C. LES GRANDS DÉBATS DE LA SESSION

Lors de la dernière partie de la session 2004, l'Assemblée parlementaire a abordé quatre rapports concernant les questions de société : la participation des femmes aux élections, la lutte contre la violence domestique, l'éducation à l'Europe et les tendances de la démographie européenne et leur sensibilité aux mesures des pouvoirs publics.

Elle s'est également penchée sur les grands problèmes internationaux en examinant des rapports sur le terrorisme, le réchauffement climatique et la situation en Tchétchénie et en Arménie.

Enfin deux débats économiques ont figuré à l'ordre du jour, le premier portant sur l'ordre du jour de Doha pour le développement et le second sur l'OCDE et l'économie mondiale.

1. Les questions de société

a) Participation des femmes aux élections

L'Assemblée a abordé ce sujet dans l'après-midi du mardi 5 octobre sur la base du rapport présenté par M. Paschal Mooney (commission sur l'égalité des chances pour les hommes et les femmes). Ce document part d'un constat : si les femmes se sont battues pendant longtemps pour obtenir le droit de voter et celui d'être élues, aujourd'hui leur participation effective aux élections est menacée par des pratiques antidémocratiques telles que le vote « familial » dans des pays où la tradition démocratique est récente (Europe orientale), et, par ailleurs, le phénomène de sous-représentation des femmes dans l'exercice des fonctions électives persiste. Le rapporteur procède à une analyse des obstacles que rencontrent les femmes et des stratégies mises en place pour promouvoir leur participation. Il insiste également sur le rôle que peuvent jouer les médias et l'importance de la politique de formation dans ce domaine.

M. Alain Cousin , à partir de l'exemple français, a mis en évidence l'importance des modes de scrutin et des mesures de discrimination positive :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de féliciter notre collègue, M. Mooney, pour son excellent rapport sur la participation des femmes aux élections.

Pour ma part, je voudrais insister sur l'expérience française en ce domaine.

Avec 12,3 % de femmes au sein de l'Assemblée nationale, la France reste mal placée dans l'Union Européenne. Pourquoi ?

Il y a à cela des raisons d'ordre historique. Dès la période monarchique, la loi salique a interdit à toute femme de régner sur le royaume de France, contrairement à ce qui se passait dans d'autres États européens. La révolution française n'a donné qu'un droit de vote censitaire aux hommes, tandis qu'en 1848 la 2 ème République excluait les femmes de l'instauration du « droit de vote universel ». Sous la 3 ème République, le Sénat s'est opposé au vote des femmes et il a fallu attendre 1944 pour que le droit de vote soit accordé à tous les citoyens français. C'était chose faite en Allemagne et au Royaume-Uni depuis 1918.

Il y a également des raisons institutionnelles à l'absence des femmes dans les assemblées.

Il est en effet établi que le système électoral joue un rôle déterminant dans le niveau de représentation politique des femmes. Le mode de scrutin des législatives, majoritaire uninominal à deux tours en France, est défavorable aux femmes car souvent les partis politiques hésitent à présenter des candidates, préférant envoyer à la bataille des hommes détenant des mandats politiques.

Le Parlement européen dans une étude de 1997 soulignait déjà que les États membres qui comptent la plus forte proportion de femmes parlementaires (Suède, Finlande, Danemark, Pays-Bas) ont tous des systèmes proportionnels, et les pays qui ont les pourcentages les plus faibles (Italie, Royaume Uni, France, Grèce) ont des systèmes de proportionnelle approchée ou des systèmes majoritaires.

A ces raisons d'ordre institutionnel s'ajoutent sans doute des facteurs plus « socio-économiques ».

Le mouvement féministe français dans les années 1970 se préoccupait peu de politique au niveau parlementaire, mais s'intéressait davantage à des questions comme l'IVG, la loi sur le viol, l'égalité des salaires.

Néanmoins le système électoral ne suffit pas à expliquer les différents niveaux de représentation politique des femmes dans l'Union Européenne. D'autres facteurs entrent en jeu parmi lesquels : le rôle des partis politiques, les quotas et mesures anti-discriminatoires, et des facteurs culturels et socio-économiques.

Afin de remédier à l'insuffisante représentation des femmes dans la vie politique française, la loi constitutionnelle du 8 janvier 1999 relative à l'égalité entre les hommes et les femmes a modifié deux articles de la Constitution. Elle a ajouté :

à l'article 3, un 5 ème alinéa, selon lequel «la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » ;

à l'article 4, un 2 ème alinéa, qui prévoit que les partis politiques auront la responsabilité de mettre en oeuvre, « dans les conditions déterminées par la loi », le principe posé par le nouvel alinéa de l'article 3.

Puis en 2000, la loi sur la parité a énoncé que désormais les partis politiques doivent présenter autant de candidats que de candidates sous peine de sanctions financières.

La France a été le seul pays à instaurer un dispositif paritaire pour l'ensemble des élections. Toutefois l'exemple de la Belgique qui avait institué des quotas de 25 % dès 1994, montre que ces quotas s'avèrent inefficaces si les femmes ne sont pas placées en position d'éligibilité sur les listes des partis.

Il est clair que l'une des fonctions principales des partis politiques est de nommer et de soutenir leurs candidats, ce qui leur confère un rôle de passage obligé vers l'élection. Le processus de sélection est donc crucial pour la représentation des femmes.

Le Parlement européen, toujours dans cette étude de 1997, note qu'à cet égard, offrir une formation, des services de garde pour les enfants, et modifier les horaires des réunions pour permettre d'assumer les responsabilités familiales, sont des mesures explicites qui se heurtent à la culture sociale et politique existante et dont les premiers bénéficiaires seraient les femmes.

L'idée d'une plus grande participation des femmes à la décision politique a mûri lentement.

L'Europe au niveau de ses instances communautaires a toujours été en avance sur ces questions là.

On peut dater les débuts de la parité à l'année 1989 (200 ans après la révolution française !), durant laquelle fut organisé par le Conseil de l'Europe à Strasbourg, un premier séminaire sur le thème de « la démocratie paritaire ». Le sommet d'Athènes en 1992, avec la présence de nombreuses femmes ministres, a également adopté une charte qui incluait la revendication de la parité. En 1999, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté la Recommandation 1413 qui précisait que «... l'Assemblée parlementaire invite ses délégations nationales à agir au sein des parlements en vue de prendre des mesures concrètes pour corriger la sous-représentation des femmes dans la vie politique, et notamment ... d'instaurer la parité au niveau des partis politiques et de conditionner leur financement à la mise en oeuvre de cet objectif ».

Aujourd'hui le nouveau gouvernement espagnol de M. Zapatero est un gouvernement entièrement paritaire composé d'autant d'hommes que de femmes.

Alors mes chers collègues, s'il est vrai comme l'a dit le poète français Aragon que « la femme est l'avenir de l'homme », je ne peux que souscrire à la proposition d'élaborer une « charte pour l'égalité électorale », visant à améliorer la représentation des femmes dans nos instances dirigeantes. Il s'agit là d'un élément qui ne pourra que renforcer les actions engagées dans nombre de nos pays et qui demeurent malheureusement encore insuffisantes et d'un signal fort de la volonté de notre Assemblée de progresser dans la voie de l'égalité entre les hommes et les femmes. »

M. Rudy Salles s'est prononcé pour une élimination rapide des pratiques entravant la participation des femmes aux élections et a plaidé pour l'introduction d'une dose de proportionnelle dans les scrutins majoritaires ainsi que pour la mise en place, de manière temporaire, de quotas :

« Le rapport excellent et très complet de notre collègue M. Paschal Mooney met en évidence à la fois les progrès enregistrés ces dernières années et ceux qui restent à accomplir ainsi que la situation très contrastée des pays membres du Conseil de l'Europe dans ce domaine.

Chacun s'accordera sur les objectifs, à savoir, d'une part, favoriser la participation des femmes aux élections et, d'autre part, augmenter la proportion de femmes élues dans les assemblées délibérantes de nos différents pays.

Concernant le premier point, la libre participation des femmes aux élections, il s'agit là d'une condition indispensable à l'effectivité d'un des principes fondateurs de nos démocraties : le suffrage universel. Tout ce qui pourrait s'opposer à la libre expression du suffrage des femmes doit être condamné avec fermeté car il est intolérable qu'au XXI ème siècle, dans les pays membres d'une organisation, le Conseil de l'Europe, qui a inscrit la démocratie et les droits de l'homme au rang de ses principes fondateurs, cette exigence ne soit pas respectée.

C'est pourtant encore le cas dans certains pays d'Europe centrale et orientale, en particulier dans les zones rurales, du fait de la pratique dite du « vote familial » très bien décrite dans le rapport de M. Mooney. Quelles que soient ses modalités concrètes (vote de groupe, vote familial ou vote par procuration), il s'agit là d'une entrave incontestable à la libre expression du suffrage et, à ce titre, parfaitement contraire aux dispositions de l'article 3 du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme qui prône des "élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple ».

Il m'apparaît donc que tous les moyens juridiques disponibles doivent être mis en oeuvre pour faire cesser ce qui constitue une violation caractérisée de nos règles communes.

Le deuxième objectif que nous nous devons d'atteindre est l'augmentation de la proportion de femmes élues dans les assemblées délibérantes de nos différents pays.

A cet égard je souhaite insister sur trois points.

En premier lieu, il me semble indispensable d'introduire dans le droit électoral des mesures incitatives fortes pour obliger les partis politiques à désigner plus de candidates en position éligible. L'expérience montre que faute de dispositions de ce type, aucun progrès ne peut être réalisé. Permettez-moi ici de m'appuyer sur l'exemple français : les quelques avancées enregistrées dans ce domaine ont été permises par une modification de la Constitution, datant de 1999, qui a introduit dans ce texte le principe selon lequel « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives » et par la loi sur la parité, votée en 2000, qui oblige les partis politiques à présenter autant de candidats que de candidates sous peine de sanctions financières.

Toutefois, l'efficacité de ce type de dispositions est, et c'est le deuxième point sur lequel je voudrais insister, largement dépendante des systèmes électoraux en vigueur. Comme le souligne M. Mooney, les systèmes à dominante proportionnelle favorisent l'accession de femmes aux responsabilités au contraire des modes de scrutin à dominante majoritaire. Les élections sénatoriales, qui se sont déroulées en France le 26 septembre dernier et qui ont vu un tiers des sièges de cette Assemblée remis en jeu, apportent une nouvelle preuve de ce phénomène.

