II. LES POLITIQUES PUBLIQUES SUSCEPTIBLES DE SOUTENIR L'ACTIONNARIAT DES MÉNAGES

Du point de vue de la stricte rationalité économique, les ménages auraient intérêt, comme on l'a vu, à placer une partie de leur épargne en actions. L'absence, ou la faiblesse, de la culture actionnariale des Français semble toutefois s'y opposer. Face à cet état de fait, une politique d'encouragement est requise de la part des pouvoirs publics. L'Etat peut encourager la détention d'actions en mobilisant l'outil fiscal. Il peut accroître l'offre d'actions par les privatisations, et favoriser l'actionnariat populaire par des opérations de communication ambitieuses. Il peut développer l'actionnariat salarié, en utilisant les différents dispositifs d'épargne en entreprise prévus dans notre législation. Il lui est loisible, enfin, de tenter de rapprocher les ménages de l'univers du capital-risque.

A. POUR UNE FISCALITÉ QUI ENCOURAGE LA PRISE DE RISQUE

L'imposition de l'épargne a été, globalement, allégée dans notre pays, à la fin des années 1980, dans la perspective de l'instauration de la libre circulation des capitaux en Europe. Il s'agissait de se prémunir contre une éventuelle fuite de capitaux, motivée par des écarts de fiscalité. Dans les années 1990, un mouvement en sens inverse s'est produit, avec la création, et plusieurs augmentations, de la Contribution Sociale Généralisée (CSG), et de la Contribution au Remboursement de la Dette Sociale (CRDS).

La politique d'allégement de l'imposition du capital à la fin des années 1980 a, trop souvent, pris la forme d'une addition de mesures disparates, qui ont rendu cette partie de notre système fiscal très complexe et difficilement lisible. Le régime de droit commun, en matière d'imposition des revenus tirés des actions, repose sur deux piliers - imposition des dividendes, et imposition des plus-values - mais est complété par de nombreux régimes dérogatoires, ce qui rend bien difficile l'appréciation du niveau de taxation réellement supporté par les agents.

1. Les revenus perçus au titre des placements en actions semblent plus fortement taxés que d'autres sources de revenu moins risquées

Il est certainement utile de rappeler, à ce stade, les grandes lignes du régime d'imposition des revenus tirés des actions, avant de se livrer à une comparaison des taux d'imposition pesant sur les différents placements pouvant composer l'épargne financière des ménages. Il ressort de cette comparaison que les dividendes et les plus-values réalisées sur des placements à long terme sont plus fortement taxés que les revenus tirés d'autres placements moins risqués.

a) L'imposition des dividendes

L'originalité de l'imposition des dividendes réside dans l'existence d'un mécanisme d'avoir fiscal. Les dividendes constituent un revenu mobilier, intégré au revenu imposable au titre de l'impôt sur le revenu. Pour éviter que les mêmes revenus ne soient taxés deux fois, une première fois au titre de l'impôt sur les sociétés, une seconde fois au titre de l'impôt sur le revenu, le versement du dividende s'accompagne de la remise d'un avoir fiscal à l'actionnaire.

L'avoir fiscal est une créance fiscale représentative du montant de l'impôt sur les sociétés supporté par les dividendes perçus. Il est égal à la moitié des dividendes nets perçus par les actionnaires. Il vient minorer l'impôt sur le revenu dû par le contribuable. Si le montant de l'avoir fiscal excède l'impôt dû par le redevable, le Trésor lui rembourse la différence.

Les petits épargnants bénéficient par ailleurs d'un abattement de 1 220 euros (2 440 euros pour les couples). Cet abattement a toutefois été récemment supprimé pour les foyers fiscaux imposés au taux marginal supérieur.

b) L'imposition des plus-values

Les plus-values de cession de valeurs mobilières et de droits sociaux réalisées par des particuliers relèvent d'un régime spécial de taxation à taux unique.

L'article 150-0A du Code Général des Impôts taxe au taux de 16 % (porté en fait à 26 % compte tenu de la CSG et de la CRDS) le profit réalisé en cas de cession de droits sociaux ou de valeurs mobilières, ainsi qu'en cas de cession de droits portant sur ces valeurs ou droits ou de titres représentatifs de ces valeurs ou droits (c'est-à-dire titres de SICAV ou de fonds commun de placement). Ne sont taxables que les plus-values résultant de cessions à titres onéreux, à l'exclusion donc des successions et donations.

Les plus-values ne sont imposables que si le montant annuel des cessions excède 7 650 euros.

