PREMIERE TABLE RONDE : LA RESPONSABILITE DES INDUSTRIELS

M. LE PRESIDENT - Monsieur Bernard de GOUTTES, directeur juridique d'Areva, levez un peu le voile sur ces principes et donnez-nous votre réaction !

M. Bernard de GOUTTES, Directeur juridique Areva - Merci Monsieur le Président !

Mesdames et Messieurs les Députés, Mesdames et Messieurs,

Je dois d'abord vous indiquer que le groupe Areva est très sensible à l'invitation que vous lui avez faite de venir apporter ici sa contribution à cette réflexion en matière d'environnement et de développement durable. D'ailleurs, en filigrane, ces concepts environnement et développement durable, ont pour le groupe Areva une double résonance.

Le développement durable, c'est la durée et notre groupe a une caractéristique ; son activité industrielle s'exerce dans la durée et elle a une projection de durée.

Par rapport à cette notion de développement durable, nous avons déjà une pratique d'un savoir-faire sur des choix qui emportent des décisions dans la durée.

Le deuxième aspect de l'environnement et du développement durable, qui a une résonance particulière peut-être pour ce groupe nucléaire civil qu'est Areva, - et c'est d'actualité aujourd'hui - c'est que l'énergie nucléaire est en dehors des querelles géopolitiques qui consistent à trouver des territoires pour assurer l'approvisionnement en énergie. Et par-là même nous contribuons à un débat qui est à l'extérieur de ces difficultés géopolitiques.

Le groupe Areva a bien entendu signé une obligation de ne traiter qu'avec les Etats, les entreprises qui ont souscrit au traité de non-prolifération nucléaire et aux contrôles intégraux.

Au-delà de ces résonances que suscite immédiatement cette notion d'environnement et de développement durable, nous considérons que le groupe Areva est immédiatement partie prenante à ce que l'on peut estimer comme étant des composantes essentielles du développement durable à savoir :  l'énergie, le changement climatique, l'eau potable, l'éducation et bien sûr le respect de l'environnement.

En ce qui concerne l'énergie, le groupe Areva - vous le savez - est le leader mondial des équipements et services en matière de nucléaire civil. Areva n'est cependant pas pour le tout nucléaire, nous sommes en faveur d'un mix énergétique. Car nous avons l'analyse au terme de laquelle, face à l'accroissement de la population, à la demande incessante d'énergie, nous devons pouvoir avoir des réponses qui coïncident avec la diversité des demandes.

Au fond, si nous faisons une projection un peu sommaire sur l'avenir, nous pensons que, demain, en matière d'énergie, deux données tout à fait différentes vont apparaître.

Nous pensons que nous aurons à faire face à la création de mégapoles très importantes qui, devant cette concentration urbaine, nécessitera des installations de production d'électricité très importantes et qu'à l'inverse, en ce qui concerne notamment les pays en voie de développement, nous devrons répondre à une demande d'énergie très locale de développement rural. Il y a ces deux aspects par rapport à ce sommet de demande accrue d'énergie. Il y aura une expression d'une demande d'énergie qualifiée importante pour les mégapoles et, par ailleurs, une demande d'énergie qui sera beaucoup plus multiple et moins importante au niveau de la production d'électricité qui sera exigée.

Nous pensons que, par rapport à ces enjeux de demande d'énergie pour l'avenir, pour la projection dans la durée, cette Charte, cette loi constitutionnelle doit porter haut et fort la culture française de l'environnement et du développement durable. Elle doit la porter haut et fort avec une dimension internationale qui permette de réguler sur le terrain international ces enjeux d'environnement et de développement durable qui ne sont pas l'apanage exclusif de la France hexagonale.

Pour un groupe comme le nôtre qui est un groupe international, qui a des assises en Europe, en Asie, en Amérique, il nous est important d'avoir une loi constitutionnelle qui puisse nous permettre de décliner dans les quatre horizons, les obligations et les devoirs de cette loi.

En ce qui concerne la deuxième composante du développement durable, le changement climatique, un mot que chacun connaît est que la production nucléaire n'a pas d'effet sur la production de CO². A ce sujet, nous sommes dans une situation qui, à cet égard, est tout à fait satisfaisante pour nous.

En ce qui concerne l'eau potable qui est une préoccupation forte, nous rejoignons les préoccupations exprimées notamment par le Professeur COPPENS. Nous considérons que la recherche en matière nucléaire, qui est au coeur de nos activités avec le CEA, doit permettre à l'horizon 2030 de trouver des nouvelles générations de réacteurs qui pourront combiner la production d'électricité et assurer en même temps le dessalement de l'eau de mer. La recherche en matière de centrales nucléaires se projette dans l'avenir pour pouvoir appréhender cette question de l'eau potable qui est au centre de nombreuses préoccupations.

Nous contribuons également chez Areva au thème de l'éducation. Avant même d'être interpellés à ce sujet par le nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD), nous avons contribué, avec l'aide de notre Comité des Mécénats, à installer dans les pays les plus pauvres - et je pense notamment au Niger - des écoles ou des hôpitaux.

En ce qui concerne le dernier thème majeur, le respect de l'environnement, le groupe Areva va, dans une activité soutenue, permanente et progressive, travailler à développer les meilleures techniques en ce qui concerne le recyclage des combustibles usés de l'énergie nucléaire pour réduire de façon significative les déchets ultimes des électriciens que nous traitons à La Hague ainsi que les effluents de nos propres installations.

Nous faisons tout ceci dans un contexte culturel très partagé, presque inné qui existe dans le domaine du nucléaire, qui est fait de notion de sécurité, de sûreté et de qualité pour les installations nucléaires que nous livrons.

Aussi, il nous apparaît que face à ces cinq axes majeurs du développement durable et de l'environnement, ce projet de loi constitutionnelle devrait - nous ne le connaissons pas non plus - comporter trois principes : le principe d'anticipation, le principe de proportionnalité et le principe de transparence.

Pour nous, le principe d'anticipation :

- Est d'identifier les risques réels et les caractériser ;

- Est de conduire des recherches pour lever les incertitudes ;

- Impose - et cela nous paraît très important - le devoir de recherche pour trouver des nouvelles technologies permettant de progresser.

