N° 340

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SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004

Annexe au procès-verbal de la séance du 9 juin 2004

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) à la suite d'une mission effectuée du 22 au 25 février en Israël et du 17 au 25 avril 2004 en Jordanie et dans les territoires palestiniens ,

Par M. Guy PENNE, Mme Danielle BIDARD-REYDET
et M. Jean FRANÇOIS-PONCET,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. André Dulait, président ; MM. Robert Del Picchia, Jean-Marie Poirier, Guy Penne, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. André Boyer, vice - présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, secrétaires ; MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Jacques Blanc, Didier Borotra, Didier Boulaud, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Ernest Cartigny, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Paul Dubrule, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Jean Faure, Philippe François, Jean François-Poncet, Philippe de Gaulle, Mme Jacqueline Gourault, MM. Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Philippe Madrelle, Bernard Mantienne, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Louis Moinard, Jacques Peyrat, Xavier Pintat, Jean-Pierre Plancade, Bernard Plasait, Jean Puech, Yves Rispat, Roger Romani, Henri Torre, Xavier de Villepin, Serge Vinçon.

Proche-Orient.

Vos rapporteurs tiennent à exprimer leurs plus vifs remerciements à M. Gérard Araud, ambassadeur de France en Israël, à M. Jean-Michel Casa, ambassadeur de France en Jordanie et à M. Régis Koetschet, consul général de France à Jérusalem ainsi qu'aux personnels des postes pour la qualité des programmes préparés à leur intention.

Leurs remerciements vont également à l'ensemble des personnes auditionnées pour la préparation du rapport : M. Nissim Zvili, ambassadeur d'Israël en France, Mme Dina Kawar, ambassadeur du Royaume de Jordanie en France et Mme Léïla Shahid, déléguée générale de la Palestine en France. Que MM. Alain Dieckoff et Jean-François Legrain, chercheurs au CNRS et Mme Nadine Picaudou, professeur à l'INALCO, soient remerciés pour l'éclairage apporté par leurs présentations.

INTRODUCTION

Une mission d'information relative au conflit israélo-palestinien, constituée pour apprécier l'état du processus de paix après trois ans et demi d'Intifada, s'est rendue en Israël du 22 au 25 février 2004, puis en Jordanie et dans les Territoires palestiniens du 17 au 21 avril 2004. Conduite par M. Guy Penne, elle était composée de Mme Danielle Bidard-Reydet et de M. Jean François-Poncet.

Depuis le début de la deuxième Intifada en septembre 2000, le conflit israélo-palestinien a fait plus de 4 000 morts, tandis que la perspective d'un règlement apparaît toujours plus lointaine.

Sur fond d'explosions de violence extrême, devenues presque ordinaires, les déplacements de la délégation ont eu lieu après l'annonce du plan de retrait de Gaza par le Premier ministre israélien.

Cette annonce illustre une reprise d'initiative du côté israélien, alors que le processus de référence, celui de la « feuille de route axée sur les résultats », a très vite marqué le pas pour se trouver aujourd'hui bloqué.

Votre délégation a pu prendre la mesure d'un divorce profond entre les termes du débat dans les instances internationales et les réalités du terrain.

Faute d'un investissement suffisant des parrains du processus de paix, Israéliens et Palestiniens confrontent leur défiance dans un face à face déséquilibré et brutal qui favorise l'imposition du fait accompli et nourrit en retour une violence destructrice.

Vos rapporteurs ont eu le sentiment très net que, dans les esprits et sur le terrain, l'heure n'était plus aux discussions sur un processus négocié mais à la réalisation d'une solution imposée.

Ce constat ne peut que nourrir des inquiétudes vives sur les conséquences d'un conflit dont les effets dépassent désormais la confrontation de deux peuples pour une même terre pour devenir un enjeu majeur des relations entre le Moyen-Orient et l'Occident.

I. LES IMPASSES DU PROCESSUS DE PAIX

Lancé après l'effondrement de l'Union soviétique et à la faveur de la fin de la première guerre d'Irak, lors de la Conférence de Madrid en 1991, le processus de règlement des contentieux israélo-arabes s'est rapidement recentré sur la question israélo-palestinienne.

La succession des accords n'a engendré que des résultats très limités sur le terrain mais a permis de dégager un consensus autour de la coexistence de deux Etats dans le cadre du règlement final.

A. LES FONDEMENTS D'UN RÈGLEMENT NÉGOCIÉ : LA FEUILLE DE ROUTE AXÉE SUR LES RÉSULTATS

1. Le processus d'Oslo

La « déclaration de principes sur les arrangements intérimaires d'autonomie » du 13 septembre 1993 définit les principes sur lesquels s'appuie tout le processus de négociations : le découplage entre une phase intérimaire et le règlement final et le report de la définition des contours de ce statut final. Le processus est étalé en deux phases, une période intérimaire, elle-même divisée en plusieurs étapes et une période de négociations sur le statut final à laquelle sont renvoyés les points les plus déterminants : « Jérusalem, les réfugiés, les implantations, les arrangements en matière de sécurité, les frontières, les relations et la coopération avec d'autres voisins, et d'autres questions d'intérêt commun ».

La déclaration précise que « les accords conclus pour la période intérimaire ne doivent pas préjuger du résultat des négociations sur le statut permanent ou l'anticiper ».

Une compétence générale est transférée aux Palestiniens dans les domaines de l'éducation et de la culture, de la santé, de la protection sociale des impôts directs et du tourisme. L'ordre public et la sécurité interne des Palestiniens relèvent également de leur responsabilité.

Très vite, les différentes étapes du processus ont pris du retard.

Le second accord intérimaire, du 28 septembre 1995, précise le mode de désignation et les compétences des institutions palestiniennes. Les compétences des institutions palestiniennes sont étendues sur le plan territorial aux territoires de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, à l'exception des compétences en matière de sécurité, graduées en trois zones A (2,7 % de la Cisjordanie), B (25,1 %) et C (72,2 %). Le calendrier de la Déclaration de principes est aménagé pour tenir compte des retards et trois « redéploiements ultérieurs » sont prévus.

L'assassinat du premier ministre israélien Yitzhak Rabin, le 4 novembre 1995, porte un coup très dur au processus tandis que les élections législatives israéliennes du printemps 1996 voient la victoire du Likoud, parti opposé au processus d'Oslo.

Non prévue à l'origine par les accords, l'idée de la réciprocité dans leur application finit par s'imposer progressivement : chaque partie peut alors imputer ses propres manquements à son insatisfaction quant à l'action de l'autre.

