N° 89

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007

Annexe au procès-verbal de la séance du 23 novembre 2006

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation du Sénat pour la planification (1) sur les perspectives macroéconomiques et les finances publiques à moyen terme (2007-2011),

Par M. Joël BOURDIN,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : M. Joël Bourdin, président ; Mme Évelyne Didier, MM. Pierre André, Joseph Kergueris, Jean-Pierre Plancade, vice-présidents ; MM. Yvon Collin, Claude Saunier, secrétaires ; MM. Bernard Angels, Gérard Bailly, Yves Fréville, Yves Krattinger, Philippe Leroy, Marcel Lesbros, Jean-Luc Miraux, Daniel Soulage .

Finances publiques.

AVANT-PROPOS

La philosophie de l'exercice présenté dans ce rapport d'information mérite d'être rappelée.

Depuis 1984 , la Délégation du Sénat à la planification présente une projection à moyen terme des finances publiques , associée à une projection d'ensemble de l'économie française, réalisée à l'aide de modèles macroéconomiques .

Pourquoi ce choix de présenter à la Haute Assemblée des travaux d'une technicité et d'une complexité certaines ?

Pour deux raisons essentielles :

- Premièrement , une projection réalisée à l'aide d'un modèle macroéconomique assure la cohérence comptable de l'ensemble des résultats , et plus particulièrement la cohérence entre les résultats en matière de finances publiques (solde public, dette, prélèvements obligatoires...) et les résultats relatifs aux principaux agrégats macroéconomiques (croissance, emploi, chômage...).

Une projection réalisée à l'aide d'un modèle permet ainsi d'illustrer les liens complexes entre l'évolution des finances publiques et celle de la croissance : quel est l'impact d'une politique d'ajustement budgétaire sur la croissance ? Quel est l'impact de tel rythme de croissance économique sur l'évolution du solde public et de la dette ?...

Certains objecteront que les modèles macroéconomiques sont « trop keynésiens », c'est-à-dire qu'ils surestiment l'impact restrictif (ou expansionniste) d'une diminution (ou d'une augmentation) des dépenses publiques. D'autres estimeront, au contraire, que les modèles sont « insuffisamment keynésiens » parce qu'ils sous estiment l'impact des finances publiques sur la croissance.

Mais quel qu'il soit, ce type d'objection est respectable mais secondaire, car l'objectif d'une projection n'est pas de donner des résultats indiscutables - surtout à un horizon de moyen terme - mais, au contraire, en illustrant les conséquences des choix et de politique économique, d'ouvrir une discussion pouvant se référer à des enchaînements probables et réalistes .

Ainsi, on peut par exemple soutenir qu'une réduction de la dépense et du déficit publics aura un impact positif sur la croissance. Une projection à l'aide d'un modèle montrera précisément à quelles conditions une baisse de la dépense publique et du déficit public aura effectivement un impact favorable sur la croissance : par exemple, lorsque les ménages anticipent une baisse de la dette publique, donc de leurs impôts futurs et ainsi diminuent suffisamment leur épargne pour compenser la « désépargne » publique (enchaînement dit « ricardien »). Chacun pourra ainsi juger si ce type d'enchaînement est vérifié par des travaux empiriques ou paraît, tout simplement, réaliste.

- Deuxièmement , en faisant le choix de présenter chaque année une projection à moyen terme des finances publiques au moment du débat budgétaire, votre Délégation souhaite enrichir l'analyse de la loi de finances par une mise en perspective pluriannuelle . En effet, une politique budgétaire s'apprécie, aussi, sur la durée d'un cycle économique , sur sa capacité à amortir les fluctuations cycliques, à freiner la conjoncture en cas de « surchauffe », ou au contraire à la soutenir dans la situation inverse. Sur ce plan, le principe d'annualité budgétaire fixe un cadre d'analyse trop étroit, que ce type de travaux permet d'élargir.

D'ailleurs, à partir de 1993, les Gouvernements successifs se sont également efforcé, sous des formes variables, d'insérer la loi de finances de l'année dans une « programmation » pluriannuelle des finances publiques.

Pour réaliser ce type de travaux, votre Délégation a eu longtemps recours à la méthode qui lui paraissait la plus économe pour les deniers publics : recourir, sur une base contractuelle, aux outils et aux équipes du Ministère de l'Économie et des Finances. Dans le cadre de cette prestation de services, votre Délégation assumait l'entière responsabilité des hypothèses et des résultats de ces simulations.

Cependant, à partir du milieu des années 1990, le débat public s'est crispé sur les critères d'adhésion à l'Union économique et monétaire, et plus particulièrement sur le critère de déficit public de 3 %.

