EXAMEN EN DÉLÉGATION

Au cours de sa réunion du mercredi 23 novembre 2005 , tenue sous la présidence de M. Joël Bourdin , président , la délégation pour la planification a procédé à l'examen du rapport d'information sur les perspectives de l'économie française et finances publiques à l'horizon 2010, de M. Joël Bourdin, rapporteur .

M. Joël Bourdin , rapporteur , a rappelé que l'économie française avait connu un regain de vigueur inattendu en 2004, mais que la croissance avait décéléré en 2005 et que son rétablissement devrait intervenir en 2006.

Concédant que ce scénario était controversé, il a indiqué qu'il était suspendu à deux conditions : une consolidation de la croissance mondiale, avec une croissance mieux répartie entre les zones, notamment entre les États-Unis et l'Europe et une demande intérieure dynamique.

Une partie de ces conditions avait été envisagée l'an dernier : les tensions sur les prix du pétrole et la « glissade » du dollar, qui risquaient de freiner la croissance mondiale et surtout européenne ; la capacité des ménages français à maintenir un rythme élevé de consommation dans un contexte de reprise molle et sans emplois.

Seul, le premier de ces risques s'est réellement produit, les prix du pétrole ayant flambé et l'euro s'étant apprécié, contre le dollar, mais aussi contre toutes les autres monnaies.

Ces deux événements ont essentiellement pesé sur le commerce extérieur, l'augmentation du prix du pétrole n'ayant pas impulsé à ce jour de poussée inflationniste susceptible de freiner la demande intérieure.

A l'effet du pétrole et du dollar, il faut ajouter la décevante atonie de la croissance de nos deux grands voisins de la zone euro, l'Italie et l'Allemagne.

Ces deux pays connaissent une croissance très lente pour des raisons en partie différentes.

Alors que l'Italie connaît une érosion de sa compétitivité extérieure, pour des motifs essentiellement structurels, mais qui relèvent aussi d'une insuffisante modération salariale, l'Allemagne ne connaît pas ce problème.

La politique économique en Allemagne n'est pas seulement caractérisée par une politique budgétaire restrictive, elle l'est aussi par une politique de désinflation compétitive qui vise à gagner des parts de marché. Cette politique connaît un certain succès, puisque l'Allemagne est redevenue le premier exportateur mondial. Mais ce succès est atteint au détriment des ménages allemands, dont le pouvoir d'achat régresse, et aux dépens des partenaires de l'Allemagne.

La politique économique allemande a une traduction très concrète pour la France. En 2005, elle lui coûtera 0,3 point de PIB, comme en 2003 et 2004. Ainsi, si l'environnement international de la France avait été plus favorable, la croissance aurait dépassé les 3 % en 2005.

La philosophie des projections à moyen terme présentées dans le rapport de la délégation étant d'explorer les possibilités de croissance autonome de l'économie française, que décrit la programmation économique du Gouvernement, l'hypothèse a été posée qu'à l'avenir, la croissance française ne serait plus handicapée par son contexte international.

M. Joël Bourdin , rapporteur , a jugé qu'une contribution neutre du commerce extérieur serait déjà un heureux événement, puisqu'elle implique que la croissance mondiale soit supérieure à sa tendance et que la France soit capable d'exporter nettement plus que ce qu'elle importera. Telle est ainsi l'une des grandes hypothèques du futur économique de la France, qui ne dépend que partiellement d'elle-même. Son environnement international devra être favorable.

A ce sujet, M. Joël Bourdin , rapporteur , a souhaité insister sur deux points qu'il a jugés essentiels. En premier lieu, il est indispensable de retrouver, notamment avec l'Allemagne et l'Italie, des modes de coordination des politiques économiques axées sur la recherche de la plus forte croissance possible. Ceci doit passer notamment par un très sérieux effort pour lutter contre les politiques non coopératives dans la zone euro. La politique allemande s'inscrit dans une logique qui prévalait sous le régime de système monétaire européen où chaque pays s'efforçait de prendre des parts de marché aux voisins, tout en espérant que ceux-ci entreprennent une relance budgétaire que nul n'avait plus intérêt à pratiquer en solo.

