D. PRÉSENTATION DE SON RAPPORT PAR M. JEAN-GUY BRANGER : MAÎTRISE DES ARMEMENTS ET NON-PROLIFÉRATION : LES MOYENS SATELLITAIRES DE VÉRIFICATION (DOC. 1902) (Mercredi 15 juin 2005)

M. Jean-Guy Branger, Sénateur, a présenté le Rapport élaboré au nom de la commission technique et aérospatiale en ces termes :

« M. le Président, mes chers collègues, aujourd'hui, l'Union européenne, par le biais de ses États membres, est impliquée dans tous les traités de lutte contre la prolifération, qu'il s'agisse du Traité de non-prolifération, de la Convention sur l'interdiction des armes chimiques, du Traité sur l'interdiction des armes bactériologiques, du Traité pour l'interdiction complète des essais ou du Traité sur les forces conventionnelles en Europe.

« D'ailleurs, dans le cadre de son élargissement, l'Union européenne impose que les nouveaux États membres soient signataires des principaux traités relatifs à la maîtrise des armements et à la non-prolifération. La maîtrise des armements et la non-prolifération sont aujourd'hui au coeur des ambitions de l'Union européenne qui souhaite s'affirmer comme un acteur incontournable sur la scène internationale.

« Pour y arriver, l'Union européenne a élaboré une stratégie de sécurité, une stratégie contre la prolifération des armes de destruction massive. Dans ce contexte, l'Union doit se doter de moyens de vérification afin de s'assurer du respect des traités, mais aussi pour sa propre sécurité. Si les inspections sur le terrain sont les plus efficaces, ce que nous savons tous, les pays proliférants sont peu enclins à autoriser des inspecteurs à pénétrer sur leur territoire. Les moyens satellitaires sont donc particulièrement légaux et ne violent pas l'espace aérien du territoire observé, à l'inverse d'un drone. Les satellites, d'une précision croissante et de plus en plus nombreux en orbite, rendent possible l'observation de n'importe quel lieu et sont d'une qualité d'image très acceptable.

« Actuellement, si l'Union européenne ne possède aucun satellite par le biais de ses États membres, elle peut avoir accès à la reconnaissance et à la télécommunication, la navigation étant couverte par un programme communautaire en développement, le programme Galileo.

« Néanmoins, dans le domaine de la vérification, seuls les satellites de surveillance et de reconnaissance s'avèrent efficaces. Ce type de satellite fait aujourd'hui cruellement défaut à l'Europe, la France étant le seul pays à disposer de capacités satellitaires dans ce domaine. Toutefois, dans les années à venir, l'Allemagne et l'Italie disposeront, elles aussi, de satellites pouvant remplir ce type de missions, ce qui contribuera à améliorer les capacités de l'Union européenne en matière de vérification de la maîtrise des armements et de la non-prolifération.

« Quelles sont les capacités actuelles ? Seule la France, avec la participation de l'Italie, de l'Espagne et de la Belgique, dispose actuellement d'un satellite d'observation militaire. Toutefois, les capacités en matière d'observation peuvent être renforcées en faisant appel aux opérateurs de satellites commerciaux, qu'ils soient extra-communautaires, essentiellement américains, ou européen - Spot Image.

« Le 18 décembre 2004, la fusée Ariane 5G mettait sur orbite la deuxième génération de satellites optiques militaires à dominante française, Hélios 2 A. Cependant, le lancement d'une charge utile à des fins militaires n'est pas une nouveauté pour le lanceur européen, puisqu'il s'agit de la treizième mise sur orbite de ce type. En effet, le lanceur Ariane avait déjà satellisé Hélios 1 et Hélios 2 par la suite.

« Sous l'impulsion du gouvernement français, le programme militaire d'observation par satellite Hélios a été lancé en 1986. A l'origine purement français, Hélios est devenu binational en 1987 lorsque l'Italie a rejoint le projet, puis trinational en 1988 avec l'arrivée de l'Espagne. Si Hélios est géré collectivement, les satellites sont néanmoins utilisés en toute confidentialité par chaque pays au prorata de sa participation nationale.

