II. L'INITIATIVE ISRAÉLIENNE : LE RÈGLEMENT UNILATÉRAL ET LES ILLUSIONS D'UNE SOLUTION IMPOSÉE

A. LE RÈGLEMENT UNILATÉRAL : UNE RENONCIATION RAISONNÉE AU « GRAND ISRAËL »

1. Des circonstances favorables

a) Une situation stratégique relativement propice

A l'issue des guerres israélo-arabes successives, les relations d'Israël avec ses voisins ont relevé sur le plan juridique de l'armistice ou de la suspension des hostilités. Israël n'a pas fait l'objet d'une reconnaissance officielle de la part de la plupart des Etats de la région.

Cette situation a été rappelée à votre délégation chaque fois que la question de la sécurité a été abordée, à l'appui d'une description d'un Israël isolé dans un environnement hostile.

De facto , la menace émanant de pays arabes coalisés est largement à relativiser : le panarabisme a montré ses limites et, dans bien des cas, le conflit israélo-palestinien est plus une question de politique intérieure pour des gouvernements à la légitimité érodée.

Depuis le sommet arabe de Beyrouth de 2002 et la présentation de l'initiative du prince Abdallah d'Arabie saoudite, tous les Etats arabes ont affirmé leur disposition à reconnaître l'existence d'Israël dans l'hypothèse du règlement du conflit. De longue date, tous ont reconnu le monopole des Palestiniens dans les discussions, en ne posant pas de conditionnalités supplémentaires. Le président iranien a également déclaré être sur cette position en janvier 2004, en déclarant : « tout ce que les Palestiniens accepteront, nous l'accepterons aussi ».

L'Etat hébreu est en paix avec deux de ses voisins, l'Egypte et le Jordanie, avec qui des traités de paix ont été signés en 1978 et en 1994.

Les relations sont confiantes avec la Jordanie, dans une relation d'intérêt partagé bien compris. Avec l'Egypte, elles sont plus contrastées, dans la mesure où Israël reproche à son voisin sa négligence, voire sa bienveillance à l'égard des livraisons d'armes vers la bande de Gaza.

Le général Eiland, brossant un tableau des relations d'Israël avec ses voisins, a souligné tout particulièrement le soutien de la Syrie au Hezbollah et de l'Arabie saoudite au Hamas, sous forme de financement ou d'appui logistique.

L'intervention américaine en Irak supprime une source de menace pour Israël mais dissuade également, si besoin en était, son agression par un Etat de la région.

A cet égard, la Syrie ne représente plus qu'une menace relative même si le règlement des contentieux territoriaux (plateau du Golan, accès au lac de Tibériade) n'a pas progressé depuis l'échec des négociations de Sheperdstown en 2000. Israël bénéficie d'une position plutôt favorable face à une Syrie affaiblie, dans l'hypothèse d'une reprise des pourparlers sur le volet syro-israélien du processus de paix, comme en témoignent le peu d'empressement d'Israël à répondre aux ouvertures faites par la Syrie et le développement de la colonisation du Golan.

Etat non partie au traité de non-prolifération et officieusement doté de l'arme nucléaire, Israël dispose, en sus de la garantie américaine, de moyens propres à assurer sa sécurité, sans comparaison avec ceux de ses voisins.

C'est pourquoi la menace stratégique la plus sérieuse pour Israël est la tentative de l'Iran de se doter de l'arme nucléaire. Dans un contexte de prolifération dans la région, l'accession de l'Iran à des capacités nucléaires nourrirait les ambitions de l'Arabie saoudite dans ce domaine. Vos rapporteurs ont pu constater que l'action conjointe de trois pays européens (France, Royaume-Uni, Allemagne) envers l'Iran pour la signature d'un protocole additionnel au TNP et l'acceptation des inspections de l'agence internationale pour l'énergie atomique, avait été perçue de façon particulièrement positive. Les interlocuteurs reconnaissaient à l'action européenne une véritable valeur ajoutée dans les négociations et appelaient à la poursuite des efforts déployés.

b) Une « relation spéciale » avec les Etats-Unis

Les relations israélo américaines forment un partenariat à la fois privilégié et équilibré.

L'aide civile et militaire des Etats-Unis à Israël représente plus de 3 milliards de dollars par an. Israël est ainsi le premier destinataire de l'aide extérieure américaine, pour un tiers du total. Le pays bénéficie également de la garantie américaine pour sa sécurité et d'un soutien politique jamais démenti dans les instances internationales 10 ( * ) .

A la proximité historique des deux pays s'est ajoutée progressivement, à la suite des événements du 11 septembre 2001, une communauté de vues croissante sur la lutte contre le terrorisme et l'évolution du monde arabe qui se manifeste par une adhésion aux choix faits par le gouvernement israélien. La politique sécuritaire et le discrédit porté sur l'Autorité palestinienne comme partenaire sont ainsi soutenus par l'administration américaine.

