III. LA RÉGULATION DES « FONDS DE PENSION A LA FRANÇAISE » DOIT SÉCURISER LES ÉPARGNANTS ET LES ENTREPRISES

Le développement de l'épargne retraite en France aura pour conséquence une nouvelle croissance des marchés financiers. Or ceux-ci sont très volatils et peuvent, de ce fait, être déstabilisateurs pour les entreprises - l'affaire Alcatel l'a montré en 1998 - ou pour les ménages, qui peuvent voir la valeur du patrimoine dont ils escomptaient profiter diminuer brutalement. Réduire cette instabilité implique de limiter la prise de risque des investisseurs au prix d'une réduction des rendements qu'ils sont susceptibles d'anticiper. A la demande de votre rapporteur, le Bureau d'informations et de prévisions économiques a réfléchi aux mesures de régulation qu'il serait possible de mettre en oeuvre. Ce chapitre s'inspire pour partie de ces propositions.

A. LES RISQUES ASSOCIÉS AU DÉVELOPPEMENT DES FONDS DE PENSION

Les risques associés au développement des fonds de pension ne sont pas les mêmes, selon que l'on se situe du côté des entreprises, qui comptent des fonds de pension parmi leurs actionnaires, ou des ménages qui confient une partie de leur épargne à ces fonds

1. Du côté des entreprises : le risque du « court termisme »

Les investisseurs institutionnels ont généralement des horizons de placement de court terme. Le temps moyen de détention d'un actif par les investisseurs institutionnels, qui était de 7 ans dans les années 1960, n'est plus que de 2 ans aujourd'hui. La pression concurrentielle amène les gestionnaires de portefeuille à vendre très rapidement les actifs qui n'offrent pas, pendant un an ou deux, le rendement escompté. Cette pression peut avoir des conséquences négatives sur la gestion des entreprises, dans la mesure où elle peut gêner la mise en oeuvre d'investissements stratégiques, qui n'offriront un retour sur investissement qu'à long terme. Elle conduit à subordonner l'ensemble des décisions de gestion à un objectif de rentabilité financière. Décisions de gestion qui peuvent devenir surprenantes, lorsque des entreprises s'endettent pour racheter leurs propres actions, et soutenir ainsi leur cours... La fragilité financière qui en résulte se révèle dès la phase suivante de ralentissement économique.

A première vue, le développement des fonds de pension devrait amener les investisseurs institutionnels français à avoir, en moyenne, des horizons de placement plus longs : les fonds de pension investissent pour financer la retraite de leurs adhérents, c'est-à-dire avec une perspective de long terme. Cette analyse rassurante doit cependant être fortement nuancée. Aux Etats-Unis, en effet, la plupart des fonds de pension confient la gestion de leur épargne à des fonds de second rang, dont ils évaluent la performance sur des bases temporelles courtes, réintroduisant ainsi des comportements « court termistes » dans la gestion. La gestion de 80 % des avoirs des fonds de pension américain est ainsi externalisée. Il importe donc, pour allonger les horizons de placement des fonds de pension, d'intervenir sur ce mode de gestion déléguée.

2. Du côté des épargnants : le risque de perte de son capital

Dans un système de retraite par répartition, le risque de voir le financement des pensions être interrompu est minime, puisqu'elles sont financées par les cotisations des actifs. Le risque est plus grand lorsque le versement de la pension dépend d'un mécanisme d'épargne retraite individualisée. Le capital accumulé en actions, en particulier, peut voir sa valeur fortement diminuer (baisse des cours), voire disparaître (faillite de l'entreprise émettrice).

Là encore, une référence à l'exemple américain permet de mieux cerner les risques. Ceux-ci ne sont pas les mêmes selon que l'on considère les plans de retraite à cotisations définies ou à prestations définies.

La politique de placement des plans à cotisations définies aux Etats-Unis se caractérise par la part considérable des investissements en actions, qui représentent les trois quarts des actifs détenus. Une telle prédilection pour les actions traduit une faible aversion au risque de la part des gestionnaires de ces fonds, et peut-être aussi de la part des ménages américains. Mais elle peut également traduire une sorte d'aveuglement face à la progression, apparemment sans limite, des cours boursiers à la fin des années 1990.

Les risques sont encore accrus lorsqu'une forte proportion de l'épargne est placée en titres de l'employeur (actionnariat salarié).

Ainsi, les 12 000 salariés d'Enron participant au plan de retraite de leur entreprise ont perdu une bonne partie de leurs économies suite à la faillite de la compagnie. Plus de 57 % des actifs détenus par le fonds de retraite étaient investis en actions maison. De manière générale, outre-Atlantique, 19 % des actifs des plans d'entreprises à contributions définies (401 k) sont investis en actions émises par l'employeur. Cette proportion est beaucoup plus importante chez certains grands groupes : 94 % chez Procter & Gamble, 85 % chez Pfizer, 81 % chez Coca-Cola, pour retenir quelques exemples.

Les fonds de pension à prestations définies se sont aussi révélés vulnérables à la chute des cours boursiers. Lors de la phase de hausse spectaculaire des cours, jusqu'en mars 2000, les fonds à prestations définies ont vu les flux nouveaux capitalisés se tarir face à la hausse automatique des encours d'actifs due aux revalorisations significatives des actifs déjà détenus. On parlait à l'époque de sur-capitalisation des fonds, qui justifiait une diminution des flux nouveaux capitalisés. Avec la baisse des cours intervenue depuis lors, des sous-capitalisations importantes sont apparues. Les entreprises doivent aujourd'hui provisionner pour recapitaliser leurs fonds de pension, après des années de faibles flux de placements nouveaux. Ces provisions pèsent sur leurs résultats économiques et donc sur leurs capacités de financement de l'investissement. Les entreprises américaines ont cependant pu assumer jusqu'à présent cet effort de recapitalisation, de sorte que les salariés n'ont pas été affectés directement par ces événements.

La compréhension de ces risques conduit à formuler des recommandations afin de tenter de les réduire.

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