7. Audition de la Société nationale de protection de la nature (6 mai 2003)

L'objectif de conservation de la nature est le maintien de la capacité de la terre d'assurer aussi bien le développement durable de l'humanité que la pérennité de toute vie.

Cela implique l'adoption de stratégies mondiales, tant pour le développement que pour la conservation de la nature et de ses ressources. Les dimensions capitales de la protection de la nature et de ses ressources pour l'avenir ont été amplement reconnues lors de la conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement à Rio en mai 1992 (adoption de la convention sur la biodiversité). En outre, les ministres de l'environnement de la communauté européenne affirmaient lors de leur réunion en Arles, que la directive Habitats et la construction du réseau Natura 2000 étaient la réponse de l'Europe à ses engagements pris à Rio.

Ainsi, cette directive vient combler une lacune du droit communautaire de l'environnement qui ne couvrait jusqu'à présent que la protection de l'avifaune ; elle vise à préserver la diversité biologique non seulement pour des raisons culturelles, scientifiques et éthiques, mais parce que son maintien contribue à la réussite d'un développement durable. Les mesures à prendre pour atteindre cet objectif s'articulent autour de deux axes : d'une part, la conservation de différents habitats naturels par la constitution d'un réseau de zones protégées et d'autre part, par la protection accordée à certaines espèces de la faune et de la flore dont l'état de conservation est jugé alarmant. Cette directive reprend la notion d'état de conservation de la convention de Bonn.

Cette directive, et la constitution du réseau « Natura 2000 », apportent de plus une structuration en réseau à un niveau supranational, le niveau de la communauté européenne, avec une réflexion par zone biogéographique permettant de prendre en compte cette approche spatiale. L'intérêt et la priorité de conservation d'un milieu ou d'une espèce peut être tout à fait différent d'une zone biogéographique à une autre. Ce maillage, si en outre la gestion des espaces hors Natura 2000 est assurée à travers la notion de corridor écologique, confère toute sa logique à la conservation et la gestion des ressources renouvelables dans le cadre d'un réseau global au niveau européen.

Sur le plan national, l'arsenal législatif et réglementaire répond dans son ensemble aux préoccupations des différents acteurs concernés par la mise en oeuvre du réseau Natura 2000. Mais, il ne faut pas croire que des problèmes ne surgiront pas dans certains cas. En effet, il faut gérer la diversité biologique d'une part, mais aussi la diversité sociologique et culturelle de notre pays, et il est évident que des cas particuliers, non prévus par les textes législatifs et réglementaires, pourraient apparaître. C'est là qu'il faudra trouver une souplesse d'application et des structures de concertation pour pouvoir avancer sans heurt.

Nous pensons d'autre part, en dehors des balbutiements initiaux, dû à l'ampleur du chantier largement sous estimée (plus de 1.000 sites, près de 6 % du territoire national), que la mise en place du réseau, et le rôle de chacun, est clair. Par contre, ce qu'il manque, et ce que les textes ne peuvent apporter, ce sont les moyens humains pour aller expliquer et faire comprendre à tous les acteurs les enjeux au niveau européen, national mais aussi local, voire individuels, de cette directive.

Selon les régions, et selon la façon dont les préfets ont agi, il y a eu des régions où la consultation dès le départ a été large, ouverte à tous les acteurs concernés et d'autres où seuls les scientifiques l'ont été et où surtout il n'y a pas eu de communications explicitant leur choix. Maintenant, tirant les leçons de l'expérience, les procédures de consultation sont clairement établies, mais l'élément information reste toujours indispensable et donc les moyens humains et matériels pour assurer cette communication. En tout état de cause, désigner des milieux ne peut se faire que par une approche scientifique puisque la base c'est le patrimoine naturel. Ensuite le document d'objectifs (DOCOB) permet d'intégrer les aspects économiques, sociaux et culturels pour la préservation du patrimoine relevant de la directive.

L'amélioration, en particulier de la définition des périmètres, passe par une amélioration des connaissances scientifiques, en prenant en compte la dimension spatiale et temporelle du milieu. En effet les milieux évoluent, parfois à des échelles de temps différentes ; quel est l'état de référence ? quels sont les milieux prioritaires ? Donc il faut des moyens scientifiques pour une meilleure connaissance. Mais c'est une des actions prioritaires du DOCOB à travers les inventaires. Ne faudrait-il pas, à l'issue de ce dernier et à travers son évaluation, réfléchir sur la pertinence de son périmètre, en fonction de l'évolution des milieux (biodiversité, naturalité, fonctionnalité), des connaissances acquises et des évolutions techniques et technologiques ?

S'agissant du cas particulier de la désignation des ZPS (zones de protection spéciale), au titre de la directive Oiseaux, il faut rappeler que cette désignation se fait selon des démarches différentes, avec les difficultés que l'on connaît, en particulier pour les zones humides.

A travers la mise en oeuvre de la directive Habitats et de la désignation des sites Natura 2000, on a relancé la désignation des ZPS sans trop vouloir l'afficher, si bien que la dimension ZPS est souvent mal prise en compte dans le DOCOB. D'autre part, la référence « milieux » est une référence « printemps » alors que de nombreuses ZPS sont importantes en tant que lieux d'hivernage pour les oiseaux et la plupart du temps cette dimension « hivernale » n'est pas prise en compte. Si bien que la gestion « milieux » au titre de la directive Habitats peut apporter un plus pour les oiseaux, mais la gestion « espèce » est très mal prise en compte.