Profondément investie dans la définition du statut final à Camp David, l'administration américaine a adopté une position plus en retrait après l'échec du sommet de l'été 2000 et l'entrée en fonction du président Bush en janvier 2001.

Les Etats-Unis ont cependant pris toute leur place dans le vote de la résolution 1397 du conseil de sécurité en faveur de la coexistence de deux Etats, puis dans la préparation de la feuille de route, endossée par la résolution 1515.

Dans son discours du 24 juin 2002, le président américain exposait sa vision de deux Etats « vivant côte à côte dans la paix et la sécurité ». En appelant de ses voeux l'émergence d'un nouveau leadership palestinien, George Bush faisait référence à l'ensemble des résolutions pertinentes des Nations unies pour définir les termes du règlement final.

Mais les Etats-Unis ont par la suite adopté une position de plus en plus proche de celle d'Israël. Le soutien américain a culminé avec la lettre de garanties accordée par le président américain au plan de retrait unilatéral du premier ministre israélien le 14 avril 2004. Les Etats-Unis ont affiché à cette occasion une partialité assumée, particulièrement mal ressentie par les Palestiniens.

Au cours de l'entretien de votre délégation avec le Premier ministre palestinien, celui-ci a estimé que les Etats-Unis avaient « bradé » toutes les cartes dont pourraient disposer les Palestiniens dans la négociation, tout en donnant carte blanche à Israël.

Par un alignement croissant sur les positions israéliennes, les Etats-Unis se sont progressivement interdit d'utiliser leur influence pour peser sur les décisions israéliennes, prenant ainsi le risque d'afficher une partialité mal ressentie dans l'ensemble de la région et se privant de la position d' « honnête courtier » dans le conflit.

2. Les motivations du retrait unilatéral : démographie et sécurité

Elu sur un programme de sécurité et de refus du processus d'Oslo, le gouvernement d'Ariel Sharon n'a pas un bilan très satisfaisant sur le terrain sécuritaire. S'il a pu répondre aux attentes de l'opinion en suscitant un réflexe d'union nationale né du sentiment de la « patrie en danger », en menant une politique de répression très dure et en cantonnant Yasser Arafat dans son quartier général, le besoin de mouvement se fait sentir pour sortir du marasme, le maintien du statu quo n'étant à l'évidence pas tenable.

La multiplication des initiatives parallèles au processus de paix oblige également le gouvernement à reprendre l'initiative. En Israël, comme d'ailleurs dans les territoires palestiniens, votre délégation a pu constater le faible crédit accordé aux propositions de l'initiative de Genève qui a pourtant suscité un écho très important en Europe. Ni le contenu des propositions, ni la personnalité de leurs promoteurs n'ont emporté l'adhésion, pour ne pas dire suscité un franc rejet. L'initiative de Genève ne fait pas partie des termes du débat en Israël. Pour autant, elle a certainement contribué à relancer les discussions au sein de la classe politique israélienne sur la nécessité de faire mouvement.

Perceptible dès l'automne dans les propos du vice-premier ministre Ehud Olmert, puis évoquée par le premier ministre en décembre, lors de la conférence d'Herzilia, la planification du plan de séparation a été annoncée aux parlementaires du groupe Likoud de la Knesset le 2 février 2004, comme une alternative à une situation de blocage pour assurer « un maximum de sécurité pour un minimum de confrontation entre israéliens et palestiniens ». Elle prévoyait le redéploiement de l'armée le long d'une ligne de sécurité qui constituerait une frontière provisoire, l'évacuation de colonies isolées, le renforcement des blocs principaux de colonies en Cisjordanie et l'accélération de la construction du mur de protection.

Le plan de séparation du premier ministre Sharon témoigne de l'évolution idéologique d'une partie du Likoud révoquant le projet de « grand Israël » et faisant le choix de la concession territoriale. Cette évolution s'appuie sur une série de constats.

Un constat démographique tout d'abord : le dynamisme démographique de la population palestinienne des territoires, bien supérieur à celui des Israéliens, conduirait à la parité démographique des deux populations à l'horizon de 2020. La démographie met donc en péril l'idée d'un Etat peuplé majoritairement de Juifs, la coexistence de deux populations aux droits inégaux mettant, quant à elle, en péril son caractère démocratique.

Après la vague d'immigration des années 1990, qui a vu l'arrivée de plus d'un million de personnes en provenance de Russie, l'immigration se stabilise aujourd'hui sur des chiffres voisins de ceux de 1989, environ 24 000 personnes.

