CHAPITRE 2 - UNE CROISSANCE PÉNALISÉE PAR UNE CHUTE DES PRIX DE L'IMMOBILIER ?

La question posée ici a un double aspect :

- faut-il craindre pour la France, dans le sillage des Etats-Unis, une forte baisse des prix de l'immobilier au cours des prochaines années ?

- quel pourrait être l'impact macroéconomique d'une telle baisse des prix de l'immobilier ?

I. L'ÉVOLUTION À COURT/MOYEN TERME DES PRIX DE L'IMMOBILIER

Une étude réalisée en juin 2005 par le Service des Études économiques et de la Prospective à la demande de la Commission des Finances du Sénat, s'appuyant sur les travaux de l'OFCE 9 ( * ) et d'autres organismes de prévision économique, aboutissait aux deux conclusions suivantes :

- malgré une hausse continue - dix années consécutives - et rapide - plus de 7 % par an en moyenne en valeur réelle -, le niveau des prix de l'immobilier au printemps 2005 n'obéissait pas à une logique spéculative. Cette conclusion s'appuyait sur un double constat :


• tout d'abord, le ratio de solvabilité des ménages 10 ( * ) restait en 2005 à un niveau soutenable et nettement supérieur à celui d'avant la crise immobilière de 1991-1992 ;


• ensuite, le rendement relatif global de l'immobilier (écart entre la somme du rendement locatif et des plus-values annuelles avec les placements obligataires), s'est fortement accru depuis 1998, ce qui pourrait conduire à un « soupçon » de formation de bulle spéculative. Mais cet écart reste cohérent, contrairement à 1990, avec la hausse du rendement des actions.

Ces éléments conduisaient l'OFCE, comme d'autres organismes, à considérer que l'évolution des prix de l'immobilier n'obéissait pas à une logique spéculative, mais relevait d'une évolution cyclique . Cette approche cyclique conduisait logiquement à privilégier un « atterrissage en douceur » des prix de l'immobilier.

Le ralentissement en cours des prix de l'immobilier constaté récemment valide-t-il ce scénario ?

Il faut tout d'abord observer que le ralentissement des prix de l'immobilier en France reste pour l'heure très progressif : depuis un pic à près de 16 % en 2004, la croissance des prix atteint encore 12,5 % au deuxième trimestre 2006 (en rythme annuel).

Ce ralentissement s'explique, principalement, du côté de la demande par l'arrêt de la baisse des taux qui a freiné l'extension de la solvabilité des ménages. Ce tassement de la demande a entraîné un gonflement des stocks de logements neufs .

Néanmoins, l'offre de logements neufs connaît également aujourd'hui un tassement (la croissance de l'investissement en logement est passée de 4,9 % au premier trimestre 2005 - en rythme annuel - à 2,4 % au deuxième trimestre de 2006). Par ailleurs, la demande de logements se stabilise, mais à un niveau élevé : les banques ont diminué leurs marges sur les crédits pour amortir la - faible - hausse des taux hypothécaires (+0,3 point depuis 2005) et elles continuent d'augmenter la durée des prêts. L'encours de dette hypothécaire continue ainsi à augmenter à un rythme proche de 15 % sur un an. Enfin, l'endettement des ménages français a certes progressé au cours des dernières années (de 55 % du revenu disponible en 2000 à 65 % en 2006), mais il reste, en moyenne, modéré par rapport à d'autres pays (Espagne, Royaume-Uni ou Etats-Unis, où il dépasse 130 % de leur revenu).

Dans ce contexte, le tassement du marché immobilier français pourrait s'opérer graduellement. Le déséquilibre qui vient d'apparaître entre l'offre de logements neufs et la demande de logement des ménages, contribuerait à un ralentissement ou même à une baisse des prix. Celle-ci, cependant, rendra solvables de nouveaux ménages, ce qui conduira à la contraction de l'offre excédentaire et à une remontée des prix.

Au total, les projections à moyen terme présentées dans ce rapport excluent le risque de crise immobilière pouvant pénaliser la croissance.

Ce scénario pourrait toutefois être perturbé par trois événements :

Une transmission à la France du retournement du marché immobilier en cours aux Etats-Unis ou, dans une moindre mesure, dans certains pays de la zone euro. Pour l'instant, on n'observe pas de signaux de retournement sur les marchés les plus actifs de la zone euro, à savoir l'Espagne et la France (cf. graphique ci-après).

Graphique n° 1
CROISSANCE DES PRIX IMMOBILIERS

(en %, en glissement annuel)

Sources : INSEE, Ministerio de la vivienda, NAR, OFHEO, Halifax

Par contre, le retournement du marché immobilier américain a surpris par son ampleur, se traduisant même par une baisse des prix.

Le risque de contagion à l'Europe est toutefois faible a priori :

- les marchés immobiliers sont avant tout des marchés locaux composés d'acteurs nationaux. Sur les dix dernières années, les prix de l'immobilier en Allemagne ont stagné dans un contexte européen de forte hausse ;

- le risque majeur serait celui d'un krach aux Etats-Unis, couplé à une hausse des taux de défaut de remboursement des crédits immobiliers, qui déstabiliserait le système financier international par le biais de la titrisation et de son impact sur la dette publique américaine.

La titrisation, qui permet à des établissements bancaires de vendre leurs créances hypothécaires à des institutions financières qui prennent alors en charge le risque, se traduit par une globalisation financière des marchés immobiliers, et donc des risques de défaut afférents.

En outre, le marché hypothécaire américain bénéficie d'une garantie publique implicite sur des montants considérables d'engagements. Une montée des défauts provoquerait un gonflement des besoins de financement publics aux Etats-Unis, qui représente un risque important pour le système financier international.

Une nette hausse du taux de défaut de remboursement aux Etats-Unis affecterait donc la distribution du crédit en Europe, entraînant un ralentissement de la croissance des crédits immobiliers.

Ce scénario de contagion passerait toutefois par un krach immobilier aux Etats-Unis qui ne semble pas à l'ordre du jour. En effet, contrairement à la hausse des années 1980 qui a débouché sur la crise des débuts des années 90, la forte hausse des prix qui lui a succédé est surtout le fait des particuliers et non des promoteurs ou investisseurs institutionnels.

Pour un particulier, à la différence d'un spéculateur, la contrainte de vendre son bien ne joue pas dans une période de baisse des prix.

En outre, deux événements complémentaires pourraient peser sur le marché immobilier :

Un dérapage inflationniste qui entraînerait une forte hausse des taux longs dans le monde .

Une surréaction des agents économiques au ralentissement en cours (qui anticiperaient une baisse plus forte des prix et diffèreraient leurs projets d'achat immobilier) qui amplifierait la phase actuelle de ralentissement cyclique .

L'impact de ces deux dernières hypothèses est analysé ci-après.

* 9 Rapport Sénat n°6, session 2005-2006, par Monsieur Philippe Marini, au nom de la Commission de Finances.

* 10 C'est-à-dire l'annuité de remboursement de crédit logement pour un nouvel accédant rapportée au revenu moyen (avec une hypothèse de surface standard).

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