vin ; votre mission est de contrôler les effets sur le produit obtenu à partir de la plante génétiquement modifiée. En aval, où commence et où s'arrête votre mission après que vous ayez donné votre autorisation de mise sur le marché (AMM) ou l'équivalent ? Ce n'est pas le tout de reconnaître la faisabilité ou la sécurité de l'OGM, mais après, quelles vérifications faites-vous sur le processus industriel ?

M. Ambroise Martin - Pour répondre à votre première question, nous travaillons essentiellement sur saisine des autorités de tutelle (Santé, Consommation et Agriculture) ; nous avons une capacité d'auto-saisine, mais sur des questions générales davantage que sur des dossiers ponctuels puisque nous n'avons pas de moyens de contrôle pour aller sur place regarder si les viticulteurs utilisent ou non des cépages transgéniques. Nous pourrions être saisis sur le vin issu de ces cépages et être amenés à l'évaluer avec les mêmes outils que précédemment et nous donnerions, non pas l'AMM puisque, en dehors du médicament vétérinaire, nous n'avons pas de pouvoir de décision, mais un avis scientifique. A partir de cet avis, en fonction d'un ensemble d'autres éléments, les politiques ou les administrations prennent la décision de l'autoriser ou non.

En ce qui concerne le suivi, c'est un peu la même chose. Nous ne sommes pas un organisme de contrôle et nous ne regardons pas la mise en oeuvre par les industriels. Cependant, la loi nous a confié une mission d'observation des consommations alimentaires et nous avons, au sein de l'Agence, l'Observatoire des consommations alimentaires qui réalise un certain nombre d'enquêtes (partielles sur certains groupes de populations ou nationales représentatives sur les consommations alimentaires), ce qui permet de recueillir divers éléments sur les consommations des français.

Nous utilisons également les bases de données des industriels (panel Sécodip) qui est l'enregistrement sur l'ensemble de l'année des codes barres des produits alimentaires achetés par 6.000 ménages, et nous comparons les données de consommations individuelles à des données d'achats.

M. Daniel Raoul - Ma question portait sur le produit qui sort de chez l'industriel : correspond-t-il effectivement à ce que vous avez autorisé en mise sur le marché ? Je ne parle pas au niveau quantitatif mais au niveau qualitatif.

M. Ambroise Martin - Nous n'avons aucun pouvoir de contrôle sur ce qui se passe dans l'industrie ou sur le produit qui en sort directement, nous n'effectuons ni contrôle ni analyse, ce sont les services de la répression des fraudes qui vont mettre en place des analyses pour vérifier si l'étiquetage est correct, l'étiquetage des OGM étant obligatoire.

M. Daniel Raoul - Ce n'est pas ma question. Tout à l'heure, vous avez donné un exemple de refus dû au fait que l'on ne connaissait pas tout des fonctions en dehors de l'amorce. Dans le processus industriel, cette séquence est-elle bien respectée sans qu'il y ait possibilité d'ajouter d'autres séquences par accident, erreur de manipulation ou autres ? Sur le plan qualitatif, le produit qui sort de la chaîne industrielle est-il bien conforme à l'avis que vous avez donné ?

M. Ambroise Martin - C'est toute une problématique que je connais très mal, qui concerne les semenciers et le contrôle, et je ne saurais pas vous donner de réponse. L'AFSSA possède un laboratoire qui travaille sur cette question-là en termes de recherche et de méthodologie, mais pas en termes de missions de contrôle.

M. Daniel Raoul - Nous pourrions arriver à quelque chose de paradoxal : vous pouvez êtes intransigeants au niveau de l'expertise, évoquer des refus et vous trouver confrontés à un laxisme dans le processus industriel.

M. Ambroise Martin - C'est peut-être une lacune du dispositif, mais en ce qui nous concerne, nous n'avons aucune possibilité de le vérifier, nous travaillons essentiellement sur dossier.

M. le président - Ce type de construction génétique étant tellement lourd, il serait intéressant d'approfondir ce sujet.

M. Daniel Raoul - Justement, c'est tellement lourd qu'il faut qu'il y ait à la fois des super techniciens en génie biologique moléculaire dans cette industrie, que leurs appareils soient ultra « clean » afin qu'il n'y ait pas d'autres organismes qui traînent, etc. C'est, relativement, source de risque d'obtenir des produits différents.

M. Ambroise Martin - Parmi les éléments des dossiers, il est certain que les caractéristiques des laboratoires qui réalisent les analyses ou les constructions sont à prendre en compte. Aucune crédibilité ne serait accordée à ce qui sortirait d'un laboratoire qui ne serait pas accrédité pour faire telle ou telle détermination ou qui ne travaillerait pas sous bonne pratique de laboratoire. C'est la seule garantie que nous ayons, pour le reste, les points précis que vous évoquez, la réponse est très clairement non ; nous n'avons aucun pouvoir, aucune possibilité.

M. Daniel Raoul - N'y a-t-il pas d'organisme qui pourrait se saisir d'un problème de qualité à l'AFSSA ?

M. Ambroise Martin - Vérifier que telle construction a bien été autorisée relèverait typiquement des services de contrôle. L'étude de la construction est l'un des éléments de l'évaluation, mais nous évaluons essentiellement le produit fini. Ensuite ce sont les semenciers, au travers des biologistes et des spécialistes en physiologie végétale qui vont faire d'autres manipulations relativement classiques pour obtenir une variété stable et reproductible.

M. Daniel Raoul - Imaginons que la science ait donné deux avis positifs sur les constructions de gènes ayant deux fonctions intéressantes différentes et que ces deux maïs se croisent accidentellement ; qu'est-ce que cela peut donner ?

M. Ambroise Martin - Pour le moment, cette question n'a pas fait l'objet d'une évaluation extrêmement précise. Dans le domaine alimentaire, nous en sommes toujours à une évaluation du produit supposé parfait et unique. Ces problèmes de mélange relèvent davantage de la problématique environnementale de la CGB.

M. Daniel Raoul - Dans la séquence en dehors de l'amorce, il y a d'autres gènes qui peuvent avoir des fonctions différentes. Avec les deux séquences qui ne sont pas les mêmes, on peut arriver à des croisements par des procédés naturels, ce sera de la pollinisation croisée.

M. le président - Cela ne se pose pas sur le maïs puisque les autorisations n'ont été données précisément que sur des plans stériles, c'est-à-dire qui ne se reproduisent pas dans les conditions du biotope européen.

Pour évoquer précisément le cas des cépages génétiquement modifiés, il est compréhensible que les producteurs ne tiennent pas à ce que ce soit médiatisé, le vin ayant une image très particulière. Toutefois, cela devrait être classifié comme avantage puisque cela évite d'utiliser des quantités importantes de traitements à base de cuivre pour lutter contre un certain nombre de toxines. Nous essayons d'évaluer de la manière la plus objective les risques, mais également les avantages.

M. Ambroise Martin - C'est une problématique qui relève d'autres instances et qui n'est pas la nôtre.

M. le président - S'il n'y a plus de question, nous allons remercier M. le Directeur pour l'éclairage qu'il nous a donnés sur cette délicate question que sont les organismes génétiquement modifiés.

48. Audition de M. Bertrand Mérot, Président du Directoire de Meristem Therapeutics

M. le président - Votre entreprise est leader mondial devant une dizaine de concurrents américains.

Notre mission prépare la réflexion sur la transposition des directives européennes, ainsi qu'un éventuel projet de loi en 2003 sur les biotechnologies.

Parlez-nous de votre expérience, sans hésiter à nous dire vos souhaits.

M. Bertrand Mérot - Notre start-up de 85 personnes, leader mondial dans son domaine, se sent parfois un peu seule dans notre pays ; le contexte général n'est guère favorable aux biotechnologies.

Ces dernières années ont vu de gros progrès dans la génomique. On sait séquencer entièrement le génome humain ; chaque information en résultant est un médicament potentiel. Il n'y a aucun doute sur le fait que l'on va passer d'une médecine chimique à une médecine où l'on bénéficiera de l'action d'une protéine précise. On sait aujourd'hui fabriquer une sorte de missile avec sa tête chercheuse capable d'aller directement sur la cellule malade.

C'est la médecine de demain, mais il y a actuellement un gros problème de production. Avec les techniques de production actuelles, il faut quatre à cinq ans pour disposer de capacités de production du médicament nécessaire.

Le génie végétal est une solution gagnante. Nous produisons des protéines complexes, par exemple pour l'hémoglobine, à partir du tabac, mais exclusivement à partir de matières végétales. La bio-sécurité est totale. Notre usine, c'est le champ !

Nous pouvons produire des médicaments coûtant 10 à 100 fois moins cher que ne le ferait l'industrie. En partant du maïs et du tabac, nous produisons des protéines recombinantes.

Meristem Therapeutics est issue du groupe Limagrain, qui ne détient plus que 18 % de notre capital.

Dès qu'un laboratoire a identifié un gène d'intérêt, nous l'introduisons dans un plasmide ; il pourra ainsi se ficher dans le génome végétal, lequel produira en champ la protéine qui nous intéresse. L'extraction est simple : nous travaillons à l'interface de l'agro-alimentaire. Après l'extraction vient la purification -et le médicament.

Nous travaillons sur nos propres projets, mais aussi avec de grands laboratoires pharmaceutiques. Pour le moment, Meristem développe quatre projets : la lipase gastrique, pour lutter contre la mucoviscidose, le sérum-albumine humain, pour reconstituer le plasma sanguin (vous connaissez les problèmes dus à la transfusion : on aura de plus en plus besoin de sang artificiel) ; la lactoferrine humaine, qui a une grande valeur antiseptique et antibiotique. On pourrait aussi laisser cette lactoferrine dans du sorgho ou des patates douces, afin de protéger les gens des pays pauvres tout en les nourrissant. Quatrième grand projet : les anticorps monoclonaux qui permettent de lutter contre le cancer.

La lipase gastrique fait partie des médicaments qui n'intéressent guère les grands laboratoires, faute d'un assez grand nombre de patients. La mucoviscidose est pourtant la première maladie génétique en Occident, où elle touche 70.000 personnes. Actuellement, on donne à ces malades des extraits de pancréas cru de porc, ce qui pose autant de problèmes que cela n'en résout. Il faut du médicament en grande quantité, à un coût raisonnable. Seules les plantes permettent de le faire pour une dizaine d'euros le gramme en phase finale. Nos concurrents travaillent sur des extraits animaux, qui posent de gros problèmes, tant d'hygiène qu'économiques.

Pour la lipase, nous sommes aux champs depuis 1995, en France, en Espagne, au Chili, aux Etats-Unis. Nous plantons du tabac et du maïs producteurs de lipase ; des champs ont été détruits l'an dernier par une nébuleuse association hostile aux « nécro-technologies impérialistes »...

Certains, qui ne savent pas de quoi ils parlent, souhaiteraient une culture en serres ; c'est impossible. Pour quatre à six kilos de molécules recombinantes, il faut déjà un hectare. Vous imaginez la surface des serres ! Dès l'an prochain, nous devrons produire dans des conditions identiques à celles du marché final : pour une tonne, il faudra 250 hectares. Nous pouvons mettre en place des filières totalement sécurisées. C'est notre credo. Toutes les questions de traçabilité et de sécurité vont de soi pour nous, dès l'origine.

Le tabac ne se croise avec aucune plante alimentaire ; on étête les plants avant production : aucun risque de diffusion. Le maïs ne se croise avec aucune autre plante européenne ; nous exigeons de très grandes précautions de nos agriculteurs. En outre, le mâle est non transgénique, afin que le pollen qui pourrait, très éventuellement, se diffuser soit sans effet transgénique.

L'agriculture doit devenir partenaire des filières pharmaceutiques. Cela a un coût : nous rémunérons deux fois plus nos agriculteurs, puisqu'ils nous donnent une assurance de qualité. C'est le concept d'usine à molécules aux champs qui est en jeu ! Demain, l'agriculteur peut devenir partenaire de l'industrie chimique aussi. Comme dit le directeur de Bayer : l'avenir, c'est de passer de l'usine aux champs.

La production aux champs offre des avantages déterminants tant en termes scientifiques qu'économiques et de sécurité. J'ai reçu des propositions américaines : le gouverneur de l'Iowa est venu à Clermont-Ferrand, ce que n'a fait aucun responsable politique français. Nous avons aussi des propositions en Virginie. L'Iowa, c'est le maïs ; la Virginie, le tabac. Les Américains ont bien compris l'intérêt de ce que nous faisons. J'ai des possibilités en France mais l'environnement politico-réglementaire y est si gris que nous hésitons. Quelles assurances ont nos actionnaires ?

M. le président - Cela fait quatre ans que je vous ai rencontré. Votre passion est égale, et nous n'avons rien su faire...

M. Claude Saunier - La question est celle de notre capacité collective à avoir un débat rationnel sur ces problèmes.

L'opinion publique sera prête à vous suivre si vous savez la convaincre qu'il n'y a pas de risque de « bombe transgénique ».

M. Bertrand Mérot - L'opinion souhaite que l'on avance. Comment nous faire entendre dans le brouhaha médiatique ? On est dans une logique de blocage, dans laquelle nous devons toujours apporter une nouvelle preuve. Ce n'est pas à l'opinion publique de décider quels moyens d'expertise employer ! Ce n'est pas vers elle qu'il faut renvoyer la responsabilité.

M. Rodolphe Désiré - Ecrivez un best-seller ! (Sourires)

M. Patrick Lassourd - On est dans l'irrationnel ! Il faudra profiter du futur projet de loi pour introduire un peu de rationalité dans le débat. Comment vivez-vous la réglementation actuelle ?

M. Bertrand Mérot - Celle qui est appliquée pour les essais au champ nous convient parfaitement. L'industriel peut travailler dans n'importe quel cadre, pourvu qu'il sache où il en est. A partir de quelle surface cela cesse-t-il d'être de la recherche ? Si le seuil est trop bas, nous ne pourrons plus travailler. Nous aurons besoin de centaines d'hectares pour mettre le médicament sur le marché.

M. le Président - Quelle est votre position sur l'avis des quatre sages ?

M. Bertrand Mérot - On a évité le pire.

La notion de précaution est au centre de toute la recherche pharmaceutique. La parcimonie ? Nous avons aussi besoin d'expérimenter la production en masse. La transparence ? Encore faut-il que ce ne soit pas un parcours fléché pour les destructeurs ! Je souhaite un principe de protection, pendant au principe de précaution. Ce serait un signal fort pour les industriels.

M. Claude Saunier - Sauf à mettre un escadron de parlementaires autour de chaque champ, on n'arrivera à rien s'il n'y a pas adhésion de la société. Cela nécessite une information équilibrée et juste. Je déplore que la télévision insiste sur des faits divers déstabilisants plutôt que sur ce genre d'avancées scientifiques. On est encore dans l'onde de choc du sang contaminé : l'opinion publique est de l'autre côté.

M. Jean-Marc Pastor - Hier soir, nous participions, avec M. Bizet, à un débat à la télévision. Le journaliste tenait à toute force à faire une conclusion alarmiste sans rapport avec ce qui avait été dit !

C'est en insistant sur le volet santé qu'il doit être possible d'améliorer la communication.

M. Bertrand Mérot - Avec grand plaisir ! Il faut aussi que ce soit un mouvement général.

M. Christian Gaudin - Il faut aussi définir l'intérêt public en termes de principe d'information. C'est le préalable.

M. Daniel Raoul - Les experts scientifiques ont un problème de crédibilité. Pourquoi n'être pas nous aussi démagogues et insister auprès des parents d'enfants atteints de mucoviscidose ? Faisons un Téléthon, pour toucher aux tripes l'opinion publique.

M. Hilaire Flandre - La dissémination des gènes ne serait pas dans l'intérêt du producteur ! Il faut aussi établir une balance coût/bénéfices. Trouvons un José Bové ! Des enfants sont atteints de mucoviscidose, on peut les sauver. En face, des irresponsables saccagent les essais faits pour les sauver !

M. Daniel Raoul - Contre la centrale nucléaire de Plogoff, il y avait les gros pétroliers. Contre vous ?

M. le président - Greenpeace s'attaque aux essais français, pas à ceux des Américains !

M. Bertrand Mérot - Greenpeace a précisé lors du débat au conseil économique et social que ce qui était visé c'était la mondialisation. C'est pour cela qu'on nous demande toujours plus de preuves : pour que ce soit infini .

M. Daniel Raoul - Contre l'irrationnel, utilisons l'irrationnel !

M. Patrick Lassourd - On touche à des fondamentaux philosophiques : la mort, le sang, le sexe... Ce n'est pas le docteur Folamour, c'est un travail scientifique.

M. le président - Je vous remercie. N'hésitez pas à nous faire tenir votre analyse juridique sur la transcription des directives 2001-18 et 1998-44.

49. Audition de M. Yves Montécot, Président du Syndicat national de la nutrition animale

M. Yves Montécot - La problématique OGM en alimentation animale concerne essentiellement deux matières premières : le maïs et le soja. Ce dernier est indispensable comme source de protéine. L'Europe est très dépendante des importations de soja (Graines et tourteaux) pour couvrir ses besoins en protéines.

Rappelons que la problématique des OGM n'est pas une problématique sanitaire.

Il n'y a aujourd'hui aucune réglementation pour l'alimentation animale. Un texte communautaire attendu des professionnels, devrait prochainement être voté.

Toutefois, dès 1997 nous avons engagé avec la DGCCRF des discussions qui ont abouti à une lettre de doctrine du Directeur Général de cette Administration en Octobre 2001.

A l'analyse de cette lettre, au-delà de 1 % de présence d'OGM dans une matière première, le professionnel doit informer son client que le produit contient des OGM, au-dessous de ce seuil, il n'y a pas d'obligation d'étiquetage.

Le projet de règlement communautaire prévoit de fixer ce taux à 0,9 % pour la présence d'OGM autorisé. Cela n'appelle pas de conséquence.

Un second seuil de 0,5 % pour les OGM non autorisés (contamination fortuite) pourrait être envisagé par ce même texte.

Les autres mentions du type « sans OGM » et « non OGM » ne seront pas utilisées. En effet, selon la position des Service de la répression des Fraudes, ces mentions ne peuvent être employées que lorsqu'il n'existe aucune trace d'OGM, ce qui est techniquement impossible dés lors que l'on utilise des matières premières pour lesquelles il existe par ailleurs des variétés Génétiquement Modifiés. Ces mentions ne peuvent également pas être utilisées pour des produits qui ne sont pas susceptibles d'être issus d'OGM car en dehors du champ des OGM autorisés.

Toutes ces règles permettront de répondre aux attentes des clients et des consommateurs en matière d'information et d'étiquetage. Elles permettent de répondre aux demandes de traçabilité de certaines filières de production et à certaines attentes sociétales.

L'un des plus gros producteur de soja est le Brésil (premier fournisseur pour la France). C'est le plus gros exportateur de tourteaux.

Certains opérateurs ont intérêt à discréditer le Brésil. Cependant, au niveau fédéral, les OGM sont interdits. A l'inverse, 80 % des cultures de Soja sont OGM en Argentine, en Uruguay et au Paraguay.

Pour le Brésil, on estime la contamination à environ 10 % des cultures. Cependant dans certains Etats du Brésil comme le Parana, des filières tracées pour garantir qu'elles ne sont pas issues d'OGM ont été mises en place.

Si le Gouvernement brésilien autorise un jour les deux cultures, la traçabilité sera impossible.

L'Inde ne pratique pas de cultures OGM, sauf pour le tournesol non alimentaire. Il sera alors l'ultime pays « non-OGM ».

Notre souci est de répondre aux attentes de nos clients. Ces derniers, tout en étant demandeurs de produits à moins de 1 % d'OGM, n'exigent pas forcément de disposer de produits issus de filières tracées. Pour répondre à cette demande, il existe un test de détection rapide qui permet de tester si les matières premières contiennent plus ou moins de 1 % d'OGM.

10 à 15 % des clients demandent une garantie en terme de traçabilité.

L'avenir de ces filières tracées est difficile à évaluer. En terme professionnel, l'idée est de satisfaire à la demande des clients.

M. Jean Bizet, Président -Restera- il, à terme, 80 % de filières OGM et 20 % de filières non OGM ?

M. Yves Montécot - La Chine va adopter le 1 %, ce qui peut contribuer à faire pression sur les Pays producteurs pour qu'ils préservent deux filières.

Notre idée est que les deux marchés doivent cohabiter. Le seuil de 1 % n'est pas trop dur à respecter, même à 0,9 %.

Pour mémoire, le seuil de quantification actuel est de 1/1000, le seuil de détection est de 1/10000.

L'alimentation animale tient à prendre en compte les attentes du consommateur et du citoyen. Il a mis en place des moyens pour proposer des produits qui y répondent.

Les mentions d'étiquetage s'appliquent aux produits végétaux et aux aliments pour animaux.

Concernant les produits animaux, un étiquetage OGM au vue de l'alimentation des animaux n'est pas pertinente car elle risque d'avoir des conséquences négatives sur les autres produits et perturber les consommateurs. Le fait pour un animal de consommer des OGM ne le modifie pas génétiquement.

M. Jean Bizet, président - Je vous remercie.

50. Audition de Mme Marie-José Nicoli, Président d'UFC-Que Choisir

M. Jean Bizet, président - Merci Madame, malgré un emploi du temps chargé, d'avoir accepté de rencontrer la mission d'information sur les OGM, créée en prévision de la transcription en droit national de la directive 2001-18 programmée à l'automne.

Le but de cette mission d'information est de faire le point et nous aimerions connaître votre approche en tant que consommateur.

Notre souci est de bien cadrer les choses, tant sur le plan de la sécurité alimentaire qu'environnementale et, compte tenu de l'internationalisation des échanges, de voir comment on pourra se positionner sans mettre les consommateurs en porte-à-faux, à travers un étiquetage qui a beaucoup de mal à voir le jour.

Vous avez toute latitude pour nous entretenir de ce sujet.

Mme Marie-José Nicoli - Merci, Monsieur le président.

Notre organisation, depuis 1995 à peu près, explique que nous ne sommes pas opposés aux OGM ni à leur utilisation.

Aujourd'hui, on peut comprendre que les consommateurs ne soient pas intéressés par les OGM, car on ne les trouve dans l'alimentation que sous forme d'ingrédients issus du soja ou du maïs, et en quantité infinitésimale.

Par ailleurs, ils n'apportent rien aux consommateurs, que ce soit du point de vue nutritionnel ou organoleptique. Ils n'ont donc aucun intérêt pour eux aujourd'hui.

Nous ne nous positionnons pas comme des scientifiques, mais nous écoutons avec beaucoup d'attention les débats entre les experts qui ont lieu depuis 1996. On retrouve chez les scientifiques le même schéma que chez le consommateur lambda, c'est-à-dire une opposition entre les pour et les contre.

Ce sont là des situations exacerbées, mais l'UFC essaye de maintenir le cap. Dès l'instant où, idéologiquement, on n'est pas contre les multinationales et où l'on ne refait pas le monde à travers les OGM, on se retrouve avec deux camps bien distincts, même chez les scientifiques, chacun avec leurs arguments.

On peut néanmoins noter que ceux qui sont pour sont pour la plupart des gens qui travaillent de très près sur les OGM. Les scientifiques qui sont contre sont des biologistes, des gens qui n'ont pas un lien direct ou qui n'ont pas travaillé sur la matière même des OGM, mais qui utilisent leurs connaissances scientifiques acquises dans d'autres domaines pour s'exprimer sur ces sujets.

On avait à un moment pris la décision, pour ne pas être catalogués dans un camp ou un autre, de travailler au niveau communautaire sur la mise en place de l'étiquetage et de la traçabilité.

Depuis un an et demi, on a beaucoup travaillé auprès de la Commission pour essayer de leur faire comprendre nos positions sur la détection des OGM, l'étiquetage et la traçabilité.

Ceci a porté ses fruits, puisque la Commission a fait une proposition actuellement en discussion au Parlement. Ce point est en passe de se régler, mais pas d'une façon aussi favorable que nous le pensions en tant qu'organisation de consommateurs.

Aujourd'hui, quand on parle de l'Union européenne, il faut bien faire la différence entre Commission, Parlement et Conseil des ministres. Il y a quelques années, le Parlement n'avait qu'un pouvoir budgétaire ; maintenant il y a une codécision entre le Parlement et le Conseil.

On voit des textes passer à la Commission, au Parlement, puis au Conseil des ministres, avant de revenir à la Commission si jamais ils ne sont pas arrivés à s'entendre.

Actuellement, nous pensons que toute décision sur les OGM, que ce soit la levée du moratoire, l'étiquetage, la position vis-à-vis des municipalités pour le développement des essais en champs, etc., doit être prise au niveau communautaire. Nous en avons assez de ces décisions franco-françaises qui deviendront intenables, qui déculpabilisent certes le législateur ou les pouvoirs publics français, mais qui ne peuvent être mises en application.

Aujourd'hui, parmi les aliments que l'on a testés en France pour le dernier numéro de « 60 millions de consommateurs », un cinquième à peu près contiennent des OGM. Vous verrez qu'il y a même parmi eux des produits « bio » et diététiques !

En Pologne, 60 % des produits contiennent des OGM. Autant dire qu'avec le marché unique, les décisions doivent être communautaires et non plus pays par pays, comme on veut l'imposer en France en particulier !

Nous sommes pour un étiquetage qui précise bien la présence d'OGM, mais nous allons au-delà des analyses chimiques et nous considérons que, dès l'instant où l'ingrédient est issu d'OGM, cela doit être inscrit sur l'étiquetage.

On ne doit pas s'en tenir à la présence d'ADN ou de protéines, comme c'est le cas aujourd'hui. Lors de nos analyses, nous avons trouvé des traces d'OGM dans certains aliments dans des proportions inférieures à 1 %. Légalement, la mention peut donc ne pas figurer sur l'étiquette.

Par contre, nous avons testé certains aliments garantis sans OGM où on relève des traces !

Une filière sans OGM est donc un peu dérisoire ; par contre une filière bien identifiée sans OGM doit permettre de garder un certain nombre de produits traditionnels qui auront un seuil le plus bas possible.

Un seuil de 0,1 % au lieu de 1 % devrait techniquement être possible. C'est tout à fait contrôlable. Ce qui est peut-être plus difficile, c'est d'arriver aux 0,01 %.

Ceux qui le veulent ne cherchent pas à savoir si c'est faisable ; nous, lorsque nous proposons quelque chose, nous voulons que cela puisse être fiable, contrôlable et que le consommateur ne soit pas trompé.

Le Parlement n'est pas favorable aux contrôles chimiques, mais les documents comptables et les facturations doivent permettre de savoir s'il y a ou non des OGM dans un aliment.

Je pense que le lobby agroalimentaire a fait pression et que les importateurs ne sont pas très favorables à cette position.

Par contre, on se dirigerait vers un étiquetage indiquant que les animaux ont été élevés avec des aliments à base d'OGM.

Nous sommes également très sensibles à la traçabilité mais, aujourd'hui, c'est pratiquement impossible au niveau international.

Je me souviens qu'au début, le soja qui arrivait des États-Unis, du Canada ou d'Argentine comportait environ 10 % d'OGM, qu'il s'agisse de tourteaux ou de fèves de soja.

Petit à petit, cela a augmenté. On est à présent à peu près à 60 % d'OGM et l'on n'arrivera pas à imposer aux grands Etats qui sont les plus gros fournisseurs d'OGM des filières protégées.

L'Inde et la Chine se sont beaucoup développées en termes d'OGM. Les cultures de coton sont à 30 ou 40 % génétiquement modifiées et ils n'ont pas du tout l'intention de revenir en arrière. On risque donc d'avoir, dans peu de temps, des vêtements en provenance d'Inde -surtout les vêtements pour femmes- fait artisanalement avec du coton génétiquement modifié !

C'est tout le paradoxe des positions françaises qui fait qu'en Europe, c'est l'Etat membre qui a les positions les plus dures vis-à-vis des OGM mais qui importe en quantité très importante tout ce qui est alimentation animale et produits alimentaires à base d'OGM sans rien dire !

Pour la petite histoire, dans les tests que l'on a faits, sur les seize produits qui contiennent des OGM, la moitié sont sur la « liste verte » de Green Peace garantissant l'absence d'OGM ! Nous nous rencontrons assez souvent avec Green Peace ; à chaque fois, je leur dis le peu de sérieux de leur liste. Il s'agit en fait de déclarations sur l'honneur des fabricants ou des distributeurs. J'espère qu'ils vont faire pression sur les fabricants, car ce n'est pas très sérieux !

Dès l'instant où on ne fait pas soi-même les analyses, on n'a pas de garantie. Les fabricants eux-mêmes n'ont pas toutes les garanties !

Notre association est une association de l'environnement depuis 1994. On a demandé l'agrément parce qu'on avait un certain nombre de procédures administratives que l'on nous refusait, alors que l'on faisait, à notre façon, de l'environnement depuis trente ans.

Nous nous sommes exprimés sur les essais en champs lorsqu'il y a eu le débat au Conseil économique et social. Nous avons dit que nous n'étions pas contre, à condition que ces essais soient mieux maîtrisés et que les homologations soient mieux préparées et plus rigoureuses.

Entre autres, nous avions considéré que les expérimentations confinées en laboratoire n'allaient pas assez loin. En effet, il est tout à fait possible de faire davantage d'études en milieu confiné sur l'allergénicité et la toxicité des produits pour la santé humaine. Il suffit pour cela d'extraire la protéine. On n'est pas obligé d'aller jusqu'à l'expérimentation en champs.

Nous nous sommes aperçus que les tests sur la santé humaine concernant l'autorisation de cultiver ou de mise sur le marché d'un produit OGM n'étaient faits que lorsque la commission du génie biomoléculaire avait donné son accord sur l'expérimentation en champs.

Pourquoi ? Les semenciers -ou du moins les organismes qui veulent pousser les OGM- commencent par voir si ces OGM sont rentables et viables du point de vue agronomique. Ce n'est qu'après que sont faites les analyses d'allergénicité. L'objectif étant la rentabilité et le rendement agronomique, il n'est pas utile de faire les tests de santé avant. Ceux-ci sont donc en général bâclés. C'est là la partie faible des analyses.

Nous l'avons découvert et nous avons suivi de très près le grand débat sur les expérimentations en champs. Cela nous a profondément choqués. On a trouvé qu'il n'était pas normal que les études sur la santé ne soient faites qu'en dernier ressort, et sans recul.

Il est vrai que beaucoup de scientifiques de l'AFSSA disent que, du point de vue de la santé humaine, il n'y a pas grands risques, mais on pense que le consommateur accepterait mieux les OGM, au-delà de leur utilité, si on lui assurait que les tests sont pratiqués de la même façon que les tests pour l'AMM des médicaments.

Nous pensons aussi que les critères de protection doivent être revus. Pour le maïs et le colza, c'est 200 et 400 mètres. Beaucoup d'experts disent que ce n'est pas suffisant et qu'il faut prendre un champ plus élargi. La commission du génie biomoléculaire, quand elle donne l'autorisation de mise en champs, regarde ce qu'il y a à 200 m, mais non à 210 m. Or, des expérimentations ont montré qu'à 210 m-300 m, il y a encore du pollen.

Le problème est de savoir qui est à proximité. Si ce sont des agriculteurs « bio », on peut comprendre leur colère puisqu'ils garantissent leur agriculture sans OGM et qu'ils sont sûrs d'avoir des contaminations. On le voit dans les produits que l'on teste : il y a des produits « bio » où il existe des traces difficilement quantifiables, mais qui prouvent bien qu'il y a eu pollution.

Il faudrait faire très attention, dans les autorisations en champs, que les voisins les plus proches ne soient pas des agriculteurs « bio », ni des producteurs de semences, qui sont aussi très fragiles.

Certaines expérimentations qui ont été faites ont montré qu'il y a des semences qui ne sont pas assez éloignées. Je crois donc que le périmètre doit être élargi. Nous avons fait une étude sur ce sujet, que je pourrai vous faire parvenir.

Nous avons en effet auditionné des membres des commissions biomoléculaires et notre ingénieur agronome a creusé le sujet pour voir ce qui pourrait être amélioré pour que les expérimentations en champs se fassent.

Nous pensons qu'elle devra se faire à un moment donné, mais pas n'importe comment.

Le rapport des quatre sages donne un certain nombre de pistes pour essayer de mieux encadrer ces essais en champs, qui nous paraissent utiles si l'on veut par exemple tester les produits OGM sur les animaux d'élevage nourris avec les fèves ou les tourteaux de soja, afin de déterminer les conséquences hormonales, immunologiques, etc. Notre demande à ce sujet remonte à il y a quatre ou cinq ans. On ne peut faire ce genre de tests qu'avec des produits qui arrivent en bout de la chaîne.

Par ailleurs, nous sommes favorables à la levée du moratoire, à condition que l'étiquetage discuté soit mis en oeuvre de façon effective. La commission a proposé une nouvelle directive pour l'étiquetage, et il avait été dit que l'on pouvait lever le moratoire.

Il faut savoir qu'au niveau communautaire, les choses vont plus lentement que cela et qu'il y a souvent des effets d'annonce non suivis d'effets.

Nous attendons donc que l'étiquetage et la traçabilité soient effectifs. Nous demandons aussi une réglementation qui précise la responsabilité environnementale des producteurs d'OGM et nous voulons une amélioration des procédures et des critères d'évaluation des OGM.

Enfin, nous souhaitons une organisation de la production agricole pour permettre la séparation complète de la filière OGM.

Le parlement est favorable à la mise en place d'une filière sans OGM. Ce n'est pas réaliste et il n'est pas normal que celle-ci soit obligée de supporter les coûts de cette décision, alors qu'il serait plus facile de mieux cerner les produits OGM et de laisser le libre choix aux consommateurs d'en acheter ou non.

Aujourd'hui, on sait que l'on consomme des OGM, mais on ne sait pas où ils se trouvent. On est parfois très étonné d'apprendre qu'il y en a dans les barres diététiques, les hamburgers « bio », etc. C'est assez inattendu. On les trouve aussi dans les petits déjeuners.

Il serait donc préférable qu'on le sache et que l'on puisse choisir. On nous promet d'ici cinq ans de meilleurs fruits grâce aux OGM ; or, on attend toujours et on ne voit rien venir. Les fruits s'améliorent, certes, mais pas du fait de la mise en place d'OGM. C'est plutôt dû aux soins supplémentaires qui leur sont apportés.

D'ailleurs, quand on interroge les consommateurs sur la place qu'occupent les OGM dans leurs préoccupations, ceux-ci arrivent en 20 ou 30ème position.

M. le président - Merci, Madame.

La parole est au rapporteur.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Merci, Monsieur le Président.

Madame, que pensez-vous de l'action de José Bové.

Mme Marie-José Nicoli - C'est un garçon très sympathique. Il a occupé un créneau. Il ne défend pas l'agriculture : il est dans d'autres sphères. Je pense que ses idées, d'il y a trente ans, ressortent maintenant et qu'il peut les exprimer.

La constante opposition qui existe entre les syndicats fait que ce n'est pas toujours facile pour nous qui travaillons beaucoup avec le monde agricole.

Nous pensons, dans notre logique très pragmatique de consommateurs, que développer l'agriculture raisonnée amènera dans quelques années la grande masse des agriculteurs à être plus respectueux de l'environnement. On a travaillé sur ce dossier pour être capable d'en parler.

Or, c'est une association proche de la FNSEA qui a donné l'impulsion de départ à cette agriculture raisonnée. On se retrouve de fait en opposition avec les autres syndicats.

Chacun défend sa propre agriculture et il en existe ainsi 6 ou 7 différentes. A force de faire de l'idéologie, rien n'avance, et ce n'est pas le « bio » qui va répondre de façon massive à l'évolution de l'environnement !

Certes, il faut développer l'agriculture « bio » et la favoriser, mais cela représente 5 % ou 6 % de l'agriculture et 1,2 % des agriculteurs en France. Tout le reste des agriculteurs, même ceux qui font des labels ou des signes de qualité, ne sont pas obligatoirement des gens qui ont une bonne maîtrise de leur exploitation et qui respectent l'environnement, pas même les « bio » !

Je suis prête à aller dans des exploitations « bio » : je suis sûr qu'ils ne sont pas aptes à avoir le référentiel de l'agriculture raisonnée !

Pour nous, il s'agit d'une démarche environnementale qui n'est pas du tout liée à la qualité des produits. On va avoir quelques difficultés. Cela ne marchera que si beaucoup d'agriculteurs mettent cette démarche en pratique.

La qualification « agriculture résonnée » comprend cent mesures, dont quarante réglementaires, qui ne sont pas respectées. Or, les agriculteurs, dans leur ensemble, ne les respectent pas ! Le ministère de l'environnement le sait bien, mais il se voile la face !

M. Hilaire Flandre - Les règles d'hygiène ne sont pas toujours respectées.

Mme Marie-José Nicoli - Actuellement, 15 % des agriculteurs peuvent prétendre au référentiel de l'agriculture raisonnée, pas plus.

M. Hilaire Flandre - Instantanément ?

Mme Marie-José Nicoli - Presque, avec un petit investissement, mais pas 50 ou 60 % comme le disent certains responsables nationaux agricoles. Je suis sûre que ce n'est pas le cas, parce que cela nécessite des investissements et que cela représente beaucoup d'argent.

M. le président - Vous considérez donc que cela va devenir le standard et que ceux qui n'auront pas acquis ce niveau auront du mal à commercialiser.

Mme Marie-José Nicoli - Non, je ne pense pas que ce soit une question d'accès au marché, sauf si la commission nationale des labels décide d'introduire dans ses cahiers des charges le référentiel environnemental.

En agriculture raisonnée, vous pouvez très bien respecter le référentiel et faire de mauvais produits, de même que vous pouvez faire de bons produits label rouge et avoir une exploitation polluante au maximum. Il faut savoir ce que l'on veut. Ce travail sur les modes de production est très important.

Il faut que, dans les mois qui viennent, une synergie se mette en place avec tous les acteurs pour que cela se développe.

Les jeunes agriculteurs y sont très favorables ; j'ai posé la question à la confédération paysanne : ils ne dissuadent pas leurs adhérents de se lancer dans l'agriculture raisonnée mais, officiellement idéologiquement, ils sont pour une « agriculture paysanne », terme que je ne comprends pas très bien. Ce n'est pas très clair : c'est plutôt de l'idéologie.

M. Claude Saunier - Vous avez indiqué que le marché était mondial et que vous aviez posé le problème devant les instances européennes. Avez-vous engagé des concertations avec des partenaires européens, avec des mouvements consuméristes, pour organiser un lobby plus efficace ?

Sur le principe de précaution, vous représentez les consommateurs. Vous devez avoir le souci de la qualité des produits, mais aussi de leurs effets sanitaires futurs.

Vous avez indiqué que vous n'aviez pas de moyens scientifiques et techniques de procéder à une vérification.

Vous adressez-vous à des organismes publics dans lesquels vous avez confiance pour obtenir des informations ?

Mme Marie-José Nicoli - Au niveau communautaire, nous sommes dans un organisme qui nous représente à Bruxelles, le Bureau européen des unions de consommateurs. Nous sommes 36 ou 37 associations.

Nous sommes arrivés à nous mettre d'accord sur des principes de traçabilité et d'étiquetage, sans entrer dans des débats idéologiques pour savoir si on est contre Monsanto ou telle multinationale. Ce sont là des débats que les Anglo-saxons ne comprennent pas très bien. Nous travaillons sur des choses très concrètes.