Un constat militaire ensuite : l'occupation des Territoires multiplie les « points de friction » avec l'armée israélienne et les occasions de confrontations avec les populations. Le scénario d'une « libanisation » de Gaza avec des pertes importantes en hommes, n'est pas exclu.

Un bilan coût/avantages tiré de la situation à Gaza conduit à considérer que le coût de la protection des colons, en moyens budgétaires et militaires, est peut être supérieur à l'intérêt stratégique ou même symbolique de leur présence. Les familles de soldats ont ainsi joué un rôle important dans le retrait du sud-Liban devant l'impopularité croissante du maintien de la présence israélienne dans certaines zones ; un mouvement similaire était possible pour Gaza.

Sur le plan stratégique, la sécurité d'Israël ne requiert pas la maîtrise de l'ensemble des territoires palestiniens dans l'hypothèse où des blocs de colonies importants seraient maintenus en Cisjordanie.

Le plan Sharon d'aujourd'hui ressemble fort au plan Allon de 1973, qui supposait l'annexion de 40 % du territoire de la Cisjordanie occupée. Ces deux plans ont d'ailleurs aussi en commun de ne pas avoir pour corollaire la création d'un Etat palestinien.

3. Une recomposition politique ?

Le plan de retrait unilatéral du premier ministre israélien, bien que soutenu par la grande majorité de l'opinion publique, suscite de fortes réticences au sein de la droite israélienne et constitue un véritable séisme pour le Likoud.

Reçue par la commission des Affaires étrangères de la Knesset, peu après la présentation du plan, votre délégation a pu constater que l'idée de concessions territoriales et du démantèlement de colonies se heurtait à l'opposition de membres du Likoud. Ceux-ci considéraient que le gouvernement israélien avait une responsabilité morale à l'égard des colons longtemps encouragés à s'installer dans les territoires palestiniens.

Le premier ministre a soumis son plan par référendum aux militants du Likoud le 2 mai 2004. Cette consultation a été précédée d'une campagne très active des colons et d'un débat au sein du gouvernement sur le caractère insuffisant de l'engagement de certains ministres. Le résultat a été négatif à 60 %.

Le premier ministre a aussitôt indiqué qu'il maintiendrait les principaux objectifs de son plan de désengagement mais qu'il pourrait en aménager les modalités. Les Etats-Unis ont de leur côté fait savoir que leur soutien ne concernait que la version initiale du texte.

L'examen du plan par le conseil des ministres a été plusieurs fois reporté, le premier ministre ne disposant pas de la majorité nécessaire au sein du gouvernement.

Cet examen a eu lieu le 6 juin 2004, après qu'Ariel Sharon eut limogé les deux ministres de l'Union nationale (Avigdor Lieberman et Béni Elon), afin de s'assurer une majorité. Le texte examiné est cependant une version très remaniée du texte original puisqu'il prévoit un désengagement à la fois retardé (qui ne commencerait qu'en 2005), limité (trois colonies dans un premier temps et non la totalité) et fractionné (le vote du gouvernement fixe le principe mais chaque retrait devra faire l'objet d'une nouvelle approbation formelle).

Les partis religieux, l'Union nationale et le Parti national religieux avaient lié leur participation à la coalition gouvernementale à l'assurance du maintien d'une politique favorable au développement des colonies. Après le départ des ministres de l'Union nationale de la coalition, le gouvernement d'Ariel Sharon se retrouve sans majorité à la Knesset. Lors du déplacement de vos rapporteurs, le parti travailliste était partagé entre l'entrée au gouvernement et une forme de « soutien sans participation », assurant que, sur le plan de retrait, le premier ministre aurait une majorité à la Knesset à défaut d'une coalition de rechange.

Après les élections de 2003, où le partage Likoud/Parti travailliste a été brouillé par la multiplication des petits partis, le plan de retrait pourrait être à l'origine d'une recomposition politique plus claire sur les choix israéliens face à la question palestinienne.

4. Les modalités

Les modalités précises du plan de séparation ne sont pas encore connues de façon détaillée et seront certainement appelées à évoluer à mesure de sa mise en oeuvre. A l'occasion d'un entretien avec le général Giora Eiland, chef du conseil de sécurité nationale et chargé par le premier ministre de la planification du retrait de Gaza, la délégation a pu en constater la fermeté des principes, mais le caractère évolutif du contenu et du calendrier. Le plan de retrait a ainsi connu plusieurs ajustements, à mesure, notamment des échanges avec l'administration américaine, il est aujourd'hui soumis aux aléas de la politique intérieure israélienne.

Le sort des colonies évacuées, le lieu d'installation des colons expulsés, qui sont autant de points essentiels pour la compatibilité du plan avec la feuille de route, ont fait l'objet de déclarations contradictoires.

