III. LE DÉVELOPPEMENT DES NOUVELLES FORMES DE STRUCTURES FAMILIALES, MONOPARENTALES OU RECOMPOSÉES, POSE LA QUESTION D'UNE ADAPTATION D'UN DROIT DE LA FAMILLE ENCORE LARGEMENT FONDÉ SUR LE MODÈLE FAMILIAL TRADITIONNEL

Au cours des dernières décennies, le droit de la famille a considérablement évolué dans le sens de l'égalité entre les femmes et les hommes au sein du couple, ainsi que de la coparentalité qui se traduit par un exercice conjoint de l'autorité parentale par les deux parents. Initiée par la loi du 4 juin 1970 qui a substitué l'autorité parentale à la notion ancienne de « puissance paternelle », cette évolution a été marquée par quelques grandes étapes : loi du 3 janvier 1972 sur la filiation, réforme du divorce par la loi du 11 juillet 1975, institution puis généralisation de l'autorité parentale conjointe par les lois des 22 juillet 1987 et 8 janvier 1993, consécration du principe de la coparentalité et institution de la résidence alternée par la loi du 4 mars 2002, nouvelle réforme du divorce par la loi du 26 mai 2004.

Cependant, le droit de la famille reste très largement fondé sur le modèle familial traditionnel que représente un couple marié avec des enfants. Ainsi que l'a souligné devant la délégation M. Marc Guillaume, directeur des affaires civiles et du Sceau au ministère de la justice, le mariage reste le seul fondement juridique de l'institution familiale, même si la loi du 15 novembre 1999 a reconnu le concubinage dans le code civil et institué une relation contractuelle ouverte aux couples hétérosexuels ou homosexuels, le pacte civil de solidarité (PACS).

Or, alors qu'on constate un accroissement constant de la proportion des couples non mariés et des naissances hors mariage - près d'une naissance sur deux aujourd'hui -, les couples, mariés ou non, sont moins stables qu'autrefois et les divorces ou les séparations se multiplient. Ces évolutions, qui entraînent l'augmentation du nombre des familles monoparentales, puis de fréquentes recompositions familiales, soulèvent la question de l'adaptation d'un code civil construit sur la base de l'institution du mariage.

Au cours de son audition devant la délégation, Mme Josèphe Mercier, présidente de la Fédération nationale Solidarité femmes, a considéré que le législateur conservait du modèle familial une conception traditionnelle reposant sur le mariage d'un homme et d'une femme qui ont ensuite des enfants. Selon elle, cette conception ne serait plus adaptée à la réalité de la société française actuelle.

L'évolution du droit civil ne doit-elle pas en effet se poursuivre pour prendre en compte les transformations sociologiques très rapides de la cellule familiale ?

Les familles monoparentales et plus encore les familles recomposées, rencontrent en effet de nombreuses difficultés juridiques.

D'une part, l'exercice conjoint de l'autorité parentale après une séparation ne va pas sans difficultés, d'ailleurs d'autant plus sensibles que la séparation du couple a été conflictuelle, ainsi que l'ont souligné de nombreux intervenants au cours des auditions de la délégation. Le modèle de la coparentalité rencontre là ses limites, comme l'illustre notamment le débat sur la résidence alternée qui apparaît aujourd'hui comme un mode de garde très controversé. Ainsi que l'a par exemple fait observer M. Didier Le Gall, sociologue, au cours de son audition devant la délégation, la coparentalité repose sur l'idée que « le couple parental peut survivre au couple conjugal » et que les parents doivent continuer à s'entendre pour gérer l'éducation de leurs enfants, alors même qu'ils sont séparés et que leurs relations sont susceptibles de rester conflictuelles.

D'autre part, le développement des familles recomposées ne va pas sans poser la question, particulièrement délicate, d'une prise en compte juridique de la place du beau-parent et de ses liens avec ses beaux-enfants, sujet marqué par un « relatif silence du code civil », selon M. Didier Le Gall. Comme l'ont souligné plusieurs personnes entendues par la délégation, le beau-parent n'a en effet aucun lien de droit avec l'enfant de son conjoint ou compagnon et reste considéré par le code civil comme un tiers à son égard, sauf dans l'éventualité, au demeurant assez rare dans la pratique, où il l'a adopté.

A. LES LIMITES DE LA COPARENTALITÉ : DE NOMBREUSES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES DANS L'EXERCICE CONJOINT DE L'AUTORITÉ PARENTALE APRÈS LA SÉPARATION

La loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale a achevé la consécration de la coparentalité , fondée sur l'idée qu'il est dans l'intérêt de l'enfant d'être élevé par ses deux parents.