Les redéploiements et les libérations de prisonniers font, dans ce cadre, l'objet de renégociations (Wye Plantation en octobre 1998 puis Charm El Cheikh en septembre 1999) avec de nouvelles conditionnalités, notamment en matière de sécurité. Les accords se multiplient mais les négociations ne progressent pas.

La période intérimaire, censée s'achever le 4 mai 1999, est toujours en cours.

2. Le statut permanent et l'échec de Camp David II : des responsabilités discutées

Les négociations sur le statut final, dont la fin était programmée pour 1999 par le calendrier d'Oslo, n'ont commencé qu'en 2000, à la fin du mandat du premier ministre Ehud Barak qui s'était tout d'abord consacré à des négociations bilatérales avec la Syrie.

Le sommet de Camp David II s'est tenu du 11 au 25 juillet 2000 sous l'égide américaine dans un contexte de fin de mandat du Président Clinton et du premier ministre Barak.

Les interlocuteurs israéliens de votre délégation sont systématiquement revenus sur les « propositions généreuses » formulées à Camp David par Ehud Barak : création d'un Etat palestinien sur 95 % voire 97 % de la Cisjordanie et sur l'ensemble de la bande de Gaza, avec Jérusalem-Est comme capitale. Le refus de Yasser Arafat, lié notamment à la question du droit au retour des réfugiés et au statut de Jérusalem, a été présenté, suite à l'échec du sommet, à la fois comme incompréhensible et irresponsable.

L'échec du sommet de Camp David est le point de départ tant de la disqualification de Yasser Arafat par les Israéliens comme partenaire de négociation que de la démarche unilatérale israélienne.

A Camp David, le premier ministre israélien a souhaité précipiter la fin des négociations en formulant des propositions très avancées mais « non négociables », tandis que Yasser Arafat tentait de revenir aux termes des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité des Nations unies.

Le témoignage du négociateur américain Robert Maley 1 ( * ) publié en juillet 2001 conduit à relativiser une présentation très univoque de l'échec de Camp David en relevant l'absence de négociations véritables et de références concrètes, notamment cartographiques, sur fond de profonde défiance.

A la fin de l'année 2000, le président américain a publié les « paramètres Clinton », comme base de discussion faisant la synthèse des positions les plus avancées des deux parties. Sur cette base, les négociations ont repris à Taba en janvier 2001 mais se sont interrompues en raison de la tenue des élections législatives en Israël. Les négociateurs ont conclu sur un communiqué positif : « Les pourparlers de Taba achèvent une phase importante dans le processus de négociations israélo-palestiniennes en ayant réussi à instaurer de nouveau la confiance entre les deux parties qui n'ont jamais été aussi proches de trouver un accord ». 2 ( * )

L'échec de Camp David, en l'absence de règlement sur le statut final a cependant signifié le blocage des accords intérimaires et de l'ensemble du processus.

3. La « feuille de route » et la résolution 1515 : un échec annoncé ?

Le processus de paix a été relancé en juin 2003 par la rencontre entre Ariel Sharon et Mahmoud Abbas à Aqaba, autour de la « feuille de route ». Les deux parties se sont retrouvées sur le principe « la terre contre la paix » ; Israël acceptant le principe d'un Etat palestinien et les Palestiniens s'engageant à lutter contre le terrorisme.

Document élaboré par la communauté internationale représentée par le Quartet 3 ( * ) (Etats unis, Russie, Union européenne, secrétariat général des nations unies), accepté par les parties et par les Etats de la région, la feuille de route a permis de sortir du dialogue bilatéral et de donner un nouvel élan au processus. Elle a été officiellement publiée le 30 avril 2003.

La feuille de route s'inscrit dans la continuité de l'approche d'Oslo en prévoyant une première phase intérimaire mais elle fixe également l'objectif final du processus : « un Etat palestinien indépendant, démocratique et viable vivant aux côtés d'Israël et des autres pays limitrophes en paix et en sécurité » et est assortie d'un échéancier.

La feuille de route est articulée en trois phases :

- la première phase (de la date de la publication à mai 2003) est consacrée à la normalisation de la sécurité et de la situation humanitaire. Les Palestiniens ont l'obligation de démanteler les groupes paramilitaires. En contrepartie, les Israéliens doivent cesser les démolitions de maisons, les confiscations de terres et les attaques contre les civils et les infrastructures. Elle prévoit également le démantèlement immédiat des colonies érigées depuis mars 2001. Si la sécurité s'améliore, Israël doit se retirer des zones occupées depuis septembre 2000. La première phase comporte aussi des dispositions relatives aux institutions palestiniennes : nomination d'un premier ministre, établissement d'un projet de constitution et tenue d'élections ;

- la phase II (de juin à décembre 2003) prévoit la tenue d'une conférence internationale et la création d'un Etat palestinien indépendant dans des frontières provisoires ;

- la phase III (2004-2005) doit déboucher sur un accord sur le statut permanent avec la tenue d'une seconde conférence internationale sur les bases des résolutions pertinentes des Nations unies : « une solution acceptée, juste, équitable et réaliste de la question des réfugiés », « une résolution négociée sur le statut de Jérusalem », « conforme au principe de deux Etats, Israël et une Palestine souveraine, indépendante, démocratique et viable, coexistant dans la paix et la sécurité ».

Le passage d'une phase à l'autre s'effectue après décision par consensus du Quartet.

Le calendrier de la feuille de route est aujourd'hui largement caduc. L'échec du processus est imputable aux insuffisances originelles du document, trop peu détaillé et dépourvu de mécanismes d'application, mais surtout à l'absence totale de confiance mutuelle entre les deux partenaires chargés de sa mise en oeuvre. Plusieurs fois retardée, la publication du texte est intervenue peu de temps avant la date prévue pour la fin de la première phase, après un an et demi d'Intifada dont les manifestations se faisaient de plus en plus violentes.

Du côté palestinien, les réformes demandées n'ont connu qu'un début de mise en oeuvre. D'un processus interne, demandé par la population et une partie de la classe politique, le mouvement de réforme est devenu un processus imposé, ou perçu comme tel. L'objectif ostensiblement poursuivi de la marginalisation de Yasser Arafat a rendu la mission du premier ministre Mahmoud Abbas très difficile et a nui à sa légitimité. Peu soutenu en interne, il ne l'a pas davantage été par le partenaire israélien.