Le plan s'inscrit cependant dans un cheminement unilatéral plus général, engagé depuis quelques temps, et qui comprend la construction du mur de séparation et la « destruction des infrastructures terroristes », pour tenter, au moins à court terme, de réduire les attentats en provenance des territoires.

a) Le mur de séparation

Voulue par Benjamin Ben Eliezer, alors ministre travailliste de la défense au sein du gouvernement d'union nationale, l'édification du mur de séparation/barrière de sécurité a commencé en juin 2002, dans le nord de la Cisjordanie.

L'objectif est de réduire le niveau de la violence en Israël en limitant les possibilités d'infiltration des auteurs d'attentats-suicide, à l'exemple de ceux qui ont porté leurs attaques à Natanya, en provenance de la ville palestinienne proche de Tulkarem.

Vos rapporteurs ont pu constater le consensus israélien sur la construction du mur comme ouvrage de défense contre les attentats, rassemblant tous les courants politiques. Seul son tracé fait débat.

La nature de l'ouvrage varie en fonction du terrain : blocs de béton dans les zones urbaines, que vos rapporteurs ont pu observer à Qalqilya, Abou Dis et Bethléem, clôture électrifiée bordée d'une route de patrouille dans les zones de plus faible densité, sur le modèle de la clôture qui entoure la bande de Gaza.

Le tracé de la barrière de sécurité a connu plusieurs évolutions et n'était pas encore totalement défini lors de la visite de vos rapporteurs en Israël. Des portions de barrières, dites « secondaires », édifiées pour la protection de tronçons de route ou de colonies ont été annulés, voire démantelées et la longueur initialement prévue (environ 700 kilomètres), raccourcie d'environ 80 kilomètres.

Le Gouvernement israélien a en outre renoncé à construire la partie orientale du mur le long de la vallée du Jourdain, ce qui aurait conduit à encercler totalement la Cisjordanie et à annexer une partie considérable des territoires palestiniens, pour n'en laisser que 53 % sous administration palestinienne. Quant à relier ou non la colonie d'Ariel (40 000 habitants) au tronçon principal pour former le « doigt d'Ariel » en Cisjordanie, un premier renoncement a fait place à la confirmation du tracé.

Le Gouvernement attend la fin de la construction de l'ouvrage pour le courant de l'année 2005, pour un coût global estimé à 2 milliards de dollars.

b) Le retrait de Gaza

La bande de Gaza est un territoire de 365 km2 dont les 55 km2 de zone urbaine concentrent une des densités de population parmi les plus élevées au monde : 25 400 habitants au km2.

Un tiers du territoire est sous contrôle israélien direct, la « zone militaire fermée » représentant environ un quart du territoire.

17 colonies israéliennes sont implantées à Gaza, représentant une population d'environ 7 500 personnes 11 ( * ) .

En déclarant « il n'y aura plus un israélien à Gaza dans 6 mois », le premier ministre israélien, a annoncé le lancement de la planification du démantèlement de l'ensemble des colonies et le retrait de l'armée israélienne de la bande de Gaza. Israël continuerait « à contrôler l'espace aérien et maritime de la bande de Gaza, ainsi que l'axe routier « Philadelphi », le long de la frontière égyptienne. Les colonies situées le long de la frontière Nord resteraient en place.

En contrepartie du retrait, Israël rechercherait la « compréhension du monde », selon les termes retenus par M. Zeev Boïm, au cours de l'entretien accordé à votre délégation. La compréhension recherchée est essentiellement celle des Etats-Unis, l'ajustement du plan se faisant à mesure des échanges avec l'administration américaine.

Les contreparties demandées par Israël, obtenues sous la forme de la lettre de garanties du président américain, portaient sur l'abandon de deux principes de négociations : les frontières de 1949 et le retour des réfugiés.

M. Giora Eiland, chef du conseil de sécurité nationale, chargé de la planification de retrait a réaffirmé à votre délégation que le retrait se ferait sans négociation, ni même coordination avec les palestiniens.

Dans sa mise en oeuvre, comme l'ont constaté vos rapporteurs, la séparation des populations ne laisse pas d'espace pour un Etat palestinien viable aux côtés d'Israël.

Les conditions de ce retrait laissent par conséquent des questions décisives en suspens et font apparaître les contradictions d'une paix imposée.

B. ... QUI NE LAISSE PAS POUR AUTANT PLACE À UN ETAT PALESTINIEN...

1. Un territoire « cantonisé »

a) Le tracé du mur de séparation

Symbole achevé de l'échec du processus de paix, le mur de séparation aurait pu cependant constituer la préfiguration des deux Etats prévus par la feuille de route. Le niveau de confiance entre les deux peuples est si ténu que la séparation est déjà, d'une certaine manière, effective. Le mur aurait alors conduit à réduire les « frictions », selon l'expression communément employée par les interlocuteurs israéliens de la délégation.

