III. POTENTIELS MOINS FREINÉS

Selon la Commission Européenne, la croissance potentielle en 2007 serait de 1,9 % en France, de 1,1 % en Allemagne et de 1,2 % en Italie. On peut se demander si une telle divergence entre pays ayant des systèmes économiques relativement proches est durable ou seulement transitoire. D'autre part, on peut également s'interroger sur l'impact des récentes révisions de projection de population active sur ces potentiels de croissance. Ces questions sont d'importance car la mesure de la croissance potentielle est un enjeu majeur dans différentes problématiques économiques telles que le financement des retraites et des dépenses de santé, l'évaluation des soldes structurels et donc de la politique budgétaire, mais aussi l'appréciation de l'écart de production ( output gap ) et donc de la politique monétaire.

Certaines méthodes d'estimation de la croissance potentielle sont peu pertinentes en projection car elles consistent à extrapoler les évolutions récentes de la population active et de la productivité. Ces deux variables pouvant être affectées par des phénomènes transitoires tels que des régularisations massives d'immigrés ou des politiques favorisant des emplois peu productifs, ces méthodes induisent dans la pratique des révisions fréquentes du potentiel peu justifiables d'un point de vue économique.

En intégrant des hypothèses relatives aux évolutions futures de la démographie, des gains de productivité, du taux d'activité et du chômage, la présente étude tente de corriger le biais de fin d'échantillon et d'apporter des informations plus précises sur la croissance potentielle future. Pour la France et l'Italie, notre estimation intègre les récentes révisions de projections démographiques et de taux d'activité.

Particulièrement bas en 2005, les gains de productivité allemands et italiens convergeraient progressivement vers ceux de la France supposés de 1,7% à long terme. En France, le retour au plein emploi et la hausse modérée des taux d'activité permettraient des taux de croissance potentiels autour de 2 % jusqu'à l'horizon 2015. Ensuite, le vieillissement de la population commencerait à se faire sentir. Ce scénario est marqué par la révision à la hausse des projections de population active, qui n'anticipe plus de baisse des taux d'activité et retarde la baisse de la population en âge de travailler. L'effet de ces révisions sur la croissance potentielle serait en moyenne de l'ordre de 0,3 % par an. En revanche, ce scénario ne ferait remonter le taux d'emploi des 15-64 ans qu'à 64,1 % de la population en âge de travailler, soit loin de l'objectif de 70 % fixé dans la stratégie de Lisbonne 73 ( * ) .

A. MÉTHODE PAR LES FONCTIONS DE PRODUCTION

La croissance potentielle peut se définir comme le taux de croissance correspondant au plein emploi des facteurs de production, en faisant l'hypothèse que seul le facteur travail est limitatif à long terme. Comme la contrainte de capital n'affecte que de manière transitoire le potentiel de croissance, nous supposerons pour simplifier que le ratio capital / production est constant sur longue période 74 ( * ) .

La méthode structurelle d'estimation par les fonctions de production suppose généralement que la technologie de production peut s'écrire comme une fonction homogène de degré 1 (rendement d'échelle constant) de l'emploi efficace c'est-à-dire intégrant le progrès technique. Ce dernier est donc supposé économiser le travail (neutre au sens de Harrod). L'emploi efficace ( N e ) correspond au produit de la productivité du travail ( P rod ) et de l'emploi ( N ) qui peut s'écrire en fonction de la population active ( L ) et du taux de chômage ( U ). La population active peut à son tour se décomposer comme le produit de la population en âge de travailler ( P ) par son taux d'activité ( T a ) :

(1)

(2)

En première approximation, le taux de croissance de la production ( Y ) correspond à celui de l'emploi efficace :

(3)

A long terme, il dépend des rythmes de croissance de la productivité du travail et de la population. A moyen terme, il dépend en plus des évolutions des taux d'activité et du chômage. L'effet n'est que transitoire car ces deux taux ne peuvent pas croître ou baisser indéfiniment. Notamment le taux de chômage ne peut descendre durablement en dessous de son niveau non inflationniste.

La méthode la plus simple pour évaluer la croissance potentielle consiste à estimer par filtrage les tendances de la productivité, de la population active et du chômage. En comparaison internationale, cette méthode a l'avantage de fournir une explication des différences de croissance du point de vue de l'offre 75 ( * ) . Elle a l'inconvénient de donner plus une explication de la croissance tendancielle sur le passé qu'une réelle estimation de la croissance potentielle. Comme les techniques de filtrage sont particulièrement fragiles en fin de période, cette méthode est inadaptée pour prédire la croissance potentielle future. En effet, une approche prospective ne peut se contenter de projeter les rythmes de croissance de la fin de période de la productivité du travail et de l'emploi. Des hypothèses quant aux évolutions futures de ces variables doivent être formulées.

Comme l'extraction de la tendance de la productivité par une technique de filtrage conduit parfois à une mauvaise approximation du trend de progrès technique, d'autres approches peuvent être utilisées. Via l'estimation sur données temporelles d'une équation de productivité, on peut mettre en évidence des phénomènes de substitution capital - travail et ainsi isoler les mouvements de l'emploi dus à des mesures économiques particulières tels que des allégements de charge ou des crédit d'impôt. Une autre approche consiste à utiliser des données individuelles d'entreprises. Dans une optique de projection, il est possible d'imaginer un scénario de rattrapage de la productivité de l'Europe sur celle des Etats-Unis dû notamment à la diffusion des technologies de l'information et de communication.

* 73 Cependant, cet objectif concerne à la fois les emplois à temps plein et à temps partiel.

* 74 Les estimations de l'OCDE tiennent compte de la contrainte de moyen terme du capital sur la croissance potentielle. Voir Beffy P.-O., Ollivaud P., Richardson P. et Sédillot F. (2006), « New OECD methods for supply-side and medium-term assessments : a capital services approach », OECD Working Paper 482, juillet.

* 75 Voir par exemple, les estimations pour les Etats-Unis et l'Europe réalisées lors de nos précédentes prévisions : « Potentiels marqués par les ans », Revue de l'OFCE 97, avril 2006, pp 28-29.

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