3. Une question en suspens : les relations Etat/collectivités territoriales

Si l'Etat est responsable de la mise en oeuvre du droit communautaire devant la Commission européenne, certaines décisions d'application relèvent toutefois d'autres collectivités, ce qui amène à s'interroger sur leur participation financière.

Lors de sa communication devant le comité interministériel sur l'Europe du lundi 6 février 2006, la ministre de l'écologie et du développement durable, Mme Nelly Olin, a ainsi suggéré « que le Gouvernement saisisse le Conseil d'Etat de la question de l' inscription des pénalités au budget des collectivités territoriales , pour faire suite au rapport qu'il a publié en 2003 sur la responsabilité des collectivités territoriales face à leurs obligations communautaires, avant qu'une trop grande part des budgets déjà si contraints de nos départements ministériels ne soient grevés de pénalités par ailleurs insoutenables ».

Votre rapporteur spécial est très réservé sur cette proposition, dans la mesure où les collectivités territoriales sont très peu, voire pas, associées au processus décisionnel en amont , ainsi que le Conseil d'Etat l'avait également relevé dans son rapport d'octobre 2003 10 ( * ) . Les membres de la direction générale de l'environnement de la Commission européenne rencontrés par votre rapporteur spécial ont également souligné l'absence d'association des collectivités territoriales lors des réunions techniques d'application des textes.

L'analyse menée par le Conseil d'Etat sur la prise en compte des collectivités territoriales dans le processus d'élaboration des normes communautaires

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• L'impact des projets de textes communautaires sur les collectivités territoriales n'est pas suffisamment mesuré

« Ceci se vérifie dans la présentation des projets de texte par la Commission qui ne compte pas d'évaluation des conséquences que ces derniers pourront avoir sur les collectivités territoriales des différents Etats membres. Même les réflexions prospectives de la Commission, qui prennent la forme de « livres verts » et de « livres blancs », sont encore trop peu l'occasion d'appréhender cet impact.

« Une telle mesure n'est pas davantage effectuée par les administrations françaises, pourtant mieux placées pour s'y livrer, lorsqu'elles reçoivent ces projets. Il est vrai qu'aucun texte n'en crée l'obligation. Cette situation s'accompagne de la mise en évidence d'une double difficulté rencontrée par certains services dans leurs efforts entrepris dans cette voie : difficulté pour faire remonter les informations pertinentes sur ce sujet en provenance des services déconcentrés compétents, difficulté d'obtenir que les données disponibles soient prises en compte dans la réflexion interministérielle.

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• Les collectivités territoriales françaises sont peu associées à l'examen des textes communautaires

« [...] Les procédures nationales d' élaboration des positions françaises sur les projets de textes communautaires ne permettent de tenir compte que très indirectement des positions des collectivités locales. Celles-ci ne sont pas présentes ni représentées en tant que telles dans le cadre de la coordination ministérielle et interministérielle sur les questions communautaires à Paris. En effet, aucun texte ne prévoit de les associer à ce processus. De plus, aucun ministère n'a vocation à s'exprimer en leur nom. S'il existe au Quai d'Orsay un diplomate « délégué aux collectivités territoriales », celui-ci qui n'est pas un représentant des collectivités territoriales, ne suit pas les négociations communautaires. Un chargé de mission « collectivités territoriales » avait bien été nommé au SGCI mais il n'est resté en fonction que quelques semaines. Les collectivités territoriales, même métropolitaines, ne sont pas non plus consultées sur les projets de textes susceptibles d'avoir un impact sur les conditions d'exercice de leurs compétences avant que cette coordination ait lieu. Les collectivités d'outre-mer font, en revanche, figure d'exception. Ainsi, l'article 68 de la loi organique portant statut de la Polynésie française, s'inspirant de l'article 88-4 de la Constitution, prévoit que les projets d'actes communautaires comportant des dispositions de nature législative et qui concernent l'accord d'association du territoire avec la Communauté européenne sont transmis pour consultation à l'assemblée de ce territoire. De façon plus générale 1 , cette assemblée peut transmettre au gouvernement des propositions de modifications ou d'adaptations des lois en vigueur ou en cours d'élaboration qui concernent les compétences, l'organisation et le fonctionnement de l'ensemble des collectivités territoriales. Le congrès de Nouvelle-Calédonie dispose de la même faculté 2 .