Il y a 4 ans, nous sommes arrivés à persuader la Commission européenne de financer les relations transatlantiques des consommateurs, en particulier en matière de commerce. Nous sommes allés plusieurs fois à Washington, où nous sommes arrivés à convaincre nos homologues de se préoccuper des problèmes de sécurité sanitaire.

Les Américains n'ont pas cette démarche. Dès l'instant où la FDA affirme que le produit est bon, c'est le marché qui fait la différence. Le consommateur américain sert de cobaye. C'est pour cela qu'il y a beaucoup d'intoxications aux États-Unis.

Ils sont maintenant très au fait de tout ceci. Ils n'éprouvent pas de craintes pour la santé mais, par contre, se préoccupent de l'environnement. C'est à mon avis un peu tard, car ce n'est pas rattrapable.

Cela étant, ils sont plus en avance que nous sur tout ce qui est nutritionnel, et nous travaillons donc avec eux pour faire avancer la législation européenne dans ce domaine.

Concernant le principe de précaution, pour moi, celui-ci n'est pas très clair aujourd'hui encore.

Au niveau communautaire, l'application du principe de précaution dans l'environnement est réglementée.

Je parle donc ici de l'alimentation. En France, si l'on regarde un peu en arrière, je pense que les politiques et les pouvoirs publics ont utilisé le principe de précaution, pour se protéger. Il est évident que vous êtes traumatisés par l'histoire du sang contaminé et par celle de l'hormone de croissance qui se profile à l'horizon qui, à mon avis -on connaît bien les deux dossiers puisqu'on est partie civile- est pire que le sang contaminé.

M. Claude Saunier - Oui, car dans l'histoire du sang contaminé, il y avait une situation scientifique qui n'était pas claire.

Mme Marie-José Nicoli - En outre, cela touche les enfants : 85 sont morts ! Il y a des histoires sordides que l'on ne retrouve pas dans l'affaire du sang contaminé.

Quoi qu'il en soit, on a fait croire à plusieurs reprises aux consommateurs que l'application du principe de précaution concernait le domaine sanitaire, alors qu'en fin de compte, il s'agissait de décisions politiques et économiques. Je trouve qu'il est dommage qu'on ne l'explique pas mieux aux consommateurs.

Dans le principe de précaution, ceux qui doivent prendre la décision finale, ce sont les politiques mais, avant, des avis scientifiques doivent être donnés. Or, ils ne le sont pas. Il y a des avis économiques, psychologiques, mais la mesure d'abattage total des bovins, par exemple, n'est pas sanitaire : c'est une décision motivée par un facteur psychologique, politique et économique, destinée aux exportations !

Je pense que le principe de précaution demande encore à être expliqué. Il va évoluer.

Je crois que la prochaine mise en place de l'Autorité européenne de sécurité alimentaire va permettre aux Etats membres d'avoir plus de recul. Cette autorité va, d'une certaine façon, chapeauter les autorités des différents Etats membres et aura peut-être plus de recul par rapport à des décisions qui pourront être prises au niveau communautaire qui ne tiendront pas obligatoirement compte des situations électorales dans les Etats membres. Les gens pourront peut-être prendre plus de décisions. Il faut assurer une plus grande transparence et mieux argumenter.

M. Hilaire Flandre - Les décisions prises ne sont pas forcément sanitaires au départ mais, psychologiquement, les gens ne sont pas prêts.

Quand on a retiré des moutons, on marchait sur la tête ! Il n'y a aucun risque de transmission de la tremblante à l'homme ! Pourtant, dans l'esprit des gens, il y avait un risque. C'est pourquoi, sur l'avis de l'Agence sanitaire, on a pris cette décision.

Mme Marie-José Nicoli - Je pense qu'on peut l'expliquer.

Tout le monde n'est pas bien structuré : beaucoup de gens, en France ou ailleurs, stressent de plus en plus avec des annonces pareilles ! Il y a des gens simples, qui ne savent plus comment faire.

En outre, les médias en rajoutent toujours et les gens finissent par faire n'importe quoi : le fatalisme s'installe !

M. Hilaire Flandre - C'est la même attitude que les municipalités qui ont interdit la viande bovine dans les cantines scolaire.

Mme Marie-José Nicoli - En effet ! Ce n'était pas une décision sanitaire.

M. Claude Saunier - J'ai vécu l'affaire du sang contaminé comme juge de la République. Il y a de quoi être terrifié quand on est responsable politique et qu'on a vécu pendant trois semaines cette inquisition. On a cherché à mettre en cause la responsabilité de tel ou tel chef de service, alors qu'on était dans une situation où les scientifiques déclaraient que 90 % des personnes contaminées par le VIH étaient des porteurs sains ! Et on demande aux politiques de prendre une décision dans ce contexte !

Mme Marie-José Nicoli - J'ai entendu des maires dire : « Je ne prends pas de risque, mais la situation est exacerbée : on va arrêter la viande ». Par contre, il y a eu d'autres déclarations du genre : « Je ne veux pas empoisonner les enfants » !

M. Claude Saunier - J'ai vécu cette période comme maire. On a eu une forte pression de certains parents qui interdisaient à leur progéniture de boire de l'eau ou de manger de la viande. On voyait des enfants arriver avec un morceau de jambon ou une bouteille d'eau. Cela pose de vrais problèmes, non seulement d'organisation, mais aussi d'équité des enfants les uns par rapport aux autres !

Mme Marie-José Nicoli - Le maire, ce n'est pas l'administration. Ils ne doivent pas avoir le même langage !

Mme Odette Terrade - C'est l'équilibre entre l'information réelle et la perception qu'on a des choses.

Mme Marie-José Nicoli - C'est vrai, mais il faut dire que les médias se sont déchaînés.

M. le rapporteur - Vous n'êtes apparemment pas spécialement opposée aux OGM, mais vous demandez que l'on continue la recherche et que l'on mette en place une plus grande traçabilité et un meilleur étiquetage de manière que le consommateur soit informé...

Mme Marie-José Nicoli - C'est la même position que l'on a eue vis-à-vis des additifs, des colorants, des gélifiants. Il n'est pas normal que le consommateur n'ait pas le libre choix de savoir ce qu'il mange !

Le troisième principe est le principe à réparation. Certains enfants développent des allergies qui ne sont pas toutes dues à l'alimentation, mais il y a plus d'enfants allergiques aujourd'hui qu'il y a vingt ans. Il faut pouvoir lire l'information sur l'étiquette ou ailleurs pour savoir ce que l'on mange. Il n'y a pas de raisons de ne pas le savoir !

M. le rapporteur - Vous demandez donc un prolongement de la recherche ?

Mme Marie-José Nicoli - Absolument !

M. Hilaire Flandre - Le fait de vivre dans une hygiène excessive ne conduit-il pas à développer des allergies ?

Mme Marie-José Nicoli - Absolument, mais il n'empêche que, globalement, dans le monde, les allergies se sont développées à un rythme assez important et ont été multipliées par cinq en dix ans ou presque !

M. le président - Je voudrais revenir sur la notion d'étiquetage. Vous abaissez le seuil à 0,1 %. Ne craignez-vous pas que ce soit la porte ouverte à des contaminations fortuites ? Avec un seuil aussi bas, il va être difficile de séparer les filières sans problèmes !

On risque de troubler les consommateurs, car à la faveur de contrôles inopinés, le transport par bateaux ou en conteneurs va forcément amener des contaminations.

J'ai peur que nos concitoyens pensent qu'il y a tromperie et volonté déclarée de fraude. C'est le problème.

Mme Marie-José Nicoli - Dans les négociations, il faut demander plus pour avoir ce que l'on veut.

M. le président - C'est une tactique.

Mme Marie-José Nicoli - Je sais qu'à l'heure actuelle, le chiffre de 0,5 % circule de plus en plus, mais on nous a dit que l'on pouvait maintenant abaisser sans problème le seuil de 1 %.

M. le président - On nous a expliqué qu'il existe 3 types de seuils : le seuil de détection, le seuil d'étiquetage et le seuil de perception.

Les agriculteurs ou les scientifiques disent que, techniquement, on peut le faire mais qu'ensuite, il faudra assumer !

Mme Marie-José Nicoli - Il y en a qui veulent 0 %. C'est se donner bonne conscience !

M. Claude Saunier - Un kilo pour une tonne.

M. Hilaire Flandre - Sur un transport de camions, cela veut dire qu'il y en aura un quintal.

Mme Marie-José Nicoli - Il est vrai que les quantités sont énormes.

On n'est pas accroché au 0,1 %, mais on parle de 0,5 % à l'heure actuelle pour que ce soit plus raisonnable.

M. le président - Concernant le dialogue avec les consommateurs, quels conseils pourriez-vous donner aux responsables politiques ?

La transcription va arriver. On ne peut pas préjuger de l'opinion du Parlement, mais on devine que la transcription va vouloir s'en occuper. Comment va-t-on pouvoir dialoguer avec les consommateurs ?

Mme Marie-José Nicoli - Ce n'est pas simple. Nous, organisation nationale, connaissons les dossiers et avons un certain recul, mais il y a un moment où l'on ne peut plus rien dire. Le problème est très difficile.

On a beaucoup de représentants dans les CDH, dans les CDEA et autres organismes départementaux. Parfois, ils ne nous suivent pas. Ils sont par exemple d'accord pour les implantations de porcheries, mais chez le voisin. Les maires n'en veulent pas non plus. Ils subissent la pression de leurs administrés.

C'est le même débat avec les déchets. Il va bien falloir, un jour où l'autre, que le débat ait lieu, qu'il s'agisse des déchets nucléaires ou des boues. On ne peut pas tout incinérer, car cela pollue d'une autre façon.

Je souhaite aux maires beaucoup de courage, parce que les gens ne veulent même pas avoir leurs propres ordures ménagères à proximité. Faut-il un département où l'on va mettre toutes les ordures ménagères de la France entière ?

C'est là où la loi de décentralisation n'a pas joué son rôle, parce que le civisme, localement, n'existe pas encore !

M. Claude Saunier - Croyez-vous qu'une loi peut réinstaller le civisme dans la société ?

Mme Marie-José Nicoli - La loi de décentralisation a vingt ans. Les pouvoirs publics et les politiques s'en sont bien servis. Elle a bien servi les pouvoirs publics et le pouvoir politique, mais on a laissé de côté les citoyens. On ne les a pas éduqués en même temps.

Aujourd'hui, ils se mêlent de tout. C'est une bonne chose mais, ils ne défendent pas l'intérêt général, qu'il s'agisse des aéroports ou des ordures ménagères : ils défendent l'intérêt collectif !

M. le rapporteur - Seriez-vous prête à rédiger quelques pages à la fin du rapport pour étudier avec nous le problème des OGM ?

Mme Marie-José Nicoli - Oui, il n'y a aucun problème. Ce ne sera pas contraire à ce que je viens de dire. Cela ne nous gêne pas du tout. Nous avons l'habitude de faire ce genre de choses.

M. Christian Gaudin - Vous avez un rôle important : votre mission est d'informer.

On est là dans une relation entre l'expert et le consommateur. Sur un sujet comme celui des OGM, c'est aussi un problème d'évaluation des niveaux de risques.

Le rôle d'interface entre expert et consommateur est intéressant, parce que l'on va avoir besoin de médiatiser. Il y a une relation de confiance à établir entre la recherche et le consommateur. Cela dépasse largement le sujet des OGM, mais pour nous, c'est une véritable préoccupation.

M. Claude Saunier - Votre parole est perçue de façon différente par rapport à la parole des politiques, voire des experts.

Aujourd'hui, quel que soit le domaine, on peut prendre le meilleur expert sur une question : il n'est pas cru et les politiques non plus.

Peut-être pourriez-vous effectivement jouer un rôle.

Mme Marie-José Nicoli - Vendredi, je suis à Orléans, où je vais travailler en interne, sans débat avec le public, avec les gens de l'INRA pour voir comment il faut qu'ils se positionnent sur les OGM. C'est intéressant, parce qu'on n'a plus de repères.

M. le président - On en reste là pour rebondir dans quelque temps sur ce partenariat en termes de restitution de l'information, pour aller vers nos concitoyens. C'est un énorme problème de société.

Mme Marie-José Nicoli - Je vous ferai parvenir des documents.

M. le président - Merci.

51. Audition de M. Gérard Pascal, Directeur scientifique à l'Institut national de recherche agronomique (INRA), membre de la Commission du génie biomoléculaire (CGB), Président du comité scientifique et du conseil scientifique de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA)

M. le président - M. le Directeur, la mission d'information sur les organismes génétiquement modifiés a été souhaitée et initiée par le Président de la Commission des affaires économiques et du plan, M. Gérard Larcher, considérant à juste titre que la question des OGM est devenue un sujet de société, pas toujours bien compris ni bien appréhendé par nos concitoyens qui ressentent un grande crainte par manque d'information ; certains également captent l'information et le débat en les tronquant un peu.

Notre mission consiste donc à essayer de clarifier un peu, d'élever le débat et, dans un deuxième temps, d'aller à la rencontre de nos concitoyens pour leur expliquer de notre mieux ce que sont les risques, mais également quels sont les bénéfices que l'on peut en retirer. Nous ne pouvons pas faire abstraction de ce qui se passe dans les pays situés hors de l'Union européenne puisque nous sommes soumis à l'internationalisation des échanges, des pensées et des actions.

M. Gérard Pascal est directeur scientifique à l'Institut national de recherche agronomique (INRA), membre de la Commission du génie biomoléculaire (CGB), Président du comité scientifique directeur de l'Union européenne et du conseil scientifique de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA). Cette palette de responsabilités lui permet d'appréhender le sujet dans toute sa globalité et son intervention est des plus importantes.

M. Gérard Pascal - Souvent considéré comme un défenseur des OGM, je tiens toutefois à préciser que je n'ai aucune relation avec les firmes de biotechnologies, qu'il n'existe aucun contrat entre les équipes de recherche dont j'ai la responsabilité et ces firmes, et donc je ne me sens aucunement lié avec quelque groupe de pression que ce soit.

J'ai choisi de resituer la question dans un contexte largement international car il me semble que les discussions auxquelles nous assistons au plan national complètent ce qui se fait et s'est fait au plan plus largement international.

Depuis pratiquement quinze ans les scientifiques se réunissent au sein de l'OCDE pour réfléchir aux problèmes de sécurité sanitaire des OGM ; de 1990 à 1996, quatre rapports ont été publiés soit par l'OCDE, soit par la FAO ou par l'OMS. Ce n'est donc pas une préoccupation récente que celle qui consiste à s'interroger sur les risques pour la santé liés à l'utilisation d'OGM dans l'alimentation.

De façon plus récente, je rappellerai une réunion de 1996 FAO/OMS à Rome sur le thème de « sécurité alimentaire et biotechnologies ». En mars 1997, j'ai coprésidé avec un collègue américain de la Food & Drug Administration (FDA) un atelier de travail qui a été organisé en France par l'OCDE et qui s'était préoccupé spécifiquement de la façon dont on pouvait tester ces organismes génétiquement modifiés sur le plan toxicologique et sur le plan nutritionnel. Diverses discussions ont eu lieu au niveau de l'Union européenne, en particulier au cours de l'année 1996, date des premières discussions sur un maïs de Ciba-Gegi. Il s'agit donc bien de préoccupations multiples et anciennes.

Pour en venir à des travaux plus récents je rappellerai le travail du Comité d'experts spécialisés en biotechnologie de l'AFSSA dont M. Ambroise Martin vous a parlé et qui a publié des lignes directrices en janvier dernier.

Au niveau européen, quelques documents ont été publiés, notamment les lignes directrices destinées aux industriels pour la préparation de leurs dossiers, que le Comité scientifique des plantes a publiées en 1998 ainsi qu'un document d'analyse critique de la situation concernant l'évaluation des risques sanitaires des OGM, réalisé par le Comité scientifique directeur en octobre 2000.

Au plan international, un rapport FAO/OMS a été publié sur l'évaluation de la sécurité des OGM, un rapport sur l'évaluation de l'allergénicité due aux OGM (en 2001) et plus récemment, un rapport publié à la suite d'une réunion qui s'est tenue au Japon en mars 2002 dans lequel des projets de lignes directrices pour l'évaluation de la sécurité sanitaire des OGM figurent en annexe. Il s'agit des lignes directrices qui vont être proposées pour adoption à la Commission du Codex alimentarius au mois de juillet 2003. Nous sommes au terme de la procédure de discussion au plan très largement international, or, le Codex alimentarius va servir de juge de paix en matière de conflits, de discussions entre les états, et en particulier au niveau des débats de l'Organisation mondiale du commerce.

Personnellement, je suis tout à fait surpris que personne n'ait jamais évoqué le niveau d'avancement des discussions au plan international dans les divers débats auxquels j'ai assisté en France.

M. le président - Cette précision est très importante. Nous n'avons aucune maîtrise sur le timing du Codex, mais cette 23e session arrivera exactement au moment où, logiquement, nous devront rendre notre rapport, et c'est regrettable. Par ailleurs, pourrions-nous avoir les conclusions de la commission qui s'est déroulée au Japon ?

M. Gérard Pascal - Ce rapport se trouve sur l'Internet, je vous indiquerai le moyen d'y accéder.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Ce rapport sera la base de la discussion.

M. Gérard Pascal - Absolument, d'autant qu'il y a plusieurs annexes, notamment l'annexe II qui couvre l'approche générale d'analyse de risque en matière d'OGM, l'annexe IV qui couvre l'évaluation de l'allergénicité ; tous les textes sont à l'étape finale de la procédure, c'est-à-dire l'étape VIII. Normalement, le groupe ad hoc devrait proposer à la commission plénière de 2003 l'adoption définitive de ces lignes directrices. Aussi, je suis très surpris de la discussion hexagonale.

En ce qui concerne les travaux au niveau de l'Union européenne, on peut citer un avis favorable qui a été donné en 2001 par le Comité scientifique des plantes sur un maïs génétiquement modifié et un avis favorable qui a été donné par le Comité scientifique de l'alimentation humaine du mois de février 2002 sur un produit issu d'un maïs OGM, dans ce dernier cas, nous sommes dans le cadre du règlement « nouveaux aliments et nouvelles technologies ».

Je voudrais rappeler rapidement comment va être construit un transgène qui sera introduit dans une plante OGM pour pouvoir mettre ensuite l'accent sur les différents problèmes spécifiques d'évaluation de la sécurité de ces OGM.

En général, dans un transgène, on trouve un promoteur, c'est-à-dire un élément qui va permettre de lancer la lecture de la suite du transgène, et en particulier adresser l'expression ce transgène quelque part dans la plante (pollen, feuilles, etc.). Nous pouvons également décider si ce transgène va s'exprimer dans une bactérie (promoteur bactérien) ou dans une plante (promoteur végétal). Il y a ensuite une séquence de régulation du transgène, puis ce qui est véritablement important dans le transgène, c'est-à-dire les gènes d'intérêt et des gènes marqueurs. Ces derniers ont fait l'objet de nombreuses discussions car aux débuts des OGM, ces gènes étaient souvent des gènes de résistance aux antibiotiques, mais ils peuvent être également des gènes de résistance aux herbicides. Ensuite, un élément termine la lecture de la séquence transgénique, c'est le terminateur.

Quels problèmes risquons-nous de rencontrer, notamment les problèmes nouveaux d'évaluation de sécurité sanitaire ?

D'abord, une évaluation du risque lié aux protéines qui sont exprimées par les gènes introduits dans le transgène (gènes d'intérêt ou gènes marqueurs). Le plus souvent, ces gènes que l'on a introduits vont produire quelque chose ; il y a parfois des exceptions avec des constructions qui vont empêcher la production de quelque chose -c'était le cas de la tomate à longue conservation pour laquelle, par un processus génétique, on avait empêché l'expression d'un gène codant pour une enzyme responsable du ramollissement de la tomate. En général, on veut faire produire quelque chose de nouveau par la plante et l'on a des protéines nouvelles qui vont s'exprimer par des gènes d'intérêt ou des protéines marqueuses qui vont s'exprimer par les gènes marqueurs. Nous savons tout à fait bien évaluer la toxicité potentielle de ces protéines exprimées dans des quantités très faibles à l'intérieur de la plante comme on le fait avec un additif alimentaire, un contaminant ou un médicament qui sont des produits pour lesquels l'exposition de l'homme est quantitativement faible et donc pour lesquels on peut forcer la dose lors des études de toxicologie. Les discussions entre les scientifiques portent sur le fait de savoir si on doit faire simplement de la toxicité aiguë ou de la toxicité à 28 jours ou à 90 jours.

Deuxième point, les protéines que l'on va produire seront souvent des enzymes qui auront une influence sur le métabolisme de la plante et, par exemple, ensuite sur le métabolisme d'un herbicide. Cet herbicide sera donc transformé en une autre molécule pouvant éventuellement poser un problème, mais nous connaissons cette transformation. Cette enzyme peut également agir sur le métabolisme de la plante en lui faisant produire plus ou moins certaines hormones, mais là encore, nous pouvons évaluer les risques car nous connaissons les métabolites.

Nous savons également évaluer la modification de teneur en certains constituants de la plante. La majorité des plantes, sinon toutes, renferment des substances pouvant être toxiques à certaines doses, mais qui en général ne le sont pas car elles sont à des concentration très faibles. Par conséquent, il s'agit de regarder si la teneur en toxiques potentiels n'est pas augmentée dans les plantes transgéniques. C'est l'exemple de la solanine contenue dans toutes les pommes de terre et qui est un toxique, mais présente à un niveau tellement faible que le consommateur ne court aucun risque. Toutefois, nous savons que par sélection traditionnelle, cette solanine peut augmenter dans certaines variétés nouvelles de pommes de terre. Il convient donc d'être vigilants et de s'assurer que ces toxiques naturellement présents ne voient pas leur teneur augmenter. Là encore, nous savons faire et ce n'est pas une difficulté pour les scientifiques.

Par contre, nous sommes en grande difficulté pour évaluer les effets non intentionnels, non prévisibles de la modification qui a été introduite, ces effets sont appelés pléiotropie ou effets pléiotropes.

Pour imager, je compare ce phénomène à ce qui peut se passer dans une microsociété comprenant une dizaine d'individus ayant trouvé un mode harmonieux de relations et qui s'entendent bien, sans conflit majeur, et l'on introduit dans cette petite société un nouvel individu qui risque de bouleverser le fonctionnement qui était acquis au fil des ans.

Dans cette plante qui fonctionne normalement, on introduit une nouvelle construction génétique le plus souvent à un endroit qui est connu, mais qui n'a pas été choisi, ainsi il y a un risque de perturber le fonctionnement des gènes qui se trouvent autour. Nous allons -dans notre langage- « allumer » les gènes qui existaient mais qui ne s'exprimaient pas ou, au contraire, en éteindre d'autres qui s'exprimaient et qui ne vont plus s'exprimer ; nous risquons donc de provoquer une perturbation totalement aléatoire, imprévisible, et comment faire pour étudier ce phénomène sous l'angle des risques que cela provoque ?

Nous ne disposons pas de méthode d'évaluation validée dans ce domaine, les outils dont nous disposons aujourd'hui ne sont pas, à mon avis suffisamment sensibles pour mettre en évidence des modifications qui vont s'avérer forcément « discrètes » et qui risquent de se manifester sur le long terme. Nous devons donc arriver à mettre au point de nouvelles méthodes d'approches utiles et très intéressantes, non seulement pour juger de la sécurité des organismes génétiquement modifiés, mais également pour juger de la sécurité des aliments en général.

M. Daniel Raoul - Si deux végétaux génétiquement modifiés se croisent, pouvons- nous arriver à un effet non intentionnel du croisement des deux ?

M. Gérard Pascal - C'est un sujet difficile sur lequel je vais revenir, dans ce cas, on parle d'empilement de gènes, mais auparavant, je voudrais essayer de justifier pourquoi je pense que nous sommes devant une situation délicate avec des outils inadaptés.

J'ai évoqué tout à l'heure ce que nous savions faire ; dans le domaine alimentaire, nous savons évaluer le risque potentiel d'un additif ou d'un contaminant parce que ce sont des substances chimiquement définies, présentes en faible pourcentage dans l'alimentation, qui n'ont donc pas d'impact nutritionnel et dont on peut suivre assez facilement le métabolisme. Par ailleurs, en « forçant la dose », et j'insiste sur ce terme, nous pouvons mettre en évidence des effets relativement marqués, encore que, pour les additifs alimentaires qui ne sont pas des composés biologiquement actifs par définition, même en forçant la dose, il n'est pas facile de mettre quelque chose en évidence.

Les effets inattendus, imprévisibles des OGM, nous devons les juger sur l'aliment, sur la plante telle qu'elle est ou sur la plante transformée en aliment, et quand on a affaire à un aliment, nous allons avoir un mélange complexe pouvant représenter une forte proportion de l'alimentation (le maïs peut représenter plusieurs dizaines de pourcents de l'alimentation d'un animal et seulement quelques pourcents de l'alimentation humaine), donc avec un impact nutritionnel possible, en tout cas pour l'animal. Le métabolisme très complexe de l'aliment peut avoir des interactions multiples, avec des effets marqués difficiles à produire, qu'en général on ne mettra pas en évidence. Donc, on ne sait pas « forcer la dose » avec un aliment alors qu'a contrario, avec les contaminants et les additifs, on raisonne selon le concept de doses journalières admissibles ou acceptables, concept proposé par un grand toxicologue français dans les instances internationales. On définit cette dose journalière acceptable pour l'homme à partir d'expérimentations animales en introduisant un facteur de sécurité qui est en général de 100 à la plus forte dose sans effet nocif chez l'animal.

Je vais illustrer le fait qu'on ne puisse par forcer la dose avec l'aliment par une anecdote qui n'est pas reliée aux OGM, mais qui est significative.

Il y a une dizaine d'années, il fallait évaluer au plan européen le risque potentiel lié au traitement de farines par le chlore -pratique très spécifique des Britanniques parce que ce traitement des farines permet de fabriquer certains types de cakes comportant des fruits. Les Anglais ont essayé d'administrer des cakes fabriqués à partir de ces farines, comparés à des cakes fabriqués avec des farines témoins, chez des souris qui n'étaient alimentées qu'avec ce cake afin d'avoir une exposition importante à ces farines traitées. Il s'agissait d'une étude à long terme, mais malheureusement, toutes les souris sont rapidement devenues obèses parce que l'on ne peut pas se nourrir exclusivement ou avec de grandes quantités de cakes, et l'expérimentation s'est interrompue prématurément en raison de la mort des souris.

Nous sommes donc confrontés à cette difficulté que l'on ne peut pas introduire un aliment à plus de 5 %, voire 10 % dans le régime d'un animal d'expérimentation.

J'ai repris une citation d'une action concertée européenne qui s'appuie sur les difficultés que l'on rencontre en matière expérimentale. Cette action concertée « FOSIE » (pour FOod Safety In Europe) a fait l'objet le mois dernier d'une publication dans une grande revue de toxicologie qui expose toutes les difficultés qu'il y a à évaluer la sécurité d'un aliment ou d'un constituant important de notre alimentation.

Toutes les discussions internationales des dix dernières années ont bien montré que nous ne disposons pas de méthodologie permettant d'évaluer correctement ces problèmes. Il a donc fallu inventer autre chose qui est le concept d'équivalence en substance, né au sein de l'OCDE après environ cinq ou six années de réflexion.

Ce concept consiste à dire que puisque nous n'avons pas de méthode, nous allons comparer le nouvel aliment dans le cas des organismes génétiquement modifiés à un aliment existant avec lequel on ne voit pas a priori de différence, cet aliment qui existe déjà étant consommé depuis longtemps et pouvant être considéré comme sans risque pour l'homme du fait de son utilisation ancestrale qui résulte d'un choix réalisé par l'espèce humaine. C'est un peu de cette façon, par approximations successives, que nous avons finalement défini notre mode alimentaire et que nous avons sélectionné les aliments pouvant être consommables sans risque et ceux qu'il fallait éviter de consommer. Ce concept d'équivalence en substance n'est pas uniquement valable pour les aliments issus d'OGM, mais également pour d'autres aliments, par exemple les produits exotiques destinés à la consommation de nos populations.

En résumé, le concept est le suivant : comparer à quelque chose que l'on a l'habitude de consommer et que l'on considère sans risque. Si l'on est pessimiste, on peut dire que toute l'alimentation est à risque, mais si l'on est optimiste, on considère au contraire qu'effectivement, il n'y a pas de risque puisque notre espérance de vie continue de croître.

Nous avons toutefois une difficulté pour appliquer ce concept qui est critiqué du fait même de cette difficulté. En effet, nous ne disposons pas de données suffisamment nombreuses et fiables sur la composition des végétaux alimentaires, et surtout sur la variation de leur composition en fonction d'un grand nombre de facteurs comme la variété végétale, les conditions de culture, les conditions climatiques, l'année de culture, les conditions de conservation et de transformation. Il y a un manque très important de données de compositions dans ces domaines et lorsque l'on veut comparer une plante OGM ou un aliment issu d'une plante OGM à son comparateur traditionnel, nous ne savons pas quels comparateurs prendre.

Si on laisse les scientifiques discuter sereinement et surtout accumuler les données statistiques, cette difficulté devrait disparaître ; je pense par ailleurs, que cela rendrait également service aux nutritionnistes qui pourraient ainsi soutenir et défendre certaines variétés plutôt que d'autres en fonction de leurs qualités nutritionnelles, ce qui n'a jamais été jusqu'à présent un critère de sélection.

Un rapport canadien publié en février 2000 se montre très critique envers ce concept pour les raisons suivantes : absence de données suffisantes de composition et absence de standardisation de la mise en oeuvre de ce concept, et il est exact que les dossiers présentés par les industriels montrent des différences très importantes dans la façon dont est appliqué ce concept et donc dans le nombre de comparaisons effectuées.

Parmi les autres difficultés, nous pouvons noter :

- l'allergénicité des protéines nouvellement exprimées. Les OGM produisent de nouvelles protéines qui n'existaient pas dans la plante et qui pourraient se révéler allergènes. Pour cette difficulté qui n'est pas spécifique aux OGM, nous ne disposons pas de méthode infaillible permettant de prévoir a priori les risques d'allergénicité ;

- l'évaluation des conséquences nutritionnelles de la consommation d'une plante transgénique ou d'un aliment provenant de cette plante dont la composition aura été modifiée. Si un OGM connaît un succès fantastique, il sera consommé de façon très importante et aux dépens d'un autre aliment ; y aura-t-il des conséquences au plan nutritionnel ? Nous devons absolument pouvoir l'évaluer a priori, donc il faut que nous puissions utiliser des modélisations concernant les substitutions possibles d'un aliment par un autre et les conséquences nutritionnelles qui peuvent en découler. Ce n'est toutefois pas une difficulté majeure car nous savons faire ;

- le transfert de gène, et en particulier des gènes de résistance, de la plante vers des micro-organismes de l'intestin de l'animal ou de l'homme. C'est un sujet qui a été très largement discuté et qui a fait l'objet d'une consultation d'experts internationaux fin 1996 afin d'essayer d'exprimer un avis sur la question. La conclusion était que ce risque est minime et que si ce transfert se produit, il ne s'agirait malheureusement que d'une goutte d'eau dans la mer compte tenu de la situation grave de résistance aux antibiotiques et de la présence dans notre tube digestif de bactéries plus ou moins résistantes aux antibiotiques. Cela étant, certains ont dit qu'il serait « inélégant » d'utiliser ces gènes de résistance, ils sont donc en train de disparaître des constructions proposées aujourd'hui, en particulier quand il y a des promoteurs bactériens dans les constructions génétiques ;

- les conséquences difficilement prévisibles de l'empilement de gènes (croisement entre divers OGM). Nous n'avons pas aujourd'hui de réponse satisfaisante, là aussi il nous faut aussi de nouveaux outils d'évaluation et je ne prétendrai pas que nous sommes capables de répondre à toutes les questions posées par les organismes génétiquement modifiés ;

- éviter les contaminations croisées entre cultures. Ce sujet est aujourd'hui géré en dehors des OGM. Comment faire, par exemple, pour éviter qu'il y ait contamination croisée entre une culture de colza à visée industrielle dans lequel on réintroduit de grosses quantités d'acide érucique (toxique pour l'homme) et une culture de colza alimentaire ? Cela implique des difficultés de gestion, notamment au niveau des agriculteurs qui doivent être de plus en plus formés aux techniques, et cela suppose des précautions particulières que, de notre côté, nous savons gérer.

En conclusion, nous ne sommes pas capables d'apporter des réponses à toutes les questions posées qui ne sont d'ailleurs pas toutes spécifiques des OGM -très peu le sont finalement-, mais qui sont généralisables à l'alimentation dans sa globalité.

Par contre, les questions spécifiques aux OGM posées par nos concitoyens nous ont fait vaciller dans nos certitudes de scientifiques quant à la qualité de notre approche d'évaluation de la sécurité, ce qui nous fait nous interroger et a permis de relancer la recherche dans divers domaines pour améliorer ces méthodologies grâce aux progrès de la biologie moléculaire. Nous disposons aujourd'hui d'outils fantastiques qui nous permettront peut-être demain de proposer des méthodologies beaucoup plus efficaces pour juger des effets de faible amplitude se manifestant à long terme.

L'une des pistes que nous explorons à l'INRA est celle des signatures biologiques. L'expérience consiste par exemple à mesurer les effets produits par la consommation par un animal de trois types de carottes : une non modifiée (témoin), une peu modifiée (OGM1) et une très modifiée (OGM2). On étudie les urines de l'animal par des méthodes spectroscopiques (résonance magnétique nucléaire, spectrométrie de masse ou spectrométrie infrarouge), on fait des spectres comparatifs et l'on recherche les différences par traitement mathématique. Ainsi, nous espérons arriver à mettre en évidence s'il y a un effet de l'OGM, des différences dans les urines qu'il faudra ensuite interpréter pour évaluer le risque. Ce système fonctionne tout à fait bien pour distinguer, par exemple chez les bovins, les animaux traités ou non aux hormones. Actuellement, cette recherche est faite sur des effectifs peu importants, mais sur 100 animaux, il est possible de regrouper les animaux par traitement sans se tromper. Par ailleurs, depuis très peu de temps, grâce à la résonance magnétique nucléaire, nous pouvons mettre en évidence les différences de métabolismes dues à ces traitements.

Toute ceci est très complexe et je ne voudrais pas laisser croire que dans deux ans nous serons à même de proposer une méthode de routine pour comparer des traitements divers. Une autre piste est liée aux puces ADN qui vont permettre de détecter des différences dans l'expression de différents gènes, mais là aussi il y a une grande difficulté d'interprétation. Toutefois, avec ces deux types d'approches -méthodes physico-chimiques et méthodes bioinformatiques génomiques- nous allons essayer d'appréhender des petites différences dues à des traitements, et notamment à des aliments. C'est vraiment une nouvelle approche de la toxicologie en général et de la toxicologie alimentaire en particulier car actuellement, nous sommes particulièrement démunis en matière de toxicologie pour ce qui concerne les effets de faible envergure à long terme.

Personnellement, je pense que les risques qui peuvent exister en matière d'OGM sont du même ordre que ceux que nous courons chaque jour en nous alimentant. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas accentuer l'effort de recherche et essayer d'être encore plus efficace en matière d'évaluation de la sécurité. Toutefois, je peux vous assurer qu'il est très difficile de mettre en évidence ce type d'effets de faible ampleur qui se manifestent à long terme et qui peuvent être également tout à fait graves.

M. le président - Merci, M. le Directeur. Je cède la parole à M. le rapporteur.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - En introduction, vous avez dit que vous étiez plutôt porteur de cette mécanique OGM et vous avez tenu un propos relativement inquiétant puisque les avancées dont vous nous faites part montrent quand même les limites du niveau de recherche quant à la sécurité. Dans cette ambiguïté, quelles sont les pistes que vous voyez demain dans le domaine de la recherche ?

M. Gérard Pascal - Ce sont vraiment celles que je viens d'évoquer. J'ai abordé un certain nombre de questions auxquelles il me semble que l'on peut apporter tout de suite des réponses. Cela se discute et j'ai évoqué notamment le fait que l'on ne pouvait se limiter à une étude de toxicité aiguë sur la protéine -je pense que plus personne ne le prétend- mais ensuite on a le choix entre les épreuves de toxicité à 28 jours, à 90 jours, voire à 2 ans pour certains extrémistes. En général, les protéines ne sont pas des substances extrêmement toxiques. Il est déjà possible de comparer la séquence d'une protéine issue d'un OGM à celle qui figure dans des banques de données de protéines toxiques, donc nous disposons quand même d'un certain nombre de méthodes de vérifications. Je suis plutôt un adepte du 28 jours chez les animaux de laboratoire, rats ou souris, si on démarre chez des animaux jeunes qui sont extrêmement sensibles, or cela ne se fait pas toujours sur des animaux jeunes. L'AFSSA préconise 90 jours dans ses lignes directrices.

En ce qui concerne l'allergénicité, on n'arrivera jamais à prévoir avec une sécurité totale a priori le risque allergène. Pour les OGM comme pour d'autres aliments, il faudrait pouvoir disposer d'une allergovigilance ; personnellement, cela fait bientôt quinze années que je plaide auprès des autorités de santé pour cette allergovigilance, et ce n'est pas uniquement lié aux OGM. Il faudrait qu'on dispose enfin de données fiables sur les relations entre l'alimentation et l'allergie. J'étais responsable pour la France d'une action européenne sur les réactions violentes, les chocs anaphylactiques aux aliments. Il y a cinq ans, nous n'avions aucune donnée concernant la responsabilité des aliments dans ces allergies à risque majeur ; La France n'était pas la seule puisque, sur les Quinze, seulement deux pays disposaient de données.

L'allergovigilance est en train de se mettre en place, mais c'est très difficile ; en matière d'OGM, cela suppose une traçabilité sans faille, et peut-être arriverons-nous enfin à savoir si véritablement l'allergie alimentaire est un phénomène en croissance rapide. Je ne suis pas particulièrement inquiet en ce qui concerne les organismes génétiquement modifiés, sauf si des apprentis sorciers essaient de faire quelque chose de dangereux.

Avant d'en arriver à la toxicologie, il existe toute une série de filtres qui permettent quand même d'éliminer des plantes. Dans les premières comparaisons, on va déjà regarder si la plante a un aspect normal, ce qui n'est pas toujours le cas, ensuite on va regarder si, sur le plan agronomique, la plante se comporte de la même façon, si elle a les mêmes rendements. S'il y a des différences ou un doute, la plante sera éliminée. On ne va arriver à la toxicologie que toutes choses égales par ailleurs par rapport à un comparateur non transformé, donc cela fait déjà une série de filtres qui sont déjà des premières assurances.

Ensuite, ce concept d'équivalence en substance, qui n'est pas une évaluation toxicologique, va permettre de voir s'il y a des différences de concentrations dans les composés majeurs, mais également dans des composés antinutritionnels potentiellement toxiques, dans des vitamines, des oligoéléments, divers constituants qui sont des constituants marqueurs d'une variété végétale, donc là encore des éléments de sécurité. On les accumule, mais cela ne veut pas dire qu'on aura une sécurité absolue. Si le consommateur dit qu'il veut une sécurité absolue, un risque zéro, ce n'est certainement pas moi qui vais lui dire que c'est possible. Ce n'est pas possible pour les OGM comme pour autre chose. Après, quand le consommateur dit qu'il n'a ni intérêt ni avantage, là je ne peux plus répondre.

