V. L'ETANG DE BERRE : UNE QUESTION D'APPLICATION D'UNE CONVENTION INTERNATIONALE À TRAVERS LE DROIT COMMUNAUTAIRE

D'une superficie de 15.000 hectares et d'un volume d'eau de 900 millions de m 3 , l'étang de Berre est un étang d'eau salée en communication directe avec la mer Méditerranée par le canal de Caronte.

Le litige provient des apports d'eau douce venant de la Durance et de limon rejetés artificiellement dans l'étang de Berre à chaque mise en fonctionnement des turbines de la centrale hydroélectrique de Saint-Chamas, exploitée par EDF.

En effet, la Commission avait été saisie d'une plainte d'un collectif de pêcheurs, à laquelle elle a donné suite, estimant que la France :

- n'avait pas pris toutes les mesures appropriées pour prévenir, réduire et combattre la pollution massive et prolongée de l'étang de Berre, et

- avait omis de tenir dûment compte des prescriptions de l'annexe III du protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d'origine tellurique , signé à Athènes le 17 mai 1980, approuvé au nom de la Communauté économique européenne par la décision 83/101/CEE du Conseil, du 28 février 1983, par une modification de l'autorisation de rejets de substances relevant de l'annexe II du protocole à la suite de la conclusion de celui-ci.

La Commission concluait que la République française avait manqué aux obligations qui lui incombaient en application des articles 4, paragraphe 1, et 8 de la convention pour la protection de la mer Méditerranée contre la pollution , signée à Barcelone le 16 février 1976 (ci-après désignée comme « convention de Barcelone »), approuvée au nom de la Communauté économique européenne par la décision 77/585/CEE du Conseil, du 25 juillet 1977, et de l'article 6, paragraphes 1 et 3, du protocole, ainsi que de l'article 300, paragraphe 7, CE.

Il ne s'agissait donc pas d'appliquer directement du droit communautaire, mais des conventions internationales approuvées au nom de la Communauté, ce qui soulevait une question de droit. Or la Cour de justice, dans son arrêt du 7 octobre 2004 18 ( * ) , a jugé que l'application des articles précités de la convention de Barcelone et du protocole d'Athènes « s'inscrit dans le cadre communautaire dès lors que ces articles figurent dans des accords mixtes conclus par la Communauté et par ses Etats membres et concernent un domaine largement couvert par le droit communautaire. La Cour, saisie au titre de l'article 226 CE, est donc compétente pour en apprécier le respect par un Etat membre ».

Les stipulations en cause

1. Les stipulations de la convention de Barcelone

L'article 2, (a)), de la convention définit le terme « pollution » comme « l'introduction directe ou indirecte, par l'homme, de substances ou d'énergie dans le milieu marin, lorsqu'elle a des effets nuisibles tels que dommages aux ressources biologiques, risques pour la santé de l'homme, entraves aux activités maritimes, y compris la pêche, altération de la qualité de l'eau de mer du point de vue de son utilisation, et dégradation des valeurs d'agrément ».

Aux termes de l'article 4, paragraphe 1, de la convention, « les parties contractantes prennent individuellement ou conjointement toutes mesures appropriées conformes aux dispositions de la présente convention et des protocoles en vigueur auxquels elles sont parties pour prévenir, réduire et combattre la pollution dans la zone de la mer Méditerranée et pour protéger et améliorer le milieu marin dans cette zone ».

Son article 8 stipule que « les parties contractantes prennent toutes mesures appropriées pour prévenir, réduire et combattre la pollution de la zone de la mer Méditerranée due aux déversements par les fleuves, les établissements côtiers ou les émissaires, ou émanant de toute autre source située sur le territoire ».

2. Les stipulations du protocole d'Athènes

L'article 1 er du protocole prévoit que « les parties contractantes [...] prennent toutes mesures appropriées pour prévenir, réduire, combattre et maîtriser la pollution de la zone de la mer Méditerranée due aux déversements par les fleuves, les établissements côtiers ou les émissaires, ou émanant de toute autre source terrestre située sur leur territoire ».

Son article 3 précise que la zone d'application du protocole comprend les étangs salés communiquant avec la mer.

Son article 4, paragraphe 1 (a)), prévoit que le protocole s'applique « aux rejets polluants provenant de sources terrestres situées sur le territoire des parties et qui atteignent la zone du protocole, en particulier, directement, par des émissaires en mer ou par dépôt ou déversements effectués sur la côte ou à partir de celle-ci, indirectement, par l'intermédiaire des fleuves, canaux ou autres cours d'eau, y compris des cours d'eau souterrains, ou du ruissellement ».

Aux termes de l'article 6, paragraphes 1 et 3, du protocole:

« 1. Les parties s'engagent à réduire rigoureusement la pollution d'origine tellurique de la zone du protocole par les substances ou sources énumérées à l'annexe II au présent protocole . [...]

