III. FAIRE FACE AUX RISQUES ÉMERGENTS

PAR L'ADAPTATION DES MESURES AUX RISQUES RÉELS ACTUELS

Il convient de porter un éclairage nouveau sur des problèmes préexistants compte tenu de l'évolution des esprits et des données technologiques.

* Ajuster les dispositifs d'identification et de mesure des risques à la gravité de ceux-ci , dans le domaine alimentaire mais aussi dans l'ensemble des champs environnementaux afin que des peurs a priori sans fondement (antennes relais) ou des inquiétudes exagérées (listeria) ne détournent pas des moyens d'analyse et d'actions alors que perdurent des dangers ignorés ou sous-estimés (obésité, exposition aux ultra-violets ...).

Dans cette perspective, l'affaire de l'amiante doit être rappelée . Elle constitue un drame sanitaire majeur avec la perspective de plusieurs milliers de morts par an pendant des années . Elle illustre brutalement la nécessité de tirer les conséquences d'un danger largement avéré depuis longtemps que la pression implacable d'intérêts économiques a dissimulé délibérément. Il n'y avait ni d'inconnue scientifique ni même d'incertitude de degré quant au danger couru . Dans un tel cas, lorsque la certitude l'emporte sur le risque, l'Etat doit être capable d'agir au-delà des pressions de tous ordres.

* Adapter la sévérisation des normes à leur justification scientifique avérée.

* Mieux apprécier la notion de risque zéro , notamment dans les situations où un bénéfice tangible implique inévitablement un risque comme pour les médicaments.

* Informer, éduquer l'opinion et orienter les politiques publiques sur les comportements à risque. L'exemple de la lutte contre le tabagisme illustre combien un objectif qui paraissait inaccessible il y a plus de vingt ans est en passe d'être atteint. L'obésité est aujourd'hui l'un des problèmes les plus graves qui s'ajoute à bien d'autres dont la toxicomanie et l'alcoolisme. Plus ponctuels et moins visibles, d'autres comportements à risque peuvent être identifiés : usage de certains produits chimiques en milieu de travail et domestique, non respect de la chaîne du froid dans le domaine alimentaire ...

PAR L'IDENTIFICATION DES PROBLÈMES NOUVEAUX

a) Dans le domaine sanitaire : renforcer la veille

S'assurer les moyens d'une veille sanitaire adaptée aux risques émergents ou mal identifiés :

* Elaboration d'un schéma national des systèmes d'information pour la veille et l'alerte sanitaire dans l'esprit du « schéma directeur des systèmes d'information » de l'InVS.

* Association des médecins de ville et des établissements non hospitaliers (maisons de retraite, etc) à la veille sanitaire inspiré des réseaux « sentinelles » et plus particulièrement du réseau « grog » pour la grippe.

* Achèvement de la mise en place des dispositifs de transmission en temps réel des informations concernant les motifs d'hospitalisation et les causes de décès.

* Etablissement d'une coordination européenne systématisée au niveau de la veille sanitaire à l'aide notamment du centre de Stockholm ; liaison avec les réseaux existants dans d'autres domaines (« rapex » en matière de sécurité alimentaire par exemple) ou des autorités et administrations à compétences générales (douanes).

b) Dans le secteur alimentaire : identifier et réduire les risques

? Dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments, les risques émergents sont à l'origine des principales inquiétudes que l'on peut identifier aujourd'hui :

-- Les zoonoses virales d'Asie : intervenues au cours des six dernières années, elles illustrent les risques qui peuvent être à l'origine de croisements très dangereux de virus d'origine animale et d'origine humaine. Malgré les progrès substantiels observés dans ce domaine, des efforts devraient être faits dans deux directions : la rapidité de détection des virus animaux et la modélisation prédictive des conditions de leur apparition dans les élevages. De tels travaux ne peuvent efficacement s'envisager qu'à l'échelle européenne.

-- Les biorésistances induites à partir de l'usage d'antibiotiques chez les animaux d'élevage constituent un risque potentiel. L'approfondissement de recherches dans ce domaine correspond donc à une nécessité sanitaire d'autant que la règle de séparation entre antibiotiques à usage animal et à usage humain appliquée dans l'Union européenne ne l'est pas nécessairement dans d'autres régions du monde.