M. Daniel Raoul - je voulais revenir sur l'expérience réalisée à partir de trois types de carottes. Comment arrive-t-on à séparer l'effet de la carotte OGM de l'ensemble de l'alimentation de l'animal, et à la fin, que détectez-vous ? Dans l'exemple des hormones, vous disiez que vous saviez classer les animaux ; est-ce que sont les résidus d'hormones que vous trouvez dans l'urine, ou est-ce que c'est un changement du métabolisme ?

M. Gérard Pascal - Dans un cas, nous avons bien trouvé un changement du métabolisme de l'animal dû à l'effet de l'hormone. Mais c'est vraiment à l'état de recherches « préliminaires ». En termes d'OGM, je ne saurais pas vous dire.

A l'INRA, nous sommes en train de travailler dans le cadre d'un projet sur les aspects sécurité sanitaire des OGM suite à un appel d'offres du ministère de la Recherche qui date de 1999. Nous travaillons dans cette approche en comparant plusieurs variétés de pommes de terre transgéniques à des pommes de terre témoins. Ces pommes de terre n'ont pas été modifiées dans un but de mise sur le marché, mais pour être utilisées comme des outils de recherche. Il n'y a pas encore de résultats pour l'instant.

La difficulté que nous rencontrons est vraiment le traitement des signaux, c'est très complexe et nous avons besoin de mathématiciens et de modélisateurs que nous avons bien du mal à garder dans des organismes de recherche publics ; la bioinformatique est très consommatrice de scientifiques de haut niveau et les salaires proposés par la fonction publique ne sont guère motivants, aussi nos scientifiques nous quittent les uns après les autres et nous allons avoir besoin de nouvelles compétences scientifiques pour justement aborder ces aspects.

M. Daniel Raoul - C'est un problème qui ne va pas s'améliorer et que l'on va retrouver dans l'enseignement supérieur.

M. le président - C'est un sujet qui est à la frange de notre rapport, mais qui est malgré tout éminemment important en termes de conséquences.

M. Gérard Pascal - Ces nouvelles approches supposent des nouvelles compétences et ce ne sont plus des mêmes scientifiques dont nous avons besoin.

M. Hilaire Flandre - A force de vouloir éliminer tous les risques d'allergie et de toxicité, n'aggrave-t-on pas la situation, en ayant des gens incapables de se défendre naturellement contre la toxicité alimentaire ou l'allergie ? Depuis dix ans, nous observons un accroissement du nombre de gens atteints d'allergie et n'est-ce pas de vouloir faire des atmosphères parfaitement aseptisées qui conduit à diminuer les résistances naturelles de nos concitoyens ?

M. Gérard Pascal - C'est une théorie nouvelle en toxicologie qui s'appelle l'hormesis. Certains toxicologues, capables d'apporter des arguments à l'appui de cette thèse, pensent que l'exposition à de faibles doses d'un certain nombre de substances toxiques à plus hautes doses conduit l'organisme à induire des activités enzymatiques pour se défendre contre ces substances avec un effet extrêmement positif. Cette théorie se développe rapidement dans le domaine de la toxicité chimique.

Il y a des arguments déjà solides dans le domaine de la microbiologie : sur un aliment lui-même, on sait que l'on a parfois intérêt à être un petit peu « sale », c'est-à-dire avoir des micro-organismes qui vont jouer le rôle de « flore barrière » par rapport aux micro-organismes pathogènes, et quand le terrain est complètement nettoyé et que malheureusement ces agents pathogènes arrivent sur ce terrain parfaitement « propre », ils explosent immédiatement et c'est ainsi que l'on court des risques majeurs en matière de microbiologie. Nous sommes à peu près convaincus qu'il se passe la même chose dans notre tube digestif, c'est-à-dire que nous avons intérêt à avoir certains micro-organismes qui vont nous protéger de l'implantation et de la multiplication des micro-organismes pathogènes quand ils pénètrent dans notre organisme.

C'est vrai que nous avons certainement avantage à être conduits à avoir besoin de réagir, mais où est l'équilibre ? Il ne faut pas nous obliger à réagir trop brutalement et trop souvent. Finalement, l'une des théories du vieillissement à laquelle je crois beaucoup, c'est une moindre capacité à réagir à ces différentes agressions ; aussi, s'entraîner à réagir n'est certainement pas une mauvaise chose.

M. Daniel Raoul - C'est vrai dans d'autres domaines. Dans le domaine psychologique, qui n'a donc rien à voir avec les allergies ni avec la toxicité, nous sommes dans une société où le moindre événement malheureux qui se produit conduit les gens à requérir un soutien psychologique. Nous ne sommes quand même pas tous incapables de nous autodéfendre et, de ce point de vue, il y a quelque chose qui m'inquiète un peu dans l'évolution de nos propres sociétés.

M. Gérard Pascal - C'est un peu la raison de mon discours que vous avez pu juger parfois pessimiste ou alarmiste ; je voudrais surtout que personne n'imagine que l'on peut s'assurer un risque zéro en matière d'alimentation, comme dans les autres domaines car ce serait une aberration.

M. le président - Vous avez parlé de Terminator, or je crois que pour nos concitoyens, ce terme les a complètement effrayés et je crois qu'il serait important que vous nous le décryptiez parce qu'il n'y a rien de nouveau par rapport à une variété hybride, par exemple, mais cela a été très malicieusement présenté par les journalistes.

M. Gérard Pascal - J'évoquais le gène terminateur, c'est-à-dire le gène que l'on introduit, le signal de fin de lecture d'une séquence génomique. Cette proposition d'utiliser un gène Terminator qui empêche la production de semences pour l'année suivante avait aussi un intérêt ; il a été très critiqué par des lobbyings d'activistes, mais il avait aussi l'utilité d'éviter que les gènes étrangers puissent partir dans la nature. L'inconvénient, nous le connaissons avec les variétés hybrides et ce n'est pas nouveau, mais cette idée a été abandonnée alors que scientifiquement, il pouvait y avoir un intérêt.

M. le président - Je pense qu'il serait important de démystifier cette peur de Terminator parce que c'est une clé de sécurité au niveau environnemental.

M. Gérard Pascal - En fait, cela fait partie des attaques que je qualifie de politiques et que je comprends par ailleurs, mais ce dont j'ai été assez rapidement convaincu, en particulier lors de très nombreux entretiens dans le cadre du rapport de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, c'est que les opposants aux OGM n'osaient pas à l'époque, c'est-à-dire avant la conférence du citoyen en 1997/1998, poser cette question politique et se réfugiaient derrière le risque pour l'environnement et le risque pour la santé. Mais en approfondissant un peu, on voyait bien que leur problème était un problème de société, un problème de relation entre l'agriculteur et les firmes de biotechnologies, un problème de relation entre pays du nord et pays du sud, et que donc on retrouvait là, quant aux relations entre l'agriculteur et le semencier, une polémique et une discussion que l'on avait connue avec justement des pratiques qui ne mettaient pas en oeuvre les biotechnologies, mais les variétés hybrides. C'est un débat politique et je ne pense pas que ce soit un débat technique.

Là aussi, il y a un mélange entre les aspects scientifiques et techniques et les aspects politiques qu'il faudrait clarifier. Je veux bien parler de politique en tant que citoyen, je suis prêt à aborder les problèmes des rapports nord sud, les problèmes des agriculteurs, des firmes de biotechnologies, mais pas quand je parle de l'évaluation des risques sanitaires. Chaque chose doit être bien cernée et l'on doit savoir dans quel cadre entreprendre la discussion.

M. le président - En matière de processus d'insertion, j'en connaissais deux, la problématique au travers de l'agrobacterium tumefaciens et la biolisitique, or vous nous avez expliqué que vous arriviez à des processus plus raffinés, même si l'agrobacterium s'avérait quand même très intéressant, et que dans le risque de faire naître des nouvelles molécules, il y avait ce problème du lieu d'insertion. Quelles sont aujourd'hui les nouvelles méthodes ?

M. Gérard Pascal - Je ne suis pas très bien placé pour répondre à cette question. Ce que je peux dire concerne la nature du gène qui est introduit. Des modifications extrêmement importantes se sont produites et l'on voit dans certains organismes génétiquement modifiés proposés récemment que le gène étranger est en fait le gène de la plante que l'on a modifiée, de façon à ce que seulement trois des acides aminés d'une protéine enzyme -qui en compte environ 450- soient différents. Ceci qui confère à la protéine une résistance à l'herbicide, mais laisse une protéine globalement très comparable à la protéine naturelle d'origine.

M. le président - Donc, sur 450 acides aminés, vous parvenez à identifier les trois qu'il convient de modifier.

M. Gérard Pascal - Effectivement, pour modifier les propriétés de la protéine et la rendre résistante. On est de plus en plus précis -vous pourrez trouver l'explication dans le rapport sur le maïs G 21 qui se trouve sur le site du Comité scientifique de l'alimentation humaine.

M. le président - Il m'a semblé au travers de vos propos que vous mettiez l'accent sur l'importance à moyen ou long terme de l'étiquetage nutritionnel, que ce soit sur l'aliment conventionnel ou autre.

M. Gérard Pascal - L'un des sujets de recherche de l'INRA qui nous occupe depuis longtemps et sur lequel nous mettons l'accent depuis quelque temps est la meilleure exploration des richesses du monde végétal, une meilleure connaissance de la composition des végétaux en substances présentes en petites quantités que nous avions baptisées dans le temps « métabolites secondaires » car nous ne savions pas à quoi elles servaient.

En fait, ce sont des substances qui sont le plus souvent secrétées par la plante en réaction à l'environnement -et souvent en réaction à des stress- qui peuvent être des polyphénols souvent dotés de propriétés antioxydantes, et dont nous avons de bonnes raisons de penser que beaucoup de ces molécules présentent un intérêt pour la santé, qu'elles jouent un rôle de prévention, de protection, de réduction des risques de certains types de maladies. Ces molécules sont présentes par centaines, aussi nous avons un important travail d'analyse des végétaux pour les mettre en évidence, pour voir dans quelles proportions elles peuvent varier.

C'est quelque chose que nous connaissons mal, de même que nous connaissons mal la biodisponibilité de ces substances. Une fois ingérées vont-elles pouvoir pénétrer notre organisme et y jouer un rôle, et quel rôle ? Ce sont des approches qui nous font insister sur la richesse de nos aliments en général et sur l'importance qu'il y aurait à en savoir davantage pour faire des recommandations nutritionnelles.

Le programme national nutrition et santé est à mon avis une excellente idée, mais malheureusement on ne sait pas tout et dire « mangez des pommes, mangez des fruits et des légumes », c'est très important, mais il faudrait pouvoir en dire davantage, il faudrait arriver à conseiller aux agriculteurs ou aux sélectionneurs de faire rentrer quelques critères nutritionnels dans leurs critères de sélection, comme certains critères organoleptiques.

Ce monde végétal qui est d'une richesse fantastique renferme en même temps des composés dangereux que l'on ignore et c'est pourquoi il serait intéressant de pouvoir progresser dans les méthodologies d'évaluation de la sécurité. Un chercheur ne peut pas refuser de progresser encore, même si le citoyen n'est pas complètement persuadé du bien-fondé de la démarche. Je pense qu'investir dans ce type de recherche présenterait un intérêt pour la santé publique.

M. le président - Si nous, côté politique, nous voulions imprégner cette idée de s'engager dans un étiquetage nutritionnel, est-ce que vous, sur un plan scientifique, vous sentez qu'il faut encore du temps pour affiner les choses ou avez-vous déjà des bases de données, des connaissances déjà bien établies ?

M. Gérard Pascal - Il ne faut pas beaucoup de temps et il faut un minimum de moyens. D'ailleurs, l'une des préoccupations d'Ambroise Martin est de progresser dans l'établissement de banques de données des compositions des aliments. Le problème est d'arriver à trouver un soutien financier et de coordonner les efforts des uns et des autres. Pour l'INRA, j'ai des difficultés à justifier que nous nous engagions fortement dans ce type d'analyses qui sont des analyses de routine et qui sont un peu loin de la recherche telle qu'on la demande à l'INRA. C'est plutôt du ressort des centres techniques. L'AFSSA s'interroge aussi, a besoin des données, est capable de les traiter, mais elle n'a pas les moyens financiers d'assumer ces analyses même si ce ne sont pas des dépenses somptuaires.

M. le président - Je suis tout à fait d'accord sur cette approche. En France, nous nous sommes véritablement distingués sur les signes de qualité, et nous en sommes particulièrement ravis, mais je suis persuadé que demain, le consommateur souhaitera aller plus loin. La première approche est purement organoleptique et nos concitoyens qui sont de plus en plus exigeants demanderont autre chose, et là il faudra que le législateur soit prêt pour pouvoir répondre au travers de cet étiquetage nutritionnel.

M. Gérard Pascal - C'est justement au travers de ces critères de composition que l'on arrive à faire de la traçabilité, c'est comme cela que l'on a beaucoup progressé sur la caractérisation du lait de montagne, à partir de la composition des végétaux qui sont consommés à certaines périodes de l'année par les animaux dont on va analyser le lait. Et l'on arrive à retrouver la trace du pâturage dans tel ou tel type de végétation qui est lié à telle ou telle altitude. Ce sont des domaines sur lesquelles on progresse bien sur la base de l'analyse.

M. le président - C'est assez amusant parce que, en fin de compte, la grande distribution qui ne passe à côté de rien du tout, surtout de l'argent, a trouvé précisément que faire un produit lait de montagne était financièrement intéressant. Je pressens qu'elle est prête à décliner cette approche raciale. Pouvez-vous également la valider scientifiquement ?

M. Gérard Pascal - Nous pouvons l'envisager. En matière de production animale, on arrive à bien caractériser la race des animaux avec des approches qui sont plus génétiques et génomiques. Il y a des progrès très importants à faire.

La difficulté pour un organisme comme l'INRA qui est un organisme de recherche finalisée mais de recherche quand même, c'est de savoir ce que l'on attend d'un tel organisme par rapport à ce que l'on attend d'instituts techniques qui ont aussi leur rôle à jouer en lien avec un institut de recherche ou en relation avec un institut comme l'AFSSA. Il y a un besoin de concertation et de coordination dans ce domaine en particulier et il faudrait peut-être un catalyseur pour faciliter cette coordination.

M. le président - Je sais que vous avez énormément de responsabilités et de travail, Mais, considérant votre implication tant au niveau national qu'au niveau européen, pourriez-vous, M. Pascal, nous livrer vos souhaits d'améliorations sur le plan législatif national et européen, de façon à ce que cette loi fondatrice sur les biotechnologies puisse être la plus pertinente possible ?

M. Gérard Pascal - C'est avec plaisir et avec intérêt parce que je crains des débordements. Il s'agit d'un sujet extrêmement délicat. Dans un premier temps, je m'étais un peu trop laissé impressionner par les collègues américains qui, lorsque nous les avons rencontrés en 1990, avaient déjà un argumentaire construit pour nous démontrer l'innocuité des OGM. Puis, petit à petit, nous nous sommes aperçus que leur argumentaire comportait des failles et qu'il fallait imaginer une position sans doute plus intermédiaire, plus raisonnable. C'est progressivement que l'on peut arriver à trouver la position la plus raisonnable possible en évitant les excès. Ces excès exprimés dans les dernières années pour ce qui concerne les risques sanitaires des OGM peuvent sans doute s'expliquer en partie par l'assurance excessive de nos collègues américains.

M. le président - Il serait intéressant que nous ayons votre approche affinée sur cette question parce que c'est un sujet auquel nous ne pourrons pas échapper.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Travaillez-vous beaucoup avec les partenaires américains ou canadiens ?

M. Gérard Pascal - Je ne travaille plus au laboratoire depuis un certain temps, mais j'ai des discussions avec des collègues américains et canadiens. Nous avons une tradition à l'INRA qui consiste en une réunion annuelle avec nos collègues canadiens, américains et anglais. Cette « tétrapartite » aura lieu cette année au Canada et la sécurité alimentaire sera l'un des sujets principaux.

Il y a davantage de collaboration au sein de l'Union européenne pour l'instant qu'avec les collègues outre-Atlantique avec lesquels nous avons quelques désaccords, notamment sur les aspects allergiques. Accepter que l'on puisse prendre comme organisme donneur de gène, un organisme connu pour provoquer des allergies chez l'homme, ne nous semble pas raisonnable - l'argument américain est de dire, « on peut le faire à la condition que l'on s'assure que ce n'est pas la protéine allergène que l'on fait produire dans l'OGM ». Il y a quand même des risques qu'il ne faut pas prendre. Sur les méthodologies, c'est pareil, donc nous préférons travailler au niveau européen d'abord, construire notre argumentaire scientifique et se retourner ensuite vers eux ; c'est ce que nous faisons assez souvent, en particulier dans le domaine de l'allergie.

J'ai apporté un document (disponible à la Communauté européenne) paru en fin d'année 2001 qui comprend la description des programmes de recherche européens engagés dans le domaine des OGM et de la sécurité. A l'heure actuelle, 80 millions d'euros sont engagés sur les organismes génétiquement modifiés en matière de sécurité, donc il y a un gros effort de réalisé malgré ce que l'on entend dire ou ce que l'on peut lire, mais beaucoup de gens qui expriment cette opinion n'ont pas vu les dossiers, notamment ceux des industriels qui publient également des résultats d'expérimentations dans des revues scientifiques sur la sécurité sanitaire.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - La collaboration avec les acteurs privés est-elle une mécanique où vous ressentez qu'il y a une vraie volonté d'aller de l'avant ?

M. Gérard Pascal - Depuis toujours, j'ai eu d'excellentes relations avec les scientifiques des firmes comme avec les collègues de la recherche publique, par contre le dialogue devenait plus difficile au niveau de la direction générale avec les personnes en charge de la politique de communication des grandes firmes.

M. le président - M. le Directeur, je vous remercie. Je pense que nous ne pouvons pas occulter ce sujet dont les répercussions, au-delà de l'aspect économique, sont considérables.

M. Gérard Pascal - Le dernier rapport de l'USDA indique que 74 % du soja, 32 % du maïs et 71 % du coton seront transgéniques cette année, par ailleurs trois autorisations de coton transgénique ont été accordées en Inde. Nous avons eu une mission en Chine sur les OGM à l'automne dernier ; il a été très difficile d'obtenir des informations sur les surfaces cultivées, mais les laboratoires sont d'une modernité fantastique avec des jeunes scientifiques d'une compétence extraordinaire formés dans les meilleurs laboratoires du monde.

M. le président - Merci M. le Directeur, nous serons peut-être conduits à nous revoir compte tenu de l'implication sur la loi fondatrice des biotechnologies, il serait intéressant que vous nous fassiez part de vos suggestions.

52. Audition de M. Robert Pellerin, Président du groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS)

M. le président - Nous accueillons maintenant M. Robert Pellerin, qui est exploitant agricole dans le Cher depuis 1962 et qui préside actuellement le Comité central du Groupement national interprofessionnel des semences et plants. Il est également à la tête de la Fédération nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences.

Notre mission d'information doit contribuer à sensibiliser les sénateurs aux enjeux de la transcription partielle de la directive 9844 et à l'ensemble de cette question délicate des OGM. Nos auditions s'inscrivent dans un contexte marqué par les interrogations des consommateurs et le vote par la commission de l'Environnement du Parlement européen d'un seuil de 0,5 % pour l'étiquetage.

M. Robert Pellerin - Je dois indiquer au préalable que je m'exprime ici en tant qu'agriculteur, et non en tant que technicien des OGM. Aussi suis-je venu avec M. Philippe Gracien, qui est ingénieur agronome et directeur général du GNIS. Mais je puis dire que, dans mes fonctions, je voyage beaucoup et que je vois sous d'autres cieux nos concurrents développer la culture des OGM. J'ai vu en Argentine, dont l'agriculture fait preuve d'une réactivité remarquable, l'impressionnante rapidité avec laquelle le soja nouveau s'impose, par sa qualité et la constance de ses caractères. L'Institut de recherche agronomique du pays a mis en évidence pour le soja un accroissement de 5 % de la marge brute du fait des OGM.

Il faut savoir que les surfaces cultivées dans le monde avec des OGM occupent 52 millions d'hectares, soit un chiffre supérieur à l'ensemble des grandes cultures dans l'Union Européenne. L'Europe peut-elle rester à l'écart de ce mouvement ? N'est-ce pas se condamner ?

M. le président - Je me fais l'avocat du diable : ne devrions-nous pas jouer la carte de cette exception agricole ?

M. Robert Pellerin - Cela n'est possible que sur quelques marchés spécifiques et limités, mais la concurrence par les prix demeure prédominante. Je suis favorable à la qualité, mais pas à n'importe quel prix. Le blé que nous produisons en France ne sert que pour quinze pour cent à la boulangerie, qui fixe pourtant les critères de qualité. Mais il existe d'autres marchés et d'autres possibilités d'exportation, dans l'alimentation animale par exemple, où l'on réclame un blé plus riche en protéines. Je fonde de grands espoirs sur ces techniques pour demain.

Mais pour le moment nous devons nous soucier de développer la recherche. Nous n'innovons plus. Je suis pourtant persuadé qu'un jour, aussi paradoxal que cela puisse sembler, l'écologie réclamera les OGM, parce que c'est le meilleur moyen de lutter contre l'excès de produits phytosanitaires.

Le risque zéro n'existe pas.

M. le président - Quels conseils donneriez-vous ? Simplifier la communication en direction de l'opinion publique ?

M. Robert Pellerin - Le débat n'est pas scientifique : nous avons affaire à une guerre de religion. Il faut briser un tabou. L'homme a toujours amélioré les plantes, par croisement et cette tradition se poursuit aujourd'hui, avec d'autres moyens, plus précis avec lesquels nous ne procédons plus à l'aveuglette. Pourquoi refuser ce qui s'est toujours fait ? Revenons au bon sens pratique, celui de la terre.

M. Hilaire Flandre - Si l'on avait suivi absolument le principe de précaution, on n'aurait jamais risqué les trépanations ou les amputations !

M. Robert Pellerin - L'environnement lui-même évolue et se transforme : certaines plantes résistent peu à peu à l'acidité.

M. le président - Avez-vous des contacts avec vos « adversaires » comme Greenpeace ou la Confédération paysanne ?

M. Robert Pellerin - Peu.

M. Gracien - Des contacts informels, lors des colloques sur ce sujet.

M. le président - Ils ne cherchent pas à approfondir leurs connaissances.

M. Gracien - Ils considèrent que les informations que nous apportons sont biaisées.

M. Robert Pellerin - Il faut savoir toutefois que l'interprofession regroupe aussi l'agriculture bio, et que sur les autres dossiers une convergence existe. L'agriculture bio a d'ailleurs un seuil de tolérance de 5 %. Pourquoi n'aurions-nous qu'un seuil de 1 % ?

M. le président - Pensez-vous que les deux types d'agriculture puissent coexister ?

M. Robert Pellerin - À mon sens, c'est possible.

M. Hilaire Flandre - Et quid de la dépendance des agriculteurs vis-à-vis des producteurs de semences ? C'est un des arguments importants du débat. Mais quand j'ai commencé l'agriculture dans les années soixante, nous étions déjà dépendants.

Il est possible toujours possible d'isoler les semences, de créer des zones de protection.

M. Robert Pellerin - Il est absurde de croire qu'une agriculture détruira l'autre.

M. Hilaire Flandre - Quid des risques sanitaires ? Si les betteraves résistent aux herbicides, que va-t-il advenir des betteraves sauvages ?

M. Robert Pellerin - J'ai eu des conversations avec M. Axel Kahn sur ce sujet. Les phénomènes de résistance sont naturels et ont toujours eu lieu.

M. Hilaire Flandre - Mais nous sommes en pleine guerre de religion. Les arguments scientifiques ne sont pas pris en compte.

M. Gracien - Les différents modes de production peuvent coexister. L'agriculture bio et c'est son droit refuse d'utiliser les transgéniques, mais doit accepter la présence fortuite, en deçà d'un certain seuil, dans ses produits.

M. le président - L'agriculture bio a une obligation de moyens, mais non de résultat ? J'ai cru comprendre que l'AFSA disposait d'un rapport faisant état de résultats dramatiques pour le bio.

M. Robert Pellerin - Nous n'accepterons pas, en tout cas, de voir à nouveau du charbon ou de l'ergot dans le blé.

M. le président - Comment arriver à des positions cohérentes ?

M. Gracien - Par la pédagogie, et il faudra bien un jour une décision politique, prise par le Gouvernement et le Parlement.

M. Robert Pellerin - Pour ce qui concerne, nous resterons prudents.

M. Hilaire Flandre - Il serait temps de sortir de l'opposition naturel-travaillé.

M. le président - Gare à ne pas affoler l'opinion publique !

M. Gracien - Nous devons démythifier la question de la propriété intellectuelle du vivant, la captation du vivant par des entreprises privées. Cette question qui est souvent mise en avant repose sur une vision simpliste des choses. À nous de trouver la parade.

M. le président - Lors du récent colloque que nous avons organisé, un argument m'a semblé convaincant : si l'on multiplie les réglementations pour la mise sur le marché, seules les multinationales pourront continuer à vivre.

M. Gracien - Cet argument marque les esprits. Il faut que la profession agricole se prenne en mains.

M. Robert Pellerin - Je ne suis pas inquiet. La dépendance n'est pas un risque, à condition qu'on nous libère un peu, qu'on nous donne le droit d'expérimenter avec un retour sur investissement raisonnable. La profession agricole a montré sa volonté d'aller de l'avant et d'avoir une vision d'avenir en investissant aux côtés des pouvoirs publics dans Génoplante

M. Hilaire Flandre - Sauf si nous prenons un retard trop considérable. La situation actuelle ne peut plus durer.

M. Gracien - Nous n'avons que 11 hectares en expérimentation cette année.

M. le président - Contre 20 000 hectares en exploitation en Espagne... Je me réjouis d'apprendre que le brevet ne vaut que pour le territoire américain et que les États-Unis n'ont pas imposé le brevet.

M. Robert Pellerin - Il y aura débat en France à ce sujet, car les agriculteurs et les industriels n'ont pas la même approche.

M. Gracien - Ce débat aura lieu au moment de la transposition de la directive européenne. Les entreprises européennes ont sur ce point une position claire que nous défendons.

M. le président - Les firmes privées ne sont-elles pas toutes en faveur du brevet ?

M. Gracien - Celles qui sont liées à l'industrie pharmaceutique et à la chimie. Le monde des semenciers est favorable au COV. Le brevet appliqué aux plantes figerait les choses et empêcherait le progrès.

M. Robert Pellerin - Cet aspect n'est pas assez connu.

M. Gracien - Les discussions avec les États-Unis sont toujours difficiles, comme l'a montré le récent congrès de Chicago. Dupont et Monsanto ont refusé de signer un texte commun.

M. Robert Pellerin - M. Mattéi a écrit un bon papier sur ce sujet.

M. Gracien - Nous nous efforçons d'engager le dialogue avec ceux qui le souhaitent, comme Solagral.

M. Robert Pellerin - La question de la dépendance des agriculteurs et celle du brevet sur le vivant doivent être clarifiées. Nous constituons en fait un front du refus face au brevet.

M. Hilaire Flandre - Il est facile de comprendre que la recherche du secteur privé doit être financée.

M. Robert Pellerin - Environ 10 à 12 % du chiffre d'affaires vont à la recherche.

M. Hilaire Flandre - Les agriculteurs ont toujours travaillé avec des variétés de peu de durée de vie.

M. le président - Nous devons démythifier ce dossier. Songez à Terminator, qui dans son process est vieux comme l'hybridation. Un effort d'explication s'imposerait.

M. Robert Pellerin - Le terme même nous a fait beaucoup de mal...

M. Hilaire Flandre - C'est comme « manipuler ». Et pourtant en Champagne, on parle de récoltant-manipulateur.

M. le président - Terminator était pourtant le meilleur moyen de protéger les flux de gènes. Songeons encore que le rendement des semences, entre la fin des années quarante et aujourd'hui a été multiplié par cinq ou six.

M. Robert Pellerin - Il faut rappeler que, au départ, les hybrides de maïs, qui ne se reproduisent pas, étaient censés tuer les canards... Que n'a-t-on dit alors, mais les craintes qui s'exprimaient n'avaient qu'un écho local. Comment aurions-nous pu nourrir l'humanité avec l'ancêtre du blé, et ses quelques grains ?

M. le président - Verrons-nous à court terme des OGM de deuxième génération ?

M. Robert Pellerin - Il faut pour cela que les OGM réduisent les coûts et répondent aux attentes du marché. Le rendement n'est pas la première préoccupation.

M. Gracien - Je ne vois pas d'OGM de deuxième génération à court terme, dans les deux ans qui viennent.

M. le président - L'acceptation sociétale doit se faire avant l'arrivée de ces variétés.

M. Robert Pellerin - Les freins mis au développement des OGM rendent plus difficile la recherche sur les nouveaux usages, qui intéressent peu les États-Unis. L'Europe serait, elle, plus intéressée par des utilisations plus spécifiques, par exemple le blé destiné à la nourriture animale.

M. le président - Qu'est-ce qui serait souhaitable pour les agriculteurs ?

M. Robert Pellerin - Qu'ils puissent gagner leur vie, qu'on réduise les entraves, qu'on simplifie les règles.

M. le président - Va-t-on vers une segmentation des marchés ?

M. Gracien - Nous y travaillons, notamment pour les céréales.

M. le président - C'est une voie pour les OGM.

M. Hilaire Flandre - Le blé destiné à l'alimentation animale, par exemple.

M. Robert Pellerin - Sans oublier les finalités industrielles.

M. Gracien - Se pose la question, alors, des revenus des agriculteurs.

M. le président - Avec la segmentation des marchés, et la valeur ajoutée qui va avec, il me semble que la France a une carte à jouer. Ce sera l'orientation de nos conclusions : nous ne devons pas nous couper de la modernité, nous devons intégrer les biotechnologies, sans rester sur le marché de masse.

M. Robert Pellerin - Nous ne sommes pas compétitifs sur ce marché de masse, et plus encore avec le Farm Bill.

M. le président - Les Américains vont nous tailler des croupières. Franz Fischler a-t-il pris la mesure de l'enjeu ?

M. Robert Pellerin - Il se préoccupe surtout de quotas.

M. le président - L'agriculture bio va un jour réclamer les OGM, comme les produits du terroir sous le signe de la qualité.

M. Gracien - Pour la vigne aussi, la solution passe par le génie génétique. L'INRA a un programme de recherche en ce sens.

M. Hilaire Flandre - La Champagne a interdit les OGM. C'est de l'affichage.

M. Robert Pellerin - C'est du marketing, comme les poulets de Loué.

M. Gracien - Lors de la transcription de la directive, il conviendrait de ne pas rendre les procédures d'autorisation de mise sur le marché trop complexes. Nous sommes inquiets sur la nature des autorités qui seront appelées à donner un avis, sur les modalités de consultation du public. On envisage de dédoubler la commission actuelle en deux, avec une commission scientifique et une commission sociétale, qui ne seront jamais d'accord.

Ne créons pas de blocages supplémentaires.

M. le président - Bien des opposants ne cherchent pas le terrain scientifique : Gilles-Eric Seralini par exemple conteste avec d'autres surtout un « modèle de développement ».

53. Audition de M. Georges Pelletier, directeur de recherche à l'INRA, président du directoire opérationnel du GIS Génoplante, de M. Pierre Malvoisin, directeur général de la SAS Génoplante-Valor

M. le président - Messieurs, nous avons souhaité vous convier à cette audition pour que vous nous parliez des OGM et de Génoplante.

Les OGM sont en effet devenus un véritable sujet de société et il appartient au Sénat d'entamer un dialogue avec l'ensemble de nos concitoyens sur ce sujet qui, au-delà de l'approche sociétale conflictuelle et difficile, sera un sujet de discussions -voir de discorde- devant l'OMC.

M. Georges Pelletier - Le programme Génoplante est un programme amont d'acquisition de connaissances qui est la conséquence de l'accélération des techniques et des moyens d'investigation du vivant, qu'il s'agisse du génome humain ou du génome des plantes.

Génoplante existerait donc, indépendamment de techniques ou de méthodes de production de plantes transgéniques.

Génoplante est un programme qui a commencé en 1999-2000. Il devait durer 5 ans et associe toujours des partenaires privés et publics.

Les partenaires publics sont les instituts qui ont quelque chose à voir avec les plantes, comme l'INRA, le CNRS, le CIRAD et l'IRD. Les partenaires privés regroupent la quasi-totalité des acteurs dans le domaine des semences et de l'agrochimie à travers Biogemma, Rhône-Poulenc -devenu Aventis, puis Bayer-Crop Science et Bioplante. Ce programme est en fait un partenariat.

M. le président - 50-50 ?

M. Georges Pelletier - C'est pourrait-on dire un partenariat 40-40, 20 % venant de subventions ministérielles.

M. le président - Existe-t-il des structures identiques de ce type dans les autres pays de l'Union européenne ?

M. Georges Pelletier - Non, à ma connaissance, Génoplante qui est le système français est original.

D'autres programmes existent aux Etats-Unis, mais aussi en Allemagne, avec le programme GABI, qui est toutefois organisé de façon différente.

M. Pierre Malvoisin - Pour ce qui concerne GABI, la partie recherche fondamentale s'est regroupée pour recevoir des subventions sur une charte d'acceptation ; la partie privée, elle, s'est regroupée avec la partie publique de manière séparée, avec une impulsion à partir de subventions.

Le cloisonnement est plus prononcé, mais l'ensemble est chapoté par un comité de pilotage où l'on retrouve à la fois les partenaires publics et privés.

Pour moi, GABI répond à la même inspiration : il s'agit de mettre de l'argent pour dynamiser la génomique et être compétitif dans un partenariat public-privé, de façon à avoir un phénomène d'entraînement sur des applications, même lointaines.

J'ajoute, comme toujours dans le monde de la recherche, que les regards sont tournés vers le continent nord-américain, en particulier des Etats-Unis, où l'impulsion sur la génomique végétale est sensible et substantielle.

Je me trouvais au congrès annuel de génomique animale et végétale, à San-Diego, en janvier. L'administration Bush devait annoncer le plan sur les 3 ou 5 ans à venir. Ils sont un peu en retard, mais les subventions vont être conséquentes. Les subventions sont gérées par un secrétariat interdépartemental. Ils ont réalisé que la génomique végétale n'intéresse pas qu'un secteur. Nous n'avons pu ramener les documents, qui n'étaient pas prêts, mais les chiffres sont conséquents.

M. le président - Pourra-t-on avoir ces documents ?

M. Pierre Malvoisin - Ils étaient à l'arbitrage. Je pense qu'on les aura très vite.

Je crois savoir que le séquençage du soja est décidé. On poursuit donc le travail fondamental de séquençage systématique des grandes espèces. Je crois qu'ils ont également décidé le séquençage du boeuf.

M. le président - Ils mélangent donc animal et végétal ?

M. Pierre Malvoisin - Les animaliers ont leur session et les végétalistes aussi mais, en séance plénière, on parle de génomique, d'amélioration des espèces animales et végétales. On est en fait en forte communauté de pensée en termes de méthodes et de technologies.

En ce sens, on se différencie de la génomique humaine, centrée sur les pathologies, les diagnostics des maladies, etc. .,

Les animaliers et les végétalistes travaillent dans une optique d'amélioration.

C'est l'impression que je retire de ce congrès.

M. le président - Par rapport à la France, par combien sont multipliées les sommes qui sont consacrées à la génomique ?

M. Georges Pelletier - Cela va de 1 à 5, voire de 1 à 10.

M. Pierre Malvoisin - Si on ajoute l'Allemagne, on passe de 1 à 3. Il faut également ajouter l'Angleterre, qui est moins centrée sur l'agriculture. Il faudrait que l'on calcule tout cela à nouveau, mais on est en déficit.

M. Georges Pelletier - Pour un projet donné comparable, aux Etats-Unis, les moyens sont beaucoup plus abondants qu'en France.

M. le président - Existe-t-il un véritable partenariat européen entre l'Allemagne, l'Angleterre et la France ?

M. Georges Pelletier - Génoplante s'est associé en 2001 avec le programme allemand et l'on a commencé par monter des programmes communs qui sont maintenant en route. On a lancé un appel d'offres, auquel les scientifiques des deux pays ont répondu.

Chaque projet doit être conduit à la fois par des laboratoires français et allemands avec, dans le dernier appel d'offres, un encouragement à l'implication de partenaires privés dans la réalisation du projet.

Cet appel d'offres est terminé. On a les projets. Les ministères français et allemand de la recherche sont en train de les évaluer. On aura une réponse au printemps et on croise les doigts pour avoir un financement conjoint début 2004, le ministère français aidant les laboratoires français, le ministère allemand aidant les laboratoires allemands.

M. le président - Où en êtes-vous du décryptage du génome des plantes ?

M. Georges Pelletier - Actuellement, deux génomes sont quasiment connus : l'Arabidopsis thaliana -première espèce choisie il y a longtemps par les généticiens des plantes et, plus récemment, au milieu des années 1980, par les génomiciens- et le riz, qui est officiellement terminé.

Le troisième devrait être le peuplier. Tout le monde travaille sur l'Arabidopsis. Les pays du Nord se sont spécialisés sur les arbres forestiers les plus simples en matière de génome, c'est-à-dire le bouleau et le peuplier. Ceci les intéresse évidemment du point de vue économique.

Il est prévu d'étudier d'autres espèces, comme le maïs. Je pense qu'il y a eu, à San-Diego, des discussions pour commencer à étudier le génome de blé, mais c'est plus compliqué. Ces génomes ne sont pas tous comparables. L'Arabidopsis a été choisie parce qu'elle n'a que 140 millions de paires de base, alors que le blé en a cent fois plus. Dans le blé tendre, par exemple, ce sont trois génomes quasi identiques qui sont additionnés. C'est plus difficile à décrypter. Les efforts à déployer ne sont pas les mêmes.

M. Pierre Malvoisin - Les Etats-Unis ont pris une avance considérable dans le décryptage, les coûts baissant graduellement. A San Diego, le réseau chinois m'a surpris. C'est remarquable ! On peut presque parler de réseau sino-américain. La présence des Japonais m'a moins frappé.

M. Georges Pelletier - Les Américains ont fait un effort pour l'accueil des étrangers, et en particulier des Chinois. Ceux qui ont été en poste dans les laboratoires occidentaux -et en particulier aux Etats-Unis- deviennent chefs de laboratoire lorsqu'ils reviennent chez eux. Cela va probablement accélérer les connexions.

M. le président - Pensez-vous que la Chine ait une volonté exportatrice ?

M. Georges Pelletier - Oui. Il existe des tomates qui transitent déjà par la route ou le rail entre le Sinkiang et l'Europe.

M. Pierre Malvoisin - Outre la Chine, l'Inde et le Brésil, qui monte en termes de recherches, sont très présents, sans parler du Canada et de l'Australie.

Le Brésil se spécialise dans la canne à sucre. Un des pays les plus transversaux est la Chine, qui fait feu de tout bois. La Chine a fait des biotechnologies végétales une priorité nationale dès les années 1980.

M. Georges Pelletier - C'est en 1978-79, après la mort de Mao, époque à laquelle ils ont commencé à éprouver le besoin de contacts avec l'Occident, que les échanges ont débuté. La France a fait quelques efforts d'accueil, mais nous n'étions pas très attractifs.