Grâce à un scrutin en partie proportionnel, la proportion de femmes parmi les nouveaux sénateurs est passée de moins de 8 % à plus de 25 %. Chiffre encore plus significatif, sur les 31 sénatrices élues 29, soit 93,5 %, l'ont été dans des départements votant à la proportionnelle et seulement 2 dans des départements où s'appliquait le scrutin majoritaire. Globalement, on compte aujourd'hui 17 % de femmes au Sénat (contre 11 % auparavant). C'est peu mais c'est plus qu'à l'Assemblée nationale où le scrutin majoritaire n'a envoyé que 12,7 % de femmes députées.

Tout cela montre que l'introduction d'une dose de proportionnelle dans nos scrutins majoritaires est un moyen d'augmenter le nombre de femmes élues et que cet outil mérite d'être sérieusement étudié dans les pays concernés.

Enfin, et ce sera mon dernier point, si l'introduction de quotas me paraît indispensable, je pense également que leur application devrait être limitée dans le temps. Je ne conçois en effet ces quotas que comme une étape nécessaire dans une évolution vers la parité « femmes-hommes » en politique. Une fois cette nécessité admise dans nos sociétés et un certain seuil de parité atteint, on doit pouvoir se passer de quotas et de mesures coercitives. C'est pourquoi une évaluation régulière des lois prévoyant des mesures propres à accroître la représentation politique des femmes est souhaitable.

Mes chers collègues, ne nous leurrons pas : la marche vers l'égalité entre les hommes et les femmes sera longue tant les habitudes, les cultures de nos différents pays paraissent difficiles à changer. Mais nous devons tous et tout le temps travailler pour la réalisation de cet objectif ici et dans nos assemblées respectives et c'est pourquoi je souscris totalement aux propositions de M. Mooney.

Permettez-moi de conclure en citant un grand écrivain français, Stendhal, qui a écrit : « L'admission des femmes à l'égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation, et elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain ».

A l'issue de ces débats, l'Assemblée a adopté la recommandation n° 1676 demandant au Comité des ministres d'élaborer une « Charte de l'égalité électorale » comportant les mesures propres à éliminer le « vote familial » et fixant l'objectif de porter à 40% d'ici 2020 le taux minimum de représentation des femmes au sein des parlements et des autres assemblées élues.

b) La lutte contre la violence domestique en Europe

Vendredi 8 octobre matin, l'Assemblée a entendu le rapport de M. Jean-Guy Branger (commission sur l'égalité des chances pour les hommes et les femmes) :

« La violence domestique à l'encontre des femmes en Europe n'est malheureusement pas un phénomène nouveau. Dans presque tous nos pays, il était considéré comme normal pendant des siècles que la femme soit soumise à l'homme. Cette tradition patriarcale et misogyne survit malheureusement encore aujourd'hui dans les têtes de beaucoup d'hommes et femmes. C'est la seule raison qui, je pense, peut expliquer pourquoi la violence domestique à l'encontre des femmes reste jusqu'à nos jours un phénomène croissant en Europe.

Cette violence qui ne connaît ni frontière géographique, ni limite d'âge, ni race, concerne tout type de relations familiales et tout type de milieu social. La violence domestique se caractérise par différents comportements violents, de nature physique, sexuelle, psychologique, et peut aussi être basée sur une dépendance économique.

Permettez-moi de vous donner quelques chiffres assez choquants pour illustrer l'ampleur du phénomène :

En Europe, plus d'un quart des incidents violents signalés sont des coups et blessure infligés par un homme à sa femme ou compagne.

Une femme mariée sur sept a eu des rapports sexuels sous la contrainte ou a été violée, la proportion atteint une sur trois chez les femmes séparées ou divorcées.

Plus de 600 femmes meurent chaque année à l'intérieur de l'Union Européenne, sous les brutalités commises par le conjoint dans le cercle familial.

En Espagne, une femme meurt assassinée tous les quatre jours.

Au Royaume-Uni, les dernières statistiques montrent que 26 % des femmes ont été victimes de violence conjugale, et que deux femmes meurent chaque semaine, tuées par leur partenaire ou ex-partenaire.

En Autriche, la violence envers les femmes constitue le motif de la moitié des demandes de divorce.

En Fédération de Russie, chaque jour 36 000 femmes sont battues par leur mari ou compagnon, et la violence domestique entraîne le meurtre d'une femme toutes les quarante minutes.

Ces chiffres montrent pourquoi la commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes a trouvé nécessaire de s'occuper de ce fléau encore une fois. Il est indéniable en effet que d'autres cas de violence peuvent exister au sein du domicile conjugal. Les parents peuvent commettre des actes violents sur les enfants. Ces derniers peuvent à l'inverse traumatiser voire violenter, leurs propres parents ou les personnes âgées vivant au sein de la cellule familiale. Mais cette forme de violence dépasse l'objet de ce rapport car les racines sociales et psychologiques ne sont pas les mêmes que la violence d'un homme envers sa partenaire. De même, certains hommes sont victimes de la violence de leur femme ou partenaire, mais les chiffres en la matière restent minimes, même si le problème mérite d'être évoqué. C'est pour cette raison que notre commission a décidé de traiter spécifiquement la question de la violence qu'un homme peut exercer sur une femme dans le cadre du domicile conjugal.

En effet, ce n'est pas la première fois que l'Assemblée se préoccupe de ce problème spécifique. Il y a juste deux ans, en septembre 2002, l'Assemblée a adopté la Recommandation 1582 sur la violence domestique à l'encontre des femmes. Dans cette Recommandation, très valable, l'Assemblée avait proposé différentes mesures pour la combattre. Elle avait préconisé la condamnation pénale des actes de violence domestique, une meilleure protection judiciaire, psychologique et financière aux victimes, et la proposition clé, le lancement d'une année européenne contre la violence domestique afin que ce phénomène ne demeure plus tabou.

Dans sa réponse du 28 mai 2003, le Comité des Ministres a malheureusement rejeté cette proposition de notre Assemblée de lancer une Année européenne contre la violence domestique.

C'est parce qu'une campagne paneuropéenne pour combattre la violence domestique à l'encontre des femmes est un des moyens les plus importants et les plus efficaces que la commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes a décidé de revenir à la charge. Il y a encore aujourd'hui trop d'hommes qui regardent de l'autre côté quand ils voient qu'un de leurs amis bat sa femme ou partenaire. Il y a encore aujourd'hui trop de femmes qui n'osent pas quitter leurs partenaires violents, parce qu'elles ont peur - à juste titre - de perdre l'accès à leurs enfants, leur foyer familial, leurs moyens de subsistance. Il y a encore aujourd'hui encore trop de fonctionnaires - de policiers, de procureurs, de juges, dans certains pays qui ne prennent pas suffisamment en compte les problèmes, qui renvoient les femmes qui ont trouvé le courage de quitter leurs partenaires violents, et qui refusent de les protéger, parce qu'ils ne veulent pas se mêler des vies privées des familles - même si les femmes payent parfois ensuite de leur vie ce manque de considération.

Lorsque des États mènent des campagnes de sensibilisation nationale et adoptent des mesures législatives, judiciaires et financières appropriées, la lutte contre la violence domestique progresse car les victimes sont mieux informées de leurs droits et l'opinion publique prend davantage conscience de la gravité de ce problème.

C'est pour cette raison que la commission insiste sur la nécessité d'organiser une campagne paneuropéenne pour lutter efficacement contre ces attitudes qui coûtent tant de vies. Seule l'organisation d'une telle campagne contre la violence domestique incitera les États membres à prendre les mesures urgentes qui s'imposent. Cette campagne, qui pourrait être menée en étroite coopération avec la commission européenne, le parlement européen et les ONG, devrait s'articuler autour de trois axes essentiels : la prévention, qui n'existe pas, l'assistance aux victimes et l'information au grand public. Les États membres qui ont déjà entrepris ce genre de campagne : l'Autriche, l'Espagne, et je salue ces initiatives, peuvent témoigner de l'efficacité de telles mesures.

Je lance donc un appel urgent et solennel à tous les États membres et à tous les parlements nationaux pour que le Comité des Ministres traite le phénomène de la violence domestique dans le cadre du Troisième sommet du Conseil de l'Europe et s'engage à mener en 2006, une campagne paneuropéenne de lutte contre la violence domestique à l'encontre des femmes. Le Comité de Ministres doit enfin réagir, s'il ne veut pas être accusé de se rendre complice des meurtres de centaines, voire de milliers de femmes chaque année qui meurent sous la main de leurs partenaires ou ex-compagnons.

Si, malgré nos appels, le Comité de Ministres reste inactif, il nous appartiendra, il appartiendra à l'Assemblée, de reprendre le flambeau et d'organiser nous-même une telle campagne en 2006. »

Les trois intervenantes dans le débat, Mmes Pericleous Papadopoulos, Smirnova et Ohlsson, ont soutenu les conclusions du rapporteur, se sont accordées pour déplorer l'inaction du Comité des ministres dans ce domaine et ont insisté pour faire sortir ce phénomène de la sphère privée et davantage impliquer les hommes dans les actions à mettre en place.

En réponse, M. Jean-Guy Branger a apporté les précisions suivantes :

« Je souhaite d'abord saluer les trois collègues qui sont intervenues et les remercier très chaleureusement, du fond du coeur, de leurs encouragements et remerciements à la commission et à son rapporteur, mais aussi du soutien très ferme que, par leur contribution, elles apportent à la cause que nous évoquons.

M me Smirnova, qui nous vient de Russie, a été extrêmement courageuse car nous connaissons la situation en Russie. Vous avez repris, madame, les chiffres que j'avais cités et je suis convaincu que grâce à votre intervention, chacune et chacun de nous aura pu prendre la mesure de l'effort qu'il y avait à entreprendre et de la nécessaire prise de conscience que le Comité des Ministres devra afficher lors du prochain sommet pour que nous puissions faire de l'année 2006 une année de lutte engagée contre la violence domestique dans laquelle tous, en particulier nos parlements et nos gouvernements, s'impliquent très fortement.

Il faut absolument que nous lancions une prévention. Je m'entretenais hier avec une amie québécoise et mon secrétariat. Il nous faut bien reconnaître que notre vieux continent souffre d'un retard remarquable ; il nous faudra être plus courageux et plus audacieux pour aller vers cette politique de prévention. Nos pays ont les moyens de la développer. Il suffit de redéployer ceux-ci différemment pour obtenir des résultats très significatifs, qui pourraient nous surprendre tous.

