B. LA RECHERCHE RUSSE : UNE TRADITION D'EXCELLENCE, FACE À DES ENJEUX NOUVEAUX

1. L'organisation du système de recherche russe

a) Le niveau gouvernemental : la définition des priorités nationales

La politique nationale en matière scientifique et technologique relève du Ministère de l'Éducation et des Sciences , créé en mars 2004 de la fusion entre le ministère de l'éducation et le ministère de l'industrie, de la science et des technologies.

Le ministère est chargé de coordonner l'ensemble du processus décisionnel (issu des autres ministères, des agences gouvernementales -telles que l'Agence spatiale fédérale ou l'Agence fédérale pour la science et l'innovation- et des Académies des sciences).

La diminution des fonds publics pour la recherche a rendu nécessaire de déterminer des domaines prioritaires, revus tous les 2 ou 3 ans 13 ( * ) et soumis à l'approbation du Président, après avis de la Commission gouvernementale pour la politique scientifique et technologique.

Ces priorités nationales doivent répondre à plusieurs critères : la reconnaissance internationale du domaine considéré, l'impact sur les objectifs fédéraux majeurs (par exemple le développement socio-économique) et les applications, dans le domaine des nouvelles technologies notamment.

b) L'Académie des Sciences

Les Académies des sciences sont des organismes publics autonomes. Elles reçoivent un financement direct de l'Etat, qu'elles sont chargées de redistribuer aux établissements et instituts de recherche dont elles ont la tutelle.

Outre la Grande Académie des Sciences, consacrée quasi exclusivement, jusqu'à une période encore récente, aux sciences exactes, il existe cinq autres Académies :

- l'Académie russe des sciences agricoles (ARSA), successeur de l'organisme créé en 1929 dans le but de servir de support scientifique au secteur agricole collectivisé ; il existe 4 centres de recherche régionaux, à Moscou, Saint-Pétersbourg, Vladivostok et Kirov ;

- l'Académie russe des sciences médicales (ARSM), créée en 1944, participe aux programmes sur la santé publique, la recherche médicale et l'environnement ;

- l'Académie russe de l'éducation (ARE), créée en 1943, effectue des travaux de recherche dans les domaines de la pédagogie ou de la psychologie ; elle est chargée de la formation continue des cadres pédagogiques, et comprend des établissements scolaires connus pour leurs expériences d'innovation éducative ;

- l'Académie russe de l'architecture et de l'ingénierie civile (ARAIC) a été créée en 1992, avec un objectif principal d'évaluation des programmes architecturaux, de planification urbaine et de sciences et technologies ;

- l'Académie russe des arts (ARA) est l'héritière de l'Académie de la sculpture, des arts et de l'architecture fondée en 1757 ; elle comprend 7 départements thématiques, 2 instituts éducatifs (à Moscou et Saint-Pétersbourg) et 2 unités de recherche.

L'ACADÉMIE DES SCIENCES DE RUSSIE

L'Académie des Sciences de Russie (ASR) , fondée en 1724 par l'Empereur Pierre le Grand, est dirigée par un Président élu tous les 5 ans (actuellement M. Iouri Oussipov) et un Praesidium de 52 membres, élu par l'Assemblée Générale de l'ASR. Celle-ci comprend, après les dernières élections de mai 2003, 513 membres et 739 membres-correspondants. Parmi eux, on compte 37 femmes et 45 étrangers de 14 pays différents, dont 8 Français et 5 Prix Nobel.

Depuis la restructuration intervenue en mai 2002, l'ASR compte 9 départements scientifiques (contre 18 auparavant) : pour les sciences mathématiques ; les sciences physiques ; les technologies de l'information et des systèmes calculateurs ; l'énergétique du génie mécanique, de la mécanique et des processus de gestion ; la chimie et la science des matériaux ; les sciences biologiques ; les sciences de la terre ; les sciences sociales ; les sciences historico-philologiques.

Ces deux derniers domaines, qui n'ont fait leur entrée qu'à la fin du 19è et au début du 20è siècles par le biais de la linguistique, de la philologie, puis de l'histoire, se sont développés rapidement ces deux dernières décennies.

Outre les centres de Moscou et Saint-Pétersbourg, l'ASR couvre l'ensemble du territoire russe via trois antennes régionales : la branche de l'Extrême-Orient, la branche Sibérienne et la branche de l'Oural.

Conçue dès l'origine comme un lieu tant de recherche que d'enseignement (et dotée à cette fin d'un lycée et d'une université), ce qui la distinguait de ses voisines européennes, l'Académie des Sciences de Russie participe activement à la mission d'enseignement :

- dans ses centres d'enseignement et de recherche, instituts, et universités académiques ;

- plus de la moitié des membres de l'ASR occupent des fonctions d'enseignement, à titre permanent ou occasionnel ; les liens sont notamment très étroits avec l'Université Lomonossov.