M. Pierre Malvoisin - La génomique n'a cessé de progresser grâce aux technologies du vivant, mais aussi grâce à l'informatique et à Internet, qui est précisément l'outil de réseau.

Tous les facteurs ne vont faire que s'amplifier du fait de l'augmentation de la puissance des ordinateurs, du nombre de scientifiques bien formés et de la connexion de tous ces gens-là. Chaque jour, ce sont des millions de bases décryptées qui tombent dans les ordinateurs.

Un des enjeux de Génoplante est aussi d'avoir monté les outils de bio informatique indispensables pour traiter et analyser toute cette information qui arrive par vagues.

M. le président - Tout ce décryptage des différents génomes entre donc dans le domaine public ?

M. Pierre Malvoisin - Oui, très vite, en tant que séquence brute, comme des lettres d'un livre immense auquel il faut ensuite trouver du sens.

M. le président - Où s'arrête le rôle de Génoplante ?

M. Georges Pelletier - Il s'arrête à l'identification et à la mise en évidence de la fonction de tel ou tel gène.

Prenons par exemple la lignine. Il s'agit d'un composé dont on a de bonnes raisons de penser qu'il faudrait le modifier pour améliorer soit la digestibilité des fourrages, soit l'extraction de la cellulose.

Génoplante essaye de décrypter les voies de biosynthèse, de trouver des mutants dans les différentes espèces et de mettre en évidence que telle combinaison de mutations dans un génotype va permettre une meilleure digestibilité du maïs par exemple.

Les industriels vont donc pouvoir produire une telle variété. Génoplante va les aider en leur donnant des marqueurs moléculaires leur permettant de procéder au tri de ces combinaisons favorables de gènes.

M. Pierre Malvoisin - Quant à Génoplante-Valor, elle a été créée sur un partenariat 50-50. C'est une SAS dont le conseil d'administration est partagé entre recherche publique et privée. Génoplante-Valor a pour mission de mener une réflexion de valorisation.

M. le président - Qui brevète ?

M. Pierre Malvoisin - C'est la SAS qui, de par les conventions du GIS, a contractuellement la propriété des brevets. Nous avons un système paritaire très original et extrêmement enrichissant, qui doit aboutir à un consensus.

On étudie les résultats qui nous remontent des différentes équipes et on fait une proposition de brevet.

Actuellement, une vingtaine de brevets sont déposés. Le brevet permet de se protéger, mais on n'en connaît la valeur qu'au bout d'un certain temps. Il faut cinq ou six ans, dans notre secteur, pour qu'un brevet soit délivré. Il peut faire l'objet d'une opposition de la part de tiers qui ont eux-mêmes un brevet. Génoplante a aussi pour finalité de protéger ces résultats.

M. le président - Le système européen actuel de brevetabilité du vivant vous convient-il ? Y a-t-il des améliorations à y apporter ?

M. Pierre Malvoisin - Aux Etats-Unis, il semble que les offices des brevets insistent maintenant sur la fonctionnalité du gène.

Le fait de breveter purement et simplement des séquences n'est plus acceptable. Un jugement en ce sens a été rendu à propos d'une séquence dont la protéine était putative..

M. le président - Avez-vous des notes précises à ce sujet ?

M. Pierre Malvoisin - Oui, je peux demander qu'on vous les fournisse.

M. le président - La structure Génoplante est-elle l'approche la plus affinée qui permette de garder une certaine latitude dans l'évolution de l'agriculture française ou cela peut-il être encore amélioré ?

M. Pierre Malvoisin - Je suis forcément juge et partie, mais je viens aussi du privé et je trouve que ce système paritaire qui permet de trouver un consensus entre le public et le privé est unique.

Est-on performant ? C'est toujours notre interrogation. On se bat au sein d'un milieu international qui est ce qu'il est. A nous de faire les bons choix. En termes de stratégie de brevets, il faut faire attention car il existe des processus très précis.

M. le président - Y a-t-il toujours une différence entre l'approche américaine et l'approche européenne sur ce point ? N'y a-t-il eu aucun rapprochement ?

M. Pierre Malvoisin - Les Etats-Unis ont accepté il y a quelques années de suivre le système européen, mais le déposant peut choisir de rester aux Etats-Unis sous l'ancien système ou de déposer dans le système international qui est le système européen.

M. le président - Avez-vous une note à ce sujet ?

M. Pierre Malvoisin - Oui.

Je précise que l'examinateur américain est orienté vers la valorisation et essaiera de comprendre l'intérêt du déposant. L'examinateur européen est quant à lui extrêmement sourcilleux et j'ai parfois entendu des commentaires de la part de partenaires privés et même publics qui disent toute la difficulté que l'on a à argumenter vis-à-vis d'un examinateur européen, français en particulier. On a une attitude rigide parfois désespérante alors qu'aux Etats-Unis, on ne nous fait aucun cadeau !

- Il n'y a en outre pas assez d'examinateurs français à Munich.

M. Georges Pelletier - En termes de brevets demandés et délivrés , quantitativement, on est très loin derrière les Etats-Unis. La France représente 4 % des brevets biotechnologiques. Même si on y inclut la sélection végétale, ce n'est pas avec cela que l'on va tenir notre rang de deuxième producteur de semences mondial !

Il faut aussi savoir ce que l'on brevète. En Europe, on ne brevète pas les variétés, contrairement aux Etats-Unis et à l'Extrême-Orient.

Nous sommes très favorables au maintien d'un système de libre utilisation des variétés, qui n'est pas antinomique avec le brevet, si celui-ci s'arrête à la construction que l'on a pu introduire ou aux outils que l'on a pu mettre en oeuvre pour assurer une sélection.

M. le président - La notion d'obtention de certificat végétal n'est pas utilisée aux Etats-Unis ?

M. Pierre Malvoisin -Peu. En fait, elle s'applique à des plantes marginales, commercialement parlant, pour les Américains. En termes de volumes de commerce, la semence de blé est par exemple marginale.

La semence de maïs, par contre, constitue un volume d'affaires plus important et jouit donc d'une protection, mais davantage du fait du caractère hybride de cette semence que du fait du brevet. Le fait de breveter les lignées parentales aux Etats-Unis irrite les Européens qui ont une attitude plus ouverte à propos de la libre circulation.

M. le président - N'y a-t-il pas eu de procès ?

M. Pierre Malvoisin - Aux Etats-Unis, le tournant a été le procès Pioneer contre Holden, qui a tourné à l'avantage de Pioneer.

Maintenant, les opérateurs américains brevètent leurs lignées parentales, voire les descendances. Il semblerait toutefois qu'on assiste à un retour au bon sens.

M. le président - Auriez-vous là aussi un document ?

M. Pierre Malvoisin - Je peux vous remettre une analyse de ces évolutions sur le maïs.

M. le président - La structure d'Agenae est pratiquement identique à celle de Génoplante. Un partenariat vous semble-t-il possible entre ces deux structures ?

M. Georges Pelletier - On peut partager certains outils ou infrastructures, mais pour ce qui est des projets, ce sera plus difficile.

M. Pierre Malvoisin - On peut valoriser nos acquis et nos savoir-faire. Un des soucis de Génoplante serait de s'ouvrir sur d'autres secteurs industriels que la semence.

M. le président - C'est-à-dire ?

M. Pierre Malvoisin - Essayer de faire redescendre ces connaissances au niveau de la semence, mais aussi vers des secteurs de l'agro-industrie au sens large, comme la vigne, qui a elle-même des programmes à travers l'INRA. C'est difficile.

M. Georges Pelletier - Pour la vigne, le problème est de trouver des partenaires privés. Il est très difficile d'introduire la génétique dans le milieu viticole.

La destruction des plans expérimentaux à l'INRA a retardé l'expérience menée à Colmar, qui vient de reprendre, de quatre à cinq ans. On n'a probablement pas bien expliqué les tenants et les aboutissants de l'expérience dans ce milieu encore plus fermé que les autres à toute modification génétique.

M. le président - C'est un problème d'image.

M. Georges Pelletier - Lors de la crise du phylloxéra, les essais d'hybridation avec des vignes américaines ont donné de mauvais résultats. Depuis, le mot "hybridation" est tabou dans ce milieu.

Pourtant, le cabernet-sauvignon est un hybride entre le cabernet et le sauvignon, spontané, certes, mais un hybride quand même !

Concernant l'avenir de Génoplante, nous sollicitons une poursuite avec des partenariats différents. Nous n'aurons plus le même partenariat avec Bayer. Une possibilité qui reste à prospecter serait d'obtenir plus d'appuis des industries alimentaires ou des agro-industries comme les -biocarburants par exemple.

La dynamique qui s'est créée dans les laboratoires et chez les chercheurs est telle qu'il est difficile d'imaginer que l'on arrête ce programme à son terme, en 2004.

On va donc solliciter les ministères de la recherche et de l'agriculture pour un programme que l'on pourrait appeler "Génoplante 2010", afin de se caler sur les programmes américains à cet horizon.

M. Pierre Malvoisin - Bien que Génoplante ne soit pas un programme OGM, il s'agit d'un dérivé de la génétique telle qu'elle se pratique.

A San Diego a été présentée une approche raisonnée sur la résistance à la sécheresse de plantes génétiquement modifiées, ces dernières se révèlant être supérieures de 30 % aux plantes traditionnelles. On a également assisté à la présentation d'approches génomiques multi géniques classiques. Les deux voies se combinent fort bien, mais la voie OGM peut produire des résultats rapides, la plante ayant des capacités extraordinaires à intégrer des gènes.

M. le président - On sait donc maintenant où positionner les gènes d'intérêt ?

M. Pierre Malvoisin - On sait qu'il existe des endroits du génome où le nouveau gène s'exprimera mieux. On sait également éliminer les gènes marqueurs.

C'est une voie évidente pour les professionnels que nous sommes. Le fait d'être freinés dans ces travaux fait que, peu à peu, la technologie nous échappe. Si l'on perd son savoir-faire, on n'est plus considéré par la communauté internationale. C'est un souci que j'ai personnellement.

M. le président - C'est un souci que cette mission a également, au travers de son rapport.

Tout doucement se développe une prise de conscience au sein du Parlement. N'hésitez surtout pas à nous faire part de vos souhaits, de vos réflexions et de vos suggestions.

Que pensez-vous de Terminator ?

M. Pierre Malvoisin - Il n'a jamais existé !

M. le président - A-t-on aujourd'hui technologiquement les moyens d'éviter les pollutions génériques, comme au travers des hybridations classiques ?

M. Pierre Malvoisin - Le brevet USDA de Terminator a été financé en partie par Delta and Pines, société de coton complètement indépendante. A l'époque, Monsanto était en train d'évaluer le rachat de cette société. Ils n'étaient d'ailleurs pas les seuls.

Internet permettant de lire les brevets, les opposants au système ont alors mis les réseaux en route grâce au web.

Toutefois, le brevet lui-même est extrêmement compliqué.

M. Georges Pelletier - Il s'agit, par traitement de la graine, d'empêcher celle-ci de se reproduire.

C'est très compliqué et cela paraît risqué pour le producteur de semences, qui risque de vendre aux agriculteurs des semences aux facultés germinatives variables. C'est un système trop sophistiqué pour être aussi bon dans la réalité que sur le papier.

M. le président - Existe-t-il un moyen technique pour éviter ces pollutions génétiques autrement qu'avec les zones d'éloignement ?

M. Georges Pelletier - Il existe deux sources de dispersion : les graines et le croisement. Pour ce qui est de graines, pour le moment, le système ne fonctionne pas.

M. Hilaire Flandre - Rencontre-t-il une opposition vigoureuse dans l'opinion ?

M. Georges Pelletier - Non. Il existe de nombreuses plantes qui n'ont plus de graines, comme la banane par exemple : tout le monde est bien content de manger des bananes sans graines à l'intérieur !

De même, il existe des raisins, des melons et des pastèques sans pépins.

On peut parfaitement imaginer de tels outils, si la récolte ne se fait pas pour la graine, y compris grâce à des techniques connues qui sont fort simples. La banane, par exemple, est une plante triploïde. Elle a trois génomes et ne sait plus faire de gamètes. Elle ne produit donc pas de graines.

L'autre problème est le pollen. La plupart des plantes sont hermaphrodites. Dans de nombreuses espèces existent des caractères de stérilité mâle qui peuvent être sélectionnés. Ceci est utilisé depuis longtemps pour produire des semences hybrides et permet d'empêcher la dispersion par le pollen.

Dans le cas de la production de médicaments, on peut imaginer que les plantes soient stériles et ne dispersent pas leurs gènes par le pollen. Comment va-t-on les reproduire ? Ce sont des techniques classiques de croisement avec des plantes fertiles. On s'arrangera pour que la stérilité soit transmise de façon automatique ce qui est le cas de caractères à hérédité cytoplasmique. Ce sont des choses qui existent déjà et qui dépendent toutefois de l'espèce considérée.

M. le président - On peut donc imaginer ce que l'on appelle le "molecular farming", qui permet la fabrication de molécules pharmaceutiques.

M. Georges Pelletier - Ce sont des molécules à très haute valeur ajoutée. On n'a pas forcément besoin de grandes surfaces. On peut imaginer quelques tunnels ou quelques serres.

M. le président - Mais il est techniquement possible d'éviter la pollinisation ?

M. Georges Pelletier - C'est possible et ce sera à mon avis obligatoire. Des sociétés canadiennes produisent déjà des molécules pharmaceutiques à partir de la luzerne. Il existe en effet toute une technologie pour extrême les protéines à partir des feuilles. On peut donc imaginer des plantes stériles qui ne produiront pas de pollen ; dans le cas de la luzerne, c'est imaginable.

On peut également multiplier les plantes en questions par voie végétative. Les outils, qui sont d'ailleurs plus ou moins anciens, peuvent être rassemblés pour éviter tout problème.

M. Pierre Malvoisin - Il faut distinguer la grande culture du "molecular farming", qui restera limité, comme avec la production de pavots, en France, pour l'industrie pharmaceutique.

M. Hilaire Flandre - On le fait sur de grandes cultures !

M. Pierre Malvoisin - Oui, mais cela reste limité. En production de semences, on sait produire par exemple des semences de betteraves et contrôler le système sur des surfaces de quelques milliers d'ha. Cela marche depuis des années. En revanche, en grande culture, il y aura dispersion de pollen. C'est inévitable.

M. le président - Dans notre rapport, nous allons essayer d'accroître l'acceptation sociétale et d'imaginer la coexistence entre différents modes d'agricultures, sans que l'un interfère avec l'autre ou handicape l'autre. Je parle de l'agriculture biologique, même si elle n'a pas une grande surface. Il faut la respecter si l'on veut respecter cette acceptation sociétale.

Pourriez-vous rédiger une note pour que l'on puisse très concrètement imaginer sur le terrain la coexistence des OGM ou des process plus classiques -hybridations et autres- avec différentes filières -filière agriculture conventionnelle, filière agriculture biologique et, ici ou là, productions de molécules pharmaceutiques à haute valeur ajoutée, par l'intermédiaire de la plante ?

Comment respecter toutes ces formes d'agricultures sans pollution génétique ? C'est la quadrature du cercle, mais c'est aussi l'objectif de Génoplante !

M. Pierre Malvoisin - ... En fonction de normes raisonnables !

M. Georges Pelletier - La pollution génétique (si l'on peut s'exprimer ainsi) existe actuellement, car on trouve des gènes dans tous les organismes ! Elle est à mon avis surévaluée. On lui donne un poids qui n'est pas celui qu'elle peut avoir.. On prête par exemple au colza des possibilités de croisements inimaginables : J'ai lu que le colza se croisait avec l'endive dans un document émanant de l'AFSSA ! C'est hallucinant !

Il y a des barrières aux hybridations. On sait que le colza est le résultat d'une hybridation naturelle entre le chou et le navet. D'autres espèces sont aussi issues d'hybridations naturelles, mais le colza a les plus grandes peines du monde à se croiser avec la ravenelle. L'expérience sur le terrain le confirme. L'hybride chou-ravenelle ou colza-ravenelle n'existe pas dans la nature : il y a certainement des raisons à cela. Les premiers hybrides choux-radis ont été réalisés en 1826. Depuis, il n'en est pas sorti grand-chose. Les sélectionneurs ont en particulier toutes les peines du monde à introduire des gènes de radis dans le colza ou le chou et réciproquement. Il ne faut pas imaginer des contaminations quantitativement très importantes. Il faut pouvoir instituer un seuil raisonnable qui corresponde à des risques éventuels, mais que signifie "0 % de contamination" ?

M. le président - Merci. Je souhaite un bel avenir à Génoplante, car ceci est déterminant pour l'agriculture française et européenne.

54. Audition de M. Robert Pingeon, Président du Cabinet Conti International

M. Robert Pingeon - Aux Etats-Unis, le principe est simple : le dossier des OGM est traité comme tous les autres sur le fondement de la responsabilité civile qui établit un lien entre le dommage et la cause. Donc, il existe aux Etats-Unis une police d'assurance pour l'agriculteur OGM avec un volet responsabilité civile, et cela repose sur « the state of the art »c'est à dire le dernier état des connaissances.

Permettez-moi de faire un petit rappel sur la situation des plantations OGM. Aujourd'hui, on compte 52,6 millions d'hectares plantés en OGM en incluant l'Argentine, et la part de marché des Etats-Unis dans le marché transgénique est de 62 %. En 2002, on peut estimer qu'environ 75 % du soja américain est cultivé en OGM, 71 % du coton américain est OGM et 34 % du maïs. Le maïs est plus intensivement cultivé en France et en Hongrie, où il représente environ 1/8ème de la surface agricole cultivée, qu'aux Etats-Unis où il représente environ 1 hectare sur 18 ou sur 19. Le gluten de maïs est un sous-produit de ces cultures. En matière de soja, il y a trois pays qui comptent à l'échelle mondiale : les Etats-Unis qui représentent à peu près la moitié de la culture, le Brésil, vers lequel d'ailleurs la France a tendance à se tourner, et l'Argentine.

On peut parler d'une consommation de masse d'OGM aux Etats-Unis depuis environ 6 ans. Dans l'Oregon, qui est un Etat très vert et écologiste, il y a eu un référendum sur l'étiquetage et la traçabilité qui a donné une réponse négative, c'est à dire que 70,34 % exactement des citoyens ont refusé de recourir à l'étiquetage et à la traçabilité pour les produits OGM. L'Europe est bien évidemment très critiquée aux Etats-Unis, d'autant plus que là-bas la vertu est plutôt identifiée à l'élimination des résidus de pesticide, suite aux scandales de 1989, mais elle ne concerne pas tant les problèmes de sciences de la vie. Certains remarquent une augmentation parallèle de l'usage des pesticides et des surfaces cultivées en OGM. En fait, le chiffre qui mesure l'accroissement de l'usage des pesticides est un chiffre global qui comptabilise le poids de l'ensemble des pesticides utilisés, mais en fait, au niveau des Etats proprement dit, on constate une baisse localisée de l'usage des herbicides et des modifications très importantes entre régions et entre variétés de céréales.

Concernant la liberté des farmers, je voudrais juste citer un chiffre qui atteste de leur liberté, c'est qu'aujourd'hui ils payent 8,5 dollars pour des variétés de soja un peu obsolètes et que le soja OGM, lui, est payé à 20 dollars le sac, le sac faisant 50 livres c'est à dire à peu près 22 kilos. Donc le choix des OGM est un choix qui est sans doute motivé par d'autres considérations que le prix puisque le soja OGM est évidemment plus cher que le soja conventionnel.

Concernant le problème de la concentration des semenciers, je voulais aussi mettre fin à une idée reçue en citant l'existence bien sûr de Pioneer qui occupe 18 % du marché, de Syngenta mais aussi de trois autres entreprises moyennes qui chacune représente 5 % du marché. Donc même ces 5 entreprises n'ont pas un poids quasi monopolistique sur le marché de la semence. Pour le soja, on peut même dire qu'il y a une forme d'atomisation puisqu'on comptabilise 300 à 400 obtenteurs de semences qui font 70 % du soja et qui sont indépendants. Donc Monsanto n'a pas toutes les semences mais c'est vrai que c'est une entreprise qui attire les semenciers puisque Monsanto leur donne la force du brevet, laquelle est supérieure à leurs droits d'obtention, et c'est vrai que Monsanto tire des revenus très élevés pour l'utilisation de ces droits.

On estime à environ 50 dollars à l'hectare les économies réalisées sur les intrants, qu'il s'agisse à la fois des phytosanitaires et des semences, entre le soja OGM et le soja conventionnel. Ce chiffre est déjà important et, en plus, il ne tient pas compte du temps gagné par les applications successives qui ne sont plus nécessaires. Le produit final se vend à peu près 200 dollars la tonne et on estime qu'un hectare de soja permet de produire 3 à 4 tonnes. Pour le maïs, les rendements aux Etats-Unis sont à peu près les mêmes qu'en Europe.

Un petit mot de Terminator. Cette semence n'appartient pas à Monsanto. C'est en fait la société Delton Pinelyne au Mississipi qui détient la moitié du brevet de Terminator. C'est une société qui est numéro un des semences de coton. Monsanto a voulu la racheter, mais cela n'a pas abouti. Et l'autre moitié du brevet est détenue par le Ministère de l'agriculture américain. Donc, il y a une obligation pour cette autorité publique de veiller à la diffusion de l'innovation. La presse britannique voulait que Terminator ne soit pas exploité, alors qu'en fait Terminator pourrait être une solution aux flux de gènes, et Terminator résoudrait aussi le problème des procès sur la réutilisation des semences OGM d'un an sur l'autre. Je pense à l'affaire Percy Schmeiser.

Concernant les brevets, je voudrais souligner trois points dans l'histoire du brevet. Il y a d'abord eu le brevet classique d'utilité. Puis, dans les années 30, on a créé un brevet sur les plantes qui n'a jamais très bien fonctionné, pour finalement, dans les années 70, adopter une loi sur les obtentions variétales qui est en fait un concept importé d'Europe. Chaque année, il y a environ 300 nouveaux cultivateurs de soja, mais seulement 1 ou 2  sont protégés par la loi des années 70 et finalement les semenciers comptent beaucoup plus sur le secret industriel que sur le brevet puisque l'évolution est très rapide, et c'est ainsi que le secret industriel constitue une forme de quatrième volet de protection de la propriété intellectuelle aux Etats-Unis, et facilite ainsi bien mieux l'innovation. Il y a eu trois ou quatre affaires à la Cour Suprême sur cette loi de 1970. Les organismes compétents sont divers. Pour les pesticides il s'agit de l'EPA, pour la nourriture ou les médicaments, c'est la FDA et pour l'environnement c'est l'Environment Department.

55. Audition de M. Jean Pougnier, Président de l'Union des Industries de la Protection des Plantes (UIPP) et de M. Jean-Charles Bocquet, directeur général de l'UIPP

M. le président - Merci d'avoir accepté l'invitation que vous a adressée la mission d'information sur les OGM, créée par la Commission des Affaires économiques. Nous souhaiterions connaître votre analyse de professionnel des plantes. Nos concitoyens apparaissent favorables aux applications médicales des OGM, mais hostiles à leurs applications alimentaires.

M. Jean Pougnier - Je souhaiterais rappeler tout d'abord le travail que nous avons mené en direction du Gouvernement.

M. le président - Avez-vous constaté des différences par rapport au Gouvernement précédent ?

M. Jean-Charles Bocquet - Le Gouvernement actuel fait preuve d'une bonne écoute, mais aussi d'une certaine frilosité. Cela peut s'expliquer par des raisons techniques, mais le plus souvent les difficultés apparaissent plutôt de nature politique, ce qu'illustre l'invocation du principe de précaution. Mme Roselyne Bachelot a indiqué que la décision sur les OGM serait sans doute une décision interministérielle, ce qui veut dire aussi qu'elle sera plus lente.

M. le président - Il y a eu huit autorisations de mise en culture, ce qui marque une différence par rapport à l'attitude du Gouvernement précédent. Mais il est vrai qu'on en est resté là, pour l'instant.

M. Jean Pougnier - C'est pourquoi, en venant vers vous aujourd'hui, nous espérons aussi bénéficier de vos conseils.

M. le président - Il me semble que c'est l'approche purement agricole ou alimentaire qui est mal perçue par nos concitoyens. Les industriels ne parviennent pas à communiquer sur le thème des OGM de seconde génération ou sur celui de la baisse des intrants phytosanitaires. Quand on parle d'OGM à connotation médicale, on oublie que 5 personnes en ont tiré parti et que 200 sont morts, alors que, sur le plan alimentaire, bien qu'il n'y ait eu aucun mort l'image des OGM reste très négative. Ce que les politiques attendent des industriels, c'est qu'ils expliquent les perspectives qu'ouvrent les OGM.

M. Jean-Charles Bocquet - Aujourd'hui, les autorisations concernent notamment du maïs OGM résistant à la pyrale, qui permet une baisse des intrants. Quoique professionnels des pesticides, nous sommes favorables à ces essais car nous soutenons l'évolution vers des activités pérennes.

M. le président - Les détracteurs des OGM affirment pourtant que la diffusion des OGM aux Etats-Unis s'accompagne d'un recours accru aux pesticides.

M. Jean-Charles Bocquet - Il faut bien distinguer trois éléments. Parle-t-on des pesticides du point de vue de leur valeur, de leur quantité ou de leur qualité ? Un pesticide peut coûter plus cher, être plus efficace et moins dangereux pour l'environnement. Prenez par exemple le Round-up : il a remplacé des herbicides persistants.

M. Jean Pougnier - De plus, dans le cas du maïs BT et du coton BT, il y a clairement une diminution du recours aux intrants.

M. Jean-Charles Bocquet - Nous remarquons, que vous avez déjà vu beaucoup d'acteurs : avez-vous déjà un fil directeur qui se dégage de vos auditions, ou sinon que vous manque-t-il ?

M. le président - Sur le plan scientifique, nous avons quasiment achevé notre programme d'auditions. Nous attendons un document du professeur Lunel sur la construction génétique de dernière génération, avec retrait du gène sélecteur. Il semblerait que cette technique nous fasse revenir à une sélection presque classique. Nous devons encore définir comment nous adresser à nos concitoyens sur ce dossier.

M. Jean-Charles Bocquet - Nos contacts auprès des associations de consommateurs nous ont appris l'importance de choisir les bons mots. La difficulté reste toujours d'ouvrir un dialogue constructif avec les anti-OGM.

M. le président - M. Bruno Rebelle, dirigent de Greenpeace nous a déclaré qu'il acceptait les OGM sur le plan scientifique, mais qu'il les refusait sur le plan social. Dans ces conditions, comment faire accepter à nos concitoyens que ce modèle n'est pas né aux Etats-Unis mais en Europe ?

M. Jean-Charles Bocquet - Nous étions jusqu'à maintenant dans un débat pour ou contre les OGM. Aujourd'hui, il faudrait aller plus loin, dépasser ce débat et dire comment utiliser les OGM. On nous oppose souvent l'idée d'un monopole de quelques société anglo-saxonnes. Or, le droit des brevets ne s'applique pas puisqu'existe la certification des obtentions végétales. Par conséquent, la notion d'appropriation du vivant n'existe pas telle que les gens se l'imaginent.

M. le président - Ce point est à la fois très important et très complexe : Pouvez-vous nous développer cette particularité européenne du certificat d'obtention végétale (COV) ?

M. Jean-Charles Bocquet - Le modèle du COV existe dans le cadre de l'UPOV qui est en place depuis 1961. Les sociétés américaines en sont membres, et elles sont d'accord pour conserver cette spécificité européenne. Nous voulons donc éviter le recours à la notion de brevet, qui évoque l'idée d'une confiscation du vivant.

M. le président - Quel est le fonctionnement du COV en termes de prix ? Comment paie-t-on le recours à un produit faisant l'objet d'un COV ? D'autre part, il y a un débat dans le cadre de la directive n° 98-44 sur la question de la brevetabilité du vivant. Ce n'est pas la variété qui serait brevetable, mais le couple gène/fonction. Quelle est votre analyse sur ce point ? Enfin, pensez-vous que le brevet va l'emporter sur le COV ?

M. Jean-Charles Bocquet - Dans le document que nous vous avons remis, nous avons essayer de préciser notre position, et celle de nos adhérents, dont les sociétés américaines, sur ce point. Nous ne voulons pas remettre en cause le COV. Il nous semble que cela constitue une vraie réponse à ceux qui s'inquiètent sur la brevetabilité du vivant.

M. Jean Pougnier - Sur ce point, nous avons un compromis pour l'Europe. Aux Etats-Unis, en revanche, c'est le brevet qui prévaut. Les sociétés acceptent ce statu quo.

M. le président - Il me semble qu'il pourrait s'agir là d'un point clé du rapport, permettant de bien marquer la spécificité de l'Europe.

M. Jean-Charles Bocquet - De la même façon, nous sommes tout à fait ouverts à la coexistence de différents modèles d'agriculture.

M. le président - A Chicago, les industriels américains ne semblaient pourtant pas vouloir entendre parler du COV.

M. Jean-Charles Bocquet - Nous ferons repréciser ce point par les sociétés américaines.

M. le rapporteur - Les relais de l'opinion publique continuent pourtant de renvoyer cet argument concernant la brevetabilité du vivant...

M. Jean-Charles Bocquet - A titre d'exemple, je vous rappelle que le glyphosate(matierematière active du Round up) est dans le domaine public : il n'est plus sous brevet, ce que beaucoup oublient souvent. Je reviendrai maintenant sur d'autres aspects. Premier point : la poursuite de la recherche-développement. Les détracteurs des OGM continuent à vouloir détruire les essais. Nous souhaiterions que le ministre de l'agriculture donne de nouvelles autorisations d'essai en février ou au plus tard en mars. Mais nous avons aussi besoin de l'assurance que nous aurons la protection de ces sites. On pourrait parler d'un « principe de protection ». Sinon, tous les essais seront menés à l'étranger. Second point, la traçabilité et le problème de la présence fortuite. Ce point doit être éclairci en préalable à la levée du moratoire. Il faut définir le seuil et les règles du jeu. Nous aurions souhaité un seuil de 5 % comme on en trouve dans l'alimentation biologique pour les éléments non-issus de l'alimentation biologique. Nous sommes prêts à accepter un seuil de 1 % : ce sera coûteux mais relativement facile d'un point de vue technique. Il nous paraît important qu'il y ait un seuil unique pour les différentes étapes (semences, récolte, produits transformés destinés à l'alimentation). Un tel système serait clair pour tout le monde et plus simple. En revanche, le 0 % est impossible.

M. le président - Quel est le coût d'un seuil à 1 % ?

M. Jean-Charles Bocquet - C'est un coût significatif, que nous avons chiffré. Ces chiffres sont à votre disposition. Reste à savoir qui paiera ?

M. Jean Pougnier - Si le seuil est trop bas, il faudra renoncer aux OGM en France, notamment pour certaines cultures comme le colza.

M. le président - Plus le seuil sera bas, plus le coût sera élevé et plus nos produits seront désavantagés par rapport aux produits américains !

M. Jean-Charles Bocquet - La présidence danoise de l'Union européenne propose de remettre cette question en discussion en novembre ou décembre 2002. Il reste donc quelques semaines. Le ministère de l'Ecologie fait parfois référence à un seuil de 0,5 %. Nous souhaiterions savoir si c'est là la position de la France. Il nous paraît enfin particulièrement important de faire valoir qu'on ne pourra répondre aux objectifs sanitaires et environnementaux que si l'on fait des essais.

M. le président - Quel est votre point de vue sur la filière sans OGM ?

M. Jean-Charles Bocquet - Aujourd'hui, un tel choix représente un fort surcoût. Nous ne sommes pas contre, mais nous pensons que cette filière restera une niche. Il faut rappeler que certaines sociétés OGM font aussi du non-OGM, notamment parce qu'elles ont travaillé sur la question de la contamination.

M. le président - N'imaginez-vous pas un développement de l'agriculture biologique ?

M. Jean-Charles Bocquet - Aujourd'hui se posent à l'agriculture biologique un problème de surproduction et un énorme problème de débouchés.

M. le rapporteur - L'acceptation des OGM repose sur des arguments économiques, mais aussi sur des arguments sanitaires. En matière de santé, quels éléments vous font dire que les OGM ne posent aucun problème ?

M. Jean-Charles Bocquet - Nous nous basons sur des procédures d'homologation et, a posteriori, sur la biovigilance. On ne constate pas jusqu'à la fin du process d'effets néfastes.

M. Hilaire Flandre - Avez-vous un recul suffisant pour cela ?

M. Jean-Charles Bocquet - Aucun danger ne peut être totalement écarté. Ce qui compte, c'est le risque d'exposition, que nous essayons de réduire. Il est vrai que notre recul n'est pas d'une génération, mais de 7 ou 8 ans.

M. Hilaire Flandre - Deuxième grand problème : le grand public ne voit pas l'intérêt des OGM.

M. Jean-Charles Bocquet - C'est pourquoi certaines sociétés se sont réorientées vers des variétés qui ont un impact positif sur la santé,. ou des caractéristiques agronomiques différentes.

M. Jean Pougnier - Il faut bien comprendre que les OGM sont une technologie qui démarre.

M. Hilaire Flandre - La question est de savoir si l'on pourra revenir en arrière...

M. Jean Pougnier - C'est pour cela qu'il faut nous laisser la possibilité de mener les expériences nécessaires.

56. Audition du Dr. Philippe Pouletty, Président de France Biotech, Vice Chairman de Europabio

M. le président - A l'issue du débat des 4 et 5 février derniers, les « quatre sages » ont exprimé le souhait qu'une loi fondatrice sur les biotechnologies soit soumise au Parlement. Je pense qu'ils ont eu entièrement raison sur ce point et que la mission d'information sur les OGM créée au sein de la Commission des Affaires économiques y trouve sa pleine justification.

En tant que président de France Biotech comment percevez-vous les biotechnologies en France, notamment les OGM ? Que souhaiteriez-vous voir dans cette loi fondatrice que je viens d'évoquer ?

M. Philippe Pouletty - Je vous remercie d'abord de m'avoir invité. J'interviens ici à la fois en tant que Président de France Biotech, vice chairman de Europabio et médecin entrepreneur ayant passé 15 ans en Californie.

A mes yeux, le problème que soulèvent les OGM ressemble à celui soulevé par le clonage. Dans les deux cas, l'approche scientifique et rationnelle a du mal à percer par rapport aux arguments non scientifiques. Alors qu'il conviendrait d'apprécier le ratio bénéfice/risques, les gens se focalisent sur le risque tant pour le clonage thérapeutique que pour les OGM sans replacer ces problématiques dans le contexte du progrès scientifique et sans prêter attention aux bénéfices potentiels.

Je rappellerais que 65.000 personnes par an meurent d'une plante non génétiquement modifiée, le tabac, alors que les plantes génétiquement modifiées à usage thérapeutique notamment pourraient sauver la vie de nombreuses personnes. Il est étonnant que les activistes anti-OGM se désintéressent des 50 % de fumeurs que l'on compte parmi les jeunes de 15 à 19 ans en France.

Concernant le clonage, la meilleure approche devrait reposer sur une bonne évaluation des bénéfices et des risques. Il faudrait resituer ce progrès scientifique dans une continuité : on peut considérer que le clonage se situe dans le droit fil de la transfusion sanguine et de la transplantation d'organes vers des tissus de mieux en mieux définis.

De même, pour ce qui est des OGM, on peut faire observer que la sélection des plantes n'est pas une nouveauté mais qu'elle gagne en finesse. On passe ainsi d'une sélection phénotypique et peu définie à une sélection bien définie reposant sur une bonne connaissance des propriétés des cellules ou des souches.

Je ne dis pas que toute sélection est bonne en soi mais qu'il est préférable de disposer d'une bonne connaissance de ce que l'on sélectionne.

J'estime qu'il faudrait donc pousser le débat avec des données scientifiques et chiffrées. Cela permettra d'évaluer les progrès et les risques par rapport à ce qui se fait, se faisait et se fera. On pourrait aussi s'interroger sur les tonnes de pesticides utilisées aujourd'hui et évaluer l'effet de leur épandage par rapport au recours aux OGM. On pourrait aussi souligner que l'agriculture biologique n'est pas synonyme de perfection.

J'aimerais m'attarder désormais sur le sujet de l'industrie biotechnologique. L'Europe accuse en cette matière un retard considérable par rapport aux Etats-Unis : l'industrie biotechnologique européenne représente environ 30 % de l'industrie biotechnologique américaine. Elle compte toutefois le même nombre d'entreprises car les entreprises européennes sont plus petites et moins bien capitalisées et il y a moins de produits en développement en Europe.

Cet écart va croissant puisque les Etats-Unis injectent d'énormes subventions dans la recherche. Je note au passage que les Etats-Unis sont une économie beaucoup moins libérale qu'on veut bien le dire, et qu'ils font même preuve d'un vrai dirigisme économique. Cette situation est d'autant plus préoccupante que la croissance résulte des investissements massifs dans la recherche. Ainsi, le budget du National Institute of Health (NIH) est de 23 milliards de dollars, ce qui représente 60 fois le budget de l'INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale), alors que le PIB américain est sept fois supérieur au nôtre. De plus, le budget du NIH augmente de 17 % par an, ce qui revient à le faire doubler tous les cinq ans, alors que les dépenses de recherche-développement en France n'ont progressé que de 10 % sur la même période de 10 ans (selon les chiffres publiés par le Commissaire Européen à la recherche, M. Philippe Busquin) !

Le budget de l'INSERM et du CNRS n'a crû que de 10 % de 1992 à 2000, alors que l'effort européen de recherche s'accroissait de 40 % pendant la même période, et que l'augmentation était bien plus forte encore aux Etats-Unis et même en Finlande et en Suède.

Il est donc urgent de rétablir la situation dans le projet de loi de finances 2003 sinon la croissance française ne pourra pas être soutenue par l'innovation en 2005-2020. Or, je rappelle que 50 % de la croissance des pays développés repose sur l'innovation.

Les entreprises qui doivent rester dans les pays à coût élevé de main-d'oeuvre sont les entreprises innovantes qui font de la recherche. L'enjeu est donc considérable.

Pourtant la France aurait toutes les raisons d'être première en Europe, du fait de la qualité de ses organismes de recherche, de ses chercheurs, de ses infrastructures... Or, elle n'occupe que la troisième place derrière le Royaume-Uni et l'Allemagne. Au plan mondial, elle se situe même derrière le Canada et Israël.

La biotechnologie représente assurément l'avenir de l'industrie et de la santé humaine. Il existe aujourd'hui plusieurs milliers de médicaments en développement. Or, la France ne s'est réveillée qu'en 1999 avec la loi sur l'innovation (les Etats-Unis ayant démarré en 1980-81 et l'Allemagne en 1995 mais avec un très gros effort de rattrapage). Cette loi sur l'innovation a levé certains verrous en octroyant notamment aux fonctionnaires chercheurs le droit de participer à des entreprises de recherche privée, mais n'a pas pris la mesure des efforts faits ailleurs.

