CONCLUSION

Après les espoirs soulevés par le processus d'Oslo, le conflit israélo-palestinien est entré dans une nouvelle phase.

Après plusieurs années de blocage sur un règlement négocié, Israël agit sur un mode initial et bénéficie aujourd'hui de circonstances favorables pour imposer une solution.

En l'état actuel des conditions du retrait unilatéral israélien, la création d'un état palestinien viable ne relève plus que de la rhétorique d'une feuille de route bien malmenée. A défaut d'être réglé, le conflit serait contenu.

Le retrait unilatéral ne pourra s'opérer sans négociation, ni coordination. Il doit être l'occasion d'un réinvestissement de la communauté internationale, en particulier des Etats-Unis et de l'Union européenne. Il pourrait alors être l'occasion d'une relance de la feuille de route.

La détermination du gouvernement israélien ne fait pas de doute. Dans une période où les modalités de mise en oeuvre du plan sont en cours d'ajustement, l'implication des parrains du processus de paix est plus que jamais nécessaire.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent rapport d'information dans sa séance du 9 juin 2004.

A la suite de l'exposé du rapporteur, Mme Danielle Bidard-Reydet a souligné que le conflit israélo-palestinien occupait une place particulière dans les crises du Moyen-Orient et constituait un épicentre qui nécessite de concentrer sur lui tous les efforts. Pour sortir d'un face à face déséquilibré, une intervention internationale est indispensable, comme l'avait préconisé un précédent rapport adopté par la commission, sur ce conflit. Cette intervention est urgente, les limites du supportable ayant été franchies. La volonté politique permettrait de résoudre des questions considérées comme insolubles. Evoquant ainsi une réunion récemment tenue au Sénat en présence de MM. Yossi Beilin et Yasser Abed Rabbo, elle a rappelé que leurs approches s'appuyaient sur le contenu des pourparlers de Taba et qu'ils étaient parvenus à un accord sur des questions difficiles.

Elle a considéré que les difficultés rencontrées par le Premier ministre israélien pour faire aboutir son plan d'évacuation de Gaza confirmaient ses doutes quant à la réalité des intentions de M. Ariel Sharon. L'échéance du retrait a en effet été repoussée à 2005, date initialement prévue, par la feuille de route, pour la proclamation d'un Etat palestinien. Ce report permet aux colonies de se développer et au mur de séparation d'être construit dans sa totalité. Elle a par ailleurs considéré que le mur ne séparait pas tant les Israéliens des Palestiniens que les Palestiniens des Palestiniens. Elle a appelé à une implication européenne renforcée, un réengagement de la communauté internationale étant indispensable. L'Europe a une responsabilité historique à l'égard d'Israël et de sa sécurité mais elle doit également intervenir dans l'intérêt du peuple palestinien. Il importe de redonner corps à la feuille de route, dans le respect du droit international. A défaut, les rapports de force s'imposeraient sur le terrain.

M. Jean François-Poncet ayant indiqué qu'il ne s'était pas rendu depuis longtemps en Israël et dans les territoires palestiniens, s'est déclaré très préoccupé par ce qu'il avait pu observer lors du déplacement. Il a considéré que les deux niveaux du conflit, la dimension internationale et diplomatique d'une part, et la situation de terrain d'autre part, avaient évolué et qu'aujourd'hui c'est cette dernière qui était déterminante, la dimension internationale étant devenue « platonique ». Sur le terrain, ce n'est pas la feuille de route qui s'applique, mais les plans d'Ariel Sharon, qui supposent la destruction systématique de l'Autorité palestinienne, le développement des colonies et la construction du mur, ces trois axes conduisant à l'impossibilité évidente de construire un Etat viable sur la partie résiduelle des Territoires palestiniens.

L'engagement dans une négociation internationale, a poursuivi M. Jean François-Poncet, oblige à prendre comme base de discussion les résolutions des Nations unies. Du point de vue d'Israël, ce « retour en arrière » le contraindrait à des concessions que la stratégie unilatérale permet d'éviter. En réalité, il ne pourra y avoir d'Etat palestinien : les territoires non occupés ne communiqueront pas entre eux, les frontières resteront contrôlées par Israël qui pourrait même créer une zone militarisée le long du Jourdain. Israël n'entend certes pas occuper en totalité la Cisjordanie, car les Israéliens deviendraient alors démographiquement minoritaires dans cet ensemble. L'évacuation de Gaza s'inscrit dans ce scénario. Aussi bien, si elle rencontre tant d'oppositions, signifie-t-elle le renoncement au « grand Israël » et constitue-t-elle un précédent pour l'évacuation de colonies. Cette stratégie, rationnelle, donne le sentiment de créer l'irréversible et, pour la première fois, le Président des Etats-Unis a reconnu cette irréversibilité, position qui les prive désormais de leur rôle d'arbitre.

