3. Le défi de l'adhésion à l'OMC
L'Iran
est aujourd'hui candidat pour adhérer à l'Organisation mondiale
du commerce (OMC).
En effet, pour créer les emplois dont il a besoin, l'Iran doit pouvoir
développer une industrie nationale capable d'exporter à
égalité avec ses concurrents. Cette compétitivité
passe cependant par des transferts de technologies. L'un des moyens de les
obtenir à des coûts acceptables pour l'Iran est d'entrer dans
l'Organisation mondiale du commerce.
Toutefois, sur le plan des relations économiques internationales, l'Iran
pâtit de son isolement diplomatique et sa demande d'adhésion
à l'OMC est systématiquement bloquée par les Etats-Unis.
Aucun groupe de travail n'a, à l'heure actuelle, encore
été constitué pour examiner sa candidature.
Il ne faut, toutefois, pas négliger le fait que les obstacles
économiques structurels précédemment évoqués
et la subvention de produits alimentaires de base -à titre d'exemple, le
pain n'a pas de valeur de référence- risquent d'imposer à
l'Iran une période de transition forte avant une éventuelle
intégration effective à l'OMC lorsque l'adhésion
demandée sera obtenue, même si la solidité
financière de son économie est établie.
CONCLUSION
L'Iran
doit sans doute encore parcourir un long chemin pour s'intégrer
pleinement dans l'économie mondiale tant cette intégration
dépend aussi de facteurs politiques. Pour beaucoup de membres de la
communauté internationale, des progrès importants restent
à réaliser, notamment du point de vue du respect des droits de
l'homme ou de l'élargissement du jeu et des droits politiques.
Son modèle de développement économique est
également très particulier. Cependant, ce pays manifeste
aujourd'hui une ferme volonté d'ouverture extérieure et il a
vocation à jouer un rôle régional important. Dans cette
perspective, un renforcement des partenariats avec la France pourrait
être mutuellement fructueux.
Votre délégation incline en ce sens. Elle est revenue d'Iran avec
le sentiment qu'il était possible d'intensifier la coopération
économique avec l'Iran. Une ouverture accentuée pourrait se
traduire par des partenariats très fructueux pour les entreprises
françaises et ces partenariats permettraient, parallèlement,
à l'économie et à la société iranienne de
disposer de nouvelles marges de manoeuvre.
L'adhésion de l'Iran à l'OMC devrait pouvoir être
examinée dans un avenir proche, même s'il est pour cela
nécessaire de lever les blocages politiques opposés par les
Etats-Unis. Dans cette perspective, le rapprochement irano-européen
revêt tout son sens stratégique.
La voie ainsi tracée suppose simplement que l'Iran ne fasse pas
l'impasse sur l'approfondissement des réformes économiques,
déjà engagées ces dernières années, afin
d'alléger le poids du secteur public, de diminuer les subventions
octroyées aux acteurs économiques et de renforcer la confiance
des investisseurs internationaux en son avenir.
EXAMEN EN COMMISSION
Au cours
de sa séance du mercredi 2 juillet 2003, la Commission des Affaires
économiques a entendu la présentation par M. Gérard
Larcher du rapport d'information sur l'Iran.
M. Gérard Larcher, président, rappelant qu'une
délégation de la commission, composée de MM. Gérard
César, Michel Bécot, Philippe Arnaud et Daniel Reiner, avait
effectué une mission en Iran du 15 au 18 avril dernier, a tout d'abord
indiqué qu'il avait déjà réalisé un compte
rendu de ce déplacement au cours de la réunion de commission du
30 avril.
Il a précisé que le contenu du rapport d'information
approfondissait et complétait les explications qu'il avait
apportées lors de ce compte rendu. Il a néanmoins
considéré utile de replacer ce rapport d'information dans le
contexte politique iranien actuel.
Il a estimé que les manifestations étudiantes à
Téhéran constituaient l'expression d'une aspiration au
changement, portée par les étudiants qui se faisaient, à
ce titre, les interprètes d'une grande partie de la population. Il a
souligné que plusieurs parlementaires iraniens avaient manifesté
leur soutien aux manifestants, en rappelant que la contestation était
née, cette fois-ci, d'un projet du Gouvernement présenté
comme visant à « privatiser » les universités, mais qui
aurait surtout pour conséquence d'augmenter les frais de
scolarité.