« Les seuls qui peuvent se faire aujourd'hui les porte-parole des collectivités territoriales sont les membres du Parlement détenant également un mandat local, dans le cadre de la procédure de l'article 88-4 de la Constitution.

« Ce constat vaut aussi pour les discussions à Bruxelles.

« A la différence de la pratique d'autres Etats membres 3 les délégations françaises dans les groupes de travail au Conseil ne comprennent pas de représentant des collectivités territoriales. Lorsqu'une procédure pré-contentieuse lancée par la Commission porte sur des agissements reprochés à une collectivité territoriale, celle-ci n'est pas associée aux échanges qui ont lieu avec la Commission à ce sujet. Par ailleurs, la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne ne comprend pas d'agent spécifiquement en charge des questions préoccupant les collectivités territoriales et traitées au cours des négociations communautaires, même si elle développe de plus en plus de contacts avec les bureaux de représentation des collectivités territoriales françaises, chaque année plus nombreux.

« Cette association limitée, qui correspond à une prise en compte imparfaite du rôle joué par les collectivités territoriales dans la mise en oeuvre du droit communautaire, ne contribue pas à une bonne connaissance des obligations communautaires par les collectivités territoriales et peut favoriser des manquements de leur part ».

1. Article 70 alinéa 1 er de la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la Polynésie française : « Dans les matières de la compétence de l'Etat, l'assemblée de la Polynésie française peut adopter des voeux tendant soit à étendre des lois ou règlements métropolitains, soit à abroger, modifier ou compléter les dispositions législatives ou réglementaires applicables au territoire... En métropole, la collectivité territoriale de Corse dispose d'une possibilité comparable (codifiée aux articles L. 4422-16-1 et III CGCT) ».

2. Article 91 de la loi organique n° 99-209 relative à la Nouvelle-Calédonie : « Dans les matières qui relèvent de la compétence de l'Etat, le congrès peut adopter des résolutions demandant que soient complétées, modifiées ou abrogées les dispositions législatives ou réglementaires applicables en Nouvelle-Calédonie... »

3. La participation d'un représentant des collectivités locales à la délégation nationale est notamment prévue dans les textes constitutionnels des Etats fédéraux de l'UE (Allemagne, Autriche, Belgique), mais elle existe dans d'autres pays, comme au Royaume-Uni.

Source : Conseil d'Etat, « Collectivités territoriales et obligations communautaires », octobre 2003.

Il convient toutefois de signaler que, depuis lors, dans sa circulaire du 19 décembre 2005 relative à l'association du Parlement, des collectivités territoriales, des partenaires sociaux et de la société civile aux processus de décision européens, le Premier ministre a demandé aux ministres et ministres délégués « de mettre en place rapidement ou de renforcer les actions suivantes » :

« 1. Vous devrez inviter les assemblées locales à débattre des questions européennes dans le cadre de leurs compétences.

« 2. Vous devrez consulter plus systématiquement les associations d'élus sur les projets de textes européens.

« 3. Vous bénéficierez à cet effet d'une réorganisation de la fonction de veille du secrétariat général des affaires européennes et de la représentation permanente pour que l'interface entre les autorités européennes et les collectivités territoriales sur les questions européennes soit mieux assurée ».

Votre rapporteur spécial estime que le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, a un rôle essentiel à jouer pour assurer l'interface entre ces dernières et les institutions européennes.

En tout état de cause, l'analyse consistant à examiner les possibilités d'actions récursoires à l'encontre des collectivités territoriales à raison des manquements au droit communautaire ne saurait être menée sans prendre en compte le déficit d'implication de ces collectivités dans le processus d'élaboration de ces textes.

* 10 Conseil d'Etat, section du rapport et des études, « Collectivités territoriales et obligations communautaires », étude adoptée le 23 octobre 2003 par l'assemblée générale du Conseil d'Etat.

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