ALLOCUTION DE CLÔTURE

M. Hervé Gaymard, ministre de l'Agriculture, de la pêche, de l'alimentation et des affaires rurales

Cher Gérard César, Monsieur le président Verdier, Chère Marie-Laetitia Bonavita, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames, Messieurs,

En 2002, le colloque du Sénat portait sur le vin et la santé. Cette thématique ne quitte plus l'actualité. Cette année, la réflexion est centrée sur le consommateur. Il mérite lui aussi d'être l'objet de tous les efforts.

L'actualité

Je ne suis pas naïf, mais je fais rêve parfois que, dans notre pays, nous puissions sortir des guerres de tranchées idéologiques sur certains sujets. Il faudrait choisir le blanc ou le noir. Il n'y a pas de place pour un vrai débat. Des sujets comme les organismes génétiquement modifiés (OGM) suscitent des réactions passionnées et passionnelles. Il en est de même pour la loi Evin, où le débat est présenté comme la lutte du lobby viticole contre le lobby hygiéniste. Je refuse d'entrer dans ces débats binaires, car ils sont piégés et piégeants. Personne n'a intérêt à se laisser enfermer dans de fausses alternatives.

Personne ne doit oublier que la lutte pour la santé publique et la lutte contre l'alcoolisme sont une nécessité absolue. J'ai moi-même été secrétaire d'Etat à la Santé et j'en connais l'importance. C'est d'ailleurs pourquoi le Livre blanc propose la création d'un conseil de la modération. Tout le monde est d'accord, sans hypocrisie.

Des imperfections rédactionnelles existent dans la loi Evin. Une clarification juridique doit être effectuée pour donner la possibilité aux marques et aux territoires d'être à armes égales dans le cadre d'une communication réglementée.

Des amendements parlementaires ont veillé à rectifier cette imprécision juridique. Le Gouvernement s'y est opposé, car il lui a semblé qu'ils allaient plus loin que la simple clarification. Le Gouvernement fait preuve d'unanimité sur cette question. La deuxième lecture de la loi sur le développement des territoires ruraux aura lieu en janvier. Je souhaite que nous puissions aboutir à une clarification en dépassionnant le sujet et en respectant les impératifs de santé publique que nous partageons tous.

Plutôt que de procéder par anathèmes ou invectives, il suffit de regarder la situation de manière sereine et dépassionnée. En outre, les travaux de la journée ont montré que ce sujet n'était pas le point central des problèmes et des défis de la filière viticole française. Si, pour le grand public, la viticulture française, dans ce qu'elle incarne de notre civilisation, se résumait à la rectification d'une loi, tout le monde aurait perdu du temps.

Il ne convient pas de dramatiser, mais d'agir avec pragmatisme et dans un esprit de sincérité et de vérité.

Conclusions sur les travaux

Je vous remercie pour votre contribution importante de ce jour afin de tracer un avenir durable pour notre viticulture.

Oubliant la qualité, le plaisir, la culture ou le patrimoine, la sémantique ayant entouré le vin depuis plusieurs mois a tourné autour des mots risques, maladie, crise ou surproduction. Le consommateur n'entend plus le monde de la vigne qu'en ces termes négatifs. Nous devons donc lui réapprendre le vin. Il faut le raconter non seulement avec responsabilité, mais également avec la fierté et l'ambition que mérite ce produit extraordinaire.

Nous avons une aptitude particulière à nous flageller et à faire le lit de nos concurrents. Il ne faut pourtant pas oublier qu'ils nous ont d'abord observés, puis copiés. Ils profitent maintenant de nos points faibles chaque fois que nous leur en donnons l'occasion. Il faut savoir connaître, analyser et corriger nos points faibles en s'appuyant sur nos atouts.

Ce colloque a rappelé ce que nous avons fait et a montré le chemin que nous devons suivre pour nous adapter à la demande et aller à la rencontre des nouveaux consommateurs sans trahir la confiance des plus fidèles. Nous sommes à un moment charnière de la viticulture française, tant sur le plan conjoncturel que sur le plan structurel.

La situation conjoncturelle

Sur le plan conjoncturel, après deux petites vendanges, nous savons que la campagne 2004 sera compliquée. La vendange est abondante en France et dans le monde. L'écart entre la production et la consommation sera donc en nette augmentation. Cependant, le niveau des stocks de vins de table et des vins de pays est bas. En outre, la vendange est de bonne qualité, ce qui sera un atout essentiel dans les mois prochains.

La vendange abondante et de qualité est une chance pour réussir sur le marché. Les difficultés n'en sont pas moins réelles pour certaines appellations. J'ai pris des mesures en accord avec l'interprofession pour favoriser les reports sur le marché des non-vins (moût, raisins). Les professionnels ont également réfléchi aux rendements que l'INAO arrêtera la semaine prochaine. D'autres initiatives ont été prises dans un cadre interprofessionnel pour réguler l'offre et gérer les marchés. Tout cela contribuera à piloter la campagne. Nous devons suivre cette dernière avec vigilance et réactivité. Dans cet esprit, je réunirai la filière à la déclaration de récolte.