« Véritable monopole militaire jusque dans les années 1980, l'observation spatiale a connu un tournant majeur en 1982. En effet, les autorités françaises décidèrent de développer un système d'imagerie spatiale à vocation commerciale, Spot. Les résolutions spatiales des satellites commerciaux se rapprochant de plus en plus de celles des satellites militaires, l'intérêt d'un tel système, dans la perspective de la vérification de la maîtrise des armements, est grandissant.

« Quelles sont les capacités à court et moyen termes ? Alors que la réalisation de la prochaine génération de satellites d'observation européens se fera sur une base purement nationale, la coopération entre les États s'est renforcée afin que ces moyens puissent s'opérer de façon complémentaire en mettant en synergie les moyens nationaux de chaque État en vue d'une utilisation commune et optimisée. De plus, cette nouvelle génération de satellites inaugure une coopération renforcée entre le milieu civil et militaire, permettant de tirer les coûts de fabrication de ces plates-formes vers le bas. C'est important quand on connaît les coûts des investissements.

« Le premier satellite d'observation militaire allemand, SAR-Lupe, s'avère aussi être le premier satellite à recueillir de l'imagerie radar à des fins de renseignement en Europe. Ce choix, opéré par les autorités allemandes, est d'une importance capitale. En effet, à l'inverse des satellites à imagerie optique, il offre au ministère allemand de la défense la possibilité d'observer quelles que soient les conditions météorologiques, de jour comme de nuit.

« TerraSAR, de son côté, est un programme prévoyant la construction de deux satellites radar dont la vocation et le financement sont duaux. En effet, si le programme a des applications civiles et militaires, son financement s'est fait sur la base d'un partenariat public/privé entre l'Agence spatiale allemande et EADS Astrium. D'ailleurs, ces deux satellites, devant être lancés en 2006, seront exploités par une filiale d'Astrium, Infoterra, créée dans le but de gérer l'exploitation commerciale de ces satellites.

« Le 29 janvier 2001, les autorités françaises et italiennes ont formalisé, dans l'accord de Turin, « leur intention de développer un système à usage dual utilisant des petits satellites optiques et radar ainsi que le segment terrestre associé ». Si les satellites sont toujours conçus sur une base nationale, la composante sol utilisateur sera identique pour les deux systèmes, permettant un échange d'informations efficace. Baptisé ORPHEO, ce système comprendra une composante radar, Cosmo-SkyMed, développé par l'Italie, et une composante optique, Pléiades, développée par la France. Alors qu'un segment sol utilisateur devait être développé en commun, ce qui aurait permis une meilleure interopérabilité entre les systèmes, chacun des satellites disposera finalement de son propre segment sol.

« La maîtrise des armements occupe une place à part dans la PESC. L'affirmation de l'Union européenne, en tant qu'entité, sur la scène diplomatique internationale, est relativement récente. En effet, les politiques des États ont souvent pris le pas sur les politiques communautaires. Néanmoins, les attentats perpétrés en 2001 aux États-Unis et en 2004 en Espagne ont contribué à l'élaboration d'une position commune sur un sujet aussi important que la maîtrise des armements et la non-prolifération des armes de destruction massive.

« Ainsi, l'Union européenne s'est dotée d'une stratégie de sécurité suivie d'une stratégie contre la prolifération des armes de destruction massive. Non seulement l'Union européenne s'est fixé des buts à atteindre, mais elle a aussi mené une réflexion sur les moyens d'y parvenir. C'est dans ce contexte que la place dévolue à l'espace dans la PESD est désormais débattue.

« Par ailleurs, certains éléments, dont la mise en place a commencé, viendront répondre aux besoins de l'Union européenne dans le domaine de la maîtrise des armements et de la non-prolifération. Le Centre satellitaire de l'Union européenne - que j'ai encouragé tous nos collègues à aller visiter - et l'initiative GMES en sont indéniablement deux maillons primordiaux.