En conclusion, je remercie encore les trois intervenantes que nous avons entendues et je tiens à assurer à mes collègues qui n'ont pu s'exprimer, que je lirai le plus rapidement et le plus attentivement possible le contenu des interventions publiées. »

Après avoir retenu cinq amendements du rapporteur, l'Assemblée a adopté à l'unanimité la recommandation n°1681 :


« 1. L'Assemblée parlementaire est extrêmement préoccupée par l'ampleur et la progression de la violence domestique à l'encontre des femmes et constate que ce grave phénomène concerne l'ensemble des États membres du Conseil de l'Europe.

2. L'acuité de ce phénomène doit obliger les États membres du Conseil de l'Europe à considérer le problème de la violence domestique comme une priorité politique nationale et à le traiter dans un cadre politique élargi, en associant les gouvernements, les parlements et la société civile. Les États membres sont tenus en vertu du droit international de prendre, avec la diligence voulue, des mesures efficaces pour mettre fin à la violence à l'encontre des femmes, notamment à la violence domestique, et pour protéger ses victimes/ survivantes. S'ils ne veulent pas avoir à en porter eux-mêmes la responsabilité, les États doivent prendre des mesures efficaces pour prévenir et punir les actes de ce genre commis par des acteurs privés, afin de protéger les victimes/ survivantes.


3. Dans sa recommandation 1582 (2002) relative à la violence domestique à l'encontre des femmes, l'Assemblée avait proposé différentes mesures pour la combattre. Elle avait préconisé la condamnation pénale des actes de violence domestique, une meilleure protection judiciaire, psychologique et financière aux victimes et le lancement d'une année européenne contre la violence domestique afin que ce phénomène ne demeure plus tabou.

4. L'Assemblée constate que lorsque des États mènent des campagnes de sensibilisation nationale et adoptent des mesures législatives, judiciaires et financières appropriées, la lutte contre la violence domestique progresse car les victimes sont mieux informées de leurs droits et l'opinion publique prend davantage conscience de la gravité de ce phénomène. Pour cette raison, elle ne peut que regretter que le Comité des Ministres, dans sa réponse à la Recommandation 1582 (2002), n'ait pas donné suite à la demande de lancer une campagne européenne contre la violence domestique.

5. Elle reste convaincue que l'organisation d'une campagne paneuropéenne contre la violence domestique incitera les États membres à prendre les mesures urgentes qui s'imposent. Cette campagne, qui pourrait être menée en étroite coopération avec la Commission européenne, le Parlement européen et les ONG, devrait s'articuler autour de trois axes essentiels: la prévention, l'assistance aux victimes et l'information du grand public.

6. L'Assemblée se félicite des différentes initiatives actuellement en cours au sein de plusieurs Parlements nationaux et se déclare d'ores et déjà prête à prendre les mesures nécessaires afin de contribuer au succès de ces initiatives. Elle décide également de s'engager dans l'organisation et à la mise en oeuvre d'une campagne paneuropéenne pour lutter contre la violence domestique en 2006.

7. L'Assemblée recommande, en conséquence, au Comité des Ministres de :

i. traiter le phénomène de la violence domestique dans le cadre du Troisième sommet du Conseil de l'Europe ;

ii. s'engager à mener en 2006 une campagne paneuropéenne de lutte contre la violence domestique, en coopération avec les acteurs européens et nationaux tels que la Commission européenne, le Parlement européen, les associations et les ONG ;

iii. constituer au sein du Conseil de l'Europe un groupe ad hoc ayant pour tâche :

a. de définir et d'harmoniser les différents paramètres de cette campagne paneuropéenne ;

b. de mettre en place un mécanisme de suivi pour évaluer les progrès accomplis par les États ;

c. d'établir des instruments permettant de quantifier l'évolution de cette violence à l'échelle pan-européenne ;


d. de formuler des propositions d'actions à chaque État membre en vue, sur le plan national :

A. d'organiser une campagne de sensibilisation nationale, au plan des ministères et du grand public, en coopération étroite avec les Parlements nationaux, les acteurs locaux, les associations et les ONG ;

B. de renforcer les mesures de protection et d'assistance aux victimes, en leur proposant notamment une aide d'urgence sur le plan juridique, médical, psychologique et financier et en assurant une formation adaptée aux forces de police et de justice et de renforcer également le soutien aux organisations non gouvernementales travaillant auprès des victimes de la violence domestique ;

C. d'adopter des sanctions pénales à l'encontre des auteurs d'actes domestiques violents, y compris en matière de viol marital, et prévoir un accompagnement psychologique pour prévenir toute récidive ;

D. de s'inspirer des bonnes pratiques mises en oeuvre dans d'autres États membres, tel qu'en Autriche où la loi fédérale de 1997 permet, entre autres, à la police d'interdire à l'auteur d'acte de violence l'accès au domicile familial et assure d'office une protection et un soutien aux victimes ;

E. de développer des instruments permettant de mesurer, sur le plan quantitatif et qualitatif, l'évolution de cette violence et l'efficacité des mesures pour la prévenir et la combattre ;

F. de soumettre des rapports réguliers aux organismes de défense des droits de l'homme sur l'évolution de la violence domestique à l'encontre des femmes et sur les mesures prises pour la prévenir et la combattre."

c) L'éducation à l'Europe

Immédiatement après son débat sur la violence domestique, l'Assemblée a abordé, sur le rapport de M. Ghiorghi Prisacaru (commission de la culture), le thème de l'éducation à l'Europe.

Dans son intervention le rapporteur a rappelé que le Conseil de l'Europe s'attachait depuis cinquante ans à réunir les pays européens autour de valeurs, principes et droits fondamentaux et que l'éducation devait avoir une place centrale dans son travail pour favoriser l'émergence d'une conscience européenne chez les jeunes.

Intervenant dans le débat, M. André Schneider a notamment insisté sur les actions engagées en France dans ce domaine et sur la difficulté de la tâche à accomplir :

« Je voudrais à mon tour féliciter le rapporteur pour l'excellence de son rapport dans lequel il a analysé les objectifs et la définition de l'éducation à l'Europe ainsi que son contenu, s'arrêtant sur les programmes d'enseignement et les vecteurs de transmission possibles.

Je crois que nous tous présents ici, sommes convaincus de la nécessité de transmettre les valeurs fondamentales qui sont celles du Conseil de l'Europe, tels le respect des droits de l'homme, la prééminence du droit, le pluralisme politique, la tolérance religieuse.

Je ne reviendrai donc pas sur l'excellent rapport de notre collègue, et je me bornerai à une présentation de l'application faite en France de l'éducation à l'Europe, montrant ce qui a été fait en ce domaine mais aussi les faiblesses qui peuvent demeurer.

L'ouverture internationale est désormais une des missions essentielles de l'école, ouverture renforcée dans le cadre européen, et concernant tous les niveaux d'enseignement en s'adressant à tous les acteurs du système éducatif.

Cette ouverture sur l'Europe et l'international correspond à une priorité politique nationale.

L'objectif est d'élargir les références culturelles ou linguistiques des jeunes, et de favoriser leur mobilité étudiante et professionnelle. Cette politique est mise en oeuvre au niveau académique par les recteurs qui disposent des crédits afférents.

A côté des dispositifs nationaux, les académies développent des actions de coopération et des partenariats qui leur sont propres. Cette ouverture européenne s'appuie concrètement sur l'apprentissage des langues étrangères qui commence désormais dès l'école primaire.

L'engagement de la communauté éducative s'inscrit souvent comme un axe fort du projet d'école ou du projet d'établissement. Les dispositifs de mobilité qui permettent l'échange de pratiques ou de personnes sont la manifestation la plus visible de cette ouverture européenne et internationale, mais il existe aussi beaucoup d'autres actions possibles.

La diversité des dispositifs est le reflet de la multiplicité des partenariats possibles. Les collectivités locales jouent également un rôle important dans cette démarche.

Mais c'est au sein des classes que se vit de manière concrète la dimension européenne à travers les activités de découverte et d'échanges proposées (partenariats, accueil de personnels ou d'élèves étrangers...). Les élèves sont les bénéficiaires de ces dispositifs qui leur permettent d'approfondir leur apprentissage des langues étrangères ou encore de faire des stages à l'étranger.

Les enseignants sont également concernés parce qu'ils sont des acteurs essentiels, initiateurs et relais de la politique d'ouverture européenne ou internationale des établissements.

La sensibilisation des futurs professeurs à la dimension européenne est prise en compte dès la formation initiale par de nombreux Instituts de formation des maîtres qui ont des vocations similaires. Durant leur cursus les étudiants sont incités à effectuer plusieurs stages à l'étranger.

La formation continue est organisée sous forme de stages.

Monsieur le Président, étant donné le temps qui m'est imparti je dois abréger mon intervention.

Nous voyons bien par tout cela que la France comme beaucoup d'autres pays européens a essayé d'intégrer une dimension européenne dans son enseignement. Néanmoins, il est indéniable que des faiblesses persistent et que l'éducation à l'Europe est un processus long et continu.

Un rapport de l'Inspection Générale de l'Éducation Nationale de septembre 2000 sur "l'Europe dans l'enseignement de l'histoire, de la géographie et de l'éducation civique" note que si les programmes actuels intègrent bien une dimension européenne, celle-ci est très orientée vers l'Union européenne au détriment des autres États européens.

Jusque dans les années 1980, l'Europe est présentée comme un espace géographique difficile à définir et à circonscrire conventionnellement limité à l'Oural, et où se rencontrent des peuples qui ont eu une histoire souvent faite de heurts et de conflits.

Les définitions de l'Europe et ses représentations dans les manuels scolaires évoluent au rythme des aléas de la construction européenne et des bouleversements de l'ancien bloc communiste.

Souvent les États au programme sont étudiés pour eux-mêmes et ne sont pas replacés dans l'organisation de l'espace européen.

Ce rapport précise dans sa conclusion : « l'Europe demeure pour la plupart des enseignants une question difficile à problématiser dont on ne discerne pas les objectifs... L'enseignement de l'Europe reste donc un objet en débat parce que c'est un objectif politique inachevé ».

Cette conclusion nous rappelle le travail qui reste à accomplir et le rôle irremplaçable du Conseil de l'Europe, c'est la raison pour laquelle je ne puis que souscrire aux conclusions de l'excellent rapport de notre collègue Prisãcaru. »

Après ces débats, l'Assemblée a adopté la recommandation n°1682 qui invite le Comité des ministres à promouvoir l'éducation comme objectif de la coopération européenne et à établir une convention cadre sur l'éducation à la citoyenneté démocratique et aux droits de l'homme.

d) Les tendances en matière de population en Europe et leur sensibilité aux mesures des pouvoirs publics

L'Assemblée a consacré le dernier débat de cette partie de session à l'examen du rapport de M. Christian Brunhart (commission des migrations) sur les tendances en matière de population en Europe et leur sensibilité aux mesures des pouvoirs publics.