En ce qui concerne le principe de proportionnalité, nous pensons qu'il est absolument indispensable de poser une règle claire consistant à dimensionner au niveau technique et économique et à mettre en oeuvre des mesures qui correspondent à la nature, l'importance et la probabilité des risques pour lesquels une expertise scientifique a été faite. Nous devons éradiquer la confusion entre ce qui est ressorti du risque de ce qui est ressorti de l'incertitude.

Nous pensons que ces deux principes - celui de proportionnalité et celui d'anticipation - sont des principes qui peuvent être définis juridiquement dans des concepts sûrs et qui lèvent les obstacles des imprécisions du principe de précaution dont nous savons qu'il fait débat.

Enfin, le dernier principe que nous voudrions voir mettre dans ce projet de loi constitutionnelle, c'est le principe de transparence qui consiste à s'assurer d'une bonne communication et d'une bonne consultation. Nous estimons - et nous le faisons - qu'il est très important de pouvoir mesurer l'acceptabilité du nucléaire dans le public. Nous pensons que ce principe de transparence doit être conjugué avec le principe de la démocratie représentative. Nous sommes bien entendu tout à fait ouverts à ce que l'on recueille le plus d'avis possible - de la société civile, des experts -, mais nous pensons que tous ces avis doivent être régulés par l'autorité de la démocratie représentative. Autrement, il y a le risque de légitimité aléatoire, le risque d'auto-proclamation de certitudes, bref le risque de confusion ! Le dernier mot nous paraît devoir appartenir à la démocratie représentative.

Enfin, nous pensons que s'il y a une ardente obligation que nous devons avoir dans ce projet de loi constitutionnelle, c'est celle de Portalis qui tremblait en écrivant un article, c'est-à-dire avoir des dispositions juridiques très précises qui, par leurs précisions, évitent un boulevard pour des contentieux infinis. Et les contentieux infinis sont préjudiciables bien sûr aux entreprises, mais aussi à la société civile qui ne sait pas à quel Saint se vouer, et au développement des industries.

M. Emmanuel FOREST, Directeur général adjoint Bouygues Telecom - Merci d'avoir invité le groupe Bouygues, par l'intermédiaire de Bouygues Télécom, à participer à ces travaux.

Je voudrais préciser tout d'abord que, bien que je sois à côté de mon collègue d'Areva, une grande chose nous sépare : son entreprise opère dans le domaine des radiations ionisantes, alors que nous opérons dans le domaine des ondes électromagnétiques non ionisantes. Nous sommes donc très en dessous de l'infrarouge alors qu'il est très au-dessus de l'ultra-violet. C'est uniquement pour dire en introduction que Bouygues Télécom est surtout sur la scène par rapport à l'environnement en ce qui concerne les effets potentiels des ondes sur la santé. Mais c'est un peu l'arbre qui cache la forêt puisque nous avons aussi la capacité de beaucoup polluer l'environnement de manière beaucoup plus classique. C'est cela qui fera l'objet du premier point de mon propos, lequel sera structuré autour des principes du code de l'environnement.

En premier lieu, vous avez les principes de prévention et de pollueur payeur.

Avec ses 1 100 véhicules, ses 10 000 sites d'émission, ses 9 000 ordinateurs, Bouygues Télécom génère chaque année :

- 44 tonnes d'accumulateurs de secours des sites des antennes radio à recycler ;

- 40 tonnes d'équipements dont nous devons nous débarrasser ;

- 2,5 tonnes de batteries de mobiles que tout le monde a dans sa poche ;

- 10 000 tonnes de papiers et de cartons, liés à la publicité sur les lieux de vente et à tous les produits commerciaux utiles à la commercialisation de nos terminaux.

C'est effectivement la forêt cachée par l'arbre. Nous avons donc intégré ces problèmes déjà depuis plusieurs années au sein de l'entreprise, où nous avons créé une direction « Qualité, Sécurité, Environnement ».

Nous avons plusieurs actions qui n'ont rien de très original et qui sont liées à :

- des processus industriels extrêmement complexes de recyclage qui vont bien au-delà du tri sélectif ;

- la sensibilisation des collaborateurs ;

- l'intégration dans les appels d'offres vis-à-vis de nos contractants et de nos fournisseurs de toutes ces questions en privilégiant finalement les fournisseurs qui intègrent dans leurs prestations les modes de recyclage ainsi que ceux qui veillent à ce que la durée de vie des matériels soit la plus longue possible.

Nous devons aussi anticiper le remplacement de toutes nos antennes relais pour le passage à l'UMTS. Et à cet égard, l'OPECST avait produit un rapport excellent sur les effets des technologies sur les télécommunications, qui traitait notamment de l'UMTS. A titre personnel, connaissant la sensibilité des Allemands aux problèmes écologiques, je m'étais beaucoup étonné lorsque la République Fédérale d'Allemagne avait attribué six licences UMTS. Etant donné que les opérations d'un réseau UMTS requièrent au moins une fois et demi si ce n'est peut-être deux fois plus de sites que les opérations d'un opérateur GSM, je voyais mal comment les villes allemandes accueilleraient six fois un réseau UMTS.

Le message est que les pouvoirs publics ont beaucoup de matière pour prendre en compte, vraiment très en amont, les conséquences de décisions qui sont structurantes à tous les égards, d'où d'ailleurs le combat de Bouygues Télécom en faveur de l'itinérance, c'est-à-dire du partage le plus actif possible des infrastructures. Ainsi, à terme, ces services pourront être disponibles pour l'ensemble des populations au moindre coût, mais aussi avec l'impact le moins élevé sur l'environnement.

Je terminerai cette première partie sur les 10 000 tonnes de papier et de carton. Cela peut faire sourire, mais j'ai encore en mémoire une remarque d'un collaborateur de la FNAC qui se plaignait de l'arrivée du camion de Bouygues Télécom qui apportait tous ses matériaux de publicité sur les lieux de vente. Je voudrais dire une chose très simple : il y a compatibilité totale entre la rentabilité d'une entreprise et le respect de l'environnement. Je viens du BTP et on m'avait appris une règle assez simple : lorsqu'un chantier est propre, bien tenu et bien organisé, d'une part, le taux d'accident du travail est beaucoup plus faible que la moyenne et, d'autre part, sa rentabilité finale est bien meilleure. Je pense que mon affaire de papiers et de cartons illustre aussi ce principe : si une entreprise s'organise pour traiter de manière satisfaisante les problèmes d'environnement, elle dépensera très probablement moins, de manière inutile, et sera beaucoup plus rentable.

