N° 365

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006

Annexe au procès-verbal de la séance du 18 mai 2006

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation pour l'Union européenne (1) sur une meilleure implication de l'ensemble des sénateurs dans l' examen des questions européennes,

Par M. Jean BIZET,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; MM. Denis Badré, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Bernard Frimat, Simon Sutour, vice-présidents ; MM. Robert Bret, Aymeri de Montesquiou, secrétaires ; MM.  Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Yannick Bodin, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Louis de Broissia, Gérard César, Christian Cointat, Robert del Picchia, Marcel Deneux, André Dulait, Pierre Fauchon, André Ferrand, Yann Gaillard, Paul Girod, Mmes Marie-Thérèse Hermange, Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Gérard Le Cam, Louis Le Pensec, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Yves Pozzo di Borgo, Roland Ries, Mme Catherine Tasca, MM. Alex Türk, Serge Vinçon.

Union européenne.

Une des grandes leçons du référendum du 29 mai, c'est la nécessité de rapprocher l'Europe des citoyens. Beaucoup d'électeurs ne se retrouvent pas dans une Europe qui leur paraît souvent difficile à comprendre, voire opaque, et trop peu à l'écoute de leurs préoccupations. Et chacun a pu constater, durant le débat référendaire, que les bases de la construction européenne restaient mal connues. Par exemple, certains articles de la Constitution européenne qui étaient la pure et simple reprise de dispositions en vigueur depuis des décennies sont apparus comme la marque d'un tournant de la construction européenne.

De ce constat, on peut tirer deux conclusions :

- la première est qu'il faut mieux relayer les préoccupations de nos concitoyens auprès des institutions européennes ;

- la seconde est qu'il faut une meilleure information sur l'Europe, davantage d'explications, davantage de débats permettant aux citoyens de mieux cerner les enjeux.

Naturellement, ce n'est pas seulement au Parlement qu'il incombe de répondre à ces préoccupations. Le Gouvernement, les médias ont bien sûr un très grand rôle à jouer à cet égard. Mais nous, parlementaires, avons aussi une responsabilité à exercer. En effet, comment espérer intéresser nos concitoyens à la construction européenne, si les parlementaires qui les représentent ne s'y intéressent pas eux-mêmes ? Or, les questions européennes continuent à rester à part dans les travaux parlementaires, presque marginales, alors qu'en réalité elles ont aujourd'hui une influence déterminante sur les questions nationales.

Nous ne pouvons nous contenter d'avoir, au Sénat, une délégation pour l'Union européenne où se retrouvent en quelque sorte les « spécialistes de l'Europe », tandis que les questions européennes n'occupent qu'une place très réduite dans les travaux des commissions permanentes, et plus réduite encore dans les travaux en séance publique. Je vais donner un exemple personnel. S'il y a un texte européen qui a été débattu par le Sénat, c'est bien la directive Bolkestein, examinée par la délégation pour l'Union européenne, puis par la commission des affaires économiques, puis par la séance publique, avec adoption d'une résolution. Deux mois plus tard, le Gouvernement a déposé, à l'occasion du débat sur le projet de loi en faveur des petites et moyennes entreprises, un amendement qui donnait satisfaction à l'une des demandes formulées dans la résolution du Sénat. Je suis intervenu dans le débat pour m'en féliciter, mais je dois dire que mon intervention n'a guère eu d'écho : ni le Gouvernement, ni la commission compétente du Sénat ne semblaient voir le moindre lien avec la résolution que le Sénat avait adoptée en séance plénière à propos de la directive Bolkestein. On voit par cet exemple que nous n'arrivons pas à faire le lien entre les questions européennes et les questions nationales, alors qu'aujourd'hui elles sont très souvent inséparables. C'est là un défi qu'il nous faut aujourd'hui relever.

I. LE CONSTAT : UN DÉBAT EUROPÉEN TROP DISTINCT DU DÉBAT NATIONAL

Certes, nous avons fait de grands progrès au cours de la dernière décennie. Avant 1992, les affaires européennes étaient traitées par le parlement français comme des affaires étrangères . L'Assemblée nationale et le Sénat restaient presque indifférents à l'élaboration des textes européens et ne prenaient vraiment conscience de leur existence qu'au moment de leur transposition en droit interne.

Aujourd'hui, le système mis en place permet aux parlementaires français :

- de prendre connaissance, dès leur origine, de tous les projets de textes européens de nature à influer sur la législation française,

- d'analyser ces textes,

- de procéder à un tri afin de distinguer ceux qui ont une réelle importance politique ou juridique,

- enfin, d'examiner ces derniers en profondeur, de dialoguer à leur propos avec le Gouvernement et de lui faire connaître le sentiment de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Il est indéniable que nous avons aujourd'hui un système parlementaire d'examen des propositions de textes européens satisfaisant. Le Parlement français est ainsi un des rares - avec les parlements britannique et finlandais - à examiner tous les documents européens qui leur sont soumis. Toutefois, si le parlement français - et notamment le Sénat - examine effectivement les textes européens, on doit constater que le débat européen au Sénat - comme à l'Assemblée nationale - reste aujourd'hui trop distinct du débat sur les questions nationales .