Les services de sécurité n'ont pas été unifiés sous le contrôle du premier ministre mais relèvent encore majoritairement du président de l'Autorité. Les tensions autour de la nomination de Mohamed Dahlan au poste de ministre de l'Intérieur ont illustré ce rapport de forces. Dans ce cadre, les efforts du premier ministre pour améliorer la situation sur le terrain par la négociation avec les groupes radicaux n'auront permis qu'une trêve de quelques semaines à l'été 2003, avant la reprise de l'engrenage attentats/représailles.

Sur le terrain, les retraits de l'armée ont été limités 4 ( * ) et les entraves à la circulation n'ont pas connu d'allègements significatifs. Le mouvement de colonisation s'est poursuivi en Cisjordanie.

Au nombre des quatorze réserves formulées par Israël lors de l'acceptation de la feuille de route figurait notamment la question très importante de l'interprétation de la séquence des événements : Israël a considéré que l'amélioration de la situation sécuritaire constituait un préalable à tout mouvement de sa part. A l'été 2003, Israël a amplifié sa politique d'élimination des dirigeants des mouvements islamistes, ce qui a achevé de ruiner le crédit du processus aux yeux des Palestiniens et renforcé les partisans de la lutte armée. A cette même période, le premier tronçon de la barrière de sécurité était achevé.

La démission du Premier ministre palestinien Mahmoud Abbas, le 6 septembre 2003, peut être considérée comme le signe de l'échec du processus.

En outre, si la feuille de route marquait la sortie des tentatives de solutions bilatérales, la communauté internationale ne s'est pas suffisamment investie dans sa mise en oeuvre, ce qui a contribué à une « rebilatéralisation » du dossier.

Seul partenaire reconnu par Israël, les Etats-Unis n'ont été que très peu présents et n'ont pas cherché à peser sur les choix du gouvernement israélien, notamment sur la barrière de séparation ou la colonisation, tout en confortant ses positions sur le discrédit du partenaire palestinien. Dans ces conditions, le Quartet n'a jamais pu constater de véritables avancées.

La rencontre entre les deux premiers ministres, Abou Ala et Ariel Sharon, plusieurs fois annoncée et toujours reportée, n'a finalement jamais eu lieu.

La feuille de route reste le point d'ancrage du processus de paix et la seule référence officielle, confortée par l'adoption de la résolution 1515. Votre délégation a cependant pu constater que sur le terrain, une autre réalité avait pris place : celle de la solution unilatéralement imposée.

Dans ce contexte de blocage des négociations, des initiatives se sont fait jour pour tenter de relancer le processus. Elles ont valeur de démonstration quant à la possibilité d'un dialogue, ce qui paraît déjà considérable actuellement. Mais leur portée s'arrête là.

Tant en Israël que dans les territoires palestiniens, vos rapporteurs ont ainsi pu constater un rejet quasi unanime des termes de l'initiative de Genève par les officiels. La démarche même est contestée en Israël où aucune légitimité ne lui est reconnue. Les interlocuteurs palestiniens de votre délégation ont pour leur part déploré que la dissymétrie entre les partenaires de l'initiative (membres de l'Autorité palestinienne du côté palestinien, membres de la société civile sans fonction officielle du côté israélien) ait conduit à engager l'Autorité sur des concessions importantes sans contrepartie tandis que sur le fond, en particulier sur la question des réfugiés, la solution proposée n'était pas considérée comme satisfaisante.

4. Les leçons de l'échec du processus d'Oslo

Comme vos rapporteurs ont pu le constater dans le discours de ses interlocuteurs, le processus d'Oslo est aujourd'hui l'objet de toutes les critiques. Les Palestiniens considèrent qu'ils ont été pris au piège d'un processus qui s'écartait de la légalité internationale au profit de négociations inscrites dans un rapport de force déséquilibré et qui se limitaient à des manoeuvres dilatoires. Les Israéliens privilégient désormais une démarche non négociée, considérant que le processus d'Oslo ne leur a pas apporté la sécurité escomptée.

Les faiblesses du processus d'Oslo sont connues. L'absence de mécanismes de contrainte pour le respect des engagements des partenaires, les blocages nés de la condition de réciprocité dans les concessions demandées à chacune des parties, le report des questions les plus difficiles aux négociations sur le statut final ont incité les protagonistes à différer sans cesse les avancées les plus significatives et à décevoir profondément les attentes à l'égard des négociations.

Bilatéralisme déséquilibré et réciprocité dans un processus par étapes ont eu raison de la faible assise politique des tenants du processus de paix.

A bien des égards, la situation du conflit apparaît aujourd'hui, aux yeux des protagonistes, plus dégradée qu'elle ne l'était auparavant. La confiance réciproque est réduite à néant.

B. LES CONSÉQUENCES POLITIQUES EN ISRAËL DE LA REPRISE DE L'INTIFADA

Malgré une dénomination commune, la première et la deuxième Intifada recouvrent des réalités profondément différentes : mouvement de masse, relativement organisé et surtout strictement limité aux territoires occupés, la première Intifada, « guerre des pierres », menaçait l'occupant et non Israël en tant que tel. A ce titre, ce mouvement a acquis la légitimité d'un mouvement de libération nationale, aux yeux de l'opinion internationale et, peut-être même, de l'opinion israélienne.

La différence de nature est radicale avec les événements qui se déroulent depuis 2000, dont on voit les effets dévastateurs, tant en Israël, que dans les territoires palestiniens.

1. L'obsession sécuritaire née d'une violence portée au coeur d'Israël

La visite d'Ariel Sharon, alors candidat de l'opposition, sur l'esplanade des mosquées en septembre 2000 a servi de déclencheur à ce qu'il est convenu d'appeler « la deuxième Intifada ».

Née des frustrations de l'échec du processus d'Oslo, acté par l'échec de Camp David, la deuxième Intifada n'est porteuse d'aucune alternative au processus de paix, ni d'aucun projet. Elle s'inscrit dans une logique de vengeance et si elle fait l'objet d'un large soutien populaire dans les territoires palestiniens, elle n'est pas un mouvement de masse.