-- L'affaire du « semicarbazide » a montré l'importance de la dimension « technologique » dans la sécurité sanitaire des aliments. Les nouveaux procédés constituent souvent des progrès considérables, notamment dans la perspective d'une sécurité accrue ; mais les risques qu'ils peuvent comporter exigent qu'une attention particulière leur soit apportée tant sous l'angle de la recherche appliquée que sous celui de l'expertise. Un effort particulier doit donc y être consacré.

? L'ouverture des frontières

-- L'insuffisance des moyens de contrôle à l'échelon européen est patent , or c'est à ce niveau que les risques émergents de divers ordres apparaissent ; les nouvelles règles établies par le « paquet hygiène » en 2004 qui permet de déléguer des tâches de contrôle naguère obligatoirement remplies par les services vétérinaires, ne sont pas de nature à susciter la confiance. Mais surtout, l'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux membres pose les problèmes de sécurité sanitaire dans de toutes autres proportions, compte tenu de certains voisinages géographiques. Le nombre de postes de passages aux frontières de l'Union européenne est beaucoup trop élevé si on le compare aux Etats-Unis par exemple, pour que ceux-ci puissent être des lieux de contrôles satisfaisants.


• Il importe donc de renforcer les contrôles à l'entrée dans l'Union européenne, notamment par une pratique significative des prélèvements pour analyses en laboratoire.


Le renforcement des contrôles dans les nouveaux Etats-membres s'impose également ; en effet, les rapports de l'Office alimentaire et vétérinaire de Dublin et l'analyse de la Commission elle-même en novembre 2003 ont sur ces sujets fait état d'insuffisances préoccupantes.


• Les moyens de l'Office alimentaire et vétérinaire de Dublin sont déjà notoirement insuffisants. Malgré l'élargissement à des nouveaux membres, il n'a pas été envisagé d'augmenter ses moyens en proportion de cette évolution. Il est donc nécessaire de renforcer sensiblement ses effectifs et de focaliser ses missions sur les problèmes les plus aigus (respect de la réglementation dans les nouveaux Etats-membres, effectivité des contrôles aux frontières communautaires) ;

c) Les enjeux nouveaux de la nutrition

Parmi les compétences de l'AFSSA, l'expertise des propriétés nutritionnelles des aliments expressément prévue a donné à l'Agence l'occasion de se saisir de questions essentielles. Elle n'a pas ici l'exclusivité de la compétence ; il est apparu logique qu'elle exerce cette compétence même si l'une des études (le sel) a pu faire l'objet de critiques. En effet, elle a participé à la prise de conscience du fléau de l'obésité et elle a montré qu'elle joue un rôle irremplaçable.

Il convient donc :

-- de réaffirmer sa compétence dans ce domaine tout en fixant éventuellement davantage le cadre et l'exercice de l'auto-saisine ;

-- de l'encourager dans sa fonction d'appréciation des apports positifs et négatifs d'aliments ou de conditionnements nouveaux à une époque de mondialisation et d'accélération des phénomènes de modes ;

-- de confirmer la nécessité de sa participation à la lutte contre le fléau de l'obésité dans le cadre de ses compétences d'expertise.

S'agissant plus particulièrement de ce problème majeur, l'année qui vient de s'écouler a été marquée par une prise de conscience réelle, mais tardive . Outre deux dispositions sur la publicité, une mesure ponctuelle a été prise avec la suppression des boissons et aliments sucrés dans les distributeurs des établissements d'enseignement secondaire ; or cette mesure a pu être adoptée au cours de la procédure parlementaire après des rebondissements qui se justifient d'autant moins que la cause est évidente face à un tel fléau . La pression doit donc être maintenue notamment par des actions d'éducation pour la santé, par la révision de la situation fiscale de ces produits ou par des recherches sur les comportements alimentaires et la sociologie de l'obésité.

d) Dans le domaine des médicaments : une vigilance globale impérative

* Pour le médicament, la contribution de chaque agence nationale des Etats-membres de l'Union européenne à l'évaluation dans le cadre des procédures d'AMM doit pouvoir être appréciée dans les meilleures conditions de transparence . Il convient donc que les différentes parties prenantes, Agence européenne (EAMA), Commission, gouvernements nationaux et Conseil de l'Union, se donnent les moyens de cette transparence et en assument ensuite l'effectivité dans l'application.

Les risques que la « concurrence » entre agences nationales fait courir à la sécurité sanitaire des produits de santé avec une Union portée à 25 Etats-membres où les demandeurs de l'industrie pharmaceutique pourraient choisir les instances les moins exigeantes ne sont, en effet, pas acceptables, sauf à considérer que les exigences diplomatiques de l'élargissement prévalent sur le niveau de sécurité sanitaire.