En d'autres termes, le Sénat a franchi une première étape dans la mesure où il ne considère plus les affaires européennes comme des affaires étrangères, mais il ne parvient pas encore à franchir l'étape suivante et à les considérer comme des affaires intérieures . Or, l'interaction entre décisions européennes et décisions nationales est telle aujourd'hui qu'il n'est que rarement possible d'isoler les unes des autres et de traiter les secondes en ignorant les premières.

J'en tire la conclusion que notre but prioritaire doit être de trouver des moyens d'intéresser l'ensemble de nos collègues, et donc l'ensemble des organes du Sénat aux questions européennes .

Ce n'est pas un problème facile à résoudre. Et ce n'est pas une question qui ne se pose qu'au Parlement. Le Gouvernement lui-même peine à y apporter une réponse et nous avons pu constater que nombre de ministres n'ont qu'une connaissance très approximative et un intérêt très relatif pour les travaux qui sont menés à Bruxelles dans leur domaine d'attribution. Ce n'est souvent que tardivement qu'ils prennent la mesure des répercussions qu'auront en France les décisions qui sont préparées au sein des groupes de travail du Conseil ou du COREPER. Et chacun sait que, bien souvent, lorsque le débat arrive devant le Conseil de l'Union, c'est-à-dire devant les ministres eux-mêmes, beaucoup de points essentiels sont déjà définitivement arrêtés. À cet égard, la réanimation récente du Comité interministériel pour les questions européennes paraît une heureuse initiative. Il devrait permettre de sensibiliser les ministres aux travaux menés au sein de l'Union et les amener à intégrer ceux-ci dans leurs propres réflexions.

Cette relégation des affaires européennes n'est d'ailleurs pas le privilège des organes de l'État et l'on en découvre tout aussi bien la manifestation dans le monde des affaires. Un rapport récent de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris soulignait ainsi que « les affaires européennes n'innervent pas encore toute la structure de l'entreprise. Elles restent l'apanage de quelques directions. Nombre de responsables dans les entreprises s'étonnent encore de la facilité avec laquelle on peut rencontrer des fonctionnaires européens et faire valoir ses idées » .

Et, pour revenir au monde parlementaire, notre collègue député Michel Herbillon, dans le rapport qu'il a remis au Premier ministre sur « la fracture européenne » , souligne bien qu'il n'y a pas d'« exception française » pour le traitement - on pourrait dire le mauvais traitement - des questions européennes. Mais, inversement, certains pays sont parvenus à des formules de contrôle parlementaire plus convaincantes que la nôtre : les pays nordiques d'abord, qui sont souvent cités en exemple, mais aussi, plus comparables à nous, la Grande-Bretagne ou l'Allemagne.

Au cours des deux dernières années, beaucoup d'États membres ont, dans la perspective de l'application du traité constitutionnel, mené des réflexions sur leur système de suivi parlementaire des questions européennes. Les parlements danois, finlandais, néerlandais et britannique ont ainsi - souvent en association étroite avec leurs gouvernements - analysé leurs systèmes en en faisant ressortir les points forts et en formulant des propositions pour remédier aux insuffisances. Or, il est intéressant de noter que nombre des préoccupations qu'ils évoquent rejoignent les nôtres.

Marquant sa volonté de mieux intégrer la politique européenne dans les travaux politiques du Folketing, le parlement danois s'est réjoui ainsi d'avoir obtenu une meilleure information de son gouvernement et une meilleure implication de ses commissions sectorielles. Soulignant que la mission de la commission européenne du Folketing est d'assurer l'unité et la cohérence dans le traitement des affaires européennes par le Folketing, il a souhaité que la présentation des questions européennes par les ministres évite les détails techniques, qu'elles soient brèves et qu'elles aient un caractère politique.

Le parlement britannique a insisté, quant à lui, sur la nécessité de se prononcer sur les textes européens le plus vite possible ainsi que sur l'importance d'un dialogue et d'une étroite coopération avec les ministres compétents.

Quant au parlement finlandais, il apparaît comme un véritable modèle de l'imbrication réussie des affaires européennes dans les affaires nationales. Tout projet de texte européen entrant dans le champ de compétences du législateur national est accompagné d'une communication du Gouvernement qui a été approuvée lors d'une réunion plénière de ce dernier, ce qui a pour effet de susciter une coordination interministérielle dès le début du processus. Et tout projet de texte européen est renvoyé à la commission spécialisée compétente qui est obligée d'émettre un avis qu'elle transmet à la Grande commission en sorte que cette dernière arrête une position. On voit là un exemple parfait d'un traitement des affaires européennes à l'égal du traitement des affaires nationales.

Il n'est évidemment pas question de transposer telles quelles dans notre pays ces expériences, qui sont liées à tout un contexte institutionnel. Mais on voit bien que le souci général est, d'une part, de mieux associer l'ensemble des parlementaires, et, d'autre part, d'obtenir un dialogue politique approfondi et effectif avec le Gouvernement.

C'est dans cet esprit qu'il convient de formuler des propositions concernant :

- la procédure d'examen des projets de textes européens, c'est-à-dire la procédure de l'article 88-4 de la Constitution,

- les débats européens en séance plénière.

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