Le plan Biotech 2002-2007 que nous avons proposé à l'ancien ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Laurent Fabius, et au Président de la République est construit sur 5 ans, autour de deux axes :

- il s'agit de rendre la France attractive pour les investisseurs, les entrepreneurs et les chercheurs. La France est aujourd'hui attractive pour la qualité de la vie, pour les vacances, pour les écoles et pour les trains mais de grands progrès restent à faire concernant le coût de la main-d'oeuvre (je rappelle que les coûts salariaux ne sont que de 12 % au Canada), la fiscalité sur les investisseurs et les entrepreneurs, et l'impôt sur les sociétés dont le taux en Irlande n'est que de 12 %. C'est pourquoi le plan propose un statut fiscal de jeune entreprise innovante de moins de 18 ans (JEM-18 ; voir site France Biotech). Cette proposition semble être reprise dans le programme de l'actuel Gouvernement, ce qui m'autorise à un certain optimisme. Cette disposition, si elle est effectivement adoptée dans son ensemble) aurait un fort effet sur la compétitivité française dans le domaine de l'innovation ;

- il faudrait également augmenter substantiellement les budgets de la recherche et dynamiser l'INSERM, le CNRS, l'INRA et les organismes privés tels que l'Institut Pasteur. C'est à un doublement en cinq ans du budget de la recherche publique et privée que nous voulons aboutir. Je pense aussi que le statut de fonctionnaire de nombreux chercheurs ne permet pas de valoriser ceux d'entre eux qui travaillent beaucoup. Une réforme de la recherche publique centrée autour de la création d'instituts thématiques de recherche franco-européens est la voie à suivre. Un moyen de dynamiser la recherche publique serait également d'augmenter la mobilité des chercheurs entre le laboratoire et l'entreprise, dans un sens comme dans l'autre. Le renouvellement des chercheurs aux Etats-Unis est à cet égard exemplaire. Un réforme du statut des fondations s'impose également car c'est un outil indispensable du financement de la recherche. Nous avons à cet effet proposé au gouvernement un nouveau projet de loi : les fondations de proximité.

L'objectif serait que la France consacre à la recherche 3,5 % du PIB, ce qui la situerait dans la peloton de tête européen, alors qu'elle n'y consacre aujourd'hui que 2.13 % (contre 2,8 % en Allemagne et 3% aux US). Il s'agit d'un choix économique très important et, selon les évaluations, le déficit de croissance pourrait être de 1 à 2 % par an si la France ne faisait pas cet effort.

La France peut rattraper son retard en 5 à 7 ans à condition de faire des efforts. En concentrant ses efforts sur les grosses entreprises, au lieu de les disperser sur des entreprises sous-capitalisées, la France gagnerait en efficacité.

Concernant les OGM, je voudrais souligner que si le plus gros domaine d'application est l'agriculture, un autre domaine est constitué par les applications médicales. Ce domaine doit être abordé réglementairement de façon différente du domaine agricole. Ce domaine pourrait intégralement relever de l'AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) dont la compétence porterait alors sur toutes les techniques de production utilisant des plantes génétiquement modifiées.

L'agence compétente doit être en mesure d'évaluer non seulement le risque, mais aussi le ratio coût/avantage qui peut justifier une certaine prise de risque. Cela pourrait être fait au niveau européen, par l'EMEA (Agence européenne pour l'Evaluation des Médicaments).

Pour ce qui est du principal domaine d'application des OGM, l'agriculture, l'extraordinaire disproportion des surfaces cultivées entre la France et le reste du monde vous est connu : plus de 50 millions d'hectares dans le monde, essentiellement en Amérique du Nord, contre à peine une dizaine en France ! Alors que la France est un pays leader dans le domaine agricole depuis très longtemps, on peut dire qu'elle a complètement raté le virage des biotechnologies OGM.

Les réticences françaises sont d'autant plus difficiles à comprendre que l'on n'a assisté à aucune catastrophe écologique ou sanitaire aux Etats-Unis. C'est tout à fait étonnant si on songe aux apports des OGM : hausse de la productivité, et donc du pouvoir d'achat des agriculteurs ; réduction de la quantité d'intrants phytosanitaires.

M. le président - Il semble que nous soyons aujourd'hui dans une logique d'affrontement idéologique. On a fait le tour du débat du point de vue scientifique. Quels conseils pourriez-vous nous donner quant à la façon de dépasser cette crispation irrationnelle ?

M. Philippe Pouletty - Là encore, le dossier des OGM se rapproche de celui du clonage : il faut s'adresser de façon concrète aux gens, leur décrire la réalité du travail agricole il y a vingt ans, et cette même réalité aujourd'hui. Il faut prendre des exemples très concrets. Il faut aussi raconter aux gens ce sur quoi les OGM vont déboucher. Il faut utiliser les données mondiales notamment américaines, fondées sur de nombreuses années d'expérience. Je prendrais l'exemple du riz vitaminé.

M. le président - Sur ce sujet, on entend des chiffres très variables : certains parlent d'un effet bénéfique par ingestion de 700 grammes de riz par jour, d'autres affirment qu'obtenir un effet demande d'absorber 7 kilos...

M. Philippe Pouletty - L'essentiel, c'est qu'on peut modifier un OGM pour améliorer ses qualités. Après, pour l'efficacité concrète, le processus est comparable à celui d'un médicament : on ne progresse que petit à petit. Mais sur ces questions, ce sont les spécialistes qu'il faut entendre, c'est-à-dire les scientifiques qui travaillent quotidiennement sur les OGM. Cela permettra d'éviter la répétition des mêmes erreurs.

Là encore, le parallèle avec le clonage s'impose : la communication au public sur ce dossier a été très mal faite. On a associé dans l'esprit des gens clonage thérapeutique et clonage reproductif. On aurait pu rappeler quelques évidences : ceux-là mêmes qui acceptent les avortements à la quatorzième semaine s'indignent que l'on puisse utiliser les cellules-souche d'un embryon de sept jours. Si nous ne dissipons pas toute cette confusion dans l'esprit du public, nous en paierons le prix dans quinze ans.

M. le président - Si vous me permettez cette question personnelle, pourquoi êtes vous revenu en France après avoir vécu quinze ans aux Etats-Unis ?

M. Philippe Pouletty -Tout d'abord, il est vrai qu'il y a en France une certaine qualité de vie. D'autre part, j'ai la chance de pouvoir vivre où je le veux. Mais plus fondamentalement, parce que je suis d'un naturel optimiste : je crois que la France peut encore prendre le train en marche. La France est aujourd'hui dans la situation de la Silicon Valley en 1982 : on sent un certain frémissement, qui peut être le prélude à un développement dynamique. Mais cette opportunité doit être saisie aujourd'hui, car elle ne durera pas. La France va devoir choisir si elle fait cet effort, ou si elle renonce. De ce point de vue, il sera intéressant de voir si M. Chirac concrétise sa promesse de campagne de mettre en oeuvre un statut favorable aux jeunes entreprises innovantes. Si ce projet devait avorter pour cause de rigueur budgétaire, cela porterait un rude coup à l'optimisme de ceux qui croient encore dans le potentiel d'innovation de la France.

Nous sommes pourtant à l'heure des choix : soit nous faisons un gros effort d'investissement dans l'innovation, et dans cinq à sept ans, nous aurons reconstruit une croissance forte, soit nous nous contentons de petites mesures sans portée et nous continuerons de reculer par rapport aux pays dynamiques.

M. le président - Quelle est votre position sur les brevets ?

M. Philippe Pouletty - Sur la forme, une rapide mise en place du brevet communautaire est indispensable. Il devrait être en anglais. Il faut reconnaître que c'est la langue internationale, il ne sert à rien de mener des combats d'arrière-garde. Sur le fond, il ne faut pas remettre en cause la brevetabilité du vivant lorsque une application innovante est démontrée, car son application, dont il faut souligner qu'elle est limitée dans le temps, est une incitation à l'innovation. J'ai noté que la position de M. Jean-François Mattéi, que j'avais rencontré avant sa nomination au Gouvernement, était en retrait sur cette question.

M. le président - Sur cet aspect, il y a deux écoles : ceux qui défendent la brevetabilité de la découverte du couple gène-fonction ; et ceux qui soutiennent le certificat d'obtention végétale (COV). Les Américains n'apprécient pas cette seconde formule, qui me semble pourtant mieux adaptée au végétal.

M. Philippe Pouletty - Il me paraît difficile de faire cette distinction entre le végétal et les autres domaines. Les règles devraient être les mêmes quelques soient les domaines. Il me semble, en réalité, que derrière cette opposition aux brevets se cache un réflexe chauvin : si Monsanto et Novartis étaient français, nous serions sans doute, en France, favorables à des brevets larges et forts. Il faut garder à l'esprit que les coûts de recherche/développement sont très élevés dans les biotechnologies. Pour produire un médicament, il faut un investissement de 150 à 250 millions d'euros. Il faut être protégé au moins dix ans pour espérer amortir cette somme.

Ma position est donc que l'article 5 de la directive sur les brevets est correct et devrait être appliqué. En tout état de cause, il ne me semble pas que la France ait les moyens de décider seule de modifier le dispositif.

M. le président - Croyez-vous à la pérennité des start-ups ?

M. Philippe Pouletty - Oui car quelques start up qui réussissent créent les géants de demain, comme Microsoft, Amgen, Cisco, Genentech... Sur ce sujet, il faut rappeler que la meilleure façon d'éviter que les jeunes pousses françaises soient rachetées par l'étranger et puissent croître, c'est d'attirer les capitaux en France. Il ne faudrait pas ériger de barrières protectionnistes. De plus, ce n'est pas mauvais par principe d'être racheté.

Si notre proposition d'une loi favorable aux « jeunes pousses » est adoptée, nous aurons cinquante belles entreprises cotées en 2008.

M. le président - Quelles sont celles qui vont progresser, selon vous ?

M. Philippe Pouletty - Vous me permettrez de commencer par l'entreprise que j'ai créée, SangStat : SangStat est leader mondial dans son secteur. C'est un exemple de réussite française, puisque c'est la plus grande entreprise de biotechnologie d'origine française. On peut signaler aussi NICOX, qui est cotée en bourse et qui se comporte bien, ou SEREP ou IDM.

M. le président - Pourrions-nous avoir des documents sur cette question ?

M. Philippe Pouletty - Oui.

Pour ce qui est de l'évolution de GENSET, je leur avais dit de faire attention. Ils faisaient rêver, mais ils n'ont pas réussi à lever assez de capitaux pour produire à la hauteur de leurs promesses. Arrivé à un certain point, le rêve ne suffit plus. Son rachat apparaît donc comme une bonne chose : SERONO est une belle entreprise européenne, qui rachète GENSET pour 140 millions de dollars, cela constitue une évolution honorable pour Genset.

Je voudrais faire passer un message en conclusion, concernant le vote demain au Parlement Européen sur la traçabilité. Il est très important que les normes retenues soient raisonnables et réalisables. Europabio a cité le chiffre de 1 %, c'est un seuil très raisonnable. En médecine, on accepte souvent des seuils de 3 % ou 5 %. Il faut que le seuil soit détectable par les techniques actuelles. Je suis donc plutôt pour la détection de l'ADN que pour celle de la protéine. Il faudrait enfin que l'information ne soit pas biaisée au détriment des OGM.

57. Audition de M. Jean-Pierre Princen, Directeur général de Monsanto France

M. le président - Cette mission d'information a été créée à la demande de la commission des affaires économiques pour préparer la transposition des directives 1998-44 et 2001-18, ainsi que la réécriture de la loi sur les biotechnologies. Nous voulons également aller à la rencontre de nos concitoyens pour leur faire saisir les enjeux de la modernisation de l'agriculture. Ce point est le plus délicat : malgré l'absence de difficultés scientifiques, il y a un refus de toute modernisation. Persiste une vision passéiste de l'agriculture.

Voilà pourquoi nous souhaitons entendre le point de vue de Monsanto, aussi bien sur les OGM que sur les biotechnologies.

M. Jean-Pierre Princen - Issu d'une famille d'agriculteurs, je suis sensible à la problématique que vous évoquez. Monsanto est la troisième société mondiale d'agrofourniture (si l'on regroupe les activités de protection des plantes, semences et biotechnologies) et la deuxième société de semences. Aujourd'hui, le tiers des semences de maïs vendues aux Etats-Unis sont génétiquement modifiées. Le marché mondial des semences représente 25 milliards d'euros. Par ailleurs, les six premières sociétés mondiales de semences ne représentant que le quart du marché : on est donc très loin de la concentration dont parlent les opposants aux biotechnologies Mais il est vrai que, pour ce qui concerne la partie OGM, certaines sociétés sont plus en avance que d'autres.

Notre société emploie 14.000 salariés dans 90 pays. La France est, pour nous, le premier pays hors des Amériques. Société française, nous sommes aussi exportatrice. Notre recherche-développement française représente un investissement annuel de 120 millions de francs, soit 10 % de notre chiffre d'affaires. Nos pôles d'expertise sont le maïs, les oléagineux, puis le blé, tant pour la protection des plantes que pour la semence -pour laquelle nous apportons d'incessantes innovations- y compris les biotechnologies. Nous travaillons à l'amélioration des rendements, et de la qualité -nous sommes impliqués dans les filières de qualité avec, par exemple, le soja-bio-, pour l'industrie. Nous avons une charte éthique très claire en matière d'agriculture durable.

Notre grand centre technique européen est à Peyrehorade (Landes), où nous employons 140 personnes. Nos ventes sont globalement à parité entre protection des plantes et semences (sans OGM). Nous pensons que les produits phytosanitaires répondent aujourd'hui à 95 % des problèmes de protection des plantes, et que peu de progrès sont encore à attendre de ce secteur, alors que l'amélioration des plantes grâce à la recherche conventionnelle et biotechnologique permettra de gros progrès, sans ajouts extérieurs de substances dans les sols ou sur les plantes.

Notre vision de l'agriculture s'articule autour de 4 grands objectifs, que sont la qualité, la productivité, l'innovation, et la durabilité. Nous considérons que toutes les attentes des citoyens doivent être prises en compte ; c'est dans cet esprit que nous ne commercialisons pas certaines de nos semences de maïs OGM pourtant autorisées en France.

Le développement durable passe clairement par la biotechnologie, y compris par les OGM de première génération, qui permettent notamment une moindre utilisation de produits chimiques. Si nous ne parvenons pas à convaincre l'opinion des bénéfices liés à la culture des OGM de première génération, on peut craindre que la porte ne reste fermée aux OGM de deuxième génération

M. le président - C'est une question d'acceptabilité par le public.

M. Jean-Pierre Princen - Nous sommes à 52 millions d'hectares d'OGM dans le monde. Aux Etats-Unis, 34 % des surfaces de maïs sont en OGM, soit 10 millions d'hectares : la proportion est de 70 % pour le coton et des trois-quarts pour le soja, avec 23 millions d'hectares sur 30. Cette proportion prouve l'efficacité des OGM ! Par ailleurs, en 2001, la croissance des surfaces OGM a été considérable dans les pays en développement.

Si l'on ne parvient pas à réhabiliter les OGM de 1ère génération, la biotechnologie risque d'être condamnée à terme : on ne peut pas tout centrer sur la deuxième génération. D'autant qu'il est difficile d'évaluer la demande et l'utilité de plantes OGM dont la qualité aurait été modifiée.

Une étude réalisée en février sur les attentes du public en matière de produits agricoles montre que 80 % des Français sont attentifs en premier lieu à la qualité du sol et de l'air. Les OGM de première génération, qui permettent de réduire l'utilisation de produits phytosanitaires, peuvent répondre à cette attente.

Depuis 1991, la molécule de glyphosate est dans le domaine public en Europe, et depuis quelques années dans tous les pays du monde. Ce produit phytosanitaire est très efficace contre les mauvaises herbes, sachant que les dégâts qu'il est susceptible de causer sont quatre fois moindres que ceux d' autres produits couramment utilisés si l'on se réfère aux caractéristiques toxicologiques des herbicides.

M. le président - M. Seralini attire l'attention sur le fait que le mélange de cette molécule avec un excipient dans le produit final modifie son comportement.

M. Pasteau, directeur scientifique - Je crois qu'on peut dire que M. Seralini est totalement isolé sur ce point dans la communauté scientifique ; par ailleurs aucune donnée ne confirme son propos.

M. Jean-Pierre Princen - Il faut saisir les instances publiques comme la commission des toxiques , qui est parfaitement à même de se prononcer sur le profil toxicologique du glyphosate.

Plusieurs études effectuées par des instances indépendantes ont démontré que l'impact sur l'environnement du glyphosate est minime, comparé à d'autres molécules (étude ITB sur la culture de la betterave Roundup Ready).

On estime aux Etats-Unis que les OGM de première génération permettent une diminution de 22 % des herbicides et de 69 % des insecticides. Depuis trois ou quatre ans, on aurait pu commencer à diminuer la quantité des pesticides dans les sols en France  Peut-être qu'un jour on cherchera à savoir qui est responsable d'avoir empêché la mise en oeuvre des biotechnologies? Je pose la question.

Pour l'agriculteur, c'est la vie qui change avec la culture de plantes OGM. Moins de molécules à épandre, moins de passages à effectuer : pour le betteravier, deux traitements au lieu de cinq, et jusqu'à six fois moins de matières actives. Ajoutez à cela que l'herbicide généralement utilisé est comme un médicament, c'est à dire qu'il n'est pas dénué d'effets secondaires pour la plante qu'on veut protéger. Tous ces inconvénients disparaissent en grande partie avec l'utilisation de plantes OGM résistantes au glyphosate .

La sensibilité du public au développement durable doit se diriger vers les OGM. Certaines variétés sont déjà autorisées, plusieurs dizaines d'autres n'attendent qu'une signature ministérielle, qu'attend-on ? Actuellement, nous ne commercialisons pas certains produits autorisés à cause de l'opinion publique. Un comité de vigilance existe. Nous partageons les soucis de M. Bové sur l'environnement, mais nous faisons confiance à la science.

M. le président - Comment imaginez-vous de vous concilier le public ?

M. Jean-Pierre Princen - Nous sommes en demande d'une expérience bien cadrée, en partenariat avec les pouvoirs publics, pour démontrer que la coexistence des filières est possible... Avec le bio, par exemple .

M. le président - Quelle est votre politique ?

M. Jean-Pierre Princen - Nous sommes réceptifs à toutes les initiatives mais nous attendons surtout une décision politique, qui détermine des seuils de présence fortuite. Car la coexistence des filières ne peut reposer que sur des seuils raisonnables.

M. Pasteau - Les cahiers des charges sur l'agriculture biologique n'exigent pas une absence totale de composants non bio . Certes, Il ne faut pas que les OGM envahissent le bio, mais une coexistence est parfaitement possible. Elle existe aux Etats-Unis. On s'est même interrogé là-bas sur la possibilité d'utiliser les OGM pour éviter les produit phytosanitaires dans les produits bio.

M. Jean-Pierre Princen -Nous avons une charte éthique très ferme : dialogue, transparence, respect de l'éthique, des croyances et des cultures, partage des connaissances avec les pays en développement, utilité.

La coexistence avec l'agriculture bio fait partie de notre charte. Il faut déterminer des seuils ; un comité de biovigilance existe pour le bon déroulé des choses. Mettons un seuil clair et net : la plupart des doutes s'estomperont.

M. Hilaire Flandre -Au fond, le territoire de M. Bové c'est une dépendance des semenciers.

M. Jean-Pierre Princen - Il n'y a aucun problème de propriété ! L'agriculteur peut faire son choix. En quoi les biotechnologies changent-elles les choix pour les semences ?

Pour le ver gris des racines, il n'y a pas de solution chimique. Aux Etats-Unis, on va aborder le problème par la biotechnologie. Si le moratoire européen subsiste, où va-t-on ?

M. Pasteau - Il faut distinguer la commercialisation de la technologie liée à l'utilisation de la nouvelle construction génétique, et la commercialisation de la semence en tant que telle. Pour la technologie, nous représentons 85 %, mais pour la semence proprement dite, nous vendons des licences à qui veut : notre technologie a été vendue à des centaines de semenciers différents dans le monde entier.

M. le président - Donc, il y a une claire séparation entre les semenciers et vous qui leur vendez des transgènes.

M. Jean-Pierre Princen - C'est cela.

M. le président - Pouvez-vous nous préparer une note là-dessus, ainsi que sur la question de l'assurance en cas d'atteinte à l'environnement ?

M. Jean-Pierre Princen - La réglementation européenne existe ; travaillant en Europe, nous la respectons.

M. Pasteau - Quelle est votre relation avec la recherche publique ?

M. Jean-Pierre Princen - Nous utilisons les technologies INRA pour la semence traditionnelle. Sur différents dossiers, nous avons une collaboration contractuelle. De même, le CIRAD s'intéresse comme nous au coton africain.

M. Jean-Marc Pastor - Je ne vois pas votre stratégie pour convaincre l'opinion publique

M. Jean-Pierre Princen - Soyons humbles ! Donnons sa chance au pragmatisme, dans le dialogue et la transparence.

M. le président - Les agriculteurs vous comprendront, mais le monde urbain ?

M. Jean-Pierre Princen - On peut parfois se demander si le fossé n'est pas plutôt entre la rive gauche de Paris et le reste de la France !

Nous avons tenté de délivrer des messages, en particulier à travers la publicité ; cela a échoué. Depuis lors, notre stratégie est centrée sur le dialogue. Nous avons rencontré soixante-dix personnes  rien qu'en France dans le cadre d'un dialogue avec toutes les parties prenantes. La destruction des essais a été mal perçue par le public. L'agenda n'a pas été bon, il s'améliore. Des décisions politiques peuvent faire évoluer la situation. Le politique a certainement son rôle à jouer en rassurant davantage et en émettant moins de doutes. Puisqu'on est dans un choix de société, disons-le. La question scientifique est réglée depuis sept ans

M. Pasteau - La situation anglaise est exemplaire. Elle était pire qu'en France ; elle s'est redressée grâce au Gouvernement.

M. Jean-Pierre Princen - Le public attend que les instances politiques prennent les responsabilités qui sont les leurs .

M. le président - Je vous remercie.

58. Audition de M. Thierry Raffin, Sociologue, Trésorier d'Inf'OGM

M. Thierry Raffin - Notre association a pour objectif d'informer les citoyens sur les OGM, ceux-ci étant considérés comme des objets sociaux. Nous explorons toutes les dimensions de la question en intégrant et en dépassant la dimension scientifique. Nous nous faisons aussi l'écho des interrogations de la société. Nous publions un bulletin mensuel et nous avons développé un site internet.

M. le président - Y prenez-vous position ?

M. Thierry Raffin - Notre but est d'informer ; de là à dire que notre point de vue est neutre... Face à la difficulté de trouver un discours clair sur les OGM, nous rassemblons des données de divers horizons. Cet effort d'information devra certainement être poursuivi longtemps, étant entendu qu'on ne pourra faire l'économie d'un large débat citoyen sur le sujet des OGM.

M. le président - Considérez-vous que ce qui a été fait jusqu'à maintenant, conférence des citoyens, états généraux, colloque du CES, est insuffisant ? Que préconisez-vous ?

M. Thierry Raffin - Les débats que vous citez ont été utiles, mais on observe qu'à chaque fois de nouvelles interrogations naissent et que la situation est aujourd'hui bloquée. On en reste trop souvent à la polémique. Quelles nouvelles formes donner au débat pour arriver à des décisions respectueuses de l'intérêt de toutes les parties ? Il est temps en effet de décider.

Je suis frappé par la largeur du fossé qui sépare les experts et le public ; accumuler des connaissances, des rapports, même des sondages ne suffit pas à produire une information pertinente pour le citoyen, celui-ci s'interroge, s'inquiète, ne comprend pas toujours les enjeux. Selon l'eurobaromètre de décembre 2001, 71 % des citoyens européens affirment ne pas vouloir manger d'aliments OGM, ce qui, je le reconnais, constitue un angle d'attaque réducteur de la question des OGM. Mais dire que plus on dispose d'informations, mieux on accepte les OGM est faux... La question essentielle est celle de la place de la science, de son rapport avec la société, de la façon dont on conçoit et appréhende le progrès scientifique. Le discours scientifique peut-il suffire à valider les OGM -alors même que les experts sont divisés ? En réalité, la vérité scientifique se construit aussi socialement.

A chaque pas en avant, des interrogations se font jour. On a appris récemment que des progrès majeurs avaient été faits dans la lutte contre le paludisme ; des chercheurs ont trouvé comment bloquer le parasite chez le moustique -en laboratoire, bien sûr. Mais que se passera-t-il si on lâche des moustiques « modifiés » dans la nature ? Quid des autres individus de l'espèce ? Des autres espèces ? Quelles incidences sur l'équilibre écologique ? Sur la résistance à terme du parasite ? Chacun comprend qu'il faut développer la recherche, mais le domaine des biotechnologies est tellement nouveau, les mécanismes du vivant sont tellement complexes qu'on peut parfois penser que les chercheurs vont un peu vite. Et on peut se demander si les forces économiques ne l'emportent pas trop souvent sur le principe de précaution. La recherche produit des résultats et des interrogations : ce fait conduit à penser que se lancer dans des applications dont on ne maîtrise pas les conséquences est prématuré.

M. le président - Votre site internet est-il interactif ? Quelles sont les principales interrogations de nos concitoyens ?

M. Thierry Raffin - Notre site est largement ouvert. Les OGM, les biotechnologies deviennent des objets de débat comme la drogue ou le nucléaire il y a quelques années ; et beaucoup demandent des réponses claires -en d'autres termes, la vérité des OGM ! Nous avons édité un dossier pédagogique « Les OGM remis en question » à destination des élèves de collège et de lycée.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Comment percevez-vous les réactions de nos concitoyens ? Comment mieux structurer l'information qui leur est destinée ?

M. Thierry Raffin - En 1998-1999, les affaires du sang contaminé et surtout de la vache folle ont parasité le débat sur les OGM et d'une certaine façon le parasitent encore. Qui peut aujourd'hui prétendre connaître les risques pour la santé des OGM, ou affirmer que ces risques n'existent pas ? Les experts sont divisés. Jusqu'à présent, on n'a pas observé d'effets négatifs sur la santé, à part l'affaire du maïs starlink ; mais en supposant qu'on maîtrise les choses en laboratoire, les maîtrisera-t-on dans une chaîne de production et de consommation de masse ? Pour le moins, il y a des doutes. Quid également de la séparation des filières d'alimentation animale et humaine ? Il faudra y venir, mais à quel coût, et avec quelles garanties ? Les informations disponibles ne sont sans doute pas à même de rassurer le consommateur ! Les effets à court terme des OGM sont à peu près connus ; mais à moyen terme ? Que savons-nous de la stabilité des constructions génétiques ? On commence seulement à démonter la machine du vivant !

Comment réduire les incertitudes des citoyens ? Souvenons-nous de ce qui s'est passé avec les additifs chimiques dans l'alimentation, dont on a découvert, vingt ans après leur introduction, qu'ils pouvaient avoir des effets cancérigènes... Plus on modifie un produit, plus on crée d'incertitudes... Et ce ne sont pas les dix ans de recul qu'on a aux Etats-Unis qui suffisent...

M. le président - La législation européenne est-elle à vos yeux suffisante ?

M. Thierry Raffin - La question des OGM doit être posée dans le champ du politique car des principes, des libertés sont concernés, ne serait-ce que la liberté de production agricole. Le dispositif législatif existant est plutôt rigoureux, ce qui ne l'empêche pas de dépasser de beaucoup la capacité de compréhension de nos concitoyens. Hiatus qui, soit dit en passant, n'est pas étranger à la désaffection pour la politique... Ce n'est pas parce qu'on va transposer la directive européenne, ce n'est pas parce qu'on va parfaire notre législation que les Européens se sentiront rassurés. Car la question se pose aussi au niveau local. On sait qu'il est impossible d'empêcher toute dissémination, on sait qu'il n'existe pas de barrière infranchissable ; et on va faire comme si ? Prenez un agriculteur qui veut faire du « bio » ; que se passe-t-il si son voisin accepte des OGM sur la parcelle voisine de la sienne ? Où est sa liberté de production ?

M. le président - C'est déjà le cas aujourd'hui, même sans OGM !

M. Thierry Raffin - Le pourcentage de 0 % OGM dans le « bio » est intenable ! Comment faire pour ne pas briser l'élan de la filière « bio », qui est en plein essor ? Pour que les consommateurs ne doutent pas des labels « bio » ? Il y a des choix collectifs à faire, la crise de confiance est là alors que les transgéniques sont encore loin d'être dominants ! C'est très compliqué de gérer le parcellaire en respectant les différents modes de production...

M. le président - On peut le faire, cependant, des protocoles existent...

M. Thierry Raffin - On peut expliquer certains phénomènes, mais pas tous, les modélisations sont faites dans certaines conditions... Il reste encore beaucoup à faire pour comprendre la dissémination.

Un mot des autorisations accordées par la CGB. Les dossiers instruits sont des dossiers abstraits, génériques, jamais il n'y est précisé à quel endroit, dans quel environnement les essais ou expérimentations sont envisagés ! Or ces éléments peuvent beaucoup changer les choses ! Il faudra sans doute aussi revoir la composition de la CGB, prévoir deux collèges, l'un scientifique, l'autre qui s'attache aux aspects sociaux, économiques, environnementaux, pourquoi pas avec la participation de représentants des associations, des consommateurs ou des citoyens.

M. le président - Tout le monde semble aujourd'hui d'accord pour revoir la composition de la CGB et du comité de biovigilance...

M. Thierry Raffin - Reste que tout cela se passe au niveau national. Considérons aussi le niveau local ! Qu'une instance nationale donne une autorisation de principe, et qu'on permette aux citoyens, aux politiques, de décider localement, pourquoi pas grâce à un dispositif de type enquête publique !

M. le président - C'est ce qui se fait pour les installations classées...

M. Thierry Raffin - Ce serait un progrès pour la démocratie !

M. le président - Aujourd'hui le consommateur se sent trompé, il faut agir, clarifier les choses...

M. Thierry Raffin - Avec les OGM, on touche aussi, ne l'oublions pas, aux règles du commerce international, on touche aux tensions entre les modèles de développement, aux systèmes de valeurs. Au point que le citoyen a le sentiment que l'aspect économique de la question a pris le pas sur les autres, qu'on veut lui faire avaler des OGM pour des raisons de compétitivité économique, de profit. Ces arguments ne sont pas pertinents, à tout le moins ils ne peuvent être reçus comme tels. Si les décisions prises contribuent à renforcer ce sentiment, la fracture politique s'élargira encore ! C'est pourquoi il faut intensifier le débat, en diversifier les formes, refaire une conférence des citoyens assortie d'un débat parlementaire qui débouche sur des décisions, ce qui n'a pas été fait en 1998.

Que conclure ? Qu'il faut certes continuer la recherche, mais aussi suspendre certaines applications même si une telle décision contrarie tel ou tel intérêt économique. Il y a sans doute d'autres pistes à explorer pour augmenter la productivité. Dire que le tout-génétique est la panacée n'est pas crédible, et risque d'amplifier les phénomènes de rejet.

M. le président - Je vous remercie de cette intéressante contribution. Un dialogue avec nos concitoyens est impératif.

59. Audition de M. Bruno Rebelle, Directeur général de Greenpeace France

M. Jean Bizet, président de la mission d'information - Merci de bien vouloir rencontrer notre mission d'information, où sont représentées toutes les sensibilités du Sénat tant les OGM sont devenus un problème de société éminemment transversal. Cette mission a pour but de placer les parlementaires en meilleure position pour transcrire en droit national la directive 2001-18, et pour contribuer à faire comprendre à nos concitoyens ce qu'il en est.

Vétérinaire de formation, vous avez débuté dans le Vercors, élargi vos horizons avec la présidence puis la direction de "Vétérinaires sans frontières". Ensuite, vous êtes devenu consultant pour la Commission européenne, le Fonds international de développement agricole, WWF International et, maintenant, Directeur général de Greenpeace. Nous aimerions donc vous entendre sur ce problème des biotechnologies.

M. Bruno Rebelle - Je représente donc aujourd'hui Greenpeace qui a travaillé sur les OGM depuis longtemps, dès 1993-94, alors qu'on n'en était qu'à la mise au point des premières plantes transgéniques et qu'elles n'étaient pas encore devenues un permanent objet de débat. C'est que nous avions tout de suite perçu dans cette innovation technologique un vrai risque, pour l'environnement bien sûr, mais aussi pour l'avenir de l'agriculture et pour la souveraineté alimentaire à l'échelle planétaire. Nous avions en effet compris que, contrairement à ce qu'avançaient les promoteurs des biotechnologies, nous n'étions pas dans une continuité technologique. Avec la transgenèse apparaît en effet un saut technologique majeur, jamais encore franchi jusqu'alors, concrétisé par exemple par l'insertion d'un gène du monde animal dans un génome représentatif du règne végétal. Une telle innovation aurait mérité un vrai temps d'arrêt qui permette de cerner l'ensemble de ses impacts, soit sur la séquence génomique elle-même, soit sur le comportement des plantes, micro-organismes ou animaux génétiquement modifiés. Malheureusement, ce nécessaire temps d'arrêt n'a pas été respecté et les promoteurs de biotechnologies ont très vite promu les cultures expérimentales puis commerciales, notamment aux États-Unis. L'avance des Etats Unis en la matière permet de rassembler rapidement des informations conséquentes sur la réalité des risques.

S'agissant des risques pour l'environnement, nous pointons principalement les flux encore mal maîtrisés de gènes entre plantes voisines de la même espèce, ce qui donnerait à ces plantes des avantages comparatifs dont on mesure mal l'impact à terme. L'exemple classique est la transmission à la ravenelle, à partir du colza, de gènes de résistance à certains herbicides, laquelle ravenelle deviendrait envahissante. D'où une plus grande difficulté à contrôler la prolifération de ces plantes adventices et le risque d'appauvrir la biodiversité.

Autre impact environnemental non maîtrisé, celui de l'acquisition de gène insecticide à partir de toxines, en particulier de la bactérie Bt. A l'inverse de ce qui se passe avec une pression insecticide ciblée -par utilisation de pesticides classiques ou de la toxine Bt sur une culture- la pression insecticide est ici acquise pendant toute la durée de vie de la plante. D'où le risque de sélectionner des souches d'espèces cibles -pyrale en l'occurrence- beaucoup plus résistantes. A cet égard, nous ne sommes plus dans le domaine du risque potentiel puisque ces résistances ont d'ores et déjà été observées, et beaucoup plus tôt que ne l'avaient annoncé les promoteurs de ces biotechnologies.

Je passe rapidement sur les critiques relatives aux premières constructions génétiquement modifiées, marquées avec des gènes de résistance aux antibiotiques et sur la diffusion, dans l'environnement, de ces gènes de résistance aux antibiotiques.

Globalement, aucune étude pour le moment n'a pu démontrer que l'utilisation d'OGM, même sur des surfaces importantes comme aux États-Unis, a conduit à diminuer l'utilisation d'intrants chimiques, herbicides ou insecticides, ce qui était pourtant le but initialement recherché. Aux États-Unis, la consommation globale de pesticides a, au contraire, régulièrement augmenté, parallèlement à l'augmentation des surfaces emblavées en cultures génétiquement modifiées. C'est en partie lié à l'apparition de résistances dans un pays où l'Agence fédérale de protection de l'environnement recommande désormais aux agriculteurs qui veulent faire du maïs transgénique de réserver 40 % de leur surface à des cultures conventionnelles, de façon à limiter l'apparition de pyrales résistantes au Bt en conservant des sanctuaires où la pression de sélection sur les souches résistantes est beaucoup moins importante. On voit là l'absurdité du modèle...

Sur les risques environnementaux, force est de constater qu'il y a eu jusqu'à présent peu d'études ou des études insuffisantes et nous avions observé il y a plusieurs années qu'à l'INRA, les chercheurs travaillant sur l'appréciation de ces risques étaient moins d'une dizaine, tandis que ceux qui se consacraient à la recherche appliquée sur ces biotechnologies étaient plusieurs centaines. Ce déséquilibre nous a toujours semblé préjudiciable à la sérénité du débat sur le sujet.

La deuxième série d'interrogations posées par l'utilisation de ces technologies porte sur l'économie de l'agriculture et des études récentes viennent confirment la légitimité de nos interrogations à ce sujet. Depuis plusieurs années, nous disions qu'il semblait impossible de faire cohabiter les agricultures transgénique et conventionnelle -sans même parler de l'agriculture biologique. Le 16 mai dernier, nous avons pu diffuser un rapport jusque là tenu confidentiel par l'Union européenne. Ce rapport conclut clairement que le développement des cultures transgéniques renchérirait le coût de toutes les formes d'agriculture en Europe et menacerait même l'existence de l'agriculture biologique. Le surcoût, de 10 à 40 % pour le colza, et de 10% pour le maïs ou la pomme de terre, résulterait de la nécessité d'organiser de façon différente les surfaces de production et les filières de commercialisation, afin de garantir la non contamination des filières conventionnelles. Cette étude va même jusqu'à dire que, dès lors qu'on respecterait le seuil de 0,1 % de contamination, certaines spéculations agricoles deviendraient tout simplement impossibles.

Cela amène à poser une question qui va bien au-delà de la seule préoccupation environnementale : quelle agriculture voulons-nous pour l'Union européenne et, plus largement, pour la planète ? Cette étude est un sérieux pavé dans la mare des promoteurs des biotechnologies et on comprend que l'Union européenne ait eu quelque hésitation à la lancer sur la place publique. On a eu en France des exemples de contamination des semences. Doit-on accepter des seuils de contamination pour les semences ? Il nous semble que, si on peut admettre un seuil de 0,5 % ou 0,1 % pour les produits terminaux, l'idée même d'un tel seuil est inacceptable pour les semences, organismes qui ont par nature la faculté de croître et de se multiplier et dont, par conséquent, le potentiel de contamination est bien supérieur. En matière de semences, la seule tolérance acceptable est le "zéro technique", correspondant au seuil de détection, aujourd'hui inférieur à 0,1 %.

En France la contamination de semences, notamment importées a augmenté entre 2000 et 2001. Du colza contaminé a été arraché. Du maïs tout autant contaminé n'a pas été arraché au motif que la culture de maïs transgénique est permise en France ! Qui plus est, certaines de ces contaminations venaient de constructions génétiques interdites sur le territoire européen. Des semences produites aux États-Unis ou au Canada, avec des transgènes interdits en Europe, viennent donc contaminer des lots de semences mises en culture sur le territoire européen....

Le même rapport de l'Union européenne confirme une autre évolution préoccupante de l'agriculture : la promotion des biotechnologies servirait principalement les intérêts d'une agriculture très intensive et très industrialisée, alors qu'on s'interroge de plus en plus sur la nécessité de pratiquer, au contraire, une agriculture de qualité, respectueuse des territoires, et de l'environnement. Ce débat ne peut être déconnecté d'un débat plus général sur le niveau du soutien aux agricultures des pays développés : permettez-moi de rappeler que nous sommes tout autant opposés aux subventions aux exportations agricoles à partir de l'Europe qu'à la décision unilatérale du président Bush d'augmenter de 80 % les aides à l'agriculture américaine.

A l'échelle planétaire, les OGM ne constituent pas une solution ; c'est au contraire un risque supplémentaire pour la souveraineté alimentaire des pays du Sud, sans parler du vrai problème de la contamination des ressources génétiques originelles. La contamination, au Mexique, d'espèces de maïs natives, montre que la biodiversité est mise à mal, de par le monde, par le rouleau compresseur des OGM.

Un autre argument est de plus en plus souvent avancé par les firmes de biotechnologie qui voudraient nous convaincre que les OGM sont une solution au problème de la faim dans le monde. Si, sur la planète, 815 millions de personnes souffrent de sous-nutrition ou de malnutrition, le problème n'est pas tant un problème de quantité que de répartition. Or, l'augmentation de productivité, encore hypothétique, liée à l'utilisation d'OGM ne servirait qu'à renforcer l'inégalité dans l'accès aux ressources alimentaires.