« Voyons maintenant la PESD, la maîtrise des armements, la non-prolifération et l'espace. Processus enclenché avec la signature du Traité de Maastricht, puis réaffirmé avec le Traité d'Amsterdam, la construction de la PESD se poursuit. Renforcée durant le Conseil européen de Cologne en 1999, la gestion des crises est désormais un élément central dans la PESD. Ainsi, la prolifération des armements, situation potentiellement génératrice de crises, fait partie des préoccupations que les stratégies européennes prennent en compte.

« Adoptée lors du Conseil européen de Bruxelles, le 12 décembre 2003, la Stratégie européenne de sécurité est considérée comme « une sorte de grille de lecture de l'environnement mondial, de ses menaces et des mesures pour y faire face ». Ainsi, telles qu'elles sont définies dans cette stratégie, cinq formes de menaces peuvent être discernées : le terrorisme, les conflits régionaux, la déliquescence des États, la criminalité organisée et la prolifération des armes de destruction massive.

« Alors que les changements, en matière de politique européenne de sécurité et de défense, se font à un rythme sans commune mesure dans le processus de construction européenne, l'espace commence à occuper une place sans précédent au sein de la PESC. Des changements marquants sont intervenus depuis la signature du Traité d'Amsterdam, en 1997, comme la nomination d'un Haut représentant pour la PESC, fonction que M. Solana assume depuis 1999. D'ailleurs, une prise de conscience des lacunes européennes dans le domaine de la défense et de la sécurité est en cours. Il est grand temps. Ainsi, de nombreuses réflexions ont été menées afin de renforcer la PESD qui fait partie intégrante de la PESC.

« La PESD relevant du Conseil de l'Union européenne, l'unanimité est requise pour la prise de décisions. Ainsi, dans le cadre de la PESD, l'espace peut apporter une plus-value puisqu'il permet un « accès garanti à des informations fiables, à la disposition de tous, réduit l'incertitude et augmente les chances d'une prise de décision politique prudente et opportune ». L'adjonction de moyens spatiaux à la PESD permet donc de garantir une certaine indépendance stratégique en ayant accès à des informations en continu. Comme les images satellitaires permettent de prévenir la prolifération des armes de destruction massive mais aussi de vérifier les traités au niveau mondial, en fournissant la preuve d'activités illicites, l'interprétation des images est devenue capitale.

« Ce rôle est désormais dévolu au Centre satellitaire de l'Union européenne dont je dirai quelques mots. Dans le cadre de ses fonctions, le CSUE apporte un soutien aux missions de Petersberg, à la surveillance générale dans le domaine de la sécurité, à la surveillance maritime, à celle de l'environnement mais aussi au respect des traités, à la maîtrise des armements et à la non-prolifération.

« Ainsi, entre 2000 et 2004, si le maintien de la paix et le soutien humanitaire ont constitué la plus grande partie des activités du Centre satellitaire de l'Union européenne - respectivement 26,8 % et 26,5 % des observations - la vérification des traités et la maîtrise des armements viennent en troisième place, représentant 15 % des missions. La prévention étant au coeur des préoccupations du Centre satellitaire, ses principales actions dans le domaine de la maîtrise des armements et de la non-prolifération concernent les activités d'États proliférants tels que l'Iran et la Corée du Nord.

« Si les informations produites par le CSUE revêtent un caractère stratégique indéniable, le renseignement tactique n'est pas, aujourd'hui, à la portée de cette agence européenne. Alors que le Centre satellitaire de l'Union européenne fait désormais partie intégrante de la PESD et de sa boucle décisionnelle allant de la demande d'information à la prise de décision, son activité restera bridée tant que l'Union européenne ne possédera pas ses propres moyens satellitaires. En effet, pour obtenir des renseignements dans les plus brefs délais, piloter ses propres satellites est un avantage. Dans cette optique, le GMES viendra très certainement renforcer les capacités du Centre satellitaire de l'Union européenne en matière d'acquisition d'images, ce qui lui permettra de poser la première pierre d'une éventuelle agence européenne de renseignement.

