B. MARDI 3 OCTOBRE 2006

1. Débat de politique générale sur la situation dans les Balkans

La journée de mardi a été largement consacrée à la situation dans les Balkans. Le rapport de la commission des Questions politiques de l'Assemblée parlementaire a dénoncé le manque de stratégie globale de la part du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne à l'égard des pays des Balkans ; la commission a souhaité la définition rapide d'un calendrier d'adhésion de tous ces pays au sein du Partenariat pour la Paix (PPP) de l'OTAN et surtout à l'Union européenne. Ce dernier objectif n'a pas été unanimement partagé par les délégués ; certains ont considéré qu'en dépit des progrès démocratiques remarquables qui ont eu lieu dans ces pays, un long chemin restait à parcourir ; d'autres ont rappelé que l'on ne pouvait ignorer les propres difficultés de l'Union européenne après le rejet du Traité constitutionnel en France et aux Pays-Bas.

Ce débat sur les Balkans s'est orienté également sur le statut du Kosovo, opposant les uns, qui souhaitent une indépendance de la province, gage selon eux de paix, de stabilité et de garantie du droit des minorités, à ceux qui refusent une solution imposée par la communauté internationale qui conduirait au démembrement d'un État.

Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - Soc), MM. Jean-Marie Geveaux (Sarthe - UMP) et Daniel Goulet (Orne - UMP) se sont exprimés.

Mme Josette Durrieu, sénatrice :

« Nous nous employons les uns et les autres à rappeler que les Accords de Dayton ont dix ans. Quel résultat ? Dix ans de stabilité et de paix ! Mais notre collègue finlandais a eu raison d'en rappeler le prix : celle de la présence militaire. La partie sera vraiment gagnée le jour où effectivement, les militaires ne seront plus là.

Nous commentons tous l'évolution de la situation, le bilan de Dayton aujourd'hui. À l'évidence, la sécession ou l'indépendance du Monténégro cette année a créé une situation nouvelle. L'éventualité de l'indépendance du Kosovo serait une autre situation nouvelle. Osons dire qu'en introduisant des ruptures, nous générons des risques. Saurons-nous les maîtriser ? C'est la première question que nous devons nous poser.

À l'évidence, il y aura avec de nouvelles frontières, de nouvelles situations pour les minorités déjà dramatiquement touchées par les problèmes antérieurs. 200 000 Monténégrins vivent en Serbie : quel est leur statut aujourd'hui ? Sont-ils apatrides ? Étrangers ? Citoyens monténégrins vivant en Serbie ? C'est un problème. De plus, 100 000 Serbes vivent au Monténégro. Bref, la situation évolue. Eh bien maîtrisons-la !

Pour la Bosnie-Herzégovine, Dayton ne doit pas être une coquille vide. Les accords continuent à garantir l'unité de la Bosnie. Tout cela comporte des risques mais j'ai beaucoup apprécié l'intervention du Président du Conseil, sa sagesse et la force de son propos. Où sont la cohérence et la logique dans tout cela ? Or il n'y a pas de politique maîtrisée sans cohérence ni logique.

Pour ce qui est du Monténégro, nous validons un droit reconnu, une légitimité. C'est une ancienne République fédérée. Soit ! Le Kosovo, nous en avons conscience, serait un précédent. Par ailleurs - c'est un argument majoritaire en ce qui concerne les minorités - il y a 90 % d'Albanais au Kosovo et 90 % de Serbes en Republika Preska. Tout cela est complexe, et je crains effectivement des risques. Je souhaite que nous les maîtrisions.

L'avenir, c'est l'intégration européenne de ces États. Je la veux de toutes mes forces. Je pense, comme vous tous ici, que tous ces États de l'Europe du Sud-Est sont éminemment européens. Toute notre histoire est passée par là. Néanmoins, l'intégration européenne - on l'a dit hier à propos de la Macédoine - passe par une intégration à l'intérieur des sociétés de chacun de ces États afin qu'ils deviennent multiethniques. L'intégration devra passer à l'intérieur de votre propre espace par une véritable coopération entre États.

Et pourquoi l'intégration européenne ? La protection ? Monsieur le Premier ministre Berisha, l'Europe est capable de se doter d'une défense européenne. Sera-t-elle lutter contre l'hégémonie américaine ? Si la démarche n'est pas bonne, elle le sera effectivement. En tous cas, elle se fera pour l'autonomie européenne. N'est-ce pas l'essentiel aujourd'hui ?

