2. Une coupable discrétion de la tutelle

a) Une absence de directives...

• Comme le relevait le rapport particulier consacré par la Cour des Comptes en février 1997 aux musées nationaux et aux collections nationales d'oeuvres d'art, « considérant que la fixation des règles de gestion des collections est une mesure technique qui fait partie intégrante de la formation des conservateurs et doit donc relever de leur responsabilité, la direction des musées de France n'a pas édicté dans ce domaine des règles s'imposant aux musées nationaux ».

En effet, le seul document énonçant les principes qui doivent présider à l'établissement des inventaires remonte à 1957 et ne concerne pas les musées nationaux.

Ce document ne constitue pas à proprement parler un document administratif mais plutôt un ensemble de préconisations baptisées, pour des raisons de commodité, « circulaire ».

Ces préconisations qui ont posé notamment le principe de l'inventaire en dix-huit colonnes, ont été formulées par un conservateur, George-Henri Rivière, à l'attention des conservateurs des musées classés et contrôlés. Sur bien des points, elles se révèlent adaptées et sont d'ailleurs encore diffusées par la direction des musées de France aux conservateurs de musées territoriaux qui souhaitent établir un inventaire ou bien revoir les document existants.

• En ce qui concerne le récolement, la discrétion de la tutelle a été encore plus grande ; en effet, aucune préconisation quant à son organisation tant dans les musées nationaux que dans les musées territoriaux n'a été élaborée par les services compétents du ministère.

Cela s'explique en grande partie par la conception du récolement qui a prévalu parmi les conservateurs jusqu'à une date récente. En effet, il était traditionnellement considéré que le récolement exhaustif des collections d'un musée devait être entrepris soit pour en vérifier la consistance à l'occasion d'un événement particulier (opérations d'évacuation lors de la Seconde guerre mondiale, sinistre, déménagement...) ou pour répondre aux besoins spécifiques liés à un chantier de rénovation.

Cette conception qui fait du récolement une opération exceptionnelle explique pour une large part les difficultés rencontrées par la commission chargée du récolement des dépôts d'oeuvres d'art, mise en place en 1996, comme les lacunes qu'elle a été amenée à constater dans la gestion des collections.

b) ... à laquelle devraient remédier les mesures d'application de la loi du 4 janvier 2002

Si la direction des musées de France était depuis longtemps consciente de la nécessité de créer un corpus de règles en matière d'inventaire et de récolement communes à l'ensemble des musées, quelle que soit l'autorité ministérielle dont ils relèvent, c'est la loi du 4 janvier 2002 qui a permis de remédier aux lacunes constatées dans l'exercice de ses pouvoirs de tutelle.

Le décret n° 2002-852 du 2 mai 2002 pris pour l'application de la loi a précisé les principes généraux régissant l'inventaire des biens des collections des musées de France.

Ses principales dispositions concernent :

- l'obligation d'établir un inventaire régulièrement tenu à jour sous la responsabilité des professionnels responsables des activités scientifiques des musées de France (article 1 er ) ;

- les modalités permettant de garantir l'authenticité de l'inventaire (article 2) ;

- les conditions d'inscription des biens sur l'inventaire (article 3). Est notamment précisé que le numéro d'inventaire est identifiable sur le bien, mesure qui semble relever du bon sens mais qui, dans les faits, n'est pas toujours respectée en raison de l'absence de fiabilité des techniques de marquage ;

- la procédure et les motifs de radiation de l'inventaire (article 4) ;

- la possibilité permanente pour le propriétaire des collections de procéder au récolement des dépôts (article 7).

On soulignera que l'article 6 de ce décret prévoit qu'en cas de vol, la personne morale propriétaire des collections porte plainte. Cette précision, qui peut surprendre, semble inspirée par les négligences constatées dans la pratique en ce domaine. Par ailleurs, le décret dispose (article 5) que les ministres chargés de la culture et de la recherche fixent par arrêté les normes techniques relatives à la tenue de l'inventaire et du registre des dépôts, ainsi que les principes généraux de numérotation, d'identification, de marquage et de récolement des biens des musées de France.

Le travail de concertation interministérielle nécessaire à l'élaboration de ces normes, qui doivent faire l'objet d'un arrêté, a été engagé. Les obstacles rencontrés tiennent, semble-t-il, essentiellement aux différences de nature qui peuvent exister entre les collections, par exemple entre celles de beaux-arts et celles à vocation scientifique ou ethnologique, ces différences étant à l'origine de pratiques souvent divergentes.

D'après les informations communiquées à la mission, il semblerait que ces divergences puissent être surmontées. En effet, un courrier en date du 30 avril dernier du ministre de la recherche au ministère de la culture indique que le projet d'arrêté « est de portée suffisamment générale pour s'appliquer à toutes les catégories de musées ».

Tout en déplorant les délais nécessaires à l'élaboration de ce texte, la mission se félicitera du travail d'harmonisation sur lequel a débouché la loi du 4 janvier 2002. Il s'agissait là, à l'évidence, d'une nécessité afin de remédier au relatif désordre qui prévalait dans les méthodes d'inventaire mises en oeuvre par les musées.

• Au-delà de la question de l'inventaire et du récolement abordée par la loi du 4 janvier 2002, il semble que la « modestie » de la direction des musées de France ait également prévalu en matière d'informatisation des collections.

Si, dès les années 80, l'outil informatique a été utilisé dans les musées pour effectuer l'inventaire, et plus largement la gestion et la documentation des collections, cette direction n'a joué aucun rôle moteur, son action en ce domaine se limitant à l'établissement, pour certaines disciplines, d'une terminologie commune pour la description informatique des oeuvres.

Chaque responsable de collection a donc été libre d'acquérir, parmi les différents logiciels spécifiquement développés sur le marché, l'outil qui lui convenait le mieux. A l'évidence, cette situation a généré un certain désordre, les conservateurs étant contraints dans bien des cas de faire avec les « moyens du bord » ou, au mieux, de s'organiser entre eux pour mettre au point des systèmes communs à plusieurs institutions. Cette doctrine, ou plus exactement cette absence de doctrine, surprend alors qu'il aurait été logique que la direction des musées de France s'attache non pas seulement à garantir l'homogénéisation des méthodes et des logiciels, mais veille également à assurer la compatibilité des différents systèmes mis en oeuvre -notamment dans la perspective de l'élaboration de bases documentaires nationales.

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