e) La position des experts

La résolution des conflits d'intérêts s'apparente rapidement à la quadrature du cercle. On ne reviendra pas sur les rapports entre l'expertise interne et l'expertise externe qui a déjà été traitée (cf. supra) et qui n'apporte pas de réponse au problème ; la situation des pays dont les Etats-Unis, où l'expertise interne a une beaucoup plus grande place montre que les conflits d'intérêts y posent des difficultés considérables.

La publication des listes de déclarations d'intérêts des experts membres de comités spécialisés entraîne des remarques critiques, mais c'est précisément l'absence de déclarations antérieures qui est d'abord la plus critiquable ! Le respect de la déontologie élémentaire passe d'abord par la transparence.

La possibilité de recourir à un vivier fourni d'experts nombreux et compétents est certainement l'un des moyens d'éviter des dérives. La promotion de la fonction d'expertise au niveau des curriculum vitae des chercheurs dans ce domaine scientifique aussi, comme dans d'autres où la situation est grave (toxicologie), est un impératif ; l'expertise passe malheureusement souvent après la prise en compte de publications dont le statut et la valeur mériteraient dans certains cas d'être sérieusement vérifiés. La responsabilité en incombe ici directement aux autorités universitaires.

f) La dimension économique de la recherche pharmaceutique

La récente fusion absorption Aventis/Sanofi-Synthelabo a permis de noter que la première de ces entités, elle-même issue de fusions successives, n'indiquait pas un nombre de projets de nouveaux médicaments en rapport avec ce que ces regroupements antérieurs auraient pu laisser supposer. C'est la une illustration d'une manière générale des limites de l'argument que l'on avance systématiquement en faveur de la contribution de « grands groupes ».

La réduction du nombre de nouveaux médicaments lancés au cours de la dernière décennie est aussi à remarquer, dans le domaine des antibiotiques par exemple.

La diminution des prix, la baisse des prix de remboursement, les menaces de procès systématiques pèsent aussi sur les perspectives. Or une crise considérable comme celle du Vioxx est de nature à réduire encore les perspectives de développement donc de recherche. Certes des perspectives nouvelles comme celles des bio-médicaments peuvent apporter des éléments favorables à une évolution inverse, mais leur importance reste à apprécier.

Aussi, mais il s'agit là d'une observation plus que d'une prescription, on peut craindre un ralentissement de nouvelles découvertes pharmaceutiques, ce qui constitue une préoccupation sérieuse qui doit rentrer en ligne de compte dans l'orientation des politiques, tout en prenant place dans une vision sanitaire plus large intégrant des actions de prévention fortes et organisées.

V. LES RISQUES ÉMERGENTS

* Les dispositifs juridiques relatifs à l'expertise, la diffusion, la dispensation et la surveillance du médicament et des produits de santé se sont mis en place en France dans des conditions satisfaisantes. Leur perfectionnement se poursuit, même si certains aspects doivent faire l'objet d'efforts soutenus, la pharmacovigilance notamment. Cependant, dans le même temps, on observe des évolutions factuelles et juridiques, en particulier dans le cadre européen qui recèlent de véritables risques.

En France, le cadre juridique de l'activité de distribution du médicament et son contrôle ont permis depuis de longues années d'améliorer encore la sécurité et l'efficacité : présence et contrôle effectif par le pharmacien de la distribution des médicaments dans l'officine, moyen d'identification directe de la fonction des personnels au contact des clients, fonctionnement excellent des procédures de rappel de lots ... La valeur de ce réseau de distribution à partir du fabricant et à travers les grossistes-répartiteurs est indiscutable et constitue une référence mondiale. Elle est la contrepartie d'une organisation exigeante fondée sur un monopole lui-même ancré dans l'exigence de santé publique.

A une époque où on invoque souvent le « principe de précaution », où l'on s'inquiète à juste titre des effets indésirables et des interactions des médicaments, la valeur irremplaçable du dialogue avec le dispensateur autorisé du médicament dans l'officine se confirme quotidiennement. Il est donc pour le moins paradoxal que l'on se propose, par les biais juridiques ou matériels les plus spécieux et les montages les plus inextricables, de saborder un système qui fait ses preuves. La nécessité de ce dispositif et la justesse des principes simples et efficaces sur lesquels il est fondé se vérifie à chaque comparaison internationale.

* L'évaluation de la loi de 1998 perdrait toute signification si on basculait vers un système fondé sur internet. Le schéma est en rupture totale avec les principes actuels qui apportent de réelles garanties. Cette nouvelle organisation pourrait se résumer en quelques lignes : il s'agit de la dispensation du médicament à un « cyberclient » par un « cyberpharmacien » installé dans un pays lointain, éventuellement dans une langue étrangère sur la base d'une ordonnance dont tous les éléments essentiels (indication, posologie, dosage, conditionnement etc ...) peuvent varier d'un pays à l'autre. Bien sûr, l'échange entre le « cyberpharmacien » (en espérant que celui-ci n'est pas un simple vendeur sans qualification) et le « cyberpatient » (on se sera assuré que celui-ci n'est pas une tierce personne par substitution d'identité), devrait prendre en compte les prescriptions préexistantes et l'administration concomitante d'autres médicaments ; en cas de difficultés ou d'incidents, le « cyberpatient » devrait aussi recontacter le même « cyberpharmacien » pour lui retourner ou échanger un médicament ...

On mesure la multiplication des risques produits par de telles procédures sous couvert de modernité, de rapidité, d'efficacité et de rationalité financière.

Aux esprits « rétrogrades » que ce tableau inquiéterait, on peut répondre que les procédures seront « sécurisées », que la dialogue par Internet est banalisé et que la livraison par portage n'est pas plus un problème pour les médicaments que pour les pizzas, à moins que l'on exige, comme ce serait le cas dans certains pays, que celle-ci soit assurée par « du personnel de l'officine ». Les procédures sécurisées permettront aussi, bien entendu, de s'assurer que l'ordonnance et l'identité du patient sont exactes et non falsifiées (un copié-collé etc ...) et que le caractère personnel et confidentiel des données médicales échangées au cours du « cyber dialogue » sera sauvegardé, par le recours aux techniques de biométrie (vérification de l'identité et de la qualité des interlocuteurs) tout cela en conformité avec la loi informatique et liberté ...

Rejetons aussi pour argument non fondé le cas des personnes âgées et/ou malades ayant des difficultés à se déplacer, mais qui curieusement n'en n'auraient aucune pour entretenir un « dialogue cybernétique » précis et complet, dépourvu de risque d'erreur et d'ambiguïté, éventuellement dans une langue étrangère.

Cette perspective, qui peut rapidement tomber dans l'anticipation la plus noire n'a rien de fantaisiste ou même de lointaine. Elle s'inscrit dans la logique de dispositions récentes prises par l'Allemagne. Dans ce pays voisin, la recherche systématique et justifiée d'économies au niveau de l'assurance maladie semble avoir entraîné l'affranchissement des règles fondamentales en matière de dispensation du médicament. Encore plus inquiétant, certains risques identifiés depuis quelque temps déjà deviennent réalité grâce à la mondialisation et à la banalisation du médicament avec les contrefaçons et les faux médicaments. Le trafic de médicaments authentiques ou contrefaits peut s'ajouter à la liste des activités frauduleuses de la mondialisation « noire ».

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