Différence majeure, elle porte majoritairement ses coups sur le territoire israélien et vise le plus souvent des civils. La grande majorité des morts israéliens de la deuxième Intifada ont été tués en Israël. L'opinion israélienne s'est sentie ramenée aux premières heures de son histoire, et se sent désormais menacée dans son existence même, comme le rappelle le récent message adressé par l'ambassadeur d'Israël à l'occasion de la fête de l'indépendance : « Immédiatement après sa création, le jeune Etat dut faire face à des guerres qu'il ne pouvait pas perdre. Il en allait de sa survie. Aujourd'hui la situation n'a pas changé et c'est pour cela que seule prime la sécurité d'Israël et de ses citoyens ». Et ce, paradoxalement, alors que la situation stratégique d'Israël, dans son environnement régional, est globalement plus satisfaisante que jamais.

Dans des termes voisins, M. Zeev Boïm, vice-ministre de la défense israélien, a souligné devant votre délégation que la vague d'attentats n'était pas une guerre de libération, mais quelque chose d' « inédit ».

La deuxième Intifada a en outre surpris un pays qui connaissait une croissance record, tirée par le secteur des nouvelles technologies et les retombées d'un choix d'ouverture économique formulé dans les années 90. Comme ont pu le constater vos rapporteurs, un fossé sépare les conditions de vie des populations et deux mondes coexistent, à quelques kilomètres d'écart.

Les premiers attentats-suicide, quelques mois après les manifestations de l'automne 2000, accroissent le sentiment de révulsion et d'incompréhension à l'égard des Palestiniens dont l'altérité radicale est définitivement constatée. La deuxième Intifada n'est pas analysée comme une lutte nationale mais comme un terrorisme, qui, après le 11 septembre 2001, est vite amalgamé au terrorisme international, bien que la nature en soit fondamentalement différente.

Au cours de la seule année 2001, près de 200 Israéliens ont été tués dans des attentats.

C'est ce climat qui a conduit une majorité d'Israéliens à apporter ses voix au Likoud alors que cette même majorité considère que le conflit doit trouver une issue politique.

La gestion du conflit occupe par conséquent le premier rang dans les questions de politique intérieure.

2. La disqualification persistante de la gauche israélienne

Les raisons de l'effacement actuel de la gauche israélienne ne sont pas uniquement liées à l'échec du processus de paix. Le parti travailliste peine à définir un programme de gouvernement sur d'autres terrains, économique ou social, à élargir sa base au delà de sa clientèle traditionnelle à mesure qu'Israël s'enrichit de nouveaux immigrants, et à dégager un leadership politique, Shimon Perés ayant été reconduit comme président provisoire jusqu'en 2005.

Cependant, en tant que promoteur des Accords d'Oslo, il est aujourd'hui largement désavoué dans les urnes et dans l'opinion publique en raison de son échec sur le terrain de la sécurité.

Les autres partis de la gauche israélienne, comme le Yahad 5 ( * ) ne sont pas en mesure de représenter une alternative au Likoud.

Votre délégation a pu observer le durcissement du discours politique en Israël lorsque ses échanges ont porté, par exemple, sur les promoteurs de l'initiative de Genève. Les concessions politiques sont désormais interprétées comme autant de signes d'aveuglement ou de faiblesse.

3. Les élections de 2003 : la consécration des choix sécuritaires

Les élections législatives anticipées du 28 janvier 2003 ont traduit le rejet du processus d'Oslo et des partis politiques qui y étaient associés : le parti travailliste a connu là une défaite historique.

La droite israélienne en est ressortie largement majoritaire avec 69 sièges sur 120, contre 36 sièges pour la gauche et 15 sièges pour la formation du centre, le Shinoui. Avec 38 sièges, le Likoud a doublé le nombre de ses députés à la Knesset, tandis que le parti travailliste, avec 19 sièges, a enregistré le plus mauvais score de son histoire.

Les élections de 2003 mettent fin à la domination des deux grands partis, Likoud et Travaillistes, qui ne totalisent que 57 sièges sur 120.

La réforme du mode de scrutin adoptée en 1996, qui permettait aux électeurs d'apporter leurs suffrages à des petits partis en fonction notamment de leur appartenance communautaire, tout en ayant l'assurance du choix du premier ministre élu au suffrage universel direct, a conduit à une dispersion des voix qui a perduré en 2003, malgré le retour au mode de scrutin antérieur. La constitution des coalitions de gouvernement est ainsi plus complexe et a conduit le Likoud à s'allier à la fois aux partis de l'Union Nationale et au Parti National Religieux, partis religieux très conservateurs, ainsi qu'au Shinoui, parti centriste composite qui a fait de la sécularisation d'Israël le coeur de son programme.

4. Une situation économique et sociale dégradée

L'économie israélienne a connu une ouverture très importante dans les années 90, avec le développement du secteur des nouvelles technologies. Elle a subi d'autant plus fortement les effets du ralentissement de la croissance mondiale à partir de l'année 2000.

La situation sécuritaire a constitué un facteur aggravant du fait, notamment, de la baisse de la fréquentation touristique et de la contraction des investissements étrangers. Le pays a ainsi connu plusieurs années de croissance négative.

En 2003, près de 11 % des Israéliens étaient sans emploi et un israélien sur cinq vivait sous le seuil de pauvreté, ce qui pèse sur la confiance et le niveau de consommation des ménages.

Le déficit budgétaire s'est creusé, pour atteindre 5,6 % du PIB en 2003. Le gouvernement a adopté une politique d'austérité et des réformes structurelles pour parachever la libéralisation de l'économie. Le ministre des finances, Benyamin Netanyahou, a ainsi proposé une diminution drastique, de 5 %, des budgets des ministères, une baisse des effectifs et des salaires dans la fonction publique, la réduction des transferts sociaux. Deux priorités ont été cependant préservées  : les dépenses sécuritaires et les dépenses d'infrastructures.

Si les perspectives de croissance pour 2004 semblent plus favorables, la situation sécuritaire continue de peser sur l'économie israélienne.

C. LES TERRITOIRES PALESTINIENS DANS L'ENGRENAGE DES FRUSTRATIONS ET DE LA VIOLENCE

L'occupation, la ruine des infrastructures palestiniennes, conjuguées à ses propres insuffisances, ont fortement affecté les capacités de l'Autorité palestinienne désormais confrontée à la concurrence de groupes radicaux.

1. La crise de légitimité de l'autorité palestinienne

a) Une légitimité entamée par l'échec du processus de paix

Incarnation du processus d'Oslo, l'Autorité palestinienne (AP) est plus que jamais tiraillée entre deux légitimités concurrentes : celle de la résistance, dont l'OLP avait réussi à incarner le monopole et celle d'embryon d'Etat issu d'accords internationaux 6 ( * ) .