Par exemple, un riziculteur de Louisiane peut facilement cultiver une centaine d'hectares ; l'apport d'intrants et la mécanisation lui permettent un rendement de l'ordre de 5 tonnes/hectares, soit une production de 500 tonnes de riz. Alors qu'un riziculteur de Casamance, disposant au maximum d'un demi-hectare, obtiendra, avec une très faible mécanisation et peu d'intrants, une productivité de 2 t/ha, soit au total une récolte d'une tonne... Même si le riziculteur de Louisiane doit compter avec 4/5èmes de coûts de production, il lui reste encore une productivité nette de 100 tonnes par unité de travail humain, contre 1 tonne pour son collègue africain. A cela s'ajoutent des subventions à l'exportation qui vont faire passer sa productivité à 200 tonnes par unité de travail humain. Or ces deux riz vont se retrouver sur le même marché ! En fournissant des OGM à ces deux producteurs pour augmenter leur productivité, par exemple de 15 %, vous augmentez seulement le différentiel d'accès à la ressource et vous n'assurerez en rien la souveraineté alimentaire des pays en voie de développement. Au contraire, leurs agricultures seront encore un peu plus dépendantes des grandes firmes de biotechnologies : le rapport de l'Union européenne montre en effet aussi que la capacité de contamination des OGM rendra progressivement impossible le recours aux semences fermières ou traditionnelles et imposera de plus en plus le recours à des semences certifiées. Si le mouvement de concentration de capitaux dans l'industrie des semences se poursuit au même rythme que ces dernières années, dans deux ou trois ans, trois, quatre ou cinq firmes contrôleront l'ensemble de la production semencière et donc la production alimentaire planétaire, ce qui ne nous semble pas aller dans le sens de l'émancipation des populations des PVD, ni dans celui de la sécurité alimentaire à l'échelle planétaire.

Voilà les principaux arguments que nous avançons pour considérer qu'il serait temps de consolider le moratoire de fait qui existe au niveau de l'Union européenne sur l'autorisation de nouveaux OGM. Il serait temps de réorienter la recherche agricole pour donner la priorité aux alternatives en matière de modèles de production agricole. Il serait également temps de redéfinir nos actions de coopération agricole et d'aide alimentaire vis-à-vis des pays en développement.

M. Max Marest - A l'échelon français, êtes-vous, malgré tout, partisan d'un développement de la recherche sur les OGM ?

M. Bruno Rebelle - Il est indispensable de poursuivre la recherche sur la génomique, c'est-à-dire sur le fonctionnement des gènes, sur l'interaction entre différentes constructions génétiques, sur l'expression des gènes, sur l'impact des modifications, quelles qu'elles soient, de la construction génétique. Ce champ de recherche fondamentale et appliquée pourrait notamment permettre d'améliorer les techniques de lutte contre certains parasites. Une connaissance plus fine des interactions d'associations de plantes enrichirait les techniques de lutte intégrée.

La poursuite des recherches relatives à la transgenèse, en tant que telle, requiert davantage de prudence : tant qu'on n'a pas fait tous les travaux, qui auraient déjà dû être faits, pour mieux connaître les flux de gènes et l'impact, sur plusieurs générations, de l'acquisition des transgènes par des populations sauvages, il est imprudent de faire de la recherche sur de nouvelles applications de la transgenèse. Dans tous les cas de figure cette recherche sur la transgénèse ne peut être conduit qu'en milieu strictement confinés.

Le problème est de savoir comment on utilise les crédits publics de recherche et comment on articule la recherche publique avec les initiatives de recherche privée. Le budget public étant limité, le politique doit décider à quels types de recherche il va l'allouer. Or, aujourd'hui, eu égard aux questions que pose l'avenir de l'agriculture, il est davantage prioritaire de développer la recherche sur l'interaction entre modèles agricoles et environnement , sur la promotion d'une agriculture de qualité, de proximité ou biologique, plutôt que sur la transgenèse.

Je précise que ces remarques ne visent que l'utilisation agronomique des OGM : Greenpeace n'a aucune objection à la poursuite de recherches dans le domaine des applications médicales des biotechnologies -production en milieu confiné d'hormones et de substrats protéiniques, thérapie génique. Là les besoins sont évidents, urgents, essentiels et il faut y répondre. En outre, on peut y répondre en travaillant en milieu totalement confiné avec un risque d'essaimage dans l'environnement proche de zéro. Dans ce cas, la balance entre intérêt et risque penche très nettement en faveur de l'intérêt et le domaine médical n'impose donc pas le même type de précautions obligatoires que celui de l'agronomie.

Les recommandations du rapport des Sages sur les essais d'OGM en plein champ doivent être mises en oeuvre le plus rapidement possible et, avant toute autorisation de nouvel essai, il conviendrait de s'assurer qu'elles sont appliquées. Je le précise car, lorsque les premières cultures commerciales ont été autorisées, on nous avait promis un Comité de biovigilance dont nous avons accepté de faire partie et qui n'a pas rempli complètement sa mission. Certaines promesses non tenues expliquent aussi l'acuité du débat sur ces questions....

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur - Sur ce Comité de biovigilance, avez-vous des propositions ?

M. Bruno Rebelle - Ce n'est pas tant sa composition, suffisamment large, qui fait question, c'est plutôt son indépendance. Cela renvoie à un problème plus général en France, celui de l'indépendance de l'expertise. Ce Comité de biovigilance doit être totalement indépendant du législateur, des organismes de recherche et des organismes de contrôle. Ce doit être un comité ad hoc ayant sa capacité propre de saisine et d'interpellation, peut-être directement rattaché au Premier ministre. Avec une Commission du génie biomoléculaire (CGB) pilotée par une personne déjà partie prenante dans certaines recherches, on est déjà dans un flou inacceptable. C'est donc l'indépendance de la structure qu'il faut garantir. Nous avions dénoncé la présidence de la CGB par Axel Kahn au moment où celui-ci était rémunéré par Rhône-Poulenc-Aventis, pour ses activités de conseil en recherche biotechnologique.

M. Jean Bizet - Nous serions demandeurs de vos propositions sur le Comité de biovigilance. En revanche, je ne suis pas d'accord avec vous sur la CGB et sa présidence. La situation a changé maintenant puisque la spécialité du Pr Fellous est la stérilité masculine ...

Je prends note de votre approbation de la recherche en thérapie génique : or celle-ci a des impacts environnementaux, par le biais des effluents des personnes traitées génétiquement...

Vous avez fait part de vos appréhensions en ce qui concerne la transgenèse. Seriez-vous plus ouvert sur la mutagenèse dirigée qui, sans franchissement de barrière d'espèces et par le biais du décryptage du génome d'un végétal, permettrait d'aller beaucoup plus vite et plus précisément que la sélection classique ?

M. Bruno Rebelle - Je conteste d'abord les mots "plus ouvert". Nous ne sommes pas fermés à la technologie ; dans d'autres domaines que la transgenèse, nous sommes les fervents promoteurs de certaines technologies modernes, performantes et porteuses d'avenir. Ce que nous contestons, c'est le fait de développer une technologie, quelle qu'elle soit, sans en apprécier suffisamment les risques, et nous contestons aussi l'idée qu'une technologie, parce qu'elle est nouvelle, est obligatoirement bénéfique à l'humanité. En matière de biotechnologie végétale appliquée à l'agronomie, nous considérons qu'il y a d'autres pistes de recherche et d'investissement beaucoup plus porteuses en matière d'harmonie des productions avec l'environnement, de qualité et, surtout, d'équité planétaire.

Sur la mutagenèse dirigée, nous avons la même approche que sur la transgenèse : si ses promoteurs sont en mesure de prouver qu'elle apporte plus d'avantages que de risques et que ceux-ci peuvent être gérés, nous n'avons pas de raison de nous y opposer. Mais le fait est qu'aujourd'hui la transgenèse peine à démontrer les bénéfices qu'elle peut apporter, tout en faisant l'impasse sur des risques qu'elle génère.

M. Jean Bizet - Seriez-vous "plus ouvert" à des OGM dits de seconde génération, améliorant des qualités organoleptiques ou nutritionnelles - pourcentage d'acides gras saturés/insaturés, potentiel allergène, par exemple ?

M. Bruno Rebelle - Encore faudrait-il faire l'effort de démontrer tous ces intérêts. Prenons l'exemple du fameux "riz doré", enrichi à la vitamine A. En l'état actuel des travaux de M. Potrykus , il apparaît qu'il faudrait consommer 3,7 kilos de ce riz par jour pour couvrir ses besoins en vitamine A. Or, l'absorption de 300 grammes de riz, 100grammes d'épinard, 100 g de carotte et 100 g de mangue, couvre ces besoins en vitamines A. Pour les 500.000 enfants carencés en vitamine A, vaut-il mieux la promesse d'un riz doré enrichi à cette vitamine, qu'un programme très simple de culture d'arbres fruitiers de proximité, comme la FAO l'a elle-même proposé ? Il ne faudrait pas passer à côté de solutions simples, par souci de promouvoir la complexité. L'analyse du fonctionnement du génome est sans doute intellectuellement stimulante mais elle ne doit pas empêcher d'ignorer une solution simple, beaucoup moins coûteuse et qui favoriserait l'initiative des individus et des sociétés ainsi que la maîtrise de leur souveraineté alimentaire.

M. Jean Bizet - Selon ce raisonnement, pour modifier le ratio acides gras saturés/insaturés, il serait donc préférable de manger plus souvent du poisson ?

M. Bruno Rebelle - Par exemple ! C'est un leurre de faire croire aux gens qu'on va leur sortir demain la ration-type qui leur apportera enfin la santé. Peut-être serait-il plus intelligent de les ramener à la raison quant à la nécessité d'une alimentation correcte ?

M. Jean Bizet - La solution ne serait-elle pas entre les deux ? Il est vrai que l'équilibre alimentaire suppose la diversité alimentaire. Mais la nature présente quelques imperfections. Donc si des OGM de seconde génération permettaient quelques modifications, cela ne me choquerait pas, ni scientifiquement, ni intellectuellement, ni socialement.

M. Bruno Rebelle - Cela ne me choque pas scientifiquement qu'on cherche à corriger la composition d'une ration alimentaire de base. Ce qui me choque, c'est qu'on imagine que ce canal là permettra un résultat plus intéressant que tout autre, en faisant abstraction de certains acteurs dudit canal. Pour parler brutalement, à qui profite le crime ? Les populations carencées en vitamine A constituent un marché captif pour le riz doré. Soit on met à leur disposition des programmes extrêmement simples de cultures de fruits et légumes destinés à entrer dans leur alimentation quotidienne, soit on leur "vend" une solution technologique. Selon la solution choisie, les bénéficiaires ne seront pas les mêmes. L'arbre fruitier planté à côté de la maison est accessible à tous et profite à tout le monde, le riz doré profitera à une compagnie...

M. Jean Bizet - Cette technologie ne pourrait-elle pas être mise en oeuvre, par le biais d'une association ou d'un institut, voire carrément de la FAO, en dehors de toute démarche purement mercantile, un peu comme cela a été négocié dans le cadre de l'OMC pour les médicaments génériques du sida ?

M. Bruno Rebelle - A Doha j'ai vu mes collègues de MSF, d'Act up et d'OXFAM lutter d'arrache-pied pour obtenir une décision qui n'est qu'une solution très partielle du problème et qui n'a été possible que parce qu'il s'agissait d'une maladie extrêmement symbolique et exemplaire. Une telle décision n'aurait jamais été possible pour la tuberculose. Je reste sceptique quant à la capacité d'acteurs commerciaux, surtout quand ce sont de méga-acteurs, à devenir tout d'un coup humanistes et généreux.

M. Jean Bizet - Si on remet en cause les tenants et aboutissants de la brevetabilité, dès demain matin il n'y aura plus de recherche ! Et à Doha, les pays essentiellement visés, étaient l'Inde et l'Afrique du Sud, qui retiraient un bénéfice éhonté du copiage de médicaments mis au point par la Suisse et les États-Unis.

M. Bruno Rebelle - S'il est nécessaire de protéger la recherche, il est aussi nécessaire de prendre en compte l'intérêt général dans certains grands enjeux.

M. Jean Bizet - La délivrance de licences était, en la matière, une solution tout à fait équilibrée.

M. Bruno Rebelle - Au prix de quel combat ! Et, encore une fois, sur un sujet éminemment symbolique. Je crains que, sur d'autres questions, moins exemplaires, ce type de combat ne soit perdu d'avance. D'autant qu'il y a par ailleurs un pillage des ressources génétiques des pays en développement par les firmes et leurs laboratoires de recherche, à l'exemple de labrazzéine volée au Gabon pour développer un marché de 500 milliards de dollars sur les produits sucrants : Un chercheur du Wisconsin a débarqué, pris la plante, isolé le gène de son pouvoir sucrant, il va le transférer sur un maïs et les Gabonais n'auront plus que leurs yeux pour pleurer... Les désaccords sur les brevets sont donc directement liés à la pratique de la transgenèse.

M. Jean Bizet - Cela peut faire partie des recommandations européennes que d'éviter ce pillage biotechnologique des pays les moins avancés.

Ne croyez-vous pas qu'avec les OGM de 2ème ou 3ème génération -plus résistants à la sécheresse, par exemple, ou à la salinité- les pays développés pourront offrir, soit gracieusement, soit par le biais de licences, leur technologie aux pays moins avancés ?

M. Bruno Rebelle - Une plante est composée de 90% d'eau : quand on parle de résistance à la sécheresse, on parle uniquement de résistance au stress hydrique pendant une période limitée ; on ne va pas demain cultiver du maïs à Tombouctou. Ce n'est pas sérieux.

Là encore, la soi-disant solution biotechnologique revient à résoudre d'une façon complexe ce qui pourrait l'être de façon relativement simple. En matière de souveraineté alimentaire, d'aide au développement et de sécurité des pays du Sud, une garantie des prix sur les marchés d'exportation serait éminemment plus efficace que n'importe quelle biotechnologie de résistance au stress hydrique. On ne peut déconnecter les solutions technologiques avancées aujourd'hui de l'analyse des marchés mondiaux. Et Greenpeace ne croit pas à l'efficacité des OGM pour résoudre le problème de la faim dans le monde ; nous croyons beaucoup plus à des règles commerciales, à des vrais transferts de technologies -et non pas de biotechnologies- et, cela, plutôt dans les domaines de la transformation agricole et de la commercialisation que de la production elle-même.

60. Audition de M. Guy Riba, Directeur de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA)

M. le président - Nous recevons maintenant M. Guy Riba, directeur de recherche à l'INRA.

Monsieur Riba, vous êtes devant la mission d'information de la commission des affaires économiques, qui a souhaité faire le point sur les organismes génétiquement modifiés, mais aussi parce que se profile la transcription de la directive 2001-18.

Il est important que l'ensemble des parlementaires puisse être au fait de cette question, de façon à mieux légiférer le moment venu et à répondre à cette question qui est une question de société.

Vous avez la parole.

M. Guy Riba - Merci.

Je vais essayer de décliner la problématique sur 5 plans : biotechnique, agronomique, écologique, santé publique et social.

Il me paraît important de procéder ainsi pour clarifier les débats parce qu'aujourd'hui, il y a un mélange d'arguments et de contre-arguments de toute nature qui bloquent le débat social. On ne sortira pas si l'on n'essaye pas de les clarifier.

Le premier message que j'aurais tendance à faire passer est qu'il faut séparer le biotechnique du reste.

En termes de biotechnique, on est capable d'apprécier aujourd'hui les avantages putatifs des OGM, mais aussi les problèmes, les risques spécifiques que peuvent induire tel ou tel OGM.

On a mis en place, en France, des instances qui permettent de caractériser, d'évaluer et éventuellement de faire des propositions de gestion des risques. Les questions biotechniques qui demeurent, auxquelles on a du mal à répondre, ne sont pas spécifiques des OGM.

Mélanger le fait d'être pour ou contre les OGM avec notre capacité à résoudre telle ou telle question n'est pas pertinent et bloque le système puisqu'en fait, ces questions, nous ne sommes pas plus capables d'y répondre pour le reste de l'agriculture ou de l'alimentation !

Sur le plan agronomique, les OGM qui existent sur le marché ne constituent pas des ruptures économiques. En clair, on peut s'en passer. On ne les a pas et le fait que l'on n'en ait pas n'arrange ni n'aggrave nos relations avec les autres agricultures, notamment l'agriculture américaine.

Sur le plan agronomique, deux facteurs expliquent le succès des OGM dans le monde. Le premier réside dans le fait que la plupart de ces OGM facilitent le travail des agriculteurs. Les agriculteurs sont donc demandeurs d'OGM parce que cela leur rend la vie plus facile. Ils ne sont pas plus bêtes que d'autres : si cela leur rend la vie plus facile au même prix, ils ne voient pas pourquoi ils ne les utiliseraient pas !

En second lieu, le succès des OGM s'explique par le fait que, dans le pays émergents, ils sont sources d'économies d'intrants, notamment phytosanitaires, lesquels sont payés en devises étrangères, autrement dit en dollars. Or, vous connaissez la situation de ces pays. L'économie d'intrants, ajoutée au fait que cela facilite la vie des agriculteurs, suscite l'engouement.

Aujourd'hui, tous les pays ont ainsi basculé dans le soja transgénique. Au début, il y a eu les États-Unis. L'Argentine s'est engouffrée là-dedans. Le Brésil qui a cherché à résister, capitule finalement. Même les derniers Etats ont capitulé : la Chine a résisté à Monsanto pendant un an et a fini par signer. C'est fini !

Le problème est qu'il n'y a effectivement pas de répercussion de ces avantages sur l'aval de la chaîne. Le consommateur ne voit rien de tout cela et n'y voit donc aucun intérêt !

Concernant l'environnement, le comité de biovigilance dont nous sommes les seuls à être dotés est capable d'évaluer les risques et de les gérer.

En termes de santé publique, il n'y a pas de problèmes spécifiques aux OGM. Les questions que l'on pose à propos des problèmes d'allergénicité sont vraies pour n'importe quel végétal ou n'importe quel aliment, et l'on ne sait pas y répondre !

Ajouter une protéine dont on a vérifié au départ qu'elle n'avait aucun lien avec les protéines dont on peut penser qu'elles sont allergènes ne présente pas plus de risques, en termes d'allergies, que lorsqu'on croise deux variétés, car on brasse à ce moment des centaines d'autres protéines !

Quand on fait par exemple de l'autofécondation de maïs avec la même variété, au bout de la trentième fois, vous avez encore plus de 300 gènes dont on ne sait pas comment ils se mélangent ! Et là, on nous reproche de mettre un gène dans un génome dont on sait d'où il vient et dont on a vérifié au départ que ce n'était pas une source allergène à partir de toutes les méthodes dont on dispose !

Je ne dis pas que l'on n'aura pas de problèmes : je dis que la probabilité d'avoir un problème n'est pas plus forte que pour le reste et que notre capacité à le prévoir et à le gérer n'est ni plus ni moins forte que pour le reste.

Enfin, le coeur du problème, c'est le problème de société. On s'est tous trompé dans l'introduction de ce dossier. On n'a pas vu venir la réaction de la société. On n'a probablement pas bien su réagir. Bien malin qui l'avait prévu et qui peut dire comment on va en sortir ! La preuve : qui peut prévoir quel sera le prochain dossier OGM ?

Quelques pistes à travailler selon moi : je pense que le problème d'évaluation de la performance et du risque, d'une part, et de la pertinence sociale d'autre part, sont des problèmes qu'il faut séparer. Je suis en faveur des deux cercles préconisés dans le rapport Babusiaux. C'est une bonne approche.

A quoi peut servir ce deuxième cercle ? Pas à trouver un consensus entre Greenpeace, la FNSEA et les associations de consommateurs.

En revanche, ceux-ci peuvent se mettre d'accord sur une procédure d'instruction de ces questions. Certains prétendent que les OGM induisent un plus grand usage de produits phytosanitaires. D'autres affirment le contraire. Cela fait six ans que l'on a ce débat ; il n'est pas normal que l'on n'ait pas de réponses claires et je trouve que le deuxième cercle devrait être capable de mandater un groupe de travail pour instruire le sujet et en tirer les conclusions. C'est une piste.

La seconde piste réside dans la transparence des institutions publiques.

Il faut que chacun fasse des efforts, notamment les établissements de recherche publique. Nous devons être complètement transparents surtout beaucoup plus explicatifs.

Il me semble que nous devons être parcimonieux dans nos programmes en OGM et ne développer des programmes que dès lors qu'on a développé intégralement l'argumentaire qui justifie de l'approche transgénique, ce qui n'est pas toujours fait. On s'est en effet aperçu qu'on avait déjà arrêté sept programmes. Ce n'est pas rien ! Cela veut dire que cette réflexion, on ne l'a jamais !

Je veux ici attirer votre attention sur le fait qu'il n'y a plus vraiment de questions pertinentes qui émergent aujourd'hui du débat sociaL. On tourne en rond et il faut en sortir !

Cette année, aucun essai nouveau ne peut être fait.

La seconde confusion qui existe se fait entre génomique et OGM. Sous prétexte que les OGM sont contestés, la contribution budgétaire de la Commission à la génomique a régressé considérablement, et cela s'aggrave ! Or, la génomique n'a rien à voir avec les OGM. Elle est très utile, car elle accélère le programme de génétique classique.

M. le président - L'insertion des gènes perturbe beaucoup certaines des personnes que nous avons auditionnées, qui considèrent qu'il s'agit d'un « bricolage ».

Pourriez-vous nous parler de ce « bricolage » ?

M. Guy Riba - Ils ont raison de dire qu'aujourd'hui les techniques que l'on utilise pour insérer un transgène dans un génome sont du bricolage. Effectivement, on ne maîtrise ni l'endroit où cela s'insère, ni le nombre de fois où cela s'insère et encore moins l'expression : une fois qu'on a inséré l'information, celle-ci n'est pas forcément fonctionnelle !

Tout cela est vrai et il y a beaucoup de recherches à faire pour progresser. L'idéal serait d'arriver à maîtriser la recombinaison homologue, mais c'est très compliqué dans le domaine végétal.

Lorsqu'on fait une transgénèse, il y a un énorme travail en laboratoire qui consiste à sélectionner les individus. Il y a des tas d'événements -c'est ainsi que l'on appelle le moment où le transgène entre quelque part- qui ont des conséquences catastrophiques pour le développement de la plante.

Les événements que nous retenons sont ceux qui ne perturbent ni la croissance végétative des plantes, ni leur floraison, ni leur mise en fruit, ni leur système racinaire. De fait, ils n'affectent pas profondément le fonctionnement du génome.

Le risque visé serait donc des situations où il y aurait des modifications majeures qui n'affecteraient pas le développement de la plante. La sélection que nous pratiquons ne retient que 1 pour 10.000.

M. le président - Dans la nature, on a le même bouleversement.

M. Guy Riba - Je ne suis pas de ceux qui disent qu'il y a des transgénèses dans la nature.

M. le président - Mme Corinne Lepage, lors de son audition, nous a inquiétés avec l'affaire Pusztai et nous a parlé d'abeilles qui mourraient...

Elle considère en outre qu'il y a déjà eu des repousses de maïs à partir de maïs génétiquement modifiés.

Ses critiques portent également sur le riz doré enrichi en vitamine, dont il faudrait manger je ne sais combien de kilos par jour pour assurer la couverture en besoins quotidiens.

M. Guy Riba - Concernant l'affaire Pusztai, il y a eu plusieurs complications. Il y a toujours des chercheurs qui peuvent arriver à sortir un résultat. En général, les résultats doivent être validés par la communauté des pairs. L'intérêt est d'assurer la transparence et la rigueur des résultats. En l'occurrence, cela a été fait, puisqu'un article a même été publié dans « Nature ».

Il n'empêche que ce travail n'a jamais pu être reproduit. On a ainsi des résultats qui n'ont jamais pu être reproduits. Il y a plusieurs exemples.

C'est le cas du papillon appelé « monarque ». Un chercheur, en laboratoire, s'est aperçu que le monarque n'appréciait pas du tout le contact avec un pollen étranger. On en a tiré des calculs : on s'est alors rendu compte que la proportion de monarques qui viennent dans un champ de maïs est insignifiante, que la quantité de pollen donnée au monarque n'existe jamais dans la nature et que le même monarque, mis en contact avec du maïs traité avec des pesticides, meurt !

Je ne dis pas que le chercheur n'a pas eu raison de réaliser son expérience mais, dans la situation naturelle, cela n'a plus aucun sens !

C'est prendre la science en otage ! Les gens ne veulent pas d'OGM et on nous pose des tas de questions qui ne sont plus pertinentes. Il y en a eu de pertinentes, et il y en aura sûrement d'autres, qu'il faudra traiter. On a les instances où ces questions peuvent émerger, mais l'on doit arrêter de mélanger des questions sans intérêt sous prétexte qu'on ne veut pas d'OGM, comme le fait de dire que les OGM libèrent de la toxicité par les racines et que les insectes vont crever !

Citez-moi un insecte dont les larves vivent aux environs des racines de maïs en pleine hiver ! Je n'en connais aucun ! Il n'y en a pas ! En laboratoire, vous arriverez peut-être à le démontrer mais quelle est la pertinence scientifique ? Il n'y en a pas !

Quant aux abeilles, comment Mme Lepage peut-elle prétendre que celles-ci connaissent des problèmes dus aux OGM, puisqu'il n'y a pas d'OGM ! On mélange les propos, on fausse la réalité, on brouille le message et on ne fait pas avancer le dossier !

S'agissant des repousses de maïs, que Mme Lepage revoit ses dossiers ! On peut s'interroger sur le problème des semences qui restent au champ et qui regerment, comme le colza, mais avez-vous déjà vu du maïs qui repousse au bord des routes ? Cela n'a pas de sens !

Pour ce qui est du riz doré, je ne suis pas compétent dans ce domaine. Il y a une énorme bibliographie contradictoire sur ce sujet. Les arguments que je vois sont des problèmes d'expression, de quantité de carotène suffisante ou non et d'assimilation du carotène, mais je ne suis pas expert.

M. le président - Certains considèrent qu'avec une alimentation équilibrée, on obtient les mêmes résultats, mais c'est dans ces pays que l'alimentation n'est précisément pas équilibrée !

M. Guy Riba - Je trouve que les représentants de la société devraient se poser la question du type de modifications qu'il conviendrait de mettre en oeuvre pour améliorer la qualité de la nutrition de l'humanité.

Il paraît que l'on est en train de développer des colzas riches en carotène. Cela peut faire progresser pas mal de choses. Là, on a besoin d'une expertise. On a besoin d'économistes, de nutritionnistes, de géopoliticiens.

M. le rapporteur - Etes-vous missionné en ce qui concerne les travaux en direction de l'Afrique et la nutrition en général ? Comment abordez-vous ce sujet ?

M. Guy Riba - La contribution de l'INRA à l'émergence d'OGM d'intérêt socio-économique est minime.

Aujourd'hui, la recherche publique ne sait pas faire d'OGM aussi bien que les autres parce qu'on n'a pas investi sur la technologie des OGM, et ce à cause du débat !

M. le rapporteur - Est-ce rattrapable ?

M. Guy Riba - Nous nous mettons en amont et en aval, en amont pour identifier des gènes ou des pistes intéressantes. Nous avons pour ce faire mis en place le programme Génoplante, pour lequel l'Etat nous a beaucoup aidés. Cela nous a permis d'entrer dans la course sur la partie génomique.

A partir de cet investissement, on devrait pouvoir arriver à définir des pistes intéressantes, repérer des zones de génomes porteuses de gènes intéressants, voir cloner des gènes intéressants.

M. le président - Génoplante vit donc parfaitement sa vie ?

M. Guy Riba - Pour l'instant, oui.

En aval, on a beaucoup travaillé la caractérisation et l'évaluation des risques. Sans chauvinisme ni arrogance, je puis dire que la France -et notamment l'INRA- sont parmi les premiers au monde en termes de méthode d'évaluation des risques.

Nous sommes ainsi les seuls à avoir mis au point, avec les Américains, une méthode qui va nous permettre, au fur et à mesure des années, de suivre, dans une région donnée, l'évolution de la résistance des insectes.

Deuxième exemple : on a modélisé les flux de gènes et de maïs non seulement à partir d'une parcelle, mais aussi dans une région donnée. On est maintenant capable, à partir d'une situation zéro, de prédire l'évolution. On est parmi les meilleurs au monde dans ce domaine.

On a investi en amont et en aval, mais il est clair que les dossiers que remet l'INRA en matière de transgénèse sont d'une qualité informative inférieure à ce que fait le privé.

Comment corriger cela ? Je ne le sais pas. Je pense qu'on a besoin d'un discours clair et d'un message fort. L'une des pistes à creuser est probablement de mettre en place un laboratoire de l'INRA ou un laboratoire de recherche publique pour arriver à mettre quelque chose au point.

Dernier point : on essaye de travailler sur des pistes qui permettraient de réaliser des avancées dans la méthode de transgénèse. Le pari que l'on fait est précisément celui de pistes originales sur la recombinaison homologue.

M. le rapporteur - Qu'attendez-vous de nous, élus ?

M. Guy Riba - Vous me prenez de cours !

M. le président - Vous pouvez affiner votre réponse dans le temps : on a 6 mois.

M. Guy Riba - Je pense qu'il faut impérativement que la recherche publique puisse continuer en amont. Je crois qu'aujourd'hui, dans le cadre de l'attribution des moyens qui sont alloués aux sciences, la biologie est trop déficitaire.

Je pense en outre que l'importance donnée aux problèmes médicaux et aux problèmes de santé publique est trop forte par rapport à nos charges.

Vous avez deux manières de régler cette question : vous en prenez un peu à la médecine et vous nous le donnez, ou bien vous en mettez plus sans en prendre à la médecine, mais le différentiel est trop fort !

M. le président - On avait pourtant l'impression que toutes les sciences du vivant étaient promotionnées.

M. Guy Riba - En valeur absolue, vous avez raison, et même en valeur relative, mais il faut bien percevoir le fait que la biologie est entrée dans une rupture totale.

Avec la génomique, nous avons des dizaines de milliers de données. Aujourd'hui, grâce à Génoplante, on a plus de 100.000 données sur des expressions de gènes. Autrement dit, on entre dans une échelle exhaustive et ceux qui vont aller à la bataille seront ceux qui seront capables d'explorer ces données.

C'est le défi de la bio-informatique et de la miniaturisation. Pour entrer dans cette ère, il n'y a pas besoin de mettre beaucoup de monde.

Le second problème qui peut se poser est celui des OGM, non par rapport à la connaissance, mais par rapport à l'innovation.

J'insiste, car tout le monde pense qu'un organisme public est là pour développer la connaissance et pratiquer l'expertise. Je ne suis pas d'accord, car cela signifie que demain, cette communauté produira l'expertise sans avoir connaissance de l'innovation.

Si personne n'a plus connaissance des problèmes pratiques, le jour où on en aura besoin, où seront les experts ? Dans les entreprises, qui seront forcément juges et parties ! Ce sera pareil pour les OGM, et les experts finiront par être incompétents.

Il faut donc un volet innovation. Structurellement, cela pose un problème, car il faut imaginer les conditions pour qu'une communauté puisse contribuer à l'innovation sans être juge et partie.

On essaye de comprendre comment les Anglais, les Hollandais, les Américains traitent le problème. Je ne crois pas qu'il y a de solution idéale.

Autre point : celui de la brevetabilité. Aujourd'hui, il existe un différentiel et des discordances d'acception entre les Anglo-saxons et nous. Eux ont un objectif économique et en déduisent une réglementation. Nous, davantage encore avec Bruxelles, nous avons un art consommé pour nous mettre des bâtons dans les roues avec les textes de réglementation !

Je ne sais pas expliquer pourquoi ce différentiel d'acception existe entre la brevetabilité aux États-Unis et en Europe. De deux choses l'une : ou bien on est capable de prendre le problème à bras le corps pour se mettre tous d'accord sur un tronc commun, ou il ne faut pas hésiter et aller breveter aux États-Unis ! Je pense que, là, les politiques ont un grand rôle à jouer.

M. le rapporteur - Vous attendez donc que les élus se mobilisent.

M. Guy Riba - Oui. On n'est pas clair sur la responsabilité et l'assurabilité. Je pense qu'on est en déficit dans ce domaine.

Vous devriez sur ce point rencontrer le groupe d'Olivier Godard, qui est le plus avancé. Il réfléchit comme un chercheur à cette question.

M. le président - Les Américains ont avancé en matière d'assurabilité ?

M. Guy Riba - Je ne sais pas.

Dernier point dont il faut absolument sortir : ce sont les seuils. Il faut se retrousser les manches ! On passe d'une dictature à l'autre. Au début, on était sous celle des OGM ; maintenant, ce sont ceux qui n'en veulent pas qui vont nous imposer la leur.

L'agriculture biologique peut très bien avoir une exigence de moyens. Ils ont été suffisamment intelligents au moment où ils ont élaboré le cahier des charges pour tolérer une marge de 10 % sur les antibiotiques et de 5 % sur les pesticides.

Ils ont une obligation de moyens, mais non de résultats. S'ils le font pour les pesticides et les antibiotiques, pourquoi ne pas le faire pour les OGM ? Il n'y a aucun argument sérieux !

Si on ne règle pas ce problème, on peut bloquer la situation. Il faut bien admettre à un moment donné que, dans tout seuil, il y a une composante de consensus social.

Quand on parle des seuils de toxicologie, on définit une norme. Mais ce n'est pas ce qu'on inscrit dans la réglementation. Ce qu'on inscrit dans la réglementation, c'est ce seuil, diminué d'un coefficient.

Si on l'a fait pour les médicaments, pourquoi ne le ferait-on pas pour les OGM ?

M. le président - En matière de seuil, Mme Nicoli parlait de 0,1 %. Il y a encore quelques mois, on était à 1 %. On va arriver vraisemblablement à 0,5 %. Quelle est votre analyse sur cet abaissement incessant ?

M. Guy Riba - On se trompe. Par exemple, pour que l'atrasine soit mortelle, il faut absorber 170 litres d'eau ! Si c'est le cas, il me semble que, même sans atrasine, vous aurez un problème avant !

Ce n'est pas ainsi que Mme Nicoli doit prendre le problème. Tel seuil coûte tant, tel autre, tant ; au bout d'un moment, elle va faire la part des choses entre les arguments économiques et le reste.

M. le rapporteur - Aujourd'hui, on n'a pas tous les éléments pour le faire, y compris par rapport à des arguments économiques. Rien ne transparaît. Qui peut dire que les OGM sont vraiment meilleur marché ?

M. Guy Riba - Pour l'instant, personne.

En toute rigueur, il n'y a pas d'arguments biologiques pour que la valeur du seuil soit identique dans tous les cas.

Un seuil théorique n'a pas de sens. Je pense qu'il faut des seuils définis par espèce.

M. Hilaire Flandre - Vous avez raison du point de vue technique, mais le seuil que réclame Mme Nicoli, c'est celui à partir duquel on informe le consommateur qu'il existe des OGM. C'est simplement un niveau conventionnel d'information.

M. Guy Riba - Cette instruction là ne doit se faire qu'avec vous, politiques, et avec les syndicats. Il faut ensuite que l'on pèse les conséquences économiques de ce que l'on va dire.

La logique des Américains et des grands groupes internationaux, aujourd'hui, est de jouer le jeu des anti-OGM et de faire baisser les seuils. Plus ils baisseront les seuils, plus on aura de contraintes en France. Plus on aura de contraintes, moins nous serons compétitifs !

M. le président - Selon moi, ils ont changé à 360 degrés par rapport à il y a quatre ou cinq ans. Ils ont voulu nous imposer les OGM ; on s'est raidis ; ils ont été bien plus intelligents que nous et on en train d'être pris à notre propre piège !

M. Guy Riba - Exactement ! Et Bruxelles n'a pas compris ! Les conséquences d'un seuil très bas vont être chères !

M. le président - C'est l'exception culturelle française !

M. Guy Riba - On ne suivra pas !

M. le rapporteur - Pourriez-vous nous communiquer des éléments par rapport au positionnement d'une grille par espèce, si vous en avez ?

M. Guy Riba - Oui.

M. le rapporteur - Sans donner un seuil, il faudrait donner la méthode qui permet de réfléchir espèce par espèce, ce qui est différent de ce qu'a dit Mme Nicoli, qui désire enclencher le processus de l'information.

M. Guy Riba - Sur l'information, elle a raison. Je ne le conteste pas, mais ne soyons pas naïfs !

M. le président - L'approche de la mission d'information est absolument apolitique et éminemment transversale. On ne peut pas faire de la politique avec cela : c'est trop important !

M. le rapporteur - D'où la nécessité d'avoir des références d'une structure crédible, comme l'INRA, par exemple.

M. Patrick Lassourd - Vous avez dit que les OGM n'étaient pas synonymes d'une rupture économique et vous avez parlé des pays émergents. Or, nous avons entendu le contraire. Pouvez-vous développer cet aspect de la question ?

M. Guy Riba - Aujourd'hui, les OGM, à mon sens, ne sont pas une rupture économique, c'est-à-dire qu'ils ne donnent pas à ceux qui les cultivent un avantage différentiel rédhibitoire.

Le maïs transgénique, aux États-Unis, n'est pas si demandé que cela. Il est intéressant d'avoir un maïs résistant à la pyrale lorsque la pyrale occasionne des dégâts supérieurs au coût de la semence, mais ce n'est pas partout le cas aux États-Unis !

Les agriculteurs se moquent un peu du maïs transgénique. En revanche, pour le soja, ils ont un raisonnement tout autre et sont prêts à subir les contraintes.

En France, 3 millions d'hectares de maïs. 600.000 hectares par an sont traités chimiquement. Sur ce chiffre, on est sûr que seuls 200.000 hectares seront attaqués chaque année par la pyrale et subiront des dégâts dont le coût sera supérieur au coût du traitement, qui est de l'ordre de 250 à 300 francs.

Pourquoi les Espagnols raisonnent-ils différemment ? Ils n'utilisent pas le maïs transgénique pour lutter contre la pyrale mais contre un autre parasite qui vit dans les tiges et qu'on ne peut attraper avec les produits chimiques courants. Dans ces zones-là, on a intérêt à faire du maïs transgénique, car c'est le seul moyen de lutter contre ces ravages.

En France, on aurait intérêt à faire du maïs transgénique sur 200 à 300.000 hectares, mais on n'a pas intérêt à généraliser.

Pour la betterave, c'est plus compliqué. Si vous faites un traitement avec une betterave tolérante aux herbicides, vous avez un gain de rendement de 5 % environ et vous réduisez de une à deux l'application d'herbicides. L'agriculteur doit simplement empêcher la montée en graine. Ce n'est pas une contrainte supplémentaire. Il a intérêt à y aller, puisque tout ce qui monte en graine ne donne pas de betterave !

Il y a des zones, notamment dans la partie Nord-Est de la Manche, où les conditions climatiques ne sont pas favorables à la betterave transgénique. Je ne serai donc pas favorable à ce qu'on la développe dans ces zones. Ailleurs, où c'est mieux contrôlé, je ne vois pas pourquoi on ne le ferait pas.

