LA GRIPPE AVIAIRE - M. LE DOCTEUR JEAN-CLAUDE MANUGUERRA, INSTITUT PASTEUR

Merci Madame, Mesdames et Messieurs. Au cours des quelques minutes qui vont suivre, je vais tenter de dresser un tableau global de la situation de la grippe aviaire chez l'homme.

Comme l'a observé Monsieur Charles NICOLLE, fondateur de l'Institut Pasteur de Tunis, dans ses leçons au Collège de France, les épidémies ont une naissance, une vie et une mort, c'est le destin des maladies infectieuses, expression qui fait l'objet du titre de l'ouvrage rassemblant ses leçons. Comme l'a rappelé Monsieur le Ministre, la naissance d'une épidémie correspond à l'introduction d'un nouvel agent pathogène, ou d'un ancien agent ayant acquis de nouvelles propriétés, dans une population indemne, et cette population peut être animale, comme l'a exposé Monsieur Philippe VANNIER, ou humaine. La première phase d'une épidémie se manifeste par des cas sporadiques plus ou moins faciles à détecter. Dans le cas de l'introduction d'un virus ou d'une bactérie dans le cadre d'un réservoir animal, les premiers cas sporadiques sont essentiellement des zoonoses précédemment évoquées. C'est la situation actuelle de la grippe aviaire, chez l'homme c'est une grippe zoonotique, la transmission à l'homme se fait sur fond d'une épizootie d'une ampleur et d'une intensité sans précédent. C'est là que réside le risque actuellement.

L'épizootie à virus H5N1 a éclaté vers la fin de l'année 2003, touchant d'abord des pays situés sur un arc allant de la Corée du Sud, du Nord de la Chine au Japon, du Sud de la Chine au Viêt-Nam, au Laos, au Cambodge et en Thaïlande ; l'épizootie a ensuite gagné le Sud, la Malaisie et l'Indonésie. L'aire couverte est gigantesque en termes de surface, des foyers épizootiques sont actuellement déclarés au Viêt-Nam, en Thaïlande, au Cambodge, en Malaisie et en Indonésie.

Les moyens de contrôle sont de deux ordres : tout d'abord l'abattage massif qui, à lui seul, peut stopper une épizootie. Il supprime les foyers, et c'est le seul moyen possible dans les pays où la vaccination est interdite. À noter que c'est aussi dans ces pays-là que l'on fabrique les vaccins pour ce type de maladies et qu'ils n'ont pas toujours un très fort attrait pour les industriels pour cette raison. C'est le seul moyen possible dans les pays exportateurs, c'est le cas pour l'Union européenne et pour la Thaïlande. On compte sur l'abattage massif pour casser la dynamique de l'épizootie et la délimiter. On l'a vu pour d'autres épizooties, la quantité d'animaux à abattre pour éliminer la maladie peut être tellement élevée, que cet abattage peut entraîner des pollutions importantes du sol et de l'air. L'abattage massif prive aussi, de facto , des populations de sources de protéines animales essentielles. Ainsi, en 1997, lors du premier épisode de grippe aviaire H5N1, l'abattage a bien supprimé la source virulente et, par conséquent, les cas humains se sont arrêtés et l'épidémie avec transmission inter humaine n'a jamais vu le jour.

Toujours chez les animaux, l'autre moyen de lutte réside dans la vaccination massive pour éliminer la source virulente, qui vise à immuniser une fraction suffisante de la population pour empêcher la circulation de l'agent. Cette proportion est de l'ordre de 75 %, c'est la loi dite de « Charles NICOLLE », pour revenir à ce grand personnage. Le problème de la vaccination est que les animaux en portent le stigmate dans leur sérum comme s'ils avaient été infectés, et c'est inacceptable dans les échanges internationaux. L'autre grande limite à la vaccination est que les vaccins disponibles à ce jour étant peu efficaces, elle peut permettre une circulation cachée du virus qui, à l'occasion de l'introduction d'individus non humains, peut entraîner une nouvelle flambée épizootique de grande ampleur. Comme cela a été préconisé, on peut, dans certaines circonstances exceptionnelles, mélanger les deux.