Dès lors, l'exercice réalisé par votre Délégation devenait délicat, puisqu'il pouvait conduire à afficher des projections de déficit public différentes de celles transmises par le Gouvernement aux autorités bruxelloises, sur la base de travaux réalisés avec le concours technique des mêmes services du Ministère de l'Économie et des Finances...

Il a ainsi dû être mis un terme à cette collaboration.

Néanmoins, malgré la difficulté à sortir ces travaux d'une certaine confidentialité, malgré leur caractère parfois répétitif, votre Délégation a souhaité les poursuivre, en recourant à un nouveau prestataire, l' Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) .

Pourquoi cette constance ?

Les deux motivations d'origine n'ont pas disparu. S'y est cependant ajoutée une troisième, essentielle aujourd'hui.

La coordination des politiques économiques en Europe est inscrite dans le Traité d'Amsterdam (article 99). En pratique, les Etats membres disposent de deux outils pour coordonner les politiques budgétaires : les Grandes orientations de politique économique (GOPE) et le Pacte de stabilité et de croissance . Ces deux outils sont complétés par une réflexion dans le cadre d'une enceinte informelle de discussion entre les ministres des Finances de la zone euro - l'Eurogroupe 1 ( * ) .

Outre un aspect « coercitif », le Pacte de stabilité et de croissance comprend un volet « préventif » sous la forme des programmes de stabilité pluriannuels , présentés à la fin de chaque année N (le budget est voté pour l'année N+1 et une projection est réalisée par les gouvernements pour les années N+2 à N+4). Ce programme comporte un ou des scénarios macroéconomiques, souvent peu détaillés, et l'ensemble des mesures prévues pour aboutir à une position budgétaire « proche de l'équilibre ou en léger excédent » sur le moyen terme.

Ces programmes nationaux constituent donc le pivot autour duquel devrait se construire la coordination des politiques économiques des Etats membres, coordination essentielle et indispensable pour que l'Union européenne puisse mettre en oeuvre un « policy mix » 2 ( * ) adapté à ses besoins de croissance. On peut à ce titre observer qu'en cumulé, entre 2004 et 2007, le déficit public moyen de la zone euro se réduira de 1 point : de 2,8 % en 2004 à 1,8 % en 2007 (sur la base des projets de lois de finances et des engagements transmis par les Etats membres à la Commission).

Cet assainissement budgétaire, parce qu'il a été réclamé par la Banque centrale européenne (BCE) et qu'il est de nature à atténuer les éventuelles tensions inflationnistes, pourrait donc être « accompagné » par la politique monétaire, sur la base d'un dialogue, aujourd'hui semble-t-il pratiquement inexistant, entre les autorités politiques de l'Union et l'autorité monétaire.

Il faut en effet rappeler qu'à défaut d'une coordination des politiques économiques, « pensée » et conçue au niveau de l'Union, les Etats membres peuvent être conduits à mettre en oeuvre des stratégies individuelles et non coopératives , qui au total pénalisent la croissance de l'ensemble des partenaires de l'Union 3 ( * ) .

Dans la brève histoire de la zone euro, les Etats membres de l'Union n'ont pas totalement respecté, en règle générale, les engagements qu'ils prenaient à l'égard de leurs partenaires au travers des programmes de stabilité et de convergence. Ceci a peut-être altéré la confiance de la BCE dans la capacité des Etats membres à conduire « l'assainissement » budgétaire nécessaire à ses yeux, ainsi que, peut-être, celle des agents économiques dans l'économie européenne.

La crédibilité des programmes de stabilité et de convergence doit donc être renforcée, ce qui en suppose une évaluation plus poussée qu'actuellement par les autorités européennes, mais également au sein des Etats membres eux-mêmes.

C'est précisément l'objectif de votre Délégation dans ce rapport d'information annuel : vérifier que les engagements budgétaires à moyen terme du Gouvernement sont compatibles avec les objectifs de croissance affichés ; ou, plus précisément, montrer à quelles conditions les engagements budgétaires qui sont pris sont compatibles avec l'objectif de croissance affiché et, le cas échéant, explorer des trajectoires alternatives .

Répondre à ces questions et conduire une évaluation de cette nature nécessitent l'utilisation d'un modèle macroéconomique, pour les raisons de cohérence comptable évoquées au début de cet avant-propos.

Tel est le sens de l'exercice présenté ci-après qui, au-delà de son objectif d'analyse macroéconomique du programme de stabilité et de convergence, permet, en creux, de poser les principales questions de politique économique qui se posent à un horizon de cinq ans.