Pourquoi ne le fait-on pas ? A cause des sucriers, qui n'en veulent pas ! C'est un problème d'acceptabilité qui bloque cette affaire-là.

Le plus intéressant, c'est le soja. Pour le coton, je dois vous avouer que je m'étais trompé. Je pensais que l'intérêt du transgénique ne serait pas suffisant, puisqu'il n'empêchait pas l'application de pesticides. Je ne suis pas spécialiste, mais je constate que cela se développe partout aux États-Unis, qui sont maintenant à 40 %, et en Chine.

Quant au colza trangénique, il aurait un intérêt limité, mais il existe un risque pour l'environnement, notamment du fait des repousses.

M. Hilaire Flandre - Il y a quand même risque de croisement avec des plantes sauvages de même nature...

M. Guy Riba - Je vais y revenir. Pour le moment, je parle des repousses de graines. Je pense que ce n'est pas de nature à provoquer une invasion de l'environnement, mais cela fait sale de savoir qu'il y a le long des chemins du colza transgénique qui repousse pendant des dizaines d'années et qu'on ne peut pas contrôler.

S'agissant des hybridations interspécifiques, je pense que les pressions sociales qu'a connu ce dossier ont précipité les conclusions de certains chercheurs, y compris des plus grands. Je crois que beaucoup de celles-ci sont contestables et seront contestées.

Je ne pense pas qu'il y ait aussi facilement d'hybridations interspécifiques. Je crois que les études biomoléculaires détaillées n'avèrent pas d'affirmation et les fréquences qui étaient données par les chercheurs sont vraies, mais très faibles.

Pour le colza, le problème n'est donc pas l'interspécifique, mais l'intraspécificité et la repousse.

Pour moi, l'interrogation majeure que pose les OGM est d'ordre économique. Un champ d'OGM, ce n'est pas une boîte fermée, pas plus qu'un autre champ. Il y aura toujours des échanges. Jamais on n'arrivera à zéro. Il n'y a rien d'autre à faire pour en sortir que de se mettre d'accord sur les seuils. C'est pour moi incontournable. Tout le problème réside dans la valeur du seuil, sur laquelle il faut travailler.

M. le président - Croyez-vous aux OGM de seconde génération ? Vont-ils bientôt arriver ou est-ce encore du domaine du futur ?

M. Guy Riba - Pour moi, il s'agit d'OGM dans lesquels la maîtrise des méthodes de transgénèse sera optimale et dont on est en droit d'attendre une insertion contrôlée. Cela va prendre du temps. Ce que les gens espèrent, c'est que l'on arrive à conférer aux OGM de seconde génération des propriétés nouvelles en matière d'alimentation, etc.

Le problème auquel on est confronté en matière organoleptique, etc., réside dans le fait que les caractères sont déterminés par un très grand nombre de gènes. Il n'est pas sérieux de penser que l'on va faire exploser la qualité de la tomate ou d'un fruit par la transgénèse. Je n'y crois pas.

Quelques pistes risquent de bousculer un peu le jeu : il s'agit de la conception de certains OGM pour des usages nouveaux, notamment pour l'alimentation animale, afin de réduire l'impact néfaste des élevages sur l'environnement.

L'exemple type, ce sont les phosphates. Aujourd'hui, on peut facilement concevoir des maïs dans lesquels on introduit une enzyme qui réduit la teneur en phosphates.

Une autre piste qui pourrait se développer concerne les applications médicales. Cela reste marginal.

Pour ce qui est des biocarburants, si leur production est bénéfique sur l'effet de serre, leur coût est à peu près de 31 dollars le baril, alors que le pétrole est à 25 dollars.

Or, on ne peut gagner en rendement, car pour produire davantage, il faut ajouter de l'azote et, pour une tonne d'engrais, il faut 2 tonnes de fuel !

M. Hilaire Flandre - Il faut chercher un peu plus : il doit bien y avoir moyen de développer le rendement des légumineuses sans ajout d'azote.

M. Guy Riba - Oui, mais les plantes qui fixent l'azote de l'air sont des protéagineux !

M. Hilaire Flandre - C'est une question de succession des cultures !

M. Guy Riba - Cela signifie donc que les biocarburants doivent être perçus dans une approche globale, qui implique la rotation de cultures et l'introduction de protéagineux. Ce ne seront pas des cultures aussi intensives qu'actuellement. Ce n'est pas compatible. Il faut tout calculer. Voilà pour la partie éthanol.

Pour la partie diester, c'est plus compliqué.

Je pense qu'il y a une place, en France, pour la filière biocarburants plus importante qu'à l'heure actuelle, mais je crois que le développement de cette filière, à court terme, ne peut passer que par la fiscalisation. Elle ne peut être biotechnique au départ.

En second lieu, je pense qu'aujourd'hui, les emblavements protéagineux, en France, sont catastrophiquement bas. Nous sommes actuellement à 5 %. Partout ailleurs, on est au moins à 30 %. Il faut vraiment réagir !

L'effet de serre est un argument en faveur du développement des protéagineux. En termes d'importations de protéines, on est revenu, comme dans les années 1970, à 70 %. C'est un comble ! Tout incite donc à donner une place accrue aux protéagineux.

M. le président - Avez-vous commencé à étudier la directive 2001-18 ? Pourriez-vous nous préciser par écrit les écueils où les souhaits en la matière ?

En second lieu, où en est-on par rapport à Génoplante et sur le plan animal ? Je sais que l'INRA est très volontariste dans ce domaine. Pourrait-on avoir une note à ce sujet ?

M. Guy Riba - Oui.

M. le président - On est preneur de tout, car on a encore du travail pour 6 mois. Il y a une fenêtre de tir qui ne va peut-être pas durer longtemps.

M. Guy Riba - Socialement, cela va être dur !

M. le président - C'est un enjeu extraordinaire.

M. Guy Riba - A force de se crisper sur tout, on finit par avoir des lacunes, voire des gouffres !

L'agriculture française a forcément sa place au sein du pôle européen. Elle a été la force structurante du pays pendant des siècles, ce qui n'est pas le cas des Anglais. On ne peut pas dire que l'on veut une agriculture mondiale multipolaire et ne pas permettre à la recherche et à l'agriculture d'être indépendantes !

Pour nous, la conséquence du débat sur la génomique a été, dans un premier temps, de renforcer tout notre potentiel sur les ressources génétiques conventionnelles.

On est aujourd'hui dans un contexte tellement évolutif qu'on ne sait pas de quoi demain sera fait. Il est de notre devoir de préserver les ressources génétiques.

On mobilise beaucoup de moyens pour les inscrire dans le respect de chartes avec des partenaires privés ou publics. Le système qui a été mis en place depuis plusieurs années est essentiel. Il est impératif pour préserver le potentiel de réaction des générations futures.

Nous sommes en train de nous organiser avec Génoplante. On a encore deux ou trois années de travail pour mettre au clair le dispositif dédié à cet aspect de la connaissance.

L'innovation, pour nous, doit être réduite. On doit en faire moins, mais le faire sur des positions plus stratégiques, en partenariat avec les semenciers et les interprofessions.

On y arrive. Beaucoup de GIE commencent à se mettre en place. Il y a des interprofessions, notamment fruitières, qui sont assez sensibles à cela.

Il n'est pas inintéressant de voir comment les interprofessions s'organisent. Aujourd'hui, on assiste à une stratégie des clubs, comme pour le kiwi « gold ». Les Néo-zélandais arrivent avec une variété, un gros capital. Ils s'associent avec les meilleurs agriculteurs et leur garantissent un volume contre le respect d'un cahier des charges. C'est très dynamique. Cela court-circuite tout le système national.

M. le rapporteur - Vous avez évoqué l'organisation de la recherche sur le territoire national, mais que se passe-t-il au niveau européen ?

M. Guy Riba - C'est une question d'actualité. Il y a plusieurs manières d'aborder le problème de l'espace européen.

La première approche serait, comme dans le système darwinien, de laisser faire les chercheurs. Les meilleurs parviendront à constituer leur réseau, mais cela peut être anti-stratégique.

Une autre approche consisterait à ce que les institutions aident les chercheurs à constituer les équipes de recherche. Encore faut-il dresser la liste et la faire passer. Ce n'est pas évident !

Le troisième scénario possible serait que les politiques nationales favorisent l'espace européen et que les choses se fassent entre Etats membres, sans passer par la Commission. Rien ne l'empêche. Comment a-t-on fait Airbus ?

Si personne ne bouge, je crains que ce ne soit le premier scénario qui l'emporte.

On peut très bien imaginer que la recherche sur le blé soit dominée par les Anglais, qui sont sous la coupe de Dupont et de Novartis, et que l'innovation se fasse en Angleterre, sur cofinancements européens. Compte tenu de leurs liens avec les États-Unis, les progrès génétiques iront directement là-bas, et l'agriculteur français paiera deux fois ! Ce n'est pas improbable.

M. le président - De quel responsable scientifique pourrait-on se rapprocher à ce sujet ?

M. Guy Riba - Claude Chevalet, à Toulouse.

M. le président - Merci.

61. Audition de Mme Marie Rigouzzo, Secrétaire Générale de l'Association DEBA (Débats et Échanges sur les Biotechnologies en Agriculture)

M. le président - Merci d'avoir accepté l'invitation que vous a adressée la mission d'information sur les OGM, créée par la Commission des Affaires économiques. Je vous propose de commencer par nous présenter votre Association ainsi que de nous faire part de votre approche des Etats-Unis, où vous venez de passer plusieurs années.

Mme Marie Rigouzzo - Aux Etats-Unis, il existe des passerelles entre le secteur public et le secteur privé, passerelles qui fonctionnent dans les deux sens, ce qui est très positif. Cela permet en effet un brassage intellectuel. Il est vrai qu'aux Etats-Unis n'existe pas une culture alimentaire comme on peut en trouver une chez nous ; il n'y a pas de volonté de bien se nourrir. Il faut noter enfin que les Américains ont beaucoup plus confiance que nous dans leur système de sécurité alimentaire.

DEBA est une très jeune association loi 1901 qui n'existe que depuis un an. Elle vise à intervenir dans un domaine rendu complexe par le niveau de connaissances insuffisant des consommateurs. Il ne s'agit pas d'une association militante, mais plutôt d'un outil au service du citoyen. Bien sûr, cette association est née de l'initiative de sociétés favorables aux biotechnologies. DEBA est une toute petite structure de sept membres seulement c'est-à-dire les six entreprises fondatrices et la secrétaire générale. Ce n'est pas une structure de lobbying qui existe déjà. Il s'agit de la plate-forme qui regroupe le GNIS, l'UIPP et la CFS. DEBA n'a donc pas de rôle de lobbying. Il faut souligner que DEBA est un projet européen dont l'antenne nationale est DEBA-France. Dans chaque pays européen existe une antenne nationale de DEBA. Nous privilégions une approche cible par cible par exemple nous avons mis en place une information spécifique auprès des médecins généralistes. Tous les documents que nous produisons illustrent notre volonté de transparence. Certains nous ont parfois reproché de ne pas traiter les questions d'environnement ou de brevets mais nous comptons aborder ces sujets en temps utile. Nous avons également mené une opération de communication vers les enseignants en particulier les professeurs de biologie du secondaire.

DEBA se veut donc une réunion de compétences pour faire avancer le débat, par l'information et le dialogue.

M. le président - Pensez-vous qu'on assiste sur ces questions à une évolution de la société et de l'opinion publique ?

Mme Marie Rigouzzo - La France est le pire cas d'Europe dans ce domaine. En Espagne, par exemple, le débat est beaucoup plus détendu et ouvert. Il est vrai qu'en France, il y a apparemment de moins en moins d'amalgames. Le niveau du débat est monté d'un cran. Mais au niveau de la population, l'information progresse très lentement.

M. Hilaire Flandre - Quel est le mode de financement de votre association ?

Mme Marie Rigouzzo - DEBA est financé par les différentes entreprises qui en sont membres.

M. Hilaire Flandre - Est-ce que cela ne nuit pas à votre crédibilité ?

Mme Marie Rigouzzo - Lorsque l'on est un outil de communication, on est crédible si l'on transmet de l'information vérifiée et transparente. Notre force est que nous ne faisons pas la promotion d'un produit.

62. Audition de Mme Patricia Savin, Avocate au Barreau de Paris, Docteur en droit de l'environnement, responsable de la sous-commission OGM de l'Ordre des avocats de Paris

Mme Patricia Savin - En tant qu'avocate, les circonstances m'ont conduite à être responsable de la sous-commission biotechnologie de l'Ordre des avocats de Paris. A ce titre, j'ai mené une réflexion sur le thème des plantes transgéniques.

J'ai ainsi été amené à organiser une table ronde en juin 1998 intitulée « De la contestation par la destruction à la contestation par le droit ». En juin 1999, la sous-commission a publié un rapport intitulé « Des plantes transgéniques face au droit ». Ce rapport mettait en évidence l'absence de transparence, de prise en compte des demandes de la société et, en l'état, d'étiquetage fiable.

En juin 2000, une nouvelle table ronde a été organisée. Son thème et sa problématique était « et si??? ». Et si les dangers et risques dénoncés par certains s'avéraient demain fondés, qui serait responsable et sur quel fondement ? Lors de cette table ronde, le constat dressé fut celui d'une avancée dans la prise en compte de certaines attentes citoyennes : je pense notamment à la directive 90/220 modifiée depuis par la directive 2001/18 adoptée le 12 mars 2001. La directive de 1990 réaffirmait le principe de précaution, posait les principes de clarté et de transparence et fixait à 2008 au plus tard la fin des OGM recourant à des gènes de résistance aux antibiotiques. Cette directive organisait également la consultation d'organismes compétents. Enfin, elle renforçait la biovigilance. Outre cette directive, il y a également eu des propositions communautaires de règlement concernant la traçabilité et l'étiquetage, ce qui constitue un progrès notable dans la prise en compte des attentes des consommateurs. Nous pouvons également citer la proposition de directive en cours de discussion sur la responsabilité environnementale. Initialement cette proposition de directive -sous l'influence du Parlement Européen, proposait la mise en place d'une responsabilité objective sans faute. Or, la dernière version de ce projet de directive ne va pas dans ce sens là.

Des différents débats organisés au sein de l'Ordre, il est ressorti que la discussion autour des OGM devait d'abord être un débat social avant d'être un débat économique et de lobby entre ceux qui seraient pour le progrès et les autres. A ce titre, il convient tout de même de déplorer la maladresse et la très grande arrogance de Monsanto dans sa communication sur les OGM. La formule de Monsanto était alors : « il y a ceux qui savent lire et il y a les autres ».

A ce titre, il n'est pas inintéressant -pour éclairer totalement le sujet- de rappeler que -selon un article paru dans Libération- la Commission européenne aurait subie des pressions très importantes pour une levée rapide du moratoire sur les OGM : le manque à gagner du moratoire étant évalué à 300 millions de dollars pour les producteurs de maïs américain et à 4 milliards de dollars pour l'ensemble des Etats-Unis.

Si nous laissons de côté les aspects scientifiques et économiques, le dossier des OGM soulève des interrogations juridiques.

On peut tout d'abord s'interroger sur l'impartialité des autorités compétentes. Rappelons que l'autorisation de mise sur le marché des OGM subordonnée à l'autorisation de la Commission du génie biomoléculaire (CGB). Or, la CGB a publié un rapport intitulé « De l'analyse des bénéfices des OGM ». S'agit d'un titre indiquant que par définition et pré-requis, les OGM sont bénéfiques ou ne s'agit-il que d'une maladresse de rédaction, d'une erreur de plume ?

Un deuxième sujet juridique concerne les arrêtés municipaux d'interdiction des essais de mises en culture de plantes transgéniques. L'ensemble de ces arrêtés a donné lieu à des recours préfectoraux contre ces arrêtés. La question juridique qui reste aujourd'hui en suspens est celle du pouvoir de police du maire dénié par les préfets dans le cadre des OGM.

Enfin, une troisième interrogation juridique peut consister à s'interroger sur l'instauration d'une responsabilité objective sans faute. Dès lors qu'une partie de la population est inquiète quand aux conséquences de l'utilisation des plantes transgéniques et dès lors que les semenciers d'OGM expliquent que les OGM sont sans conséquences néfastes, il pourrait être utile d'instaurer le principe d'une responsabilité sans faute des même semenciers en cas de dommages causés par les semences qu'ils ont produit. Cela semble nécessaire pour répondre aux craintes d'une grande partie de la population, pas seulement des agriculteurs biologiques ou traditionnels, mais même de l'ensemble des citoyens, puisqu'un sondage d'Euro-Baromètre faisait état d'une inquiétude pour 70 % de nos concitoyens.

M. Jean Bizet - Le débat aujourd'hui n'est plus vraiment scientifique en matière OGM et je me souviens encore des propos de Bruno Rebelle, qu'il a tenus devant notre mission d'information, c'est bien un modèle de développement qu'il refuse. Il est évident que nous n'avons aucune preuve, dans un sens ou dans l'autre, de l'innocuité ou du danger des OGM. Ce qui me trouble personnellement, c'est plutôt la superposition de législations coercitives qui tuent la recherche.

Mme Patricia Savin - Je conviens volontiers avec vous qu'il n'y a pas de réponse scientifique aux débats citoyens sur les OGM. Cependant, permettez-moi de continuer la liste des interrogations juridiques que ce dossier me semble soulever. La quatrième question juridique, pour moi, est en effet la gestion des cultures contaminées par les cultures OGM. Je pense notamment à l'affaire Schmeiser au Canada. La problématique se pose également pour l'agriculture biologique. La question posée est celle du droit de chacun d'adopter le mode de culture qu'il souhaite.

M. Hilaire Flandre - Oui, mais cette liberté doit être réciproque.

M. Max Marest - Il faut bien voir que les USA sont en train de nous contourner et qu'ils ont finalement tout intérêt à faire s'entêter l'Europe dans son moratoire.

M. Jean Bizet - C'est vrai, et une plainte à l'OMC des Etats-Unis à propos des OGM impliquerait que l'Europe puisse prouver le danger des OGM. Or, c'est impossible. Donc, soit l'Europe accepte les OGM, soit elle paye le prix pour les refuser, un peu comme dans le dossier du boeuf aux hormones. Je voudrais quand même souligner qu'un agriculteur sur trois travaille pour l'exportation et ne veut pas être en distorsion de concurrence avec les Etats-Unis. Un dernier point important, c'est que l'argument de la pollinisation du maïs qu'utilise José Bové est une escroquerie puisque le maïs n'hybride pas en France.

Mme Patricia Savin - Permettez-moi de revenir à la liste d'interrogations juridiques que j'ai commencé à dresser devant vous. En effet, le cinquième point concerne les assureurs. La question de l'assurabilité du risque OGM est d'autant plus cruciale que les assureurs se refusent à assurer, en l'état, ce risque.

M. Hilaire Flandre - Cela s'explique par la juridiciarisation croissante de la société. Je pense notamment à l'affaire Philippe Morris pour le tabac.

M. Jean Bizet - D'ailleurs, il existe aujourd'hui des assureurs qui ne veulent plus assurer les chirurgiens.

Mme Patricia Savin - Le sixième point d'interrogation juridique concerne les procédures d'évaluation des risques. L'AFSSA a dénoncé l'insuffisance d'essais concernant les plantes transgéniques sur la santé humaine. Il y aurait donc une réelle insuffisance dans l'évaluation du risque pour la santé humaine de la consommation d'OGM.

M. Jean Bizet - C'est vrai, mais on pourrait dire que la problématique est similaire pour les aliments conventionnels. C'est impossible à formaliser en raison du nombre phénoménal de paramètres.

Mme Patricia Savin - Est-ce une raison pour ne pas chercher ? Je crois que 15 années sont insuffisantes pour étudier le problème de toxicité relais qui a été mise en évidence par le professeur Truault. Cette toxicité se transmet d'une génération à l'autre.

M. Jean Bizet - Vous faites allusion à l'expérience concernant les souris alimentées avec des pommes de terre transgéniques. Je crois que la réponse de leur mort prématurée tient au fait qu'une souris ne mange jamais uniquement des pommes de terre. Et je soulignerais aussi que ce scientifique a été cassé par ses pairs.

Mme Patricia Savin - Le septième point d'interrogation juridique concerne la responsabilité. Qui serait responsable s'il y avait un problème ? L'Etat ? Ce serait sans doute dans ce cas au nom d'une responsabilité relative sur le fondement d'un acte. Pourrait-on fonder cette responsabilité sur une abstention fautive, comme l'a fait l'arrêt du Conseil d'Etat de 1993 relatif au sang contaminé, où la faute de l'Etat est une faute simple. S'il existe des doutes, le fait de ne pas avoir tenu compte des avis dissidents constitue en lui-même une faute de l'Etat. Une autre solution pour assurer la responsabilité est de recourir simplement à la responsabilité civile qui prévoit l'indemnisation d'un dommage du fait des produits défectueux, c'est l'article 1386 du Code civil, l'indemnisation pour faute de l'article 1382, l'indemnisation au titre de l'article L. 212-1 du code de la consommation ou bien du fait des choses dont on a la garde comme cela est prévu dans l'article 1384-1 du Code civil. Enfin, on peut imaginer une responsabilité civile reposant sur le trouble anormal de voisinage en terme d'environnement. Ainsi, tous ces fondements existent mais il reste à poser le principe d'une responsabilité objective sans faute des semenciers.

M. Hilaire Flandre - Je crois que si cette responsabilité était posée, il faudrait également s'intéresser à la responsabilité des constructeurs de voitures.

M. Jean Bizet - Le problème, c'est que la réversibilité est impossible. Donc, il est difficile de mettre en place cette responsabilité sans faute.

Mme Patricia Savin - Chacun raisonne seulement par rapport à son propre risque (pénal, administratif, etc...) et il convient donc de responsabiliser la chaîne de l'ensemble des acteurs, y compris d'ailleurs les chercheurs.

63. Audition de M. Didier Sicard, Président du Comité consultatif national d'éthique.

M. Didier Sicard - Je rappellerai tout d'abord que je ne suis pas un spécialiste des OGM. J'ai participé à la réflexion plus comme un spectateur impartial que comme un acteur. Le rapport des quatre sages a été beaucoup plus difficile à réaliser que ce que l'on aurait pu attendre. M. Christian Babusiaux et moi-même étions les plus extérieurs au dossier. On m'a classé comme un pro-OGM parce que deux mois auparavant j'avais dit à la radio que les OGM ne constituaient pas un problème fondamental pour la société. Il y a un dialogue de sourd entre des scientifiques qui considèrent que c'est un problème scientifique, et une société avec des leaders charismatiques qui pensent que la science est là pour tromper. Il y a eu des prises de parole catastrophistes tout à fait étonnantes. Il est impossible de dire en retour qu'il n'y aura aucune incidence des OGM, ce qui fait que les tenants du pire parlent toujours plus fort.

Je voudrais insister sur cinq points. Premier point : les quatre sages ont pensé que les scientifiques pouvaient et devaient prendre en compte ces peurs, même irrationnelles, pour y répondre. Il est vrai qu'au sein de la commission du génie biomoléculaire (CGB), la part des défenseurs de l'environnement est minoritaire, voire très minoritaire, ce qui favorise une radicalité de la position scientifique. Nous en avons conclu qu'à partir du moment où avaient lieu des essais aux champs, la société devait être informée car les champs représentent un espace public et pas un laboratoire confiné. On ne peut donc pas imposer le fait du prince. Le discours scientifique ne suffit pas. La communication pèse plus que les preuves scientifiques ; c'est donc avant tout un problème de communication.

Deuxième point : il faut prendre conscience du sentiment des anti-OGM d'être sans cesse trompés sur les objectifs réels de cette technologie. Ils pensent en effet qu'elle ne vise pas à développer des variétés intéressantes, mais qu'elle correspond à une politique économique de grandes sociétés de semences.

Troisième point : le fait de ne pas respecter les maires a été interprété comme une preuve de tentative de passage en force. La conséquence a été qu'au lieu d'inviter d'emblée le maire à participer au débat, on le met en position de faiblesse par rapport à ses administrés. Cela donne l'impression que le maire n'est qu'un exécutant.

Quatrième point : il ne fallait pas laisser de côté le problème assurentiel. En effet, le refus d'assurer créé une suspicion de risque. M. François Ewald qui représente les assureurs exprime le refus absolu de l'assurance en France de couvrir ce risque.

Cinquième point : l'opinion publique se sent toujours méprisée et jamais capable de peser en amont sur les décisions scientifiques, d'où notre proposition d'un « deuxième cercle » non scientifique.

Il y a un principe qui n'est jamais remis en cause, celui de la nécessité de la recherche. Mais il faut que la recherche se fasse dans des conditions plus favorables. Ce qui m'a le plus déçu, c'est la faille absolue (et aggravée par certains scientifiques) entre science et population. Il y a des scientifiques qui disent que les OGM ne sont pas un problème et d'autres qui disent qu'il s'agit au contraire d'un problème très grave. Dans ces deux cas extrêmes il y a une perte de recul des scientifiques. Ceux-ci apparaissent à la fois comme des leaders d'opinion et comme les jouets des fluctuations de l'opinion publique, qu'ils amplifient en leur donnant une caution scientifique. Je voudrais insister sur une notion centrale, celle de l'espace public. L'idée est que les scientifiques n'ont pas le droit d'utiliser l'espace public pour faire leurs expériences, même si elles sont sans danger. Cet aspect des choses est très important. Ainsi, tout le monde accepte les précautions prises autour du vaccin anti-sida, qui est très contrôlé. Mais dans un champ, on n'arrive pas à prouver qu'on a pris toutes les précautions nécessaires. Je ferai une autre comparaison, le médecin n'a pas besoin que le malade soit réellement malade pour entendre sa souffrance ; c'est avant tout une question de communication. Pour ce qui est de l'impact sur la santé humaine, la conférence était plutôt rassurante.

M. le président - Comment expliquer alors la position de certaines associations, comme Greenpeace ?

M. Didier Sicard - M. Bruno Rebelle, de Greenpeace, refuse un modèle de développement qu'il assimile à l'apocalypse. Il ne dirait peut être pas non si on lui montrait que les OGM ne menacent pas l'hétérogénéité du vivant comme il le croit.

M. le président - Mais de son point de vue, son action n'est-elle pas contre-productive, en pénalisant la recherche française ?

M. Didier Sicard - Il faut reprendre contact avec la réalité : aujourd'hui, les vaccins sont tous des OGM. Or, le discours anti-vaccinal progresse, à mesure que le vaccin se diffuse. Le travail à faire n'est pas de montrer que les OGM ne sont pas dangereux, mais de montrer que nous vivons déjà dans un univers OGM. Pourquoi traiter différemment les plantes génétiquement modifiées (PGM) et être aussi indifférent à tous les OGM invisibles qui sont présents dans les médicaments ou les vaccins ? Les OGM ont pris le pouvoir en médecine dans l'indifférence, car cela s'est passé en laboratoire et pas dans un champ. Tant que tout se passe dans un laboratoire il n'y a pas de protestations. En France, il n'y a pas eu de médiation et les quatre sages ont échoué là-dessus. Nous ne devions pas être des médiateurs, mais faire comprendre d'une part aux scientifiques qu'il fallait tenir compte des fantasmes, et d'autre part aux anti-OGM que leur surdité était contre-productive de leur point de vue. Je ne crois pas beaucoup aux conférences de citoyens, mais je suis persuadé de l'intérêt d'une médiation, peut-être par le Parlement.

M. le président - A la suite du vote au Conseil européen de l'agriculture du 28 novembre sur la question du seuil, ne pensez-vous pas que l'on va assister à une décrispation ? Par ailleurs, que pensez-vous de l'aspect relatif à la négociation commerciale dans ce dossier ? Enfin, ce dossier vous fait-il penser à des situations comparables dans notre passé ?

M. Didier Sicard - Pour ce qui est de comparer avec le passé, je prendrais l'exemple de la suspension de la vaccination contre l'hépatite B, au nom du principe de précaution, décision qui était incontestablement une mauvaise chose. Cette position a eu en effet des conséquences très graves au niveau international, puisqu'elle a conduit à une suspension de la vaccination dans les pays en voie de développement francophones, alors même que ceux-ci étaient particulièrement exposés à la maladie. Le débat sur les PGM est un débat sur les mots. Si aujourd'hui on disait à un patient qu'un médicament est OGM, il aurait peur.

M. le président - Auriez-vous des éléments statistiques pour éclairer vos propos sur le refus de la vaccination ?

M. Didier Sicard - La France est, depuis Pasteur, le pays des vaccins. Et pourtant, nous avons une vaccination qui n'est pas très importante. Il est vrai que certains vaccins présentent des risques marginaux, alors même que leur bénéfice global est incontestable. Sur ce point vous devriez vous adresser à M. Michel Rey, à l'université de Clermont-Ferrand. Concernant l'hépatite B, il faut avoir conscience qu'il y a là un drame mondial ! La France exporte ses peurs dans des pays beaucoup plus fragiles. En France nous avons 0,1 % de porteurs de l'hépatite B, au Sénégal ce chiffre est de 25 % !

M. le président - Que pourriez-vous nous dire sur la question de la brevetabilité du gène ?

M. Didier Sicard - Je ferai une distinction entre le plan intellectuel et le plan économique. Sur le plan intellectuel, la tendance à breveter les gènes est devenue une obsession : c'est devenu un objectif en soi. Cette évolution a clairement un effet pervers puisqu'elle se fait au détriment de la recherche fondamentale. Par ailleurs, c'est un péché contre l'esprit. En effet, breveter un gène comme ça, ça veut dire qu'on suppose qu'il est autonome, alors qu'on sait très bien que ce qui marche c'est l'interaction entre deux ou plusieurs gènes, entre le gène et son environnement. Je prendrai l'exemple du gène BCRA 1 et BCRA 2 de prédisposition au cancer du sein. L'institut Curie refuse de payer des royalties au propriétaire du gène, car il est parvenu au même résultat mais par une autre méthode. Si l'institut Curie perd son procès, on verra bien que l'accaparement par le brevet, s'il se généralise, aboutit à bloquer la recherche. La difficulté, c'est d'avoir un discours global sur cette question. La directive européenne, dans son article premier, a considéré de façon excessive qu'un gène pouvait être breveté, alors même qu'on brevète de façon mécanique et stéréotypée. C'est contraire à l'esprit.

M. le président - J'avais compris que le brevet portait sur le couple gène/fonction...

M. Didier Sicard - Oui, mais si on veut s'approcher d'une autre fonction, il faut quand même payer.

M. le président - Vous nous faites sentir que le gène ne peut s'approcher que dans l'interaction et que le brevet emporte donc des effets pervers et statiques. Est-ce que l'approche européenne du certificat d'obtention végétale (COV) serait plus saine ?

M. Didier Sicard - Oui, tout à fait.

M. le président - Auriez-vous une note à nous communiquer sur ce point ? Je pense que nous pourrions faire comprendre des choses aux Etats-Unis sur ce point.

M. Didier Sicard - Il y a deux points : tout d'abord, les juristes très spécialisés ne supportent pas qu'on puisse remettre en question leur métier de spécialiste du droit des brevets, au mépris de la réalité de ce qu'est un gène. Deuxième aspect, la directive européenne est passée dans une indifférence totale : le paradoxe est donc que la plupart des pays européens seraient prêts aujourd'hui à la renégocier. La CJCE et les opinions publiques sont peu favorables à cette directive.

Par ailleurs, je voudrais vous dire que je suis persuadé que, dans moins de 5 ans, il y aura des embryons humains brevetés. Ce jour là, on se demandera comment on a pu être aussi indifférent à la brevetabilité du vivant jusqu'à maintenant. L'obsession des jeunes chercheurs sur la brevetabilité est très frappante. On est arrivé à une sorte de paradoxe, à savoir que les vraies inventions fondamentales ne sont pas brevetées, alors que les choses secondaires le sont ! Ce serait grave et triste que l'Institut Curie perde dans l'affaire du cancer du sein face à Myriam Genetics. Il y a là quelque chose qui touche aux concepts fondamentaux et qui dépasse largement le brevet.

M. Daniel Raoul - J'ai l'impression que l'on évoque à tort et à travers le principe de précaution. Pourtant, il devrait être un principe d'action, pas un principe d'abstention. Je reprends votre exemple de l'hépatite B...

M. Didier Sicard - Le principe de précaution n'aurait de sens ici que si les gens qui le décident recevaient après des plaintes. Sur le sida, on voit bien que même si on avait utilisé le principe de précaution on ne serait pas arrivé à une solution satisfaisante.

64. Audition de M. Jacques Testart, Président de la commission du développement durable au ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement

M. le président - Merci, M. Testart, d'avoir accepté cette audition. Nous souhaitons vous interroger moins sur la technique des OGM, qui nous a déjà été esquissée, que sur leur articulation avec la notion de développement durable. Quel avenir pour notre agriculture et pour nos territoires avec ou sans OGM ? La question se pose pour notre pays et pour l'Europe tout entière. Quelle coexistence entre les cultures génétiquement modifiées et les cultures que nous connaissons aujourd'hui, en particulier l'agriculture biologique ?

M. Jacques Testart - Je n'ai pas pour habitude de manier la langue de bois et je vous parlerai sans détour : ce débat sur les OGM me paraît relever... de la plaisanterie. De fait, introduits en 1996, les OGM végétaux couvrent aujourd'hui plus de 50 millions d'hectares -surtout en Amérique du Nord et du Sud, en Chine-, et jamais quelqu'un n'a pu apporter la preuve de leur intérêt. Certes, il y a bien telle ou telle étude attestant un rendement meilleur ici ou là lorsqu'on utilise des OGM ; mais l'augmentation constatée est aléatoire et n'est jamais supérieure à 10 %, ce qui n'est évidemment pas probant compte tenu de l'ensemble des facteurs influençant les rendements agricoles. Les OGM ont ainsi le privilège, unique dans l'histoire des techniques, de s'imposer sans avoir démontré leur utilité !

La procréation assistée a soulevé bien des oppositions, mais elle a eu pour elle, au moins, d'aider des couples à faire des enfants -aujourd'hui en France, cette technique concerne 1,5 % des naissances et environ 100 000 personnes en ont bénéficié, environ un million à l'échelle planétaire.

Les technologies nouvelles ne se sont imposées dans l'histoire qu'en apportant la preuve de leur utilité -prenez l'exemple de l'électricité, de la machine à vapeur ou du chemin de fer. A l'inverse, les OGM échappent même à la simple application du principe de précaution, qui exigerait que l'on compare les risques et les avantages pour accepter les premiers en vue des seconds. Aujourd'hui, il n'y a aucune urgence à utiliser des OGM puisque nous produisons assez d'aliments pour nourrir la population mondiale (à 2.800 calories par jour). Si nous ne le faisons pas, ce n'est certainement pas à cause des techniques agricoles, à cause d'un retard que les OGM viendraient combler, mais parce que nous ne savons pas partager cette production mondiale. La question est donc politique plutôt que scientifique, et les OGM risquent d'aggraver la situation plutôt que l'améliorer -n'oublions pas qu'ils sont peu adaptés aux pays où l'on meure de faim.

La production d'OGM ne résulte pas de leur utilité, mais de la pression de lobbies industriels, de l'offensive intense lancée par cinq à dix multinationales dont la réussite est d'ores et déjà d'avoir fait croire que les OGM sont indispensables, d'avoir fait croire que les OGM ont des avantages. Dans le fond, nous trouvons là une application de la mystique du progrès, où l'intérêt des industriels rencontre celui des scientifiques qui n'ont pas démontré l'utilité de leurs découvertes, mais qui veulent aller plus loin encore -il est difficile de renoncer à son objet d'étude. Après avoir fait un travail remarquable, ces multinationales passent actuellement à une phase bien plus intense de leur offensive et je crois qu'il nous sera très difficile, en Europe, d'y résister. L'un des dangers, bien sûr, c'est que cette dizaine d'industriels continue de se concentrer, jusqu'à ce qu'une ou deux entreprises acquièrent une position de monopole et maîtrisent l'agriculture mondiale.

A ce discours certains me répondent : « Mais pourquoi, si ce n'est pas leur intérêt, les paysans s'intéressent-ils aux OGM ? ». C'est très simple : il suffit que les paysans croient aux avantages des OGM...

Nous avons longuement débattu des OGM au sein de la Commission du développement durable, et les arguments en leur faveur me paraissent largement fabriqués. Aujourd'hui, la rigueur policière s'abat sur José Bové et les commentaires se focalisent sur son action violente, plutôt que d'exposer les carences du système des OGM, tels que les quatre sages les ont établies en février dernier.

Ces carences sont démocratiques, scientifiques, sanitaires et juridiques.

Les principes de notre démocratie ne sont pas respectés puisque les OGM sont en train de passer en force, contre l'opinion publique. On assiste en fait à une véritable offensive politique et diplomatique, pour que l'Europe et en particulier la France, acceptent de lever le moratoire sur les OGM.

Les opposants aux OGM sont taxés d'obscurantisme, mais c'est pourtant chez eux que le niveau de diplômes est plus élevé, comme l'ont montré des enquêtes Eurobaromètre. En fait, ce sont bien les tenants des OGM qui utilisent des arguments relevant de la mystique et de la croyance plutôt que d'une démarche scientifique. M. Didier Sicard, président du comité d'éthique, l'a bien constaté et c'est d'ailleurs ce qui l'a fait changer d'opinion au cours des auditions des quatre sages -en honnête homme, il a accepté les arguments adverses qui lui ont souvent paru plus convaincants.

L'avis de la commission du génie biomoléculaire n'est certainement pas démocratique, puisqu'elle réunit essentiellement des experts techniques qui ont intérêt à ce que les OGM se développent. C'est pourquoi les quatre sages ont demandé que cette commission devienne « citoyenne » en s'élargissant à des représentants d'associations. D'une manière générale, le débat entre experts et militants n'est pas mené sur la place publique, ce qu'avait tenté M. Le Déaut en 1998. Il est d'ailleurs proprement scandaleux que des essais puissent être conduits sans que la population, sans que le maire de la commune concernée ne soient informés !

Il y a carence scientifique, ensuite, car les règles élémentaires de toute expérience scientifique ne sont pas appliquées lors des essais en plein champ. Pour tout test thérapeutique, on demande habituellement une justification scientifique, un protocole précis, une bibliographie et une attestation d'assurance. Rien de tout cela pour les tests d'OGM en plein champ, dont les résultats ne font pas même l'objet de publications. Au sein de la commission des quatre sages, nous n'avons pas obtenu communication des conditions préalables d'expérimentation en milieu confiné. Peut-être votre mission d'information y parviendra-t-elle, et ce sera une première... Pour ma part, je crois que si les résultats ne sont pas communiqués, c'est tout simplement que ces tests sont bidons, qu'ils sont réalisés pour la forme, pour dire qu'il y a eu une évaluation de qualité scientifique avant la décision de risquer de disséminer les OGM pour les essais en plein champ.

Il y a carence sanitaire, enfin, lorsqu'on passe du laboratoire au plein air sans démontrer les avantages ni les risques, et sans autre connaissance de la nocivité des produits répandus dans la nature, que leurs effets sur des rongeurs, effets qui sont mesurés pendant quelques semaines seulement.

M. Jean-Marc Pastor - Comment la France et l'Europe doivent-elles se comporter face aux pressions américaines que vous décrivez ? Quel discours tenir à l'opinion, sachant que chacun de nous consomme déjà des OGM ?