Faisant état des propos, rapportés par un journal
réformateur iranien, du vice-gouverneur de la Banque Centrale qui
évaluait l'inflation pour l'année 2003-2004 entre 9,3 % et 25,5
%, il a mis en exergue que ces tensions socio-politiques se conjuguaient avec
une dégradation de la situation économique.
M. Gérard Larcher, président, a illustré cet état
de fait en précisant que, selon diverses sources d'information, le
véritable taux d'inflation se situait probablement à un niveau
supérieur à 30 %, que le prix des biens de consommation courants,
tels que la viande, les loyers, augmentait de 20 % par an et que le prix des
prestations des services publics allait croissant. Il a également
signalé que le prix des valeurs foncières avait doublé en
moins de seize mois.
Notant que la forte volonté de changement avait trouvé une
expression avec l'élection en 1997 du président de la
République, M. Mohammed Khatami, avec près de 70 % des
voix, et sa réélection en 2001 avec 77 % des voix, il a
indiqué que le gouvernement n'avait pas su traduire cette aspiration en
ne mettant pas en oeuvre les réformes pour lesquelles il avait
été élu.
Soulignant que le Guide de la révolution et le Conseil des gardiens de
la révolution, institution contrôlée par les religieux,
avaient largement démontré leur capacité de blocage des
réformes, il a également fait valoir que le pouvoir judiciaire,
lui aussi contrôlé par les religieux, avait fait interdire des
journaux réformateurs et condamner des parlementaires pour infraction
aux principes religieux, participant ainsi activement aux actions politiques
menées par les conservateurs hors du champ parlementaire.
Il en a conclu que, dans ces conditions, il ne fallait pas s'étonner que
la population iranienne ait été déçue par l'action
des réformateurs et ait manifesté cette déception par des
taux d'abstention importants aux dernières élections municipales
de 2003, allant de 80 % en moyenne jusqu'à 90 % dans les grandes villes.
M. Gérard Larcher, président, a noté qu'il n'y avait pas
actuellement de force politique alternative crédible au face à
face entre conservateurs et réformateurs, que, pour sa part, il ne
croyait guère à l'hypothèse d'une révolution
violente pour cette raison et que toutes les familles iraniennes avaient
été éprouvées par les huit années de guerre
avec l'Irak. Il a cependant expliqué que la population, composée
en majorité de personnes jeunes (70 % des Iraniens ayant moins de 30
ans), paraissait difficilement pouvoir se résigner encore longtemps au
statu quo.
Insistant sur l'absence de forces d'opposition structurées, il a
relevé que l'Organisation des moudjahidins du peuple iranien (OMPI)
n'était pas le mouvement le plus populaire en Iran, ses membres ayant
combattu aux côtés des Irakiens au cours de la guerre Iran-Irak,
en mentionnant comme un pôle d'influence significatif l'opposition en
exil aux Etats-Unis qui diffuse depuis les Etats-Unis des émissions
télévisées, reçues en Iran au moyen des antennes
paraboliques.
M. Gérard Larcher, président, a mis en avant qu'au plan
économique, après le déplacement de la
délégation, M. François Loos, ministre
délégué au commerce extérieur, avait signé
un accord de protection réciproque et d'encouragement des
investissements. Il a par ailleurs estimé qu'en ce domaine la mission
avait permis sans doute de faire avancer les négociations sur plusieurs
dossiers intéressant de grandes entreprises françaises.
Il a fait part de ses craintes quant à la dégradation du climat
socio-politique du pays, qui pourrait avoir des conséquences sur la
situation économique, et qui pourrait être de nature à
déboucher, si aucune réforme n'était mise en place, sur
des transformations politiques pouvant prendre un tour brutal.
Il a indiqué que les étudiants s'apprêtaient à
célébrer, malgré l'interdiction des autorités
iraniennes, l'anniversaire, le 9 juillet prochain, de la répression des
manifestations étudiantes de juillet 1999 qui avait occasionné de
nombreuses victimes. Il a, à ce titre, proposé à la
commission que le rapport d'information puisse être publié
à la date anniversaire de cette commémoration en signe de
solidarité avec les valeurs de liberté défendues par les
étudiants.
M. Daniel Reiner, notant que la délégation, lors du
déplacement, avait pu mesurer la volonté de changement
exprimée par la population, s'est interrogé sur le
développement du programme nucléaire iranien et sur la
signification des arrestations des membres de l'OMPI, qui avaient eu lieu au
cours du mois de juin.