A l'évidence cependant, ce mur est source de difficultés supplémentaires : bien que qualifié d'ouvrage temporaire, il opère des modifications en profondeur de la topographie, des paysages, des habitudes de circulation des populations et des flux économiques.

Au cours d'une visite chez les soeurs de Notre-Dame des douleurs, à Abou Dis, vos rapporteurs ont pu mesurer les perturbations occasionnées par le mur sur la vie quotidienne d'un établissement d'accueil de personnes âgées : la construction du mur a placé l'établissement du « côté israélien du mur », ce qui le coupe à la fois des familles des résidents, du lieu de résidence des salariés et de sa zone traditionnelle de chalandise dont les prix sont plus avantageux que ceux de Jérusalem.

Dans les zones rurales, des villages sont séparés par le mur de leurs terres agricoles et privés de leurs ressources en eau. C'est le cas en bordure de Qalqiliya où votre délégation s'est vue présenter un projet de tunnel pour permettre aux habitants des villages d'aller cultiver leurs terres. Ces situations ne peuvent qu'alimenter les rancoeurs et les frustrations.

En dépit des modifications substantielles du tracé précédemment évoquées, seul un tiers environ de la portion construite du mur, soit environ 200 kilomètres, épouse le tracé de la ligne d'armistice de 1967, la « ligne verte », à laquelle fait référence le corpus des résolutions du conseil de sécurité des Nations unies. La construction du mur ne témoigne donc pas d'un choix clair entre séparation des populations et gain territorial, entre considérations politiques et sécuritaires.

Particulièrement spectaculaire à Jérusalem-est, le mur sépare une zone urbaine palestinienne en deux parties, sans que la logique sécuritaire qui préside à ce tracé soit véritablement apparente. Avec un tracé particulièrement contestable à cet endroit, le mur entérine clairement l'extension à l'est du peuplement israélien, particulièrement sensible au sud de la ville, où le mur englobe les colonies de Gilo et d'Har Homa qui séparent Jérusalem de Bethléem.

Le tracé du mur conduit à englober des territoires mais aussi des habitants palestiniens, dont il est malaisé d'évaluer précisément le chiffre à ce stade mais qui atteignait d'ores et déjà 12 000 à la fin de l'année 2003 et pourrait atteindre près de 200 000 à terme. La zone située entre le mur et la ligne verte crée une nouvelle catégorie de Palestiniens : cette zone est une « zone militaire fermée » où la résidence et l'accès sont réglementés par l'attribution de permis spécifiques pour les palestiniens mais libres pour les israéliens, ce qui assimile de fait cette zone au territoire israélien. A Jérusalem, le mur redéfinit les frontières de la ville, incluant des colons et excluant des habitants palestiniens devenus illégaux. Il modifie les équilibres démographiques sur lesquels étaient fondés les solutions proposées pour Jérusalem dans le cadre d'un règlement final.

b) La poursuite de la colonisation

Après juin 1967, la Cisjordanie et Gaza devaient être considérés comme des gages territoriaux, monnaie d'échanges dans les négociations à venir.

Commencée à la fin des années 1970, sous l'impulsion du mouvement Goush Emounim (Bloc de la foi), pour des raisons religieuses et idéologiques, la colonisation s'est développée en fonction de considérations sécuritaires et politiques : le relief de la Cisjordanie domine la plaine côtière israélienne dont les colonies doivent constituer la défense « avancée » et la constitution de quartiers juifs autour de Jérusalem devait garantir l'indivisibilité de la capitale.

Depuis le lancement du processus d'Oslo, la présence israélienne dans les territoires s'est considérablement développée. Entre 1993 et 2000, la population israélienne en Cisjordanie a presque doublé, passant de 100 000 à 191 000 personnes. Nombre d'entre elles ont choisi d'habiter les colonies pour des raisons économiques, en raison des avantages offerts dans les domaines du logement et de la fiscalité.

Entre 2001 et 2003, la population des implantations juives dans les territoires s'est accrue de 16 %, dont 4,5 % pour la seule année 2003 12 ( * ) , ce qui, au vu de la situation sécuritaire, témoigne du renforcement de la part idéologique de la colonisation.

Mi février 2004, la commission des finances de la Knesset approuvait l'octroi de 60 millions de shekels supplémentaires pour la colonisation dans les territoires et à Jérusalem.

La recherche de la continuité territoriale entre colonies conduit à l'extension des quartiers de colonisation et à la constitution de véritables villes, reliées par des routes dites « de contournement », accessibles aux seuls colons. C'est un territoire mité qui serait dévolu au futur Etat palestinien.