Je vais maintenant, en mettant dans un seul lot les principes de prévention, information et participation, faire allusion aux effets des ondes sur la santé par une brève description du travail que nous avons réalisé avec la Ville de Paris jusqu'à la signature de la Charte.

En premier lieu, nous avons traité ce problème chez Bouygues Télécom en désignant un collaborateur qui a la responsabilité pénale et civile personnelle de tous les impacts éventuels sur la santé de nos usagers du téléphone mobile - nos clients - ou encore des riverains des stations de base quelles qu'elles soient.

Il a une totale liberté, une totale délégation, y compris budgétaire, pour diligenter toutes les recherches, assister à toutes les conférences mondiales ou nous proposer le financement de manière totalement indépendante de toutes les recherches possibles de telle sorte qu'à aucun moment on ne puisse dire que l'entreprise ne s'est pas tenue au courant ou n'a pas pris les bonnes dispositions.

C'est lui par exemple, qui avait pris l'initiative de demander aux équipes commerciales d'introduire dans chaque paquet de téléphone vendu, un kit oreillettes. Sans être du tout pessimiste, il est vrai que pour le confort au moins de certaines personnes - même s'il est peut-être préférable de ne pas passer dix heures par jour avec le téléphone accroché à l'oreille - c'est mieux d'utiliser un kit piéton.

C'est une première démarche que nous avons effectuée.

Nous avons cependant vu que malgré tous les efforts de communication, cela ne suffisait pas. Traditionnellement que se passe-t-il dans ce genre de situation ? La science s'exprime, le Gouvernement réglemente, puis utilise sa police pour s'assurer que les entreprises respectent le règlement. De toute évidence, ce procédé ne suffit plus pour rassurer les gens pour diverses raisons - que nous pouvons évoquer ou analyser - de méfiance, de défiance à l'égard des entreprises, mais aussi à l'égard de l'Etat et de sa réglementation.

Avec la Ville de Paris, nous avons eu assez vite le sentiment qu'au-delà des polémiques de type écologiste, au sens mal compris du terme, il fallait faire un effort particulier pour rassurer les citoyens.

Il a tourné autour de trois sujets :

1. Une meilleure concertation par la création d'une commission qui est une nouveauté, qui comprendra des représentants de la ville, des services compétents de l'Etat et des opérateurs.

Ce que nous faisions déjà, sans faire de publicité, sera structuré avec procès-verbaux, avec administration de cette commission. Ce sera un travail lourd pour les opérateurs et la ville qui permettra de garantir aux citoyens que ce travail se fait et qu'il se fait en toute transparence.

2. Un principe d'information puisque nous communiquerons chaque année, avec une révision semestrielle, notre plan de déploiement.

Nous ferons six cents mesures annuelles sur les sites qui pourraient être les plus exposés pour bien documenter ce que nous disons depuis toujours, à savoir que les champs reçus par le public, là où il vit, sont extrêmement faibles par rapport au champ des antennes.

Nos antennes respectent parfaitement une réglementation, qui est elle-même extrêmement précautionneuse, qui respecte les principes de prévention et de précaution. Qui plus est, là où nous vivons, donc non pas sur les toits haussmanniens car là, cela ne concerne que les pigeons, mais là où les appartements sont situés, les champs constatés sont extrêmement faibles.

Nous allons les mesurer, mais par ailleurs, nous avons pris un engagement original de dire que nous allons établir la réalité de ce qui se passe là où les gens vivent sur vingt-quatre heures, c'est-à-dire au-delà du seuil réglementaire qui est destiné à s'assurer que, à la puissance maximale, l'antenne n'excède pas ce seuil.

Nous allons nous dire que sur vingt-quatre heures puisqu'une antenne n'émet quasiment jamais à sa puissance maximale, nous allons faire une moyenne et nous verrons que nous sommes bien en dessous des 50 V/m de la réglementation, que nous sommes finalement entre 1 et 2 V/m. Si nous trouvons un appartement ou un lieu qui excède un peu ces 2 V/m, nous sommes prêts, nous les opérateurs, à rassurer la personne, en modifiant l'ingénierie de l'antenne, parce qu'il n'y a pas de raison que de temps en temps un parisien ou une parisienne se trouve dans une situation qui pourrait l'inquiéter, puisqu'elle n'est pas identique à celle dont bénéficient les autres habitants de la ville.

Cette Charte a permis de déplacer un peu le problème, de ne pas remettre en cause la réglementation, de ne pas se livrer à une interprétation abusive du principe de précaution. D'ailleurs, la Mairie de Paris a reconnu que la démarche n'était pas une nouvelle application du principe de précaution, qui était déjà prévu par la réglementation, mais qu'il fallait prendre en compte que des personnes écrivaient aux élus en leur disant qu'elles voulaient qu'ils appliquent le principe de précaution. Nous allons trouver une démarche originale qui, comme l'évoquait mon voisin, répond à une sorte de principe de vigilance, de plus grande transparence, au sens très formel du terme, ou un principe d'attention aux préoccupations des personnes, fussent-elles irrationnelles.

Pour conclure, j'essayerai de réfléchir autour du principe d'éducation qui nous concerne peu en tant qu'industriel, simplement pour évoquer deux problèmes que nous rencontrons en tant qu'industriel des technologies d'information, donc des technologies nouvelles.

En ce qui concerne l'aspect scientifique des choses, nous sommes face à des effets infinitésimaux ce qui rend difficile la compréhension du principe de précaution.

Les scientifiques qui travaillent sur ces sujets et que nous écoutons régulièrement, notamment au sein de notre conseil scientifique, nous disent qu'en ce qui concerne les antennes relais, le problème n'est pas tant qu'on ne peut pas prouver qu'il n'y a pas d'effets, mais que ceux-ci sont tellement infinitésimaux qu'ils ne donnent pas prise à une expérience scientifique digne de ce nom. On peut mettre un rat dans une cage à 25 m d'une antenne pendant quinze ans, il n'y aura aucun effet, même si scientifiquement quelques électrons se déplacent parce qu'il y a quelques volts par mètre ou quelques dizaines de volts par mètre qui influent sur la configuration du rat.

