D. LE PROGRAMME ALIMENTAIRE MONDIAL AU CoeUR DE L'URGENCE

Vos rapporteurs spéciaux ont eu un entretien avec les responsables du PAM en Indonésie, et ont pu prendre la mesure de l'activité et des moyens de la cellule de crise. Le PAM joue en effet un rôle déterminant dans l'assistance humanitaire, en tant que maître d'oeuvre et coordinateur de la fourniture de denrées de base 22 ( * ) aux populations sinistrées . Le Programme a achevé fin janvier l'évaluation du nombre de personnes concernées par le manque de vivres, qui serait de 790.000 en Indonésie (850.000 au Sri Lanka). Malgré un recours immédiat aux moyens aériens des armées australienne et indonésienne, les équipes n'ont pu accéder dans un premier temps qu'à 339.000 personnes (hors distributions indirectes), notamment dans les centres de réfugiés, puis à 530.000 habitants en février 23 ( * ) . La dignité des habitants, qui ne « mendient » pas la nourriture, ne facilite pas non plus l'identification des nécessiteux. Le PAM prévoit de distribuer au total 96.000 tonnes de vivres sur six mois , selon une montée en charge progressive (7.100 tonnes ont été distribuées en janvier). Cette campagne est toutefois tributaire de la propension des habitants isolés à revenir dans leurs villages, et pourrait donc trouver une issue plus précoce, comme cela avait été le cas au Kosovo.

La désorganisation était manifeste les premiers jours, avec beaucoup de vivres disponibles mais peu de moyens d'acheminement, notamment au sein des ONG. Le PAM privilégie l'usage des moyens les moins chers et les plus durables, et ce faisant des camions (donnés pour la plupart), mais il a également loué une quinzaine d'hélicoptères pour accéder aux villages qui sont encore isolés, et remplacer progressivement le recours aux moyens militaires par un dispositif civil. Les équipes du PAM sont également en mesure de réparer sommairement les routes endommagées et de recourir à des ponts mobiles (dont la location est cofinancée avec des agences nationales de développement), sans pour autant accomplir des travaux de génie civil.

Le PAM dispose de cinq bureaux locaux dans la province, et la ville de Medan sert de « hub » logistique. Une partie des denrées est achetée sur place (l'huile de palme et le riz notamment, dont 20.000 tonnes ont été acquises à des coûts compétitifs) ; le poisson conditionné est importé de Malaisie et les biscuits énergétiques sont fabriqués localement par Danone. Les fonds 24 ( * ) , et notamment l'argent liquide, nécessaire en situation d'urgence, abondent et sont transmis par le siège de Rome via la banque Citibank. La trésorerie est faible, les sommes étant immédiatement utilisées. Les achats sont réalisés par des équipes venant de Rome et de Dakar (« procurement units »), pour le compte du PAM ou des ONG qui lui auront préalablement soumis un plan de distribution (le Programme agit alors comme « grossiste »). Le centre opérationnel de Jakarta réalise un suivi des commandes, livraisons et stocks, afin de minimiser ces derniers en fonction des distributions effectives. Le caractère non périssable des denrées limite cependant les risques de gaspillage.

Les responsables du PAM estiment que le gouvernement indonésien avait compris qu'il ne pouvait gérer seul la crise, et que la TNI pallie en grande partie les carences de l'administration civile (dont de nombreux agents ont péri), mais il est manifeste qu'il entend davantage « garder la main » que dans d'autres pays confrontés à une situation analogue de crise alimentaire . La direction du PAM a ainsi été surprise de devoir solliciter des autorisations et de négocier en permanence avec les autorités pour intervenir. Selon les informations recueillies par vos rapporteurs spéciaux, le gouvernement indonésien a intégré les préoccupations de transparence, de vigilance sur la corruption et de reddition de comptes, mais les incertitudes sur ses intentions réelles à Aceh nourrissent les craintes des Nations Unies 25 ( * ) .

Quant au PAM lui-même, concerné par les vigoureuses critiques formulées contre l'ONU depuis la mise à jour du scandale « Pétrole contre nourriture », il promet une vigilance accrue sur la traçabilité des fonds. Le cabinet PriceWaterhouse Coopers a de ce fait été mandaté par l'ONU pour réaliser l'audit des comptes de l'opération humanitaire et parfaire le système d'information permettant d'identifier, au stade le plus précoce, la destination des fonds. Le gouvernement indonésien a également donné des gages en faisant appel au cabinet Ernst & Young pour contrôler l'utilisation de l'aide.

La gestion des importantes masses financières et l'organisation de l'aide en Indonésie constituent, à n'en pas douter, un redoutable défi pour l'ONU dans un pays à la réputation trouble, alors même qu'elle n'a plus droit à l'erreur après ses récentes déconvenues. Le renom et l'expérience de M. Bill Clinton, qui entrera en fonctions le 1 er mars, ne seront pas de trop pour renforcer la crédibilité et la rigueur de l'organisation.

* 22 Les agences des Nations Unies se sont préalablement concertées pour définir la composition du « panier de base ». Le CICR et les ONG fournissent pour leur part davantage de nourriture « complémentaire », pour les nourrissons par exemple, ce qui permet de limiter les doublons.

* 23 A contrario, le PAM a pu nourrir 26 millions d'Irakiens en 2004, car leur accessibilité était plus assurée.

* 24 255 millions de dollars ont été collectés pour l'Indonésie, le Sri Lanka et la Thaïlande, ce qui devrait permettre de subvenir aux besoins de 2005.

* 25 Le PAM, qui était présent dans la province au moment de l'annonce de la loi martiale en 2003, a préféré se désengager pour ne pas endosser les risques de détournement par l'armée.

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