Face au déclin démographique de l'Europe et à l'insuffisance des politiques démographiques actuelles, ce document recommande à la fois la mise en place de mesures d'adaptation dans la vie économique et sociale et un renouvellement des politiques démographiques prenant en compte la complexité des interactions entre démographie et société et s'appuyant sur une vision à long terme.

Intervenant dans le débat M. Bernard Schreiner a notamment insisté sur les menaces que font peser les évolutions en cours sur les systèmes de retraite :

« Les États membres de l'Union européenne seront prochainement confrontés dans des conditions sensiblement identiques à un double défi. Tout d'abord, l'arrivée prochaine à l'âge de la retraite des générations nombreuses nées au lendemain de la Deuxième guerre mondiale entraînera une profonde modification de la structure par âge de la population. Parallèlement, la poursuite de l'élévation de la durée moyenne de la vie, elle aussi, contribuera à augmenter le ratio de dépendance démographique.

La population européenne est d'ores et déjà entrée dans un processus de vieillissement, lié principalement à la baisse de l'indicateur de la fécondité et de la mortalité. L'indicateur conjoncturel de fécondité est passé de 2,59 en 1960 à 1,47 en 2001, avec des variations importantes selon les pays. C'est en France qu'il reste le plus élevé.

Aussi les États membres de l'Union européenne sont-ils confrontés à une lourde pression sur les charges financières dues au paiement des retraites qui seront dispensées dans le futur par les régimes publics et privés.

Dans son édition du 25 septembre 2004, le quotidien français Le Monde rapportait une étude du FMI intitulée « Comment l'évolution de la démographie affecte l'économie globale », selon laquelle le vieillissement de la population pèserait sur la croissance et provoquerait des tensions sur les finances publiques dans les années à venir. De manière globale, la population de plus de soixante ans devrait tripler bientôt.

Le FMI recommande aux États de travailler dans trois directions : l'âge de la retraite, le chômage et l'immigration, afin de conserver l'équilibre, dans les meilleures conditions, d'ici 2050. Car l'un des problèmes du vieillissement de la population est bien le coût que les systèmes de retraite font peser sur les budgets publics.

L'action sur le montant des pensions constitue un volet important des réformes en cours sur les régimes de retraite dans les pays européens. Le plus souvent, cette action emprunte la voie des changements du mode de calcul des pensions ; c'est le cas en France où l'on ne prévoit pas de revenir sur l'âge minimum de la retraite - 60 ans -, à condition d'avoir le nombre d'années requises. Toutefois, en raison de l'entrée tardive dans la vie active, il devient de plus en plus difficile de faire valoir ses droits à la retraite à 60 ans. La nouvelle législation interdit dorénavant aux entreprises et au secteur public de mettre en place des régimes de préretraite. Par ailleurs, la mise à la retraite d'office avant 65 ans n'est plus possible.

Comme d'autres États membres de l'Union européenne, la France a également prévu la création d'un fond de réserve destiné à lisser la montée des charges de retraite devant intervenir entre 2005 et 2040.

Concernant le volet de l'immigration, il est généralement admis qu'une immigration massive n'inverserait pas la tendance au vieillissement de la population en Europe, mais représenterait un soutien pour atténuer les tensions sur le marché du travail. Le rapporteur souligne d'ailleurs que l'immigration n'est pas un instrument adéquat pour compenser le « grisonnement » de la population.

Les nécessaires adaptations économiques et sociales imposées par les évolutions démographiques n'excluent évidemment pas les politiques volontaristes visant à infléchir ces tendances, et notamment des politiques qui cherchent explicitement à accroître la fécondité. Il ne faut pas oublier que le vieillissement de la population entraîne également un alourdissement conséquent des charges des régimes d'assurance maladie et que le problème des personnes âgées dépendantes va constituer un défi majeur pour nos sociétés où les liens familiaux se distendent. Sur tout cela, il est capital de réfléchir maintenant pour mieux décider demain.

Le rapport de M. Brunhart s'inscrit dans cette perspective ; je le félicite pour la qualité de son travail et ses réflexions stimulantes. »

A l'issue de ces débats, l'Assemblée a adopté la recommandation n° 1683 qui demande au Comité des ministres de favoriser l'émergence de politiques européennes communes dans le domaine démographique et aux États membres de mettre en place des politiques de long terme s'attaquant aux causes profondes du déclin démographique notamment dans les domaines de la santé, du vieillissement et de l'immigration.

2. Les grands problèmes internationaux

a) Le défi du terrorisme dans les États membres du Conseil de l'Europe

L'Assemblée a examiné, lors de sa séance de mercredi matin et selon la procédure d'urgence, un rapport de M. Konstantin Kosachev (commission des questions politiques) sur le défi du terrorisme dans les États membres du Conseil de l'Europe. L'inscription de ce débat à l'ordre du jour de cette session a été décidée à la suite de la dramatique prise d'otages de Beslan.

Le rapporteur a tout d'abord souligné que la recrudescence des actes terroristes signifiait que la communauté internationale, y compris les États européens, n'avaient pas suffisamment pris conscience de la gravité du danger, et n'avaient pas réussi à mettre en place des mesures adéquates capables de faire face à un terrorisme nouveau qui ne s'arrête devant rien. Il a proposé à l'Assemblée de réaffirmer sa position de principe - le rejet absolu de toute action terroriste, où qu'elle se passe, quelles que soient les raisons invoquées, les cibles visées, les méthodes ou les exigences des terroristes - et a insisté ensuite sur le fait que la lutte contre le terrorisme devait toujours être compatible avec les libertés fondamentales et le respect des droits de l'homme.

M. Eduard Lintner, rapporteur pour avis de la commission des questions juridiques, a également insisté sur la nécessité de respecter les droits de l'homme et a proposé de renforcer la coopération internationale contre le terrorisme, d'améliorer la formation des fonctionnaires impliqués et de développer l'aide aux victimes.

Plusieurs membres de la délégation française ont participé au débat qui a suivi l'exposé des deux rapporteurs.

Mme Josette Durrieu s'est notamment interrogée sur la définition du terrorisme faisant état de son souci de voir garanti le droit de résistance à l'oppression :

« Le terrorisme frappe souvent, barbare et aveugle : 11 Septembre, Madrid - mon fils se trouvait alors à la gare d'Atocha -, Beslan. Des guirlandes de bombes dans les classes ! Nous sommes horrifiés par tous ces actes.

La menace est mondiale mais la coopération internationale se met en place. Saluons la création du mandat d'arrêt européen. Les premiers résultats sont réels mais insuffisants. On commence à démanteler les réseaux dormants, à déjouer certains attentats, comme ici, à Strasbourg, à Noël dernier. De nouveaux partenaires apparaissent, tels la Jordanie, le Maroc et la Russie.

A propos de la Russie, permettez-moi de dire que le partenariat stratégique ne doit pas être confus. Ce puissant voisin se heurte à un problème majeur - et non secondaire - en Tchétchénie. L'Union européenne fait état de l'intégrité du territoire. Elle a sûrement raison, mais jusqu'où et à quel prix ?

Je poserai trois questions fondamentales.

Premièrement, quelle sera la base légale de l'action internationale contre le terrorisme ? Sera-ce le Conseil de sécurité de l'Onu ? Oui, ce doit être le Conseil de sécurité de l'Onu !

Deuxièmement, quelle est la véritable menace ? La bombe atomique en Iran ? Pour les Américains, aujourd'hui, c'est prioritairement le réacteur atomique iranien. Or il sera détruit, c'est certain, dans les semaines ou les mois qui viennent. Est-ce les États voyous, les régimes hors la loi, Iran, Corée, Syrie ? Est-ce le terrorisme des non-États, cette menace asymétrique et non conventionnelle ? Est-ce seulement l'islamisme radical ? Prenons-nous en compte la menace formulée par Israël lui-même, qui se précipite seul sur la ligne de rupture historique ?

Troisièmement, quelle stratégie ? Militaire avec l'Otan ou non militaire avec l'Onu ? Allons-nous procéder avec les Américains au « nettoyage mondial » ? Allons-nous réduire les armes nucléaires pour concevoir des armes nouvelles ? Allons-nous changer le milieu en profondeur, comme le souhaitaient les Américains dans le cadre de leur action dans le grand Moyen-Orient ? La démarche serait excellente car les vraies raisons sont économiques, sociales, démocratiques.

Enfin, la question qui nous préoccupe dans le cadre de ce rapport : quelle est la définition du terrorisme ? Il serait tout de même temps, après avoir inversé l'ordre des facteurs, de se la poser. Elle n'est pas résolue dans ce texte. Pour moi, le terrorisme barbare, aveugle, non défini, ne se confond pas avec la résistance légitime à l'oppression qui est et doit rester un droit fondamental. Il est au-delà de ce qui figure dans le texte. Dans les chapitres 3, 4, 5, 6 et 7 qu'il faut absolument revoir, il ne s'agit pas seulement de condamner les aspirations séparatistes, l'islamisme fanatique ou des mobiles irrationnels.

Les guerres de décolonisation étaient fondées sur le juste droit de résistance à l'oppression. L'Algérie, ce n'était pas la France. Il y avait donc une légitimité du combat. La Résistance française à l'occupant allemand était légitime. Mes parents étaient résistants. Je suis donc fille de terroristes puisque les allemands considéraient alors les résistants comme des terroristes, et je sais quel est le point de vue de nos amis allemands aujourd'hui. Je n'ai pas envie non plus de confondre sur ces bases la cause palestinienne dans un ensemble que nous ne saurions pas mieux redéfinir. »

M. Bernard Schreiner a insisté sur le nécessaire traitement des causes du terrorisme et a affirmé qu'il fallait éviter tout amalgame entre terrorisme et islam :

« Ce n'est pas la première fois que notre Assemblée débat du terrorisme, mais le débat d'aujourd'hui s'inscrit dans un contexte particulièrement dramatique puisqu'il fait suite aux terribles événements de Beslan et intervient alors que le terrorisme frappe quotidiennement en Irak, au Moyen-Orient ou dans le Caucase.

La France a le triste privilège d'avoir inventé le mot « terrorisme » puisque celui-ci est apparu pour la première fois dans le supplément du dictionnaire de l'Académie française en 1798 pour qualifier le régime de la terreur qui a ensanglanté notre pays entre septembre 1793 et juillet 1794, période durant laquelle plusieurs milliers de personnes furent massacrées. Il a depuis lors eu à s'appliquer à de trop nombreux événements de l'histoire mondiale qui ont comme point commun l'horreur qu'ils nous inspirent.