En ce qui concerne le fait de rassurer les gens en disant que comme les effets sont infinitésimaux, il n'y a pas de problème, à un colloque que nous avions co-organisé au Collège de France sous le patronage de l'Académie de Médecine et de l'Académie des Sciences, le Professeur TUBIANA avait rappelé qu'Aristote avait démontré il y a déjà 2 500 ans qu'on ne pouvait pas faire la démonstration de l'inexistence d'un phénomène.

En termes plus simples, cela veut dire que nous ne pouvons pas démontrer que la vache blanche et bleue du chocolat Milka que nous voyons sur certaines publicités n'existe pas, nous pouvons simplement constater que nous ne l'avons jamais vue. Cela ne suffit cependant pas à rassurer les populations d'où la nécessité de rechercher de nouvelles voies.

Il y a peut-être un autre sujet, à savoir la contraction du temps.

J'ai coutume de dire qu'il a fallu un siècle pour passer du train à vapeur au TGV et qu'aujourd'hui, cela va beaucoup plus vite. Dans nos technologies nouvelles, il y a la fameuse loi de Moore - nous en sommes finalement les gestionnaires -, qui fait que le microprocesseur voit de manière exponentielle, sa capacité augmenter, doubler tous les dix-huit mois.

Je voudrais faire une petite allusion poétique en profitant de la présence d'Yves COPPENS, en faisant référence de manière non scientifique sans doute à un livre fondateur de la paléontologie Le geste et la parole d'André LEROY-GOURHAN.

J'étais tombé sur un graphique qui m'avait un peu ému, qui décrivait la capacité que les hominidés avaient eue à tirer de plus en plus de longueur de tranchant à partir d'un silex. Un graphique montrait la longueur de tranchant issue d'un kilo de silex au cours des âges - je crois que c'était plusieurs centaines de milliers d'années - or cette courbe avait une allure exponentielle.

Je me suis dit que finalement l'homme avait introduit la courbe exponentielle dans la nature. Nous sommes bien placés pour le savoir puisqu'il y a dix ans, nous démarrions le téléphone mobile et qu'aujourd'hui, depuis cette salle, je peux consulter Internet avec ce petit objet qui est à la fois un PDA et un téléphone mobile.

Nous sommes face finalement à un progrès de la science que nous avons nous-mêmes du mal à maîtriser et je crois que tout l'enjeu est finalement de communiquer avec une population qui sait que la terre tourne autour du soleil - et encore pas tout le monde je crois -, mais pour laquelle la mécanique quantique est encore un champ vraiment très inconnu.

Or toutes nos préoccupations et toutes les mesures que nous prenons pour protéger l'environnement, relèvent de ces sciences extrêmement sophistiquées.

Un dernier mot de conclusion pour dire que nous sommes convaincus que le développement durable est compatible avec la rentabilité durable de l'entreprise, c'est vrai aussi pour le domaine financier comme pour le droit du travail. Nous ne pouvons être rentables durablement et un groupe industriel ne peut pas être pérenne s'il ne respecte pas la totalité des composantes qui sont le souci primordial de l'être humain.

Merci Monsieur le Président !

M. LE PRESIDENT - Merci Monsieur FOREST et merci d'avoir souligné que principe de précaution n'équivalait pas à principe d'inaction. C'est un point extrêmement important que nous devons retenir.

Monsieur LEPEU, directeur des Relations extérieures de Renault, vous avez sûrement des choses à nous dire en ce qui concerne la prise en compte de ces principes.

M. Jean-Marc LEPEU, Directeur des relations extérieures Renault - Tout d'abord je voulais remercier l'Office Parlementaire de donner aux entreprises l'occasion de s'exprimer sur un sujet qui est devenu un sujet essentiel, mais qui peut avoir des conséquences tout à fait importantes pour nous.

Renault a d'ailleurs répondu avec beaucoup de sérieux au questionnaire envoyé par le Ministre sur le projet de Charte environnementale.

Je voudrais également profiter de cette occasion pour féliciter les membres de la Commission Coppens de la qualité de leurs travaux. Je ne vais pas dire que je n'ai pas lu le projet de rapport, je l'ai lu et je pense, d'abord comme un citoyen. Je l'ai tout simplement trouvé remarquable dans sa vision, dans sa justesse et dans son équilibre.

Comme vous me l'avez demandé, je vais donc essayer d'être aussi concis et précis que possible non pas pour vous expliquer ce que Renault fait en matière de développement durable, mais pour vous exprimer les aspects positifs et nos préoccupations face à cette démarche.

La première remarque est qu'intégrer l'environnement dans la Constitution apparaît aujourd'hui tout à fait justifié et nécessaire. Cela consacrera l'environnement comme une valeur reconnue et indispensable au bien-être de l'homme et contribuera aussi à la reconnaissance et à la promotion du développement durable.

Cette consécration doit aussi confirmer l'implication de l'ensemble de tous les acteurs dans le respect de l'environnement et ce, pour les générations existantes et futures.

Nous pensons donc que la démarche générale est bonne.

La deuxième remarque est que Renault ne souhaite pas s'exprimer sur un plan juridique ou même constitutionnel parce qu'il y a en ce domaine de meilleurs experts que les entreprises. En revanche, il est essentiel pour les entreprises de pouvoir travailler dans un environnement stable, lisible et compréhensible, et si la Charte peut entraîner des responsabilités pour les acteurs économiques, elle ne doit pas engendrer incertitudes et risques pour ceux qui entreprennent.

La troisième remarque est qu'il est essentiel que l'approche qui sera retenue, ne freine ni la recherche, ni l'innovation, ni la mise sur le marché des produits des entreprises qui, rappelons-le parce que c'est essentiel, évoluent dans un contexte et une concurrence internationale.

La quatrième remarque est que l'environnement est une notion complexe. Le droit de l'environnement est un droit encore relativement jeune, en constante évolution et notamment dans ses principes et leur encadrement juridique.

Il faut donc éviter de créer une situation où la définition trop précise des principes de l'environnement dans la Constitution ouvrirait la voie à des recours de constitutionnalité des lois que nos parlementaires auraient à voter.