Les évolutions structurelles

Sur le plan structurel, nous sommes à un tournant pour l'avenir de la viticulture française. En me rendant à Chicago avec François Loos pour participer à Vinexpo America's et accompagner les entreprises exportatrices, j'ai pu constater les difficultés concrètes que rencontrent nos opérateurs dans le contexte de concurrence nouvelle que connaît le monde du vin. Les chiffres du premier semestre 2004 ne démentent pas les mauvais résultats sur les marchés extérieurs. Depuis plusieurs années, le marché montre des signes d'essoufflement. Notre présence s'effrite sur nos débouchés traditionnels et n'est pas rattrapée par de nouvelles conquêtes.

Les critiques sont connues depuis longtemps. Elles sont devenues moins confidentielles. Les diagnostics sont devenus de plus en plus convergents. Ils se résument à une recommandation simple et unanime : la structure et la lisibilité de l'offre française doivent être améliorées. Les professionnels y réfléchissent depuis des années. Un journaliste m'a indiqué avoir trouvé des articles vieux de plus de 25 ans sur cette question. Plusieurs rapports successifs ont essayé d'apporter des réponses. La solution n'est pas simple, sinon elle serait déjà appliquée. Le Sénat y a grandement contribué avec le rapport de Gérard César en 2002.

Rebondissant sur les propositions, la filière a relancé un travail commun entre l'INAO et l'ONIVINS. Ce travail a abouti à un projet collectif qui m'a été présenté en juillet 2004. Ce n'était pas simple : les équilibres étaient difficiles à trouver.

Ce projet se fonde sur la distinction entre un marketing de l'offre et un marketing de la demande. Cette voie me paraît pertinente pour trois raisons. Elle s'inscrit dans une démarche confortant la vocation de la France à être présente sur tous les marchés viticoles, aussi bien traditionnels que récents. Elle offre la possibilité à chaque région et à chaque exploitation de se positionner sur ces deux segments de marché. Elle répond à l'objectif de clarification et de simplification et améliore ainsi la lisibilité de l'offre française en pensant avant tout au consommateur.

La méthode de travail

Maintenant que l'architecture d'ensemble est choisie, nous devons en construire les piliers. L'urgence est grande, comme le Président de la République l'a réaffirmé à Murat. Le temps du constat et de la réflexion est passé. Le temps est venu d'avancer et d'agir pour améliorer le positionnement de l'offre sur les marchés et pour mieux la faire connaître en France et à l'export.

L'Etat a sa part de travail, notamment sur les aspects législatifs et réglementaires. Les deux amendements gouvernementaux au projet de loi sur le développement des territoires ruraux constituent déjà des avancées. Nous avons introduit la base juridique nécessaire à l'affectation parcellaire en AOC et en vin de pays.

Au-delà, l'évolution de l'offre française sera définie par les vignerons dans chaque bassin. Le rôle de l'Etat est de définir la boîte à outils dont la viticulture a besoin. Ensuite, ce sont aux viticulteurs d'agir. Les professionnels (vignerons, coopératives et négociants) connaissent leur marché mieux que les ministres. Ils choisiront entre les possibilités ouvertes par le nouveau schéma proposé par la filière.

Pour que ces propositions constituent une vraie base d'avenir, elles doivent s'inscrire dans un projet collectif plus global au niveau de chaque bassin de production. Sur le potentiel en particulier, nous disposerons d'une boîte à outils qui permettra à chaque bassin de prendre des décisions collectives et à chaque viticulteur d'arbitrer individuellement dans ce cadre commun. Je crois que nous ne devons interdire aucune possibilité dès lors qu'elle concourt à la réalisation d'un vrai projet collectif et qu'elle peut répondre à des décisions individuelles. Certaines régions ont déjà fait un choix en optant pour l'arrachage définitif. Elles travaillent pour que les modalités soient opérationnelles et les gages d'un équilibre préservés.

L'Europe

La boîte à outils mérite d'être étoffée. Cela passe par une réforme de l'organisation commune de marché européenne. La Commission européenne, après avoir annoncé plusieurs propositions de réforme, a choisi de ne pas bouger. Elle est préoccupée par d'autres réformes, notamment en ce qui concerne la PAC, et elle est certainement influencée par sa vision du déroulement des deux dernières campagnes.

Je répète que nous avons besoin d'une réforme ambitieuse tant sur le potentiel que sur la gestion des marchés. Je suis favorable à un renforcement des mesures en faveur de l'aval et de la valorisation des produits. Ce que nous avons dit sur le marché et sur le consommateur va d'ailleurs en ce sens.

Le mémorandum que nous avons élaboré et transmis en 2002 mérite d'être actualisé et complété, même si nos demandes restent d'actualité sur certains points comme l'arrachage temporaire. Nous devons travailler rapidement et ensemble. Je veux en discuter avec le nouveau commissaire dès sa nomination. Je considère que le dossier de l'organisation commune de marché vitivinicole, avec le dossier des fruits et légumes et celui de la gestion de crise, doit être un dossier prioritaire.