L'Académie participe également à la diffusion de la culture scientifique. Une commission pour l'éducation scolaire est chargée d'une réflexion sur le contenu des programmes de sciences à l'école. Par ailleurs, l'ASR publie plusieurs revues scientifiques destinées au grand public.

Au 1 er janvier 2003, 116 479 personnes, dont la moitié de chercheurs, travaillent dans établissements qui dépendent de l'ASR (plus de 1 000 instituts de recherche et centres scientifiques).

Le budget de l'ASR était de 15,1 millions de roubles en 2003, en augmentation de 27,4 % par rapport à 2002. Ce budget représente 0,78 % du budget de la Fédération de Russie, et près de 38 % du budget de la recherche et développement.

c) Les fondations publiques

Les activités et projets de recherche bénéficient en outre de subventions accordées par des fondations publiques russes :

- la Fondation russe pour la recherche fondamentale (RFFI), créée le 27 avril 1992 sur la base de principes alors nouveaux pour la Russie : ouverture, indépendance, compétition et soutien aux seules équipes de recherche (et non aux organisations) ; en 2003, son budget représente 4,4 % du budget destiné à la R&D ; depuis sa création, la RFFI a soutenu plus de 30 000 projets ; elle attribue, depuis 2001, des subventions destinées aux jeunes chercheurs ; elle contribue également à la diffusion de la pensée scientifique en soutenant la publication d'ouvrages ;

- la Fondation russe pour les sciences humaines , créée en 1994 sur le modèle de la RFFI ;

- la Fondation d'assistance aux petites et moyennes entreprises innovantes (FASIE), créée en 1994, contribue entre autres à l'intégration des activités des PME-PMI avec celles des organismes de recherche ; près de 2 000 projets ont été soutenus et 24 Centres d'innovation ont été créés, réunissant 250 PME dans 11 régions de Russie.

Toutefois, le problème de la propriété des droits intellectuels constitue un obstacle à la valorisation de la recherche au sein des entreprises. L'Etat russe est l'unique propriétaire des droits sur toute technologie qui a été développée grâce à des fonds gouvernementaux durant la période soviétique. De même, les recherches financées par les fondations publiques sont propriété nationales.

Selon le Conseil économique et social 14 ( * ) , « cette situation est un frein au transfert des technologies vers le privé » : « en refusant de céder gratuitement ses droits, l'État entrave également l'émergence d'un réseau de start up et de PME qui fait cruellement défaut à la Russie alors qu'elles sont créatrices d'emplois qualifiés ».

En outre, il n'existe pas d'incitations fiscales en faveur des fondations privées de soutien à la recherche . C'est ce qu'a regretté M. Jorès Alferov, vice-président de l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, Prix Nobel de Physique (2 000), qui a créé sa propre Fondation de soutien de la science et de l'éducation en 2000. Celle-ci accorde des bourses aux écoliers et étudiants et décerne des prix à de jeunes chercheurs.

2. Les défis nouveaux

a) Un potentiel de très haut niveau qui a dû s'adapter aux évolutions

Forte de très anciennes traditions scientifiques, la croissance extensive des dépenses d'investissement et du nombre de chercheurs engagés dans des travaux de recherche et développement (R&D) pendant la période soviétique a permis de créer les bases d'un progrès impressionnant dans la recherche fondamentale et les technologies de défense.

Si ce potentiel a souffert pendant la période de transition, victime d'une diminution drastique du budget R&D et d'une fuite des cerveaux inquiétante au sein de la communauté scientifique, la Russie a su préserver un très haut niveau dans de nombreuses disciplines, et développer des programmes de coopération internationale.

La survie de la recherche russe s'est accompagnée d'évolutions significatives :

- le développement des activités de conseil (contrats de recherche et d'expertise), permettant de bénéficier d'aides privées, russes ou étrangères ; cela a conduit à un déplacement sensible du rapport entre recherche fondamentale et recherche appliquée, au profit de cette dernière ; la meilleure ouverture sur le monde extérieur et le développement des contacts avec les entreprises a eu des effets positifs sur certaines disciplines, comme l'économie ou la sociologie ; toutefois, certaines disciplines peu adaptées à ces activités ont connu un étiolement rapide (philosophie, anthropologie, linguistique) ;

- le resserrement de la taille des équipes au sein des instituts a été favorable à une meilleure efficacité scientifique ;

- le développement d'activités d'enseignement au sein des instituts de recherche, ou le rapprochement entre les chercheurs et les universités a permis de réduire la fracture entre la recherche et l'enseignement supérieur ;

- les contacts avec l'étranger et le recours à des financements internationaux ont fortement progressé ; beaucoup des institutions et laboratoires de recherche russes sont reconnus comme des pôles d'excellence et les chercheurs russes sont désormais pleinement intégrés à la communauté scientifique internationale.