Depuis plusieurs années, nos démocraties se sont habituées à vivre avec ce phénomène, qu'il s'agisse des mesures de protection mises en place dans les lieux publics, de l'annonce permanente de nouveaux attentats ou de déclarations menaçantes émanant de divers mouvements. Mais, pour autant, il ne saurait y avoir de banalisation du terrorisme et, face à l'horreur, la communauté internationale doit s'unir pour comprendre, mais aussi pour agir.

Tout d'abord, comprendre.

Comme le déclarait M. le Secrétaire Général des Nations Unies lors d'un discours devant l'Assemblée générale en septembre 2001 : « Les actes de terrorisme ne peuvent jamais se justifier, quelque raison que l'on puisse faire valoir ». Mais si le terrorisme est effectivement inexcusable, cela ne signifie pas qu'il faille renoncer à travailler sur tout ce qui peut le nourrir car la force seule ne saurait suffire à constituer une réponse.

Il apparaît tout d'abord que l'interminable conflit du Moyen-Orient est à la base de nombreux actes terroristes, fruit de la frustration des uns et des répliques des autres, qui facilitent la propagation d'idées extrémistes. Cette remarque, toutes choses égales par ailleurs, vaut également pour les foyers de tension qui existent dans d'autres régions, en particulier dans le Caucase.

Mais à l'intérieur de nos pays d'Europe occidentale, la pauvreté et l'exclusion existent et doivent être combattues car elles aussi peuvent être source de terrorisme. Dans nos villes, dans nos banlieues, des communautés entières se sentent exclues et, sans grand espoir, elles peuvent venir facilement alimenter des mouvements extrémistes, terroristes.

Cela étant je tiens à insister sur le fait que ce terrorisme qui, dans nos pays occidentaux, se développe ne doit pas être confondu avec le monde de l'Islam et le monde musulman. Il ne s'agit aucunement de faire l'amalgame. Nos pays ont souffert du terrorisme, l'Allemagne a connu la bande à Baader, l'Espagne l'Eta, l'Italie les Brigades rouges. Efforçons-nous de trouver des solutions dans nos pays pour combattre l'exclusion et la pauvreté, et tout en étant fermes vis-à-vis de ceux qui agissent dans la terreur, gardons-nous bien surtout de faire l'amalgame entre terrorisme et une quelconque communauté religieuse, notamment avec l'Islam. »

M. Marc Reymann a cherché à définir les modalités souhaitables de la coopération internationale dans ce domaine exprimant des réserves sur l'efficacité des structures supranationales :

« Quelle coopération internationale pour lutter contre le Terrorisme ? On ne peut qu'être frappé par le nombre d'instances qui ont mis à leur ordre du jour la lutte contre le terrorisme à tel point qu'il serait trop long de toutes les citer.

La grande difficulté de la coopération dans le domaine de la lutte contre le terrorisme est que, pour être efficace, elle doit être discrète, concentrée sur des secteurs qui apprécient peu la publicité notamment dans le domaine du renseignement et de la justice et surtout elle doit d'abord porter sur les aspects opérationnels, le plus urgent étant bien d'améliorer la capacité de nos systèmes de lutte anti-terroriste, à anticiper le passage à l'acte, à arrêter les terroristes avant qu'ils ne commettent des attentats.

Les auditions que la Mission d'Information de l'Assemblée nationale française a menées dans ce domaine ont très vite montré que la coopération opérationnelle relevait d'abord de la coopération bilatérale et fonctionnait mal dans un cadre multilatéral, ce qui ne veut pas dire que cette dernière forme de coopération n'ait aucun rôle à jouer.

La lutte opérationnelle contre le terrorisme doit elle être transférée au niveau européen et particulièrement au niveau du Conseil de l'Europe ? Telle est la question qui nous est posée.

Prenons l'exemple du renseignement, un domaine inadapté à la coopération multilatérale. Les règles fondamentales du renseignement sont la protection de la source et la règle du « tiers exclu » qui fait qu'un service reste toujours propriétaire du renseignement qu'il transmet à un autre service, lequel ne pourra donc le transmettre à un service tiers sans autorisation préalable. Le respect de ces règles est un impératif absolu.

Remplacer les structures nationales de la lutte anti-terroriste par des structures supranationales semble hypothétique ou dangereux selon les points de vue.

Comme toujours en matière de construction européenne, il est nécessaire d'appliquer strictement le principe de subsidiarité. Le coordinateur de l'Union Européenne - Giys de Vries - l'a bien compris lorsqu'il déclare devant la commission des affaires étrangères française que le rôle fondamental de l'Union Européenne est d'apporter une valeur ajoutée. En effet, la lutte opérationnelle contre le terrorisme est placée sous la seule et pleine responsabilité des États membres qu'il s'agisse de l'action des services de renseignement ou de police ou encore de la justice pénale. Dès lors, l'action de l'Union est essentiellement complémentaire de celle des États membres. Donner une base juridique pour faciliter la coopération entre les États membres est la bonne solution.

Cette analyse peut, évidemment, s'étendre au Conseil de l'Europe.

La politique européenne en matière de lutte anti-terroriste ne doit pas concurrencer la politique nationale, voire se substituer à celle-ci mais apporter un appui quand les synergies sont possibles.

La mission d'information sur ce sujet de l'Assemblée Nationale française qui a auditionné les plus grands spécialistes notamment le juge anti-terroriste Brugière a clairement posé les limites des structures supranationales. C'est ainsi que l'instauration d'un procureur européen ne semble pas rendre la lutte contre le terrorisme plus efficace.

Par contre, l'unité Eurojust pourrait très utilement permettre un rapprochement entre magistrats de cultures juridiques différentes afin de faciliter le déroulement d'enquêtes dans les pays européens.

Le principal rôle que l'Europe doit jouer en matière de lutte contre le terrorisme est de tout mettre en oeuvre pour faire disparaître les freins qui empêchent la coopération directe entre États membres.

Nous constatons que l'efficacité de cette coopération repose sur un rapprochement des législations et des systèmes pénaux et sur la mise en place d'outils concrets de nature à accélérer l'entraide judiciaire en matière pénale.

Même si elle ne concerne pas uniquement la lutte contre le terrorisme, il nous semble que la coopération judiciaire en matière pénale doit être considérablement développée.

L'objectif à terme devrait être que les frontières nationales ne constituent plus un obstacle dans la conduite d'enquêtes en matière terroriste. »

A l'issue de ce débat, l'Assemblée a adopté :

- la recommandation n° 1677 qui demande au Comité des Ministres de commencer l' élaboration d'une Convention générale du Conseil de l'Europe sur le terrorisme , de mettre en place un partenariat avec l'Union européenne et d'inscrire la question de la coopération européenne dans ce domaine à l'ordre du jour du 3 ème sommet et aux États membres d'accroître la coopération multilatérale et l'assistance réciproque en matière de prévention et de répression des actes terroristes ;

- la résolution n° 1400 qui invite en particulier les parlements nationaux à adopter une approche intégrée et coordonnée pour contrer le terrorisme .

b) La situation en Tchétchénie

L'Assemblée s'est penchée sur la situation en Tchétchénie lors de sa séance du jeudi matin au cours de laquelle trois rapports ont été présentés.

M. Andreas Gross, rapporteur de la commission des questions politiques, a considéré que les responsabilités du conflit n'étaient pas également réparties mais qu'elles étaient partagées. Il a plaidé pour l'organisation d'une table ronde permettant un dialogue réel, fondé sur le respect réciproque, réunissant les différents protagonistes du conflit afin d'ouvrir la voie à une solution négociée.

M. Rudolph Binding a ensuite présenté le rapport de la commission des questions juridiques sur la situation des droits de l'homme en République tchétchène. Il a jugé que dans ce domaine la situation demeurait catastrophique et a insisté sur le sentiment d'impunité des auteurs d'exactions. Il a réclamé un signal clair du Président Poutine pour obliger les forces de sécurité à respecter les droits de l'homme.

Intervenant au nom de la commission des migrations M. Tadeusz Iwinski a abordé la situation humanitaire de la population tchétchène déplacée. Face à la situation difficile des personnes concernées, il s'est prononcé pour la poursuite de l'assistance humanitaire.

Après les trois rapporteurs, l'Assemblée a entendu M. Alvaro Gil-Robles, commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe. Ce dernier a fait état des résultats de la conférence sur les droits de l'homme qui s'est tenue à Grozny le 24 septembre 2004 et a insisté sur les progrès à accomplir pour protéger les membres des Organisations non gouvernementales et les Tchétchènes installés à l'extérieur de leur pays et pour faire la lumière sur la question des personnes disparues.

Concluant cette série d'interventions liminaires M. Alu Alkhanov, Président de la République tchétchène, a reconnu que la situation sociale et politique de son pays demeurait très complexe mais a affirmé qu'elle restait sous le contrôle des autorités. Il a estimé que des progrès avaient été accomplis s'agissant des enlèvements et de la situation des réfugiés avant de soutenir le projet de table ronde proposé par M. Andreas Gross.

Intervenant dans le débat, M. Daniel Goulet a dénoncé le désengagement de la communauté internationale en Tchétchénie et a plaidé pour une intervention plus forte du Conseil de l'Europe :

« Après l'issue tragique de Beslan, il convient aujourd'hui de dresser un bilan de la situation politique du Caucase nord, et tout particulièrement de la Tchéchénie, ce qu'ont fait d'ailleurs avec beaucoup d'objectivité nos éminents rapporteurs. Il ne faut pas, je crois, confondre les causes de la tragédie avec les conséquences de la multiplication des actes terroristes ainsi perpétrés.

Certes, la Fédération de Russie est la seule partie engagée là-bas, en l'absence de toute activité réelle des autorités internationales qui, par leur comportement, font bien plus que se discréditer : elles offensent l'application du droit international.

Ce désengagement de la communauté internationale, assorti d'une répression russe de plus en plus forte, a pour conséquence des injustices profondes, mal perçues et insupportables pour le peuple tchétchène. Ainsi les Tchétchènes se résignent, depuis maintenant presque quinze ans, devant un système démocratique bafoué, à prendre les armes et à se plonger eux-mêmes dans un nationalisme profond. L'un des instruments de ce nationalisme est le terrorisme religieux islamique, que Moscou semble aujourd'hui prendre comme une entité isolée.

Depuis 1996, les Nations Unies n'ont jamais envoyé de mission de paix - pas plus qu'humanitaire ! - alors que les massacres, les attentats se multiplient, et que recule la démocratie.