2. Une viabilité économique introuvable

Les espaces aérien et maritime de Gaza resteront contrôlés par Israël. Le port et l'aéroport de Gaza ne seront pas remis en service à brève échéance. Tous les accès des territoires palestiniens restent sous contrôle israélien et se trouvent, de ce fait, sans autre débouché que le territoire israélien lui même.

Il est peu vraisemblable que les territoires palestiniens attirent dans ces conditions les investissements du secteur privé.

Le marché du travail israélien reste l'unique débouché des travailleurs palestiniens. Or, le nombre de permis de travail en Israël, accordés ces dernières années a été drastiquement réduit, Israël préférant avoir recours à une main d'oeuvre originaire de pays tiers.

Le retrait, récemment annoncé pour des raisons de sécurité, des entreprises israéliennes de la zone industrielle d'Erez où travaillent de nombreux Gazaouis est un nouveau facteur aggravant d'une situation de l'emploi déjà très dégradée de la bande de Gaza.

L'économie de la bande de Gaza, si l'on écarte les possibilités d'exploitation de gaz off shore, est limitée au commerce et à l'agriculture dont les seuls débouchés sont sur le marché israélien.

La viabilité économique de l'entité palestinienne apparaît donc plus qu'hypothétique, tant les conditions d'accès et le manque de débouchés la condamnent à l'asphyxie. En l'absence de possibilité de s'insérer dans un ensemble économique plus vaste, les transferts d'aide internationale ou de revenus de la diaspora sont les seules perspectives envisageables.

3. Une situation politique explosive

Un Etat faible, pauvre et sans la capacité de proposer à sa population un projet fédérateur présente un risque élevé de basculer vers une « zone grise », où règne une forme d'anarchie.

Les territoires palestiniens ont jusqu'à présent été épargnés par ce scénario, du fait notamment d'une structure sociale très solide, qui permet une certaine régulation en l'absence d'Etat.

La situation dans le nord de la Cisjordanie est cependant préoccupante, en particulier à Naplouse, où l'Autorité palestinienne n'a plus le « monopole de la violence légitime » et où se sont affrontés des groupes armés rivaux.

C. ...ET LAISSE NOMBRE DE QUESTIONS NON RÉGLÉES.

1. La sécurité sans la paix ?

L'impératif sécuritaire qui préside au plan de retrait ne semble qu'imparfaitement poursuivi selon la stratégie retenue par le Gouvernement israélien : le refus d'une coordination minimale avec l'Autorité palestinienne obère ses capacités à assurer l'ordre à Gaza après le départ de l'armée israélienne.

Dès lors, le mouvement islamiste Hamas se trouve en position de force dans le dialogue inter-palestinien sur la gestion future de Gaza. Il n'est pas certain que cette situation serve réellement les intérêts israéliens, alors que la situation économique et sociale de Gaza alimente clairement les fractions les plus radicales de l'islamisme armé.

A la suite de l'annonce du plan de retrait, l'armée israélienne a multiplié les opérations à Gaza, démonstrations de puissance destinées à mieux faire valoir le caractère discrétionnaire du retrait. Il s'agit de ne pas faire apparaître ce projet comme une victoire du Hamas et éviter une exploitation politique semblable à celle que le Hezbollah avait tirée du retrait israélien du sud Liban en mai 2000. Ces démonstrations de force ont conduit à multiplier les risques, comme en témoignent le caractère meurtrier des opérations des 11 et 12 mai 2004, au cours desquelles, onze soldats israéliens ont été tués.

L'opération « Arc en ciel » de mai 2004, en réponse à ces décès a provoqué la mort de 44 Palestiniens en une semaine.

Israël a aussi intensifié sa politique d'éliminations ciblées de dirigeants du Hamas, qui a culminé avec la mort du leader Ahmed Yassine, le 8 mars 2004. L'élimination du personnage le plus populaire du Hamas risquait de renforcer les fractions les plus dures du mouvement, de nourrir une « vendetta » particulièrement meurtrière sans pour autant parvenir à décapiter un mouvement aux ramifications multiples.

La situation dans la bande de Gaza après le retrait de l'armée israélienne reste en question, même si les interlocuteurs palestiniens de votre délégation ont tous proclamé la capacité de l'Autorité à gérer la situation. A défaut, une situation de chaos à Gaza ne contribuerait qu'à dégrader plus encore la situation sécuritaire en Israël. La gestion exclusivement sécuritaire des relations avec les Palestiniens est elle même contestée par une partie de l'Armée, en désaccord avec cette stratégie, alors qu'elle en subit au premier chef, les conséquences.

