CHAPITRE IV

L'ACCÈS À LA PUBLICITÉ TÉLÉVISÉE :
QUELS IMPACTS ÉCONOMIQUES ?


SYNTHÈSE DU CHAPITRE
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La consultation préalable à l'adoption du décret d'ouverture de la publicité a permis d'identifier les positions des différentes parties prenantes des secteurs concernés. Elles se sont ordonnées autour de leurs situations respectives sur les marchés concernés et de leurs capacités à profiter de la publicité télévisée.

Si des compromis ont pu être trouvés dans les trois secteurs « culturels » (presse, livre et cinéma), les pouvoirs publics ont dû adopter une solution moyenne pour la distribution qui semble ne satisfaire personne, ni la grande distribution, qui aurait souhaité une plus large ouverture, ni le commerce indépendant, qui estime ses positions menacées.

La crainte de voir se manifester des effets asymétriques entre les différents intervenants des secteurs concernés reflète les analyses théoriques selon lesquelles la publicité accroîtrait la concentration sur les marchés. Cette conclusion est contesté par ceux qui estiment que la publicité accroît, au contraire, la concurrence.

Cette inquiétude a été vraisemblablement surestimée en l'occurrence, compte tenu de la nature des biens concernés (leur demande peut apparaître, quoique inégalement assez peu élastique aux campagnes promotionnelles ; les opportunités associées à l'ouverture de la publicité télévisée semblent réduites pour les annonceurs) mais aussi des situations de marché existantes (les parts de marché relatives des grands distributeurs et des circuits plus « artisanaux » semblent peu susceptibles de connaître de profondes évolutions).

En revanche, les opportunités ont été probablement sous-estimées. Par exemple, l'absence prolongée du livre de l'univers télévisuel des jeunes ne contribuera pas à accoutumer ceux-ci à la lecture.

Enfin, les risques liés à l'ouverture semblent plutôt du côté des difficultés de pilotage des coûts publicitaires par les entreprises avec des perspectives en termes de gaspillage économique, de réduction de la rentabilité ou de hausse du niveau général des prix.

Si l'objectif de préservation des équilibres économiques des différents médias est sans doute le ressort principal de la réglementation de la publicité télévisée, celle-ci est également influencée par des considérations liées à l' effet de la publicité sur les secteurs annonceurs .

Le débat sur l'ouverture des secteurs interdits en a largement témoigné et le décret d'octobre 2003 porte la trace des compromis qui sont intervenus entre les différents secteurs de la distribution, du livre, du cinéma et de la presse.

Pour l'essentiel, les dispositions (les attitudes) manifestées par les différentes parties prenantes ont été influencées par leurs positions sur les marchés concernés : ceux qui redoutaient les effets concurrentiels de la publicité télévisée se sont opposés à l'ouverture, et inversement.

L'appareil théorique et empirique disponible ne permet pas de trancher avec certitude entre les arguments des uns et des autres. D'un point de vue plus général, cet embarras renvoie aux débats sur la contribution de la publicité au bien-être économique général .

Ces questions sont particulièrement complexes quand elles concernent la publicité télévisée . Média de masse à l'influence puissante, la télévision est d'un accès coûteux pour les annonceurs, ce qui favorise les intervenants à forte capacité financière, producteurs de produits standardisés dégageant des économies d'échelle.

Inversement, son accessibilité, et son utilité, sont peu évidentes pour les annonceurs moins « industriels » et pour les produits de diffusion plus restreinte.

Ainsi, si les approches théoriques générales invitent plutôt à ouvrir largement l'accès à la publicité, les conditions concrètes de structures et de fonctionnement des marchés peuvent incliner à des solutions plus malthusiennes , dont il faut toutefois mettre en évidence les limites.

I. L'APPROCHE ÉCONOMIQUE DE LA PUBLICITÉ, UNE SUITE DE CONTROVERSES...

Sur fond d'une certaine insuffisance des études économiques relatives au phénomène 29 ( * ) , le constat s'impose de fortes controverses sur le rôle de la publicité et sur la capacité des agents économiques à en piloter le niveau.

A. L'ÉCONOMIE DE LA PUBLICITÉ, UNE DISCIPLINE EN QUÊTE D'AUTEURS

L' application systématique des sciences économiques à la publicité est fort peu développée , du moins en France , les approches de la publicité étant, en pratique, l'apanage du marketing. Cette dernière discipline est marquée par son propre objet, qui repose largement sur la description des stratégies susceptibles d'être mises en oeuvre par un organisme commercial pour s'assurer une bonne position de marché.

Cette vision individualiste peut être utile pour développer des analyses de stratégie publicitaire ; elle est, en revanche, peu adaptée dès qu'on souhaite disposer d'une « microéconomie », et plus encore d'une « macroéconomie », de la publicité .

Par exemple, une question comme celle de la contribution de la publicité à la croissance n'a encore été, semble-t-il, l'objet d'aucune étude complète dans notre pays. Si tout annonceur souhaite, en recourant à la publicité, élargir ou défendre son marché, rien ne permet vraiment d'affirmer, ou d'infirmer, que la somme de ces stratégies individuelles est nulle pour l'ensemble de l'économie. De la même manière, si le développement du marché publicitaire représente une contribution sectorielle à la formation du produit intérieur brut, on ne peut établir un bilan complet de cette contribution qui s'exerce, à l'évidence, aux dépens d'autres emplois de la richesse, peut-être plus porteurs de croissance.

L'étude du BIPE traduit souvent les limites des analyses économiques de la publicité disponibles, même si l'étude se place sur le seul terrain de la microéconomie.

Pourtant, la réglementation du marché de la publicité télévisée est, pour beaucoup, dictée par des objectifs économiques , mais d'ordre sectoriel.

Comme on l'a vu, elle est, en premier lieu , un mode de régulation de l' économie des médias et le contingentement des ressources publicitaires de la télévision est, en ce sens, avant tout un élément de protection des médias concurrents. On peut donc attendre d'une déréglementation contingentaire de la publicité à la télévision une « redistribution des cartes », une partie des ressources affectées à la publicité hors télévision se redirigeant vers ce dernier média. Toutefois, l'ampleur de cette redistribution reste a priori incertaine, et, il faut pour répondre aux questions relatives aux perspectives d'une augmentation de la dépense publicitaire globale ou, au contraire, de l'enclenchement d'un simple jeu à somme nulle, observer le fonctionnement concret des marchés concernés 30 ( * ) .

La réglementation de la publicité télévisée est, en second lieu , un élément de régulation de l'économie des secteurs annonceurs . A ce titre, les réglementations recherchent la préservation d'équilibres qu'on estime menacés par le libre développement de la publicité, qu'il s'agisse d'équilibres concurrentiels entre les intervenants sur le marché ou d'équilibres relatifs aux prix.

Sur ces sujets aussi, on ne dispose que de très rares certitudes.

* 29 Avec d'heureuses exceptions comme le travail entrepris par le Laboratoire d'économie industrielle et particulièrement par Mme. Nathalie Sonnac dont les observations ont été très précieuses pour le présent rapport.

* 30 Comme en témoigne le présent rapport qui se livre à cet exercice obligé.

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