Les moins-values éventuellement réalisées sur certaines ventes sont imputables sur les plus-values réalisées, la même année, sur des cessions de titres de même nature. Si ce n'est pas suffisant, elles pourront s'imputer encore sur les plus-values de même nature réalisées au cours des cinq années suivantes.

c) Comparaison de la fiscalité des produits d'épargne

Au-delà de ce bref rappel des principales règles fiscales en vigueur, il importe de s'interroger sur la hiérarchie des taux de prélèvement assis sur les différents produits d'épargne. Une étude réalisée par l'Observatoire de l'Epargne Européenne fournit, à cet égard, des indications utiles, tant pour la France que pour les autres pays développés 22 ( * ) . Les données chiffrées présentées dans cette étude résultent de traitements statistiques complexes, et doivent donc être interprétées avec précaution, dans les limites de la méthodologie appliquée dans cette étude.

Comme les produits d'épargne proposés dans les différents pays sont très variés, l'étude se fonde sur une typologie des produits d'épargne standardisée, comprenant sept classes d'actifs : revenus tirés de l'épargne liquide (comptes courants rémunérés et à terme) ; revenus des obligations ; dividendes, plus-values à court terme ; plus-values à long terme ; produits d'assurance-vie ; épargne retraite facultative.

La charge fiscale peut varier, dans chaque pays, en fonction des caractéristiques de l'individu ou du ménage, et de la structure de son épargne financière. On est donc amené à s'intéresser au taux marginal de prélèvement pour un ménage de revenu moyen dans chaque pays. On neutralise les différences de rendement entre les produits d'épargne, en faisant l'hypothèse d'un taux de rendement uniforme de 5 % pour tous les produits d'épargne. De manière également conventionnelle, on suppose que le taux d'inflation est de 2 % dans tous les pays étudiés.

L'étude ne porte que sur la fiscalité des résidents. Les taxes locales sont incluses, ainsi que les contributions sociales, qui sont particulièrement importantes dans notre pays. En revanche, les produits particuliers qui font l'objet de dérogations aux règles générales de chaque pays, tels que en France les PEA, ou les contrats majoritairement investis en actions, ne sont pas pris en compte.

Lorsque les revenus d'un produit d'épargne s'étalent sur plusieurs années, ou que la fiscalité est différée dans le temps, le taux de prélèvement a été actualisé, et ramené sur une base annuelle.

Le tableau suivant synthétise les principaux résultats de l'étude. Les pays européens sont classés par ordre décroissant de charge fiscale, et il en est de même pour les produits d'épargne.

Taux marginaux effectifs de prélèvements (en %)*

Pays/produit

Dividendes

Plus-values à court terme

Liquidités

Obligations

Plus-values à long terme

Assurance-vie

Fonds de pension et autres compléments de retraite

Suède

114

102

97

102

102

18

- 113

Danemark

42

98

71

71

42

12

13

Allemagne

89

68

61

68

9

- 36

11

Pays-Bas

69

48

48

50

0

- 21

3

Belgique

54

68

38

38

13

- 30

- 21

Espagne

49

38

40

38

29

2

- 53

Royaume-Uni

48

32

33

33

32

4

- 44

Luxembourg

49

65

65

33

2

6

- 88

France

61

43

42

42

43

2

- 136

Italie

28

21

45

21

21

6

- 74

Portugal

36

16

33

33

0

- 145

- 147

Pays européens

58

54

52

48

26

- 17

- 59

Etats-Unis

76

21

29

17

21

5

5

* Pour un ménage de revenu moyen de chaque pays
Source : Th. Laurent et Y. L'Horty, Observatoire de l'Epargne européenne (2001)

On peut tirer quelques enseignements de ces résultats chiffrés.

En premier lieu, on observe que les dividendes font l'objet, dans la plupart des pays, dont la France, de la taxation la plus lourde . Il existe, en revanche, de larges divergences dans la taxation des plus-values de long terme.

Beaucoup de pays taxent moins fortement les plus-values de long terme que les plus-values de court terme, ce qui peut être une manière d'encourager l'épargne longue. Mais on n'observe rien de tel en France : le niveau d'imposition est le même quel que soit l'horizon de placement.

De manière générale, les produits les plus liquides sont souvent les plus taxés. A l'inverse, beaucoup de placements longs font l'objet d'une prime fiscale, qui accroît le rendement réel du placement, et se traduit par un taux marginal de prélèvement négatif (retraites complémentaires facultatives et assurance-vie dans la plupart des pays européens).

La comparaison des taux d'imposition européens et américains montre que la fiscalité sur les plus-values est plus favorable aux Etats-Unis que dans la plupart des pays européens, mais que la taxation des dividendes y est plus lourde . Les pays du Nord de l'Europe, dont l'Allemagne, tendent à taxer plus lourdement les revenus de l'épargne que les pays d'Europe du Sud. On observe en Suède un taux de prélèvement sur les dividendes supérieur à 100% (114%). Ce résultat s'explique par la combinaison d'une lourde taxation nationale, et d'une taxation locale élevée. Les deux taux s'appliquent sur la même base, et excèdent, additionnés, les 100%. Le même phénomène explique que la taxation des plus-values à court-terme soit également supérieure à 100% dans ce pays.