Chez l'homme, à ce jour et depuis le début 2005, 55 cas ont été rapportés, ce chiffre peut varier en fonction de la période que l'on considère, avec essentiellement deux pays touchés, le Viêt-Nam (37 cas) et la Thaïlande (17 cas). Deux cas sont rapportés dans d'autre pays, le Cambodge et le Japon. La répétition de ces cas humains est inquiétante sur un fond d'épizootie toujours incontrôlée. Nous assistons actuellement à la troisième vague qui a lieu simultanément au Nord et au Sud du Viêt-Nam. Comme lors des vagues précédentes, la vitalité de la grippe aviaire est très forte, près de 70 %, à titre de comparaison, la vitalité de la grippe espagnole n'était que de 2 % mais d'autres caractères ont entraîné un nombre considérable de morts. Pour le moment, les seuls cas de transmission intrafamiliale ont été rapportés au Viêt-Nam comme en Thaïlande et, dans ce pays, la transmission d'un enfant à sa tante et à sa mère restée à son chevet durant seize heures a été clairement analysée. Les virus isolés de ces cas étaient heureusement d'une constitution très proche, voire identique, à celle des virus aviaires. Ceci est à rapprocher de l'incapacité de ces virus à se transmettre efficacement d'homme à homme. Ces virus n'ont pas encore, heureusement, subi d'accidents génétiques qui leur auraient permis d'acquérir cette capacité de transmission. Ces accidents sont soit des mutations, des changements de petite ampleur qui s'accumulent au cours du temps, ou bien des échanges de gènes entiers. L'amorçage d'une transmission inter humaine efficace conduirait à une chaîne de transmission qui, en s'emballant, deviendrait épidémique. Il est possible de dire que, pour l'instant, l'épidémie chez l'homme n'a pas commencé et nous sommes toujours dans la phase hypothétique de l'introduction en cul-de-sac. Dans le cas où surviendrait cet accident génétique, il donnerait naissance à un virus hybride mi-aviaire, mi-humain, dont la probabilité, selon une étude de l'équipe de Roy ANDERSON, est estimée à 5 % en mars 2004. La pandémie sera difficile à éviter.

Au cours du XX e siècle, l'émergence chez l'homme d'un nouveau virus grippal a conduit à trois pandémies qui ont fait, selon les estimations, 2 à 40 millions de morts en quelques mois, pour les épidémies de grippe espagnole (1918-1919), asiatique (1957-1958) et de Hong Kong (1968-1969) qui est arrivée en Europe l'hiver suivant.

La situation actuelle demeure délicate, mais l'espoir est toujours permis tant que le virus ne s'adapte pas et tant que la grippe demeure zoonotique. Nous sommes dans la phase d'action, il faut lutter contre la grippe aviaire chez l'oiseau et éviter l'infection de l'homme. Encore une fois, l'intervention massive des autorités locales en 1997 à Hong Kong a été courageuse, et a sans doute évité le début d'une pandémie.

Depuis lors, nous avons acquis de nouvelles armes contre le virus H5N1, nous savons faire un vaccin, même si des inconnues subsistent dans son emploi. Nous disposons, comme l'a rappelé le Ministre de la Santé, d'antiviraux efficaces arrivés sur le marché. Des progrès ont été faits au niveau européen pour accélérer l'enregistrement des vaccins, et c'est là un élément pratique très important, comme l'a rappelé Monsieur le Professeur Philippe KOURILSKY. Les Plans de préparation ont progressé, en Europe et en France. Dans la phase d'introduction, puis dans la phase de première diffusion, nous avons observé que les organisations internationales ont joué un rôle crucial, notamment par l'appui aux pays où le risque s'exprime, par l'organisation de la détection virale et par la mise à disposition de souches pour la recherche vaccinale. Ces organisations sont l'OMS bien sûr, l'Office international des épizooties et l'Office pour l'alimentation et l'agriculture. En revanche, quand la maladie aura gagné nos pays, la subsidiarité s'appliquera et il reviendra aux États d'intervenir sur leur territoire, ces pays doivent se préparer.

Dans notre pays, le Conseil supérieur d'hygiène publique de France pour la lutte contre la maladie grippale a remis son plan le 27 juin 2003, dans les temps malgré l'épisode du SRAS. Ce plan a ensuite été amélioré car rendu plus opérationnel par le Ministère de la Santé, il a finalement été bleui et rendu public en octobre 2004 par Monsieur Philippe DOUSTE-BLAZY. L'objectif de ce plan n'est pas d'arrêter la pandémie, mais de ralentir son arrivée ou son installation et, le cas échéant, de diminuer son impact sur la santé de nos concitoyens. Pour qu'il soit utile, c'est particulièrement important, il faudrait qu'il perde son aspect confidentiel défense afin d'être largement diffusé pour que les acteurs se l'approprient, quitte à en retirer trois ou quatre pages.

Pour conclure, je dirai que sans nous résigner face à l'inéluctable, nous devons organiser la lutte.

M. Jean-Pierre DOOR

Merci Docteur, nous abordons maintenant le bioterrorisme que nous ne pouvions occulter dans le cadre du risque épidémique. D'autant plus que l'actualité passée laissait entendre que des poudres, germes, microbes ou virus pouvaient être disséminés au sein de la population. Je remercie par avance Monsieur le Médecin Général TOUZÉ pour son intervention.

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