Nous voilà aujourd'hui condamnés à assister à la montée d'une violence sans fin. On peut tout craindre quand on se penche sur la réforme institutionnelle que le Président de la Fédération de Russie entend mener pour son pays au regard des territoires qui le constituent. Cette réforme se traduirait, semble-t-il, par un renforcement de la puissance de l'État par le biais de l'exécutif sous prétexte d'antiterrorisme. Je ne crois pas que cela sera bon.

Devant ce net recul démocratique interne, comment envisager l'avenir de la société tchétchène, notamment au regard de ce que Moscou entend faire en Tchétchénie en matière de respect et d'amélioration des procédés démocratiques, et des droits de l'homme, en l'absence de reprise du dialogue et de négociations s'appuyant sur la réconciliation ?

Le rapport de notre collègue, Andreas Gross, fait état de la création d'une « table ronde » à Strasbourg entre les représentants tchétchènes et russes. Nous nous en réjouissons. Bien que tardive, cette « table ronde » devra se doter d'une structure clairement établie et forte, permettant de donner aux décisions qui en résulteront une force réelle et précise d'application, en premier lieu un suivi permanent car cela sera indispensable.

Dans le cadre de sa propre réflexion, le Conseil de l'Europe doit lui-même prendre en charge les causes du conflit, forger les analyses et proposer les solutions à apporter aux problèmes qu'il soulève. La Fédération de Russie étant présente au Conseil de l'Europe par ses éminents représentants, l'Union européenne ne doit pas être seule habilitée en premier ressort à traiter de la politique en Tchétchénie ; il revient bien davantage à l'Assemblée parlementaire de se manifester avec la ferme volonté qui doit être la sienne, et dans le cadre des responsabilités qu'elle détient, comme gardienne des droits de l'homme. Si tel n'était pas le cas, notre Assemblée prendrait des risques forts et graves de se discréditer aux yeux du monde ! »

A l'issue de ces débats, l'Assemblée a adopté :

- la recommandation n° 1678 et la résolution n° 1402 sur la situation politique en République tchétchène portant sur les mesures visant à accroître la stabilité démocratique conformément aux normes du Conseil de l'Europe ;

- la recommandation n° 1679 et la résolution n° 1403 sur la situation des droits de l'homme en République tchétchène demandant notamment au Comité des Ministres et aux États membres d'inviter la Fédération de Russie à prendre des mesures supplémentaires pour faire disparaître le climat d'impunité en République tchétchène et à veiller à ce que les mesures antiterroristes respectent les droits de l'homme ;

- la résolution n° 1404 sur la situation humanitaire de la population tchétchène déplacée .

c) Le respect des engagements et obligations de l'Arménie

Lors de sa séance de jeudi après-midi l'Assemblée a, sur le rapport de M. Jerzy Jaskierna (commission de suivi), examiné l'application de ses résolutions sur l'Arménie.

Deux membres de la délégation française sont intervenus dans la discussion. M. François Rochebloine a félicité le rapporteur pour son approche équilibrée et objective tout en se démarquant de sa position sur le conflit du Haut-Karabakh :

« C'est avec beaucoup d'attention et d'intérêt que j'ai pris connaissance du rapport de notre collègue Jaskiernia, dont je me plais à saluer la présentation équilibrée qu'il a faite de la situation en Arménie. Le rapporteur reconnaît les progrès accomplis par les autorités arméniennes et souligne l'important travail législatif effectué depuis la résolution adoptée en janvier 2004 : un nouveau Code électoral est en cours de discussion, des projets de réforme constitutionnelle sont actuellement examinés, en étroite coopération avec la Commission de Venise et l'OSCE. Par ailleurs, des projets de loi sur la démocratie locale sont sur le point d'être adoptés. Il nous reste à espérer que les efforts accomplis se poursuivront.

Le rapporteur a ainsi justifié, ce que j'ai, pour ma part, toujours reconnu, ici et ailleurs : il faut laisser aux autorités de l'Arménie et aux forces politiques arméniennes le temps nécessaire pour améliorer le droit, corriger les mauvaises habitudes et abandonner les pratiques léguées par l'époque communiste. Aussi, je me réjouis de l'approche objective dont témoigne globalement ce rapport, ce qui rend d'autant plus crédible les remarques et critiques formulées sur tel ou tel point pouvant, de fait, prêter à discussion.

Je suis également d'accord avec le rapporteur pour regretter que certains, en Arménie, aient considéré l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et sa commission du suivi comme les arbitres extérieurs de ce qui est en réalité - sous des formes peut-être plus vives que ce que nous connaissons aujourd'hui en Europe - un débat politique légitime entre une majorité et une opposition. Je souhaite, comme le rapporteur, qu'un dialogue démocratique normal reprenne entre majorité et opposition. Il en va de l'intérêt commun de tous les Arméniens.

Je terminerai ces quelques observations en reprenant ce que dit le rapporteur à propos du Haut-Karabakh. Je ne peux le suivre sur ce point. Ceux qui connaissent les tribulations des frontières politiques de l'Arménie depuis le début du XX ème siècle savent que celles-ci ont été imposées au peuple arménien par une entente sur son destin entre la Turquie et la Russie bolchevique, après bien des fluctuations. Par ailleurs, le rapport reste bien silencieux sur les déclarations quelque peu belliqueuses du nouveau Président Aliev, qui ne sont pourtant pas sans lien avec les précautions militaires prises au Haut-Karabakh. Les populations du Haut-Karabakh ont quelques raisons de vouloir protéger leur sécurité par de solides garanties, et rien dans l'attitude de l'Azerbaïdjan ne permet de penser aujourd'hui que ces raisons ne sont plus valables. S'il est légitime d'encourager les parties en présence de poursuivre les négociations, encore faut-il que ces encouragements ne soient pas unilatéraux.

Je souhaite donc que le Conseil de l'Europe ne ménage pas son soutien aux efforts déployés par les coprésidents du groupe de Minsk de l'OSCE pour encourager les parties à poursuivre les négociations et proposer des solutions de règlement.

Nous attendons que l'Arménie et l'Azerbaïdjan, qui se sont engagés en rentrant au Conseil de l'Europe à trouver une solution pacifique et durable au conflit qui les oppose, donnent un signal clair de leur détermination à avancer dans la voie des négociations et à mettre à profit les travaux effectués à Prague.

Ne nous substituons pas au groupe de Minsk comme voudraient le faire certains dans cette Assemblée, mais au contraire, apportons lui notre soutien et nos encouragements. »

M. Francis Grignon a fait part de sa confiance dans l'évolution de l'Arménie, a engagé la population arménienne à poursuivre les réformes en cours et considéré que la solution du conflit du Haut-Karabakh devait résulter des travaux du groupe de Minsk :

« «Selon que vous serez puissant ou misérable les jugements de cour vous rendront blanc ou noir», a dit le fabuliste Jean de la Fontaine.

Pour ma part, je n'aime pas beaucoup les jugements en blanc ou noir, qui caricaturent toujours la réalité et discréditent leurs auteurs. Je ne veux pas non plus porter un jugement comptable, en partie double, avec une colonne d'éléments positifs et une colonne d'éléments négatifs.

Je veux plutôt placer mon appréciation sous le signe de l'espoir. Les liens d'amitié entre la France et l'Arménie sont anciens et solides. Paris, Lyon, Marseille, et tant d'autres de nos villes, comptent nombre de citoyens français nés des réfugiés que nous avons accueillis après le drame de 1915.

Nous connaissons aussi les trésors d'architecture de cette région du Caucase, qui relient l'architecture romaine à l'architecture romane. Les manuscrits enluminés sont encore une source d'inspiration pour nombre d'artistes.

Si je rappelle ce passé prestigieux encore présent sous nos yeux, c'est pour appeler nos amis arméniens à la confiance dans l'avenir. Ils ont déjà accompli nombre de réformes selon les engagements pris lors de leur adhésion. D'autres réformes sont encore à parachever que doit consacrer dans quelques mois un référendum.

Les autorités arméniennes n'ont rien à craindre des adaptations législatives que nous attendons d'elles. Aucune n'implique un reniement des traditions nationales.

Nos expériences sont là pour en témoigner : la reconnaissance du statut d'objecteur de conscience, la transparence et l'égalité dans le fonctionnement des médias audiovisuels, la stricte limitation des détentions administratives, l'institution d'un défenseur des droits de l'homme, un aménagement décent des prisons, la lutte résolue contre la corruption ou encore, voire, surtout, la réorganisation du système judiciaire afin de mieux garantir l'indépendance de la magistrature : ce sont des sujets pour lesquels nous avons nous-mêmes procédé peu à peu à des adaptations législatives. Celles-ci, bien loin d'exaspérer les tensions politiques, ont au contraire pacifié notre vie publique et je suis sûr qu'il en ira de même pour l'Arménie.

Il n'est pas jusqu'à la reconnaissance de « nouveaux mouvements religieux » qui ne doive être envisagée sereinement : la Cour européenne des Droits de l'Homme a souvent sanctionné les excès qui pourraient menacer l'ordre public.

Je n'évoquerai que d'un mot la question du Haut-Karabakh pour dire ma confiance dans la poursuite du dialogue dans le cadre du « Groupe de Minsk ». Je forme seulement le voeu que certains États voisins de l'Arménie renoncent au blocus de fait de ce pays qui n'a pas, lui, de pétrole et cumule les difficultés.

En conclusion, je veux redire ma confiance dans l'évolution à venir de l'Arménie en invitant tous les représentants de la population de ce pays à partager cette confiance. C'est la condition de leur prospérité comme de l'insertion harmonieuse dans le concert européen pour peu que tous les États de la région apportent loyalement leur concours. »

L'Assemblée a conclu ses débats sur ce point en adoptant la résolution n° 1405 qui, tout en prenant acte des progrès accomplis, déplore le peu d'évolution dans le dossier du Haut-Karabakh et appelle l'Arménie à poursuivre ses efforts notamment en ce qui concerne la révision du code de procédure pénale, l'amélioration des conditions de détention, l'évolution du paysage audiovisuel, l'abandon de la pratique de la détention administrative et la modification de la loi sur les manifestations et les réunions publiques.

d) Le réchauffement climatique

Dernier des grands dossiers internationaux inscrits à l'ordre du jour, le réchauffement climatique a été abordé à la fin de la séance du jeudi après-midi sur le rapport de M. Alan Meale (commission de l'environnement) qui, tout en se félicitant du ralliement de la Russie au protocole de Kyoto a insisté sur la nécessité de convaincre les pays non-signataires de ce texte de se résoudre à limiter leurs émissions de CO 2 face à la progression de la désertification et à l'accélération de la fonte des glaciers.