En conséquence ce qui, de notre point de vue, est acceptable et même souhaitable, c'est la reconnaissance du droit à un environnement sain et équilibré, car c'est une notion conceptuelle de même nature que les hommes et les femmes sont égaux par exemple.

Ce qui est acceptable et même souhaitable, c'est le droit à l'éducation et à l'information en matière environnementale pour le public en général et les consommateurs en particulier.

Tout à l'heure, vous avez cité le problème de la réduction de la consommation de nos véhicules et, parallèlement, l'utilisation de plus en plus grande de 4x4 qui sont de très gros consommateurs. Sachez que nous avons maintenant une obligation d'informer le consommateur sur la consommation de nos véhicules et leurs émissions en grammes de CO² au kilomètre. Nous, constructeurs, pensons que cette information et cette obligation sont tout à fait justifiées et normales.

En revanche ce qui, pour nous, est plus préoccupant car source d'incertitude, de manque de clarté et de sécurité juridique, c'est de reprendre les principes environnementaux dans la Charte et, notamment, les principes de précaution et de prévention.

Ce n'est pas pour échapper à des responsabilités supplémentaires, mais parce que, de notre point de vue, les quatre principes ne sont pas des principes constitutionnels, mais des notions qui ne se conçoivent que déclinées dans le cadre d'une gestion ou d'une pratique de l'environnement. Ce ne sont pas des concepts, mais des choses qui emmènent la pratique.

Les inclure dans la Charte présenterait un double risque, celui d'être trop rigide et en même temps trop flou.

Le risque d'être trop rigide parce qu'il ne faut pas figer certaines notions, en particulier les principes environnementaux qui, à ce jour, ne font l'objet d'un consensus, ni dans leur définition, ni dans leur application.

Le risque serait par ailleurs grand de les figer indépendamment des évolutions communautaires ou internationales et surtout des évolutions technologiques. Je prends un exemple. Je ne sais pas ce que signifie pour un constructeur automobile le principe de précaution en ce qui concerne la mise sur le marché de véhicules qui, bien que les émissions polluantes aient largement et massivement diminué, sont encore existantes. Cela voudrait-il dire qu'il ne faudrait pas mettre ces véhicules sur le marché ?

Le risque d'être trop flou parce que l'absence de consensus technico-juridique et de données factuelles sur le contenu des principes et objectifs présents dans la Charte, conférerait au juge constitutionnel un rôle arbitraire dans la constitutionnalité des lois et serait un facteur d'insécurité juridique, notamment pour les entreprises.

En résumé, l'introduction de l'environnement dans la Constitution est une bonne démarche et dans la proposition de Charte du rapport Coppens, bien que je ne l'aie pas lue, la variante numéro 1 semble parfaitement répondre aux objectifs recherchés en évitant les risques énoncés précédemment.

Je vous remercie.

M. LE PRESIDENT - C'est mieux que l'Arlésienne car si personne ne l'a vue, vous avez cependant pu lever un coin du voile de la bourka.

Puis-je demander à Geneviève PERRIN-GAILLARD qui est en quelque sorte un témoin privilégié puisqu'elle a également suivi ces travaux, si elle a un point de commentaire sur cette première table ronde ?

Mme PERRIN-GAILLARD - Merci Monsieur le Président !

Vous me prenez un peu de court. Je suis là en qualité de parlementaire et ce, bien que j'aie travaillé avec la Commission Coppens et beaucoup appris même si, comme l'ont dit les deux premiers intervenants, tout tournait beaucoup autour de débats juridiques et scientifiques qui étaient parfois largement au-dessus de mes capacités politiques à pouvoir tout comprendre. Ceci dit, il faut toujours être humble dans notre vie.

Premier point, je ferai une réflexion en qualité de parlementaire.

Aujourd'hui, nous sommes dans une situation un peu surréaliste. Je pensais que nous aurions - et je parle bien en qualité de parlementaire, représentante au moins de mon groupe dans cette réunion - les points de discussion et qu'à partir de là, les intervenants présents pourraient nous indiquer leurs sentiments. Ceci dit, ce n'est pas le cas, c'est dommage. Je crois que cette Charte telle qu'elle sera présentée au Président de la République, au Gouvernement, puis enfin au Parlement méritera et mérite déjà qu'il y ait un grand débat autour d'elle.

J'ai deux choses à dire par rapport aux intervenants qui ont parlé.

Tout le monde a eu à un moment donné dans sa bouche, le mot recherche - et je crois que c'est important - en revanche personne n'a parlé des budgets de la recherche.

Je pense qu'on peut avoir tous les discours possibles et imaginables sur des sujets de cette nature, mais si au niveau de l'Etat en particulier et de la recherche publique, on n'a pas un budget digne de ce nom, tout ce qu'on peut dire, y compris à travers une Charte, n'aura rien de significatif.

Je voudrais que les intervenants qui en ont parlé, me disent comment ils voient demain la recherche, la recherche publique.

On a parlé d'expertise et d'évaluation, comment fait-on pour avoir en matière d'environnement, une évaluation et une expertise indépendantes ?

Aujourd'hui je crois qu'il est important de parler de ces sujets.

J'ai aussi entendu Monsieur Bernard de GOUTTES très bien parler du nucléaire civil, mais je ne l'ai jamais entendu parler des déchets radioactifs et de la manière dont on intégrait dans une entreprise comme la sienne, le coût du traitement de ces déchets. Or ils méritent quand même d'être pris en compte dans la « rentabilité économique » d'une telle entreprise.

Je crois qu'il ne faut pas occulter les débats, mais il faut que les choses soient claires et transparentes.

Enfin, j'ai entendu que le représentant de Bouygues Télécom parlait de communication et de la façon dont une entreprise comme la sienne pouvait faire du développement durable à travers une Charte. Je suis certainement d'accord. Mais je voudrais qu'à partir de l'information, de la communication et de ces grands principes d'éducation, on me parle un peu de la façon dont les intervenants voient la participation des citoyens, parce que la communication et la participation c'est autre chose. La participation et l'éducation, ce n'est pas la même chose. L'accession à une culture scientifique, digne de ce nom, qui permet de pouvoir donner au citoyen la capacité d'analyser les choses et d'avoir un comportement convenable est encore une chose différente.

J'aimerais que nous puissions aborder ces problèmes non pas de façon superficielle, mais de façon plus profonde. C'est pourquoi il est dommage que nous n'ayons pas la Charte.