L'AP a souffert des ambiguïtés même du processus en assurant l'interface entre la population et l'occupant avec des prérogatives extrêmement limitées. Tenue d'assurer une collaboration sécuritaire pour avancer vers la fin de l'occupation, cette administration s'est trouvée, avec l'Intifada, dans une situation intenable.

L'occupation affecte durement le crédit de l'Autorité palestinienne aux yeux de la population. En la disqualifiant comme partenaire, Israël la prive des leviers d'action dont elle pouvait disposer pour agir sur le quotidien des Palestiniens. La libération de prisonniers, négociée avec le Hezbollah libanais et non avec l'AP, en a constitué le témoignage flagrant. Israël prend ainsi le risque de renforcer les mouvements islamistes qui recourent à la violence.

Du fait de l'occupation, les institutions palestiniennes ne peuvent fonctionner normalement : comme cela a été rappelé à plusieurs reprises à vos rapporteurs, les députés de Gaza ne peuvent, par exemple, quitter leur circonscription : le Conseil législatif se réunit par vidéoconférence et certains parlementaires, dont Marwan Barghouti, élu de Ramallah, sont en prison. Les conditions de sécurité et le bouclage rendent impossible la tenue d'élections pour le renouvellement d'un conseil législatif élu en 1996.

Les missions régaliennes de l'Autorité Palestinienne, police et justice, ne peuvent être assurées correctement. Les conditions de circulation rendent impossible un fonctionnement normal des tribunaux, ce qui favorise des modes alternatifs de règlement des litiges, juridictions islamiques traditionnelles ou recours à l'arbitrage de notables. L'exécution des peines est également entravée dans la mesure où la police est empêchée d'agir et les prisons de fonctionner. Commissariats, tribunaux et prisons ont souvent fait l'objet de destructions qui ont porté préjudice au fonctionnement de tout l'appareil de sécurité.

Durant la brève période de la primature de Mahmoud Abbas, pourtant reconnu comme interlocuteur par Israël et estimé des Etats-Unis, la succession des incursions, des destructions d'infrastructures et des éliminations ciblées n'ont laissé au premier ministre qu'une faible marge de manoeuvre sur le plan intérieur.

Le premier ministre actuel, M. Qoreï, est dans une position encore plus difficile, la situation sur le terrain le condamnant à l'impuissance.

b) Les questions de « gouvernance »

Les problèmes de gouvernance, notamment la corruption et les pratiques clientélistes, ne sont bien évidemment pas propres à l'Autorité palestinienne, ni même aux Etats de la région. Placée sous quasi tutelle budgétaire du fait de l'importance de l'aide internationale, en particulier européenne, l'Autorité palestinienne est même soumise à des contrôles plus rigoureux.

La corruption qu'ont évoqué plusieurs interlocuteurs de votre délégation dans les territoires est cependant d'autant plus mal ressentie que la population est confrontée à des difficultés quotidiennes. Elle se nourrit de la pénurie et des dysfonctionnements des institutions.

Ces questions ont aussi des implications sur le terrain de la sécurité. Les services de sécurité palestiniens sont morcelés, avec des effectifs très nombreux dont la rémunération ne s'effectuait pas, jusqu'en mars 2004, par voie bancaire. La réforme des circuits budgétaires, en particulier pour le paiement du traitement des différentes forces de sécurité, visait à une plus grande emprise de l'Autorité palestinienne et de son premier ministre sur les différentes forces de sécurité, indispensable à l'amélioration de la situation sécuritaire exigée par la feuille de route.

Sur le terrain des réformes politiques et administratives prévues par la feuille de route, le blocage est complet. La situation sécuritaire autorise des situations de perpétuation du pouvoir et des postes, sans renouvellement possible. Dans ce cadre, l'intérêt de la réforme pour les détenteurs de ce pouvoir est assez faible.

Le sort fait à Yasser Arafat, cantonné dans son quartier général de Ramallah depuis près de trois ans, bloque très certainement le mouvement de réformes, en perpétuant son statut de héros national. La contestation de son autorité peut très difficilement s'exercer : l'Autorité palestinienne fait bloc derrière son chef et le spectre d'affrontements internes est présent dans tous les esprits.

L'Autorité, perçue par une partie de la population comme corrompue, inefficace et clientéliste, se voit surtout reprocher sa faiblesse et son incapacité à protéger la vie même de ses administrés.

c) Des conditions d'occupation intenables

L'occupation des territoires se traduit en premier lieu par une impossibilité pour les Palestiniens de circuler librement. Barrages routiers et postes de contrôle quadrillent les territoires avec un impact très fort non seulement sur le temps de déplacement mais sur la possibilité même de se déplacer. Après la réoccupation des villes de Cisjordanie en 2002, le couvre feu a été imposé pendant la quasi totalité du second semestre.

La multiplication des points de contrôle crée autant de possibilités de « frictions ». La frontière entre mesures de sécurité et pratiques vexatoires étant parfois ténue, les exigences des militaires israéliens sont ressenties comme autant d'humiliations. Et ceci d'autant plus que, comme a pu l'expérimenter votre délégation au chek-point de Tantour, à l'entrée de Bethléem, les comportements sont parfois abrupts...

L'occupation est aussi coûteuse en vies humaines. Les opérations de l'armée israélienne font des victimes civiles et les éliminations « ciblées » auxquelles procède Israël conduisent souvent à la mort d'une dizaine de personnes à chaque fois.

2. Une paupérisation croissante liée à une « économie bouclée »

a) 1994-2004 : du développement économique à la survie

Entre 1994, date de l'installation de l'Autorité palestinienne dans les territoires, et 2002, le PIB par habitant dans les territoires palestiniens a diminué de moitié. Après des débuts prometteurs et des investissements encouragés par les perspectives de la paix, la situation sécuritaire n'a pas permis le développement espéré.

Depuis le début de la deuxième Intifada, les indicateurs économiques et sociaux ont connu une dégradation accélérée. De 20 % en 1999, la part de la population vivant sous le seuil de pauvreté est passée à 60 %.

La croissance démographique, 4 % par an, est parmi les plus élevées au monde, signe à la fois de l'augmentation de la pauvreté et d'une natalité « militante ».

Le déficit budgétaire prévu pour 2004 (16 % du PIB) est largement supérieur aux seules recettes de l'Autorité palestinienne (630 millions de dollars de besoin de financement contre 531 millions de dollars de recettes). La masse salariale des fonctionnaires représente près de 15 % du PIB (70 millions de dollars par mois, ce qui est supérieur aux recettes mensuelles 7 ( * ) ).