En effet, l'article 372 du code civil dispose que « les père et mère exercent en commun l'autorité parentale » , cette règle générale n'étant écartée que dans deux exceptions : lorsque la filiation a été établie à l'égard d'un parent plus d'un an après la naissance de l'enfant ou lorsque la filiation a été judiciairement déclarée à l'égard du second parent.

Ce principe général de l'exercice conjoint de l'autorité parentale s'applique aux couples mariés comme aux couples non mariés, de même qu'aux couples divorcés ou séparés . En effet, aux termes de l'article 373-2 du code civil, « la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l'exercice de l'autorité parentale » , étant précisé que « chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l'enfant et respecter les liens de celui-ci avec l'autre parent » .

Dans la pratique, comme l'a constaté au cours de son audition devant la délégation Mme Morgane Le Douarin, juge aux affaires familiales au tribunal de grande instance de Paris, 25 % des enfants, soit environ trois millions, vivent avec un seul de leurs parents. Parmi ces enfants, 85 % vivent avec leur mère et 34 % ne voient jamais leur père, même si, selon Mme Morgane Le Douarin, ces pères ne doivent pas nécessairement être considérés comme « démissionnaires ».

Les auditions de la délégation ont fait apparaître que l'exercice conjoint de l'autorité parentale après la séparation suscite bien souvent des difficultés touchant au premier chef les femmes qui vivent très majoritairement avec leurs enfants, contrairement aux hommes .

En effet, la résidence alternée, forme la plus achevée de la coparentalité, n'a connu pour l'instant qu'un développement limité et ne semble pas convenir à tous les enfants. Dans la grande majorité des cas, la résidence de l'enfant est encore fixée chez la mère.

Des difficultés relatives à l'exercice de l'autorité parentale sont bien souvent rencontrées, notamment en ce qui concerne l'exercice du droit de visite et d'hébergement par le parent non gardien de l'enfant, ainsi que le respect par celui-ci de son obligation alimentaire. Ces difficultés sont d'autant plus fréquentes que les relations entre les parents demeurent conflictuelles, par exemple à la suite de violences conjugales, ce qui est encore trop souvent le cas, le recours à la médiation familiale restant par ailleurs insuffisamment développé.

1. La résidence alternée : un mode de garde contesté à encadrer plus strictement

a) Un dispositif récent consacrant la forme la plus achevée de la coparentalité

La résidence alternée correspond à la forme la plus achevée de la coparentalité puisqu'elle permet une répartition équitable de la durée de garde de l'enfant entre la mère et le père en cas de séparation des parents.

Pratiquée depuis longtemps dans certains pays étrangers (Etats-Unis, Canada, Suède, Italie), elle n'a été autorisée que récemment par le droit civil français.

C'est en effet la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale qui a supprimé l'exigence d'une « résidence habituelle » de l'enfant chez l'un ou l'autre parent et expressément reconnu la possibilité d'une résidence alternée . Aux termes de l'article 373-2-9 du code civil, dans sa rédaction issue de cette loi, « la résidence de l'enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l'un d'eux ».

Auparavant, ce mode de garde alternée, parfois déjà mis en place dans les faits, avait été condamné par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui par deux arrêts rendus en 1983 et 1984, avait admis la garde conjointe par les deux parents, mais interdit la garde alternée 29 ( * ) , même si certaines juridictions du fond avaient admis en pratique l'attribution d'un droit de visite et d'hébergement très large au parent chez qui l'enfant ne résidait pas habituellement, équivalant en fait à un partage de l'hébergement.

Désormais, le code civil prévoit expressément que le juge aux affaires familiales peut ordonner une résidence en alternance à titre provisoire, puis à titre définitif, à la demande des parents, mais aussi en cas de désaccord entre eux . Lors des travaux préparatoires de la loi du 4 mars 2002, le législateur avait en effet souhaité que l'un des parents ne puisse pas disposer en la matière d'un droit de veto qui aurait risqué d'être utilisé systématiquement par la mère, chez laquelle le juge fixe le plus souvent la résidence de l'enfant.

La décision est en tout état de cause toujours laissée à l'appréciation du juge. Comme pour les autres mesures relatives à l'autorité parentale, le juge doit statuer en fonction de « l'intérêt de l'enfant » , en prenant notamment en considération, en application de l'article 373-2-11 du code civil, la pratique antérieurement suivie par les parents, les souhaits exprimés par l'enfant, l'aptitude de chacun des parents et le résultat d'éventuelles expertises et enquêtes sociales.

* 29 Cour de cassation - 2 ème chambre civile - 21 mars 1983 et 2 mai 1984

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