« Au-delà des problèmes que pose la mise en oeuvre d'un tel système d'ici 2008, la réflexion sur le système GMES porte essentiellement sur son aspect sécuritaire. Alors que les aspects ayant trait à la défense sont de l'unique ressort du Conseil de l'Union européenne, la notion de sécurité, telle qu'elle est évoquée par la Commission européenne, se veut « interpilier ». Le champ couvert par ce concept est particulièrement large puisqu'il concerne aussi bien la protection civile, les opérations de sauvetage, l'aide humanitaire, les opérations de police, des garde-côtes ou des douaniers que le soutien à la PESC par l'assistance aux forces de combat impliquées dans des opérations humanitaires, dans la gestion des crises, y compris les missions de Petersberg, et aux opérations de secours, à l'intérieur des frontières de l'Europe ou en dehors.

« La maîtrise des armements et la non-prolifération semblent être des missions fédératrices pour l'Union européenne. Si l'espace n'est pas le seul élément permettant la vérification, son rôle est appelé à s'accroître, ainsi que l'implication de l'Union européenne dans ce domaine. En effet, poursuivre les efforts spatiaux équivaut à maintenir sa place parmi les puissances ayant une capacité d'observation en la matière, en tout lieu et à tout moment, de façon totalement légale.

« A l'heure où l'Union européenne poursuit sa construction, l'espace européen ne doit plus être à vocation purement scientifique. Ce besoin d'évolution se retrouve aujourd'hui dans les politiques de la Commission européenne puisque l'espace est désormais une prérogative du commissaire chargé de l'entreprise. Néanmoins, l'Union européenne doit franchir un nouveau pas puisqu'il est nécessaire qu'elle s'engage dans la construction de satellites d'observation. Ainsi, certaines initiatives présagent du futur engagement européen dans l'espace, telles que la coopération entre l'ESA et l'UE qui se met en place. Le Besoin opérationnel commun (BOC) préfigure, quant à lui, une nouvelle architecture européenne de coopération spatiale, éventuellement à géométrie variable.

« Du fait de l'éclatement de ses capacités, l'Europe n'est pas encore une puissance spatiale militaire. Néanmoins, la construction européenne est un processus à long terme se faisant par petites étapes et les pays européens signataires du BOC font actuellement le premier pas vers ce projet commun. Même s'il est aujourd'hui impensable de voir l'Union européenne s'impliquer dans la construction de la prochaine génération de satellites d'observation, les États européens devront travailler en commun pour créer une norme européenne, utilisable le moment venu par l'Union européenne quand elle sera prête à devenir une puissance spatiale militaire, en accord avec sa politique étrangère et les buts qu'elle entend défendre comme la maîtrise des armements et la non-prolifération. »

A l'issue du débat qui a suivi la présentation de son Rapport par M. Jean-Guy Branger , l'Assemblée de l'UEO a adopté la modification de son règlement de manière à intégrer davantage à ses processus de décision les pays membres de l'UE qui ont un statut « d'observateurs » à l'UEO mais dont les gouvernements participent de plein droit à la politique étrangère de sécurité et de défense (PESD) de l'Union européenne.

Cette décision concerne ses pays membres « observateurs » de l'UEO (Autriche, Danemark, Finlande, Irlande, Suède) ou « observateurs assimilés » seulement de l'Assemblée de l'UEO (Chypre et Malte) qui, à ce titre, n'avaient jusque là aucun droit de vote au sein de l'Assemblée. Désormais, les parlementaires de ces pays auront le droit de vote au sein des commissions qui élaborent les résolutions et les recommandations soumises à la séance plénière.

À la fin du débat, la Recommandation a été adoptée, à l'unanimité, sous le n° 766 .

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