Face à l'alternative « révolution ou résignation
» venant d'être présentée, M. Philippe Arnaud a fait
part de ses craintes quant à la possibilité d'évolutions
violentes si aucune réforme significative n'était
effectuée, tant l'aspiration au changement était forte et
dès lors qu'au sein des institutions les divergences entre les instances
élues et celles nommées par les religieux continuaient à
conduire au blocage.
M. Jean Bizet s'est interrogé sur les négociations menées
par les autorités iraniennes pour adhérer à l'Organisation
mondiale du commerce (OMC).
En réponse, M. Gérard Larcher, président, a apporté
les éclaircissements suivants :
- les négociations menées sous l'égide de l'Agence
internationale de l'énergie atomique (AIEA) ont conduit l'Iran,
soupçonné de développer l'arme nucléaire par
certains pays, au nombre desquels les Etats-Unis, à refuser des
inspections inopinées et poussées de ses sites nucléaires.
Toutefois, il a noté que M. Mohammed El Baradei, directeur de l'AIEA,
avait été plus modéré que certaines instances nord
américaines et avait fait part de ses réserves quant à la
faculté qu'aurait l'Iran à développer des armes
nucléaires ;
- il ne disposait pas d'informations particulières sur les raisons
qui avaient conduit la justice à demander l'arrestation d'un certain
nombre de membres de l'OMPI ;
- des religieux influents commençaient à exprimer l'opinion
que certaines évolutions politiques et sociales étaient
nécessaires pour détendre le climat social et que cela pouvait
être de nature à favoriser une évolution « douce
» du régime ;
- la délégation avait perçu, notamment au cours de
son déplacement à Ispahan, certains signes d'atténuation
de la rigueur religieuse, notamment les couleurs, plus claires que la norme,
des manteaux et foulards portés obligatoirement par les femmes, mais que
la police avait mené récemment une offensive pour exiger que les
femmes ne s'affranchissent pas du manteau noir traditionnel et que les manteaux
soient rallongés ;
- les Etats-Unis refusent systématiquement l'inscription à
l'ordre du jour de l'OMC de l'examen de la candidature iranienne, étant
observé, en tout état de cause, que si l'Iran devait
adhérer à l'OMC, il lui faudrait vraisemblablement une
période de transition assez longue pour adapter son économie, et
que le soutien de l'Europe à une telle demande est conditionné
à des progrès au niveau du respect des droits de l'homme et que
l'économie iranienne avait sans nul doute besoin de cette
adhésion pour obtenir les transferts de technologie nécessaires
à son développement.
M. Gérard Larcher, président, a parallèlement
informé les membres de la commission que la délégation
avait été invitée le mois dernier à un dîner
de travail à l'Ambassade d'Iran à Paris. Il a
précisé qu'au cours de cette rencontre la question de l'appui
français au développement de l'ingénierie touristique
iranienne, grâce notamment aux contacts pris par M. Michel Bécot,
président de l'Agence française d'ingénierie touristique,
ainsi que celle de l'implantation d'un centre culturel français à
Téhéran avaient été évoquées
En conclusion, il a noté qu'à la suite des manifestations
étudiantes à Téhéran environ 4 000 personnes
avaient été arrêtées, que près de la
moitié d'entre elles était encore en prison et que ces
événements démontraient que la liberté d'expression
était encore limitée dans ce pays.
La commission a ensuite adopté le rapport d'information à
l'unanimité et, sur proposition de M. Gérard Larcher,
président, elle a également décidé, à
l'unanimité, de procéder à la publication du rapport le
9 juillet, en signe de solidarité avec le mouvement
étudiant.
