B. COMMENT MESURER LA PRODUCTIVITÉ ?

1. Difficultés de mesure

La productivité du travail mesure le rapport entre la production et le volume de travail utilisé.

Des difficultés pèsent sur la mesure du numérateur comme sur celle du dénominateur. Avant de les détailler plus longuement 13 ( * ) , votre rapporteur évoquera ici des difficultés « conceptuelles » - plutôt que proprement statistiques - concernant la mesure de la production :

- la première difficulté est que l'unité de mesure de la production est la monnaie. Or celle-ci change de valeur au cours du temps à cause de la hausse des prix. Pour raisonner à « monnaie constante », il faut déflater la production de l'évolution des prix. Or celle-ci, si elle est correctement mesurée par l'indice des prix, ne donne pas l'évolution de la qualité des biens dont elle mesure les prix. L'augmentation du prix d'une voiture résulte-t-elle d'un phénomène d'inflation ou d'une augmentation de la qualité et de la performance, donc de sa « valeur réelle » ?

Les comptables nationaux affinent continûment les méthodes destinées à prendre en compte cette augmentation de la qualité (méthodes de « prix hédoniques ») mais ces améliorations sont insuffisantes, notamment lorsque les changements dans la qualité et la nature des produits s'accélèrent sous l'effet d'une innovation technologique : la « révolution technologique » des technologies de l'information et de la communication (TIC) aggrave ainsi les problèmes de mesure du « partage volume-prix », donc de la valeur ajoutée réelle , d'un nombre croissant de biens dont les performances augmentent très rapidement.

- une autre difficulté peut résulter de la sous-traitance ou de la délocalisation de certaines opérations. Comme la productivité de ces opérations délocalisées peut différer de la productivité moyenne (la productivité y est généralement inférieure), les comparaisons internationales sont faussées : la productivité des pays qui, comme les États-Unis, délocalisent relativement plus, donc délocalisent des activités moins productives que la moyenne, est dopée relativement à celles des pays qui délocalisent moins.

- la principale difficulté concerne la mesure de la productivité dans les services . Dans un souci de simplification, on peut distinguer trois types de difficulté (qui en réalité peuvent être liées entre elles) :

• Comment mesurer la productivité d'un orchestre, d'un médecin ou même d'un cabinet comptable ? Pour dépasser la difficulté à mesurer « véritablement » ce qui est produit par les prestataires de services cités ici en exemple, les comptables nationaux ont développé des méthodes d'évaluation qui, globalement, sous-estiment les gains de productivité du travail dans les services : c'est la conclusion des travaux conduits par les services de la Banque Fédérale américaine ou par le Bureau of Labor Statistics , l'agence statistique du Ministère du travail américain.

• Une partie des gains de productivité dans les services est en réalité « confisquée » par le secteur manufacturier . Si l'on prend l'exemple de la production aéronautique qui externalise les activités de nettoyage, l'économie réalisera des gains de productivité si les entreprises d'entretien réalisent un travail de même qualité, mais moins onéreux.
Mais le gain de productivité qui en résulte est attribué au secteur aéronautique : le nombre de salariés du secteur a diminué alors que le nombre d'avions produits est inchangé.
La production de services d'entretien aux entreprises étant généralement mesurée à partir du coût du travail, la productivité y est stable.

Une partie des gains de productivité du travail est ainsi attribuée à tort au secteur manufacturier. Toutefois, ceci n'a pas d'impact sur la productivité de l'ensemble de l'économie.

• La dernière difficulté concerne la mesure de la production des services non marchands , tels que l'éducation ou la santé. La production de ces services est généralement évaluée au « coût des facteurs » de production utilisés, c'est-à-dire le salaire des personnels employés dans ces services non marchands. Par construction, l'augmentation de la production - numérateur - se retrouve au dénominateur de sorte qu'aucun gain de productivité ne peut apparaître dans les services non marchands.

Des efforts importants sont conduits pour mettre au point des indicateurs de productivité dans certains services non marchands, par exemple dans les hôpitaux, mais il serait illusoire d'en attendre une mesure des services non marchands comparable à celle du secteur manufacturier ou même des services marchands.

Ces questions de méthode n'ont pas qu'un intérêt académique : elles relativisent les analyses sur le rôle joué par les services dans le ralentissement de la productivité après le premier choc pétrolier ou dans son accélération aux États-Unis au début des années 90 (cf. chapitre III).

* 13 Des développements spécifiques sur les difficultés particulières de mesure de la productivité dans les services sont décrits dans le chapitre III consacré aux divergences d'évolution depuis 1995 de la productivité entre l'Europe et les États-Unis (page 88).

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