Ces politiques ont engendré un formidable retard de croissance, ce dont l'Union Européenne ne se préoccupe pas suffisamment. Le projet allemand de TVA dite « sociale » incarne des politiques non coopératives de cette sorte.

En second lieu, il faut veiller à éviter toute contagion inflationniste après la hausse du prix du pétrole qui est intervenue. Des variantes, présentées dans le rapport, montrent d'abord, que, si des tensions salariales devaient se produire en France seulement, la croissance de notre économie serait assez nettement pénalisée à travers le supplément d'inflation qui ne manquerait pas de survenir. Il faut donc respecter la modération salariale sans laquelle se produiraient des pertes de compétitivité, de croissance et d'emplois.

Le scénario serait moins dramatique si l'inflation se propageait dans l'ensemble des pays. Toutefois, la croissance mondiale serait affectée et la croissance en France aussi. Celle-ci n'a donc pas intérêt à ce que l'inflation gagne le monde.

Dans cette dernière hypothèse, il est à craindre que les Banques centrales ne durcissent leur politique monétaire. Si elles augmentaient d'un point les taux, l'effet récessif serait important. L'inflation serait jugulée, mais au prix de pertes de croissance et d'emplois supplémentaires.

M. Joël Bourdin , rapporteur , a alors estimé nécessaire de souligner qu'en l'état des choses, l'accélération des prix observée ces derniers temps ne témoignait en rien de l'existence de tensions inflationnistes profondes et qu'il serait, par conséquent, particulièrement inapproprié que la Banque centrale européenne (BCE) relève ses taux.

M. Joël Bourdin , rapporteur , a alors rappelé que, si les aléas internationaux ne survenaient pas, il faudrait, malgré tout, des conditions internes particulières pour obtenir une croissance de 2,25 %, dans un contexte marqué par un ajustement structurel des comptes publics. Celui-ci, de l'ordre de 0,4 point par an à horizon 2009, se traduit, dans les modèles économiques, par une diminution du rythme de croissance, d'un montant à peu près équivalent à l'ajustement structurel. Ainsi, pour avoir une croissance de 2,25 % sur la période à venir, il faudra, en réalité, des comportements économiques spontanés des agents domestiques qui déboucheraient sur une croissance de l'ordre de 2,8 % si la politique budgétaire était neutre.

Il s'ensuit que les ménages doivent consommer et les entreprises investir nettement plus que sur la période récente si l'on souhaite atteindre l'objectif de croissance mentionné dans le programme de stabilité à l'horizon 2009.

M. Joël Bourdin , rapporteur , a alors abordé la question décisive, selon lui, de savoir s'il existe des réserves pour la consommation des ménages. Ayant remarqué que dans l'hypothèse d'une croissance à 2,25 %, le pouvoir d'achat du revenu des ménages ne progresserait pas assez pour que la consommation atteigne le rythme nécessaire, il a indiqué qu'une baisse du taux d'épargne des ménages, à hauteur de 2,4 points, serait alors indispensable.

Une telle évolution suppose que les propensions à consommer et à épargner s'équilibrent dans un sens plus favorable à la consommation.

La forte diminution du chômage qui intervient en projection, l'engagement de réformes structurelles qui peuvent atténuer les inquiétudes des ménages, sont des éléments favorables. Mais il faudra sans doute réunir d'autres conditions.

M. Joël Bourdin , rapporteur , a en ce sens abordé certaines politiques structurelles, et notamment celles destinées à élargir l'accès au crédit des ménages. Dans de nombreux pays, si la propension à consommer des ménages est à un niveau structurellement élevé, c'est, semble-t-il, que l'accès au crédit des ménages est plus facile et qu'ils y bénéficient davantage de la politique monétaire quand celle-ci est accommodante.

M. Joël Bourdin , rapporteur , a estimé que la mauvaise réputation du crédit dans notre pays pouvait être rapprochée des attitudes hostiles que manifestent les économistes classiques, et les monétaristes, à son égard, puisqu'ils considèrent que la monnaie et le crédit n'ont pas de vertus particulières.

