TABLE RONDE N° 2 - LES OUTILS D'INSERTION : FACILITER LEUR DÉVELOPPEMENT

La table ronde est présidée par :

Jean-Paul EMORINE , sénateur de Saône-et-Loire, président de la commission des affaires économiques, et Nicolas ABOUT , sénateur des Yvelines, président de la commission des affaires sociales.

Le débat est ouvert par :

Florence LEFRESNE , économiste, membre du groupe emploi de l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES).

Interviennent comme grands témoins :

- Christian LURSON , directeur des ressources humaines de SODEXHO France ;

- Charlotte DUDA , directeur des ressources humaines de Stream International, présidente de l'Association nationale des directeurs et cadres de la fonction personnel (ANDCP) ;

- Mansour ZOBERI , directeur de la politique de la ville, de la solidarité et de l'égalité des chances à la direction des ressources humaines de Casino ;

- Jean-Claude BOURRELIER , président-directeur général de Bricorama.

Interviennent comme grands questionneurs :

- Jean-Georges RAYNAUD , directeur des ressources humaines de la holding Pernod Ricard ;

- Bruno JULLIARD , président de l'Union nationale des étudiants de France (UNEF) ;

- Bérengère PAGÈS , directrice des relations avec les entreprises du groupe HEC.

Les débats sont animés par Jean-Claude LEWANDOWSKI , rédacteur en chef des Echos Sup.

I. INTRODUCTION

Nicolas ABOUT, sénateur des Yvelines, président de la commission des affaires sociales

Les débats de la première table ronde me font penser que l'intégration des jeunes diplômés dans l'entreprise est assez comparable à ce que les économistes ont appelé le « triangle magique » de la politique conjoncturelle. Le premier sommet serait la conjoncture économique, le deuxième l'acquisition des savoirs nécessaires à la compréhension globale du monde auquel les jeunes professionnels auront à s'intégrer et à s'adapter sans cesse, le troisième serait l'acquisition au cours des études de savoirs spécifiques liés à l'emploi et préparant l'emploi.

L'articulation entre l'université et l'entreprise pose des problèmes complexes sous les auspices de la conjoncture, qui est souveraine en matière d'emploi, mais pas en matière d'éducation. Nous allons à présent aborder les mêmes questions de fond, dans la perspective des politiques sociales. Nous nous interrogerons en particulier sur le devenir des dispositifs de formation en alternance, qui offrent des solutions concrètes et efficaces à ceux que le système éducatif traditionnel n'a pas porté jusqu'au seuil de l'entreprise.

Nous examinions la façon dont l'université doit se tourner vers l'entreprise. Voyons maintenant la façon dont l'entreprise peut relayer l'université. Je pense d'abord aux possibilités croissantes d'acquérir un diplôme universitaire dans le cadre de l'apprentissage. Nos débats devraient nous permettre de faire un point concret sur le rôle et les perspectives de l'apprentissage en la matière. De très nombreuses universités et grandes écoles ouvrent la possibilité d'acquérir un diplôme d'ingénieur, un DESS ou un mastère par cette voie.

Un autre indice de la montée en puissance de l'apprentissage comme filière de formation réside dans le fait que les diplômes de l'enseignement supérieur ont représenté en 2003 environ 13 % des formations préparées en apprentissage, contre 6 % en 1994. Quels sont aujourd'hui les débouchés de cette voie d'accès à l'entreprise ?

Nous allons aussi entendre parler de la validation des acquis de l'expérience. Où en est-on de ces formules que la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 a entendu relancer ? Quel est leur rôle dans la dialectique du diplôme et de l'entrée dans l'emploi ? Des dispositifs tels que le soutien à l'emploi des jeunes en entreprise ou le contrat d'insertion à la vie sociale intéressaient, il y a peu de temps, les jeunes diplômés de façon plus marginale, puisqu'ils visaient les jeunes peu ou pas qualifiés.

Mais la loi du 12 avril 2006 sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise a élargi le bénéfice de ces dispositifs aux jeunes disposant d'une formation plus élevée que ce qui était prévu initialement dans la mesure où ces jeunes ont des difficultés à trouver un emploi.

Dans la même optique, la loi du 12 avril a supprimé les conditions de formation limitant précédemment le champ d'application du CIVIS. Quelles sont, dans ces conditions, les perspectives ainsi ouvertes aux jeunes diplômés ? Nous évoquerons aussi les contrats en alternance, sachant que les jeunes directement issus du système scolaire sont de plus en plus nombreux à signer un contrat de ce type. Ils ont représenté près de 15 % des entrées en 2004, soit un point de plus qu'en 2003.

Le contrat de professionnalisation, unique contrat en alternance depuis novembre 2004, monte doucement en puissance, avec 1.400 contrats enregistrés en 2004. Quel bilan peut-on faire de ce dispositif à l'heure actuelle ?