S'interrogeant sur l'avenir de la région, M. Jean François-Poncet a considéré que le passage d'une résistance palestinienne laïque à un mouvement d'islamisation menaçait les Territoires palestiniens tout comme l'ensemble du Moyen-Orient. Aussi bien ce conflit est-il l'un des éléments clé de l'avenir des relations entre l'Occident et le monde arabe. Enfin, si, pendant de nombreuses années, les Israéliens ont vécu aux côtés des Palestiniens, aujourd'hui la séparation est totale. Le « mur » s'inscrit ainsi dans une logique qui consiste, pour Israël, à « tourner le dos » au monde arabe, pour regarder vers l'Europe. Il a souhaité que la commission se donne pour tâche, au cours de la prochaine session, de tenter d'élaborer une synthèse sur le Moyen-Orient et son devenir.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga s'est demandé si l'on pouvait considérer que le processus de conquête territoriale était parvenu à son terme dans ce conflit. Elle s'est également interrogée sur les difficultés rencontrées par les Palestiniens chrétiens.

M. Guy Penne, rapporteur, a souligné que ces difficultés étaient réelles, comme a pu le constater la délégation lors d'une visite à Abou Dis, auprès d'une congrégation religieuse. Un accord entre Israël et le Vatican est d'ailleurs en cours de négociation actuellement.

M. Xavier de Villepin s'est interrogé sur la capacité de la communauté internationale à trouver des solutions à ce conflit. Le calendrier des élections américaines ne permettra aucun mouvement significatif avant la fin du mois de janvier 2005. Il convient de parvenir à une concomitance d'actions extérieures et de réformes intérieures. Une nouvelle pensée politique palestinienne doit émerger et les vicissitudes du gouvernement d'Ariel Sharon montrent qu'il faudrait de nouvelles élections en Israël. Il s'est également interrogé sur l'opportunité des aides budgétaires européennes aux Palestiniens, qui permettent de reconstruire des infrastructures qui sont systématiquement détruites à nouveau. Enfin, la mise en place d'un Etat palestinien non viable n'affecterait-elle pas, à terme, la viabilité d'Israël même ?

M. Serge Vinçon s'est interrogé sur la possibilité d'une intervention européenne, dans la mesure où les Etats-Unis se sont départis de leur rôle d'arbitre. Il a souhaité savoir si le retour des réfugiés palestiniens restait envisageable, notamment pour ceux qui résident au Liban ou en Jordanie.

M. Jean-Guy Branger a considéré que, dans ce conflit, aucun des accords signés n'avait jamais été respecté. Le « pourrissement » de la situation laisse ainsi place à l'imposition d'un rapport de forces. Il a souligné les difficultés matérielles pratiquement insurmontables auxquelles se heurterait l'organisation d'élections dans les territoires palestiniens, du fait des limitations imposées au déplacement des populations par les autorités israéliennes. Il s'est demandé dans quelle mesure la détérioration continue de la situation sur le terrain ne la rendrait pas irréversible, éliminant toute perspective crédible de création d'un Etat palestinien viable. Enfin, il a estimé que si l'Union européenne parvenait à témoigner d'une volonté politique forte, ses positions seraient de nature à créer un contexte nouveau et à faire progresser la recherche d'un règlement politique.

M. Jean-Pierre Plancade, relevant l'approche équilibrée retenue par les membres de la délégation, a souligné la responsabilité de chaque partie au conflit dans la détérioration de la situation, qu'il s'agisse de Yasser Arafat ou du gouvernement Sharon. Il a estimé que le soutien dont ce dernier bénéficie de la part des Etats-Unis paralysait l'action de la communauté internationale et s'est demandé comment celle-ci pourrait effectuer des propositions ayant une chance d'être entendues.

M. André Dulait, président, a souhaité savoir si l'ensemble des mesures prises par le gouvernement israélien pouvaient provoquer, à moyen terme, un départ des Palestiniens des territoires occupés.

M. Guy Penne, rapporteur, en réponse aux différentes interventions, a effectué les commentaires suivants :

- on doit s'inquiéter de l'écho grandissant que pourrait trouver l'islamisme radical dans la jeunesse palestinienne, alors que l'Autorité palestinienne fonctionne selon le principe de laïcité ;

- tous les réfugiés palestiniens ne se trouvent pas dans une même situation, le sort de ceux qui résident au Liban étant beaucoup plus difficile que celui des réfugiés en Jordanie, qui ont accès à la nationalité jordanienne et ne subissent pas d'entrave à leur insertion professionnelle ;

- si la viabilité d'un futur Etat palestinien est aujourd'hui clairement remise en cause, on peut également se poser la question de la viabilité d'Israël, à moyen terme, dans un environnement qui deviendrait de plus en plus hostile du fait du non-règlement de la question palestinienne ;

- certaines organisations juives américaines exercent une forte influence sur l'administration actuelle, mais il n'est pas certain qu'un changement de Président, après les élections de novembre, modifierait la ligne politique des Etats-Unis.