La comparabilité des garanties de fiabilité et de sécurité des procédures d'expertises doit être assurée par cette transparence.

* La responsabilité personnelle des experts doit pouvoir être acquise , notamment lorsqu'une expertise a conclu à une absence ou faiblesse de risque alors que des essais cliniques ont fourni des éléments en sens contraire.

* Les efforts faits par l'AFSSAPS sur les déclarations d'intérêts des experts doivent être poursuivis, renforcés, et faire l'objet d'une actualisation permanente systématique. Des sanctions sont à prévoir en cas de manquements à ces obligations et à la déontologie en général.

* Le dispositif français de dispensation du médicament présentant toutes les garanties de sécurité requises , notamment par rapport à certains autres états européens et aux Etats-Unis, il convient d'en maintenir la stricte application . La vente de médicaments par internet n'aurait pas plus de légitimité et de justification que la vente dans les supermarchés. Le caractère spécifique de la dispensation du médicament n'est pas compatible avec un quelconque « dialogue électronique », spécialement à une époque où la iatrogénie médicamenteuse est fortement mise en cause, notamment aux Etats-Unis.

* La banalisation du médicament, au niveau de la publicité cette fois-ci, ne saurait pas être davantage admise, certaines tentatives au niveau communautaire ayant illustré récemment ce risque.

* La contrefaçon des médicaments constitue un problème émergent caractéristique. Actuellement peu important en France, le problème a pris de l'ampleur dans certains pays d'Europe, il est sérieux aux Etats-Unis et constitue un véritable fléau dans de nombreux pays du Tiers-Monde, en Afrique en particulier, la France servant éventuellement de pays de transit. Pour lutter contre cette forme de délinquance, d'autant plus menaçante qu'elle dégage des gains considérables, des initiatives s'imposent au-delà de ce qui a pu être engagé (Conseil de l'Europe, milieux professionnels) :

-- La nécessaire pérennisation de la réglementation assurant le caractère pharmaceutique de la distribution et de la dispensation ;

-- L'établissement d'un réseau de coordination entre les différents acteurs relevant de la puissance publique : AFSSAPS, DGS, Douanes et ce, en liaison avec les instances créées à cette fin ; sur le plan international : Alliance internationale contre les contrefaçons de médicaments associant l'OMS, l'Association Médicale Mondiale, Interpol et l'UNICEF.

-- Au niveau communautaire une prise en compte de cette menace doit également se traduire par l'établissement d'un réseau et d'une instance spécialisée de repérage et d'analyse mais aussi d'action, sachant le caractère international de cette délinquance.

-- Dans cette perspective, il convient que les importations parallèles restent encadrées et que certaines facilités qui ont été données (déconditionnements) à cet égard puissent être remises en cause dès lors que la sécurité sanitaire est menacée et qu'elles constituent une filière de choix pour la contrefaçon.

* Relativement aux essais cliniques et aux procédures d'autorisation de mise sur le marché, l'exigence de transparence s'impose plus que jamais à la lumière des affaires récentes dont celles du Vioxx. L'engagement tout récent pris (6 janvier 2005) par les principales firmes pharmaceutiques en est l'aboutissement tardif. Il revient aux agences et à l'Etat de s'assurer de l'effectivité et de la pérennité de ces engagements.

-- Au-delà, c'est toute une logique d'orientation de la recherche de nouveaux médicaments qui est en cause. Il convient de ne pas favoriser de fausses innovations pour lesquelles des pratiques de marketing et d'agressivité financière sont déployées sans vergogne (propositions de prix d'appel en milieu hospitalier et exigences parallèlement très élevées pour le prix public remboursable par l'assurance-maladie). Une transparence, intersecteurs et internationale s'impose ici aussi.

La réorientation des recherches vers des maladies moins répandues ou moins immédiatement solvables constitue un objectif majeur dans le domaine des produits pharmaceutiques.

* Les erreurs d'appréciation et les orientations contestables observées à partir de cas d'expertises de certains médicaments depuis quelques années au niveau mondial et européen, exigent qu'une analyse de cette problématique puisse être réalisée : la crise de confiance dans les médicaments provoquée par l'affaire du VIOXX doit être l'occasion d'un sursaut collectif. Il est donc souhaitable que le Parlement s'en saisisse par l'une de ses procédures de contrôle ou d'évaluation : mission d'information ou rapport de l'OPECST .

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