Il a indiqué que cette approche avait eu une traduction très concrète dans l'édifice de la construction monétaire européenne, où il est prohibé de monétiser les déficits publics. Si cette contrainte s'impose également aux États-Unis, le Trésor américain s'en affranchit aisément, puisque les Banques centrales asiatiques acquièrent directement une grande partie de la dette publique américaine. Cela facilite grandement le maniement contra-cyclique de l'instrument budgétaire aux États-Unis.

M. Joël Bourdin , rapporteur , a estimé qu'il fallait garder présent à l'esprit ce contexte pour juger la perspective ouverte par la BCE de durcir les conditions de refinancement des banques privées commerciales qui présenteraient à son guichet des créances sur les États insuffisamment vertueux à ses yeux. Il a estimé que le but de la BCE était ainsi de recréer des primes de risques nationales, estimant implicitement que les marchés se trompaient dans leur traitement des dettes publiques des pays de la zone euro.

Il a interprété cette intention comme une sorte de réponse de la BCE aux prétendus assouplissements du Pacte de stabilité et de croissance qui sont intervenus au cours de cette année et que son Président avait publiquement critiqués.

Ainsi, le projet de la BCE ne revient pas seulement à désavouer le jeu spontané des marchés, il revient encore à sanctionner symboliquement les gouvernements européens, coupables collectivement d'avoir ôté un peu de leur rigidité aux règles qui encadrent la politique budgétaire en Europe. M. Joël Bourdin , rapporteur , a souligné qu'in fine, si une telle discrimination négative devait être appliquée, les contribuables des pays concernés seraient lésés à travers l'augmentation des charges d'intérêt qui se produirait.

Il a jugé que ni les Traités ni l'expertise technique de la BCE n'autorisaient celle-ci à entrer dans un processus de sanctions individuelles vis-à-vis des États, dont ceux-ci se sont explicitement réservé la mise en oeuvre dans le cadre de la surveillance des situations budgétaires.

M. Joël Bourdin , rapporteur , a alors remarqué que la prédominance des approches monétaristes avait pour conséquence, plus sourde et diffuse, de nourrir la défiance face aux dynamiques d'endettement des agents privés, des ménages en particulier.

Sur ce point, il a indiqué que, si les Français étaient de plus en plus endettés, avec un ratio de l'ordre de 60 % de dettes rapportées à leur revenu, ce ratio atteignait en Allemagne 111 %, 120 % au Royaume-Uni et 194 % au Danemark.

Il s'est demandé si ces données et ces comparaisons ne traduisaient pas une sorte de « sous-endettement » des ménages français, qui semble être une spécificité structurelle de notre pays.

Cette spécificité est en relation directe avec les questions que posent les projections présentées dans le rapport, a-t-il fait observer. L'OCDE a récemment souligné le coût pour la croissance de la zone euro de l'insuffisante dynamique du crédit. Celle-ci a pour effet d'y minorer l'impact de la politique monétaire.

Or, si la politique monétaire était plus efficace, les taux d'épargne des ménages de la zone euro connaîtraient sans doute des ajustements contra-cycliques plus prononcés, ce qui est précisément l'une des conditions majeures des scénarios à moyen terme exposés dans le rapport de la délégation.

Parmi les autres conditions internes, M. Joël Bourdin , rapporteur , a voulu rappeler la nécessité d'un plus fort investissement des entreprises. Plus celui-ci sera dynamique, moins strictes seront les contraintes de désépargne des ménages compatibles avec l'objectif de croissance poursuivi. Cependant, l'investissement ne peut se passer de perspectives de consommation bien orientées. Si les entreprises sont aujourd'hui mieux à même d'investir après leur redressement financier récent, il faut renforcer leurs perspectives, ce qui plaide pour une politique qui soutienne la demande des ménages. La réduction très rapide du déficit public structurel n'offrirait pas un contexte propice à l'investissement. En effet, dans le contexte de mondialisation, s'il y a naturellement une propension à investir dans les zones qui offrent des coûts de production réduits, il ne faut pas oublier l'importance des perspectives de chiffre d'affaires. L'Europe et la France devraient ainsi mieux veiller à orienter leurs politiques économiques vers un objectif de forte croissance.

M. Joël Bourdin , rapporteur , a insisté sur le fait qu'en l'état actuel d'insuffisance de production, l'objectif prioritaire des politiques économiques devrait être le retour à une croissance effective permettant de retrouver le niveau de production potentielle, condition pour que le chômage se résorbe.