L'Europe du marché est faite. L'Euro est en place. L'Europe que vous voulez est faite. L'Europe de la justice est en marche : nous sommes bien placés ici pour le savoir. Reste à la finir cette Europe si nous le voulons. Ce sera l'Europe de la défense qui exige une Europe politique puisque ce sera le dernier acte souverain auquel nous consentirons.

Voulez-vous l'Europe de la défense ? Voulez-vous l'Europe politique autant que je la veux ? Sachez que je suis française et que j'ai voté non au referendum parce que je ne sens pas d'aspiration populaire pour aller jusqu'au bout. Hier, le Premier ministre de Croatie a déclaré justement : « il faut inculquer l'Europe ». Quelqu'un vient de dire et c'est mieux : « il faut créer une inspiration d'Europe ». Pour ma part, je dirais: « faisons rêver notre jeunesse, la vôtre et la nôtre, sur l'Europe ! »

M. Jean-Marie Geveaux, député :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, lorsqu'en 1991, la guerre éclate en Yougoslavie, l'Europe réalise effarée, qu'à quelques heures d'avion de ses principales capitales, on tue au nom de l'appartenance ethnique. Elle redécouvre que les Balkans abritent des populations d'origine ethnique, culturelle, religieuse, différentes, véritable puzzle dont les pièces ont été assemblées avec difficulté, et souvent de force au cours des siècles précédents .Quinze ans après, la paix est revenue dans la région. Mais, soyons lucides, elle est fragile et ne repose pas sur des bases solides. Sous les cendres, le feu couve.

L'année 2006 est riche en événements. Le rapport de M. Eörsi, que je tiens à féliciter, tombe à un bon moment. En tout premier lieu, le retour à la stabilité politique et la mise en place de nouvelles structures est une tâche ardue.

Lors du redécoupage de la République fédérale yougoslave, les nouveaux États ont privilégié la mise en place d'institutions confédérales et ont accordé une large place à la représentation des minorités ethniques. Cependant, force est de constater que certains de ces nouveaux États sont fragiles. La multiplication des institutions et la décentralisation génèrent une dilution des responsabilités et un blocage politique.

Ce constat est criant en Bosnie-Herzégovine. Dans cette enceinte, nous avons d'ailleurs débattu en juin dernier des difficultés de ce pays à réformer sa Constitution. Au Kosovo, l'envoyé spécial de l'Onu a toutes les peines du monde à trouver un compromis entre les aspirations indépendantistes des représentants de Pristina et le refus d'aller plus loin qu'une très large autonomie proposée par les autorités de Belgrade.

Néanmoins, signe encourageant parmi ce sombre tableau, l'indépendance du Monténégro. Ce petit pays a retrouvé sa souveraineté, sans heurts, à la suite d'un processus démocratique qu'il convient de saluer. Je suis intervenu, en juin dernier, à ce sujet pour apporter mon soutien à l'adhésion de ce pays au Conseil de l'Europe.

Second sujet de préoccupation et pas des moindres, la situation économique. Le taux de chômage est important, il oscille souvent entre 30 % et 70 %. L'instabilité politique décourage les investissements étrangers. Il n'est donc pas étonnant que la corruption et la criminalité organisée prospèrent.

Enfin, véritable épée de Damoclès suspendue au-dessus de tout accord politique : le problème crucial des réfugiés. Selon le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations Unies, la région compte 127 000 réfugiés, dont 107 000 Serbes qui ont fui la Bosnie et la Croatie pour s'abriter en Serbie. Les heurts entre communautés perdurent et les émeutes de mars 2004 qui ont éclaté au Kosovo contre la minorité serbe en sont une bonne illustration. La stabilité et la paix dans cette région passent par un règlement apaisé de cette question.

Les États doivent favoriser la tolérance, affronter le passé et tenter d'éteindre les rancoeurs. Une remise à plat du droit de propriété doit être réalisée et le retour des réfugiés encouragé. C'est dans cet esprit que la France plaide pour que tous les États de la région coopèrent pleinement avec le Tribunal Pénal International afin de traduire les criminels de guerre en justice. La situation dans les Balkans reste donc incertaine. Le retour à une paix civile et à la stabilité politique conditionne l'avenir de cette région. L'intégration à l'espace européen est à ce prix.