Enfin, nous aurons peut-être l'occasion d'aborder des questions plus controversées. Par exemple, le régime juridique du contrat de travail a-t-il une influence sensible sur l'embauche des jeunes diplômés ? Une flexibilité accrue est-elle susceptible d'accompagner ou de contrarier les mouvements de la conjoncture dans un sens favorable à l'embauche ? Le contrat de travail peut-il évoluer pour devenir un véritable outil d'intégration dans l'entreprise ? Les éléments du débat sont encore mal fixés. Rappelons-nous les controverses de ces derniers mois. Quels auraient été les effets du CPE sur la précarité qu'il était destiné à combattre ?

De mon côté, je suis persuadé que le CPE, une fois défait de ses éléments les plus difficiles à expliquer à la jeunesse, aurait intéressé un nombre de jeunes diplômés de l'enseignement supérieur disposant de formations déconnectées des exigences de marché. Je suis tenté, en pensant à ces jeunes, de poser aux grands témoins réunis à cette table une question subsidiaire. Peut-on imaginer en faveur de ces jeunes un outil spécifique ? Faut-il imaginer un nouvel instrument ?

Je vous remercie de votre attention.

Florence LEFRESNE, économiste, membre du groupe emploi de l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES)

Nous aurions pu fêter l'année dernière les 30 ans de la politique publique de l'emploi. En effet, les premiers stages Granet dataient de 1975. Le premier pacte national pour l'emploi de 1977, sous le gouvernement de Raymond Barre. Depuis une trentaine d'années, nous avons assisté à un empilement de dispositifs se succédant au gré des alternances politiques, ou s'ajoutant au gré des conjonctures économiques, offrant à leurs usagers, les jeunes, assez peu de lisibilité.

Ces dispositifs concernent actuellement un million de jeunes, une classe d'âge étant constituée d'environ 850.000 personnes. Ils ont massivement contribué à la reconstruction des parcours d'insertion des nouvelles générations. En effet, la moitié d'une classe d'âge dans les cinq ans suivant la sortie du système éducatif aura affaire à une mesure de la politique de l'emploi. Les contrats subventionnés par l'Etat représentent actuellement près de 40 % de l'emploi des moins de 26 ans. Ainsi, dans un régime économique de type libéral, nous assistons à une institutionnalisation très forte des parcours d'accès à l'emploi.

L'hétérogénéité qui marque ces dispositifs se révèle à travers la diversité des modalités de recours pour les employeurs, à travers la variété des conditions faites aux jeunes, etc. Quels sont les éléments permanents de ces dispositifs ? Quels sont les différents registres sur lesquels jouent les politiques d'insertion ? Quel bilan peut-on en tirer ?

Les politiques d'insertion jouent d'abord sur le registre de l'allégement de cotisations sociales pour les employeurs du secteur marchand. Les établissements de moins de vingt salariés sont les principaux utilisateurs des mesures. Au sein de ce premier groupe, il faut distinguer les dispositifs reposant sur une exonération simple de charges sociales des dispositifs incluant une dimension de formation, comme les dispositifs en alternance.

Le second registre de l'action publique repose sur les créations dans le secteur non-marchand. Les TUC ont donné naissance au contrat emploi-solidarité au début des années 1990. Puis, une inflexion s'est opérée en 1997 avec la création des emplois nouveaux services, qui misaient sur une professionnalisation assez forte de ces emplois. Il s'agissait de faire émerger et de professionnaliser de nouveaux types de métiers dans le secteur non-marchand. Avec les emplois jeunes nouveaux services, l'horizon temporel des contrats a été allongé à cinq ans. En outre, la définition des parcours était beaucoup plus qualifiante. En outre, l'alternance de 2002 a mis fin à ces contrats. La loi de cohésion sociale a prévu un Contrat d'accompagnement dans l'emploi. Nous connaissons bien la fonction de traitement social important que remplit ce type de dispositif, les employeurs du secteur non-marchand étant en position de jouer un rôle contracyclique.

Le troisième registre concerne l'accompagnement des jeunes en difficultés, après notamment le rapport Schwartz de 1982, qui a donné naissance à tout le réseau français des missions locales et des PAIO. Ce rapport préconisait un traitement global de l'insertion, c'est-à-dire un traitement qui associait un traitement professionnel à l'insertion sociale. L'idée de construction de parcours individualisé sur une durée suffisamment longue a été reprise à travers le dispositif TRACE (Trajectoire d'accès à l'emploi), issu de la loi contre les exclusions de 1998, qui, par la suite, a été remplacé par le contrat civique qui en reprend les principaux traits. A ces dispositifs d'accompagnement se sont ajoutés des dispositifs nouveaux, issus des plans d'urgence de l'été dernier.

