2. Les dépenses fiscales : « niches » ou condition de l'équilibre du système fiscal ?
Aussi,
lorsque
le rapport du Conseil des impôts
estime que le montant
total des dépenses fiscales dépasse 50 milliards d'euros -
ce qui correspond, soit dit en passant, au déficit de la France pour
2003 -, il
peut donner l'impression qu'il existerait une sorte de
« cagnotte »
qu'il suffirait de supprimer pour
retrouver immédiatement des ressources supplémentaires. Un tel
point de vue serait aussi injustifié qu'irréaliste.
A cet égard, votre commission des finances se rapproche dans une
certaine mesure de l'analyse que fait le MEDEF du rapport du Conseil des
impôts. Pour l'organisation patronale, il ressort implicitement du
rapport que «
les avantages fiscaux sont coûteux et donc
d'une certaine façon illégitimes ».
Or
précise-t-elle,
« il n'est pas normal que les
allègements d'impôt soient considérés comme des
exceptions à la norme, alors que c'est le niveau actuel de la
fiscalité en France qui nous paraît anormal
». La
conclusion est d'ailleurs intéressante dans sa logique :
« les dispositifs d'aide fiscale doivent donc être
interprétés comme des sortes de rustines sur un système
globalement insatisfaisant et beaucoup trop lourds pour les entreprises et plus
généralement pour l'ensemble de l'économie, qui traduit la
nécessité d'adaptation du régime fiscal français.
(...)
Les dépenses fiscales
(...)
sont donc indispensables
comme élément de régulation d'un système
globalement déficient
».
Au delà d'une formulation polémique, il y a une
vérité difficilement contestable :
l'importance et
surtout le nombre des régimes fiscaux dérogatoires sont
indissolublement liés au niveau élevé des
prélèvements,
qui ne seraient sans
doute pas supportables
sans les soupapes que constituent les dépenses fiscales
. Un certain
nombre d'entre elles sont d'ailleurs « d'origine », tandis
que d'autres se sont ajoutées au fil du temps dans un
phénomène d'entropie fiscale.
La tendance à la prolifération des dérogations est une
sorte de fatalité, qui tend à brouiller l'architecture initiale
d'un régime fiscal, surtout lorsque celui-ci comporte, dès sa
création, des mesures spécifiques. On peut tenter de
développer une métaphore parlante qui illustre cette
fatalité française : la machine fiscale, surtout lorsqu'elle
est dotée de soupapes d'origine, a tendance, sous la pression des
évènements, à s'en voir adjoindre de nouvelles, qui
tendent à faire baisser la pression fiscale effective, alors même
que la pression nominale reste apparemment très élevée.
Avec le temps, de telles mesures ciblées ne sont parfois plus vraiment
justifiées. Le Conseil des impôts le fait ainsi remarquer pour le
régime fiscal des retraites, dont il est clair qu'il a été
défini à un moment où les retraites étaient plus
faibles et le barème plus lourd.
Le Conseil des impôts suggère d'abord de procéder à
un
toilettage de toutes les dérogations de faible portée ou
dont le coût est inconnu
, estimant que les régimes
spéciaux qui ne concernent qu'une poignée de contribuables ne
peuvent avoir un impact suffisant pour justifier la place qu'ils occupent dans
le code général des impôts. La démarche du Conseil
paraît justifiée même si l'on a des raisons de croire que
certains dispositifs dérogatoires ne pourront être abrogés
pour des raisons de principe : est-il ainsi défendable, sous
prétexte que les dons se font de plus en plus rares - les
collectionneurs ou les héritiers préfèrent la
dation - de supprimer l'exonération de droits de mutation dont
bénéficient les dons d'oeuvres d'art à l'Etat ?
Aller au-delà et
réexaminer les dispositifs
dérogatoires peu cohérents ou dont les effets sont
insuffisants,
est une démarche ambitieuse et sans doute trop
audacieuse à en juger par les exemples fournis dans le rapport du
Conseil des impôts.
Le Conseil des impôts met d'abord en question la cohérence d'un
certain nombre de dispositifs notamment en matière de fiscalité
de l'épargne. Pour lui, une première voie possible de
rationalisation de cette fiscalité serait de limiter le nombre des
régimes applicables sans exception possible et de remettre en cause les
dérogations injustifiées. Ainsi, le nombre des dispositifs
d'imposition pourrait être limité à trois - en laissant le
cas échéant la possibilité d'un droit d'option -
correspondant soit à une imposition au barème de l'impôt
sur le revenu, soit à un prélèvement libératoire
à taux unique, soit à une exonération complète y
compris de CSG et de CRDS. Une fois encore, on ne peut que souscrire aux
objectifs affichés, tout en restant sceptique sur la possibilité
de les mettre en oeuvre. Indépendamment du lancinant problème de
l'équilibre entre les différents circuits de collecte, il restera
toujours à régler la question des bons anonymes ...
En outre, est-il vraiment réaliste de remplacer certaines
dérogations, en l'occurrence les dispositifs destinés à
aider certaines zones géographiques ou certains secteurs
d'activités, outre-mer, SOFICA, SOFIPECHE, «
peu
justifiées
» par des subventions ?
L'expérience de la suppression des petites taxes parafiscales doit
inciter à la prudence en la matière. En outre, inciter et
assister représentent des choix politiques différents. Le Conseil
des impôts ne semble pas en être conscient.
Un autre exemple de fiscalité dérogatoire à
réformer est donné par le régime fiscal des personnes
âgées. Pour le Conseil des impôts, la question du maintien
de l'exonération partielle ou complète de CSG ou de CRDS
spécifique aux pensions, dont le coût approchait 4 milliards
d'euros en 2001, pourrait notamment être soulevée. Là
également, on peut s'interroger sur la faisabilité d'une telle
réforme, qui ne peut être envisagée que dans le cadre d'une
remise à plat du problème de la déductibilité de la
CSG et de la CRDS.
Enfin, le Conseil des impôts remet en cause la demi-part
supplémentaire pour les contribuables seuls ayant eu un ou plusieurs
enfants à charge. Cette mesure, adoptée par l'Assemblée
nationale dans le cadre du projet de loi de finances pour 2004, et qui sera
certainement impopulaire, peut se comprendre en raison du choix de modes
d'intervention considérés comme plus efficaces en termes de
politique familiale, telle l'allocation unique de garde du jeune enfant.