M. Jean-Marie Geveaux a insisté sur l'importance des enjeux et appuyé les conclusions du rapporteur estimant que le soutien sans réserve du protocole de Kyoto représentait une exigence politique majeure :

« Le climat naturel de la Terre a toujours été et continue d'être en constante évolution, mais les changements climatiques que nous connaissons aujourd'hui diffèrent des changements précédents par leur rapidité et leur ampleur.

Au cours des deux cents dernières années, les émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines se sont accumulées dans l'atmosphère. En augmentant la présence des gaz qui retiennent la chaleur du soleil, nous avons favorisé l'effet de serre naturel au point qu'il risque de provoquer le réchauffement de la planète à un rythme jamais vu auparavant.

Les changements climatiques et leurs incidences font partie des problèmes environnementaux les plus graves auxquels nous sommes confrontés.

Les scientifiques ont élaboré plusieurs scénarios et leurs recherches indiquent que la température moyenne à la surface du globe pourrait augmenter d'un demi-degré tous les dix ans. Autrement dit, le réchauffement de la planète au cours du siècle à venir sera probablement plus élevé que tous les changements de température qui se sont produits en dix mille ans.

Le sommet de la Terre à Rio en 1992 a marqué la prise de conscience internationale du risque de changement climatique. Les États les plus riches qui étaient responsables des émissions les plus importantes y avaient pris l'engagement de stabiliser en 2000 leurs émissions au niveau de 1990. Le Protocole de Kyoto en 1997 a traduit en engagements quantitatifs contraignants cette volonté de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre les plus importants.

L'Union européenne qui joue un rôle moteur dans ce dossier a accepté une réduction de 8 % et elle a procédé à une répartition de la charge de cet objectif entre les États membres. Le marché européen des permis d'émission sera une réalité le 1 er janvier 2005.

L'Union européenne et chacun des États membres ont ratifié le Protocole de Kyoto, le 31 mai 2002. Toutefois, jusqu'à ce jour, par la mauvaise volonté des États-Unis, ce protocole ne pouvait entrer en vigueur. Je tiens à m'associer aux félicitations et remerciements adressés à la Russie qui vient de prendre une décision très importante en approuvant ce texte et en décidant de transmettre un projet de ratification à la Douma, ce qui laisse augurer d'une ratification définitive, donc d'une entrée en vigueur prochaine du protocole.

Le gouvernement français a, quant à lui, adopté le 22 juillet 2004 un « plan climat » qui rassemble des mesures de réduction de gaz carbonique étendues non seulement au secteur industriel mais aussi à tous les secteurs de l'économie et de la vie quotidienne des Français. Ce « plan climat », qui contient huit orientations majeures, présente une stratégie de recherche technologique visant à diviser par quatre ou cinq les émissions en 2050, selon le voeu du Président de la République.

Devant l'ampleur des enjeux, on ne peut que souscrire aux appels du rapporteur et inviter fermement les pays développés signataires de la Convention de Rio qui ne l'ont pas encore fait à ratifier le Protocole de Kyoto, et inviter bien entendu tous les autres à nous rejoindre. Soutenir sans réserve le Protocole de Kyoto est une exigence politique majeure.

Pour l'ensemble de ces raisons, mes chers collègues, j'apporte mon total soutien aux conclusions de l'excellent rapport de notre collègue M. Meale, que je remercie tout particulièrement. »

L'Assemblée a ensuite adopté la résolution n°1406 qui invite les États membres à assurer rapidement la mise en oeuvre des objectifs du protocole de Kyoto, à favoriser le développement des énergies renouvelables et les économies d'énergie, à adapter leurs politiques de transports ainsi que les politiques agricoles dans le but de diminuer les émissions de CO 2 .

3. Les débats économiques

a) L'OCDE et l'économie mondiale

Lors de sa séance du mercredi après-midi l'Assemblée a tenu son traditionnel débat élargi sur l'OCDE sur le rapport de M. Abdulkadir Ate° (commission des questions économiques). Après l'exposé du rapporteur, plusieurs commissions ont présenté des contributions.

M. Alain Cousin a présenté la contribution de la commission des questions sociales en insistant particulièrement sur les problèmes liés au vieillissement de la population, à l'accès de tous aux services de santé et à la politique familiale, autant de questions essentielles mais trop peu souvent évoquées dans ce cadre :

« Je veux évoquer rapidement les questions qui intéressent plus particulièrement la commission des questions sociales, de la santé et de la famille.

Au préalable, je me réjouis de constater que, contrairement aux années précédentes, les prévisions sont beaucoup plus optimistes, malgré l'inquiétude suscitée - M. Ate° le rappelait précédemment - par le coût du baril de pétrole qui ne cesse de nous préoccuper.

En tant que porte-parole de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, je regrette que les questions liées aux activités de notre commission ne soient pas mentionnées, tout en comprenant qu'il soit difficile d'aborder toute la gamme des activités de l'OCDE. En effet, nous sommes confrontés, tous pays confondus, au problème du vieillissement de la population, lequel a des conséquences sur les systèmes de pension. Nous nous trouvons donc devant un fait accompli, à savoir la nécessité de réformer le système de retraite pour en assurer sa viabilité. C'est une question de responsabilité et de courage. Ce sujet a d'ailleurs fait l'objet de débats très intéressants la semaine dernière à Bratislava, où nous avons notamment constaté que le vieillissement de la population a des répercussions fortes sur la société, sur le régime des pensions, mais également sur la famille, car les personnes âgées sont de plus en plus considérées comme un fardeau par les familles - hélas !

A cet égard, les chiffres communiqués par l'OCDE sont éloquents, puisque le ratio de la dépendance des personnes âgées va passer de 22 % à 46 % en 2050 - 2050 c'est demain - et nous oblige à mener une réflexion, non seulement sur le système de retraite, mais également sur le maintien ou non des retraites anticipées ou des préretraites. C'est un sujet qu'il conviendra d'avoir le courage d'aborder.

C'est pourquoi nous recommandons aux États de prendre d'ores et déjà des mesures visant à réduire la dépendance des personnes âgées, en étudiant la possibilité, par exemple, de les insérer le plus longtemps possible sur le marché du travail. Sans doute des dispositifs seront-ils à aménager et à imaginer. Compte tenu de l'importance de cette question, notre commission envisage de préparer un rapport sur le sujet.

S'agissant plus spécifiquement de l'emploi et de la cohésion sociale, notre commission soutient et félicite l'OCDE pour son initiative visant à aider les gouvernements à trouver les moyens permettant de créer plus d'emplois, mais également des emplois de meilleure qualité.

Autre sujet d'importance : la politique dans le domaine de la santé, car notre organisation, tout comme l'OCDE, a pour objectif de rendre les soins médicaux accessibles à tous.

Dans ce contexte, nous sommes préoccupés par le manque flagrant de personnel dans le milieu médical - en tout cas, la France connaît le problème de manière cruciale - et surtout hospitalier, ce qui entraîne souvent de graves dysfonctionnements dans les services.

Nous tenons d'ailleurs à souligner que la publication par l'OCDE des données de la santé constitue, à cet égard, un très bon outil de travail pour nos activités futures dans ce domaine.

Enfin, en ce qui concerne les politiques familiales, nous saluons les efforts de l'OCDE pour encourager les travaux menés pour concilier l'emploi et la vie familiale.

Les enquêtes menées dans ce contexte, notamment en ce qui concerne le travail à temps partiel, le congé parental ou la garde des enfants, nous permettront d'avancer dans la recherche de solutions.

En conclusion, nous aimerions rappeler que notre commission souhaite poursuivre sa collaboration avec l'OCDE dans les domaines d'intérêt commun, qui sont très nombreux, nous l'avons vu. En effet, les questions sociales sont indissociables de l'économie. »

Au nom de la commission de la culture, des sciences et de l'éducation, M. Jacques Legendre a pris la parole dans ce débat pour inviter l'OCDE à s'impliquer davantage dans la réflexion sur la façon de concilier le potentiel économique des industries culturelles avec le rôle spécifique de la culture et avec le souci de préserver la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques :

« La commission de la culture, de la science et de l'éducation tient à féliciter le rapporteur M. Ate° pour son rapport et soutient le projet de résolution sur l'OCDE et l'économie mondiale présenté par la commission des questions économiques et du développement. Nous remercions ladite commission d'avoir bien voulu faire droit à un amendement que nous estimions devoir proposer.

Le rapport attire l'attention de l'OCDE sur la nécessité de participer à la réflexion sur la conciliation du potentiel économique des industries culturelles et du rôle spécifique de la culture, aussi bien que du souci de préserver la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques que les personnes et les sociétés y apportent.

Pourquoi un tel engagement de la commission de la culture ? On peut penser, selon un vieux réflexe, que le monde de la culture est distinct de la politique et des affaires. A notre avis, c'est une approche erronée. Le développement durable de nos sociétés, de plus en plus multiculturelles et multireligieuses, est impensable sans un véritable respect et une coexistence harmonieuse entre les cultures et les religions qui les composent. On le voit bien actuellement.

Dans le contexte de la mondialisation et dans une société médiatisée, les industries culturelles acquièrent une importance qui ne cesse de croître. Il suffit de voir les revenus générés par Hollywood pour les États-Unis. La production culturelle, rendue plus accessible par les technologies de l'information, ainsi que le tourisme culturel, deviennent un vecteur important de croissance économique en particulier pour les pays en voie de développement. Il s'agit donc de considérer la conciliation entre développement économique et développement culturel comme une mission de notre temps.

Pour jouer le rôle de vecteurs, de pluralisme, de tolérance et de respect, la culture et l'éducation ont besoin d'investissements ciblés qui ne peuvent pas nécessairement être assurés par le marché. D'où l'importance pour chaque État de définir des politiques culturelles en harmonie avec les valeurs démocratiques et qui, en même temps, prennent en considération la situation spécifique de chaque pays.

Le libre-échange devra accorder des possibilités égales à tous ses participants. En réalité, dans le domaine culturel, il y a de grandes inégalités au profit des grandes « machines », celles des États-Unis en premier lieu mais aussi celles d'autres pays.

Les États-Unis sont porteurs d'une grande culture. Leur puissance économique, politique et militaire confère à cette culture une force qui, dans le cadre d'une mondialisation sans garde-fous, peut détruire les autres cultures. La culture ne doit pas être considérée comme un bien de consommation et être mise sur le marché comme n'importe quel autre marchandise ou service.