On voit mal dès lors comment les Nations unies, qui pourvoient à l'essentiel des besoins de base des Palestiniens, ou l'Union européenne, principal bailleur de fonds, et les Etats voisins, en particulier l'Egypte, comme les principaux partenaires bilatéraux d'Israël pourraient être tenus à l'écart d'un processus de retrait cohérent. C'est du reste le mouvement que semblent amorcer les autorités israéliennes en cherchant à nouer des coopérations actives avec l'Egypte et la Jordanie, dont la médiation est apparue indispensable à la mise en oeuvre du plan de retrait dans le domaine de la sécurité.

2. Quelle normalisation pour Israël ?

Le plan de séparation présenté par le premier ministre israélien conduit à s'interroger sur la vision de l'Etat hébreu sur son propre avenir au sein de son environnement proche et de son évolution intérieure.

a) Un îlot d'occident au sein du Proche Orient ?

L'enjeu de la conférence de Madrid de 1991 était le lancement d'un processus de normalisation des relations entre Israël et l'ensemble des Etats de la région.

La mise en oeuvre du plan de séparation par la construction du mur maintient Israël sur une position de repli par rapport à son environnement. L'Etat hébreu ressent sa position comme celle d'un Etat occidental dans une région à la fois profondément différente et hostile.

A l'heure où les intégrations régionales s'organisent, Israël se tourne vers l'Europe, avec laquelle se font l'essentiel de ses échanges et non vers ses voisins immédiats.

En 1995, l'Union européenne a lancé le processus de Barcelone, fondé sur le dialogue politique, les échanges économiques et le soutien financier à des projets dans un éventail de domaines très variés, au nombre desquels figure l'intégration régionale des échanges.

Dans un autre registre, l'initiative américaine pour le Grand Moyen Orient part du constat de la dangerosité de cette région et de son retard de développement pour proposer des réformes politiques et économiques.

Ne pas chercher à apporter un règlement équitable au conflit israélo-palestinien dans ce contexte serait se satisfaire d'une paix armée et d'un isolement peu favorables au développement des échanges.

b) L'Etat de « tous ses citoyens »

La persistance d'un état de guerre, même de basse intensité, conduit à différer des questions de politiques intérieures déterminantes pour la définition par Israël de son identité.

L'armée, devenue une armée d'occupation, occupe une place prépondérante dans le budget de l'Etat et dans la vie des citoyens israéliens mais aussi dans la définition de l'identité israélienne.

Cette identité est problématique pour les arabes que les aléas de l'histoire ont fait citoyens israéliens et qui représentent 20 % de la population israélienne (1,3 million sur une population totale de 6,7 millions d'habitants). Les arabes d'Israël jouissent de droits politiques et sociaux sans comparaison avec les standards en vigueur dans les pays de la région. Parfaitement conscients de cette situation, ils sont largement restés à l'écart des turbulences de la première Intifada.

Au sein d'un Etat qui fait preuve d'un savoir faire remarquable pour intégrer des immigrants venus de tous horizons, l'intégration des arabes israéliens reste cependant problématique, sous l'effet des pratiques discriminatoires dont ils font l'objet.

En Israël, certains droits sociaux, notamment le niveau des allocations familiales, restent attachés au service militaire ou au fait d'avoir un membre de sa famille sous les drapeaux. Or le service national est optionnel pour la majorité des arabes israéliens et les formes de service civil sont peu développées. La minorité arabe souffre de la pauvreté, du chômage et d'un accès limité au système éducatif et à la terre tandis que les villes arabes accusent un retard important en termes d'infrastructures. Seuls 6 % des emplois publics sont occupés par des arabes israéliens. La grève générale et les manifestations du 1 er octobre 2000, sur fond de l'éclatement de la deuxième Intifada, ont conduit à des heurts avec la police et à un bilan de treize morts chez les manifestants. L'Intifada des territoires conduit à radicaliser les modes de revendications des arabes israéliens sur un mode plus identitaire et à poser la question de leur loyauté envers l'Etat israélien.

Cette question est posée dans l'opinion alors que la deuxième Intifada et les attentats suicides conduisent à considérer les Arabes israéliens comme une menace pour la sécurité d'Israël et pour le maintien du caractère majoritairement juif du pays. L'émigration des chrétiens, favorisée par des possibilités plus importantes d'expatriation, réduit cette question à une question religieuse et à la confrontation avec l'islam.

Les rapports d'évaluation commandés par le gouvernement sur les événements d'octobre 2000 ont conclu à la nécessité de relancer les plans d'intégration des arabes israéliens en développant les infrastructures dans les villes arabes d'Israël, en favorisant l'accès à l'éducation et aux formes civiles du service national. Le devenir de ces plans est étroitement lié à la situation politique intérieure mais constitue un véritable enjeu pour l'avenir d'Israël. Les revendications des arabes israéliens se résument actuellement à la formulation « l'état de tous ses citoyens » mais elles pourraient quitter le terrain politique et prendre une tournure beaucoup plus radicale. La conciliation des caractères juif et démocratique de l'Etat d'Israël deviendrait alors extrêmement difficile.