Ceci devrait être l'un des critères principaux d'appréciation des politiques économiques.

Sous cet angle, s'il est nécessaire d'assainir les comptes publics, on peut nourrir quelques doutes sur le calendrier qui est imposé par le Pacte de stabilité et de croissance et qui devrait peser significativement sur la demande en Europe.

En tout cas, cette contrainte budgétaire doit inviter à des choix de priorité avisés en matière de dépenses publiques, choix qui devraient aussi être évalués en fonction de leur contribution au retour le plus rapide possible à une croissance forte.

S'il ne faut pas être indifférent à l'objectif de moyen-long terme d'élever le rythme de la croissance potentielle de l'économie française, et s'il faut d'ores et déjà préparer l'avenir en finançant l'innovation, il est moins urgent d'augmenter l'offre sur le marché du travail.

En conclusion, M. Joël Bourdin , rapporteur , a remarqué que, si la productivité de demain se construisait dès aujourd'hui, sans un sursaut du rythme de croissance dès maintenant, les défis visant à augmenter le rythme de la croissance potentielle seraient beaucoup plus difficiles à relever.

Un large débat s'est alors ouvert.

M. Bernard Angels s'est félicité que le rapporteur ait délibérément choisi de privilégier une approche dénuée de partis pris doctrinaux et ait évité de céder à un catastrophisme ambiant qui apeure les Français et mine leur confiance dans l'avenir.

Il s'est rallié à l'idée selon laquelle un maniement contra-cyclique de la politique budgétaire devrait être systématiquement entrepris. Il a insisté sur la nécessité d'instaurer une meilleure coordination des politiques économiques en Europe et de faire prévaloir des politiques plus coopératives entre des États liés par une destinée politique commune. Il a estimé que la politique budgétaire annoncée par le gouvernement hypothéquait le dynamisme de la consommation des ménages, tant par son orientation restrictive que par le choix de sacrifier les catégories de la population ayant le plus besoin du soutien de l'État. Il a enfin regretté qu'une forte proportion des Français ait des difficultés pour accéder au crédit.

Sur ce dernier point, M. Joël Bourdin , rapporteur , a souhaité souligner la contribution très positive des mesures prises par le précédent ministre de l'économie et des finances pour faire circuler davantage de liquidités dans la mécanique de l'économie française.

M. Gérard Bailly s'est inquiété des perspectives du pouvoir d'achat des ménages et a déploré l'endettement excessif de la France. Il s'est enfin inquiété des perspectives des prix de l'immobilier.

M. Joël Bourdin , rapporteur , a observé que la modération salariale était une condition impérative d'une croissance équilibrée. Il a remarqué que si l'État était endetté, il n'en allait pas de même de la France, qui avait accumulé des capacités de financement au cours des dernières années. Il a insisté sur la nécessité de voir les agents privés prendre le relais de l'État si celui-ci devait s'orienter vers une réépargne, en réduisant les déficits et la dette publique.

M. Jean-Pierre Plancade s'est interrogé sur la représentativité des outils de mesure du pouvoir d'achat des ménages. Il a souligné que les catégories sociales les plus handicapées ne ressentaient pas les progressions du pouvoir d'achat décrites par les indicateurs macroéconomiques.

M. Joseph Kergueris a, sur ce point, remarqué que les approches par catégories sociales étaient évolutives et qu'il convenait de tenir compte des transformations démographiques, en particulier de l'importance grandissante des familles monoparentales, pour mesurer le pouvoir d'achat tel qu'il est réellement perçu.

M. Joël Bourdin , rapporteur , a rappelé que, dans le précédent rapport sur le moyen terme adopté par la délégation, ces questions de méthode avaient été étudiées. Il a remarqué que, désormais, l'attention se portait plus qu'avant sur la mesure du pouvoir d'achat de chaque ménage, alors qu'auparavant, seul, le pouvoir d'achat de l'ensemble des ménages était couramment évoqué.

La délégation a alors donné un avis favorable unanime à la publication du rapport d'information sur les perspectives économiques et des finances publiques à l'horizon 2010, de M. Joël Bourdin, rapporteur.

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