En dépit d'un dynamisme indéniable, sensible lors de la traversée des villes, la population ne survit que grâce à l'aide internationale.

b) Une dépendance accrue à l'égard de l'aide internationale

La vie économique des territoires est actuellement suspendue aux conditions d'accès et de circulation des biens et des personnes ainsi qu'à la situation sécuritaire. Les leviers d'un développement existent, comme en témoigne le démarrage rapide de l'économie à chaque levée des restrictions de circulation, mais l'aide internationale a dû se tourner vers une assistance de type humanitaire qui ne traite pas du développement des territoires sur le fond.

L'aide internationale, qui atteint des montants très importants, est soumise à des conditionnalités fortes portant notamment sur des réformes structurelles en matière de transparence budgétaire et de gestion de la fonction publique. Sur ce dernier point, la maîtrise des effectifs et de la masse salariale est un enjeu majeur de réformes alors que la capacité de l'Autorité palestinienne à distribuer des revenus sous la forme d'emplois publics contribue à asseoir sa légitimité.

La simplification des circuits de distribution de l'aide est en cours et devrait donner lieu à la création d'un fonds fiduciaire, administré par la Banque mondiale, pour collecter l'ensemble des aides budgétaires apportées à l'Autorité palestinienne.

Depuis 1950, le travail de l'UNRWA 8 ( * ) dans les camps de réfugiés dans les domaines de l'aide sociale et de l'éducation est facteur de stabilité. Les écoles de l'UNWRA ont notablement contribué à la réputation d'excellence des Palestiniens en matière d'éducation, alors que les systèmes scolaires des pays de la région sont souvent défaillants.

Le nombre de personnes ayant la qualité de réfugié s'élevait à 4,1 millions au 1 er mars 2003 9 ( * ) . Un tiers vivent dans des camps et 60 % sont dépourvus de nationalité. Même si le poids politique des réfugiés en tant que tels est limité, ils sont l'un des enjeux majeurs dans le conflit.

L'aide alimentaire directe distribuée par l'UNRWA touche désormais plus de 600 000 personnes à Gaza, soit 50 % de la population. Des phénomènes de malnutrition infantile, phénomène sans précédent dans l'histoire palestinienne, sont apparus. Depuis le 14 mars 2004 et l'attentat perpétré à Ashdod par des Palestiniens de Gaza ayant eu recours aux containers de l'UNRWA pour entrer en Israël, l'organisation de l'aide alimentaire est perturbée par les restrictions touchant à la sortie des containers. Les responsables de l'UNRWA, que vos rapporteurs ont rencontrés à Gaza, ont en outre souligné le développement des maladies gastriques liées à la mauvaise qualité de l'eau dans ce territoire ainsi que celui des problèmes psychologiques auxquels l'UNRWA apporte une réponse partielle sous la forme d'un programme de santé mentale axé sur l'analyse des peurs des enfants.

La détérioration de la situation affecte directement le travail de l'UNRWA pour des raisons sécuritaires mais aussi financières. Les dépenses de l'UNRWA par personne ont chuté de 200 dollars en 1975 à 70 dollars en 1997. Le responsable de l'UNRWA à Gaza, M. Brisson, a exprimé ses craintes devant la dégradation inéluctable de la qualité des services offerts par l'Agence.

L'assistance humanitaire en direction des Territoires palestiniens est gravement mise en cause par l'occupation. Les personnels des ONG, tout comme ceux des postes diplomatiques, subissent des entraves à la circulation qui affectent directement leurs conditions de travail. Les infrastructures financées par l'aide internationale, à l'exemple de l'aéroport de Gaza, financé par l'Union européenne, ont subi des destructions lors des opérations israéliennes, pour un montant estimé à 24 millions d'euros depuis 2000. L'assistance humanitaire sert dans certains cas à réparer directement les conséquences des incursions. Au début du mois de mars 2004, la commission européenne a ainsi décidé l'octroi d'un million d'euros d'aide d'urgence aux victimes de démolitions de maisons à Rafah alors que deux mois plus tard, des destructions massives d'habitations ont été opérées par l`armée israélienne lors de l'opération « arc en ciel » de mai 2004. A l'évidence, l'aide internationale est depuis longtemps sortie d'une logique de développement.

L'aide française aux territoires palestiniens et la coopération culturelle

Les territoires palestiniens ont été inclus en 1998 dans la zone de solidarité prioritaire et sont éligibles à ce titre aux engagements de l'Agence française de développement (AFD) et aux crédits d'aide projet du fonds de solidarité prioritaire.

Depuis 1998, l'AFD a réalisé 80 millions d'euros d'engagements cumulés pour répondre à la demande palestinienne. Elle intervient dans le soutien du développement du secteur privé ainsi que dans les infrastructures d'adduction d'eau et le secteur de l'énergie.

En 2000, l'aide bilatérale française atteignait 14 millions d'euros, soit 1, 47 % de l'aide publique au développement reçue par les territoires qui s'élevait à 1 milliard de dollars en 2002 et à 720 millions de dollars en 2003.

La France maintient un niveau élevé de coopération culturelle, dont les crédits atteignaient 9,2 millions d'euros en 2004.

Le nouveau centre culturel français de Ramallah, dont vos rapporteurs ont visité le chantier lors de leur déplacement (le centre culturel français de Ramallah a été détruit en avril 2002), se mettra en place dans le cadre d'une mise en commun de moyens avec le Goethe Institut allemand qui devrait également déboucher sur des opérations communes. A Gaza, où vos rapporteurs ont rencontré les membres d'une association d'entrepreneurs francophones, le Centre culturel français est très actif, dans un environnement pourtant difficile.

Vos rapporteurs se sont également rendus au lycée français de Jérusalem, qui accueillait près de 250 élèves à la rentrée 2001. Ce lycée est l'un des seuls établissements étrangers à ce niveau d'enseignement. Il accueille, outre les élèves français, des palestiniens, des israéliens et des ressortissants d'Etats tiers. Il subit également les conséquences du climat d'insécurité sur ses effectifs, du fait de la réduction des expatriations avec famille en Israël.

Il convient d'ajouter à l'aide bilatérale la quote-part française de l'aide apportée par l'Union européenne.