La Société nationale de protection de la nature n'est pas opérateur pour l'élaboration des documents d'objectifs mais elle est très impliquée sur trois sites :

* Les Alpilles (17.000 ha) : la SNPN (représentée par son personnel affecté à la gestion de la Réserve Nationale de Camargue) est conseillère scientifique de l'opérateur, vérifiant et validant les études scientifiques et apportant sa caution aux choix en résultant. Le problème principal étant la réouverture de milieux, afin de retrouver la richesse spécifique des Alpilles.

Les problèmes rencontrés peuvent être ainsi énumérés :

- Définir l'état de référence auquel on veut revenir (ou essayer de revenir). Ces milieux ouverts étaient liés à une exploitation multiple du même site (pâturage ovin, oliveraie, vigne) et c'est cette synergie due aux activités humaines traditionnelles qui maintenait ouvert le milieu et donc la richesse des Alpilles. Or cette activité agro-pastorale ne correspond plus aux normes techniques et économiques actuelles, si bien que l'ouverture des sites se fait par des activités sectorielles et non globales (des oliveraies dans tel secteur, vigne dans un autre, pâturage dans un autre) et non plus à travers ces activités conjointes sur le même site).

- Problème du parcellaire extrêmement divisé, ce qui rend difficile d'avoir une gestion globale sur les 17.000 ha du site.

- Problème de l'agriculture biologique : la vigne est à 96 % biologique, l'olivier à 60 % et donc financièrement rien n'est prévu pour favoriser le maintien de telles activités, alors que ceux qui utilisent des pesticides par exemple et qui s'engagent à en diminuer l'emploi seront aidés !

* La Camargue : Ayant créé en 1927 et gérant maintenant pour le compte de l'Etat la Réserve Nationale de Camargue (13.000 ha), la SNPN est candidate à être opérateur sur ce site, quand l'opérateur sera désigné.

L'objectif est de maintenir cette diversité des milieux et ce lieu d'accueil des oiseaux, en particulier en hiver (zone RAMSAR, diplôme européen, ...) en favorisant le maintien de la diversité des milieux terrestres et aquatiques avec les gradients de salinité liés d'une part à la remontée de la nappe souterraine d'eau de mer et d'autre part à l'arrivée d'eau douce par le Rhône, autrefois naturelle, maintenant contrôlée par l'homme.

Les problèmes posés portent sur le maintien des activités agro-pastorales traditionnelles pour maintenir ces milieux ouverts et multiples (élevages bovins et ovins, ainsi que les chevaux ; riziculture avec un apport d'eau douce en évitant les rejets de pesticides dans le Vaccarès). Se pose également la question de la gestion de l'eau et donc des ouvertures des vannes, soit entrée d'eau de mer, soit apports d'eau douce selon la saison.

* Lac de Grand-Lieu : la SNPN est prête à être co-opérateur. On y trouve les problèmes récurrents à beaucoup de zones humides, à savoir la gestion des eaux permettant de maintenir les potentialités du milieu pour la flore et la faune (oiseaux en particulier) et le maintien de l'exploitation traditionnelle des prairies inondables (fauche ou élevage), c'est-à-dire sans intrants, ce qui pose la question du financement et de la reconnaissance du rôle écologique que jouent ces agriculteurs.

S'agissant des réflexions sur les notions de perturbation et de dérangement, le groupe de travail constitué au niveau national a tiré un certain nombre de conclusions. En tout état de cause, à partir des connaissances de la biologie et de l'écologie des espèces, nous savions déjà où étaient les problèmes mais au moins, chacun a pu s'exprimer et surtout entendre l'autre. En effet, tout le monde sait que du ski hors piste dans une zone d'hivernage du grand tétras est catastrophique, l'escalade d'une falaise sur laquelle niche un faucon pèlerin risque de détruire la nichée, la chasse d'une espèce, alors que les autres espèces sont encore en nidification, entraîne des répercussions sur l'ensemble de celles-ci indirectement...

Il y a donc des périodes où certaines espèces sont très sensibles au dérangement et où donc il faut prendre les mesures de gestion adéquates, y compris en limitant la chasse, pour leur assurer la tranquillité leur permettant de passer cette phase critique de leur cycle biologique.

Il faut enfin déplorer la très nette insuffisance des financements annoncés, notamment pour les contrats de gestion.

Or, il faut reconnaître aux principaux gestionnaires de l'espace que sont les agriculteurs, le double rôle qu'ils remplissent dans nos sociétés : producteurs (et donc rôle économique) mais aussi écologique (gestion de l'espace, aspect culturel et écologique des paysages, ...) et donc leur assurer la juste rétribution de cette double fonction.

Au niveau européen, l'Union doit se donner les moyens de ses ambitions. Si elle veut vraiment que le réseau Natura 2000 fonctionne et contribue à l'engagement européen de la conservation des ressources naturelles, il faut une évolution de la politique agricole commune, et surtout de l'attribution des aides financières.

Au niveau national, il faut que les financements soient plus faciles à obtenir que la véritable usine à gaz actuelle. Pourquoi ne pas revenir aux mesures agro-environnementales par exemple, avec contrat de résultat et contrôle a posteriori ? L'évaluation à terme de la mise en oeuvre du DOCOB et de l'état de conservation des milieux et des espèces étant là pour assurer ce contrôle a posteriori.

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