Un rapport remis en 2002 au ministre de l'éducation nationale 15 ( * ) souligne ainsi qu' « il ne fait donc aucun doute que la Russie est appelée à conserver une communauté scientifique de très grande valeur et d'un dynamisme étonnant, qui fait de ce pays un partenaire scientifique à privilégier ».

b) Le problème de la « fuite des cerveaux »

La « fuite des cerveaux » vers l'étranger ne connaît plus l'ampleur atteinte au milieu des années 1990 : si l'on comptait plus de 2 200 personnels scientifiques russes émigrés de 1992 à 1996, ces effectifs sont depuis en constante diminution (900 en 2001).

Le défi qui se pose désormais à la recherche russe est d'organiser, dans les meilleures conditions, le retour de ces chercheurs expatriés .

Plus inquiétante est désormais « l'émigration interne » des jeunes diplômés scientifiques , c'est à dire la déperdition vers le secteur privé , dans des activités sans rapport avec la recherche et l'enseignement, comme l'économie ou la gestion, qui offrent des niveaux de salaires bien plus élevés.

Cette situation renvoie au problème du renouvellement de certaines équipes, alors que le vieillissement des personnels commence à avoir des incidences sur la créativité, notamment dans des secteurs comme celui du complexe militaro-industriel, qui a connu une chute des investissements.

Pourtant, la communauté scientifique a gagné en considération aux yeux du pouvoir russe, depuis que la recherche et l'éducation ont été érigées, en 1999, au rang des priorités du gouvernement : de plus en plus de chercheurs sont présents dans les organismes chargés de définir les orientations de la politique publique. Ce renouveau constitue un changement sensible par rapport à la situation d'incompréhension et de rigueur qui avait prévalu entre 1992 et 1998.

Toutefois, la situation matérielle de la recherche et des chercheurs reste précaire, en dépit de l'augmentation, ces dernières années, des dotations budgétaires. Si, selon la loi fédérale de 1996, le budget pour la R&D doit représenter au moins 4 % du budget total, il n'atteint que 2,2 % en 2004.

c) Une opportunité : la coopération internationale et européenne

Dans la perspective de la construction d'un « espace commun de recherche et d'éducation », les contours de la coopération scientifique et technique entre l'Union européenne et la Russie ont été précisés dans l'accord de coopération scientifique et technologique signé le 16 novembre 2000 et renouvelé en novembre 2003.

Cet accord dresse une liste des disciplines d'intérêt commun susceptibles de donner lieu à une intensification des initiatives, sous la forme de la participation réciproque à des programmes de recherche, d'échanges de données scientifiques et techniques, d'échanges ou de partages d'équipements et de matériels, de visites et d'échanges de chercheurs et ingénieurs...

En outre, le 6 e programme-cadre de recherche et développement (2003-2006), conçu comme un levier d'ouverture des programmes de l'Union à des chercheurs des pays tiers, a retenu 7 domaines prioritaires pour la coopération avec la Russie, considérée comme un partenaire stratégique 16 ( * ) .

Comme le souligne le Conseil économique et social dans un récent rapport sur « Les relations entre l'Union européenne et la Fédération de Russie », ces priorités « correspondent à des axes forts de la recherche russe, présentant d'emblée de bonnes bases de coopération susceptibles de déboucher aisément sur des actions d'excellence visibles et pérennes (laboratoires, groupes de recherche, réseaux). La concentration des moyens sur ces domaines de recherche devrait, en outre, aider à juguler le phénomène de fuite des cerveaux et à poursuivre la reconversion d'équipes de chercheurs russes qui ont longtemps travaillé dans le secteur de la recherche militaire mais dont les compétences sont avérées dans de nombreux domaines : nucléaire, biologie, chimie. »

A cet effet, les possibilités de mobilité offertes aux chercheurs russes et européens gagneraient à être démultipliées.

* 13 En mars 2002, Vladimir Poutine a approuvé les « Principes de base de la politique de la Fédération de Russie dans le domaine du développement de la science et des technologies jusqu'à 2010 et au-delà ».

* 14 Rapport précité p. 31.

* 15 Renaud Fabre et Jacques Sapir, Rapport au Ministre de l'éducation nationale, « Echanges et coopérations universitaires franco-russes - Bilan, Perspectives, Propositions », Avril 2002.

* 16 les sciences de la vie, la génomique et les biotechnologies pour la santé ; les technologies pour la société de l'information ; les nanotechnologies ; l'aéronautique et l'espace ; la qualité et la sûreté alimentaire ; le développement durable, le changement planétaire et les écosystèmes ; les citoyens et la gouvernance dans la société de la connaissance.

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