M. Jean François-Poncet a lui aussi considéré que la perspective d'un Etat palestinien viable s'éloignait de jour en jour. Il s'est en revanche montré dubitatif sur la possibilité de voir la viabilité d'Israël elle-même remise en cause par la persistance du conflit. Il a souligné, sur ce point, que la construction du mur de sécurité avait permis une nette diminution du nombre d'attentats suicides, qui sont le fait de Palestiniens infiltrés. La sécurité d'Israël ne deviendrait réellement menacée que dans l'hypothèse où les Palestiniens de l'intérieur prendraient fait et cause pour ceux des territoires. Il a observé qu'une telle situation pourrait d'ailleurs se retrouver en Europe, si les communautés musulmanes étaient gagnées par l'islamisme radical.

S'agissant de la question des réfugiés, il a insisté sur la nécessité de distinguer le « droit au retour », qui ne semble pas envisageable dans le périmètre de l'Etat d'Israël pour des raisons démographiques, et d'autres éléments qui peuvent, pour leur part, faire l'objet d'une négociation, notamment le versement d'indemnités à des réfugiés qui demeureraient dans leur pays d'accueil. Il a par ailleurs jugé peu probable le départ massif des Palestiniens des territoires, dans la mesure où peu de pays de la région seraient disposés à les recevoir. Aussi bien peut-on craindre, pour cette raison, de voir se perpétuer un foyer de tension et d'instabilité, dont les effets seront ressentis non seulement dans la région, mais également dans l'ensemble du monde occidental.

Évoquant les perspectives d'action diplomatique, M. Jean François-Poncet a considéré que l'Union européenne devait éviter de formuler des propositions qu'elle ne serait pas en mesure de mettre en oeuvre. Il a en revanche plaidé en faveur d'un sommet Union européenne - Etats-Unis sur la question israélo-palestinienne. S'agissant de la politique américaine, il a cité les différents facteurs pouvant influer, dans un sens ou dans un autre, sur son évolution. Dans l'hypothèse d'une réélection du Président Bush, on peut penser que le poids de certains lobbies, qu'ils relèvent de la communauté juive ou de groupes chrétiens conservateurs du sud, demeurera important. Mais à l'opposé, le fait que le Président ne soit pas rééligible, lui donnant une marge d'action plus large, pourrait l'amener à exercer des pressions plus fortes sur le gouvernement israélien. Enfin, désormais conscients des limites politiques, militaires et financières à leur puissance, les Etats-Unis pourraient également reconsidérer leur approche des questions de la région. En tout état de cause, il serait extrêmement utile, pour les parlementaires français, d'établir, sur ce point, un dialogue avec leurs homologues du Congrès.

Mme Danielle Bidard-Reydet a souligné que la nécessité d'un profond renouvellement du personnel politique était reconnue par beaucoup de Palestiniens, mais que les restrictions apportées à la liberté de circulation des populations rendaient matériellement très difficile l'organisation d'élections, initialement envisagées pour le mois de juin. En ce qui concerne le rôle de l'Union européenne, elle a estimé qu'il ne devait pas se réduire à celui de « banquier », nombre de Palestiniens estimant au demeurant qu'elle serait plus utile en pesant sur le plan politique qu'en apportant son soutien financier. Elle a rappelé à ce titre la clause relative aux droits de l'homme incluse dans les accords de partenariat et de coopération de l'Union européenne, et notamment dans celui conclu avec Israël, considérant qu'il y avait là un moyen d'exercer des pressions et, le cas échéant, d'appliquer des sanctions. Citant l'exemple de Bethléem, elle s'est vivement inquiétée du flux constant de départs vers l'étranger dans la communauté chrétienne de Palestine, en se demandant si certains ne pourraient pas tirer avantage de cette situation en réduisant le conflit à un affrontement entre le monde arabo-musulman et le monde occidental.

S'agissant de la sécurité, Mme Danielle Bidard-Reydet a reconnu qu'il s'agissait d'une question centrale pour Israël, mais s'est étonnée que les autorités israéliennes n'aient jamais donné suite à des propositions répondant à leurs préoccupations, comme, par exemple, le plan suggéré en 2002 par le prince Abdallah d'Arabie saoudite, qui tendait à faire reconnaître Israël et son droit à la sécurité par tous les pays arabes en échange d'un retrait des territoires occupés. Enfin, elle a souligné la montée de l'opposition à la politique du gouvernement Sharon au sein de l'opinion israélienne, en souhaitant, de la part de la France et de l'Europe, un soutien plus affirmé à cette composante pacifiste .

La commission a ensuite autorisé la publication de cette communication sous forme d'un rapport d'information.

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