L'ENDOGÉNÉÏSATION DU PROGRÈS TECHNIQUE DANS NÉMÉSIS

Dans les modèles appliqués, le progrès technique endogène est traité à travers l'intégration de l'expérience ou grâce à celle de la R&D :

• L'endogénéïsation par le savoir faire ou l'expérience : dans les théories de la croissance des années 60, le premier cas d'endogénéïsation du progrès technique a été présenté par Arrow (1962). Le taux de progrès technique était relié au savoir faire ou à l'expérience, cette variable un peu qualitative était mesurée par l'investissement brut cumulé (on se retrouve alors dans un perspective voisine du modèle AK où la variable capital K contient des données relatives à l'état de la technologie). Ce progrès technique a été introduit dans les modèles appliqués (essentiellement dans les modèles d'équilibre général), en particulier dans les modèles relatifs au changement climatique. On peut citer par exemple Goulder et Mathai (2000), Grubb (2000) ; dans ce domaine, les caractéristiques des technologies sont souvent liées à des courbes d'expérience, et cela va avoir pour conséquence de rendre plus efficace la mise en oeuvre immédiate des politiques de lutte contre les gaz à effet de serre en raison de l'expérience acquise dans ce domaine.

• L'endogénéïsation par les dépenses de R&D : ce n'est que tardivement que les modèles appliqués ont tenu compte de ces mécanismes, la majorité d'entre eux s'appuyant sur une représentation du long terme par un sentier de croissance à taux constant exogène.

La plupart des travaux ont été réalisés sur des modèles d'équilibre général. L'insertion des mécanismes de progrès technique endogénéïsé par la R&D a été réalisée dans des modèles qui traitent des questions relatives au commerce international (comme ceux de Diao et Roe (1997), de Baldwin et Forslid (1999) et de Diao et alii (1999)) et dans des modèles appliqués à l'environnement et au changement climatique (comme le modèle RDICE de Nordhaus (1999) ou le modèle GEM-E3 de Fougeyrollas et alii (2001)). Sans reprendre ici de façon exhaustive toutes les tentatives d'endogénéïsation, on peut mentionner les principales difficultés qui accompagnent la construction et l'utilisation de modèles d'équilibre général avec progrès technique endogène. La première tient au chiffrage des relations entre R&D et innovations de processus ou de produit, nous reviendrons sur cette question essentielle ; la deuxième est due à la possibilité de l'existence de plusieurs équilibres ; enfin, la troisième tient à ce que les secteurs sont très contrastés en terme d'effort et de résultats de la R&D, que cette dernière est concentrée dans un petit nombre d'entre eux et que, par conséquent, une approche sectorielle détaillée est nécessaire, ce qui est loin d'être le cas de tous ces modèles. 69 ( * )

Les modèles économétriques ont également été dotés de mécanismes de progrès technique endogénéïsé par la R&D, mais cela est beaucoup moins fréquent. A notre connaissance, il n'existe que le modèle MULTIMOD du Fonds Monétaire International qui est très agrégé et qui utilise au niveau sectoriel des stocks de R&D. Le modèle Némésis prend place dans cette nouvelle famille de modèles macro-économétriques avec progrès technique endogène. Ce modèle économétrique sectoriel détaillé porte actuellement sur quinze pays européens et sera progressivement étendu à d'autres pays (Etats-Unis, Japon,...). Un tel niveau de désagrégation (trente secteurs d'activité, tableau 7) est indispensable si l'on veut décrire finement les phénomènes structurels et notamment les évolutions à moyen et long terme : à cet horizon, les secteurs sont relativement contrastés du point de vue de la croissance et de l'emploi. Les activités des branches sont interdépendantes en raison des échanges de biens et des transferts de technologie entre elles.

Tableau 4: Les secteurs de Némésis

1. Agriculture

16. Nourriture, Boissons et Tabac

2. Charbon et coke

17. Textile, Habillement et chaussures

3. Extraction de pétrole et gaz

18. Papier et Impressions

4. Distribution de gaz

19. Plastique et caoutchouc

5. Pétrole raffiné

20. Autres biens manufacturés

6. Electricité

21. Construction

7. Eau

22. Distribution

8. Métaux Ferreux et non ferreux

23. Logement et testauration

9. Produits de Minerais non Met.

24. Transports Terrestres

10. Chimie

25. Transports aériens et maritimes

11. Produits métalliques

26. Autres transports

12. Machines Agricoles et industrielles

27. Communication

13. Machines de bureau

28. Banque, finance et assurance

14. Biens électriques

29. Autres services marchands

15. Equipements de Transports

30. Services non marchands

La spécificité de Némésis est l'endogénéïsation du progrès technique à travers trois phases : de la R&D au stock de savoir, du stock de savoir à l'innovation et de l'innovation à la performance économique.

I. LE STOCK DE SAVOIR

La variable qui joue un rôle essentiel dans l'endogénéïsation du progrès technique dans Némésis est la variable « savoir » (KNOW) qui découle du stock de R&D. Le stock de R&D d'un secteur est déterminé par ses dépenses de R&D et par un taux de déclassement constant. Il est constitué comme un stock de capital, le déclassement traduisant ici l'effacement progressif des connaissances (figure 1).

Figure 1: De la dépense de R&D au Stock de R&D

Le « savoir » n'est pas seulement déterminé par le stock de R&D du secteur mais aussi par toutes les externalités de connaissance de tous les autres secteurs nationaux et étrangers (figure 2). Les externalités de connaissance émises par les autres secteurs dépendent de leurs stocks de R&D, par l'intermédiaire des matrices de flux technologiques. Ces matrices, différenciées par secteur et par pays, sont construites d'après la méthodologie développée par Evenson (2002) pour l'OCDE. Elle consiste à identifier, pour chaque brevet déposé à l'Office européen, les secteurs producteur et utilisateur de l'innovation décrite par le brevet. Cela permet ensuite de déterminer dans quelle proportion les connaissances accumulées dans un secteur vont bénéficier aux autres à travers le calcul de coefficients de transfert de  connaissances entre secteurs, les connaissances étant, par hypothèse, ici portées par les brevets. Ce travail est réalisé à un niveau très détaillé (plus de 100 secteurs) et les résultats sont ré-agrégés dans la nomenclature sectorielle de Némésis, sous la forme de matrices de flux technologiques. Le « savoir » se nourrit également du stock de R&D des secteurs étrangers et du stock de R&D publique.

Figure 2. Le stock de connaissances

* 69 En outre, les modèles détaillés deviennent très lourds à manipuler ce qui entraîne notamment des difficultés pour résoudre les modèles à anticipations parfaites (ou rationnelles dans un univers stochastique).

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