Le résultat des mesures prises en France

Au-delà des dispositions communautaires, nous devons améliorer notre attractivité en disposant d'une nouvelle base pour communiquer clairement, simplement et efficacement sur la France des vins ou plutôt sur la nouvelle France des vins que nous bâtissons ensemble.

D'ailleurs, je crois que nous devons faire une vraie campagne de communication sur le marché intérieur et ensuite à l'étranger, où nous sommes très attendus. Cette communication permettra d'expliquer l'évolution et de mieux faire connaître ce que sont les AOC et les vins de pays.

Ces réflexions devront s'articuler avec le travail engagé par l'INAO pour clarifier les textes régissant les vins d'appellation d'origine. Un objectif proposé dans le cadre de la nouvelle organisation de l'offre française consiste à contribuer à la consolidation des AOC, à la réaffirmation de leur valeur et de leur identité et à leur repositionnement sur le marché. Cela permettra de garantir les promesses des AOC, d'assurer leur crédibilité et, en conséquence, de fidéliser le consommateur.

Par ailleurs, je voudrais saluer l'effort entrepris par l'INAO et les syndicats de défense des AOC viticoles depuis la mise en place effective du décret sur le contrôle des conditions de production à la parcelle. Plus de 150 appellations se sont dotées de commissions professionnelles. En intervenant en appui des agents de l'INAO, ces commissions ont contribué à une meilleure diffusion de l'esprit et des exigences de l'AOC dans l'ensemble du vignoble.

Nous savons tous que la qualité du vin fini se joue pour une part importante dans la vigne. Il est donc important d'intervenir en amont, sur la conduite de la vigne et sur la maîtrise de la charge. Les résultats présentés aujourd'hui par l'INAO sont significatifs. Ils attestent de l'importance du contrôle, composante essentielle de l'AOC. Cela doit encourager l'ensemble des professionnels à poursuivre et amplifier les efforts de maîtrise de la qualité dans l'ensemble de la filière avec l'appui des pouvoirs publics. C'est le sens des engagements pris collectivement en juillet.

Le tourisme vitivinicole

Le tourisme vitivinicole est un vecteur privilégié pour faire découvrir le monde passionnant et charnel de la vigne et du vin. Il permet un premier contact avec le produit et une valorisation de l'environnement humain, paysager et patrimonial, c'est-à-dire de tout ce qui fait le vin. L'ONIVINS apporte son concours à la publication d'un guide d'accueil avec le ministère du Tourisme pour les caves souhaitant se lancer dans cette aventure. Elles ne doivent pas décevoir. Je considère cette démarche très positive pour le vin et les terroirs.

L'exportation

Enfin, la question de l'exportation est centrale. Mieux faire connaître et reconnaître nos vins à l'étranger est un enjeu d'autant plus vital que la consommation décroît depuis trente ans en France et dans tous les pays de tradition viticole. Le Président de la République et le Premier Ministre ont donc souligné la priorité que constitue l'exportation.

Avec François Loos, je me suis fortement mobilisé pour soutenir les exportateurs de vin, notamment aux Etats-Unis. Pour sa part, Nicolas Forissier s'engage également dans ce dossier, notamment à travers le partenariat national pour le développement de l'industrie agroalimentaire dont il a jeté les premières bases au Salon international de l'Alimentation (SIAL).

Tous les acteurs et tous les instruments de soutien à l'export ont été mobilisés, en particulier les missions économiques françaises aux Etats-Unis, le CFCE, UBIFRANCE et la SOPEXA. En étroite coordination avec les autres acteurs concernés, nous mettons en oeuvre des réponses opérationnelles aux difficultés concrètes rencontrées par les exportateurs français. Dans ce sens, nous avons donné une nouvelle impulsion au financement de volontaires internationaux en entreprise. Nous avons également renforcé le soutien à la présence française sur les salons les plus pertinents. Le partenariat pour le développement des industries agroalimentaires amplifiera ces actions.

En outre, les moyens consacrés à la promotion et à la communication, en particulier à l'export, ont déjà été augmentés de façon significative. En dépit d'un contexte budgétaire difficile, j'ai obtenu un crédit de cinq millions d'euros à cette fin. Notre effort portera prioritairement sur les campagnes collectives, qui contribuent à améliorer l'image des vins français et à faire connaître la diversité de l'offre française.

C'est une première étape : l'objectif que nous nous sommes fixé est d'aller plus loin. Le Président de la République nous l'a indiqué dans son discours de Murat. Nous nous y employons dès à présent.

Au total, la contribution de l'Etat et du Gouvernement est importante, car ce dossier est un enjeu majeur de l'avenir de la viticulture et de l'économie française, compte tenu de l'importance du vin dans le solde commercial de notre pays ainsi que de l'équilibre et de la beauté de nos terroirs et de notre civilisation.

Nous devons sortir d'une posture défensive. Nous devons savoir transfigurer les contraintes en objectifs pour écrire ensemble une nouvelle page de la viticulture. Au-delà des difficultés, je suis persuadé que nous avons collectivement les ressorts pour relever ces défis, parce que le vin est avant tout une affaire d'amour et de passion.

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