Ce sont les quelques remarques que je peux faire jusqu'à présent sur le sujet.

M. LE PRESIDENT - Merci, chère collègue.

Les questions qui viennent d'être posées rejoignent quelques-unes de celles que j'avais établies dans mes petites fiches et que j'ai notées également tout à l'heure en ce qui concerne Areva et le développement durable, à savoir la manière de situer la problématique des déchets.

J'ajoute qu'en ce qui concerne l'information, l'information, la communication et la publicité sont trois choses différentes.

M. COPPENS - Je ne peux pas ne pas répliquer à l'histoire des silex, mais ce sera bref.

L'histoire est la suivante, elle est superbe.

Il y a 2 millions d'années, avec un kilo de pierres taillées, les personnes arrivaient à fabriquer 10 centimètres de tranchant. Ce n'est pas une merveilleuse rentabilité, mais ce n'est déjà pas mal.

Il y a 500 000 ans, on taille mieux, on fait de jolis bifaces symétriques et on arrive à 40 cm de tranchant au kilo de pierres taillées.

Il y a 50 000 ans, on arrive à 200 cm au lieu de 40 ou 10, au kilo de pierres taillées.

Il y a 20 000 ans, on arrive à 2 000 cm ce qui est très impressionnant.

M. LE PRESIDENT - C'est le développement de l'ère industrielle !

M. COPPENS - Précisément, lors d'une conférence où j'avais raconté cette histoire, un auditeur qui n'a pas voulu intervenir sur le moment, m'a envoyé un mot en disant que c'était épouvantable. Il avait pesé un kilo de lames de rasoir et il n'était arrivé qu'à 13 000 cm. Il était très déçu par le fait que l'exponentielle se brisait un peu avec ces lames.

M. KLAPISCH - Cette histoire est très importante parce que souvenez-vous, en 1960, le Club de Rome, et aujourd'hui un certain nombre de personnes tout à fait de bonne foi pensent qu'à propos des ressources naturelles, de l'activité humaine, l'exponentielle est une courbe qui fait peur.

Je dois dire que depuis une trentaine d'années, il y a eu des chercheurs à Vienne, à l'institut d'analyse des systèmes, qui ont montré que dans un grand nombre de cas, l'allure des croissances dans le milieu aussi bien naturel que social, avait plutôt une courbe qu'on appelle logistique, c'est-à-dire la courbe en S, qui va vers une saturation.

Si nous voulons être un peu mathématiques, au début de cette courbe, l'exponentielle et la courbe en S se confondent, on peut le démontrer mathématiquement, il faut donc se rendre compte que finalement tous les phénomènes présentent une saturation. Les premiers qui l'ont trouvé, sont les biologistes qui étudient les épidémies. Cela vient du monde vivant, mais cela s'applique aux phénomènes sociaux et même à la durée des produits ; certains produits finissent par être mâtures.

Par conséquent je pense que l'exponentielle, oui, c'est important, mais cela a une limite et il ne faut surtout pas penser qu'on va bientôt peupler tout l'univers avec nos déchets.

M. LE PRESIDENT - Merci, j'ouvre le débat pour un quart d'heure si vous avez des questions sur les premières interventions.

M. COHEN - J'aurais aimé débattre davantage sur le contenu de la Charte, mais je voudrais intervenir sur les thèmes que vous avez évoqués et, en particulier, sur l'un d'eux, souligné par Geneviève PERRIN-GAILLARD, qui me semble extrêmement important et que nous devons élargir.

En quatrième thème, vous avez parlé de la nécessité de l'enseignement. Je crois qu'il est bien sûr nécessaire que l'enseignement soit partie prenante de l'éducation aux enjeux scientifiques et à la capacité de toute personne formée pour être un citoyen à part entière d'intervenir dans les débats et les choix scientifiques.

Je pense que nous avons un large retard et même s'il faut miser sur l'éducation, il faut travailler sur la culture scientifique et technique. C'est un élargissement du rôle que devrait avoir l'éducation, mais qui est quand même mis un peu de côté et qui, pour le moment, est relativement déficient par rapport à la façon dont nous apprenons les sciences. Pour moi, il est important de réfléchir sur la culture et le rôle de chacun.

Je voudrais rebondir sur une remarque du représentant de Bouygues, Monsieur FOREST. Il a dit que la notion d'éducation concernait moins les industriels. Il est évident que si on reprend le triptyque du Président - publicité, communication et information - vous êtes bien placé pour la publicité et vous commencez à approcher un peu la communication. Il est cependant évident qu'il y a une révolution culturelle à accomplir par les industriels dans le domaine de l'information.

Pour revenir aussi à une phrase de l'intervenant d'Areva, qu'il le souhaite ou non, il est évident que la démocratie participative sera incontournable. Nous le voyons et l'avons senti à propos des risques industriels. Quand on est député de Toulouse, je peux vous garantir que, dans un grand nombre de domaines que vous connaissez bien, il n'y a pas que la démocratie représentative : la démocratie participative amènera des gens à être des citoyens à part entière, et qui joueront un rôle dans le cadre du débat sur l'environnement.

Si nous parlons d'éducation, c'est bien pour la mettre comme pièce essentielle. Il ne s'agit pas simplement de la connaissance qui est couverte par la recherche, ni de la diffusion qu'est la notion d'école, mais aussi de la notion de culture scientifique et technique.

Je répondrai à une chose, lorsque vous avez parlé de laïcité, je l'appelle service public. Je comprends le parallèle à la laïcité, cela me semble être une bonne image, mais il me semble que nous avons quelque chose qui existe faisant que s'il y a une neutralité, une possibilité de débattre sur la connaissance par la contre-expertise, il doit y avoir une notion de service public permettant de définir les informations qui sont objectives.

M. LEPEU - Je ferai une petite remarque sur l'éducation. Je crois que les entreprises sont tout à fait conscientes de leurs responsabilités dans ce domaine. Chez Renault, nous avons mis en place il y a un an et demi, un programme, Sécurité pour tous, qui était diffusé dans tous les ministères de l'éducation nationale d'Europe. C'est un kit pour que les professeurs puissent enseigner aux enfants, les problèmes liés à la sécurité routière.