L'intégration des immigrants non juifs en Israël, dont le nombre pourrait s'élever à près de 200 000 personnes, est une autre source de difficultés à venir. Des travailleurs originaires d'Afrique et d'Asie ont été encouragés à venir occuper en Israël les emplois précédemment dévolus aux Palestiniens des territoires, dont le nombre de permis de travail a été drastiquement réduit. A terme, l'intégration de ces personnes paraît encore plus problématique celle des arabes israéliens.

Enfin, l'aspiration des israéliens à une certaine sécularisation se traduit sur le plan politique par le vote important, lors des élections de 2003, pour le parti Shinoui (changement), parti composite dont les positions sur le processus de paix sont plutôt en retrait mais qui a mené campagne sur le thème de la laïcité et, en particulier, sur l'instauration d'un mariage civil.

Le règlement du conflit a donc des implications essentielles sur la définition d'une identité nationale israélienne, une fois écarté le sentiment d'une menace sur l'existence même de l'Etat d'Israël.

3. La nouvelle centralité du conflit israélo-palestinien.

Le conflit israélo-palestinien ne se confond plus avec un conflit israélo-arabe et s'est largement recentré sur les territoires palestiniens. Toutefois, sous l'effet de la globalisation médiatique et de l'accumulation des frustrations dans un monde « arabo-musulman » largement marginalisé, le risque est grand que ce conflit acquière une nouvelle centralité, en particulier sur le terrain religieux.

a) Le risque de glissement du nationalisme à l'islamisme

Plus l'Autorité palestinienne est affaiblie, plus le risque est grand d'une prise de contrôle, depuis l'extérieur, par des groupes radicaux locaux au service d'intérêts qui ne seraient pas uniquement ceux de la cause nationale palestinienne.

Si l'Autorité palestinienne s'effondre, et avec elle le mouvement national palestinien, la référence religieuse resterait la seule disponible pour les revendications identitaires palestiniennes.

Comme l'ont souligné tous les interlocuteurs de votre délégation, l'islamisme des groupes palestiniens est un islamisme nationaliste, où l'Islam est au service d'un projet de construction nationale.

La société palestinienne, du fait de son cosmopolitisme obligé, de son très fort investissement dans l'éducation et de la présence en son sein d'une forte minorité chrétienne, n'était pas marquée de façon dominante par le fait religieux. Elle n'échappe pas aujourd'hui au « retour du religieux » mais sous une forme plus radicale.

Le déclin du nationalisme arabe et l'échec du panarabisme ont fait place dans toute la région à l'islamisme comme mot d'ordre mobilisateur de populations en quête de dignité.

b) Une source de légitimation du terrorisme international

Le rôle des Etats-Unis dans la région et le soutien indéfectible à Israël alimentent le rejet de l'Occident, perçu comme un bloc globalement hostile à l'Islam.

Dès lors, le conflit israélo-palestinien est interprété par les populations comme le nouvel avatar de l'impérialisme occidental, la manifestation du colonialisme d'un occident rejeté dans ses actes et dans ses valeurs. La tournure prise par l'intervention américaine en Irak est venue renforcer cette perception.

La politique menée par les gouvernements de la région, notamment en Égypte et en Arabie saoudite, est largement dictée par le souci d'entretenir de bonnes relations avec les Etats-Unis. Entre cette politique et les opinions publiques, le divorce va croissant, ce qui peut être source d'instabilité pour l'ensemble d'une région déjà marginalisée sur le plan économique et culturel.

Sous l'effet de la mondialisation de l'information, la situation dans les territoires palestiniens, largement médiatisée, cristallise les frustrations de populations exclues et marginalisées sur le plan économique et social en favorisant un mécanisme d'identification aux victimes de conflits (Tchétchénie, Irak, Palestine) où l'Islam est présent.

Le terrorisme palestinien n'est pas celui d'Al Qaeda mais il peut l'alimenter et lui servir de prétexte en constituant un point de fixation.

La résolution de ce conflit est redevenue déterminante, non plus seulement pour l'avenir de la région, mais pour réduire une fracture croissante entre des populations meurtries et les valeurs occidentales. La vocation de cette région est celle d'un carrefour et d'un lieu d'échanges, pas celle de ligne de front du « choc des civilisations ».

* 10 Entre 1967 et 2003,au conseil de sécurité les Etats-Unis ont eu recours au veto à plus de trente reprises au sujet d'Israël

* 11 A titre de comparaison, 10 500 colons sont implantés sur le Golan, 180 000 en Cisjordanie et 200 000 à Jérusalem Est.

* 12 Source journal israélien Maariv, 2 janvier 2004.

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