L'intégration des dividendes dans le revenu imposable au titre de l'impôt sur le revenu emporte, en France, une progressivité dans l'imposition des dividendes, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays (l'imposition ne varie pas avec le revenu, par exemple, en Belgique, en Italie et en Suède, voir graphique infra ).

Exemple de la taxation des dividendes

Lecture : m1 : ménage dont le revenu est égal au revenu moyen.

m2 : ménage dont le revenu est le double du revenu moyen

m3 : ménage dont le revenu est égal à quatre fois le revenu moyen.

Source : rapport Garnier, Annexe 6.

La taxation des plus-values est indépendante du revenu du ménage dans notre pays . Ce n'est pas le cas dans tous les pays européens, comme le montre l'exemple de l'Allemagne ou de l'Espagne.

Taxation des plus-values à court terme

Lecture : idem

Source : rapport Garnier, Annexe 6.

2. Ce tableau général doit être nuancé par la prise en compte de nombreux régimes dérogatoires

La création de l'avoir fiscal est une première mesure de nature à encourager l'épargne en actions, puisqu'elle allège l'impôt dû au titre des dividendes. Outre cette mesure de portée générale, de nombreux dispositifs dérogatoires ont été institués, poursuivant deux objectifs principaux : favoriser l'actionnariat populaire, et orienter l'épargne vers les fonds propres des entreprises. La sédimentation de ces mesures rend notre système fiscal fort complexe, même si certains instruments assez simples (PEA) sont très utilisés.

Certains régimes ont été créés exclusivement pour orienter l'épargne des ménages vers les actions : c'est le cas du plan d'épargne en actions, créé en 1992. D'autres régimes dérogatoires peuvent avoir pour effet d'orienter l'épargne vers les placements en actions.

a) Le plan d'épargne en actions

Créé par la loi n° 92-666 du 16 juillet 1992 pour inciter les ménages à investir durablement dans les actions françaises par le biais d'un dispositif fiscal attractif, le plan d'épargne en actions permet de gérer un portefeuille d'actions françaises et européennes, dans la limite de 732 000 euros, en franchise totale d'impôt, dès lors qu'aucun retrait n'est effectué avant cinq ans. Entre cinq et huit ans, tout retrait entraîne la clôture du plan mais l'exonération des plus-values et des dividendes, comme les avoirs fiscaux, sont définitivement acquis. Seuls sont alors applicables les prélèvements sociaux (CSG et CRDS, soit un taux de 10 %) sur les gains réalisés. Au-delà de huit ans, les retraits partiels n'entraînent pas la clôture du plan, mais aucun versement n'est plus possible après le premier retrait.

Les sommes versées dans les plans d'épargne en actions doivent être investies en « valeurs éligibles au PEA » 23 ( * ) , c'est-à-dire, soit :

- en actions ;

- en parts de sociétés à responsabilité limitée ;

- en droits ou bons de souscription ou d'attribution attachés à ces actions et parts de société ;

- en actions de sociétés d'investissement à capital variable (SICAV), qui emploient plus de 75 % de leurs actifs en titres et droits mentionnés ci-dessus ;

- en parts de fonds communs de placement qui emploient plus de 75 % de leurs actifs en titres et droits mentionnés ci-dessus.

Le PEA constitue aujourd'hui un produit d'épargne très répandu. On compte quelque 7,3 millions de PEA fin 2002 ; 16 % des Français âgés de 15 ans et plus en sont titulaires. Le montant global de leurs avoirs représente une somme de 73 milliards d'euros (chiffre de juin 2002). Les parts d'OPCVM représentent près des deux tiers des titres détenus via les PEA, les actions détenues en direct seulement 34 %.

b) L'assurance-vie

Les contrats d'assurance-vie ont longtemps bénéficié d'un régime fiscal très favorable, mais ses avantages ont été progressivement réduits dans la deuxième moitié des années 1999.

Jusqu'en 1995, le contrat d'assurance-vie cumulait une exonération totale des revenus perçus, sous réserve d'une détention pendant huit ans, une exonération des droits de succession en cas de décès de l'assuré, et une réduction d'impôt égale à 25 % des primes versées, dans la limite de 4 000 F (615 euros). Les lois de finances de 1996 à 1998 ont supprimé la réduction d'impôt de 25 %, et assujetti les revenus perçus à la CSG et à la CRDS, et à un prélèvement forfaitaire de 7,5 % au-delà de 4 600 euros de revenus.