Je citerai, pour conclure, un extrait de la déclaration finale du sommet de Zagreb qui s'est tenu en 2000 : «Démocratie, réconciliation et coopération régionales, d'une part, rapprochement de chacun de ces pays avec l'Union européenne, d'autre part, forment un tout ».

M. Daniel Goulet, sénateur :

« Monsieur le président, j'aurais pu faire l'économie de mon intervention car je vais prolonger les excellentes interventions que nous avons entendues, plus particulièrement celle de notre collègue turc qui vient de s'exprimer. Il s'agit dans ce grand débat, qui vient pour la énième fois devant notre Assemblée, de faire une sorte de rapport d'étape pour dresser un état des lieux, penser à ce que nous avons dit ou décidé, nous souvenir des résolutions que nous avons prises. Nous devons nous placer dans le cadre d'un examen de conscience afin de nous demander si nous avons tenu complètement le rôle qui était le nôtre.

Peut-être n'avons-nous pas su intervenir avec beaucoup plus d'autorité, de volonté, et de force politique, auprès de nos instances nationales qui, au bout du compte, dans les chaînes des interventions, sont celles qui ont pour mission de concrétiser ce que nous avons décidé ici. Nous le savons bien, tout le monde le sait, nous n'avons pas les moyens d'intervenir nous-mêmes pour que s'appliquent concrètement les résolutions que nous avons prises, les meilleures résolutions sans doute. Aujourd'hui, et je peux m'en réjouir, nous sommes nombreux à en parler sur un rapport d'étape qui engage en fait l'avenir avec encore plus d'autorité.

Cher rapporteur, vous avez bien marqué les points sur lesquels nous devons maintenant être utiles à cette région des Balkans qui reste une sorte de baril de poudre alors qu'un rien peut rallumer les querelles en suscitant de nouveaux désagréments. Nous en serions responsables, même si nous n'avons pas toutes les responsabilités. Nous serions coupables.

Vous dites que cette année 2006 revêt une importance capitale pour l'ensemble d'une région qui connaît des changements déterminants : il faut donc saisir l'occasion. Au fil des résolutions, vous avez fixé un certain nombre de repères. Il nous faut maintenant être concrets. Les mots, les discours, ça suffit, nous en avons entendu de toutes les couleurs, à toutes les sessions. L'excellent rapport de notre collègue Johnson en était vraiment un. Moi-même, en 1999, je me suis rendu sur les lieux pendant une semaine. J'avais envisagé un certain nombre de démarches sur place. Je suis revenu dans cette Assemblée, la résolution a été adoptée pratiquement à l'unanimité. Aujourd'hui, en 2006, il était important de taper du poing sur la table en disant: trop c'est trop. Ça suffit ! Il faut concrétiser.

Je reprends quelques points du rapport qui m'apparaissent importants. Il faut adopter une autre méthode de coopération. Les diplomates, nous les connaissons, et nous ne sommes pas des diplomates, Dieu nous en préserve, mais nous avons quand même, parlementaires, un certain nombre de prérogatives qui n'excluent pas que nous fassions de la coopération parlementaire dans la diplomatie. Lorsque nous entretenons de très bonnes relations avec des collègues dans cette région, nous pouvons peut-être fixer des points d'ancrage pour faire un certain nombre de choses. J'en veux pour preuve que nous pourrions très bien être à l'origine d'échanges universitaires, que nous pourrions avoir aussi une implication un peu plus forte dans l'action que nous mènerions auprès de nos gouvernements, s'agissant par exemple des visas.

Monsieur le rapporteur, nous pouvons vous féliciter parce que vous avez bien répertorié tout ce qui va moins bien, tout ce qui pourrait aller mieux. À nous de savoir dans quelle direction nous devons maintenant nous diriger.

Nous serions bien inspirés de forcer notre volonté, de consolider notre démarche de manière à être utile, sinon, nous n'aurions servi à rien. Je ne pense pas que telle soit votre démarche, Monsieur le président de la commission des Questions politiques, ou la vôtre, Monsieur le rapporteur. En ce qui me concerne, j'entends apporter ma contribution au niveau du Parlement national français de la même façon que je compte le faire ici. Le moment est venu. Plus tard, il serait trop tard : nous endosserions une responsabilité qui ne devrait pas être la nôtre. Les générations futures en jugeront. »

A l'issue du débat, l'Assemblée a adopté une Résolution (n° 1517) et une Recommandation (n° 1765) .

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