L'aide communautaire représentait 245 millions d'euros en 2003, l'Union européenne est le premier bailleur de fonds des territoires devant les Etats unis (181 millions de dollars en 2002, 61 millions en 2003).

L'aide est répartie entre l'office européen humanitaire ECHO (25 millions d'euros), les contributions à l'UNRWA (57,75 millions d'euros), l'aide au budget de l'Autorité palestinienne sur fonds MEDA (28 millions d'euros), l'aide projet sur fonds MEDA (28 millions d'euros) et des crédits d'assistance au développement destinés aux ONG et à l'Autorité palestinienne (52 millions d'euros).

3. Une société atomisée gagnée par la radicalisation

Les territoires palestiniens occupés, morcelés sur le plan géographique, sont gagnés par une atomisation politique et sociale qui tient à leur histoire mais surtout à la persistance d'une situation sans perspective.

a) Un territoire morcelé

Le futur Etat palestinien aurait à gérer la cohérence d'un territoire en deux parties : Gaza et la Cisjordanie, dont les conditions de continuité territoriale ne sont pas définies.

Ces deux territoires recouvrent des identités diverses entre Palestiniens de la plaine côtière et Palestiniens des montagnes, entre des territoires historiquement placés sous administration égyptienne pour Gaza et jordanienne pour la Cisjordanie.

A cette division territoriale originelle, s'ajoute désormais la quasi-impossibilité pour les deux portions de territoires palestiniens de communiquer entre elles. Les parlementaires de Gaza échangent avec leurs collègues par le biais de la vidéoconférence avec Ramallah, ce qui constitue une bonne illustration de la façon dont Gaza vit en « circuit fermé ».

Les restrictions de circulation à l'intérieur même de Gaza et de la Cisjordanie accentuent encore le morcellement territorial.

L'accès aux différentes parties de la bande de Gaza implique le passage de différents points de contrôle dont le bouclage partiel est fréquent. Votre délégation a ainsi pu se rendre à Gaza-ville et dans le camp de Jabaliyah, l'accès à Khan Younès et à Rafah étant impossible le jour de sa visite. En Cisjordanie, l'installation de colonies sur les hauteurs des villes et la construction de routes de contournement ouvertes aux seuls colons pour les rejoindre ont entraîné un émiettement du territoire qu'accentue encore la construction du mur de séparation. En démultipliant les distances et les temps de parcours entre chaque ville, les conditions de circulation isolent les agglomérations les unes des autres.

L'occupation des territoires a conduit à leur atomisation sur le plan géographique, éclatement qui n'est pas sans conséquence sur les plans administratif et politique.

b) Une tradition politique qui fait une large place aux notables

L'émiettement géographique des territoires palestiniens se traduit sur le terrain politique par un blocage de l'évolution des structures traditionnelles de la société vers des modes de fonctionnement plus « politisés ». Dans des territoires sous occupation, la question de la résistance à l'occupant monopolise les débats et tend à leur simplification, voire à leur disparition. Les déceptions nées du processus d'Oslo favorisent également le repli sur l'échelon local et les difficultés du quotidien. Ce mouvement obère les capacités de la société palestinienne à se penser comme un corps politique intégré.

Au cours de son histoire, en dépit d'une identité nationale forte, la société palestinienne n'a jamais été constituée en Etat et elle ne s'est pensée comme telle que relativement récemment. Dans un contexte d'occupation, la préservation de l'identité s'est faite par la médiation et la protection d'un système de notables, pourvoyeur de sécurité et de solidarités de proximité, en contrepartie d'un système d'allégeance. Ce système n'est pas propre aux Palestiniens dans le monde arabe, mais il a perduré de façon plus effective en l'absence de la constitution d'un Etat.

Même si certaines familles ont pu préserver une position acquise sous administration ottomane, celle ci a le plus souvent évolué, notamment pour des raisons économiques et de capacités distributives. Le mode d'organisation du pouvoir, en revanche, semble avoir largement perduré, ce qui constitue à la fois pour la société palestinienne une protection précieuse par le maintien de solidarités efficaces mais aussi un frein à l'émergence d'un pouvoir étatique réel.

L'installation de l'Autorité palestinienne s'est largement superposée à cette organisation sociale, en prenant appui sur les lieux de pouvoirs traditionnels. Les élections de janvier 1996 semblent en avoir constitué la traduction parlementaire et, en l'absence de nouvelles élections, sur fond d'une situation qui n'a fait que se détériorer, cette réalité ne peut se modifier qu'à la marge.

La synthèse de ces réseaux traditionnels de pouvoir s'est, jusqu'à présent, réalisée en la personne de Yasser Arafat. Aucun de ses successeurs potentiels n'a d'envergure nationale. Mahmoud Abbas, premier Premier ministre de l'Autorité palestinienne, un temps présenté comme le successeur dont la légitimité était la plus affirmée mais usé par son passage à la primature, a décidé de renoncer à la politique. En l'absence de « dauphin » désigné, la succession du président de l'Autorité, qu'Israël et les Etats-Unis voudraient précipiter, ouvrirait la voie à une période incertaine et à l'éclatement du leadership palestinien. Cet éclatement pouvait être interprété comme une victoire politique pour Israël mais ne résoudrait en rien ses problèmes de sécurité.

c) La montée en puissance de groupes radicaux

L'émergence puis la montée en puissance de groupes radicaux, à connotation religieuse ou non, est l'une des autres manifestations du morcellement du système politique palestinien. Elle pose aussi la question des financements extérieurs de ces groupes, qui les feraient échapper à l'emprise de l'Autorité palestinienne.

Peu structurés, ces groupes se présentent comme des nébuleuses dont les liens avec le Fatah, parti au pouvoir, sont plus ou moins lâches : si le Hamas se pose clairement en alternative politique, les brigades des martyrs d'Al Aqsa apparaissent plutôt comme un démembrement du Fatah ne souhaitant pas laisser aux islamistes le monopole de la lutte armée ni la légitimité qui en découle.

Le Fatah de Yasser Arafat est une nébuleuse de courants entre tenants de la lutte armée ou partisans d'actions strictement politiques, palestiniens de Gaza ou de Cisjordanie, laïcs et islamistes, clivages auxquels s'ajoutent les luttes de personnes, de générations ou encore de régions. En l'absence de compétition pacifique sous la forme d'élections, les dissensions internes font apparaître un risque d'éclatement.

Les démembrements du Fatah, dont les Brigades des Martyres d'Al Aqsa, se multiplient et tendent à s'autonomiser pour échapper à tout contrôle institutionnalisé. Certaines « brigades » peuvent être instrumentalisées au profit d'ambitions personnelles (Mohamed Dahlan à Gaza).