« 3. Les rejets sont strictement subordonnés à la délivrance, par les autorités nationales compétentes, d'une autorisation tenant dûment compte des dispositions de son annexe III ».

Par son arrêt du 7 octobre 2004, la Cour de justice a condamné la France pour manquement aux obligations résultant de l'application du protocole d'Athènes, en retenant deux griefs :

- l'absence d'autorisation de rejet ;

- l'absence de réduction rigoureuse de la pollution issue de la centrale hydroélectrique EDF.

De nombreux échanges entre la France et la Commission européenne ont eu lieu depuis cette date, la Commission ayant, après les propositions formulées par la France en février 2005, décidé d'adresser une lettre de mise en demeure en décembre 2005.

S'agissant du premier grief, la France a annoncé la parution d'un décret modifiant le contrat de concession des usines de Salon et de Saint-Chamas, valant autorisation au titre du protocole d'Athènes. Ce grief devrait donc tomber.

Répondre au second grief représente en revanche des difficultés plus grandes. Dans sa note du 11 février 2005, la France proposait :

- de surveiller la salinité des rejets de l'usine, afin de lisser les rejets (seuil minimal de 15g/l sur une moyenne hebdomadaire) sans diminuer le plafond annuel de rejet dans la phase d'expérimentation, qui serait donc maintenu à 2,1 milliards de m 3 ;

- de limiter les rejets de limons à 60.000 t/an, hors dérivation pour l'écrêtement des crues ;

- d'assurer un suivi des substances rejetées.

Une expérimentation serait menée pendant 4 ans, afin de suivre et d'évaluer les effets des mesures prises selon un dispositif renforcé, intégrant notamment un groupe d'experts internationaux. A l'issue de ces quatre années, un bilan serait produit et, le cas échéant, des modifications de gestion seraient adoptées si elles se révélaient nécessaires à l'atteinte des objectifs de restauration des milieux naturels abrités par l'étang.

Les derniers échanges font apparaître la volonté de la France de trouver une solution à ce dossier, même si elle conteste, sur le fond, certaines positions de la Commission, notamment s'agissant de la base de référence de la salinité de l'étang.

La position de la France fait apparaître le souhait de trouver un compromis tout en ménageant les usages industriels actuels, en s'appuyant sur le bénéfice environnemental global. Ainsi, les dernières échanges entre la France et la Commission relèvent que les rejets d'eau ayant été identifiés comme « perturbant les conditions écologiques du biotope de l'étang », les autorités françaises « proposent, en prenant en compte le bilan écologique global de la région, une réduction complémentaire du volume d'eau annuel rejeté dans l'étang. Cette réduction entre 400 et 700 millions de m 3 devrait se traduire par l'introduction, dans le décret spécifiant les contraintes de gestion des usines hydroélectriques, d'un plafond annuel de rejet entre 1,4 et 1,7 milliard de m 3 , en sus des dispositions d'ores et déjà appliquées. Un quota pluriannuel pourra également être introduit sous la forme d'une limite des volumes d'eau rejetés pour une période glissante de 4 ans. Ce nouveau quota de rejet d'eau douce constituera un nouvel effort de réduction stricte de la pollution de l'étang de Berre, mais il devra également être fixé au regard de la quantification des bénéfices écologiques pour l'étang, de l'impact sur l'émission de carbone et de l'impact sur la basse Durance des restitutions supplémentaires . En effet, il convient notamment de trouver le meilleur compromis qui doit prendre en compte une réduction des apports de pollutions dans l'étang, mais aussi, autant que cela peut se faire, la production d'énergie renouvelable, et la réduction corrélative des émissions de CO 2 , qui constituent aussi des enjeux environnementaux européens très forts . Une réduction de 100 millions de m 3 du rejet d'eau douce dans l'étang implique une perte de 27 GWh, qui équivaut, compte tenu des moyens de productions énergétiques disponibles dans la région pour assurer la sécurité d'approvisionnement en électricité, à une augmentation des émissions de CO 2 dans l'atmosphère de plus de 15.000 tonnes. Les autorités françaises considèrent qu'une limite de 1,7 constitue un bon équilibre entre l'ensemble de ces considérations ».

La même note, datée du 28 février 2006, indique que, « au-delà de la stricte exécution de l'arrêt rendu par la Cour de justice des communautés européennes, et au vu des difficultés rencontrées afin de prendre en compte toutes les contraintes existantes et les impacts des décisions prises et les usages sur la zone de l'étang, les autorités françaises proposent de lancer un projet de gestion intégrée des zones côtières sur une zone qui pourrait comprendre l'étang de Berre, la rade de Marseille et le golfe de Fos. Ce projet, qui rentrerait dans le cadre du projet de protocole sur la gestion intégrée des zones côtières dans le cadre de la Convention de Barcelone, permettrait notamment de concilier les usages et d'intégrer les actions de préservation de l'environnement ».

* 18 Affaire C-239/03.

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