M. Jacques Testart - On peut contribuer à ce que l'opinion publique européenne résiste à cette offensive des lobbies industriels. Il faut replacer l'enjeu sur le plan politique : l'usage des OGM tue une forme d'agriculture - paysanne, raisonnée -, qu'il remplace par une agriculture riche, chère, extensive ; c'est tout le tissu rural qui se trouve condamné, et avec lui des valeurs culturelles qui touchent à notre identité. Il ne faut pas hésiter à rappeler que l'uniformisation n'est pas un progrès social !

M. le président - Si les États-Unis autorisent le clonage, que devrons-nous faire ?

M. Jacques Testart - Plutôt que de les suivre, il vaudrait mieux mourir debout... Mais avant cela, nous pouvons tenter de contrer l'offensive de la technologie génétique, passer à notre tour à l'offensive. En fait, on assiste à un véritable bourrage de crânes, à grand renfort de communication -je m'en suis bien aperçu au sein de la commission des sages : seuls les lobbies industriels nous ont fait parvenir leur luxueuse documentation... L'opposition de l'opinion aux OGM ne va certainement pas durer- le langage publicitaire est tel, qu'il en arrive à présenter les OGM comme la vie !

Nous devons concentrer notre argumentaire : la période actuelle doit être consacrée à l'obtention de connaissances. Or les essais confinés suffisent à la connaissance. Rien ne sert de s'exposer actuellement à des risques, que l'on ne sait même pas mesurer, en se livrant à des essais en plein champ.

M. Jean-Marc Pastor - Vous n'êtes donc pas opposé aux essais confinés ?

M. Jacques Testart - Non, mais je suis certainement opposé à des essais en plein champ d'autant que cette expérimentation a lieu sans que la population en soit informée...

M. le président - Les essais confinés sont d'un coût très élevé ; les entreprises comme les financeurs publics sont d'autant moins enclins à les financer, que ces essais ne correspondent pas aux conditions réelles d'utilisation des OGM. Notre système est pernicieux puisque, dès qu'on informe la population, des militants détruisent les expériences en transgressant la loi. Cependant, plus de la moitié du soja consommé par les Américains est génétiquement modifié, ce qui apporte bien une preuve qu'il n'est pas nocif ! Dans le fond, je crains que ce débat bien franco-français sur les OGM soit une bataille déjà perdue et que nous y perdions notre énergie, pendant que d'autres continueront d'avancer. Il ne nous resterait alors, comme vous le dites, qu'à mourir debout...

M. Jacques Testart - Vous supposez que les OGM sont indispensables, d'où l'urgence de ne pas prendre du retard. Mais rien ne prouve leur utilité et, plutôt que du retard, nous pourrions bien prendre de l'avance en ne les utilisant pas ! Rien ne dit que, dans dix ans, les Américains ne s'apercevront pas qu'ils ont gâché beaucoup d'argent avec les OGM...

M. le président - Les OGM, c'est du moins ce que nous en a dit M. Chevassus-Au-Louis, simplifient le travail pour la culture des sols.

M. Jacques Testart - C'est vrai, mais c'est un avantage seulement pour les très grandes surfaces cultivées, et il existe d'autres pratiques agronomiques pour parvenir au même résultat. Parmi les inconvénients, le chômage : 50 millions de paysans chinois sont directement concernés.

M. le président - Les Chinois investissent cependant beaucoup dans les OGM...

M. Jacques Testart - Oui, mais pourquoi ne pas imaginer, pour l'Europe et particulièrement pour la France, que le maintien de produits de qualité sera à l'avenir un avantage dans la compétition globale ? Il est contradictoire de vouloir maintenir la qualité de nos produits, tout en copiant les techniques alliant uniformité et production en grande quantité...

M. le président - Certains OGM présentent des avantages en matière de sécurité sanitaire, ce qui a conduit par exemple la filière fromagère à arrêter d'utiliser de la présure. Les OGM ne peuvent-ils pas démontrer leurs avantages et s'associer à des démarches de qualité ?

M. Jacques Testart : Nous parlons ici des PGM (plants génétiquement modifiés) qui constituent une particularité : cultivés en plein champ leur dissémination est incontrôlable. Dans certains cas, bien sûr, les OGM font déjà partie de notre vie, en particulier dans la médecine. Personne ne proteste, par exemple, contre le fait que les hormones utilisées pour la stimulation des ovaires, soient des OGM produits par des hamsters ! En revanche, il y a beaucoup à dire sur le fait que les laboratoires vendent ces OGM à un prix exorbitant, grâce à leur position de monopole. Mais ces OGM sont produits en milieu entièrement confiné.

Je ne conteste pas l'utilité de certaines biotechnologies, qu'on peut accepter de produire en connaissance de cause, c'est-à-dire en acceptant d'encourir un risque pour obtenir un avantage. Mais je n'accepte pas l'idéologie du progrès qu'utilisent les industriels pour mystifier l'opinion publique et faire progresser leur intérêt. On fait croire à l'opinion que les OGM ont des résultats salutaires -comme les tomates cultivées sur des terrains salés, ou le riz enrichi en vitamine A (« golden rice »)-, alors qu'il ne s'agit le plus souvent que de projets dont on ne connaît pas la fiabilité ni les risques. Comparé à l'hypothèse du « golden rice », c'est le croisement du riz asiatique avec du riz africain qui constitue un véritable progrès, mais celui-ci a été obtenu par l'agronomie classique...

C'est pourquoi il nous faut replacer le débat sur les OGM à sa juste place : quels sont leurs avantages ? Quels risques accepte-t-on d'encourir pour bénéficier de ces avantages ?

M. le président - Dans les zones rurales dont nous sommes élus, nous assistons à la fermeture d'exploitations, car les jeunes refusent de travailler autant pour des revenus aussi faibles : la question du revenu des agriculteurs ne peut être passée sous silence.

M. Jacques Testart - D'autres agriculteurs sont cependant tentés, de plus en plus nombreux...

M. le président - Statistiquement, le mouvement est très faible et ce n'est pas lui qui compte au regard de notre balance des paiements et de nos industries agroalimentaires...

M. Jacques Testart - Mais il n'est pas impossible que nos produits prennent de la valeur en refusant les OGM : on peut être en avance en se mettant « en retard »...

M. le président - En matière vinicole, le consommateur ne préfèrera-t-il pas un cépage génétiquement modifié à un cépage classique, si le premier le garantit contre tout virus et tout champignon ?

M. Jacques Testart - Si l'on s'arrête à cela, oui, mais le cépage génétiquement modifié présentera très probablement d'autres inconvénients. Ceci est bien connu des scientifiques qui fréquentent des laboratoires : les souris transgéniques, qui sont devenues indispensables à la recherche, sont plus fragiles que les autres et elles sont souvent stériles, tout ceci pour des raisons qu'on ignore...

Les espèces résultent d'un long processus, leur équilibre est fragile. On peut domestiquer des cellules isolées, les rendre utiles à l'humanité (ex : OGM de laboratoire), mais l'action sur du multicellulaire produit très souvent des effets pervers qu'on ne mesure parfois que bien plus tard. Les réussites sont d'ailleurs assez rares, ce qui n'empêche pas, bien au contraire, les projets d'être spectaculaires - par exemple les protéines humaines à usage médical, que l'INRA nous promet depuis dix ans grâce à des femelles laitières transgéniques : une start-up a été créée, mais ces protéines n'ont été produites pour le moment que par des bactéries de laboratoire...

M. le président : Depuis les années 1950, d'importants progrès ont été réalisés en matière d'hybridation, ce dont personne aujourd'hui ne songerait à se passer !

M. Jacques Testart -  Certainement, mais la transgenèse n'est pas l'hybridation. La nature est pleine d'hybrides naturelles mais il n'y a jamais eu de gènes de poisson dans les fraises !

M. le président - Quoiqu'il en soit, je ne vois pas comment nous pourrions en faire l'économie.... Quelle coexistence pensez-vous qu'il est possible d'organiser entre une agriculture qui utiliserait les OGM, et une agriculture biologique, dont le critère pourrait être de n'utiliser aucun OGM ?

M. Jacques Testart - Je ne comprends pas la bataille des seuils : indiquer la teneur du produit en OGM suffirait à informer le consommateur, et nous nous économiserions un débat sur des seuils dont la valeur scientifique sera toujours très discutable.

En cas d'une double filière, les utilisateurs d'OGM ne devraient pas empêcher les autres de vivre, ce qui obligerait à s'assurer qu'ils ne les contaminent pas. Aucune garantie n'existant contre la contamination -les sables du Sahara parviennent bien à Paris, pourquoi les pollens d'OGM cesseraient-ils d'être contaminant au-delà de 400 mètres ?-, il faudrait évidemment mettre les tests de l'agriculture biologique, à la charge des industriels. Mais je ne crois pas à la possibilité d'une double filière et c'est pourquoi je pense qu'il est de loin préférable de maintenir les OGM en milieu confiné -l'alternative serait de mettre l'agriculture biologique sous serre... Je crois aussi qu'il faut se garder de cette mystique du progrès, qui veut qu'on prendrait du retard dès qu'on ne fait pas comme les autres, qui, de leur côté, avanceraient. Il nous faut vérifier le contenu du progrès et en débattre sur le plan politique, avant de faire des choix irréversibles.

M. le président - Merci de votre contribution et n'hésitez pas à nous faire parvenir toute analyse utile à notre mission d'information.

65. Audition de M. Michel Thibier, directeur général de l'enseignement et de la recherche du ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales

M. Jean Bizet - Monsieur, nous connaissons vos compétences, notamment en matière de technologie animale, et nous espérons que vous pourrez nous apporter votre point de vue sur la prospective en ce domaine.

M. Michel Thibier - Je voudrais d'abord préciser que je m'exprime devant votre mission d'information à titre personnel. Il est vrai que les animaux -domestiques- de rente- issus des nouvelles biotechnologies de la reproduction commencent à apparaître. On pourrait retracer leur histoire en distinguant quatre générations.

La première est celle de l'insémination artificielle, qui a près de 60 ans d'âge, et on peut à peu près estimer à 110 millions le nombre de femelles qui sont inséminées par an de par le monde. Avec le recul, on peut aujourd'hui affirmer que c'est une technique sans risque.

La deuxième génération concerne les transferts embryonnaires et la troisième est constituée par les fécondations in vitro. Il y a environ 50.000 jeunes bovins qui naissent annuellement par cette dernière technique, qui rencontre encore quelques limites technologiques (notamment pour la survie des embryons après congélation) .

La quatrième génération est constituée par les transferts nucléaires -on appelle cela communément les clones- et par les animaux transgéniques.

Les clones recouvrent plusieurs groupes. D'abord, les clones issus de bissections d'embryons, qui produisent donc deux vrais jumeaux, et ceci sans conséquence importante puisqu'il s'agit de « mimer la nature » (cas des vrais jumeaux spontanés). On considère que dans la nature, aujourd'hui, il y a environ 10 % de gémellité chez les bovins dont 90 % de fausse gémellité (double ovulation conduisant seulement à des frères ou soeurs nés simplement simultanément). Le deuxième groupe de clones recouvre les clones issus du transfert nucléaire, c'est-à-dire le transfert d'un noyau dans une gamète femelle énucléée. Les premiers essais en la matière ont été faits il y a 20 ans et sont issus de cellules embryonnaires. On peut aujourd'hui estimer qu'il y a eu plusieurs milliers de naissances dans l'espèce bovine, et dans d'autres espèces, par cette technique. Le troisième groupe de clones repose sur le transfert nucléaire dans l'ovocyte de cellules somatiques -c'est-à-dire issus du corps- et non pas germinales. C'est le cas de « Dolly » la brebis. Il s'agit donc ici de noyaux différenciés dont on a « stoppé » la différenciation. Pour cette dernière technique, on a moins de recul historique et, en plus, elle pose plus de questions en termes de risques.

Le deuxième sous-groupe de cette quatrième génération, après les clones, est constitué par les animaux transgéniques, c'est-à-dire comportant au moins un gène qui a été modifié (ou délété). Il s'agit surtout de mammifères mais il y a eu aussi des essais sur des poissons, des oiseaux et quelques espèces d'insectes dans la perspective de la lutte contre le paludisme et la malaria par exemple.

Pourquoi recourt-on à ces techniques ? Les avantages de celles-ci peuvent être regroupés en trois rubriques pour la facilité de l'exposé. On peut estimer que le futur du clonage, c'est d'être associé à la technique de la transgénèse. Le clonage, c'est une sorte de photocopie, donc il n'apporte aucun progrès, il s'agit simplement d'une duplication alors qu'avec la transgénèse, ce clonage pourrait être enrichi. Les premiers animaux en résultant sont déjà nés et certains adultes, à des fins expérimentales voire de production de molécules phamacologiquement intéressantes (j'en reparlerai plus tard).

M. Daniel Raoul - Si on modifie la cellule somatique avant de l'injecter dans un ovocyte, que se passe-t-il ?

M. Michel Thibier - C'est justement là l'avenir de cette génération, la combinaison du transfert nucléaire et de la transgénèse. Or les règles en matière d'analyse de risques sont différentes pour l'une ou l'autre de ces techniques. Les conditions de surveillance sont également distinctes.

Pour en revenir aux trois avantages que j'ai annoncés plus tôt, je commencerais par le premier qui, pour moi, est le « biofarming » (ou « biopharming », les anglicistes comprendront le jeu de mot). C'est à dire la constitution d'animaux producteurs de produits pharmaceutiques, y compris d'albumine. Le biofarming existe déjà dans le monde aujourd'hui afin de produire des molécules pharmaceutiques permettant de traiter par exemple l'hémophilie, puisque les traitements disponibles ne suffisent pas à contenter la demande en la matière. On a également recours à ces techniques pour fabriquer de l'albumine humaine, ce qui évite tout risque dans le processus de fabrication et, en plus, permet de produire une quantité importante à un coût moindre. L'efficacité du biofarming peut être évaluée dans certains cas à mille fois plus que celle des techniques courantes, c'est à dire concernant des produits synthétisées artificiellement par l'homme. Il y a là un moyen privilégié de combler quelques difficultés de l'industrie pharmaceutique quand les procédés classiques de production interdisent par exemple de produire suffisamment, quantitativement, un médicament pourtant nécessaire.

Le deuxième grand avantage des techniques de transgénèse, c'est l'application de ce type de technologie aux xénogreffes, d'autant plus qu'on bute sur une carence mondiale d'organes. L'animal de choix en la matière est le porc qui est proche de l'homme. Alors il s'agit ici d'investissements très lourds et les phénomènes biologiques en jeu sont d'une très grande complexité comprenant des réactions inflammatoires sidérantes et de rejet rédhibitoires. A titre personnel, je ne crois pas trop à de progrès rapides et applicables dans un futur proche concernant cette xénotransplantation, cette voie me semblant très compliquée à maîtriser.

Le troisième grand avantage de la transgénèse, c'est l'amélioration de la production alimentaire concernant ici selon notre propos les denrées d'origine animale.

L'amélioration que pourrait apporter la transgénèse animale tient d'abord à un aspect quantitatif. Le recours à cette biotechnologie permettrait en effet d'améliorer la sécurité alimentaire -à ne pas confondre avec la sécurité sanitaire- c'est-à-dire la sécurité d'approvisionnement (l'inverse de la faim dans le monde). La FAO s'est d'ailleurs exprimée sur ce sujet au plan végétal. Au plan animal, on peut estimer qu'on va vivre également une vraie révolution de l'élevage et que cela exigera une production beaucoup mieux maîtrisée. Je pense notamment aux porcins en Asie, et en Chine en particulier. Une meilleure utilisation des protéines fourragères, qui ne deviennent des aliments humains que grâce à des ruminants, est nécessaire et des animaux issus de la transgénèse pourraient y apporter leur concours. Au plan qualitatif, les perspectives sont également intéressantes pour le consommateur. Je pense notamment à la production de lait anallergénique, ou de lait avec de la Kappa caséine qui est essentielle pour la fabrication du fromage de type camembert par exemple.

La seconde amélioration de la production alimentaire qui pourrait être issue des animaux transgéniques, c'est la résistance aux maladies qui pourrait être portée par un gène inséré dans le génome de ces animaux. Je pense par exemple à la fièvre aphteuse et, plus proche de nous pour la filière agricole, la maladie de Maarek. Enfin, un troisième avantage que pourraient apporter ces animaux transgéniques, c'est leur impact positif sur l'environnement. On a par exemple parlé de l'« enviropig » (Canada), c'est-à-dire d'un cochon transgénique à qui on a fait ingérer un gène phytase qui permet de couper le phosphore organique lié à l'aliment, ce qui entraîne une diminution très significative du rejet de phosphore dans l'environnement. Car, aujourd'hui, l'éleveur est obligé d'apporter du phosphore minéral « exogène » dans la ration de ses animaux et le phosphore organique non utilisable par l'animal est éliminé dans les féces.

Enfin, la transgénèse permettra aussi d'améliorer les paramètres zootechniques des animaux. On a mis un siècle pour transformer des charolais, qui étaient autrefois des animaux de trait, en ces magnifiques animaux à viande à la chaire succulente. On peut penser désormais réaliser les mêmes types de changements mais dans un pas de temps d'une ou deux générations, soit disons cinq ans, au lieu des cent ans précédemment ! Un des principaux bénéficiaires de ces améliorations zootechniques sera certes le producteur, mais pas seulement, le consommateur en tirera aussi avantage non seulement en termes de prix mais aussi en termes de qualité. Je voudrais aussi évoquer deux espèces animales dans le règne des poissons et qui sont déjà « prêtes », je veux dire dont des individus aptes à être consommés portent un génome légèrement modifié par rapport à leurs contemporains dits « sauvages ». Le premier d'entre eux est le saumon du Canada avec un gène double de l'hormone de croissance. C'est en l'occurrence, l'Agence canadienne de l'environnement qui exprime encore quelque réserve, car il est plus difficile de s'assurer de la non dispersion involontaire de poissons que de celle de Mammifères pesant plus d'une tonne ! Il apparaît que ces poissons s'adaptent mal au milieu naturel ce qui pourrait signifier qu'ils auraient un désavantage compétitif dans le milieu naturel et qu'ils disparaîtront à terme (au bout de combien de générations ?). Et puis, il y a également le tiylapia qui est une espèce prête à être commercialisée après insertion génique aussi, à Cuba.

J'estime donc que l'ensemble de ces recherches sont absolument nécessaires pour permettre des avancées dont la société pourra tirer bénéfice. Je ne néglige pas toutefois les inconvénients que certains résultats pourraient soulever, je vous renvoie notamment au débat du fameux Colloque du 29 septembre 1999 organisé par l'AFSSA au Ministère de la Santé et portant sur les risques concernant les animaux clonés et transgéniques. Pour les clones, aucun élément, pour le moment, ne permet de conclure à une modification significative en terme de sécurité sanitaire des aliments des animaux clonés ayant atteint la puberté, même si le recul est encore modeste pour les animaux du type « Dolly » (transgénèse de noyaux issus de cellules somatiques adultes ou foetales). L'Académie Nationale des Sciences américaine a récemment publié une étude d'ailleurs, en août 2002, qui fait allusion à des travaux en cours d'élaboration, mais les observations empiriques sembleraient conforter qu'il n'y a pas d'inquiétude à ce stade en termes de sécurité sanitaire pour les animaux ou produits issus d'animaux eux-mêmes issus ou descendants de clonage. L'INRA, quant à elle, applique le principe de précaution et a interdit l'introduction d'aliments issus d'animaux clonés. Le principe de précaution souligne toujours un déficit de recherche, ceci ne sera plus le cas, j'espère dans un futur proche, et je pense qu'il pourrait être utile de lancer, au premier semestre 2003, une enquête publique sur ce sujet.

En revanche, pour la transgénèse, le problème est différent. Si les éléments qui existent sur le clonage à l'INRA, aux Etats-Unis et au Canada se confirment, on peut dire que les animaux clonés peuvent être considérés comme leurs propres éléments « sentinelles ». Alors que pour la transgénèse, il en va autrement, il faut faire pour les transgénotes une approche au cas par cas et naturellement les conclusions seront d'autant plus valables pour leurs descendants.

A cet égard, il y a 3 grands types de risques. D'abord et premièrement, pour la santé humaine, des risques d'ordre micro-biologique (cf. ce que dit l'AFSSA sur la contamination accrue et possible, théorique mais non prouvée bactériologique ou microbienne des carcasses, par exemple des volailles) et puis, même au plan viral, il y a un risque de résurgence de certains virus. Un autre risque toujours concernant la santé humaine, est le risque toxicologique, puisque la question qui est soulevée ici est de savoir si la modification de la composition de l'animal est compatible avec la propre vie de l'animal. C'est aussi et pour faire court, toute la problématique de l'équivalence nutritionnelle. Enfin, le troisième risque pour la santé humaine est d'ordre allergique. Je ne m'étendrais pas dessus encore qu'il ne faille pas le négliger.

Un second type de risques concerne les risques pour l'environnement. C'est surtout limité aux poissons et aux oiseaux dont le déplacement est particulièrement difficile à contrôler.

Enfin, le troisième risque, est un risque pour le bien-être des animaux dont il faut se préoccuper également.

Pour conclure, je dirais que le problème auquel nous sommes confrontés dans cette évaluation des risques, résulte de la différentielle de « pas de temps ». La recherche nécessaire à l'élaboration de données sur la mesure des effets induits par ces nouvelles générations de Biotechnologie a besoin de temps. Elle progresse nécessairement moins vite que les technologies elles- même, raison de plus pour ne pas perdre plus de temps .... Ce type de recherche doit absolument s'activer pour investiguer correctement les risques théoriques et vérifier leur invraisemblance pratique, si invraisemblance il y a.

66. Audition de M. François Thiery, Président de la Fédération nationale d'Agriculture biologique (FNAB) et de M. Vincent Perrot, délégué général de la FNAB

M. François Thiery - Je voudrais rappeler en préambule que la FNAB regroupe les exploitants de l'agriculture biologique des 22 régions de France. Les premières prises de position de la FNAB sur les OGM datent de 1996. Dès cette date, l'ensemble de l'agriculture biologique était hostile à la présence des OGM dans l'alimentation biologique. Cette position était du reste valable au niveau européen et au niveau mondial, au sein de l'IFOAM. Nous avions pour cela des raisons de quatre ordres :

- les OGM ne sont pas utiles dans l'optique d'une agriculture durable, qui doit avoir comme base une certaine autonomie du paysan ;

- les OGM font courir un risque aux écosystèmes dans la mesure où on ne maîtrise pas leur développement ;

- les OGM ont un caractère irréversible et hégémonique ;

- les OGM concentrent aujourd'hui la quasi-totalité des moyens de recherche.

Aujourd'hui, quels sont les risques ? Si la FNAB avait la certitude que la filière OGM pouvait coexister avec la filière non-OGM le problème se poserait différemment. Mais la réglementation européenne dit que l'agriculture biologique implique de ne pas utiliser d'OGM. Il en va de même pour les pesticides, et pourtant, il y a parfois des pollutions par les pesticides dans les produits biologiques. Par conséquent, dans le cas des OGM, l'agriculture biologique risque de disparaître, faute de semences entièrement vierges d'OGM. Nos collègues britanniques ont étudié la situation aux Etats-Unis : leur rapport montre qu'aujourd'hui, il n'est plus possible d'obtenir de semences non-OGM pour le colza. C'est particulièrement clair dans l'exemple du Saskatchewan. Ce rapport est très intéressant sur des tas d'autres plans, et il est très négatif pour les OGM. En effet, la situation à laquelle on aboutit est qu'il y a des endroits où il est impossible de faire du bio sur le soja, sur le colza et le maïs.

M. le président - Que pensez-vous du soja censé être non-OGM au brésil ?

M. François Thiery - On peut dire que dans 5 ans on ne pourra plus avoir de produit sans OGM.

M. Vincent Perrot - Cette préoccupation qui est la nôtre explique pourquoi nous ne voulons pas nous engager dans une démarche adossée à un seuil de présence fortuite d'OGM dans les produits bios. Nous avons en principe une obligation de moyen et pas de résultat. Mais pour les OGM, le semencier ne nous garantit pas que son produit n'est pas contaminé, d'où des frais d'analyses à la charge des producteurs (obligation de moyens). Et si des contaminations en culture, le producteur perd sa plus value « bio » puisque le transformateur a les même obligations de moyens. Par conséquent, en matière d'OGM nous avons une véritable obligation de résultat puisque nous sommes au milieu de la chaîne.

M. le président - Vous refusez tout seuil pour les OGM mais vous admettez un seuil de 5 % pour les pesticides !

M. François Thiery - La différence, c'est que les pesticides on ne les ressème pas.

M. le président - Est-ce que vous considérez que les OGM sont dangereux ?

M. François Thiery - Pour la santé humaine on ne sait pas. Pour les impacts environnementaux je vous renvoie à cette étude britannique sur le continent Nord-Américain.

M. Vincent Perrot - Ce rapport ou celui de l'USDA 177 ( * ) montrent que l'impact des OGM n'est pas positif. Si les OGM permettaient de supprimer par exemple l'atrazine, ce serait bien. Mais s'ils aboutissent à développer une résistance aux herbicides, on ne pourra plus lutter et il faudra en définitive un nouvel herbicide, ou l'atrazine encore.

M. le président - Il est dommage que les produits phytosanitaires ne soient pas toujours gérés au mieux, mais cette thématique n'est pas spécifique aux OGM.

M. Vincent Perrot - Il y a d'autres moyens de lutte que les phytosanitaires.

M. François Thiery - On a parfois l'impression que les OGM seraient de la recherche sérieuse et que les techniques agronomiques ne seraient plus jugées dignes d'intérêt. Nous pensons que l'on n'investit pas assez sur la connaissance et le travail du sol.

M. le président - Certains partisans des OGM estiment que ceux-ci permettent une moindre érosion des sols.

M. Vincent Perrot -En plus du problème des herbicides se pose aussi celui des insectes et des résistances à un insecticide naturel utilisable en bio, or la pulvérisation de cet insecticide est dans ce domaine plus ponctuel et créant moins de résistance que la technique OGM.

M. le président - Lors de son audition, M. Chevassus-au-Louis nous a dit que la sécrétion du pesticide ne se faisait pas dans toute la plante.

M. Vincent Perrot - Le problème reste la question de la résistance.

M. le président - Si je prends l'exemple de la pyrale, en France ce ravageur représente l'emploi de 600 000 tonnes de pesticides...

M. François Thiery - Nous, nous luttons contre la pyrale par la rotation des cultures et une sélection fine des plantes. De même, il est vrai qu'il faut maîtriser les mauvaises herbes mais nous traitons ce problème par les densités de semis et le mélange des semis. Enfin, j'ajoute qu'en ne mettant pas d'azote minéral on ne favorise pas le chiendent. Ainsi, j'arrive à un rendement moyen d'épeautre de 35 quintaux ce qui me suffit pour nourrir mes vaches. Depuis 10 ans, nous maintenons nos revenus en accroissant nos rendements alors que l'agriculture conventionnelle voit une baisse des revenus. J'estime donc que nous nous en sortons aussi bien voire mieux. Nous représentons 1,5 % des agriculteurs, avec des disparités régionales puisque ce taux atteint 4 à 5 % dans les Vosges. L'agriculture biologique suppose de changer de système, ce qui n'est pas évident et pas possible partout.

M. le président - Dans mon département, les agriculteurs biologiques rencontrent des difficultés. Ils gagnent de l'argent s'ils sont en circuit court, mais sinon la grande distribution capte toute la valeur ajoutée.

M. François Thiery - Je voudrais nuancer mon propos, car je distingue exploitation et transformation. Les difficultés des agriculteurs bio sont réelles, mais les agriculteurs conventionnels ont tout autant de difficultés financières, auxquelles s'ajoute la remise en cause psychologique et sociale de leur activité.

M. le président - Vous avez raison, mais je reste prudent car notre société ne sait plus ce qu'est le métier d'agriculteur. Concernant les difficultés de la filière bio je vous citerai en exemple l'engorgement du marché du lait bio. Mais revenons aux OGM. J'ai cru comprendre que les agriculteurs biologiques suisses avaient accepté un seuil de présence fortuite de 3 %. Est-ce que vous ne pourriez pas prendre les devants sur cette question du seuil en vous inspirant de cet exemple ?

M. Vincent Perrot - De toute façon la levée des moratoires n'est pas la seule donnée du problème. Depuis 1996, 70 à 72 % des consommateurs européens refusent de manger des OGM. Par conséquent, si nous acceptons ce seuil nous risquons de perdre beaucoup de clients, nos consommateurs étant parmi les plus anti-OGM.

M. Hilaire Flandre - Quelle est votre estimation de l'étendue du marché bio ?

M. François Thiery - Tout dépend de l'approche qu'on adopte. Du point de vue de la consommation, entre 20 et 40 % des gens disent être intéressés par l'achat de produits bio. Les consommateurs ont une nouvelle exigence éthique qui ne vise pas seulement la question de l'environnement. Au niveau européen, on distingue deux types d'approches. L'approche majoritaire consiste à dire que le bio est un élément positif qui justifie qu'on aide l'agriculture biologique. Cette attitude se retrouve notamment dans les pays du nord de l'Europe. En France nous ne représentons qu'1,5 % du marché. Nous pouvons rester à ce niveau et renoncer à développer l'agriculture biologique mais nous nous pensons au contraire qu'il faut développer la durabilité de l'agriculture sans quoi nous irons dans le mur. La consommation de produits bio augmente de 15 à 20 % par an alors que sur certains secteurs la production augmente, elle, de 30 % ce qui conduit à une surproduction.

M. Vincent Perrot - A cette surproduction s'ajoute en plus le goulet de la transformation. En effet, les petites quantités ne peuvent pas toujours être traitées dans les grandes unités. Si on ajoute à ça la question de l'OGM on renchérira encore le prix du bio et on dissuadera beaucoup de consommateurs. Il ne faut pas oublier que 80 % des consommateurs achètent leurs produits bio en grande surface.

M. le président - J'en reviens à la question de la cherté des prix des produits bios. Plus on s'éloigne de la crise sanitaire, plus le consommateur est sensible surtout au prix. Il me semble que vous devriez réfléchir au problème que pose un seuil zéro, qui n'existe pas, sauf à interdire les OGM.

M. François Thiery - Que sont les OGM ? A quoi servent-ils ? Une agriculture qui aurait besoin d'OGM, ce serait une agriculture de pays en voie de développement tournée vers l'exportation. On n'a pas besoin d'OGM pour la culture vivrière. Si l'on met de côté les questions de sécurité, le plus grand risque est de nature économique : il s'agit de la brevetabilité du vivant. Je vous renvoie à ce qui se passe pour le sida et les brevets sur la tri thérapie. Comment faire confiance à ces mêmes entreprises pour respecter le droit de se nourrir s'il existe une brevetabilité du vivant ?

M. le président - J'avais proposé que la FAO, ou un organisme indépendant, puisse donner aux pays en voie de développement accès aux connaissances dans ce domaine. Mais il faut aussi un retour sur investissement de la recherche. Si demain existaient des OGM de seconde génération, y seriez-vous plus ouverts ?

M. François Thiery - Attention ! Nous n'avons jamais dit qu'il fallait arrêter la recherche. Mais on n'a pas besoin d'utiliser l'essai au champ pour étudier la pollinisation.

M. Vincent Perrot - Le problème, de ce point de vue, n'est pas le maïs, mais la betterave et le colza.

M. François Thiery - La question à poser n'est pas : « quels débouchés pour les OGM ? », mais « quelle mission fixe-t-on à l'agriculture ? ». Si les OGM répondent sans risque aux missions que l'on a assignées à l'agriculture, je signe ! En réalité, les OGM ne font que pousser beaucoup plus loin l'évolution passée.

M. Max Marest - Si on fait une synthèse aujourd'hui, pensez-vous que les cultures OGM ont failli aux objectifs qu'on leur avait fixés au départ ?

M. François Thiery - Les OGM n'ont pas grand intérêt pour la société et pour les paysans. Dans ces conditions que faut-il faire ? Pourquoi ne pas attendre 10 ans ?

M. le président - Mais depuis 1999 nous avons arrêté la recherche. En principe, le moratoire devait servir à acquérir des connaissances !

M. Vincent Perrot - Les débats qui ont été organisés à l'Assemblée nationale ou dans le cadre du rapport des quatre sages n'ont pas débouché sur la réponse attendue. On a donc étouffé leurs conclusions.

M. le président - Mais puisque nous n'arrivons pas à faire avancer le débat sur le plan scientifique, celui-ci va se déplacer sur le terrain de l'OMC et nous devrons payer !

M. Vincent Perrot - Et pourquoi ne dirait-on pas que les industriels semenciers seront responsables si les choses tournent mal ? On pourrait dire pour résumer que les semenciers doivent garantir le zéro OGM dans les semences ; qu'il faut qu'il y ait une protection contre la pollinisation accidentelle ; et que les maires aient les pouvoirs pour bloquer les cultures OGM si des cultures bio sont présentes sur leur commune.

M. le président - J'en reviens à ma question de tout à l'heure : pourquoi n'avez-vous pas la même sévérité envers les intrants ?

M. François Thiery - Nous regrettons aujourd'hui de ne pas avoir été plus sévères sur cette question. Si l'on considère l'évolution de l'agriculture depuis 20 ans on voit le nombre d'agriculteurs diminuer et la pollution des nappes se développer.

M. le président - Ne craignez-vous pas que le modèle que vous préconisez coûte monstrueusement cher ?

M. François Thiery - Il faut arrêter de croire que les agriculteurs vont bien aujourd'hui. Même dans l'agriculture classique, il y a de plus en plus d'agriculteurs qui sont contre les OGM.

67. Audition de M. Guy Vasseur, Secrétaire adjoint de l'Assemblé Permanente des Chambres d'Agriculture (APCA), Président de la commission environnement, accompagné de M. Jean-Marc Cordonnier, Sous-Directeur.

M. Guy Vasseur - Nous avons constaté que le seuil de 0,9 % de présence d'OGM a été retenu par les instances européennes. L'APCA avait participé à une étude pilotée par la FNSEA et commandée à l'INRA. Ce qui paraissait possible était le seuil de 1 %. La faisabilité d'un tel seuil est posée.

L'APCA a pour principe que, dès que des progrès sont possibles, il faut des moyens pour juger : par rapport à l'environnement et à la santé humaine. La destruction des champs d'essai pose un problème. Nous estimons qu'on laisse se développer la recherche ailleurs - notamment aux États-Unis. Demain, on risque de se trouver sous la dépendance d'un nombre très limité de grandes firmes multinationales. Il est encore temps de réagir. Nous demandons de renforcer la recherche. La France et l'Union européenne ont pris une position de principe qui est paradoxale par rapport à la situation des moratoires et n'a pas empêché l'importation d'OGM. La concurrence va donc se développer. Les agriculteurs des autres pays qui ont adopté les OGM ne feront pas marche arrière. L'Union européenne bloque la production mais aussi la recherche en Europe. L'opinion y est certes très sensibilisée. Elle était même favorable aux destructions. Quand on touche aux problèmes de l'assiette, il y a une extrême sensibilité à ces questions.

M. Jean Bizet, président - Vous avez été, disons, assez discrets dans cette affaire ?

M. Guy Vasseur - Compte tenu de l'opinion, il n'y a pas de marché OGM en France. On a affirmé en permanence la nécessité de la recherche. On ne connaît pas les risques, mais on n'a pas les moyens pour aller plus loin. Nous n'avons pas dit que nous sommes pour ou contre les OGM. Nous entrevoyons des progrès extraordinaires sans nous leurrer sur ce que soutiennent certains fabricants.

Dans un pays qui a vécu l'affaire du sang contaminé, celle de la vache folle, nous devons être prudents. Si l'on avait un cri à lancer, c'est de renforcer la recherche.

M. Jean Bizet, président - Quel est votre sentiment sur la coexistence de différentes agricultures, raisonnée, conventionnelle ou biologique ?

M. Guy Vasseur - Cette coexistence est une nécessité par rapport à la demande des consommateurs. Concernant l'agriculture raisonnée; c'est, pour une bonne partie ce que les agriculteurs font dans la conduite de leurs exploitations.

Il faudra modifier toutefois quelques aspects afin de répondre aux exigences du cahier des charges. Ce sont des points de passage pour reconquérir l'opinion à travers le citoyen, lequel observe qu'on en a fait parfois un peu trop, par exemple dans la crise de la vache folle.

M. Jean Bizet, président - Et en ce qui concerne la coexistence entre l'agriculture biologique et l'agriculture conventionnelle ?

M. Guy Vasseur - Les deux peuvent coexister. Concernant l'éventuel problème de dissémination des OGM, des dispositions sont en cours de discussion au plan communautaire .

L'existence d'une filière bio répond à l'attente d'une partie des consommateurs mais sans en surestimer l'importance. Les agriculteurs bio et conventionnels ne se regardent plus en « chien de faïence ».

M. Jean Bizet, président - Sentez-vous une expansion de l'agriculture bio qui se situe aujourd'hui à 1,4 % soit a contrario 98,6 % pour le secteur conventionnel ?

M. Guy Vasseur - Si nous pouvons apporter des réponses avec l'agriculture conventionnelle, l'agriculture bio gardera un marché limité. Il y a un marché, mais les prix sont supérieurs. Aujourd'hui l'agriculture bio n'apporte pas toutes les satisfactions escomptées. Le secteur est déficitaire. Notre inquiétude c'est que l'agriculture bio européenne et la conventionnelle soient concurrencées par des produits importés à moindre coût, sans traçabilité, ni sécurité. En matière bio, on constate actuellement, notamment sur le lait, un certain marasme.

Les règles du marché s'appliquent au marché bio. Il y a un décalage entre le sentiment du consommateur et son acte d'achat.

M. Jean Bizet, président - Dans le cas des OGM ? Il faut se préoccuper de la captation de la valeur ajoutée.

M. Guy Vasseur - Il faudra mettre des garde-fous. Par rapport à la santé et à l'environnement, les OGM accentuent certains caractères des plantes en fonction de leur utilisation. A partir de manipulations génétiques on pourrait concurrencer des produits sous signes de qualité et notamment des terroirs tels que les AOC.

M. Jean Bizet, président - Quelle est votre opinion sur l'utilisation dans l'industrie ?

M. Guy Vasseur - Nous n'avons pas approfondi cette question dans la mesure où tout est bloqué actuellement. Nous craignons, si le politique décide à l'échelle de l'Europe d'ouvrir le marché, que la demande de la part des consommateurs soit limitée. Nous redoutons donc que les agriculteurs ne soient incités à produire sans réel marché.

M. Jean Bizet, président - Avez-vous eu des entretiens avec les ministres concernés ?

M. Guy Vasseur - Avec Mme Bachelot aujourd'hui, auparavant avec M. Cochet ainsi qu'avec l'actuel ministre de l'Agriculture.

On raisonne par rapport au long terme : ne laissons pas notre agriculture entre des mains étrangères. Le deuxième pays agricole du monde, qu'est la France, ne peut pas laisser passer ce rendez-vous avec l'histoire.

Le problème de la valeur ajoutée est le problème général de l'agriculture. Rien ne dit que les OGM apporteront une valeur ajoutée certaine qui bénéficiera au producteur. En revanche, des pratiques agricoles qui simplifient le travail sont à prendre en considération. Le partage de la valeur ajoutée est de plus en plus aléatoire avec la mondialisation des marchés.

M. Jean Bizet, président - Je vous en remercie.

* 177 United States Department of Agriculture , ministère de l'Agriculture américain.

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