II. ÉLÉMENTS D'ANALYSE DES ÉQUILIBRES DU MARCHÉ DU TRAVAIL DANS LE FOOTBALL PROFESSIONNEL

Le marché du travail des joueurs professionnels a considérablement évolué , depuis le milieu des années 90, avec une dynamique salariale très forte , observable , paradoxalement, dans un contexte de déréglementation , suite à l'arrêt Bosman .

L'étude des prolongements de cet arrêt conduit ainsi à s'interroger sur un paradoxe économique : l'absence apparente de pression à la baisse sur les coûts du travail, après une modification de contexte qui aurait dû la provoquer .

Dans le prolongement de cette question, il faut s'interroger sur les conséquences sur le marché du travail sportif lui-même de ce processus, la question de ses effets sur les équilibres économiques et sportifs dans le secteur étant abordée plus après dans le présent rapport.

La très forte dynamique de la masse salariale des clubs de football est un phénomène qui choque souvent l'opinion publique. Celle-ci est sensible aux « chiffres astronomiques » que publie régulièrement la presse.

Les montants cités concernent des données très diverses et un certain amalgame est fait entre salaires, indemnités de transfert (dont profitent surtout les clubs), et revenus des joueurs , qui incluent à côté des salaires, les revenus procurés par leurs contrats publicitaires, et, plus globalement, l'exploitation de leur droit à l'image. Par ailleurs, et surtout, les chiffres les plus spectaculaires concernent quelques vedettes . Or, si l'envolée de certaines rémunérations a pu entraîner une dynamique salariale plus globale, il reste qu'en niveaux absolus, les « revenus » des stars de football sont nettement supérieurs aux revenus moyens des joueurs. Ce phénomène est révélateur de l'existence d'un marché du travail qui est assez nettement segmenté .

Cette dernière caractéristique permet sans doute d'expliquer un paradoxe . La dynamique des coûts du travail est particulièrement nette depuis le milieu des années 90, période qui est également celle où fut entamée la banalisation du marché du travail des footballeurs professionnels, qui a débouché sur sa globalisation . A l'origine de cette révolution, le célèbre arrêt Bosman, rendu par la Cour de Justice des Communautés européennes le 15 décembre 1995 qui a déréglementé le marché du travail, aurait dû se traduire par une pression à la baisse des coûts . Celle-ci n'est pas intervenue , et il faut essayer de comprendre ce résultat paradoxal.

A. LA DÉRÉGLEMENTATION DU MARCHÉ DU TRAVAIL DES FOOTBALLEURS PROFESSIONNELS

L'arrêt Bosman a provoqué une déréglementation du marché du travail du football professionnel en condamnant le régime alors applicable aux transferts et l'existence de clauses de nationalité .


L'ARRÊT BOSMAN

Rendu sur une demande de décision préjudicielle de la Cour d'appel de Liège, saisie d'un litige opposant son employeur aux fédérations belge et européenne (UEFA) de football, l'arrêt Bosman a consacré la prééminence du principe de libre circulation des personnes édicté par l'article 48 du traité sur les réglementations contraires adoptées par les associations de gestion du football européen.

Arrêt de principe par excellence, l'arrêt Bosman a eu des conséquences pratiques très importantes sur l'équilibre du marché du travail des footballeurs professionnels.

L'arrêt Bosman, un arrêt de principe par excellence :

L'arrêt Bosman est un arrêt de principe à deux titres.

D'abord en ce qu'il qualifie le football professionnel d'activité économique . Compte tenu de l'absence de mention du sport dans le champ des compétences de la Communauté à l'époque, il n'était pas évident que la Cour admette d'exercer sa compétence à l'occasion d'un litige qui concernait un joueur de football professionnel. Consciente de cette difficulté, la Cour fonde sa compétence sur la reconnaissance du caractère économique de l'activité des joueurs professionnels de football. Elle estime que « l'exercice des sports relève du droit communautaire dans la mesure où il constitue une activité économique au sens de l'article 2 du traité ».

Cette position justifiée par la relation professionnelle de travail qui lie les footballeurs à leurs employeurs et par le développement économique du football, a pour conséquence majeure, et c'est à ce second titre que l'arrêt constitue un arrêt de principe, l'assujettissement du monde du football professionnel aux règles du droit européen applicable aux activités économiques ordinaires .

Ce principe, la Cour le met immédiatement en oeuvre en faisant prévaloir les règles générales du traité sur les règles qui, jusqu'alors en vigueur, se voulaient protectrices de l'identité sportive et culturelle du football .

Avec l'arrêt Bosman, le droit commun sape « l'exception footballistique » dont le champ est ramené à sa plus simple expression, celle des règles du jeu, et s'efface dès que la dimension économique du football est en cause.

Une composante importante de l'argumentaire présenté à la Cour consistait à assurer la protection de l'exception sportive à travers deux sortes de revendications :

- une revendication qu'on peut qualifier de culturelle et politique, où le football était présenté comme un élément de la culture des Etats membres comportant à ce titre l'obligation pour la Communauté de respecter la diversité nationale et régionale des cultures des Etats membres (article128, paragraphe 1 du traité CE).