Les brigades des Martyrs d'Al Aqsa ont eu recours aux mêmes méthodes que le Hamas en menant des attaques suicides sur le territoire israélien pour ne pas laisser aux islamistes le monopole de la résistance. L'existence même de ce mouvement marque les dissensions internes au parti, la contestation des méthodes de l'Autorité et l'autonomisation d'ambitions personnelles. Elle est aussi le symptôme de l'absence de perspectives d'une jeune génération.

Le Fatah perd du terrain face au Hamas qui gagne en puissance et en organisation. Au coeur du mouvement de la deuxième Intifada, le Hamas, en particulier à Gaza, s'est renforcé dans ses moyens et sa légitimité politique.

Mouvement essentiellement social et caritatif à l'origine, créé dans la deuxième moitié des années 1980 dans la mouvance des Frères musulmans, le Hamas s'est appuyé sur un réseau religieux et caritatif pour étendre son influence et renforcer son poids politique, tout en bénéficiant de transferts de fonds importants, en provenance notamment des pays du Golfe comme l'ont signalé à vos rapporteurs plusieurs interlocuteurs en Israël.

Vos rapporteurs ont entendu des points de vue très divers sur les capacités et les objectifs politiques du Hamas. Pour les interlocuteurs israéliens, le Hamas a pour objectif premier la destruction d'Israël au nom de l'Islam et s'apparenterait à la mouvance islamiste internationale. Si cette tendance n'est pas à écarter dans l'hypothèse d'un blocage persistant, il semble que le Hamas pratique plutôt un islamisme de type nationaliste avec des revendications limitées de fait aux territoires occupés et des relations avec Israël qui seraient envisageables, dans la rhétorique du mouvement, sur le mode de la « trêve ».

Les attaques suicide du Hamas en Israël et sa politique de représailles face aux éliminations ciblées sont également à usage de politique intérieure, le Hamas pouvant se parer d'une légitimité renforcée face à l'Autorité palestinienne et peser ainsi sur les décisions politiques.

Le Hamas est doté d'une assise populaire indéniable grâce à son réseau caritatif. Sa popularité est renforcée par les éliminations ciblées dont ses dirigeants sont victimes et qui lui valent une sympathie qui déborde largement les rangs de ses militants. Vos rapporteurs se trouvaient en Jordanie le soir de l'annonce de l'assassinat d'Abd El Aziz Rantissi, éphémère successeur d'Ahmad Yassine à la tête du Hamas et ont pu constater la vive émotion soulevée par cet événement chez des interlocuteurs peu suspects de sympathies islamistes.

L'évolution du Hamas à moyen terme paraît étroitement corrélée aux évolutions du processus de paix. Le retrait de Gaza, où le Hamas détient ses positions les plus importantes, offre une occasion d'impliquer le mouvement dans la gestion du territoire, ce que tente de faire l'Autorité palestinienne dans un « dialogue national » pour parvenir à une gestion conjointe après le retrait israélien. Le Hamas pourrait alors connaître une évolution du type de celle du mouvement chiite libanais « Hezbollah », intégré désormais au Parlement libanais où il occupe près d'un tiers des sièges. Cela le conduirait à participer à l'exercice du pouvoir et à ainsi jouer « le jeu de la politique ». Le mouvement serait nécessairement amené alors à un plus grand pragmatisme, tout particulièrement sur le sujet des relations avec Israël.

Si la situation constatée par vos rapporteurs dans les territoires occupés perdure, le Hamas ne pourra, à l'inverse, que connaître une radicalisation croissante et se faire l'instrument d'une déstabilisation contagieuse pour toute la région.

d) Les attentats suicide

Figure emblématique de la deuxième Intifada, l'auteur d'attentat-suicide, le « martyr », est la manifestation la plus extrême des frustrations ressenties par une partie de la population et de l'exploitation qui en est faite par les groupes radicaux.

Dans son discours du 31 mars 2004, devant le conseil législatif palestinien, le premier ministre Abou Ala s'est fait le meilleur analyste de leurs conséquences en termes politiques : « Nous réaffirmons aujourd'hui à cette tribune que nous rejetons ces opérations parce qu'elles pèsent sur l'image de notre combat national légitime et parce qu'elles créent la confusion dans la communauté internationale. Elles conduisent à la destruction de notre économie. Par dessus tout, ces opérations permettent d'offrir au gouvernement israélien le prétexte pour poursuivre ses plans de colonisation et de construction du mur. (...) Elles font obstacle à la relance du processus de paix et portent un grand préjudice au mouvement de sympathie et de solidarité internationale avec nous, comme elles affaiblissent le camp de la paix en Israël ».

Le phénomène du martyr illustre le caractère profondément pathogène de la situation des territoires où l'absence de perspectives nationales déplace les aspirations d'une partie de la population vers un idéal religieux d'autant plus dangereux qu'il est déconnecté de considérations rationnelles et du temps présent. Meurtrier en Israël où les attentats suicide ont tué près de 300 personnes pour la seule année 2002, il est dévastateur pour la société palestinienne.

* 1 Hussein Agha, Robert Maley, Camp David :The tragedy of errors, The New York Rewiew of Books, juillet 2001.

* 2 Voir sur les négociations de Taba le rapport n° 285 (2001-2002)« Israël-Palestine : l'urgence d'un engagement international »

* 3 Voir document annexé

* 4 Nord de la bande de Gaza et Bethléem

* 5 Parti de Yossi Beilin, récemment issu de la fusion des partis Meretz et Shahar

* 6 La « déclaration de principes sur des arrangements intérimaires d'autonomie », (accord d'Oslo) signée à Washington le 13 septembre 1993 et le second accord intérimaire sur les modalités de l'autonomie palestinienne (Taba ou Oslo II), signé à Washington le 28 septembre 1995.

* 7 65 millions de dollars mensuels dont 42 millions proviennent des reversements fiscaux du gouvernement israélien. Ce, alors que 180 millions de dollars d'arriérés fiscaux font toujours l'objet d'un contentieux avec Israël.

* 8 Sigle anglais pour Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine.

* 9 Dont 1,7 million en Jordanie (42 %), 900 000 dans la bande de Gaza (22 %), 650 000 en Cisjordanie (16 %), 410 000 en Syrie (10 %) et 390 000 au Liban (10 %).

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