C'est pourtant ce qui risque de se passer dans le cadre des négociations commerciales sur les biens et les services au sein de l'Organisation mondiale du commerce. Les États-Unis ont demandé la libéralisation des services audiovisuels. L'Union européenne, quant à elle, défend les impératifs de la politique publique de l'audiovisuel et la possibilité de préserver et de développer la capacité de l'Union et de chaque pays membre, de définir et de mettre en oeuvre leurs politiques culturelles et audiovisuelles, afin de sauvegarder la diversité culturelle.

La question des relations entre culture et commerce se pose donc dans toute une série d'autres aspects du droit commercial international, y compris le commerce des biens, de la protection de la propriété intellectuelle touchant au commerce, la protection des investissements et la régulation des subventions. Les politiques culturelles nationales pourraient donc prendre de l'importance dans d'autres cadres que celui de l'AGCS.

Voyons bien, mes chers collègues, la différence de situation entre l'OMC dont les décisions ont force exécutoire et les deux documents majeurs internationaux qui protègent la diversité culturelle, la déclaration sur la diversité culturelle du Conseil de l'Europe et celle de l'UNESCO, de nature uniquement déclaratoire. Voilà pourquoi il apparaît souhaitable à des États de plus en plus nombreux qu'une convention internationale de caractère lui aussi exécutoire, puisse protéger la diversité culturelle. Actuellement, dans le cadre de l'UNESCO, un travail est en cours depuis octobre 2003, sur avis du conseil exécutif. Nous pensons qu'il est essentiel.

Les participants à une récente réunion de notre commission des affaires culturelles ont constaté que d'autres institutions internationales commencent à se rendre compte du lien entre le développement culturel et le développement durable. C'est par exemple le cas du CNUD. On peut consulter le rapport mondial sur le développement humain 2004 du programme des Nations unies intitulé « La liberté culturelle dans un monde diversifié ».

L'OCDE ne semble pas comprendre l'importance de son rôle. Malgré notre appel, elle n'était pas représentée à une récente réunion de notre commission. Or, d'après ses membres, il reviendrait précisément à cette organisation d'apporter une contribution importante à la réflexion sur la façon de concilier le potentiel économique des industries culturelles avec le rôle spécifique de la culture et avec le souci de préserver la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques que les personnes et les sociétés y apportent. C'est l'esprit de l'amendement que nous avons déposé, que votre commission a bien voulu accepter. Nous nous réjouissons de poursuivre tous ensemble ce travail tout à fait nécessaire et d'actualité. »

L'Assemblée a conclu ce débat en adoptant la résolution n°1401 qui se réjouit de la reprise d'une saine croissance économique tout en détaillant les menaces qui pèsent sur elle, déplore l'incapacité des pays de l'OCDE à tenir leurs engagements en matière de protection de l'environnement, affirme l'importance de la culture pour le développement durable et demande aux pays membres de l'OCDE de présenter des propositions visant à permettre le règlement par des moyens pacifiques des différents problèmes qui sous-tendent les conflits internationaux et le terrorisme .

b) Le programme de Doha pour le développement

Lors de sa séance du lundi après-midi l'Assemblée a examiné, sur le rapport de M. Kimmo Sasi (commission des questions économiques), l'évolution des négociations en cours au sein de l'Organisation mondiale du commerce concernant le Programme de Doha pour le développement.

Intervenant dans le débat, M. Francis Grignon s'est plus particulièrement intéressé au phénomène des délocalisations :

« Nous abordons un sujet dont nous savons combien il est sensible pour nos concitoyens. S'agissant des délocalisations, cette inquiétude est également vive aux États-Unis où elle semble même être un des enjeux de la campagne pour l'élection présidentielle.

Toutes nos économies sont concernées par une mutation accélérée des activités, le reflux de certaines industries de main-d'oeuvre, la concurrence accrue de la Chine et de l'Inde notamment. L'inquiétude de nos concitoyens est avivée par une situation de l'emploi souvent déjà dégradée. Pour autant, le rôle des responsables politiques n'est-il pas d'éclairer le chemin en insufflant une confiance dans l'avenir à partir d'une analyse rationnelle de la situation ?

Les négociations de Doha doivent accompagner une évolution économique normale et, faut-il le rappeler, à l'oeuvre en permanence pour le grand bien de tous. Le phénomène que l'on désignait comme une destruction créatrice est aussi vieux que l'économie de marché ; c'est l'instrument de l'adaptation des outils de production à la satisfaction au moindre coût des attentes des consommateurs, l'instrument aussi de la meilleure allocation des facteurs de production et du développement des échanges. Ce mouvement permanent de restructuration des productions nationales est un processus normal et globalement bénéfique pour la croissance.

Tout d'abord, la délocalisation de la production des produits manufacturés arrivés à maturité, pour lesquels la concurrence s'exprime, pour l'essentiel, par les prix est naturelle et économiquement rationnelle. Elle est source d'enrichissement national puisqu'elle permet aux consommateurs d'acquérir des biens à meilleur coût et aux facteurs de production d'être utilisés à la création de biens et services ayant un plus fort contenu en valeur ajoutée.

Par ailleurs, les délocalisations sont également source d'enrichissement international dans la mesure où elles ouvrent aux pays en voie de développement des perspectives de croissance qui leur seraient interdites en l'absence de commerce mondial et, ce faisant, accroissent les potentialités commerciales des pays riches en permettant l'émergence de nouveaux marchés solvables.

En ce qui concerne plus particulièrement les industries de main-d'oeuvre, le coût du travail étant un élément déterminant des coûts de fabrication, la délocalisation de leurs segments de production les plus concurrentiels est un processus irréversible qu'il serait vain de tenter de contrarier par d'autres moyens que la spécialisation sur certaines niches ou gammes à haute valeur ajoutée ou le développement associé de services à la clientèle.

En outre, le même raisonnement théorique sur l'utilité des délocalisations peut être étendu à tous les secteurs des biens et services dès lors que l'on se place dans une économie globalisée et régulée : encadrée par des règles équitables de concurrence, la compétition entre pays développés et pays émergents à fortes capacités technologiques est elle aussi naturelle et saine, et propice à un enrichissement mutuel. Une telle dynamique rend inenvisageable toute tentation pour un pays comme la France de se replier sur un protectionnisme désuet.

En dernier lieu, s'agissant de l'importance quantitative des délocalisations, il est avéré, d'une part, que la diminution de l'emploi salarié dans l'industrie leur est bien moins imputable qu'à l'amélioration continue et importante de la productivité, d'autre part, que la structure du commerce mondial est encore largement dominée par les échanges Nord/Nord sous forme de compétition entre les économies développées plutôt que dans celle de la concurrence nouvelle avec les pays émergents.

Enfin, le poids global des délocalisations dans l'ensemble des mouvements continus de restructuration de l'économie est localement dramatique, mais globalement faible. Pour autant, nous ne pouvons défendre une dérégulation brutale, totale ni surtout à sens unique.

Je me félicite que le rapporteur mentionne la protection de l'environnement et le respect d'un socle de droits sociaux comme limites à la concurrence qui ne doit pas se faire aux dépens de l'avenir de nos enfants sur la planète que nous leur léguons.

La concurrence ne peut pas se faire non plus au profit des moins-disants sociaux. Les économies qui se sont engagées dans une politique de régression des droits sociaux n'ont d'ailleurs pas reconquis les parts de marché attendues et elles prennent des risques politiques majeurs. Au contraire, nous devons assumer pleinement les élargissements successifs de l'Union européenne. La prospérité éclatante de l'Espagne et du Portugal ne sont-elles pas là pour nous donner à tous un optimisme fondé en raison ?

Je regrette cependant que notre rapporteur ne consacre pas un paragraphe aux distorsions de concurrence qui peuvent résulter du non-respect de la propriété intellectuelle qu'organisent le droit des marques et le droit des brevets. Il est impératif de respecter les normes sanitaires ainsi que les appellations d'origine.

Voilà les réflexions que m'inspire l'excellent rapport de M. Sasi dont je partage l'engagement résolument confiant dans un développement équilibré des échanges globalisés. »

M. Bernard Schreiner a pour sa part déploré le manque d'harmonisation dans les politiques sociales, fiscales et environnementales qui est à la source de sérieuses distorsion de concurrence. Il a demandé de veiller à ce que le développement des pays du Sud ne se fasse pas au détriment de la croissance économique des pays européens et de la délocalisation de leurs industries :

« Bien que l'OMC soit un organisme souvent contesté, elle constitue un rempart politique face aux dérives de la mondialisation qui pourraient déboucher sur un libéralisme sauvage, sources de disparités et d'inégalités. Or, le programme de Doha pour le développement du commerce mondial mérite un intérêt particulier. En effet, les négociations commerciales multilatérales doivent permettre aux états de marquer le primat du politique, en régulant l'évolution des échanges mondiaux afin d'éviter que les grandes sociétés multinationales imposent leurs seuls intérêts économiques et financiers.

L'espoir d'un accord futur lors de la conférence ministérielle de l'OMC, prévue en 2005 à Hong-Kong, ouvre des perspectives de développement mieux partagé à l'échelle internationale et de relance d'une croissance indispensable au progrès social.

Il convient toutefois de privilégier une certaine prudence dans ces négociations face aux multiples luttes d'influence et aux disparités dans les conditions de production. L'absence d'harmonisation dans les politiques sociales, fiscales, environnementales créé des distorsions de concurrence de plus en plus flagrantes et menace la pérennité de certaines activités, notamment dans les pays européens. Or, il n'est pas acceptable que le rééquilibrage du commerce international menace les pays qui mènent des politiques volontaristes en matière de progrès social et de préservation de l'environnement.

Dans nombre de domaines, comme l'agriculture, l'agroalimentaire ou le textile, les écarts de coût de production vont de un à quarante. Les conséquences sociales sont lourdes et accroissent considérablement les risques de délocalisation des entreprises. Les implications sont très lourdes sur nos territoires, notamment en terme d'emploi. Il convient de veiller au contenu du futur accord commercial international afin que le développement économique des états du Sud ne s'effectue pas en permanence au détriment de la croissance économique des pays européens et de la délocalisation de leurs industries. »

L'Assemblée a ensuite adopté la résolution n° 1396 qui se réjouit de l'accord intervenu à Genève en juillet 2004 pour la poursuite du Programme de Doha , insiste sur l'importance des impératifs liés à la protection de l'environnement et sur la nécessité d'assurer l'effectivité des normes fondamentales du travail notamment en ce qui concerne le travail des enfants, s'interroge sur les conséquences du mode de décision au consensus retenu par l'OMC, et appelle à un accord final équilibré et équitable qui procure des avantages à toutes les parties.

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