- une revendication culturelle plus spécifique mettant en évidence la nécessité pour un fonctionnement harmonieux du football professionnel de « maintenir l'équilibre financier et sportif entre les clubs et celui de soutenir la recherche de talents et la formation des jeunes joueurs ».

Il est intéressant de présenter en détail les réponses apportées par la Cour à ces deux types d'argumentation.

S'agissant du premier d'entre eux, celui de nature culturelle et politique l'arrêt évite soigneusement toute réponse et se contente d'affirmer le primat du principe de libre circulation sur l'obligation posée par l'article 128.

Il relève ainsi que : « La libre circulation des travailleurs, garantie par l'article 48 du traité, qui constitue une liberté fondamentale dans le système des Communautés, ne saurait voir sa portée limitée par l'obligation faite à la Communauté, lorsqu'elle fait usage des compétences d'étendue limitée que lui confère l'article 128, paragraphe 1, du traité CE dans le domaine de la culture, de respecter la diversité nationale et régionale des cultures des Etats membres ».

S'agissant de la seconde revendication, la revendication culturelle spécifique , l'arrêt ne procède pas par dénigrement des objectifs que prétendaient poursuivre les parties. Au contraire, il qualifie de légitimes les objectifs de recherche d'un équilibre entre les clubs et de formation des joueurs .

L'arrêt remarque ainsi que : « Compte tenu de l'importance sociale considérable que revêtent l'activité sportive et, plus particulièrement, le football dans la Communauté, il convient de reconnaître que les objectifs consistant à assurer le maintien d'un équilibre entre les clubs, en préservant une certaine égalité des chances et l'incertitude des résultats, ainsi qu'à encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs, sont légitimes ».

Mais, il estime que les règles et pratiques attaquées, c'est-à-dire les indemnités de transfert et les clauses de nationalité , ne soutiennent pas réellement la poursuite de ces objectifs . L'arrêt note que :

- « d'une part, ces règles n'empêchent ni que les clubs les plus riches s'assurent les services des meilleurs joueurs, ni que les moyens financiers disponibles soient un élément décisif dans la compétition sportive et que l'équilibre entre clubs en soit considérablement altéré,

- d'autre part, les indemnités prévues par ces règles se caractérisent par leur nature éventuelle et aléatoire et sont, en tout état de cause, indépendantes des frais réels de formation supportés par les clubs ,

- et, enfin, les mêmes objectifs peuvent être atteints de manière aussi efficace par d'autres moyens qui n'entravent pas la libre circulation des travailleurs ».

En ce qui concerne les clauses de nationalité , l'arrêt prend la peine d'en relever l' inefficacité propre dans un considérant intéressant par la référence implicite qu'il contient aux règles d'organisation du sport professionnel américain.

« Troisièmement, quant au maintien de l'équilibre sportif , il convient d'observer que les clauses de nationalité , qui empêcheraient les clubs les plus riches d'engager les meilleurs joueurs étrangers, ne sont pas aptes à atteindre cet objectif, dès lors qu'aucune règle ne limite la possibilité pour ces clubs de recruter les meilleurs joueurs nationaux, laquelle compromet tout autant cet équilibre ».

Même si la question reste posée de savoir quelles auraient été les conséquences jurisprudentielles d'une reconnaissance par la Cour de l'efficacité des règlements en vigueur en termes de protection des équilibres compétitifs et de formation des jeunes, il vaut d'être souligné que c'est sur la base d'un diagnostic recourant à une analyse factuelle que la Cour a partiellement fondé son arrêt .

Le dispositif de l'arrêt, qui comporte deux volets, découle des considérants.

En premier lieu, le régime en vigueur des transferts entre les clubs des Etats membres est frappé de nullité. La Cour estime que le principe de libre circulation des personnes , consacré par l'article 48 du traité s'oppose à l'application de règles édictées par des associations sportives, selon lesquelles un joueur professionnel de football ressortissant d'un Etat membre, à l'expiration du contrat qui le lie à un club, ne peut être employé par un club d'un autre Etat membre que si ce dernier a versé au club d'origine une indemnité de transfert, de formation ou de promotion.

En second lieu, les clauses de nationalité sont déclarées illégales pour le même motif. La Cour estime que l'article 48 du traité CEE s'oppose à l'application de règles édictées par des associations sportives selon lesquelles, lors des matches des compétitions qu'elles organisent, les clubs de football ne peuvent aligner qu'un nombre limité de joueurs professionnels ressortissant d'autres Etats membres.

L' arrêt Bosman , en interdisant les clauses d'indemnités de transfert à l'expiration d'un contrat ainsi que les quotas de nationalité, opère une déréglementation du marché du travail sportif. Les cloisonnements nationaux sont abattus pour ce qui concerne les joueurs de l'espace économique européen. La fluidité du marché du travail est , en principe , favorisée .

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