Je crois qu'il faudrait également une meilleure coopération entre le privé et le public sur ces questions là pour que ces initiatives soient considérées par les ministères d'une façon positive. Nous avons souvent des difficultés parce qu'on dit que l'entreprise veut vendre sa « camelote » alors que ce sont des programmes qui sont vraiment faits pour essayer de faire progresser les choses.

La coopération entre le privé et le public sur ces phénomènes doit être accrue et peut-être comporter moins de réticences et d'a priori dans un certain nombre de cas.

Mme PERRIN-GAILLARD - J'ai oublié de poser une question. J'ai entendu Monsieur LEPEU dire tout à l'heure qu'il ne souhaitait pas que les principes environnementaux soient repris dans la Charte. Je voudrais lui demander s'il sait que ces principes sont déjà définis dans le code de l'environnement et qu'ils sont donc présents dans notre loi. Cela voudrait-il dire qu'il souhaite qu'en fin de compte, on change le code de l'environnement ?

M. LEPEU - La réponse est difficile, mais bien sûr que non !

Aujourd'hui ces principes sont des principes essentiellement d'action publique et non pas d'action privée. Le risque qui peut résulter d'une inclusion de ces principes dans la Constitution fait que, petit à petit, nous pourrions voir ces principes élargis à l'ensemble de la responsabilité privée.

Je conçois que l'Etat soit responsable d'un principe de précaution et fixe donc des normes par exemple, pour les automobiles. En revanche si aujourd'hui un constructeur automobile est poursuivi parce que mettant sur le marché un véhicule qui n'a pas d'émissions zéro et qu'il n'aura pas respecté le principe de précaution, à ce moment-là j'estime que ce serait une erreur.

M. KLAPISCH - J'aimerais brièvement rebondir à ce sujet.

J'ai bien écouté tout ce qu'ont dit les différents intervenants et je dirai que vos soucis qui apparaissent, au niveau des procédures, apparaîtront effectivement dans le projet de loi constitutionnelle.

Il faut bien comprendre que nous avons travaillé sur plusieurs hypothèses. Prenons l'exemple du principe de précaution. Il existe dans les engagements internationaux, dans la loi Barnier, etc...

Il est évident que pour l'expliciter, pour éviter un certain nombre de dérives, il faut des développements assez substantiels en particulier précisant là où ce principe s'applique, là où il ne s'applique pas, au public, au privé, les procédures à suivre, etc...

Dans un texte constitutionnel, où vous avez des phrases comme « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit... » -, vous ne pouvez pas expliciter tout ceci. Par conséquent, il faut faire très attention au poids des mots.

Je ne suis pas devenu juriste, mais j'ai écouté ce qu'ont dit les juristes du comité. Au moment du colloque dont je vous ai parlé, nous avons eu Monsieur Louis FAVOREU qui est une autorité en matière constitutionnelle et nous avons eu une consultation avec Monsieur CARCASSONNE qui en est une autre.

Les juristes nous ont expliqué que si un principe dans la loi, était une chose, un principe dans la Constitution était tout à fait autre chose ; il pouvait s'opposer à d'autres principes comme le principe de liberté, le principe d'entreprendre, etc. Pour reprendre une expression que vous lirez dans les comptes rendus du colloque, il faut prendre avec précaution le principe de précaution. Je crois qu'il faut bien distinguer entre les procédures, ce que nous devons faire en matière de responsabilité, d'information et de démocratie participative. Tout ceci se trouvera dans la Charte, mais il y a les termes et c'est là qu'il y a eu ces deux versions.

Attache-t-on une vertu quasi magique au terme de principe ou veut-on insister sur l'efficacité en se prévenant d'un certain nombre de dérives qui sont dans les règles du jeu du droit constitutionnel et même du droit tout court ?

La question que vous avez soulevée, Monsieur, est effectivement importante et a fait l'objet de débats. Est-ce que ce sera une application universelle ou une application aux autorités publiques ? Il y a eu effectivement les deux tendances et nous en avons discuté. C'est là un point tout à fait important.

Je vous signale qu'il y a tout de même des dérives en matière par exemple de santé. Nous voyons de plus en plus aux Etats-Unis - et cela vient vers la France - une « judiciarisation » si l'on peut dire. Bientôt les médecins ne voudront plus accepter de vacciner. Quand j'étais gosse, on était vacciné, point ; maintenant on se pose la question.

Vous avez donc raison de dire que si nous poussions à l'extrême - mais il faut quand même faire confiance à la sagesse du juge constitutionnel - nous dirions que comme vous avez fait une voiture qui n'a pas zéro émission, cela ne marche pas.

Effectivement il faut des normes. C'est là que nous avons eu des débats et je pense que nous avons abouti à quelque chose de raisonnable. Le dilemme porte sur les mots. Y aura-t-il les mots principes ou les mots procédures ?

M. LE PRESIDENT - Avant de donner la parole à Yves COCHET, je note que nous sommes là au noeud du problème. Est-ce que le principe défini doit être extrêmement rigide sachant qu'il s'applique à un substrat en évolution ?

En effet, Les connaissances évoluent et à un moment donné, ce que nous faisions en fonction de ces connaissances était jugé à peu près acceptable et normal et ce que nous faisons peut-être dix ou vingt ans après, nous ne le ferions plus. C'est toute la difficulté de la jauge que nous allons mettre, mais cela doit s'appliquer dans la déclinaison que nous en faisons.

Comment faire pour que dans la Constitution ou la formulation qui sera retenue dans cette Charte, nous laissions cette ouverture pour l'évolution en fonction de l'évolution même des connaissances ?

Ne pourrions-nous pas l'assimiler à ce qu'on appelle le principe Alara, c'est-à-dire « aussi bas qu'il est techniquement, raisonnablement possible », et qui s'est même transformé en « aussi bas qu'il est techniquement possible de réaliser » ce qui n'amène pas au zéro, mais qui tient bien compte de l'état des connaissances et techniques à un moment donné.

Pouvons-nous aller jusqu'à mettre dans un texte : « cf. principe Alara ». C'est une autre question.

M. COCHET - Merci Monsieur le Président, c'est juste au sujet de cette dernière polémique concernant les principes qui devraient être dans la Charte de l'Environnement. Je crois qu'ils devraient l'être, bien sûr, un certain nombre d'entre eux, notamment ceux qui sont dans la loi Barnier de 1995.