Ce faisant, votre Délégation est le seul organe public extérieur au Gouvernement, au service du Sénat et de ses commissions permanentes, à apporter au débat public, régulièrement, à travers un éclairage quantitatif sur les perspectives à moyen terme de l'économie française et de ses finances publiques, des éléments d'évaluation de l'impact des politiques en question .

*

* *

Les travaux présentés ci-après ont été réalisés à l'aide du modèle macroéconomique « e-mod » de l'Observatoire français des Conjonctures économiques (OFCE).

Une première projection - « scénario central » - reprend, pour l'essentiel, les hypothèses d'augmentation des dépenses publiques et de croissance retenues dans le programme de stabilité et de convergence pour la période 2008-2010 transmis par le Gouvernement à la Commission européenne.

Il se déroule sous l'hypothèse d'une croissance de 2,25 % par an à partir de 2008, ce qui correspond au scénario « prudent » retenu par le Gouvernement dans sa programmation des finances publiques (par opposition à un scénario « rose » de croissance à 3 % également évoqué dans le Rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2007). Par ailleurs, une stricte limitation de la dépense publique , qui n'augmenterait que de 0,6 % par an en volume (contre 2 % par an au cours des dernières années), serait observée.

Pour les deux premières années de la projection (2006-2007), le scénario retenu reprend la dernière prévision à court terme de l'OFCE : celle-ci est très proche de celle du Gouvernement pour ce qui concerne la croissance du PIB mais sensiblement divergente pour la prévision du solde public en 2007 (-2,9 % pour l'OFCE contre -2,5 % pour le Gouvernement.

Les prévisions à court terme pour l'économie française, présentées par le Gouvernement comme par l'OFCE, ont été fragilisées par la statistique de croissance du PIB au troisième trimestre 200 7 (0,0 %), que l'INSEE vient de publier. La publication de ce chiffre a surpris beaucoup d'observateurs : il y a un mois, lors de la présentation de la note de conjoncture, l'INSEE prévoyait une croissance de 0,6 % au troisième trimestre ; de même, aucun indicateur conjoncturel ne permettait d'anticiper un tel écart entre la croissance du deuxième trimestre (+1,2 %) et celle du troisième trimestre (0,0 %).

Chacun sait qu'il ne s'agit là que de chiffres provisoires 4 ( * ) et qu'il serait prématuré d'en tirer la conclusion que l'activité aurait ralenti de manière aussi marquée.

Votre rapporteur observe cependant qu'ils sont très abondamment commentés. Peut-être l'INSEE pourrait-il accompagner ce type de données de plus amples précisions à la fois sur ses méthodes et sur les raisons qui peuvent justifier ces amples fluctuations conjoncturelles, ce qui ne nuirait nullement à sa nécessaire indépendance. Car tels qu'ils sont livrés aujourd'hui, ces chiffres ne contribuent pas à la clarté et à la sérénité du débat public, qui appellent un certain recul.

Sur le moyen terme, la projection est largement « normée » dans la mesure où les résultats en termes de croissance sont fixés a priori . Son intérêt est de montrer les conditions pour qu'apparaissent compatibles les évolutions de dépense et de déficit publics et le scénario de croissance retenus par le Gouvernement.

Pour illustrer d'autres options, le rapport s'appuie donc sur deux autres scénarios.

Un deuxième scénario - « politique budgétaire neutre » - plus tendanciel, repose sur une hypothèse de croissance de la dépense publique moins stricte (+ 1,9 % par an en volume) comparable à celle des dix dernières années.

Un troisième scénario - « alternatif » -, enfin, a pour principale hypothèse une réduction de la dette publique , qui se stabiliserait à 60 % du PIB en 2011. Cela suppose un strict contrôle de la dépense publique en début de période, ce qui permet de réduire le déficit public à un niveau suffisant pour réduire la dette. Le contrôle de la dépense publique se relâcherait en fin de période dans la mesure où l'objectif de stabilisation de la dette serait atteint sans que le poids de la dette publique n'augmente à nouveau. Ce scénario s'efforce ainsi de concilier les deux objectifs de réduction - puis de stabilisation - de la dette publique et de croissance maximale .

* 1 La coordination entre les politiques budgétaires et la politique monétaire est quant à elle, de facto, inexistante.

* 2 C'est-à-dire le dosage et la combinaison des politiques économiques.

* 3 Comme l'illustrera ce rapport d'information pages 119 et suivantes.

* 4 Les chiffres définitifs pour 2006 seront disponibles en... 2009.

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