Nous pouvons tirer quatre principales leçons de cette politique.

Premièrement, tous ces dispositifs, dont nous avons vu l'importance en termes de budget public, n'ont pas réellement réussi à réduire le chômage des jeunes, qui reste deux fois plus élevé que celui du reste de la population. A ce sujet, il faut dire que le taux de chômage relatif des jeunes est comparable à peu près dans tous les pays d'Europe. Par exemple, l'apprentissage en Allemagne ne préserve plus - loin s'en faut - du chômage. Alors que l'Allemagne présentait un taux de chômage des jeunes, inférieur au taux de chômage moyen, la situation s'est inversée depuis cinq ou six ans.

Deuxièmement, ces mesures corrigent très peu la sélection du marché du travail. Par exemple, les contrats d'alternance ont de très bons résultats en termes d'accès à l'emploi. Cependant, il faut souligner que 65 % des jeunes accédant au contrat de qualification (actuellement refondu dans le contrat de professionnalisation) ont déjà un niveau post-bac. Autrement dit sont évincés de fait les jeunes sans diplôme (qui sont 150.000 chaque année, soit 20 % des sortants du système éducatif). Ces derniers bénéficient d'autres mesures, comme les mesures du secteur non-marchand ou les parcours d'accompagnement de CIVIS, qui présentent de bien moins bons résultats en termes d'accès à l'emploi. C'est pourquoi -je crois- beaucoup de jeunes et d'observateurs se sont déclarés très sceptiques quand on leur a affirmé que le CPE s'adressait avant tout aux personnes non-qualifiées. Sans ciblage explicite sur une catégorie vulnérable, les entreprises auraient été tentées de recruter prioritairement les publics déjà diplômés.

Troisièmement, notre politique publique d'insertion est caractérisée par une faiblesse des négociations. Par exemple, les contrats jeunes en entreprise (rebaptisés Soutien à l'emploi des jeunes) visent l'accès à un CDI pour un public infra-bac ou un public de bacheliers présentant des difficultés caractérisées de chômage. Or on ne joue que sur le registre de l'incitation financière, par une exonération totale de charges sur deux ans, puis de 50 % sur la troisième année. A cet égard, il faut rappeler que nous accumulons chaque année 15 milliards d'euros d'exonération de charges pour favoriser l'emploi des jeunes. La Cour des Comptes attend des évaluations sérieuses sur ces exonérations. Pour ma part, je pense que le fait de jouer sur ce régime unique de l'incitation fiscale ne donne que très peu de marges de manoeuvre aux responsables de la politique publique. Pourquoi l'Etat ne se donne-t-il pas davantage les moyens de négocier avec les employeurs le contenu même de l'emploi confié aux jeunes ? Par exemple, en Suède ou au Danemark, ce contenu est étroitement négocié avec les partenaires sociaux, ce qui permet, d'une part, d'éviter les effets d'aubaine et, d'autre part, d'inscrire ces premières expériences de travail dans des parcours ascendants.

Quatrièmement, il faut souligner que la politique de l'emploi a été le formidable laboratoire de la transformation des normes de l'emploi. Les jeunes ont une position particulière sur le marché du travail. Par leur position d'entrants sur ce marché, ils constituent une plaque sensible des transformations. Ils ont été la principale cible de l'emploi temporaire. Un tiers des moins de 29 ans est en CDD (et 40 % dans le secteur non-marchand). Certes, avec l'âge, la proportion de salariés dans ce type de contrat diminue mais le dernier bilan Formation-Emploi de l'INSEE montre que chaque génération occupe finalement moins d'emplois stables que la précédente.

En somme, les jeunes sont les têtes de pont des transformations structurelles à l'oeuvre sur le marché du travail. Il faut prendre très au sérieux le bilan de ce formidable laboratoire que constituent les politiques publiques d'emploi et faire un certain nombre de préconisations.

Premièrement, il ne faut pas confiner la jeunesse dans des statuts précaires, qui ne résolvent en rien la question du chômage. La première cause d'entrée en chômage en France est la fin d'emploi précaire.

Deuxièmement, il faut élargir la politique de l'emploi qui ne doit pas rester la prérogative exclusive de l'Etat. Elle doit faire de l'emploi des jeunes et de l'emploi dans son ensemble un enjeu de grand débat national en France, qui engage l'ensemble des acteurs concernés, au premier rang desquels les partenaires sociaux.

Troisièmement, je crois que le statut de l'emploi est à réinventer : se former tout au long de la vie, changer d'employeur, changer de métier, se consacrer éventuellement pour un temps à la vie familiale ou à la vie associative et politique. Tout cela conditionne l'efficacité même de notre appareil productif. Cela nécessite également d'inventer de nouveaux statuts et de nouveaux droits pour les salariés.

Je vous remercie.

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