Surtout, le législateur, constatant que les produits d'assurance-vie étaient massivement investis en obligations, a souhaité les orienter plus fermement vers les actions. D'où la création, en 1998, des contrats majoritairement investis en actions, dits communément « contrats DSK », du nom du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie à l'origine de cette mesure. Ces contrats sont obligatoirement composés d'une ou plusieurs unités de compte, c'est-à-dire de parts d'un OPCVM dont l'actif est constitué pour 50 % au moins d'actions ou titres assimilés, dont 5 % de titres à risque. Lorsque leur durée est d'au moins huit ans, les produits de ces contrats sont totalement exonérés d'impôt sur le revenu. Ils n'échappent cependant pas aux prélèvements sociaux, CSG et CRDS. L'encours de ces contrats reste très modeste par rapport à l'encours total de l'assurance-vie (10,5 milliards d'euros fin 2002, contre 730 milliards d'euros).

c) Autres régimes dérogatoires

Certains régimes très spécifiques, à vocation géographique ou sectorielle, peuvent avoir pour effet d'inciter à l'acquisition d'actions ou de parts sociales dans certains types de sociétés : c'est le cas du régime d'incitation à l'investissement dans les DOM-TOM, des mesures encourageant l'achat de parts de navire, ou du dispositif de financement du cinéma.

D'autres régimes s'inscrivent dans le cadre de politiques plus générales d'encouragement de l'épargne salariale et de l'actionnariat salarié, ou de soutien au capital-risque. Pour cette raison, ces régimes fiscaux seront présentés dans le cadre de l'exposé d'ensemble de ces politiques.

*

* *

L'examen des règles fiscales touchant, directement ou indirectement, aux actions conduit votre rapporteur à formuler quelques observations et recommandations.

On peut déplorer, tout d'abord, le manque d'évaluation des effets de ces dispositifs fiscaux. Les données nécessaires à l'évaluation sont souvent parcellaires. Ainsi, l'étude de l'OEE, dont les principaux résultats ont été présentés dans cette section, propose une intéressante comparaison des taux de taxation appliqués à différents produits d'épargne, en France et à l'étranger, mais elle ne tient pas compte des nombreux régimes dérogatoires existant dans notre pays, ce qui fausse les résultats obtenus. L'imposition réellement supportée par les ménages au titre des dividendes est certainement moins forte que ce qui est suggéré dans cette étude, ne serait-ce qu'en raison du degré de diffusion du PEA. Au-delà, ces recherches statistiques devraient être complétées par une véritable évaluation de notre système fiscal.

L'évaluation des politiques publiques s'intéresse, en France, trop souvent à des sujets, dignes d'attention, mais secondaires. Il convient, en revanche, de souligner qu'aucune évaluation systématique de notre politique fiscale n'a jamais été entreprise. Il convient d'y remédier au plus vite et votre rapporteur considère que l'évaluation des impacts réels de la fiscalité des actions sur la dynamique de l'économie pourrait constituer un premier volet de cet indispensable effort.

Pour s'en tenir à l'analyse du régime fiscal de droit commun, il apparaît que la hiérarchie des taux d'imposition est peu satisfaisante , dans la mesure où elle encourage plutôt l'épargne liquide et les obligations , et non une épargne longue placée en actions. Il faut reconsidérer non seulement la taxation des revenus perçus au titre des placements en actions, mais aussi, et cela excède le cadre de ce rapport, la taxation de tous les autres produits d'épargne, afin de procéder à une mise en cohérence d'ensemble. Il importe de rendre plus lisible la fiscalité de l'épargne, et d'adresser aux ménages un signal clair, à savoir un encouragement de l'Etat à l'investissement dans les entreprises. Les placements risqués doivent bénéficier d'un traitement de faveur par rapport aux placements sans risque 24 ( * ) . Une incitation fiscale est certainement de nature à décider certains ménages, réticents en raison de la réputation de « placement à risque » des actions, à investir, malgré tout, une partie de leur épargne en actions.

Outre les incitations fiscales, l'Etat peut influencer la détention d'actions par les ménages en jouant sur l'offre d'actions, par le biais des nationalisations et des privatisations. Dès 1986, les privatisations ont été conçues comme un outil permettant d'étendre l'actionnariat populaire, et de diffuser l'actionnariat salarié.

* 22 « Taxation of Savings Products : an International Comparison », Th. Laurent et Y. L'Horty pour l'Observatoire de l'Epargne Européenne, juin 2001.

* 23 Les émetteurs de titres doivent avoir leur siège en France, ou dans un autre Etat membre de la Communauté européenne.

* 24 L'étude du BIPE relative aux comportements financiers des ménages résidant en France dresse, dans sa deuxième partie, la liste des « placements ne comportant pas de risque du point de vue de l'épargnant » et la liste des «  placements comportant une part de risque du point de vue de l'épargnant ».

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