3. La question des droits de l'homme

Vivant depuis 21 ans sous l'empire de l' état d'urgence -qui exclut rassemblements et manifestations-, l'Egypte apparaît tiraillée entre, d'une part, une riche tradition juridique , calquée d'ailleurs en partie sur le droit français, une relative indépendance judiciaire et, d'autre part, une pratique souvent attentatoire aux droits et libertés fondée sur la crainte d'un retour de l'islamisme violent qui pourrait déstabiliser le pays. Les procès intentés contre des militants islamistes l'ont été dans le cadre de tribunaux militaires où l'influence du Gouvernement est prépondérante et qui ne prévoient pas de possibilités d'appel. Plusieurs militants sont maintenus en longue détention sans jugement et le recours à la torture est par ailleurs souvent dénoncé.

Une liberté d'expression existe, notamment dans les organes de presse, mais elle ne doit pas dépasser certaines limites ou aborder certains sujets tabous, -notamment la question de la succession du président ou celle de la situation faite aux coptes-.

Plusieurs procès concernant les droits de l'homme ont suscité l'attention critique de la communauté internationale : ainsi du procès du Queen boat , mettant en cause 23 homosexuels. Leur première condamnation par la Cour de Sûreté de l'Etat avait été annulée par le Président Moubarak au motif que l'incrimination de « débauche » relevait de la compétence d'un tribunal ordinaire. Le nouveau procès, ouvert en juin 2002, a abouti, le 15 mars 2003, à une condamnation, aggravant les peines initiales, de trois ans de prison et de trois ans de contrôle judiciaire. En appel, la Cour a, après de nombreux rebondissements, acquitté 21 des personnes poursuivies.

Le procès de Saad Eddine Ibrahim : cet intellectuel égypto-américain, directeur d'un centre de recherche plaidant pour le développement de la société civile en Egypte, est tombé en disgrâce pour avoir notamment, dans ses travaux, dénoncé la situation faite à la minorité copte et évoqué la succession du chef de l'Etat. Après trois procès intentés contre lui en 2000, il fut condamné à sept ans de prison avant d'être finalement acquitté en mars 2003. Cette affaire a été l'occasion, pour les Etats-Unis, d'exprimer leur mécontentement croissant à l'égard du Caire et l'acquittement de Saad Eddine Ibrahim n'est évidemment pas étranger aux pressions, notamment financières, exercées par Washington.

Enfin, une récente loi de juin 2002 sur les organisations non gouvernementales , contestée par les ONG égyptiennes et internationales permet d'interdire de recevoir des financements étrangers sans autorisation des pouvoirs publics et autorise la dissolution d'une association sans contrôle judiciaire.

La problématique du progrès de l'Etat de droit en Egypte, tant sur le plan des institutions et de la pratique politique que sur celui des libertés publiques globalement s'insère dans le débat plus général de la réforme du monde arabe vers une meilleure « gouvernance ».

Ce débat a été ouvert en 2002 par le rapport du PNUD sur le monde arabe qui identifiait ses retards économiques, sociaux et politiques. En parallèle, est intervenue la réforme de l'Autorité palestinienne, première application concrète d'une évolution imposée par la communauté internationale vers plus de transparence et plus de démocratie à l'intérieur d'une entité politique arabe, comme condition à sa participation, en tant que telle, au processus de paix et au soutien international.

Dans le même esprit, les Etats-Unis, dans la suite des attentats du 11 septembre 2001, avec la Middle East Partnership Initiative (MEPI), ont décidé de mettre en oeuvre une structure d'assistance administrative à la démocratie dans les pays arabes par une action sur l'économie, la transformation sociale et l'éducation.

Dans la forme, cette démarche a pu être perçue par les sociétés arabes concernées comme « imposée » et unilatérale. Sur le fond, elle correspond à l'initiative élaborée, mais dans un cadre de partenariat, par l'Union européenne, en 1995 : le « processus de Barcelone » se veut aussi un soutien à la transformation du monde arabe et la clause de conditionnalité figurant dans les accords d'association en témoigne.

Avec ces démarches, un nouvel état d'esprit apparaît ;  il ne s'agit plus de privilégier le statu quo économique et politique aux changements, dans la mesure où l'existence de régimes forts contribuait à maintenir les équilibres régionaux. Désormais, la pérennisation des retards politiques et économiques au sein du monde arabe apparaît aussi comme un facteur de risque. Il reste que ces évolutions internes, nécessairement longues, doivent principalement venir des sociétés et des pays arabes eux-mêmes. Il revient aussi aux partenaires occidentaux -et notamment à l'Union européenne- de savoir distinguer, pays par pays, l'ampleur des transformations à encourager, chaque pays ayant sa spécificité.

Dans le cas de l'Egypte, l'immobilisme politique actuel est à mettre en regard des réformes importantes, même si elles restent encore inachevées, intervenues dans le champ économique. Les options politiques nouvelles toutefois semblent pour l'heure bloquées. L'insertion de la mouvance islamique dans le jeu politique de façon ouverte, serait-elle ou non de nature à canaliser une opposition très populaire dans le pays ? Sa marginalisation parlementaire et institutionnelle ne contribue-t-elle pas, en la laissant hors des responsabilités réelles, notamment à l'échelon parlementaire, à conforter son aura dans l'opinion ?

L'absence de « démocratie-modèle » dans le monde arabe, qui pouvait servir de référence, contribue sans doute à conforter, en Egypte comme ailleurs, les responsables en place dans leur choix prioritaire de la stabilité, fût-elle fragile. Elle apparaît comme le gage du soutien politique et financier que leur accordent leurs partenaires occidentaux et une condition à la crédibilité de leur influence régionale.

Enfin, il serait illusoire d'espérer une évolution politique rapide, en Egypte comme d'ailleurs dans d'autres pays arabes, en l'absence de règlement pacifique durable du conflit israélo-palestinien . Il entretient une frustration dans les sociétés, qui s'ajoute à celles liées aux difficultés sociales quotidiennes et constitue un élément supplémentaire de déstabilisation potentielle.

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