ANNEXE I -
PROGRAMME DE LA DÉLÉGATION
Mardi 15
avril
22h20 : arrivée de la délégation à
Téhéran
Mercredi 16 avril
8h30 : petit déjeuner de travail avec les chefs de service à
la Résidence de l'Ambassadeur
9h40 : départ de la Résidence
10h00 : entretien avec M. Reza ABDOLLAHI, président de la
Commission des affaires économiques du Majlis
11h00 : visite du Parlement et accueil de la délégation en
séance
11h30 : entretien avec M. Mohammad-Hossein ADELI, vice-ministre des
affaires étrangères pour les affaires économiques
12h30 : visite des nouveaux bâtiments du Parlement
13h00 : Déjeuner officiel offert aux membres de la
délégation par M. Reza ABDOLLAHI, président de la
Commission des affaires économiques du Majlis
15h00 : entretien avec M. Elias HAZRATI, président du groupe
d'amitié Iran-France du Madjlis
16h00 : entretien avec M. Mohammed-Reza KHATAMI, premier
vice-Président du Madjlis,
17h00 : entretien avec M. Tahmasb MAZAHERI, ministre de
l'économie et des finances
18h00 : réception avec la communauté française
à la Résidence de l'Ambassadeur
19h30 : réunion de travail avec les conseillers français du
Commerce extérieur
20h00 : dîner-buffet avec les conseillers français du
Commerce extérieur et leurs épouses
Jeudi 17 avril
10h15 : arrivée de la délégation à
l'aéroport d'Ispahan
10h30 : accueil de la délégation par M. ABARROUII,
directeur général de la Province d'Ispahan, chargé de la
politique et de la sécurité
11h00 : visite du chantier du métro en construction
12h30 : déjeuner offert par le gouverneur de la Province
14h30 : entretien avec M. Seyyed Mahmoud HOSSEINI, gouverneur de la
Province d'Ispahan
15h30 : visite de plusieurs sites culturels et économiques à
Ispahan
20h00 : dîner en compagnie de M. ABARROUII, directeur
général de la Province d'Ispahan, chargé de la politique
et de la sécurité
22h30 : départ d'Ispahan pour Téhéran
Vendredi 18 avril
8h10 : départ pour Paris
Corps
électoral
Assemblée des Experts
ANNEXE II
Rôle
:
- détermine la compatibilité des lois votées par le
Parlement avec la loi islamique
- examine la constitutionnalité des lois
- interprète la constitution
- supervise toutes les élections
Conseil de Discernement
des intérêts supérieurs du régime
M. Rafsandjani
Conseil des Gardiens de la Révolution
- 6
théologiens
- 6 juristes
Election directe
Nomination
Approbation
- Chef de la Cour suprême
- Procureur général
Guide
de la Révolution
M. Khamenei
Président de la République
M. Khatami
Conseil des Ministres
1.
Membres du Conseil de Discernement
2. Les 6 théologiens du Conseil des
Gardiens de la Révolution
3. Chef du pouvoir judiciaire
4. Président de la radio-télévision
5. Chef des Forces armées et des Pasdarans
Rôle :
- règlement des conflits entre le Parlement et le conseil des Gardiens
- pouvoir important en cas de circonstances exceptionnelles : pouvoir de
légiférer, d'amender les lois pour assurer l'intérêt
supérieur de l'Etat ; pouvoir d'édicter "des solutions pour les
difficultés insurmontables du régime" (termes apparus pendant la
guerre Iran-Iraq)
- donne un avis consultatif sur les questions qui lui sont adressées par
le Guide
Membres
du Conseil Supérieur de la Sécurité Nationale :
- président de la République
- chefs du législatif et du judiciaire
- commandant en chef des Forces armées
- 2 représentants nommés par le Guide
- ministres des Affaires étrangères, de l'Intérieur et
des Renseignements
Parlement
Majlis-e-Shura-e-Islami
(270 députés)
Président : M. Karoubi
-
INSTITUTIONS DE LA REPUBLIQUE ISLAMIQUE D'IRAN
Iran : réforme, révolution ou résignation ?
A
l'invitation du président de la commission des affaires
économiques du Madjlis, le Parlement iranien, une mission de la
Commission des Affaires économiques s'est rendue en Iran du 15 au 18
avril 2003. La délégation, présidée par
M. Gérard Larcher, président, était composée
de MM. Gérard César, Michel Bécot, Philippe Arnaud et
Daniel Reiner.
Cette invitation entrait dans le cadre de la coopération
inter-parlementaire et avait pour ambition de renforcer les échanges
bilatéraux entre la France et l'Iran.
Les entretiens menés par la délégation ont permis
d'approfondir un grand nombre de dossiers, économiques essentiellement.
En effet, les relations économiques franco-iraniennes sont encore
modestes et pourraient être renforcées dans le cadre d'un
partenariat renouvelé.
Au plan intérieur, un désir de changement a été
exprimé par la population avec l'élection en 1997 et la
réélection en 2001 d'un président de la République
réformateur, M. Mohammed Khatami, et d'une majorité
réformatrice au Parlement.
Toutefois, cette aspiration ne paraît que très partiellement
satisfaite, comme semblent au demeurant le montrer les manifestations
étudiantes de juin 2003, dans la mesure où la majorité
politique ne dispose pas de tous les leviers du pouvoir.
Aussi est-ce à la question de son avenir politique et économique
que se trouve aujourd'hui confronté l'Iran.