J'ai entendu une chose qui m'a choqué et je voudrais également faire une ou deux remarques.

Je ne vois pas que la loi ou la Constitution puisse s'appliquer différemment au public et au privé. Je crois qu'il y a une sorte d'orthogonalité entre le fait que l'action publique serait dictée par certains principes légaux ou constitutionnels tandis que l'action privée y échapperait.

Il faut faire très attention et s'il y a une loi comme la loi Barnier ou s'il y a des principes constitutionnels, cela s'applique à toutes les situations, même si - et vous avez cité l'exemple de l'égalité - les principes de l'égalité et de la liberté sont opposés depuis la nuit des temps.

Le fait que même dans la Constitution, il puisse y avoir des principes contradictoires, n'est pas nouveau et ce n'est pas choquant. Une bonne partie de la vie des sociétés humaines se fait sur des principes comme l'égalité d'un côté et la liberté de l'autre qui sont contradictoires entre eux, voire même pour certains qui ne s'appliquent pas instantanément au moment où ils sont institués.

En ce qui concerne le principe d'égalité comme vous le disiez, les hommes - c'était une formulation sexiste à l'époque - naissent et demeurent libres et égaux en droit, l'abolition de l'esclavage a demandé au moins soixante ans en France après cette déclaration. Quant au vote des femmes, c'est plus d'un siècle et demi. Et nous ne sommes d'ailleurs pas encore à l'égalité.

Je crois que dire que si jamais nous mettons un principe tel que le principe de précaution, avec une formulation qu'il s'agirait de définir - tout est en effet dans la formulation et les mots - dans la Constitution, cela fera du contentieux et des recours partout, je ne le crois pas. Cela n'en fera pas plus que pour les principes Liberté, égalité, fraternité à la fois auto-contradictoires d'un point de vue historique et contradictoires mutuellement dans leurs tensions réciproques.

En outre le principe de précaution s'applique, non pas à toutes les petites pollutions quotidiennes, mais à ce qui est grave ou irréversible. Et je pense qu'il faut réserver l'application de ce principe à quelque chose qui peut remettre en cause une partie d'un écosystème, sinon une partie de la biosphère.

Dans ce cas, grave ou irréversible, sont des mots qui, eux-mêmes, sont graves. Nous ne pouvons donc pas l'appliquer ponctuellement ou localement à quelque chose qui serait peut-être ennuyeux pour les personnes qui le subissent, mais qui ne serait pas grave ou irréversible à l'échelon d'un écosystème assez vaste ou à celui de la biosphère.

Je crois donc que de la part de nous-mêmes et de nos concitoyens en général, il y a une minimisation de l'ampleur de la crise écologique mondiale.

J'ai pu voir les premières formulations de la Charte de l'Environnement, même si de manière stupéfiante nous n'avons pas encore de document aujourd'hui ; certains ont filtré. Avec Geneviève PERRIN-GAILLARD, nous avons participé à certaines réunions plutôt privées où nous avions ces documents, lesquels comportaient des crochets, plusieurs formulations. Je pense que le fait qu'il y ait ces principes est une bonne chose. J'y suis favorable à condition, encore une fois, que lorsque cela s'applique au niveau constitutionnel, ce soit pour des choses qui remettent en cause un aspect fondamental de notre vie biophysique.

En ce sens, la critique que je ferai au premier brouillon de la Charte de l'Environnement - nous ne l'avons pas aujourd'hui et je le regrette - n'est pas qu'il y ait les principes ou non, mais le fait qu'elle soit encore dictée par une vision utilitariste ou productiviste du monde.

Nous essayons de calculer, de mélanger des principes environnementaux - le principe de précaution, de responsabilité, etc. - avec des principes de calcul coûts-bénéfices. Or au niveau de la Constitution, c'est tout à fait choquant d'un point de vue moral et nous y reviendrons éventuellement.

M. KLAPISCH - Je voudrais d'abord revenir sur ce que disait Monsieur BIRRAUX. Nous avons une contradiction, dès le départ, entre une réalité qui évolue, pas seulement par les connaissances scientifiques, mais aussi par la perception sociale que nous avons de l'environnement, et une Constitution qui doit être pérenne.

Un exemple. A l'heure actuelle, la loi Barnier qui date de 1995, est obsolète dans certains aspects. Dans la loi Barnier, on ne parle pas des dommages globaux, c'est-à-dire du changement climatique, tout simplement parce que si certains, les scientifiques, en avaient conscience, ce n'était pas aussi universellement accepté qu'aujourd'hui.

Ensuite en ce qui concerne la question de la Constitution, j'ai déjà exprimé qu'il y avait des problèmes juridiques dans le fait de la concision nécessaire.

Au sujet de la proportionnalité, je vous ferai remarquer, Monsieur COCHET, que déjà dans les engagements internationaux de la France comme la loi Barnier, il y a l'idée d'un coût économiquement raisonnable. Cela a déjà été voté.

Si je me réfère maintenant à la question très importante, selon moi, de l'opposabilité aux autorités publiques ou au privé, vous avez une composante essentielle dans le rapport KOURILSKY - VINEY disant que le principe de précaution correctement interprété est un principe d'action et, qu'en conséquence, il faut faire des recherches.

Seule la puissance publique est en mesure de diligenter les recherches qui permettront de lever les incertitudes. Vous ne pourrez pas avoir une petite start-Up qui soit au courant et qui puisse donc être tenue pour responsable des conséquences de tel ou tel produit.

Vous ne pourrez pas avoir le maire de Saint-Cyr-l'Ecole, à qui ses électeurs demanderont au nom du principe de précaution de s'opposer à des antennes. Il ne peut pas, lui, diligenter les recherches et doit donc se fier à ce qui peut être uniquement le privilège de la puissance publique, soit de faire des recherches sur le plan national, soit comme l'Organisation Mondiale de la Santé est en train de le faire, d'attendre qu'il y ait vraiment une loi, une norme lui indiquant quel doit être son comportement.

Il faut faire très attention à ce que des impératifs respectables, mais je dirai moraux, ne se traduisent pas par des obligations qui soient difficiles à vivre sur le terrain, aussi bien pour les entreprises, pour les personnes privées que pour certains échelons de la puissance publique.

Page mise à jour le

Partager cette page